C/ Les fracturations de la roche dues aux essais

Les développements qui précèdent se réfèrent à des formations géologiques intactes qui n'ont pas été soumises aux perturbations engendrées par les explosions. Même si ces explosions ont été relativement de faible puissance, moins de 150 kilotonnes alors que certains essais aériens comme Canopus ou Procyon ont dépassé les 1 000 kilotonnes, il n'en demeure pas moins que l'énergie dégagée a entraîné des modifications certainement assez importantes de la structure des roches voisines de la cavité.

Non seulement l'explosion produit, comme on vient de le voir, une cheminée qui peut atteindre plusieurs centaines de mètres, mais "jusqu'à 90 ou 100 mètres on peut avoir théoriquement des fractures en cisaillement [...] mais ces fractures n'ont jamais été clairement observées" . 77 ( * )

La méconnaissance de l'étendue et de l'importance de ces éventuelles fracturations de la roche (ou l'absence d'informations communiquées sur ce sujet) ont laissé le champ libre à toutes les interprétations possibles.

Ainsi, pour le rapport Atkinson : "Les roches volcaniques ont été sévèrement altérées dans les zones environnant les points d'explosion. Il existe des possibilités de chevauchement de zones de fractures adjacentes ou d'extension de précédentes zones de fractures par des essais suivants. Le bilan des données disponibles suggère que l'intégrité de l'ensemble de la structure de la roche volcanique n'a pas été altérée. Cependant les données essentielles des tests de contrôle n'ont pas été rendues disponibles pour l'inspection." 78 ( * )

Ces remarques ont été faites en 1984 mais dans un article récent, M. Pierre Vincent, de l'Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand, soutient que les réseaux de fractures qui entourent les différentes cavités pourraient entrer en communication et ainsi "ouvrir le système permettant une migration progressive des éléments radioactifs dans l'océan et dans l'atmosphère" , voire provoquer "une ouverture brutale du système par glissement d'un flanc de l'île dans la mer" . 79 ( * )

Pour appuyer cette hypothèse, Le Monde avait même publié une carte de Mururoa prétendument secrète sur laquelle figurent quatre fissures traversant totalement la couronne corallienne. Toujours selon Le Monde, ces fractures auraient été comblées avec du ciment. Lors de sa visite à Mururoa, votre rapporteur n'a pas constaté l'existence de ces "fractures rebouchées" , il aurait d'ailleurs été étonnant que des travaux de cette importance, qui auraient nécessité des milliers de tonnes de ciment, aient pu passer inaperçues aux yeux des milliers de personnes qui ont résidé sur l'atoll.

En 1995, la revue scientifique britannique Nature a présenté l'avis d'un expert anglais qui, sans s'être jamais rendu sur place, diagnostiquait l'effondrement de l'atoll de Mururoa. Toutefois, dans le même numéro de Nature 80 ( * ) , deux autres spécialistes anglais et américain jugeaient cette hypothèse tout à fait improbable et estimaient qu'elle ne reposait sur aucune information véritable, l'un d'eux ajoutant même : "Je ne pense pas que les Français cherchent à détruire leur principal site d'essai."

Comme on pouvait s'y attendre, les responsables des essais contestent vigoureusement toutes les prévisions catastrophiques sur la solidité de l'atoll. Pour M. Yves Caristan, chef du Laboratoire de détection et de géophysique du CEA qui avait été créé et dirigé par le Professeur Yves Rocard : "des éboulis et une fragmentation se forment dans l'entourage immédiat de l'explosion mais au-delà de ces zones, l'énergie mécanique se propage dans les terrains de façon élastique sans les modifier." Il précise également que les différents essais ont été répartis sur la surface de l'atoll de manière "à limiter les interférences possibles entre eux et à préserver la stabilité du soubassement volcanique" .

Comme on peut le constater, il est donc très difficile de se faire une opinion et de savoir si les essais souterrains ont véritablement modifié la structure générale de l'atoll.

L'équipe Cousteau, qui s'était rendue sur place en 1987 et qui avait effectué plusieurs plongées sur les flancs de l'île de Mururoa, restait elle aussi assez dubitative : "En ce qui concerne le socle volcanique, il est évident que sa perméabilité est localement augmentée par les fractures artificielles, les cheminées d'effondrement et les puits [...] ces augmentations de perméabilité sont probablement très localisées mais se trouvent juste au niveau des zones sensibles : les chambres où sont vitrifiés les produits radioactifs." 81 ( * )

Hormis le tassement de la couronne corallienne et l'effondrement à plusieurs reprises de parties des flancs de l'atoll, on n'a pas constaté de modifications représentatives de la structure de l'atoll mais cela ne signifie pas pour autant que celles-ci n'existent pas.

Comment savoir, en effet, si les fractures provoquées par l'onde de choc peuvent se rejoindre et si le système hydrogéologique naturel a été modifié localement ou sur une grande surface ?

Après chaque explosion, on procédait bien à un forage de prélèvement destiné à aller chercher des échantillons de laves fondues dans les cavités mais, de l'aveu même du CEP, la partie supérieure de ces forages était réalisée en "destructif" , c'est-à-dire par broyage du terrain sous l'action de l'outil de forage, ce qui ne permettait pas de connaître la structure des terrains traversés.

De toute manière, comme le constatait l'équipe Cousteau : "Les valeurs de la résistance de la porosité, de la perméabilité d'un échantillon de roche prélevé par carottage, à un moment donné, ne peuvent être véritablement représentatives de la structure de Mururoa." 82 ( * )

A partir du moment où la fracturation généralisée du socle basaltique des atolls, qui remettrait en cause l'étanchéité du confinement des radionucléides, n'a pas été démontrée et ne pourra plus l'être puisque tout le matériel de forage a déjà été enlevé et, compte tenu des incertitudes qui existent sur la migration des radioéléments vers l'atmosphère, une surveillance active, permanente, à long terme et si possible contradictoire de la radioactivité des eaux des lagons, de l'océan et plus généralement de l'environnement des deux atolls, devient une nécessité absolue.

* 77 Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Op. déjà cité, tome II, page 114.

* 78 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 105.

* 79 Le Monde, 4 octobre 1995.

* 80 Nature n° 6545, 14 septembre 1995.

* 81 Mission scientifique de la Calypso sur le site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 41.

* 82 Mission scientifique de la Calypso sur le site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 41.

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