b) Le rapport Atkinson

La mission d'experts australiens et néo-zélandais présidée par M. H. R. Atkinson, dont les travaux ont été abondamment cités dans le cours du présent rapport, avait également posé le problème des éventuelles fuites de radioactivité et de la nécessité de prévoir une surveillance à long terme dans les deux atolls. Selon eux : "Les mécanismes susceptibles d'entraîner le transport des eaux contaminées vers la biosphère existent du moins sur le long terme."

Les autorités françaises ayant interdit à la mission Atkinson de prélever des échantillons de sédiment dans le lagon, ils ont dû se contenter de la déclaration de ces mêmes autorités reconnaissant qu'il y avait de 10 à 20 kg de plutonium dans le fond du lagon.

La présence de ce plutonium, qui va peu à peu se répandre dans les eaux de l'océan, justifierait à elle seule le maintien à très long terme d'un mécanisme de surveillance. Il ne faut pas, en effet, oublier que la période (ou demi-vie) du plutonium 239 est de 24 110 ans et qu'il faudra donc attendre 241 100 ans pour que son activité initiale soit divisée par 1 000 !

Si, dans certaines études, on envisage la "banalisation" des sites de stockage de déchets à haute activité une fois terminées les opérations de remplissage, en faisant ainsi confiance à l'imperméabilité des barrières artificielles et naturelles, il ne semble pas que le site de Mururoa puisse être un jour rouvert en vue d'un peuplement humain. Comme le constatait le rapport Atkinson, si on peut effectivement considérer que la présence des résidus des explosions peut faire assimiler Mururoa à un stockage de déchets radioactifs, il faut cependant bien admettre que ce site ne remplit pas les conditions géologiques exigées pour implanter un tel stockage : "L'hydrologie des formations calcaires et volcaniques est telle qu'on peut envisager que des fuites à partir des cavités provoquées par les explosions pourront se produire dans 500 ou 1 000 ans" 87 ( * ) , le bouchon des puits constituant le passage privilégié par lequel les radioéléments les plus volatiles pourraient revenir à la surface.

c) La mission scientifique de la Calypso

En novembre 1988, l'équipe Cousteau a publié un rapport réalisé à la suite d'une mission de cinq jours pendant lesquels le Commandant Cousteau avait été autorisé à pénétrer à l'intérieur du lagon le lendemain d'un tir afin de prélever des échantillon d'eau, de sédiment et de plancton. Ces observations de surface furent complétées par des plongées en scaphandre autonome et en sous-marin.

Sur l'éventualité d'un retour à la surface d'éléments radioactifs provenant des explosions souterraines, le rapport Cousteau ne fait que confirmer les conclusions de la mission Atkinson ; les éléments les plus volatiles qui n'ont pas été piégés dans la roche fondue pourront migrer vers la surface, le temps de cette migration pour "certains radioéléments pourrait être dans certains cas voisin de 100 ans" . 88 ( * )

D'autres conclusions de l'équipe Cousteau viennent cependant tempérer cette conclusion quelque peu inquiétante, ils ont en effet constaté qu'il n'y avait pas de retour, en 1988, de radioéléments en surface et que les risques de pollution radiologique à court et à moyen terme sont négligeables. Le tout est de s'entendre sur la définition du court terme quand on admet en même temps que "l'atoll de Mururoa est par conséquent un très mauvais site de stockage de déchets radioactifs et il n'y a aucune raison de croire que si certains critères de confinement semblent nécessaires au stockage des déchets des centrales nucléaires civiles, ils ne soient plus nécessaires pour stocker les déchets des essais nucléaires militaires" . 89 ( * )

Ainsi les rapports des experts indépendants ne semblent pas remettre en question les mesures effectuées par les laboratoires officiels et en particulier par le Laboratoire du Service mixte de surveillance radiologique et biologique (SMSRB), qui dépend directement de la DIRCEN et de la Direction des applications militaires du CEA :

- les essais aériens ont entraîné la contamination de quelques zones des atolls et une certaine pollution atmosphérique dont la concentration diminue lentement mais régulièrement ;

- les radioéléments artificiels produits par les essais souterrains sont restés jusqu'ici confinés dans les couches géologiques profondes et n'ont pas entraîné de contamination en surface.

Si les responsables des essais et les missions d'experts indépendants se rejoignent dans leur appréciation de la situation actuelle, il n'en est pas de même, en revanche, sur l'appréciation du risque, à moyen et à long terme, de voir la radioactivité actuellement confinée à l'intérieur des roches fondues migrer un jour jusqu'à la surface.

La DIRCEN, sur ce point, semble faire preuve d'un optimisme résolu et considère qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura pas dans l'avenir de problèmes liés à la migration des radioéléments provenant des essais souterrains. Si les responsables de la DIRCEN ont été dans l'ensemble assez satisfaits des conclusions des différentes missions d'expertise, ils n'en ont pas moins tenu à se démarquer de certaines des conclusions du rapport Cousteau : "la DIRCEN émet des réserves sur certaines déductions ou assertions du rapport, notamment en ce qui concerne la circulation des eaux et des radioéléments" . 90 ( * )

Un argumentaire officiel distribué dans les postes diplomatiques se montrait toutefois beaucoup plus prudent sur l'innocuité à long terme des essais souterrains et notait à propos des conclusions des rapports Atkinson, Tazieff et autres... que "leurs seules réserves éventuelles concernent le long terme sur lequel personne n'est véritablement à même de se prononcer" . 91 ( * )

Ne serait-ce pas là le début de la sagesse ?

Pourquoi, en effet, ne pas admettre qu'on ne sait pas, aujourd'hui, ce qui se passera à moyen et à long terme et agir dès lors en prenant en compte, dès maintenant, cette incertitude ?

* 87 Rapport Atkinson, Op. déjà cité, page 11.

* 88 Mission scientifique de la Calypso sur le site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 43.

* 89 Mission scientifique de la Calypso sur le site d'expérimentations nucléaires de Mururoa, Op. déjà cité, page 46.

* 90 DIRCEN, Mission du Commandant Cousteau, Dossier 3, sous-dossier 3, pièce 33, non daté, page 4.

* 91 Argumentaire sur l'inocuité des essais nucléaires français, document non signé et non daté.

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