d) L'application du principe de précaution

La loi du 2 février 1995 a énuméré les grands principes qui doivent désormais guider la politique de protection de l'environnement et cela grâce notamment au "principe de précaution, selon lequel l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l'environnement à un coût économiquement acceptable" .

Selon ce principe, il ne suffit plus d'avoir la preuve de la nocivité d'un produit ou d'une technique pour se décider à prendre des mesures raisonnables pour protéger la santé humaine et l'environnement ; en quelque sorte, l'incertitude ne doit plus servir à justifier l'inaction.

Dans le cas des anciens sites d'expérimentations nucléaires de Mururoa et de Fangataufa, les experts sont semble-t-il d'accord pour affirmer :

- que la situation actuelle n'est pas dangereuse ;

- qu'on ne sait pas si les éléments radioactifs piégés dans la lave à plus de 800 mètres de profondeur rejoindront la biosphère ;

- qu'il est impossible de dire aujourd'hui, si cela devait se produire, combien de temps il faudrait pour que l'eau chargée de particules radioactives parvienne à la surface mais que, de toute façon, ce phénomène serait extrêmement étalé dans le temps ;

- que les dangers pour les populations seraient de plus en plus réduits en raison de la dilution des éventuels rejets et de l'éloignement des régions habitées.

Il n'empêche que l'incertitude, que les scientifiques sont dans l'incapacité de lever, engendre des craintes qu'il faut s'efforcer de gérer et d'apaiser.

Les populations de la Polynésie, qui n'ont pas été consultées sur l'implantation du CEP à l'origine et qui n'ont par voie de conséquence jamais pu donner leur avis sur les essais nucléaires, sont en droit d'exiger que toutes les précautions soient prises pour assurer une sûreté maximum.

Dans un cas comme celui-ci, la conduite à suivre ne doit pas être guidée uniquement par des critères scientifiques, il faut pouvoir démontrer que toutes les mesures techniquement et économiquement possibles pour réduire les éventuels dangers ont bien été prises.

En Métropole, l'ouverture de laboratoires souterrains préalable à la création de centres de stockage devrait permettre d'apporter la preuve que toutes les sources de risques ont été identifiées afin qu'on puisse préventivement y remédier.

A Mururoa et à Fangataufa, aucune de ces actions préventives n'a été conduite, c'est donc a posteriori qu'il va falloir s'assurer que toutes les mesures destinées à assurer la protection de l'environnement et même éventuellement de la santé humaine seront bien prises.

Pendant toute la période de fonctionnement du CEP, le suivi de la radioactivité a été assuré par le Service mixte de surveillance de la radiologie et de la biologie (SMSRB). Près de deux cents médecins, chercheurs et techniciens, parfois assistés par des plongeurs, ont procédé à des prélèvements et à des analyses pour essayer de détecter toutes les formes de pollution radioactive. Le caractère militaire du SMSRB et le secret auquel il était tenu sur certains des résultats obtenus ont bien entendu donné prise aux critiques des antinucléaires. De nos rencontres en Métropole et sur place à Mururoa, nous avons retiré l'impression que ce service a toujours rempli les tâches qui lui étaient confiées avec compétence, sérieux et honnêteté, et qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute systématiquement ses conclusions qui ont, en général, d'ailleurs été confirmées par les experts indépendants des autorités militaires françaises

Mais qu'en sera-t-il de ces contrôles après la fermeture définitive du CEP ?

Selon les indications qui nous ont été données, le SMSRB va être rapatrié en Métropole, les contrôles journaliers (eau, air) ou séquentiels (sédiments, chaîne biologique, plancton, algues, ...) ne pourront donc plus être assurés avec la même régularité. En principe, pour les dix ans qui viennent, il est prévu qu'une équipe venant de la Métropole effectuera, chaque année, une campagne de prélèvements, ce qui nécessitera d'ailleurs le maintien à Tahiti d'un bateau spécialisé.

Ces campagnes annuelles de prélèvements seront complétées par un suivi continu effectué grâce à une dizaine de capteurs automatisés qui enverront le résultat de leurs mesures, par satellite, jusqu'à un centre du CEA en Métropole.

Sur un plan scientifique, ce dispositif peut paraître satisfaisant. Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'il ne suffira certainement pas à apaiser toutes les craintes des populations concernées.

La surveillance de la radioactivité n'a pas, en effet, qu'un objectif scientifique, elle doit être aussi motivée par le souci de maintenir la confiance du public.

La mise en place ou le maintien d'une telle surveillance passe donc par le choix d'une institution, existante ou à créer, dont le sérieux, l'honnêteté et surtout la permanence ne pourront pas être mis en doute.

A propos de la surveillance des installations de stockage de déchets radioactifs, un groupe de sociologues faisait d'ailleurs remarquer que "le choix d'un dispositif de régulation et de surveillance ne relève pas d'une détermination scientifique, c'est essentiellement un choix politique" . 92 ( * )

Dans ces conditions, il conviendrait donc :

- de prévoir dès maintenant un dispositif de surveillance de la radioactivité permanent et qui, en tout état de cause, restera actif bien au-delà de la période de dix années actuellement envisagée ;

- de mettre en place immédiatement une signalétique aussi indestructible que possible indiquant que les deux atolls sont susceptibles d'être contaminés par de la radioactivité. Plusieurs instances ont recommandé, pour cela, la construction de pyramides de cuivre portant le signe de la radioactivité ;

- de rapprocher, à terme, ce dispositif de surveillance de la radioactivité des populations polynésiennes concernées, en confiant cette tâche au Laboratoire d'étude et de surveillance de l'environnement de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) installé à Tahiti et actuellement chargé du suivi de la radioactivité pour toute la Polynésie française, mais à l'exception de Mururoa et de Fangataufa ;

- de chercher à former des étudiants polynésiens aux techniques de mesure et de surveillance de la radioactivité pour qu'à terme, la responsabilité des contrôles puisse être assurée localement même si la Métropole doit continuer à en assumer les frais ;

- de lever le "secret défense" et plus généralement de laisser le libre accès à toutes les données indispensables pour contrôler et apprécier les conséquences environnementales et éventuellement sanitaires des essais nucléaires.

* 92 Enjeux sociaux de la surveillance institutionnelle des stockages profonds de déchets radioactifs, Op. déjà cité, page 43.

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