ANNEXE 10 - LES VILLES PORTUAIRES, PLACES STRATEGIQUES POUR L'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE CONTEMPORAIN

Par Priscilla De Roo, DATAR, 4 juillet 1997

Les villes portuaires françaises sont aujourd'hui confrontées à des blocages particuliers, dont les symptômes sont la montée du chômage, la difficile reconversion de leurs activités économiques et la crise sociale qui affecte particulièrement leur centre ville. Mais, plus profondément, ces blocages tiennent à la manière dont la politique d'aménagement du territoire appréhende le rôle des villes-ports dans la structuration du territoire et de l'économie nationales. Villes par essence internationales et ouvertes aux échanges, elles ont souvent été instrumentalisées comme de simples sites techniques spécialisés dans le passage portuaire et au mieux ramenées au rang de « métropoles d'équilibre » dans une cohérence qui demeurait essentiellement nationale.

Or, l'aménagement du territoire est aujourd'hui confronté en temps réel à des mutations profondes de l'espace. On peut rapidement citer quelques éléments qui constituent la toile de fond de ces mutations et que l'action publique doit prendre en compte si elle se donne comme objectif d'apprivoiser ces mutations dans le territoire pour provoquer une nouvelle dynamique de l'emploi : la globalisation des échanges et le pilotage de l'économie par l'aval (les marchés) qui se substitue à la division spatiale du travail construite au niveau national, l'émergence de la ville comme lieu d'intermédiation entre l'extérieur et l'intérieur, comme district serviciel dans une économie multi fonctionnelle et pas seulement post industrielle, comme assurance tous risques face à des marchés particulièrement volatils, et enfin, comme lieu de direction économique dans un territoire européen ouvert, donc comme équilibre par rapport à Paris.

Dans ce contexte, c'est la ville portuaire qui devient le point nodal de l'attention publique et de la prise de responsabilité de l'État et pas seulement le port considéré comme un pur outil technique. Qui dit ville portuaire aborde la ville et le port comme un système intégré, relevant de logiques techniques (outils de transit et de traitement de la marchandise, réseaux de transports, chantiers multi-modaux) mais aussi de logiques économiques (offre de services économiques de la ville, offre de services logistiques et d'interconnexion) et de logiques sociales (offre d'emplois pour les populations déqualifiées, par exemple) et urbaine (construire des « waterfronts » spécialisés sur des emplois ou catégories sociales « supérieures » ou jouer de la diversité urbaine et de l'échange des catégories sociales).

Aussi, l'aménagement du territoire se doit de déplacer la problématique portuaire dans plusieurs directions :

- d'une vision patrimoniale nationale du rôle des ports, principalement axé sur des fonctions industrielles et de transit vers une vision internationale d'ouverture de la France au monde, en valorisant les fonctions commerciales et logistiques des ports, à partir desquelles pourront s'envisager des diversifications industrielles. En bref, les villes portuaires constituent pour la France des fenêtres internationales dont il serait incohérent de se priver dans un contexte de globalisation des échanges.

- d'une vision technique du rôle des ports, considérés comme de simples outils de transit, même efficaces, vers une vision économique (les fonctions d'échange des places portuaires) intégrant du même coup l'offre d'échanges du port et l'offre de services de la ville.

- d'une vision instrumentale d'efficacité de transit pur des ports vers une vision de valorisation économique des échanges sur le territoire local. Un port, c'est une rupture de charge, une ville, c'est un lieu où vivent et travaillent... et chôment, des populations. Comment alors profiter de la rupture de charge non seulement organiser la logistique du juste à temps, mais aussi pour valoriser et transformer la marchandise avant son réacheminement. Ceci concerne tout le débat sur les plates-formes logistiques, leur localisation judicieuse en fonction des objectifs d'aménagement que l'on s'assigne et leur calibrage.

- d'une vision pointilliste de la succession des lieux portuaires vers une vision stratégique de la place des villes portuaires dans le réseau territorial national, européen, international. Cela appelle un débat sur la hiérarchie des places portuaires, sur leur mise en réseau pour atteindre une meilleure complémentarité, sur leurs concurrences internes et externes, bref, sur leurs marchés respectifs, étant entendu qu'une place portuaire est d'abord un lieu d'échanges vivant et adaptable et pas seulement un lieu de planification publique, fut-elle stratégique !

En conséquence, l'action publique d'aménagement se doit de donner une place primordiale aux villes portuaires dans les outils qu'elle s'est forgés (chartes de place portuaire, schéma national, schéma de développement de l'espace communautaire, schéma des ports, schéma intermodal, schéma d'accessibilité des ports) dans l'objectif de réhabiliter les places portuaires et leur stratégie d'ouverture économique dans une tradition d'aménagement souvent conçue d'une manière institutionnelle, patrimoniale, continentale, industrielle et technique. Il en va de l'adaptation du territoire français (en dehors de la région parisienne), à l'ouverture des échanges, pour le transformer non pas en un territoire de transit produisant sa cohorte de chômeurs nouveaux, mais en un réseau de territoires locaux capables de tirer profit des échanges au service de la création de valeur ajoutée et de l'emploi.

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