2. Les causes du malaise

Cette crise a eu des motifs affichés, mais aussi des causes plus profondes. Cette inquiétude diffuse s'est traduite, dès le début de la grève, déclenchée le 2 décembre 1997, par la revendication d'un plan stratégique à cinq ans, ce qui était une façon de demander des assurances. A l'ère du multimédia, la question de l'avenir de France 3 ne se résume plus, en effet, à un développement de type extensif et géographique, générateur d'un emploi continûment croissant.

Les revendications affichées :

Si la grève révèle une évidente crise de croissance, on ne peut pas vraiment parler de crise d'identité tant les inquiétudes exprimées par les personnels de France 3 témoignent d'une culture d'entreprise particulièrement vivace.

Lorsque l'on analyse ces revendications, on trouve un certain nombre de points forts, qui tous traduisent un profond attachement à la vocation de la chaîne - son " image de marque " avec sa " dimension de proximité géographique et donc affective " - et la volonté de voir son développement se poursuivre, sans remise en cause de son identité régionale :

1? La réaffirmation de l'identité régionale de la chaîne par l'accroissement, dans la grille, de la place réservée à des programmes conçus et fabriqués dans les régions pour des publics régionaux : " il faut recentrer la stratégie de France 3 sur les régions, dans toutes leurs diversités, grâce au maillage du pays par l'information locale mais aussi grâce à ses programmes régionaux ", était-il réclamé ;

2? L'évolution des métiers de journaliste et de technicien, rendue nécessaire par l'implantation des technologies numériques, mais difficile à gérer dans le respect des conventions. Pour les syndicats, le gain de productivité attendu avec de nouvelles formes d'organisation du travail et de nouveaux profils professionnels ne pourra être obtenu qu'après expérimentations concertées et négociées.

3? Le souci d'intégrer un nombre important de salariés à contrat précaire, dans un contexte national marqué par la préoccupation du chômage.

4? La volonté d'obtenir la fixation d'objectifs chiffrés et d'un calendrier précis pour le rapprochement des rémunérations de France 3 par rapport à celles de France 2, dans le cadre de France Télévision.

5? La déception de constater que l'excellente image et les bons résultats d'audience de la chaîne ont abouti en 1997 à un plan d'économies imposé par les pouvoirs publics et à une prime moyenne d'intéressement divisée par 6, par rapport à celle versée l'année précédente.

6? Ce dernier point est parfaitement symptomatique du malaise exprimé au cours de la grève dans la mesure où le personnel a eu le sentiment d'assister à la reprise par l'État - seul actionnaire - des excédents de recettes résultant des bonnes performances de la chaîne et de ses gains de productivité .
Les causes plus diffuses :

Un certain nombre d'éléments ont, par delà ces revendications immédiates, contribué à alourdir le climat ou à entretenir le soupçon :
1? Il y eut d'abord une question de méthode. Les salariés ont eu l'impression que la mise en place du plan stratégique se préparait dans le secret, alors qu'ils avaient des idées à faire valoir.

2? L'arrivée des nouvelles technologies a été source d'inquiétude dans la mesure où France 3 aurait à affronter la concurrence du secteur privé, aux méthodes productivistes, inquiétantes, tant au regard de l'évolution des métiers qu'à celui des contenus de programmes. A cet égard, un fait a été mal interprété lorsque la direction technique a fait circuler dans les régies des matériels numériques de nature à montrer des possibilités d'évolution des fonctions.
D'une façon générale, les salariés de France 3 craignent d'entrer en concurrence avec un secteur privé audiovisuel régional émergent, n'obéissant pas aux mêmes règles, et que la chaîne soit peu à peu privée de son rôle dans la fabrication même de programmes et reléguée au seul rôle de diffuseur d'informations locales ou de programmes régionaux.

On a vu se développer une inquiétude croissante et diffuse, alimentée par les mutations en cours du " paysage audiovisuel ", caractérisée :
• par l'apparition probable de la concurrence dans le secteur, jusqu'ici protégé, de l'information régionale et locale,

• par l'usure manifeste de certaines structures de la chaîne (les bureaux régionaux d'information), dont les habitudes d'organisation sont remises en question par d'autres modes de fonctionnement (TV locales, journalistes à compétence complémentaire, par exemple).

• par les interrogations sur l'utilité à terme de certains métiers traditionnels (opérateurs de prises de son et de prises de vues notamment) encore nombreux dans les effectifs de la chaîne.
3. La perspective d'une remise en cause de la Convention collective des personnels techniques et administratifs, dont l'obsolescence est reconnue mais dont la révision pourrait permettre de diminuer les garanties sans contreparties. A l'ère du multimédia, la question de l'avenir de France 3 ne se résume plus, en effet, à un développement de type extensif, sans modification de l'organisation et des structures.

4. Les craintes d'une restructuration, consécutive au rapprochement de France 2, rendent les personnels encore plus attachés à leur autonomie et plus sensibles à toute tentative ou tout projet de rationalisation, tandis que le regroupement sur un même site de deux rédactions nationales aux histoires différentes, n'améliore pas le climat.

5. Enfin, la lassitude face à une politique de restructuration que les personnels ont tendance à percevoir comme la continuation d'une politique de rigueur démotivante : des syndicalistes ont souligné que " ce que vit France 3 aujourd'hui, est une conséquence logique du " Budget ", tel qu'il est voté par le Parlement :
un budget, dont les ressources propres sont inscrites en constante progression, (la publicité représente plus de 30 % du budget) 24( * ) ,

• un budget, dans lequel la diversification demandée par l'État doit être financée grâce aux ressources propres de la chaîne,

• un budget qui oblige la chaîne, pour garantir ses ressources, à assurer un taux d'audience fort, et donc un investissement fort dans la grille nationale, et ce, au détriment des régions ; (nous l'avons vu également dans la politique suivie par la chaîne en matière d'achats de droits sportifs). "
Bref, ce que voulaient de nombreux salariés, c'était moins de rigueur et plus de perspectives.

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