M. Jean-Marie COULON,
Président du Tribunal de grande instance de Paris

M. COULON. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Si vous me le permettez, j'aimerais intervenir tout d'abord en qualité de gestionnaire. Je ne sais pas si un gestionnaire a sa place dans un débat de fond, mais ce n'est peut-être pas non plus négligeable. J'aimerais vous proposer quelques touches dans ce débat qui, en ce qui me concerne, ne portera que sur le divorce.

Je vous disais "gestionnaire". Qui dit gestionnaire dit approche pragmatique du problème. Comme je n'oublie pas que je suis Président du Tribunal de Grande Instance de Paris, j'aimerais vous donner quelques chiffres qui peut-être nous feront comprendre l'intensité de la question.

Le service du juge aux affaires familiales à Paris, l'année dernière, a connu 13.000 affaires. 56 % des procédures générales ont été jugées devant le JAF. Concernant le divorce par consentement mutuel, le total est de 57 % de l'ensemble des divorces. La durée moyenne d'un divorce par consentement mutuel est de l'ordre de 7 mois à Paris.

La proportion des divorces par consentement mutuel, sur l'ensemble de l'activité judiciaire en France, est de l'ordre de 10 %.

Lorsque j'ai entendu les personnalités pour rédiger mon rapport sur les procédures civiles, on commençait bien entendu à parler du mouvement de déjudiciarisation. On parlait du notaire ou de l'officier d'état civil, même si à l'époque, il n'y avait pas de débat public. Je n'ai pas donné suite à ces réflexions pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, ce n'était pas l'objet de mon rapport et de plus, j'avais trouvé que les positions des uns et des autres étaient crispées, d'où l'importance du débat actuel qui consiste, au moins, à ce que des échanges profonds puissent avoir lieu.

Je vous donne un exemple. Lorsque j'ai interrogé les notaires en leur disant : "Seriez-vous favorables pour intervenir en matière de divorce par consentement mutuel ? ", la réponse a été totalement négative. J'ai l'impression, aujourd'hui, que la réponse est un peu différente. Cela témoigne de l'évolution des choses.

Un autre facteur me paraît très important : le temps. Je disais tout à l'heure en aparté que les lettres que je peux recevoir en tant que Président de juridiction ne portent pas du tout sur l'indépendance des juges ou sur les problèmes dont on peut débattre. La question lancinante est la suivante : quand va-t-on me rendre justice ? C'est la notion de temps et de délai.

Je suis peut-être moi-même assez sous l'influence de ces notions, mais je suis absolument convaincu -car c'est la société du fax que nous vivons actuellement- qu'une justice qui ne répond pas dans un délai raisonnable et normal est une justice qui fonctionne mal. En matière de divorce, qu'on le veuille ou non, c'est un facteur à prendre en compte.

Concernant le divorce par consentement mutuel, il y a une analyse assez simple. On nous dit que c'est une procédure gracieuse. Sur le plan juridique, c'est vrai, mais il n'en demeure pas moins, me semble-t-il, en raison des conséquences négatives et qui existent forcément, même dans un divorce par consentement mutuel, que cette procédure gracieuse a une coloration assez fortement contentieuse, au moins sur le plan sociologique.

Cette différence, à mon avis très ténue, a semble-t-il pour conséquence que l'intervention d'un juge est importante, est un facteur essentiel, et qu'il faut bien réfléchir avant de proposer quelque chose où le juge serait absent, même s'il est vrai qu'il y a une tendance assez forte en ce sens que, d'ailleurs, je ne récuse pas.

Il m'a semblé intéressant d'essayer de redéfinir un peu les modalités d'intervention du juge et de les adapter à l'évolution du droit de la famille et à la pression des flux.

Je suis parti de ce constat qu'un divorce moyen de neuf, dix mois, même si par consentement mutuel, c'est plutôt sept mois, est une notion qui n'est plus admise aujourd'hui, dans notre société. Il m'a semblé qu'on pourrait aller par petites touches vers une solution bien plus rapide.

Dans le divorce par consentement mutuel, on passe deux fois devant le juge avec un délai de trois mois. Il m'a semblé que cette seconde comparution devant le juge pourrait être facultative. Si, lors de la première comparution, le juge a pu s'assurer de la réalité du consentement des époux et de la sauvegarde des intérêts en présence, d'une manière générale, rien n'interdit, à mon avis, de prononcer le divorce.

Sur le plan procédural, c'est une mesure qui ne bouleverse pas l'ordre des choses. Dans la mesure où il y a une certaine souplesse et qu'à la fin de l'audience, l'affaire pourrait, en cas de difficulté, être renvoyée par le juge à une audience ultérieure, cela me paraît être une parade aux critiques.

Il est évident qu'à l'heure actuelle, l'intervention du juge est éclatée pour permettre aux parties de réitérer leur requête et donc d'avoir un temps de réflexion. Là encore, même si des positions de principe tout à fait respectables en ce sens défendent cette thèse des deux comparutions, il me semble que cela ne correspond pas du tout à la réalité sociologique. Force est de constater que le délai souhaité par le législateur pour une réconciliation éventuelle est complètement utopique. C'est la raison pour laquelle je trouve que ce ne serait pas une mauvaise solution.

Un autre élément sur lequel j'aimerais insister est le problème de la médiation.

Les juges aux affaires familiales ont donné l'exemple depuis longtemps avec la loi de 1995 et le décret de 1996. C'est en train de pénétrer la culture judiciaire dans tous les tribunaux. Au tribunal de Paris, la médiation familiale, à mon sens, devrait se développer comme toutes les autres formes de médiation.

En 1997, il y a eu environ une centaine de médiations familiales. C'est beaucoup, mais peu, au vu du nombre de divorces. Il me semble là aussi que l'on pourrait généraliser la médiation comme on est en train d'essayer de le faire, en donnant la possibilité aux parties d'avoir recours à cette mesure de médiation. Elle aiderait peut-être à faire disparaître ou, au moins, à atténuer la notion de faute. Mais c'est un autre débat, c'est un débat de fond que je ne me sens pas compétent pour aborder à cet instant.

Je vous remercie.

M. le Président. - Merci, Monsieur le Président, d'avoir bien voulu extraire quelques données très pratiques de cette réflexion d'ensemble que vous avez conduite et qui a abouti à ce rapport remarquable sur la réforme de la procédure que nous connaissons tous.

Je suis très frappé des chiffres que vous nous indiquez et, en même temps, de cette remarque préalable que nous serions d'ailleurs peut-être en état de faire. Lorsque l'on nous parle de la justice -je parle avec beaucoup de prudence- on nous parle, dans les contacts que nous avons, très rarement de l'indépendance du Parquet. Par contre, de manière constante, on nous parle du temps nécessaire pour que s'élabore la décision de justice. Nous savons tous, d'ailleurs grâce aux travaux extrêmement approfondis que nos collègues Pierre Fauchon et Charles Jolibois avaient menés dans ce domaine, que l'on aboutit à des situations, à la limite, aberrantes, dans certaines cours d'appel.

Je suis en revanche frappé de la modestie des délais indiqués. Après tout, un divorce en neuf mois, ce n'est pas mal.

M. FAUCHON. - Est-ce une moyenne ? Quelle est la dispersion autour de la moyenne ?

M. COULON. - La moyenne est de dix mois.

M. le Président. - Je suis heureusement surpris des chiffres que vous nous indiquez.

M. COULON. - Ce sont des chiffres de première instance.

M. le Président. - Quelle est la proportion d'appel sur les jugements de première instance en divorce ?

Mme COURCELLE. - En matière de divorce contentieux, il y a deux ans d'attente.

M. le Président. - Quelle est la proportion de jugements de première instance qui est frappée d'appel ?

Mme COURCELLE. - La proportion est de 10 % à Paris.

M. le Président. - C'est extraordinairement satisfaisant.

M. FAUCHON. - Deux ans d'attente ?

M. le Président. - Réfléchissez à ces chiffres.

M. COULON. - Je voudrais nuancer la réponse que Sylvaine Courcelle vient de vous faire. Elle vous a donné une réponse sur Paris. Si je vous donnais une réponse sur Aix-en-Provence, ce serait différent.

M. le Président. - J'ai posé deux questions. Premièrement, combien de jugements de première instance sont frappés d'appel ? 10 % à Paris, me dites-vous. Est-ce différent à Aix-en-Provence ?

M. COULON. - Non, je vous parlais du délai.

M. le Président. - Deuxième problème. Mme Courcelle nous dit que s'il y a appel, le délai est de deux ans à Paris. Si c'est à Douai, à Montpellier, à Aix-en-Provence, est-ce quatre ans ?

M. DREYFUS-SCHMIDT. - En matière sociale.

M.  LARCHÉ, Président. - Je le dis sous forme de boutade, mais si on est fâché au mois d'octobre et qu'au mois d'août suivant le divorce est réglé ...

M. COULON. - Il ne faut pas non plus être obsédé par le temps. Dans un divorce par consentement mutuel, si vous rendez facultative la seconde comparution, c'est un divorce par la première et unique comparution, et cela veut dire qu'il serait obtenu en six semaines, deux mois.

M. le Président. - Attention. Est-il bon, et ceci est un tout autre problème, d'obtenir un divorce en six semaines, deux mois ?

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Sur ce point précis, j'ai remarqué que tous les magistrats nous disent cela parce qu'ils pensent tous à des cas où, visiblement, toutes les affaires sont réglées, où le consentement est manifestement libre et spontané, et qu'effectivement, dans ce cas, il n'y a pas de raison d'attendre, cela permet aussi de gagner du temps pour les autres affaires.

M. le Président. - C'est une question de moyenne, je pense. Les chiffres qui nous sont indiqués par le Président Coulon sont des chiffres moyens. Il y a des divorces de moins de 9 mois et des divorces, même en première instance, qui doivent durer 12 mois.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Il peut y avoir des difficultés à faire l'état liquidatif, par exemple.

M. BALARELLO. - Le problème est le suivant. Est-ce que pour le divorce par consentement mutuel, il est nécessaire d'avoir deux comparutions ou une seule ?

Je pense quant à moi, après pas mal d'années d'exercice de la profession d'avocat, qu'il faut deux comparutions. Monsieur le Président, vous le savez fort bien, le divorce est perçu par bon nombre de couples comme une période de crise, où l'un des deux époux, plus fragilisé que l'autre, risque de sacrifier des éléments, la garde des enfants, des pensions alimentaires, des prestations compensatoires, etc. Eléments sur lesquels on revient après une réflexion.

C'est la raison pour laquelle il me semble indispensable de maintenir les deux comparutions.

Ceci étant, il ne faut pas confondre les effets et les causes. Vous savez fort bien, malheureusement, alors que le législateur a prévu un délai de trois mois entre les deux, que si la justice fonctionnait normalement, au bout de trois mois, trois mois et demi, le divorce serait prononcé par consentement mutuel.

Cela veut dire que le législateur a voulu que le divorce par consentement mutuel soit normalement prononcé au bout de quatre mois. Il ne faut pas raccourcir ce délai, mais il conviendrait de le respecter. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Quelles sont les causes ? L'encombrement des tribunaux. Cela n'a cependant rien à voir avec le droit du divorce et la loi du divorce. Il nous appartient de prendre les mesures afin que les affaires ne traînent pas pendant des mois. Doit-on pour autant modifier la réglementation du divorce ? Personnellement, je pense qu'il ne faut pas la modifier.

M. DREYFUS-SCHMIDT. - Je me permets de demander à M. le Président s'il n'y a pas une différence à faire pour les divorces de personnes qui gagnent la même chose et n'ont ni enfant ni bien ? Si ceux-là sont vraiment décidés, pourquoi faudrait-il deux séances, si eux-mêmes et le juge estiment que ce n'est pas la peine ?

M. COULON. - Je voudrais faire quelques observations.

Premièrement, j'ai la faiblesse de penser que la justice n'est pas si mal rendue que cela en première instance, que ce soit à Paris ou en province.

Deuxièmement, nous, juristes, avons le défaut d'être trop systématiques et de faire une confiance absolue à la règle de droit. Il me semble qu'il faut de la souplesse et laisser au juge un pouvoir d'appréciation. Il n'est pas question, dans mon esprit, de dire que c'est une seule comparution et que l'on s'arrête là. C'est la raison pour laquelle il ne serait pas mauvais de laisser au juge cette possibilité de procéder ou non à la deuxième comparution, et un juge aux affaires familiales a suffisamment d'expérience, de compétence, pour se rendre compte, me semble-t-il, immédiatement, si la seconde comparution est nécessaire ou non. Ce n'est pas un problème de flux, mais un problème beaucoup plus profond. Il y a le délai de trois mois, plus le délai de six semaines de convocation, c'est-à-dire un délai de quatre mois et demi. Je ne vois pas pourquoi on ajouterait au délai nécessaire pour la première comparution, un délai artificiel de quatre mois et demi.

M. FAUCHON. - Je voudrais revenir à cette question de chiffres. Vous avez indiqué un délai pour les affaires de divorce, à Paris, de neuf mois. C'est une moyenne. Il n'y a rien de plus redoutable que les chiffres moyens, c'est tellement commode. La question est de savoir tout de même quelle est la dispersion. Y a-t-il une grande dispersion autour de cette moyenne ? S'il y a une grande dispersion, il y a peut-être une question.

M. COULON. - Je ne peux vous répondre que par les chiffres. Mme Courcelle serait plus qualifiée que moi pour essayer de les disséquer sur le plan de la réalité.

Mme COURCELLE. - Sur les requêtes conjointes, c'est quand même l'affaire des parties et la moyenne à Paris est vraiment celle qu'indique M. le Président, étant entendu que si les parties souhaitent que ce soit plus long, ce sera plus long. On est dans cet ordre de grandeur, c'est-à-dire une moyenne de sept à huit mois.

Pour les divorces pour faute, l'échelle est beaucoup plus étale puisqu'on a des divorces qui se passent très vite ; mais dès qu'il y a expertise, on passe à deux ou trois ans. C'est la raison pour laquelle la durée des divorces contentieux est plus dispersée que celle des divorces par requête conjointe.

M. FAUCHON. - Le problème de la justice, ce ne sont pas les affaires faciles, mais les affaires difficiles. C'est là que la justice accomplit sa mission.

Mme COURCELLE. - On dépose dans les neuf mois, on peut être convoqué après renvoi.

Je voudrais quand même souligner les propos de M. Coulon sur les chiffres. A Paris, et c'est une spécificité de votre tribunal, les requêtes conjointes représentent 57 % des divorces, alors qu'en province, vous avez 50 % de divorces pour faute et 50 % d'autres procédures. A Paris, on a beaucoup plus de requêtes conjointes.

M.  LARCHÉ, Président. - Pourquoi ?

M. COULON. - La réponse est assez simple. Un certain nombre de personnes qui habitent en banlieue préfèrent divorcer à Paris pour des raisons de commodité dues à plusieurs facteurs.

Mme COURCELLE. - Tous les Français situés à l'étranger, qui se sont mariés en France et qui veulent divorcer en France, viennent à Paris. Comme nous avons un relativement bon délai dans les requêtes conjointes, beaucoup d'habitants de l'Ile-de-France viennent également divorcer à Paris.

M. le Président. - Monsieur Coulon, je vous remercie infiniment.

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