Chambres régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de la démocratie locale

OUDIN (Jacques)

RAPPORT D'INFORMATION 520 (97-98) - COMMISSION DES FINANCES

Table des matières






N° 520

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juin 1998

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) et de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (2), par le groupe de travail (3) sur les chambres régionales des comptes ,

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Henri Torre, René Trégouët.

(2) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

(3) Ce groupe de travail est composé de : MM. Jean-Paul Amoudry, Joël Bourdin, Philippe de Bourgoing, Henri Collard, Jean-Paul Delevoye, Michel Dreyfus-Schmidt, Yann Gaillard, Patrice Gélard, Paul Girod, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Jacques Oudin, Robert Pagès.

Chambres régionales des comptes.

INTRODUCTION

Fidèle à sa vocation constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales de la République, le Sénat ne se contente pas d'apporter une contribution positive, car éclairée par l'expérience locale de ses membres, à l'amélioration des textes relatifs aux communes, aux départements et aux régions. " Veilleur de la décentralisation ", il suit, avec une particulière attention et une constante vigilance, le déroulement de ce processus de redistribution des rôles entre l'Etat et les collectivités de proximité.

C'est ainsi que depuis l'avènement de la loi fondatrice du 2 mars 1982, le Sénat a constitué, à trois reprises, des missions d'information sur la décentralisation, communes à plusieurs de ses commissions permanentes.

Les travaux de ces trois missions d'information, qui avaient pour objet de dresser un état des lieux de la décentralisation, dans toutes ses dimensions, ont débouché sur la publication de rapports proposant des ajustements, des infléchissements et des améliorations répondant à l'attente des élus locaux et des citoyens 1( * ) . Par ailleurs, deux des commissions du Sénat (la commission des finances et la commission des lois) constituent, au sein de la Haute assemblée, des observatoires permanents de la décentralisation 2( * ) .

Dans le prolongement de ces travaux, consacrés principalement aux compétences des collectivités locales et à leur nécessaire clarification, à la réforme de la fiscalité directe locale, à la compensation financière des transferts de compétences, aux relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, à l'intercommunalité et au statut de la fonction publique territoriale, il est apparu nécessaire de traiter, de manière plus approfondie, du thème du contrôle des actes financiers et budgétaires des collectivités locales.

En effet, depuis quelques années, un certain malaise semble affecter le climat dans lequel s'inscrivent les relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, qui assurent trois fonctions aussi essentielles que complémentaires : le jugement des comptes des comptables publics des collectivités locales, la participation au contrôle des actes budgétaires et l'examen de la gestion des collectivités locales.

Aujourd'hui, trois types de griefs sont parfois formulés à l'encontre sinon des missions des chambres régionales des comptes, du moins de leurs pratiques dans la mise en oeuvre du contrôle financier.

Tout d'abord, nombre d'élus locaux déplorent la médiatisation, jugée excessive , des observations provisoires que les chambres régionales des comptes peuvent être amenées à formuler sur la gestion des collectivités locales. Cette publicité exacerbée jetterait l'opprobre sur l'ensemble des élus locaux, alors même que la quasi totalité des collectivités locales sont gérées de manière régulière, prudente et avisée.

Elle contribuerait ainsi à alimenter les fantasmes des mouvements extrémistes qui se nourrissent, par amalgame, des éventuels dysfonctionnements de la gestion locale, et de manière plus générale, des incidents de parcours de la démocratie représentative, pour tenter de déstabiliser notre système politique 3( * ) .

Ensuite, l'absence d'articulation entre le contrôle de légalité mis en oeuvre par les préfets et le contrôle financier exercé par les chambres régionales des comptes constituerait un facteur d'insécurité juridique pour les élus locaux. En effet, ces derniers admettent difficilement qu'un acte d'une collectivité locale qui a franchi, avec succès, l'épreuve du contrôle de légalité puisse, quelques années plus tard, se voir "mis en cause" par une chambre régionale des comptes, dans le cadre d'une vérification des décisions financières ou d'un examen de la gestion de la collectivité locale.

Ce sentiment d'insécurité juridique, très répandu chez les élus locaux, serait conforté par des inégalités entre les chambres régionales au regard de leurs ressources humaines, des disparités territoriales de traitement entre les collectivités locales, des contradictions ou des contrariétés dans les jugements et des divergences dans l'interprétation des textes.

Enfin, les exécutifs territoriaux sont sans cesse plus nombreux à contester les modalités d'exercice de l'examen de la gestion des collectivités locales comme en témoignent les réponses à " l'enquête " conduite par l'association des maires de France auprès des présidents des associations départementales de maires. Les élus locaux déplorent l'absence de hiérarchisation des observations, regrettent l'accent mis par les chambres sur les seuls aspects négatifs de la gestion et s'insurgent contre une dérive -réelle ou supposée- vers un contrôle de l'opportunité des choix politiques effectués par la collectivité locale.

Tel est le climat de suspicion dans lequel est intervenue la proposition de loi n° 229, déposée le 25 février 1997 et dont les deux premiers signataires étaient nos collègues Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois. Ce texte, qui fut renvoyé pour examen à la commission des finances, avait pour objet de modifier le code des juridictions financières afin de préciser les compétences des chambres régionales des comptes.

Pour les auteurs de la proposition de loi, le fonctionnement des chambres régionales des comptes irait à l'encontre de la volonté du législateur, exprimée notamment dans la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 : loin de se cantonner à un contrôle de la régularité de l'emploi des fonds publics, elles exerceraient un "véritable contrôle de l'opportunité sur les décisions prises par les assemblées élues au suffrage universel direct".

Cette situation heurterait "les principes mêmes de la décentralisation qui a précisément tendu à supprimer le contrôle financier a priori sur les actes des collectivités locales".

En outre, une telle dérive serait "en contradiction avec les dispositions de l'article L. 231-5 du code des juridictions financières qui dispose que la chambre régionale des comptes n'a pas juridiction sur les ordonnateurs, sauf sur ceux qu'elle a déclarés comptables de fait".

Cet exposé des motifs trouvait son prolongement dans un dispositif qui consistait à exclure de l'examen de la gestion d'une collectivité locale "les choix de gestion qui résultent de délibérations prises par l'assemblée délibérante de cette collectivité".

Certaines voix se sont alors élevées pour faire valoir que ce dispositif conduirait à vider de sa substance l'examen de la gestion d'une collectivité locale. Deux arguments furent mis en avant.

Tout d'abord, il a été souligné que la rédaction retenue conduirait à soustraire à l'examen de la gestion, l'ensemble des délibérations prises par la collectivité locale. Or, les décisions "délibérées" ne se limitent pas à la définition des politiques que les élus locaux entendent conduire. La plupart des décisions de gestion inhérentes à la mise en oeuvre de ces politiques font également l'objet d'une délibération, le plus souvent prévue par la nomenclature des pièces justificatives des dépenses. C'est le cas, par exemple, pour la dévolution des marchés publics, la conclusion des contrats et des conventions, et l'attribution de subventions.

Ensuite, il a été objecté que le dispositif proposé aboutirait à mettre les collectivités locales à l'abri des investigations du juge financier puisqu'il suffirait, pour atteindre ce résultat, de soumettre volontairement à l'assemblée délibérante les décisions relevant, en principe, de la compétence de l'ordonnateur 4( * ) .

Pour restituer toute sa sérénité à ce débat, les présidents des deux commissions compétentes pour l'examen de la proposition de loi Gélard-Courtois, M. Christian Poncelet pour la commission des finances et M. Jacques Larché, pour la commission des lois, ont alors décidé de proposer à leurs commissions respectives, qui les ont suivis, de créer un groupe de travail commun.

Composé de sept représentants de la commission des finances et de sept représentants de la commission des lois, ce groupe de travail, qui a été constitué en avril 1997, s'est assigné pour mission de dresser un bilan, après quinze années de pratique, des modes d'exercice du contrôle exercé par les chambres régionales des comptes et, le cas échéant, de proposer les voies et moyens d'une normalisation des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes ainsi que d'une modernisation des modalités du contrôle financier.

Le groupe de travail a alors procédé, lors des huit derniers mois de l'année 1997, à l'audition des principaux "acteurs" du contrôle financier 5( * ) : les représentants des associations d' élus locaux (Association des maires de France, Association des districts et communautés de France, Association des présidents de conseils généraux, Association des présidents de conseils régionaux), les représentants des juridictions financières (M. le Premier président, Mme le procureur général, M. le chef de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes, six présidents de chambres régionales des comptes et le président de l'association professionnelle des magistrats des chambres régionales des comptes), le ministère de l'Intérieur (M. le directeur général des collectivités locales et M. le président de l'Association du corps préfectoral), les comptables publics (les trésoriers payeurs généraux par le truchement du président de leur association et le directeur de la comptabilité publique au ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie), des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales, et les fonctionnaires territoriaux (par la voix du président de l'Association nationale des directeurs de service des conseils généraux et régionaux).

A l'issue de ce programme d'auditions, qui s'est achevé à la fin du mois de février 1998, le groupe de travail était en mesure de présenter ses conclusions.

Toutefois, afin d'éviter d'interférer avec la campagne en vue des élections cantonales et régionales, en risquant de l'alimenter - si besoin en était - par une éventuelle polémique sur le contrôle financier des collectivités locales, le groupe de travail a décidé de "surseoir à statuer" jusqu'à la fin des opérations électorales. Cette hypothèque étant levée, le groupe de travail peut désormais présenter ses observations et propositions.

L'état d'esprit qui a présidé aux travaux du groupe peut être résumé de la manière suivante : les membres du groupe de travail ne contestent pas la nécessité d'un contrôle a posteriori des collectivités locales qui s'inscrit dans le droit fil de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Cet article dispose, en effet, que "la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration".

Par ailleurs, le renforcement de l'autonomie et des responsabilités des collectivités locales, qui sont devenues des acteurs majeurs de la vie économique et sociale de notre pays, trouve sa contrepartie naturelle et légitime dans l'existence d'un contrôle financier.

Ce contrôle, qui participe d'une mission de régulation de la décentralisation, constitue un indéniable facteur de transparence de la gestion publique locale.

Au-delà de son principe, qui n'est pas contesté, le contrôle financier des collectivités locales peut faire l'objet de critiques dans sa mise en oeuvre ou ses pratiques.

Il est vrai que ce contrôle, sous sa forme actuelle de contrôle juridictionnel exercé a posteriori , est récent puisqu'il a été institué, il y a seulement seize ans, par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

Il est vrai également que ce contrôle est pluriel et donc complexe, puisqu'il fait intervenir les préfets et les tribunaux administratifs au titre du contrôle de la légalité, les trésoriers-payeurs généraux pour l'apurement des comptes des petites collectivités, et les chambres régionales des comptes pour le contrôle des actes budgétaires, en liaison avec les préfets, la vérification des comptes et l'examen de la gestion des collectivités locales.

Les chambres régionales des comptes, qui sont des juridictions financières, apparaissent comme les pièces maîtresses de ce dispositif.

Les investigations du groupe de travail, tout en envisageant l'ensemble du dispositif, se sont donc plus particulièrement portées sur les activités des chambres régionales des comptes.

Dans la première partie du présent rapport, le groupe de travail tentera d'évaluer la portée de la novation introduite en 1982 et de dresser un bilan de la mise en oeuvre du contrôle financier qui apparaît comme contrasté et affecté par un déficit de dialogue.

Dans la seconde partie de ce rapport, le groupe de travail formulera des propositions qui lui paraissent de nature à constituer les voies et moyens d'une normalisation des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes et d'une modernisation du contrôle financier.

Ces propositions reposent sur l'idée que seul l'établissement de relations confiantes entre les contrôleurs et les contrôlés conférera au contrôle financier toute sa légitimité démocratique et partant, toute son efficacité au service de la transparence de la gestion publique locale .

PREMIÈRE PARTIE

LE CONTRÔLE FINANCIER :

UN DISPOSITIF RELATIVEMENT NOVATEUR
AU BILAN CONTRASTÉ

Au travers des auditions auxquelles il a procédé, le groupe de travail a été guidé par une double volonté : d'une part , prendre la mesure du degré de novation, par rapport à l'ancien régime dit de la "tutelle financière", du dispositif de contrôle financier institué par la loi du 2 mars 1982, afin de mieux appréhender la pertinence des critiques formulées à l'encontre du contrôle et, d'autre part , dresser un bilan, après seize années d'existence, du nouveau système de contrôle juridictionnel a posteriori.

D'emblée, deux observations peuvent être formulées :

en premier lieu, le dispositif de 1982, qui s'inscrit dans une démarche de suppression de la tutelle financière, compte, à l'évidence, des aspects novateurs comme la création, dans chaque région, d'une juridiction financière ; mais force est de constater que l'édifice bâti en 1982, dont l'architecture emprunte davantage au foisonnement du style baroque qu'à la pureté de l'art roman, comporte des points de ressemblance avec l'ancienne construction.

Entre l'ancien régime et le nouveau, il s'agit davantage d'une évolution que d'une révolution ;

en second lieu, le bilan dressé par le groupe de travail fait apparaître que si le nouveau dispositif a trouvé son équilibre, avec notamment une montée en puissance des chambres régionales des comptes, au gré des textes subséquents et successifs qui ont renforcé leurs pouvoirs, les modalités d'exercice de certaines des missions dévolues aux juridictions financières, comme l'examen de la gestion des collectivités locales, peuvent encourir des reproches.

Institutions jeunes, les chambres régionales des comptes ont certes acquis, en peu de temps, une réelle autorité ; mais elles demeurent néanmoins perfectibles.

CHAPITRE PREMIER

UN DISPOSITIF ATYPIQUE A LA
RECHERCHE DE SA MATURITÉ

I. DE LA TUTELLE AU CONTRÔLE OU LA MISE EN PLACE D'UN SYSTEME HYBRIDE

A. L'ANCIEN RÉGIME : UNE TUTELLE FINANCIÈRE BIEN TEMPÉRÉE

La tutelle financière, à laquelle la loi du 2 mars 1982 a mis fin, comportait trois aspects principaux qui emportaient des contraintes d'une portée inégale pour l'autonomie des collectivités locales proclamée par l'article 72 de la Constitution :

- l'approbation préalable des actes budgétaires et financiers des collectivités locales ;

- le contrôle tatillon des comptables publics ;

- et, la vérification des comptes des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.

1. L'approbation préalable des actes budgétaires et financiers des collectivités locales

Présenté comme une atteinte insupportable au principe de l'autonomie locale par une partie de la doctrine, et de la classe politique, irritée par l'emploi même du mot de tutelle, qui renvoyait à une relation inégalitaire entre un tuteur (le préfet) et des mineurs (les collectivités locales), le régime de contrôle préalable des actes des collectivités locales, en vigueur avant 1982, était globalement admis par les élus locaux.

Ce régime, qui avait été considérablement assoupli, au point d'être presque vidé de sa rigueur, n'inquiétait plus guère les élus locaux auxquels le dialogue quotidien avec le préfet apportait un sentiment de sécurité juridique : avant la décentralisation, la décision locale était soit une co-décision avec le préfet dans le cas des actes soumis à son approbation, soit une décision négociée pour les autres catégories d'actes.

En effet, à la suite de l'intervention de la loi du 31 décembre 1970, le régime d'approbation préalable par le préfet des actes des communes avait été remplacé par un dispositif d' approbation tacite ou implicite.

Les délibérations des conseils municipaux, y compris celles relatives au budget, étaient exécutoires de plein droit, quinze jours après leur dépôt à la préfecture ou à la sous-préfecture. Ce délai de quinze jours, qui retardait la naissance juridique de l'acte, pouvait même être abrégé soit d'office par le préfet ou le sous-préfet, soit à la demande du maire.

Pendant ce délai de latence, le préfet ne devait contrôler que la légalité de l'acte, en s'interdisant toute appréciation de son opportunité.

Ne demeuraient soumises à approbation préfectorale préalable qu'un certain nombre de délibérations limitativement énumérées par la loi .

Cette liste comprenait les budgets des communes dont le compte administratif du dernier exercice fait apparaître un déficit de la section de fonctionnement ou un déficit global. Elle comportait également les délibérations portant sur les emprunts lorsqu'ils étaient souscrits par une commune dont le précédent budget avait fait apparaître un déficit ou lorsqu'ils étaient contractés auprès d'un établissement bancaire privé. En outre, figuraient sur cette liste, les délibérations par lesquelles les communes apportaient leur garantie à des emprunts contractés par des organismes autres que les établissements publics locaux, les organismes d'habitation à loyer modéré et les sociétés de crédit immobilier.

Enfin, échappaient au droit commun de l'approbation tacite, les délibérations relatives à l'établissement de certaines taxes locales lorsque leur quotité excédait le maximum fixé, les délibérations portant sur les échelles de traitement du personnel communal, les délibérations relatives aux interventions économiques des communes et les délibérations concernant l'établissement ou les changements de foires et marchés autres que les simples marchés d'approvisionnement.

Pour ces décisions soumises à son approbation, le préfet pouvait demander au conseil municipal de procéder à une seconde lecture .

En outre, si le préfet (ou le sous-préfet), saisi à fin d'approbation d'une délibération d'un conseil municipal, n'avait pas fait connaître sa décision dans un délai de trente jours, la délibération était considérée comme approuvée. Enfin, lorsque le préfet (ou le sous-préfet) refusait explicitement d'approuver une délibération, le conseil municipal pouvait se pourvoir devant le ministre de l'Intérieur.

2. Le contrôle tatillon des comptables publics

Si la "tutelle" préfectorale était globalement tolérée et admise par les élus locaux, il n'en allait pas de même du contrôle exercé par les comptables publics qui constituait un motif d'irritation très répandu.

Dans leur action quotidienne, ces comptables pouvaient soit retarder la mise en oeuvre d'une décision locale en demandant, avant de procéder au paiement, des pièces justificatives sans cesse plus variées et nombreuses, soit opposer à l'élu local un refus de paiement équivalent à une remise en cause d'une décision politique.

Lors de l'examen du texte qui allait devenir la loi du 2 mars 1982, le Sénat, se faisant l'écho des récriminations des élus locaux, devait attacher un soin tout particulier à la définition des rôles respectifs de l'élu et du comptable. C'est ainsi que l'action du Sénat a abouti à l'interdiction faite au comptable "de subordonner ses actes de paiement à une appréciation de l'opportunité des décisions prises par l'ordonnateur".

Par ailleurs, la Haute assemblée a obtenu qu'un décret fixe "la liste des pièces justificatives que le comptable peut exiger avant de procéder au paiement".

Enfin, le grand conseil des collectivités territoriales a apporté sa contribution, enrichie par l'expérience locale de ses membres, à la délimitation des contours du droit de réquisition du comptable que la loi du 2 mars 1982 a institué au profit de l'ordonnateur élu.

3. Le contrôle des comptes des collectivités locales

Avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 mars 1982, la Cour des comptes était le juge de droit commun des comptes des collectivités locales et des établissements publics locaux.

Toutefois, elle n'en contrôlait, en réalité, qu'un faible nombre, soit 1.300 sur un total de 80.000 comptes locaux.

La quasi totalité des comptes, sinon en montant du moins en nombre, relevait de la compétence des trésoriers-payeurs généraux qui avaient été investis, par un décret-loi du 8 août 1935, et par délégation de la Cour des comptes, de la responsabilité de l'apurement administratif de ces comptes.

Cet apurement s'exerçait sous le contrôle de la Cour des comptes et sous réserve de ses droits de réformation et d'évocation.

En outre, la Cour détenait, seule, le pouvoir de statuer définitivement sur la mise en débet d'un comptable.

B. LE SYSTÈME ISSU DES LOIS DE 1982 : RÉVOLUTION OU ÉVOLUTION ?

S'agissant du contrôle des actes des collectivités locales, en général, la philosophie de la réforme intervenue en 1982, dans le cadre de la relance du processus de décentralisation, est simple : à un régime d'approbation préalable assorti du pouvoir d'annulation, et parfois animé par des considérations d'opportunité, a succédé un contrôle a posteriori, fondé sur l'examen de la légalité de l'acte dont il revient désormais au seul juge administratif de sanctionner le non respect.

Il s'agit là d'un changement majeur, même si des éléments de continuité avec l'ancien régime subsistent, au point que certains observateurs ont pu considérer que cette réforme s'était traduite par une transformation de la tutelle plutôt que par son allégement.

1. Les éléments novateurs

Deux éléments de la réforme constituent, à l'évidence, des ruptures avec l'ancien régime dit de la "tutelle".

Il s'agit :

- d'une part, de la consécration du principe du caractère immédiatement exécutoire des actes des collectivités locales,

- et, d'autre part, de l' avènement de juridictions financières de proximité : les chambres régionales des comptes.

a) Le caractère immédiatement exécutoire des actes des collectivités locales

Depuis la loi du 2 mars 1982, modifiée et précisée sur ce point par la loi du 22 juillet 1982, les actes des collectivités locales, y compris leurs délibérations budgétaires et leurs décisions financières, sont exécutoires de plein droit, dès qu'ils ont été publiés (actes réglementaires) ou notifiés (décisions individuelles) et pour certains d'entre-eux (limitativement énumérés par catégories) transmis au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement 6( * ) .

Le contrôle s'exerce donc a posteriori et ne porte que sur la légalité des actes.

Cette mission de contrôle de la légalité des actes incombe au représentant de l'Etat qui, conformément aux dispositions du dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution, a "la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois".

S'il apparaît au préfet que l'acte est entaché d'illégalité, il doit demander son annulation au juge administratif, à moins que l'autorité locale, dans le cadre de son dialogue avec le représentant de l'Etat, ait accepté de rapporter cet acte ou de le modifier pour supprimer l'illégalité.

Le déféré préfectoral est enserré dans le délai de droit commun de deux mois.

Toutefois, la loi du 2 mars 1982 prévoit deux règles particulières de procédure qui découlent des caractères propres de la mission de contrôle administratif prévue par la Constitution :

- le sursis à exécution demandé par le représentant de l'Etat est accordé de plein droit par le juge administratif dès lors qu'un des moyens d'illégalité invoqué par le préfet est sérieux ;

- une procédure de sursis à exécution exceptionnelle est instituée pour les actions de nature à porter atteinte à une liberté publique ou individuelle : en ce cas, le sursis à exécution est accordé dans un délai de quarante-huit heures.

Enfin, le représentant de l'Etat est tenu d'informer, sans délai, l'autorité locale concernée, en cas de saisine du juge administratif.

b) La création des chambres régionale des comptes

La seconde innovation de la loi fondatrice du 2 mars 1982, dans le domaine du contrôle des actes des collectivités locales, et en particulier celui des actes budgétaires et financiers, réside dans l'émergence de juridictions financières : les chambres régionales des comptes.

Ces chambres régionales des comptes, qui surgissent quasiment ex nihilo dans notre paysage institutionnel, peuvent trouver leur origine conceptuelle dans la proposition de loi n° 1557 portant décentralisation de l'Etat, présentée le 10 décembre 1979, par les députés membres du groupe socialiste.

La proposition de loi portant décentralisation de l'Etat

Cette proposition de loi, dont les premiers signataires étaient MM. François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Joxe, comportaient trois articles (93 à 95), regroupés sous une section intitulée "du contrôle financier", qui prévoyaient l'institution, dans chaque département, d'une "magistrature financière" de trois membres, et dans chaque région, d'une "magistrature financière supérieure" , de même effectif, l'édifice ainsi constitué étant placé "sous l'autorité" du Premier président de la Cour des comptes.

Les magistrats départementaux étaient chargés de juger les comptes communaux et les magistrats régionaux les comptes des départements et des régions.Ces jugements pouvaient faire l'objet d'un appel devant la Cour des comptes.

En outre, la proposition de loi prévoyait l'établissement, chaque année, par un magistrat, d'une "note financière" sur la gestion de l'année précédente de chaque collectivité, avec divers ratios à comparer aux ratios moyens et une analyse comparative des taux d'impôts locaux.

Enfin, la proposition de loi contenait, à propos des "situations de crise budgétaire" (budgets votés ou exécutés en déficit), l'amorce du contrôle des actes budgétaires institué par la loi du 2 mars 1982.

La seconde source d'inspiration des chambres régionales des comptes pourrait être constituée par la Cour des comptes dont les chambres apparaissent, à maints égards, comme des " miniatures " ou des reproductions régionales.

C'est ainsi que les chambres régionales des comptes se sont inspirées de l'organisation ainsi que des méthodes d'investigation et de jugement de la cour des comptes.

Le législateur a voulu que le contrôle budgétaire, financier et comptable des collectivités territoriales et de leurs établissements publics relève d'institutions indépendantes, constituées de magistrats spécialisés et géographiquement proches des collectivités contrôlées. Mais à leur échelon régional, les chambres disposent de compétences plus réelles pour le jugement des comptes des collectivités locales, exercent une fonction originale avec la possibilité d'intervenir, aux côtés du préfet, dans le contrôle des actes budgétaires et détiennent la faculté de procéder à l'examen de la gestion des collectivités locales.

En définitive, les chambres régionales des comptes sont des institutions sui generis qui peuvent être définies comme des services déconcentrés de l'Etat dont les membres ont le statut de magistrat.

Avec la Cour des comptes, les chambres régionales forment les juridictions financières, alors qu'une seule catégorie de leurs attributions , le jugement des comptes, susceptible d'appel devant la Cour des comptes, relève d'une fonction juridictionnelle .

En effet, il n'en va pas de même pour les deux autres missions remplies par les chambres régionales des comptes : le contrôle des actes budgétaires , dans le cadre duquel les chambres émettent des avis non susceptibles de recours (sauf dans un cas, celui de la décision déclarant une dépense non obligatoire) et l' examen de la gestion des collectivités locales, lequel donne lieu à des observations qui, pour l'instant, sont réputées ne pas faire grief.

Bien plus, chaque chambre régionale des comptes constitue une juridiction indépendante et autonome qui règle librement les conditions de ses activités de contrôle au sein de son domaine de compétence.

Toutefois, les chambres régionales des comptes, sans pour autant former avec la Cour des comptes un véritable ordre de juridiction, entretiennent avec cette dernière des relations organiques et des relations fonctionnelles.

La première des relations organiques unissant les chambres régionales et la Cour des comptes réside dans le fait que la Cour est le juge d'appel des jugements rendus par les chambres sur les comptes des collectivités locales. Cet appel exerce une fonction régulatrice et "harmonisante" de la jurisprudence.

Par ailleurs, les présidents des chambres régionales des comptes, qu'ils soient issus ou non de la Cour des comptes, deviennent ès qualités membres de la Cour.

En outre, le conseil supérieur de chambres régionales des comptes, compétent en matière d'avancement et de discipline des magistrats du corps des chambres régionales des comptes, comprend trois personnalités qualifiées, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, le procureur général près la Cour des comptes, trois magistrats de la Cour dont un exerçant les fonctions de président de chambre régionale des comptes et quatre magistrats des chambres régionales des comptes : il est présidé par le Premier président de la Cour des comptes.

Au-delà de ses compétences en matière d'avancement et de discipline, ce conseil est consulté sur toute question relative à l'organisation, au fonctionnement ou à la compétence des chambres régionales.

Par ailleurs, depuis la loi du 5 janvier 1988, la Cour des comptes est chargée, comme l'a obtenu le Sénat, d'une mission permanente d'inspection à l'égard des chambres régionales et territoriales des comptes. Composée de quatre magistrats de la Cour désignés par le Premier président, cette mission permanente a pour finalité de s'assurer du bon fonctionnement des chambres régionales. Au terme de ses inspections, conduites sur pièces et sur place, la mission remet un rapport au Premier président qui en donne connaissance au président de la chambre régionale des comptes afin de lui permettre de répondre aux observations formulées par la mission.

Enfin, la gestion des ressources financières allouées aux chambres régionales est assurée par la Cour des comptes qui délègue, chaque année, sa dotation à chacune des chambres.

Ces liens organiques, qui unissent la Cour des comptes aux chambres régionales, sont complétés par des relations fonctionnelles qui contribuent à l'harmonisation et à la coordination des activités des juridictions financières.

La coordination entre les programmes annuels de contrôle des juridictions financières est confiée, par l'article 53 du décret n° 85-199 du 11 février 1985, à un comité, appelé "comité de liaison", qui "détermine l'orientation des thèmes de vérification en vue de l'élaboration de la partie du rapport public de la Cour consacrée aux collectivités et organismes relevant de la compétence des chambres régionales des comptes".

Cette instance, présidée par un conseiller-maître à la Cour et composée de sept conseillers-maîtres de la rue Cambon et de sept présidents de chambres régionales des comptes, exerce des fonctions qui vont au-delà de la simple détermination des observations susceptibles de faire l'objet d'une insertion au rapport public de la Cour.

Ce comité intervient en amont de la programmation des contrôles pour définir des sujets d'enquêtes communes à plusieurs chambres régionales ou à une chambre de la Cour et à plusieurs chambres régionales des comptes, pour arrêter des thèmes de vérification communs et jouer un rôle d'alerte en sensibilisant l'ensemble des chambres régionales à des pratiques irrégulières relevées par certaines d'entre elles.

Enfin, une fois les contrôles achevés, le comité sélectionne les observations des chambres régionales susceptibles de figurer au rapport public de la Cour.

Par ailleurs, au début de l'année 1996, le Premier président de la Cour a créé, par arrêté, une commission des méthodes.

Cet organe, qui comprend douze membres, a pour mission, en vue d'une harmonisation, de réfléchir sur les méthodes des chambres régionales des comptes, c'est-à-dire sur leur manière de conduire leurs contrôles.

La commission, dont le seul pouvoir réside dans sa force de persuasion et sa capacité d'incitation, recense les "méthodes innovantes" expérimentées dans certaines chambres, afin de promouvoir leur diffusion dans les autres chambres.

C'est ainsi qu'un "logiciel d'édition automatisée" des petits jugements a été diffusé ainsi qu'un document sur les "diligences normales" du contrôle.

En outre, la commission diffuse une note trimestrielle destinée à porter à la connaissance de l'ensemble des chambres une méthode mise en pratique dans l'une d'entre elles.

Enfin, le ministère public exerce une fonction unificatrice dans la mesure où des relations permanentes existent entre le Parquet général de la Cour et les commissaires du Gouvernement des chambres régionales des comptes.

En effet, le procureur général, qui "veille au bon exercice du ministère public" près les chambres régionales, est "tenu informé de l'exécution du ministère public" par les commissaires du Gouvernement.

Par ailleurs, le procureur général de la Cour oriente et harmonise l'action du ministère public près les chambres régionales des comptes, au besoin "par des recommandations écrites".

En définitive, le procureur général, qui note chaque année les commissaires du Gouvernement, exerce sur eux un quasi pouvoir hiérarchique 7( * ) .

2. Les éléments de continuité

Si l'architecture du dispositif de contrôle financier, bâti en 1982, comporte les éléments novateurs qui viennent d'être décrits, avec notamment l'apparition des chambres régionales des comptes, le nouvel édifice comprend également des éléments de continuité. Ces éléments sont au nombre de deux avec, d'une part, la permanence du préfet, même si son rôle a évolué, et, d'autre part, le retour de l'apurement administratif des comptes des petites collectivités.

a) La permanence du préfet, immuable et changeant

Certes, le préfet, n'exerce plus, comme sous l'empire du système dit de la tutelle, un contrôle préalable des actes des collectivités locales, d'ailleurs très atténué au fil du temps ; mais il demeure, en sa qualité constitutionnelle de responsable du contrôle administratif, un acteur majeur du contrôle des actes, tant administratifs que financiers ou budgétaires, des collectivités locales.

Tout d'abord, il participe avec le juge administratif au contrôle de la légalité des actes des collectivités locales 8( * ) . Plus original apparaît son rôle dans le contrôle des actes budgétaires qui intervient dans les "situations de crise" : absence de budget voté dans les délais légaux, budget adopté en déséquilibre, budget faisant apparaître un déficit en exécution et dépense obligatoire non " budgétée ".

Dans les trois premiers cas, il appartient au préfet de saisir la chambre régionale des comptes, qui va le conseiller, pour faciliter le retour à " la normalité budgétaire ".

C'est ainsi, par exemple, que lorsque l'arrêté des comptes d'une commune fait apparaître, en exécution, un déficit égal ou supérieur à 10 % des recettes de fonctionnement, pour les communes de moins de 20.000 habitants et à 5 %, dans les autres cas, la chambre régionale des comptes, saisie par le préfet, propose les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre budgétaire.

Dans le cas où le budget d'une commune a fait l'objet de mesures de redressement, le représentant de l'Etat transmet à la chambre régionale le budget primitif afférent à l'exercice suivant.

Si l'examen de ce budget primitif fait apparaître que la commune n'a pas pris de mesures suffisantes pour résorber le déficit, la chambre régionale des comptes propose les mesures nécessaires au préfet, qui règle le budget et le rend exécutoire.

Cet exemple montre que le préfet dispose d'une grande latitude pour dialoguer avec la collectivité et tenter d'aboutir à un "règlement amiable", avant de saisir la chambre régionale qui fait office de conseiller du préfet.

En effet, le préfet reste la pièce maîtresse du contrôle budgétaire et la chambre régionale n'a qu'un rôle consultatif : ses avis ne lient pas le préfet qui peut s'en écarter, à condition de motiver sa décision.

Dans le quatrième cas d'ouverture du contrôle budgétaire, celui de l'omission de l'inscription d'une dépense obligatoire, le préfet ne dispose pas du monopole de la saisine de la chambre régionale des comptes : il partage ce droit avec toute personne ayant intérêt à l'inscription de la dépense omise. La chambre régionale des comptes pourra mettre la collectivité en demeure de procéder à cette inscription ou, le cas échéant, demander au préfet l'inscription d'office des crédits "oubliés".

Enfin, la loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République (n° 92-125 du 6 juin 1992) a renforcé le rôle du préfet dans la mise en oeuvre du contrôle financier en l'autorisant (ainsi que les autorités territoriales) à adresser aux chambres régionales des comptes des demandes motivées de vérification de la gestion d'une collectivité locale.

Toutefois, les chambres peuvent ne pas donner suite -ou une suite immédiate- à ces demandes motivées si celles-ci s'avèrent incompatibles avec l'exécution de leur programme de vérification.

b) Le retour de l'apurement administratif

Après cinq années de fonctionnement des chambres régionales des comptes, la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 a rétabli le système de l'apurement administratif des comptes, en vigueur avant 1982, mais en limitant ce "retour" des trésoriers payeurs généraux et des receveurs particuliers des finances aux collectivités de "petite taille".

En effet, le rétablissement de l'apurement administratif, par les comptables supérieurs du Trésor, ne concerne que les comptes des communes ou de leurs groupements dont la population n'excède pas 2.000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif est inférieur à 2 millions de francs.

Toutefois, la chambre régionale des comptes, qui n'est pas totalement tenue à l'écart de ce processus, conserve trois séries d'attributions :

- le monopole du prononcé de la mise en débet du comptable ;

- un droit d'évocation qui lui permet de dessaisir les comptables supérieurs du Trésor ;

- un droit de réformation d'un arrêté de décharge qui constitue une voie de recours contre les décisions prises par les comptables supérieurs du Trésor.

En définitive, l'équilibre trouvé par le législateur de 1988 paraît satisfaisant : il conserve aux chambres régionales un droit de regard sur le comptes des petites collectivités, tout en leur permettant de concentrer leur contrôle sur les collectivités plus importantes.

C. UNE EXCEPTION BIEN FRANÇAISE

Né de la nécessité de combler le vide créé par la suppression de la tutelle, le contrôle des actes financiers et budgétaires des collectivités locales, qui est exercé, à titre principal, par les préfets et les chambres régionales des comptes, constitue, donc, à maints égards, une novation par rapport aux traditions institutionnelles et administratives de notre pays. Original au regard de notre histoire, le contrôle financier représente également une spécificité française par rapport à nos partenaires européens.

En effet, si notre système de contrôle externe des finances n'est pas sans équivalent en Europe, il demeure sans homologue, ni analogue dans sa dimension juridictionnelle.

Les éléments de droit comparé, qui ont été rassemblés par l'organisation européenne des institutions européennes chargées du contrôle externe des finances publiques (EURORAI) 9( * ) et par le comité des experts du Conseil de l'Europe concluent à une grande diversité des systèmes de contrôle selon la nature et la forme de l'Etat : Etat fédéral comme l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et la Confédération helvétique ; Etat régionalisé ou "autonomique" comme l'Italie ou l'Espagne ; Etat unitaire décentralisé comme la France et Etat unitaire centralisé comme le Portugal ou la République d'Irlande.

Au-delà de cette diversité des situations, des traits communs peuvent être dessinés et des grandes tendances esquissées.

Tout d'abord, tous les Etats semblent être confrontés au même dilemme celui qui découle de la nécessité de concilier deux mouvements en apparence contradictoires : d'une part, une aspiration générale à l'autonomie locale qui se traduit par un processus de réduction des contrôles sur les collectivités locales et, d'autre part, les difficultés budgétaires et financières des Etats qui renforcent la propension naturelle des gouvernements à surveiller l'évolution des budgets locaux et à mettre en place des mécanismes de contrôle régulier de l'emploi des fonds publics.

Deuxième ligne de fond et de force, une tendance à une "normalisation", voire à une "banalisation" du contrôle financier : la distinction entre les actes ou délibérations à caractère financier et les autres tend à s'estomper et le contrôle financier s'insère dans un ensemble plus vaste celui du contrôle de légalité.

Toutefois, cette évolution générale laisse subsister des exceptions pour certaines décisions relevant de la politique financière de la collectivité, avec des survivances de contrôle préalable et même d'un contrôle d'opportunité exercé par l'organe de contrôle externe.

Tel est le cas en Italie où les comités régionaux de contrôle (CORECO) exercent un quasi contrôle d'opportunité en matière financière puisque dans l'examen du budget et des comptes annuels, le contrôle de légalité s'étend "à la cohérence interne des actes" et à "la correspondance des données comptables avec celles des délibérations et avec les pièces justificatives jointes à ces dernières".

Tel est le cas en Autriche où les décisions financières les plus importantes font l'objet d'une approbation préalable.

Mais le plus souvent les mécanismes d'approbation préalable ne portent, de manière ponctuelle, que sur certaines décisions.

C'est ainsi qu'au Portugal les principaux contrats des collectivités, qu'il s'agisse de travaux publics, de fournitures ou de recrutements, doivent être soumis au contrôle préventif de la Cour des comptes.

Quant aux décisions de recourir à l' emprunt, elles demeurent fréquemment soumises à autorisation préalable, comme notamment en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Irlande, en Norvège et au Royaume-Uni.

La troisième tendance, qui peut être observée, réside dans une multiplication des procédures destinées à déceler puis à faire face aux "situations de crise budgétaire" comme un budget en déficit, lors de son adoption ou en cours d'exécution.

La situation de déficit est généralement constatée par l'autorité de contrôle ou à l'initiative de la collectivité elle-même. Ce constat se traduit généralement par la mise en oeuvre d'un "mécanisme de double commande", en application duquel la collectivité est tenue de se conformer aux prescriptions de l'autorité chargée du contrôle.

La quatrième tendance est constituée par une évolution assez générale vers un contrôle de gestion axé sur un contrôle de "l'économie, de l'efficience et de l'efficacité de l'action publique" (la " règle des 3 E " ) qui se rapproche de l'audit ou de l'évaluation, tout en évitant d' apprécier les choix politiques effectués par la collectivité locale.

Enfin, dernier élément commun à tous les pays européens, une tendance à confier le contrôle externe des collectivités locales à des institutions autonomes et, de façon générale, à des autorités administratives indépendantes. Ces instances peuvent prendre la forme d'un service de l'Etat comme en Irlande où les agents du "service du contrôle financier des collectivités locales" sont juridiquement des fonctionnaires du ministère de l'environnement, ayant la qualité d'experts-comptables et bénéficiant d'une indépendance reconnue.

Il peut s'agir également, comme au Royaume-Uni, de commissions de contrôle financier des administrations locales, instituées sous la forme d'organismes indépendants et disposant d'une autonomie financière, puisque leurs ressources proviennent, en totalité, des honoraires versés par les collectivités locales en contrepartie des contrôles effectués.

Il peut s'agir, enfin, de cours des comptes, comme en Allemagne où il existe une cour par Land. En règle générale, le président d'une cour et les vice-présidents sont élus par le parlement du Land (le Landstag ) et les membres des cours sont, pour partie, élus par le parlement du Land et, pour partie, nommés par le gouvernement du Land.

En outre, sans être à proprement parler des magistrats, les membres des Cours des comptes bénéficient de l'indépendance d'un juge : ils ne sont pas révocables et ne peuvent, sans leur consentement, être affectés à un autre emploi.

Indépendant de l'Etat fédéral et de la Cour fédérale des comptes, chaque cour se situe à mi-chemin entre le parlement du Land, sur lequel elle s'appuie et dont elle tire sa légitimité et son indépendance, et le gouvernement du Land qui, comme le parlement, est destinataire des observations de la Cour.

En définitive, les chambres régionales des comptes françaises occupent une place particulière dans ce concert européen tant par leur statut de juridiction -qui n'a pas d'équivalent en Europe- que par l'étendue et la variété de leurs attributions.

II. DES INSTITUTIONS CONSTITUÉES DE MANIÈRE EMPIRIQUE

La création "ex nihilo" de cet ensemble de juridictions impliquait évidemment de les constituer "humainement" et matériellement dans un délai assez bref, ce qui n'a pas été sans conséquence sur le fonctionnement initial de ces juridictions. A cet égard, la plupart des personnes auditionnées par le groupe de travail ont convenu qu'au cours des premières années de leur fonctionnement, les chambres régionales des comptes ont commis un certain nombre de "péchés de jeunesse".

A. L'INSTALLATION INITIALE DES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES

Existant "sur le papier" du fait de l'article 84 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1983, les chambres régionales des comptes devaient être composées, en application de l'article 85 de la même loi, de magistrats et présidées par des conseillers maîtres ou référendaires à la Cour des comptes.

La mise en place effective de ces nouvelles institutions n'a commencé qu'à partir du début de l'année 1983, dans la mesure où plusieurs adaptations législatives et réglementaires, des nominations, des recherches de locaux provisoires ainsi que des recrutements de magistrats constituaient autant de préalables à leur fonctionnement.

A cet égard, il convient de rappeler tout d'abord que la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982 contenait les principales dispositions relatives aux procédures applicables devant ces juridictions financières et que la loi n° 82-595 ainsi que le décret n° 82-970 du 16 novembre 1982 pris pour son application définissaient le statut de leurs magistrats.

Ce sont ensuite des arrêtés des 16 et 22 novembre 1982 et du 23 février 1983 qui ont réglé les dispositions concernant les nominations initiales des présidents et des magistrats.

Les présidents de ces nouvelles juridictions ont été nommés par décret du président de la République du 23 décembre 1982, puis solennellement installés en sa présence, le 3 février 1983, par la Cour des comptes.

Un décret n° 83-370 du 4 mai 1983 est ensuite venu fixer officiellement les sièges des vingt-quatre chambres régionales des comptes, dont il faut noter qu'ils n'ont pas toujours été choisis au chef-lieu de région.

B. LE RECRUTEMENT DES MAGISTRATS

L'article 12 de la loi n° 82-595 relative aux présidents de chambres régionales des comptes et au statut des membres de chambres régionales des comptes posait le principe d'un recrutement des conseillers de deuxième classe parmi les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration (ENA).

Les dix premiers magistrats issus de l'ENA (promotion 1983), voie normale du recrutement des conseillers des chambres régionales des comptes, ont été nommés et affectés au mois de juin 1983.

Ce premier mouvement d'affectation a cependant été "complété", à la suite du décret du 27 juillet 1983, qui nomme 117 magistrats, provenant du recrutement exceptionnel organisé en 1983 dans le corps des magistrats de chambres régionales des comptes 10( * ) .

Ces juridictions ont ensuite vu leurs moyens matériels et leurs effectifs en magistrats, assistants de vérification et personnels administratifs progressivement renforcés au cours des années 1984, 1985 et 1986. Un deuxième recrutement exceptionnel a été organisé en 1996, au terme duquel 117 magistrats supplémentaires sont entrés en fonction.

Ainsi, les effectifs budgétaires étaient parvenus au 31 décembre 1986 et pour l'ensemble des chambres, à 283 magistrats à la suite de la sortie des promotions de l'Ecole nationale d'administration et de ces deux recrutements exceptionnels.

Outre l'affectation de magistrats issus de leur scolarité à l'ENA, un troisième recrutement exceptionnel de 45 magistrats est venu compléter cet effectif en 1991 .

Ainsi, le corps des magistrats de chambres régionales des comptes a été très largement constitué par des procédures de recrutement exceptionnel dictées par la nécessité de donner rapidement une consistance à ces nouvelles juridictions.

C. UN "DÉMARRAGE" PROGRESSIF

Ayant pris leurs fonctions le 1er janvier 1983, les présidents de chambres régionales des comptes ont été saisis, à partir d'avril 1983, par les préfets (alors rebaptisés commissaires de la République), des premiers déférés de contrôles budgétaires ainsi que des demandes relatives à l'inscription de dépenses obligatoires par des "personnes y ayant intérêt".

A cet égard, il convient de rappeler qu'en application de l'article 25 bis de la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982 (résultant de l'article 116 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat) la chambre régionale des comptes pouvait, jusqu'au 30 juin 1983, statuer à juge unique en matière de contrôle budgétaire. Ainsi, les présidents de chambres régionales des comptes, alors seuls membres en exercice dans chaque juridiction, ont été autorisés à déroger au principe de la collégialité des décisions dans ce domaine.

S'agissant du jugement des comptes, la loi du 2 mars 1982 prévoyait que les premiers comptes de gestion des receveurs des collectivités locales et de leurs établissements publics soumis aux chambres régionales des comptes seraient ceux de la gestion de l'année 1983. La réglementation d'alors fixant la date limite de dépôt des comptes devant les juges au 30 septembre de l'année suivant celle de l'exercice, l'analyse des comptes n'a débuté qu'en septembre 1984, les premiers jugements provisoires sur ceux-ci n'ayant été rendus qu'au début de 1985.

La "montée en puissance" des nouvelles juridictions s'est donc dessinée progressivement entre 1984 et 1990 en liaison avec le renforcement de leurs moyens.

D. DES TÂTONNEMENTS SUCCESSIFS

Signe de la jeunesse de ces institutions, un grand nombre de modifications législatives sont venues préciser ou adapter les textes fondateurs, traduisant globalement un renforcement des pouvoirs des chambres régionales des comptes et, le plus souvent un développement de leurs compétences.


Après les textes fondateurs ( articles 84 à 89 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des collectivités locales et de la loi n° 82-594 du 10 juillet 1982), les chambres régionales des comptes ont en effet connu une "vie législative" soutenue, marquée par une préoccupation d'ajustement de leurs compétences et des procédures applicables dans l'exercice de celles-ci.

Force est de constater que ces épisodes législatifs successifs, bien qu'accompagnés d'un renforcement des garanties de procédure pour les collectivités locales, tendent globalement vers un accroissement des pouvoirs des chambres régionales des comptes, de leurs "moyens de pression" sur les collectivités ainsi que de leurs capacités d'investigation .

Sans qu'il soit question d'analyser la dizaine de modifications législatives, de portée diverse, intervenues dans le domaine du contrôle financier local depuis la création des chambres régionales des comptes, il convient cependant d'insister sur quelques grandes étapes de ce processus.


La première grande étape de la "vie législative" des chambres régionales des comptes résulte de la loi n o 88-13 du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation.

Ce premier " ajustement majeur " des compétences des chambres régionales des comptes résulte assez largement de la réaction d'un très grand nombre de collectivités locales, à la mise en oeuvre souvent mal maîtrisée, des pouvoirs conférés à ces juridictions. Certaines maladresses dans la mise en oeuvre des contrôles, en particulier dans les petites collectivités locales ont en effet suscité un émoi d'autant plus compréhensible que, ce qui a très largement été reconnu comme traduisant quelques excès de la part de ces juridictions financières, accompagnait l'annonce d'une suppression des tutelles.

A cet égard, la loi du 5 janvier 1988, bien que relativement éloignée des principales conclusions et réflexions de la commission des lois du Sénat, a cependant permis à cette dernière d'introduire, notamment, une modification substantielle du droit existant et une correction conséquente du droit proposé.

La modification substantielle apportée au texte initial de la loi du 2 mars 1982 a consisté à bien séparer les fonctions juridictionnelles des chambres régionales des comptes, de leurs fonctions d'ordre administratif relatives à la gestion des collectivités locales. Une confusion des genres résultait en effet de la rédaction retenue dans la loi de 1982 pour définir le jugement des comptes dans la mesure où cette définition incluait la vérification du " bon emploi des crédits, fonds et valeurs".

La substitution à cette formule de la notion " d'emploi régulier " des crédits et l'institution, distincte, d'une procédure spécifique d'examen de la gestion est ainsi venue clarifier et, surtout, séparer ces deux champs de compétences des chambres régionales des comptes.

La principale modification du droit proposé tenait à l'adjonction d'un critère financier au critère démographique pour la détermination de la ligne de partage entre le jugement des comptes par les chambres régionales des comptes et l'apurement administratif par les comptables supérieurs du Trésor.

Fixant un nouvel équilibre au système défini en 1982, la loi du 5 janvier 1988 a cependant été rapidement suivie par d'autres textes, qui ont eu pour effet principal de renforcer et d'étendre les compétences des chambres régionales des comptes.


La loi n o 90-55 du 15 janvier 1990 relative au financement des partis et des campagnes électorales, comporte une novation fondamentale dans la mesure où elle pose le principe de la communication à l'assemblée délibérante des observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes dans le cadre de l'examen de la gestion des collectivités locales.

Le principe de communication, introduit dans une procédure dont l'objet est de contribuer à la bonne gestion locale a, en effet, pesé de façon décisive sur la signification et la portée de l'examen de la gestion.

Inédit dans un tel cadre, ce principe de communication, dont il faut souligner qu'il n'est pas applicable aux services de l'Etat, tend à transformer ce qui devrait essentiellement être conçu comme une aide à la bonne gestion en un instrument de régulation politico-médiatique.

Ce texte comporte, en outre, la suppression de la non-applicabilité aux seuls travaux issus des délibérés des chambres régionales des comptes, des dispositions de la loi n o 78-753 du 17 juillet 1978 relative à la communication des actes administratifs, introduite par la loi du 5 janvier 1988 pour l'ensemble des juridictions financières ; il en résulte qu'il existe un droit à obtenir ces documents concernant les collectivités locales alors que, s'agissant de l'Etat, ce droit reste exclu.

Cette loi réaffirme cependant en contrepartie de ces éléments le principe du contradictoire à tous les stades des procédures relevant des chambres régionales des comptes.


Est ensuite venue s'ajouter la loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence des activités économiques qui, pour l'essentiel, a renforcé et précisé certaines règles de procédure applicables devant les chambres régionales des comptes.

Ce texte comporte en effet plusieurs mesures importantes. Il s'agit tout d'abord de la création d'un délit d'entrave au contrôle des magistrats et des rapporteurs des juridictions financières.

Il s'agit ensuite de l'obligation de joindre le texte des lettres d'observations définitives à la convocation de la séance de l'assemblée délibérante au cours de laquelle celles-ci doivent être communiquées.

Ces dispositions sont accompagnées, à nouveau, d'un renforcement des droits de la défense, dans la mesure où un droit général à l'audition est ouvert aux intéressés à tous les stades intermédiaires des différentes procédures.

Enfin, il convient de préciser que la loi du 29 janvier 1993 précitée rend, pour la première fois, justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière, des élus locaux au titre de l'inexécution des décisions de justice et de l'emploi irrégulier et abusif du droit de réquisition du comptable public.


Enfin, la loi n o 95-127 du 8 février 1995 a renforcé les pouvoirs de contrôle des juridictions financières sur les services publics délégués.

Au total, depuis leur naissance, les chambres régionales des comptes connaissent un lent cheminement vers la maturité, qui s'accompagne d'un renforcement de leurs pouvoirs, dont le groupe de travail estime qu'il n'est qu'imparfaitement compensé par le renforcement des différentes garanties de procédure dont disposent les collectivités locales.

CHAPITRE II

DES JURIDICTIONS DONT LE BILAN EST CONTRASTÉ

I. LE JUGEMENT DES COMPTES : UN RETOUR À L'ÉQUILIBRE

Héritée de la Cour des comptes, la fonction de jugement des comptes des comptables des collectivités et des établissements publics locaux, constitue la fonction première des chambres régionales des comptes qui, seule, justifie leur statut de juridiction .

A. UN MOUVEMENT DE BALANCIER

1. Avant 1982 : une compétence partagée

Avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 mars 1982, la Cour des comptes était en effet le juge de droit commun de l'ensemble de ces comptes.

En pratique, cependant, la Cour n'exerçait effectivement son contrôle que sur une petite partie des comptes des organismes locaux dotés d'un comptable public dont le nombre total s'élevait aux environs de 80.000, puisque seuls les comptes des régions, des départements et des communes les plus importantes, ainsi que ceux des principaux établissements publics locaux, soit environ 1.500, étaient directement soumis au contrôle juridictionnel de la Cour.

Le contrôle des comptes des autres communes et établissements publics locaux avait pour sa part été délégué par la Cour aux trésoriers-payeurs généraux en vertu des dispositions d'un décret-loi du 8 août 1935, ainsi qu'aux receveurs particuliers des finances depuis un décret du 21 février 1974.

Ces derniers étaient donc investis de la responsabilité de l'apurement administratif de ces comptes, c'est-à-dire qu'ils devaient " les vérifier dans tous leurs éléments (comptes et pièces justificatives), en fixer les masses (les dépenses admises et les recettes allouées), en arrêter les soldes (dont le total constitue la " ligne de compte ") ".

Il convient de préciser que cet apurement s'exerçait sous le contrôle de la Cour des comptes et sous réserve de ses droits de réformation et d'évocation.

2. 1982-1988 : une " déconcentration " totale du jugement des comptes aux chambres régionales des comptes rapidement contestée

La réforme instituée par le loi de 1982 a eu un double effet , puisque pour les petites collectivités, d'une part , elle substituait à l'apurement administratif, un contrôle juridictionnel assuré par les chambres régionales des comptes et que pour les grandes collectivités, d'autre part , elle procédait à une déconcentration du jugement des comptes de la Cour des comptes aux chambres régionales des comptes.

A cet égard, il faut rappeler que l'article 100 de la loi du 2 mars 1982 disposait que les premiers comptes de gestion de receveurs des collectivités locales et de leurs établissements publics soumis au jugement des chambres régionales des comptes, seraient ceux de la gestion 1983. Les premiers jugements provisoires des chambres régionales des comptes dans ce domaine ne sont donc intervenus qu'à partir du début de l'année 1985.

A compter de cette date, l'immense majorité des comptables publics des collectivités locales , qui n'avaient jusqu'alors connu que l'apurement administratif, mis en oeuvre par leur propre hiérarchie, "découvrent" le contrôle juridictionnel des comptes exercé par les toutes récentes chambres régionales des comptes .

A cette novation s'ajoutent les exigences du décret n o 83-16 du 13 janvier 1983 fixant la liste des pièces justificatives sur lesquelles devaient dorénavant être appuyés les mandats de paiement.

Enfin, cet ensemble était complété par l'attribution aux ordonnateurs, en vertu de l'article 15 de la loi n o 82-213 du 2 mars 1982, d'un pouvoir de réquisition qui n'était pas sans susciter une certaine inquiétude chez les comptables publics locaux.

Les comptables des collectivités locales

et des établissements publics locaux

Si les collectivités ont en leurs présidents ou maires des ordonnateurs propres, leurs comptables sont, de droit, des comptables du Trésor.

Les comptables des régions et des départements étaient, jusqu'à la loi du 2 mars 1982, les trésoriers-payeurs généraux. Depuis lors, ce sont des comptables du Trésor affectés à titre principal à ce service, dénommés payeurs régionaux ou payeurs départementaux.

Les communes ont eu longtemps l'option d'avoir des comptables propres ou de laisser assurer leur services par les comptables subordonnés du Trésor. Depuis la loi du 14 septembre 1941, les comptables subordonnés du Trésor sont de droit comptables des communes, soit à titre principal, soit plus fréquemment à titre accessoire.

Les comptables des établissements publics locaux sont soit des fonctionnaires de l'Etat qui assurent ce service à titre principal ou accessoire, soit des comptables propres à ces établissements désignés, sur la proposition des conseils délibérants et après avis des trésoriers-payeurs généraux, par les préfets.

Source: Jacques Magnet, "Les comptables publics" aux éditions LGDJ.

a) Une lourde tâche pour les chambres régionales des comptes

La "montée en charge" de cette compétence a rapidement été à l'origine d'une très lourde tâche pour les chambres régionales des comptes, sa mise en oeuvre ayant elle-même été à l'origine de contestations.

Ainsi, de moins de 9.500 jugements portant sur 5.800 comptes, rendus en 1985, les chambres régionales des comptes sont passées à 28.354 jugements "principaux" et 5.353 jugements "de suite" portant sur plus de 50.000 comptes en 1989.

Les jugements rendus sur les comptes des comptables locaux
de 1985 à 1989

1985

1986

1987

1988

1989

9.332

14.795

22.319

29.186

33.707

(Source : Cour des comptes )

Les chambres régionales des comptes se sont donc trouvées très rapidement confrontées à une forte progression du niveau de leur activité juridictionnelle, qui a été multipliée par plus de trois en quatre ans.

Ainsi, dès la fin de l'année 1986, plus de 150.000 comptes se trouvaient en instance de jugement, sachant que l'objectif de périodicité retenu par les juridictions financières en matière de jugement des comptes était de quatre ans.

Il apparaissait donc clairement que, si les chambres voulaient éviter d'être prises dans une situation de retards cumulatifs, il fallait qu'elles satisfassent un objectif moyen annuel d'au moins 25.000 jugements portant sur quatre exercices cumulés.

Les chambres régionales des comptes ont donc vu une grande part de leur capacité d'action être "absorbée" par l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles.

b) Un "démarrage" laborieux

Le contrôle juridictionnel des comptes exercé par les chambres régionales des comptes met donc, à l'origine, en vis-à-vis, d'une part, des juridictions débutantes, dont la plupart des magistrats sont issus des concours exceptionnels organisés en 1983 et 1986 , n'ayant reçu pour l'essentiel qu'une rapide formation théorique et pratique à l'exercice de leurs compétences et, d'autre part, des collectivités locales et des comptables publics n'ayant, dans leur immense majorité, jamais été confrontés à cette forme de contrôle.

Une telle situation ne pouvait manquer de susciter des difficultés. A cet égard, certains représentants des juridictions financières ont relevé que les chambres régionales des comptes avaient, au cours des premières années d'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, fait un usage probablement excessif de leur pouvoir d'infliger aux comptables des amendes pour retard dans la production des comptes de gestion.

Plus largement, cette déconcentration du jugement des comptes a débouché sur un contrôle moins pragmatique que celui exercé antérieurement par les trésoriers-payeurs généraux. Ainsi, comme le relèvent MM. Jean-François Larger et Patrick Bonniaud 11( * ) , un certain nombre de mises en débet furent prononcées à l'encontre de comptables à raison d'irrégularités commises soit par le comptable lui-même, tel que le manque de diligences dans le recouvrement de créances, soit dues à l'ordonnateur, comme l'insuffisance de pièces justificatives.

Les mêmes auteurs notent sur ce point qu'afin d'éviter ces mises en causes, les comptables ont donc été amenés à "accroître leurs exigences envers les ordonnateurs, à multiplier les refus de payer ou les observations. Ces exigences sont apparues lourdes aux ordonnateurs, particulièrement à ceux des petites collectivités, aux moyens administratifs limités, et d'autant plus difficiles à supporter qu'elles marquaient, alors même que la loi accroissait leur liberté, un retour à des pratiques de contrôle que la comptabilité publique avait atténuées, depuis quelques années, au profit d'activités d'assistance et de conseil".

B. LA RÉFORME DE 1988 : UN AJUSTEMENT LÉGISLATIF MAJEUR

1. Un retour à la "case départ" ?

a) Le nouveau dispositif

Les difficultés rencontrées à l'occasion de la mise en oeuvre du contrôle juridictionnel des comptes par les chambres régionales des comptes, ont conduit le législateur, cinq années seulement après l'entrée en vigueur du régime défini par la loi du 2 mars 1982, à revenir, pour l'immense majorité des communes, à un système d'apurement administratif des comptes.

Ayant fait l'objet d'un très large débat devant chacune des deux assemblées parlementaires, l'article 23 de la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation a en effet prévu notamment de confier aux comptables supérieurs du Trésor (les trésoriers-payeurs généraux et les receveurs particuliers des finances) l'apurement administratif des "comptes des communes ou groupement de communes dont la population n'excède pas 2.000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif est inférieur à 2 millions de francs ainsi que de leurs établissements publics".

La compétence d'apurement administratif des comptes, ainsi rendue aux comptables supérieurs, s'est donc exercée à nouveau à l'égard des comptes de l'exercice 1987.

Cette réforme devait permettre de concrétiser certaines réflexions conduites à l'époque par la commission des lois du Sénat au sujet des adaptations nécessaires des modalités d'exercice du contrôle financier par les chambres régionales des comptes. Cette démarche, dont le principe était inscrit dans le projet de loi, procédait au moins aussi largement d'une volonté de tenir compte des difficultés suscitées par le jugement des comptes des petites communes que du souci de répondre à "l'encombrement" des chambres régionales des comptes dans ce domaine.

b) Un apurement administratif mieux encadré

Reposant très largement sur les mêmes principes que ceux du système en vigueur avant la loi du 2 mars 1982, le dispositif d'apurement administratif rétabli par l'article 23 de la loi du 5 janvier 1988 précitée fait cependant l'objet d'un "cadrage" juridique plus strict, qu'il s'agisse des compétences des comptables supérieurs ou des conditions d'évocation et de réformation de leurs décisions par les chambres régionales des comptes 12( * ) . Ces règles nouvelles figurent, pour l'essentiel, dans le décret n° 89-342 du 25 mai 1989 portant application de l'article 23 de la loi du 5 janvier 1988 ainsi que dans l'instruction n° 89-64 T 1 du 27 juin 1989 de la direction de la comptabilité publique.

A cet égard, les compétences des comptables supérieurs, qui s'étendent du recensement annuel des comptes relevant ou non de l'apurement administratif jusqu'aux décisions définitives statuant sur ces comptes, se trouvent très précisément définies.

Par ailleurs, et surtout, il ressort de ces textes que "l'apurement administratif des comptes de gestion s'effectue sous la surveillance des chambres régionales des comptes" 13( * ) qui disposent d'un certain nombre de pouvoirs.


Au premier rang de ces pouvoirs, se trouve le droit d'évocation conféré aux chambres régionales des comptes sur l'ensemble des comptes soumis à l'apurement administratif. L'exercice de ce pouvoir d'évocation s'effectue par jugement motivé de la chambre régionale des comptes, et dessaisit le comptable supérieur du compte concerné. Cette "évocation" peut s'exercer soit, avant que les comptables supérieurs aient apuré ces comptes, soit, dans le délai de six mois qui suit la notification au comptable local de la décision définitive du comptable supérieur.


Le deuxième mode de "surveillance" exercé par les chambres régionales des comptes dans le domaine de l'apurement administratif découle des recours en réformation qui peuvent être engagés contre les arrêtés de décharge pris par les comptables supérieurs.

Deux voies de recours sont ainsi ouvertes. La première voie de recours en réformation est ouverte dans un délai de six mois à compter de la notification des arrêtés de décharge aux comptables. La seconde voie est ouverte après l'expiration de ce délai de six mois et pour les seuls motifs d'erreur, d'omission de faux ou de double emploi 14( * ) .


Le troisième pouvoir des chambres régionales des comptes au regard de l'apurement administratif concerne les cas où le comptable supérieur prend un arrêté de charge provisoire lorsqu'un comptable local n'a pas satisfait à une injonction. Cet arrêté est adressé à la chambre régionale des comptes accompagné du compte de gestion concerné et de l'ensemble des pièces justificatives, des observations, des injonctions formulées par le comptable supérieur ainsi que des réponses du comptable local.

Dans un tel cas, la chambre régionale des comptes doit alors rendre un jugement sur le compte, prononçant ou non son débet.


Enfin, il convient de préciser que les chambres régionales des comptes sont seules compétentes pour statuer sur les gestions de fait , même lorsque la gestion concerne un organisme public local dont les comptes sont soumis à l'apurement administratif.

Au total, cette réforme de 1988 s'analyse comme un rétablissement rationalisé -et "surveillé"- de l'apurement administratif des petites communes.

2. Un impact important

a) L'allégement des tâches des chambres régionales des comptes

L'effet de cette réforme sur la charge de travail des chambres régionales des comptes en tant que juges des comptes a été très important puisque, de ce fait, les juridictions ont été "déchargées" d'un nombre important de comptes.

Les jugements rendus sur les comptes des comptables publics locaux
de 1989 à 1992

1989

1990

1991

1992

33.707

22.062

17.879

15.925

Source : Cour des comptes

Ainsi, le nombre de jugements rendus par les chambres régionales des comptes au titre du contrôle des comptes a été divisé par deux en trois ans , traduisant la "sortie" des comptes d'environ 24.000 communes.

Dans son rapport public de 1991, la Cour des comptes a relevé que "cette diminution ne traduit pas une baisse de l'activité juridictionnelle des chambres régionales des comptes mais sa concentration sur le contrôle des grandes collectivités et des établissements publics importants" .

A la suite de cette réforme, le jugement des comptes a approché le rythme quadriennal, retenu comme objectif pour cette activité juridictionnelle.

b) Une fonction d'apurement administratif satisfaisante

Pour les petites communes "rétrocédées" à l'apurement administratif, le bilan de la réforme de 1988 apparaît globalement positif.

Ce résultat tient très largement à l'esprit qui préside à la mise en oeuvre de ce pouvoir par les comptables supérieurs et qui se trouve résumé dans l'instruction du 27 juin 1989.

Dans ce texte, la direction de la comptabilité publique souligne que : "ce contrôle doit être principalement orienté vers la prévention . En d'autres termes, il doit viser, par le biais d'observations, la régularisation d'opérations erronées ou insuffisamment justifiées et de faible gravité et éviter la répétition de telles irrégularités . A ce titre, il s'insère totalement dans la mission d'évaluation et d'animation des comptables locaux qui incombe aux comptables supérieurs".

Bien que cette forme de contrôle ne concerne que les comptables locaux, le groupe de travail se félicite de l'esprit dans lequel celui-ci est mis en oeuvre . Sans méconnaître la spécificité des différents contrôles opérés par les chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités locales, il souhaite que ces derniers puissent s'en inspirer.

Le dispositif défini en 1988 connaît cependant une limite tenant au caractère figé des critères cumulatifs retenus pour fixer la "frontière" entre le jugement des comptes par les chambres régionales des comptes et l'apurement administratif des comptes confié aux comptables supérieurs du Trésor.

Aussi, le groupe de travail proposera-t-il de conforter le régime défini en 1988 en adaptant cette frontière.

II. LE CONTRÔLE BUDGÉTAIRE : UNE FONCTION STABILISÉE ET BIEN ACCEPTÉE

Né du "vide" créé par la suppression de la tutelle budgétaire et financière exercée avant la loi du 2 mars 1982 par le préfet, le "contrôle" budgétaire est à la fois précisément défini et relativement bien accepté par les collectivités locales.

Or, à l'origine, la mise en oeuvre de cette nouvelle compétence n'allait pas de soi, dans la mesure où les chambres régionales des comptes agissaient dans un domaine alors "inexploré" par les juridictions financières.

Aussi, le contrôle budgétaire pouvait-il apparaître comme chargé d'ambiguïtés et, de ce fait, susceptible de soulever des difficultés d'application.

A. UNE COMPÉTENCE À "STATUT PARTICULIER"

A cet égard, il faut noter d'emblée que le contrôle budgétaire est marqué par des caractéristiques spécifiques.

En effet, au-delà d'une délimitation législative précise de son objet , ce contrôle met en évidence la nature ambivalente des chambres régionales des comptes, juridiction dotée de pouvoirs de nature administrative , ce qui a des conséquences tant sur la procédure que sur la nature juridique des actes pris dans ce cadre.

1. L'exigence d'une saisine externe

Au regard de la procédure, le contrôle budgétaire présente la spécificité de devoir être déclenché par l'action d'un tiers.

En effet, les principales compétences des chambres régionales des comptes (à l'instar de celles de la Cour des comptes) s'exercent "spontanément", c'est-à-dire indépendamment de toute saisine extérieure. Ainsi, l'action des chambres régionales des comptes est, en règle générale, soit déclenchée "mécaniquement" par la production d'un compte, soit engagée par "autosaisine" dans les cas où ces juridictions peuvent se saisir d'office.

Or, s'agissant du contrôle budgétaire, l'action des chambres régionales des comptes se trouve subordonnée soit à l'intervention du préfet, soit, dans un cas, à l'intervention concurrente du préfet, du comptable public concerné ou de "toute personne y ayant intérêt".

Les travaux préparatoires à la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, traduisent en effet clairement la volonté du législateur d'éviter l'institution d'une "tutelle juridictionnelle" sur le budget des collectivités locales qui aurait pu découler de l'attribution aux chambres régionales des comptes d'une compétence budgétaire autonome.

A cet égard, le Gouvernement de l'époque, par la voix de M. Gaston Defferre, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de la décentralisation reconnaissait que "lors de la rédaction du texte, nous avions envisagé les hypothèses suivantes : soit la saisine par le seul représentant de l'Etat, soit l'autosaisine de la chambre régionale des comptes, soit une combinaison de ces deux formules. Après y avoir réfléchi, je pense que la saisine par le représentant de l'Etat est suffisante et qu'il n'est pas nécessaire de prévoir une autosaisine." 15( * )

Se félicitant de cette inflexion du texte initial, M. Michel Giraud, rapporteur de la commission des lois du Sénat, relevait qu'en conséquence, les chambres régionales des comptes ne disposaient, dans ce domaine, que d'une "compétence d'avis en matière de contrôle budgétaire a priori et a posteriori" et que "la chambre régionale des comptes se voyait confier davantage une vocation d'expert, voire de conseil, qu'une fonction de censeur". 16( * )

2. Des actes de nature administrative

La nature juridique des actes pris par les chambres régionales des comptes dans l'exercice du contrôle budgétaire présente de la même façon une certaine spécificité. Héritant, dans ce domaine, pour l'essentiel, de compétences antérieurement assumées par le représentant de l'Etat, les chambres régionales des comptes n'interviennent pas comme juridictions. Elles sont chargées d'émettre des avis à la suite d'une saisine externe. Ces avis possèdent donc, incontestablement, une nature administrative dont il convient d'analyser le "statut" en termes de voies de recours.

En effet, bien que rendus en forme quasi juridictionnelle, les avis en matière budgétaire -du fait de leur nature administrative- ne peuvent faire l'objet d'un appel auprès de la Cour des comptes, à la différence des jugements prononcés sur les comptes.

Ces avis ne bénéficient pas pour autant d'une immunité juridictionnelle . Le groupe de travail a en effet relevé que le juge administratif a, dans certains cas, admis la recevabilité des recours engagés contre les actes pris par la chambre régionale des comptes dans le domaine budgétaire.

Le Conseil d'Etat s'est, très rapidement après l'entrée en vigueur des lois de décentralisation, prononcé par un jugement de principe.

L'arrêt du 23 mars 1984, (Organisme de gestion des écoles catholiques de Couëron) précise en effet que "la décision par laquelle une chambre régionale des comptes rejette une demande tendant à ce qu'elle constate qu'une dépense obligatoire n'a pas été inscrite au budget d'une commune et à ce qu'elle adresse une mise en demeure à la commune concernée ne constitue ni un jugement sur les comptes, dont la Cour des comptes serait compétente pour connaître, [...] ni une décision juridictionnelle à l'encontre de laquelle un recours en cassation pourrait être formé devant le Conseil d'Etat ; qu'elle constitue une décision administrative dont le tribunal administratif, juge de droit commun du contentieux administratif est compétent pour connaître en premier ressort".

A l'occasion de cet arrêt, le Conseil d'Etat a donc marqué d'emblée sa volonté de ne pas soustraire de façon générale cette catégorie d'actes au contrôle du juge administratif.

B. UNE COMPÉTENCE EXERCÉE "EN TANDEM"

La fonction du contrôle budgétaire est de veiller à ce que les collectivités locales disposent d'un budget et à ce que celui-ci respecte les règles en vigueur. Sa mise en oeuvre implique l'action combinée du préfet et de la chambre régionale des comptes , en liaison avec la collectivité locale concernée. La chambre régionale des comptes jouant ici, en quelque sorte, un rôle de " filtre" obligatoire conditionnant l'exercice des pouvoirs de réformation de l'autorité préfectorale .

1. Des cas d'ouverture bien définis

Mission exercée en amont du contrôle juridictionnel, le contrôle budgétaire concerne quatre cas bien définis : budget voté tardivement, budget voté en déséquilibre, compte administratif adopté en déséquilibre et non inscription au budget d'une dépense obligatoire.

Il convient, à cet égard, de noter que, sur le fond, ces quatre situations correspondent exactement à celles où s'exerçait, avant 1982, la tutelle budgétaire et financière du préfet qui, à l'époque réglait en tant que de besoin, le budget par arrêté après avis du comptable supérieur de l'arrondissement financier concerné.

a) Le budget non voté dans les délais légaux

Le premier cas d'ouverture du contrôle budgétaire, défini par l'article 7 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, est aujourd'hui inscrit à l'article L. 1612-2 du code général des collectivités territoriales.

L'absence d'adoption par une collectivité de son budget avant le 31 mars, ou avant le 15 avril l'année de renouvellement de son organe délibérant 17( * ) doit conduire le préfet à saisir sans délai la chambre régionale des comptes qui doit formuler, dans le mois et par un avis public, des propositions pour le règlement du budget.

Procédant des exigences constitutionnelles de fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de continuité des services publics, cette substitution du "tandem" préfet-chambre régionale des comptes à l'organe délibérant de la collectivité, garantit à celle-ci la disposition d'un budget.

Les effets d'une saisine préfectorale de la chambre régionale des comptes dans ce cadre sont importants puisque " à compter de la saisine [...] et jusqu'au règlement du budget par le représentant de l'Etat, l'organe délibérant ne peut adopter de délibération sur le budget de l'exercice en cours 18( * ) .

Il convient de préciser que la suspension expresse du pouvoir budgétaire de la collectivité concernée, en cas de saisine de la chambre régionale des comptes d'un budget non voté dans les délais légaux, ne résulte pas de la rédaction initiale de la loi du 2 mars 1982, mais d'une précision apportée à celle-ci par l'article 28 de la loi du 25 janvier 1985.

De ce fait, tout budget qui serait voté et transmis après la date de la saisine préfectorale, et avant l'intervention de l'avis de la chambre régionale des comptes serait illégal. A l'inverse, le budget voté tardivement mais avant la saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet, débouche sur un non lieu à statuer de la juridiction financière.

Dans cette procédure, la chambre régionale des comptes doit donc, dans un délai d'un mois à compter de sa saisine, formuler, par un avis public, des propositions en vue du règlement du budget.

Au cours de cette phase, la Chambre régionale des comptes prend, en pratique, contact avec la collectivité concernée, dont le représentant peut présenter oralement ses observations.

Le préfet doit ensuite, dans un délai de vingt jours, procéder au règlement du budget à partir des propositions formulées par la Chambre régionale des comptes. Si le représentant de l'Etat décide de s'écarter de ces propositions, il doit assortir sa décision d'une motivation explicite.

b) Le budget voté en déséquilibre

Lorsqu'une collectivité territoriale ne respecte pas l'exigence d'un budget voté en équilibre réel posée et définie par l'article L.1612-4 du code général des collectivités territoriales, elle s'expose à une saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet et, par suite, à la procédure de rétablissement du budget qui s'en suit. 19( * )

A la différence de la procédure relative au budget non voté dans les délais légaux, celle-ci ne débouche pas automatiquement sur un règlement du budget par le préfet .

L'engagement de cette procédure n'entraîne, pas en effet, ipso facto , la substitution du préfet, à la collectivité concernée pour le rétablissement de l'équilibre budgétaire.

La saisine, dans un délai de trente jours à compter de la transmission du budget par le représentant de l'Etat à la chambre régionale des comptes conduit en effet cette dernière à proposer à la collectivité concernée, des mesures destinées à rétablir l'équilibre de ce budget .

Il existe donc, dans ce cas , une forme de "dialogue" entre la chambre et la collectivité , puisque cette dernière est appelée, dans un délai d'un mois à partir de la communication des propositions de redressement, à prendre une nouvelle délibération destinée à rétablir l'équilibre de son budget.

La collectivité concernée ne se trouve pas dans l'obligation de suivre exactement les propositions de la chambre régionale des comptes. L'objectif de cette procédure étant de garantir le rétablissement de l'équilibre budgétaire, l'assemblée délibérante peut en effet décider de parvenir à ce résultat en retenant d'autres moyens que ceux proposés par la chambre.

Dans ce cas, la chambre régionale des comptes évalue, dans un délai de quinze jours, du caractère "suffisant" ou non des mesures de redressement prises et, c'est seulement en cas d'insuffisance de ces mesures que le préfet intervient à nouveau dans la procédure en vue du règlement du budget .

Cette intervention du préfet se produit également lorsque l'assemblée délibérante ne prend aucune délibération en vue du rétablissement de l'équilibre budgétaire.

Il convient enfin de noter que le règlement du budget par le préfet a pour effet de placer la collectivité concernée sous une forme de "surveillance" .

A la suite de cette intervention, et en application de l'article L.1612-9 du code général des collectivités territoriales, les budgets supplémentaires afférents au même exercice que le budget réglé par le préfet sont, en effet, transmis d'office à la chambre régionale des comptes.

En outre, l'assemblée délibérante devra, par la suite, se prononcer sur son compte administratif avant d'adopter le budget de l'exercice suivant .

Si ce compte administratif fait apparaître un déficit, celui-ci doit alors être reporté au budget primitif de l'exercice suivant, qui est alors transmis d'office à la chambre régionale des comptes .

Ainsi, la collectivité qui ne procède pas d'elle même au rétablissement de l'équilibre de son budget déclenchant de ce fait l'intervention du préfet se trouve engagée dans un suivi relativement contraignant destiné à garantir le retour effectif de cet équilibre.

c) Le compte administratif en déficit

Prévu par l'article 9 de la loi du 2 mars 1982 précitée, aujourd'hui repris aux articles L.1612-12 à L.1612-14 du code général des collectivités territoriales, ce troisième cas d'ouverture du contrôle budgétaire, fait l'objet d'une mise en oeuvre graduée .

D'une part, en effet, la saisine de la chambre régionale des comptes par le préfet n'intervient que si le montant du déficit excède une certaine proportion des recettes de fonctionnement et, d'autre part, cette proportion varie en fonction de l'importance démographique de la collectivité concernée.

Le contrôle budgétaire dans ce domaine n'est donc engagé que lorsque les déficits constatés dépassent 10 % des recettes de la section de fonctionnement pour les communes de moins de 20.000 habitants et 5 % pour les autres collectivités.

Si la procédure de redressement suivie dans ce cas s'apparente à celle définie pour les budgets votés en déséquilibre, elle en diffère cependant sur certains points.

Tout d'abord, l'avis formulé par la chambre régionale des comptes contenant les propositions de redressement ne peut être pris en compte, par la collectivité concernée, par définition, qu'à l'occasion d'un budget correspondant à un exercice ultérieur.

Les budgets primitifs des exercices correspondants doivent ensuite être transmis d'office à la chambre régionale des comptes , afin que celle-ci puisse vérifier la prise en compte ou non de ses propositions.

Dans le cas où la chambre régionale des comptes estime que les mesures prises ne sont pas suffisantes, elle propose directement au représentant de l'Etat les mesures nécessaires, ce dernier devant alors régler le budget et le rendre exécutoire, sous réserve de son droit de s'écarter de ces propositions par décision motivée.

d) Le défaut d'inscription au budget d'une dépense obligatoire

Dernier cas d'intervention des chambres régionales des comptes dans le cadre du contrôle budgétaire, le défaut d'inscription d'une dépense obligatoire 20( * ) défini aux articles L.1612-15 et L.1612-16 du code général des collectivités territoriales qui reprennent le dispositif prévu par les articles 11 et 12 de la loi du 2 mars 1982 précitée, présente une certaine originalité par rapport aux trois cas précédents .

La principale originalité tient à la pluralité des auteurs potentiels de la saisine de la chambre régionale des comptes. A la différence des autres cas en effet, où le préfet détient seul le pouvoir d'engager les procédures, le défaut d'inscription d'une dépense obligatoire peut être contesté par le comptable de la collectivité ou par toute autre personne y ayant intérêt .

Interprétée de façon large, la notion de personne ayant intérêt à l'inscription d'une dépense obligatoire ouvre, en pratique, à de nombreuses personnes la possibilité de saisir dans ce cadre la chambre régionale des comptes (par exemple : organismes gestionnaires d'écoles privées sous contrat, associations, entreprises et même particuliers).

Dans tous les cas, la chambre régionale des comptes, qui se prononce dans le délai d'un mois à compter de sa saisine, doit tout d'abord procéder à l' analyse juridique du caractère obligatoire ou non de la dépense considérée.

Puis, après s'être prononcée sur son montant, elle vérifie si la dépense est inscrite ou non et, dans l'affirmative, si celle-ci l'a été pour un montant suffisant.

Si la chambre régionale des comptes constate que la collectivité n'a pas inscrit ces crédits à son budget, elle met celle-ci en demeure d'y procéder , tous en lui laissant la liberté de déterminer le moyen d'équilibrer son budget en conséquence.

Puis, si la collectivité concernée ne procède pas, dans le mois qui suit, à l'inscription de cette dépense , la chambre régionale des comptes demande au représentant de l'Etat d'inscrire cette dépense au budget et propose, s'il y a lieu, les mesures de correction budgétaire nécessaires. Sous réserve de son droit de s'écarter de ces propositions par décision motivée, le préfet règle ensuite et rend exécutoire le budget ainsi rectifié.

Le caractère contraignant de l'ensemble de cette procédure est complété par une dernière mesure, puisqu'au terme de celle-ci, en cas de refus de la collectivité de mandater une dépense obligatoire, le préfet peut mettre en demeure l'exécutif territorial de mandater cette dépense, à défaut de quoi il peut y procéder d'office.

C. BILAN QUANTITATIF ET QUALITATIF

1. Une apparente stabilité sur longue période.

L'analyse de l'évolution du nombre des saisines des chambres régionales des comptes au titre du contrôle budgétaire, depuis son origine en 1983, met en évidence plusieurs phases :

une phase "d'explosion" initiale en 1983 et 1984 , essentiellement due aux budgets non votés dans les délais légaux.

une phase de diminution marquée en 1985 avec la chute brutale du nombre de saisines au titre des budgets non votés dans les délais légaux ;

une phase de stabilisation à la baisse entre 1986 et 1990 , année où le nombre des saisines est le plus faible, avec une tendance à la diminution de l'ensemble des cas de saisines des chambres régionales des comptes, à l'exception de celles liées au défaut d'inscription des crédits obligatoires ;

une phase de "redressement" caractérisée entre 1991 et 1996 , où se confirme le déclin des saisines au titre du budget non voté dans les délais qui descendent, pour la première fois depuis 1983, en dessous de la centaine (77) en 1996 et où s'affirme la croissance du nombre des saisines liées au trois autres cas de contrôle budgétaire, cette tendance étant surtout marquée pour les saisines concernant les comptes administratifs en déficit et celles relatives au défaut d'inscription des dépenses obligatoires.

Au total , il ressort donc très nettement qu'à travers une relative stabilité globale du nombre des saisines des chambres régionales des comptes au titre du contrôle budgétaire, ces saisines connaissent en réalité une forte évolution de leur structure . En effet, si les saisines relatives aux budgets non votés dans les délais légaux semblent quasiment en voie d'extinction, la croissance en moyenne période des autres cas de saisines est révélatrice de la persistance, voire de l'aggravation des difficultés budgétaires rencontrées par certaines collectivités locales.

2. Une analyse qualitative nuancée

L'exercice du contrôle budgétaire apparaît bien accepté, une analyse plus fine fait néanmoins ressortir certaines difficultés et certaines limites.

a) Un contrôle bien accepté

Les craintes que pouvait, initialement, susciter l'institution d'un contrôle budgétaire, exercé de concert par le préfet et les chambres régionales des comptes, se sont en effet rapidement dissipées .

Tout d'abord, ce contrôle ne s'exerce qu'à l'encontre d'un très petit nombre d'actes budgétaires puisqu'il ne porte au total que sur moins d'un pour cent des actes budgétaires pris, chaque année, par les collectivités locales.

En outre, la mise en oeuvre de ce contrôle constitue, parmi les différentes fonctions exercées par les chambres régionales des comptes, celle qui recueille le plus fort "indice de satisfaction" de la part des maires . C'est en effet ce que révèle l'enquête conduite par l'association des maires de France auprès des présidents de ses associations départementales 21( * ) . En réponse à la question " Les chambres régionales des comptes exercent trois types de contrôle financiers . Selon vous, les maires aspirent-ils à voir réformer ceux- ci ?" , moins de 14 % des réponses indiquent le souhait de voir réformer le contrôle budgétaire (contre 24 % pour le jugement des comptes et 47 % pour l'examen de la gestion, 15 % ne souhaitant aucune réforme).

La pratique du contrôle budgétaire présente cependant quelques "aspérités".

b) Le contrôle budgétaire est marqué par une concentration géographique

La Cour des comptes relève en effet, depuis plusieurs années dans son rapport public, que certaines régions concentrent un nombre très élevé de saisines.

Pour l'année 1994, la chambre régionale des comptes de Guadeloupe-Guyane-Martinique a reçu "près du quart du total des saisines enregistrées par l'ensemble des chambres" . Dans le même document, la Cour relève la proportion anormalement élevée des saisines au titre du contrôle budgétaire concernant les collectivités et établissements publics de la région Corse (6,6 % du total national en 1994) . La chambre régionale des comptes de Picardie avait, pour sa part, reçu 5 % des saisines en 1994.

Un constat similaire est fait dans le rapport public de 1996 sur l'année 1995, la Cour soulignant que " la répartition des dossiers entre les chambres régionales des comptes reste très différenciée " : la chambre des comptes de Guadeloupe-Guyane-Martinique ayant encore reçu plus du cinquième des saisines et celle de Corse 6,7 % d'entre elles, tandis que la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France en recevait 8 %.

Dans son dernier rapport public sur l'année 1996, la Cour confirme cette analyse en précisant que "quatre chambres régionales des comptes ont reçu près de la moitié des saisines en 1996 " : la chambre des comptes de Guadeloupe-Guyane-Martinique en recevant près de 18 %, celle de Rhône-Alpes 15,2 %, suivie par les chambres des comptes d'Ile-de-France (8,5 %) et de Provence-Alpes-Côte d'Azur (6,9 %).

La chambre des comptes de Corse reste pour sa part à un niveau élevé avec 5 % du total.

Cette analyse doit cependant être relativisée en fonction du nombre de budgets de chaque région.

c) Le règlement de certaines difficultés hors des procédures légales

Par ailleurs, la pratique du contrôle budgétaire soulève, du point de vue de la Cour des comptes, un certain nombre de difficultés.

La critique la plus grave formulée par la Cour dès son rapport public de 1991 et développée dans celui de 1995, tient aux difficultés budgétaires "réglées hors procédures légales ".

A cet égard, avant de présenter les observations de la Cour, le groupe de travail note que celle-ci défend le champ de compétence des chambres régionales des comptes en se montrant très réservée, voire en récusant les diverses formes de "règlement amiable" d'un certain nombre de difficultés pratiquées par les préfets.

Cette appréciation témoigne d'une une lecture rigide des dispositions relatives au contrôle budgétaire.


S'agissant des budgets non votés ou votés et non transmis dans les délais, la Cour a noté en 1991 qu'à "compter des budgets de 1984 et surtout de 1985, les préfets ne se sont plus estimés obligés de saisir les chambres [...]. C'est seulement lorsqu'ils ont la conviction que le budget ne pourra pas être voté, fût-ce au prix d'un délai supplémentaire, qu'ils se résolvent à alerter la chambre ".

Reconnaissant que " cette évolution [n'était] pas sans avantages pratiques ", la Cour relevait néanmoins que cette pratique tendait à aggraver le caractère tardif de la date d'adoption des budgets locaux. Revenant sur ce point dans son rapport public de 1995, la Cour a cependant estimé qu'il était " normal que le préfet vérifie si ces situations sont seulement accidentelles, et susceptibles d'être rapidement réglées par les assemblées délibérantes elles-mêmes, plutôt que de multiplier les saisines inutiles". La Cour assortit tout de même l'énoncé de cette "tolérance" d'une demande tendant à ce que les préfets tiennent les chambres régionales des comptes informées des situations où ceux-ci s'abstiennent d'une saisine de la chambre régionale des comptes, ce que le droit en vigueur ne prévoit pas.


S'agissant des autres critères légaux d'ouverture d'une procédure budgétaire , la Cour insiste, en revanche, dans son rapport public de 1995, sur la nécessité que " le représentant de l'Etat saisisse la chambre régionale dans les conditions fixées par la loi ".

Soulignant que " les exemples persistent, de cas où les chambres régionales n'ont pas été saisies de situations insincères ou déséquilibrées, qui étaient pourtant connues ", la Cour indique que ces pratiques tendent à favoriser l'aggravation de situations de déséquilibre.

Le groupe de travail relève cependant que dans son rapport public de 1991, la Cour des comptes avait émis des appréciations relativement nuancées sur ces " difficultés réglées hors procédures légales ".

Ainsi, en ce qui concerne les dépenses obligatoires et les dettes exigibles non acquittées, la Cour notait que les " diverses procédures informelles " conduites entre le préfet et les personnes demandant l'inscription des crédits obligatoires au budget concerné donnaient " souvent des résultats jugés satisfaisants ".

Enfin, pour ce qui touche aux budgets votés en déséquilibre , la Cour constatait de la même façon qu'il " arrive que des préfets s'efforcent d'obtenir de la collectivité concernée une nouvelle délibération rétablissant cet équilibre, plutôt que de saisir la chambre ". Dans ce cas, la Cour des comptes adopte une position plus réservée considérant que " ces pratiques ne semblent pouvoir se justifier que dans les situations les plus claires et les plus simples lorsque le déséquilibre est flagrant, qu'il résulte d'une simple erreur et qu'il est aisé à redresser ".


L'analyse du contrôle budgétaire effectuée par la Cour des comptes porte , par ailleurs, sur les " difficultés budgétaires non décelées ".

A cette occasion, la Cour insiste sur l'insuffisance des moyens dont disposent les services des préfectures pour exercer cette mission et, plus largement, sur les faiblesses de l'articulation de l'action conduite dans ce domaine avec celle des services extérieurs du ministère des finances et plus particulièrement ceux de la direction de la comptabilité publique.

Soulignant que les moyens des services des représentants de l'Etat " demeurent notoirement insuffisants, au regard de la tâche considérable que la loi impose , la Cour rappelle que " les différents documents budgétaires et comptables leur parviennent, chacun, en quelques semaines groupées, pour la totalité des communes et autres collectivités du ressort : ce qui représente selon la taille des arrondissements et la dispersion des structures locales , de l'ordre de la centaine à celui du millier, ou davantage pour chaque catégorie d'actes ; le représentant de l'Etat dispose d'un mois pour saisir la chambre, ses services étant réputés, selon les cas, apprécier la réalité et la sincérité des dépenses et recettes, l'équilibre prévisionnel des budgets".

3. Le jugement du groupe de travail : un équilibre conforme à l'esprit du législateur de 1982.

Sans méconnaître l'intérêt qu'il peut y avoir à développer une perspective d'analyse plus large des budgets locaux, dont l'objet serait, en particulier, de favoriser la prévention des situations de grave difficulté financière que peuvent connaître certaines collectivités, le groupe de travail tient à souligner son attachement à l'équilibre du contrôle budgétaire, tel qu'il a été défini en 1982 .

Ainsi qu'il a été rappelé au début de cette analyse du contrôle budgétaire, le législateur a en effet clairement entendu écarter l'institution d'une forme quelconque de "tutelle juridictionnelle" pesant sur les actes budgétaires des collectivités locales.

Le groupe de travail pourrait faire sienne la réponse du ministre de l'intérieur aux observations formulées par la Cour des comptes dans son rapport public de 1991 au sujet des "difficultés réglées hors procédure légale". Le ministre indique que " même si c'est parfois, au prix d'un décalage plus grand entre dates du début d'exercice et du vote du budget, les préfets s'efforcent effectivement de régler le maximum de cas de façon préventive, par un contact direct avec les élus, comme ils le font également en matière de contrôle de légalité des actes administratifs ".

Cette analyse se situe en effet au coeur de la problématique du contrôle budgétaire et, plus largement, des pouvoirs de contrôle exercés par les chambres régionales des comptes dans leurs fonctions non juridictionnelles. Elle pose, in fine , la question de la finalité de ces pouvoirs et, par conséquent, de l'esprit qui doit présider à leur mise en oeuvre : s'agit-il d'exercer une fonction coercitive destinée à redresser systématiquement tout écart, même purement formel, aux règles ou s'agit-il d'exercer un arbitrage, une fonction de régulation ayant pour objectif premier de contribuer à une bonne gestion locale ?

Sur ce point, le groupe de travail considère que, dans la mesure où les procédures "amiables" conduites par le représentant de l'Etat en vue du règlement de certaines difficultés contribuent au respect des principes budgétaires, ces procédures sont parfaitement compatibles avec la volonté du législateur, ainsi qu'avec la finalité du contrôle budgétaire. Ce dernier doit, en effet, veiller à ce que les collectivités locales disposent d'un budget et à ce que celui-ci respecte les règles en vigueur.

III. UNE PROCÉDURE ENCORE IMPARFAITE D'EXAMEN DE LA GESTION

Parallèlement aux missions qui leur sont imparties en matière de contrôle juridictionnel des comptes et de contrôle budgétaire, les chambres régionales des comptes ont été chargées par le législateur de procéder à un examen de la gestion des collectivités locales.

S'inspirant des dispositions prévues pour la Cour des comptes par la loi du 22 juin 1967 -dispositions qui n'avaient pas soulevé de difficultés particulières dans leur application- la loi du 2 mars 1982 avait prévu, dans son article 87, que les chambres régionales des comptes devraient s'assurer du " bon emploi des crédits, fonds et valeurs ".

Mais face à la dérive constatée dans la mise en oeuvre de cette mission par des institutions jeunes et encore inexpérimentées, le législateur -à la suite d'initiatives prises par le Sénat- est de nouveau intervenu. La loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation a ainsi remplacé la notion de " bon emploi " par celle d' " emploi régulier ".

Cette loi a néanmoins confirmé une compétence initialement définie par le dernier alinéa de l'article 87 de la loi du 2 mars 1982 qui disposait que la chambre régionale des comptes " peut présenter aux collectivités territoriales soumises à sa juridiction des observations sur leur gestion ".

Le code des juridictions financières -entré en vigueur en 1994- affirme donc désormais dans deux articles distincts que les chambres, d'une part, vérifient la régularité des écritures comptables ( article L.211-3 ) et, d'autre part, qu'elles examinent la gestion des collectivités territoriales ( article L.211-8 ).

Selon le rapport public de 1997 de la Cour des comptes, les observations portant sur la gestion des collectivités territoriales et organismes contrôlés ont donné lieu à 2 868 communications aux ordonnateurs ou autorités administratives, dont 1 199 lettres d'observations provisoires et 1 109 lettres d'observations définitives.

Sur les 1 109 lettres d'observations définitives, 515 ont été adressées à des collectivités territoriales et 442 à des établissements publics. Les 152 autres ont concerné la gestion de sociétés d'économie mixte ou d'associations.

L'activité des chambres régionales des comptes en matière d'examen de la gestion a ainsi connu une forte montée en puissance (on dénombrait 813 lettres d'observations définitives en 1992).

Très clairement, l'intention du législateur a été d'écarter toute appréciation d'opportunité des chambres régionales des comptes sur les décisions politiques prises par les élus et dont seul le suffrage universel peut être juge.

Pourtant, force est de constater qu'en dépit des précisions apportées par le législateur, le contrôle de la gestion ne s'exerce pas avec une suffisante sérénité . Telle serait pourtant la condition pour que ce contrôle puisse donner lieu à un dialogue constructif entre les chambres et les élus et qu'il contribue ainsi à la bonne gestion locale .

Le groupe de travail a souhaité établir un constat objectif qui puisse permettre d'expliquer le malaise ressenti -souvent à juste titre- par beaucoup d'élus locaux, sans pour autant sous-estimer les difficultés auxquelles les magistrats peuvent être confrontés dans l'exercice de leur mission.

Comme l'ont fait observer devant le groupe de travail plusieurs représentants des juridictions financières, il n'est pas inutile de rappeler que le législateur s'est jusqu'à présent, abstenu de définir le contenu que devait revêtir l'examen de la gestion.

La loi du 5 janvier 1988 et le contrôle de gestion par les chambres régionales des comptes

L'article 87 de la loi du 2 mars 1982 a ouvert la voie au contrôle de gestion des collectivités locales par les chambres régionales des comptes, à travers deux dispositions. Dans sa rédaction initiale, le deuxième alinéa de cet article permettait aux chambres de s'assurer " du bon emploi des crédits, fonds et valeurs ". Le dernier alinéa du même article les habilitait à présenter aux collectivités territoriales soumises à leur juridiction " des observations sur leur gestion ".

Les travaux préparatoires de la loi du 5 janvier 1988 témoignent de la volonté du législateur d'écarter tout contrôle d'opportunité à l'occasion de cet examen de la gestion. Ainsi, devant le Sénat, M. Yves Galland, ministre délégué aux collectivités locales, a-t-il clairement indiqué (séance du 22 octobre 1987) que " l'exercice de cette compétence a suscité chez les élus de vives inquiétudes. Nombre d'entre eux ont attiré mon attention sur les risques de dérive vers un contrôle d'opportunité. Il faut, sur ce point, bien clarifier les choses. Il n'est nullement dans l'esprit de la loi ni dans celui du Gouvernement de porter atteinte par le biais du contrôle de gestion à la liberté qu'ont les élus de décider de leur politique. Si des dérives vers le contrôle d'opportunité ont eu lieu, il convient d'y mettre fin ; tout le monde en est d'accord.

"  (...) Mais, à l'inverse, il ne saurait être question de remettre en cause le principe fondamental des institutions républicaines (...) selon lequel toute collectivité publique qui manie des derniers publics et perçoit des impôts sur les citoyens doit pouvoir fait l'objet d'un contrôle de sa gestion.

"  Ce contrôle que la Cour des comptes a exercé excellemment pendant des décennies sur les collectivités locales - et qu'elle continue d'exercer sur les services de l'Etat et les entreprises publiques - ne porte nullement sur l'opportunité de la politique arrêtée par le conseil municipal. Les objectifs étant fixés, la chambre régionale qui a succédé dans cette mission à la Cour des comptes doit seulement pouvoir faire connaître, s'il y a lieu, à l'ordonnateur ses observations sur les modalités de mise en oeuvre de ces objectifs.

" Le contrôle de la gestion existe dans toutes les organisations modernes. Il a pour vocation de dégager des solutions mieux adaptées et moins coûteuses pour l'avenir. Bien exercé, il doit être un instrument de gestion utile aux élus.

" C'est pourquoi son exercice doit être mieux organisé pour prévenir les difficultés que l'on constate parfois actuellement. "


Souhaitant écarter tout risque de contrôle d'opportunité, le Sénat a substitué à la notion de " bon emploi " celle d' " emploi régulier " . Il a par ailleurs modifié de dernier alinéa de l'article 87 précité afin de mettre en place une sorte de " code de bonne conduite " qui impose un entretien préalable avec l'ordonnateur de la collectivité locale concernée avant que la chambre ne formule des observations sur la gestion et prévoit que ces obserations ne peuvent être arrêtées définitivement avant que l'ordonnateur n'ait été en mesure de leur apporter une réponse écrite.

La procédure contradictoire a ainsi été améliorée même si de nouveaux progrès apparaissent souhaitables dans ce domaine. En revanche, les débats parlementaires n'ont pas abouti à définir l'objet même et le contenu de l' " examen de la gestion " . Il s'agit, à l'expérience, d'une lacune de la législation.

Certes, par référence à la longue expérience de la Cour des comptes dans ce domaine, une telle définition a pu paraître ne pas s'imposer.

Ce choix a néanmoins probablement sous-estimé la spécificité de ce contrôle qui, en l'occurrence, est opéré sur des ordonnateurs élus et qui fait l'objet d'une publicité susceptible d'avoir un impact considérable sur l'opinion publique. Il a également abouti à ce que les juridictions en soient conduites à définir elles-mêmes le contenu du contrôle de gestion ainsi que les critères sur lesquels celui-ci devait s'appuyer.

Cette construction empirique et par définition éclatée entre les différentes juridictions explique en bonne partie les difficultés actuelles recensées par le groupe de travail.

A. DES MODALITÉS DE MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE PEU SATISFAISANTES

1. Une délimitation difficile entre le contrôle de la régularité et le contrôle de l'opportunité

Si le principe des contrôles opérés par les chambres régionales des comptes ne semble pas mis en cause par les élus locaux, les conditions dans lesquelles ces contrôles sont mis en oeuvre sont trop souvent mal ressenties .

Le contrôle de gestion se situe au coeur de ce malaise bien réel. L'enquête précitée menée par l'Association des maires de France met ainsi en évidence que 47 % des maires souhaitent que le contrôle de gestion soit réformé. La délimitation entre contrôle de la régularité et contrôle de l'opportunité est, à ce titre, la préoccupation essentielle. Selon la même enquête, 89 % des maires souhaiteraient que le contrôle de gestion porte sur la seule régularité des décisions prises.

En l'absence de précisions législatives, force est d'observer que les chambres régionales des comptes ne disposent pas de bases objectives ni pour programmer leurs enquêtes, ni pour définir le champ et la portée du contrôle de gestion 22( * ) .

S'agissant du moment où interviennent ces enquêtes, l'article 111 du décret du 23 août 1995 précise que l'examen de la gestion s'exerce concomitamment ou non au contrôle juridictionnel des comptes.

Il appartient à la chambre régionale des comptes de programmer elle-même les enquêtes qu'elle entend diligenter. En application de l'article 3 du décret du 23 août 1995, il revient au président -après consultation de la chambre et avis du ministère public- de définir l'organisation et le programme annuel des travaux.

La chambre régionale des comptes peut également assurer ces vérifications sur la demande motivée soit du représentant de l'Etat dans le département ou la région soit de l'autorité territoriale.

Quant au champ et à la portée du contrôle de gestion, chaque chambre a été amenée à en préciser les contours.

Il en est résulté des difficultés d'interprétation des compétences des chambres régionales des comptes, difficultés qui portent tant sur le contrôle de la régularité des dépenses et des recettes que sur celui de l'efficacité des dépenses engagées par la collectivité.

a) L'appréciation de la régularité de la gestion

Le contrôle de gestion doit d'abord porter sur la régularité des dépenses et des recettes, c'est-à-dire sur leur conformité aux lois et règlements.

A ce titre, la chambre régionale des comptes -sans disposer du pouvoir d'annuler un acte qu'elle estime illégal- peut examiner la légalité des mesures prises par les ordonnateurs que sont les maires, présidents de conseils généraux ou régionaux, directeurs ou présidents d'établissement publics.

Or, cet exercice est en lui-même difficile. D'une part, le champ couvert par le contrôle de la régularité peut être plus ou moins étendu selon l'interprétation que l'on en donne. Il couvre la régularité formelle d'un acte (la qualité d'ordonnateur en fonction des délégations consenties, par exemple). Il peut également concerner le respect de certains principes généraux qui s'imposent à la gestion publique, tels que le respect de l'égalité devant les charges publiques. Enfin, sous l'effet de la jurisprudence, la régularité d'un acte peut être subordonnée à son efficacité pour la gestion publique, exigence que le juge administratif sanctionne par l'erreur manifeste d'appréciation.

En outre, le droit applicable à tel ou tel aspect de la gestion publique locale peut lui-même être sujet à interprétation. De très grandes incertitudes apparaissent compte tenu de l'évolution rapide des structures locales (développement de l'intercommunalité, responsabilités renforcées dans le domaine économique et social). Cette situation confère au juge financier un " pouvoir créateur " durement ressenti par les élus locaux, dans certains cas, comme l'ont mis en évidence les auditions du groupe de travail.

Ce " pouvoir créateur " peut être d'autant plus mal accepté par les élus locaux lorsqu'il fait abstraction du contexte de la gestion locale .

Ainsi, lorsqu'une chambre régionale des comptes relève qu'une collectivité locale agit " hors de son champ de compétence s", elle ignore parfois la " clause générale de compétence " qui est reconnue à chaque collectivité. De même, lorsqu'il est reproché à une collectivité locale de financer des investissements qui relèvent de l'Etat, un tel reproche fait abstraction du retrait progressif de ce dernier de toute une série d'actions publiques ce qui place les collectivités en première ligne pour répondre aux demandes de la population.

Ces difficultés sont accentuées par le fait que trop souvent les chambres régionales des comptes ne motivent pas leurs observations en indiquant les textes ou les principes généraux sur lesquels elles se fondent. Une telle motivation devrait être obligatoire.

Enfin, les observations des chambres ne font, dans certains cas, que dresser le constat de la complexité des règles juridiques à laquelle les élus locaux sont confrontés. Les procédures applicables en matière de marchés publics ou la distinction -devenue artificielle- entre les aides économiques directes et indirectes témoignent de cette réalité.

b) La crainte d'une dérive vers le contrôle de l'opportunité

Le contrôle de l'efficacité des dépenses constitue le second aspect du contrôle de gestion. Il est évidemment au coeur du débat sur le glissement du contrôle de gestion vers un contrôle d'opportunité. Il cristallise les incompréhensions entre beaucoup d'élus locaux et les magistrats des chambres régionales des comptes.

En principe, il revient aux chambres à partir d'un objectif déterminé par l'assemblée délibérante -et sur lequel il ne lui appartient pas de se prononcer- d'examiner le choix des moyens, le coût de l'opération et les résultats obtenus.

Une chambre régionale des comptes est dans son rôle lorsqu'elle relève les risques attachés à une opération donnée ou les conséquences négatives qui peuvent résulter d'une mauvaise organisation des services.

L'attribution d'un marché public, tout en respectant les procédures de mise en concurrence, peut s'appuyer sur des critères de choix qui ne sont pas exempts de risques.

L'application du critère du " mieux disant " est aussi souvent source de difficultés pour les décideurs publics. Ce critère ne permet pas à ces derniers de disposer d'un instrument efficace d'aide à la décision.

De même, le mauvais fonctionnement des services d'une collectivité locale, chargés de la commande publique, peut expliquer le dépassement des seuils permettant le règlement des achats sur simple facture.

Certaines chambres régionales des comptes veillent à circonscrire expressément dans leurs lettres d'observations définitives leur champ d'investigation par rapport aux compétences des assemblées élues.

Pour autant, force est de constater l'existence d'un très grand décalage entre les conditions dans lesquelles l'action locale doit être mise en oeuvre et la perception que peut en avoir un contrôle opéré souvent plusieurs années après les décisions prises.

Les collectivités locales -confrontées au désengagement de l'Etat- doivent prendre en compte les attentes de plus en plus diversifiées de nos concitoyens, qu'elles concernent la sécurité, l'emploi, le logement, les transports ou encore l'environnement.

Elles sont ainsi conduites à innover , à prendre des risques , souvent pour faire face à des situations urgentes.

La gestion locale est elle-même de plus en plus éclatée sous l'effet du partage des compétences mais aussi du développement de l'intercommunalité.

Or, le contrôle a posteriori , s'il s'abstrait de ce contexte, ne peut que rendre compte de manière déformée de la gestion locale.

Ainsi, une chambre régionale des comptes qui relève qu'une collectivité locale intervient dans le domaine qui relève de la compétence de l'Etat omet que cette intervention est motivée par le désengagement de ce dernier qui compromet gravement la réalisation d'un équipement essentiel sur le plan local, tel que la construction d'une université.

De même, comme il a été souligné devant le groupe de travail, une interprétation trop stricte des compétences des établissements publics de coopération intercommunale -qui sont libellées de manière assez large- a pour effet négatif de brider inutilement la capacité d'initiative de ces établissements, capacité qui est essentielle pour le développement local.

Les incertitudes du cadre législatif et règlementaire dans un grand nombre de domaines pèsent également sur la gestion locale. Elles ne peuvent être ignorées dans la mise en oeuvre du contrôle financier.

L'évaluation des résultats obtenus peut, par ailleurs, conduire certaines chambres à remettre en cause les choix opérés par l'assemblée délibérante en toute clarté. Le contrôle de l'efficacité de la dépense risque alors de dériver vers un contrôle de l'opportunité des choix.

Une chambre régionale des comptes est-elle fondée à adopter une telle démarche ? Certes, il lui revient d'évaluer le coût financier de l'opération, d'apprécier le choix des moyens. Mais peut-elle sans glisser vers l'opportunité mettre en cause la décision elle-même de l'assemblée délibérante ? Tel est bien ce qui résulte de certaines lettres d'observations définitives.

Or, cette pratique contribue à l'incompréhension des élus concernés qui ont le sentiment que les chambre régionales des comptes substituent leur propre appréciation à celle des organes délibérants élus démocratiquement et seuls responsables devant le suffrage universel.

Ainsi les observations portées sur une opération de construction d'un ouvrage public critiquant le choix même de la collectivité de financer l'ouvrage ainsi que l'emplacement retenu pour celui-ci peuvent apparaître aux yeux des élus concernés comme une mise en cause de la libre décision de la collectivité.

De même, une appréciation relativement sommaire sur les retombées financières d'une épreuve sportive pour une collectivité locale qui lui a apporté son appui financier peut être perçue comme une critique injustifiée d'un choix librement décidé par cette collectivité.

2. L'absence de critères fiables et communs aux différentes chambres régionales des comptes dans la mise en oeuvre de l'examen de la gestion

a) L'absence de références homogènes

Pour être efficace et homogène, le contrôle de gestion devrait reposer sur des critères fiables et communs aux différentes chambres régionales des comptes.

Or, un chantier immense est ouvert en matière de références, comme l'ont fait observer certains magistrats financiers entendus par le groupe de travail.

Les données statistiques indispensables à l'analyse financière sont souvent tardives , hétérogènes et difficiles à interpréter . L'absence de références communes, modulées selon la taille des collectivités, ne permet pas de définir de manière incontestable les coûts qui paraissent acceptables pour l'achat de fournitures, la réalisation d'investissements ou de prestations de services.

Le souci légitimement manifesté au moment de la décentralisation de mettre un terme à la tutelle technique qui s'exprimait à travers diverses recommandations ou cahiers des charges type n'a pas été relayé par un effort de clarification et de regroupement pourtant souhaité par le législateur. Ainsi, le code des prescriptions et procédures techniques particulières -voulu par la loi du 2 mars 1982 et repris, sur l'initiative du Sénat, à l'article L.1111-3 du code général des collectivités territoriales- n'a-t-il jamais vu le jour.

b) Une lacune préjudiciable au bon exercice de contrôle de gestion

Cette absence de critères communs laisse aux chambres régionales des comptes une marge d'appréciation très large pour définir ce qui est conforme ou non à une bonne gestion locale.

Il en résulte une très grande hétérogénéité des solutions retenues qui explique l'incompréhension manifestée par beaucoup d'élus locaux.

Comment, en effet, justifier qu'un niveau d'endettement ou encore le coût de prestations de services soit jugé acceptable dans une région et ne le soit plus dans une autre ?

Cette situation est d'autant plus préjudiciable que l'utilisation de ratios n'a de sens que pour autant qu'ils sont resitués dans le contexte global d'une gestion locale. Tel est par exemple le cas des établissements publics de coopération intercommunale -qui, pour accomplir leurs missions au service du développement local- doivent pouvoir innover.

De même, des ratios moyens sont inutilisables pour certaines communes. Ainsi en est-il de la référence aux habitants permanents pour les communes touristiques.

Le groupe de travail juge donc regrettable que les chambres régionales des comptes n'aient pas à ce jour bénéficié d'une réflexion globale associant des représentants des collectivités locales, des services de l'Etat et des juridictions financières, et destinée à promouvoir des critères homogènes et adaptés au contexte de la gestion locale .

3. Les limites de la procédure contradictoire

Pour mener à bien leur mission, les magistrats des chambres régionales des comptes disposent de moyens d'investigation étendus. La procédure contradictoire qui, en contrepartie, doit être mise en oeuvre ne paraît pas suffisamment affirmée.

a) Des pouvoirs d'investigation étendus

Sans dresser une liste exhaustive des pouvoirs d'investigation dont disposent les chambres régionales des comptes, votre rapporteur rappellera qu'elles se sont vues reconnaître les mêmes pouvoirs que ceux attribués à la Cour des comptes par la loi du 22 juin 1967 (article 9).

Ainsi, le magistrat chargé d'instruire le dossier peut mener son enquête sur pièces et sur place. Il dispose des dossiers de contrôles budgétaires et de réquisition. Il peut également interroger le comptable et obtenir de lui des informations de nature à l'éclairer sur la gestion de la collectivité.

Par ailleurs, les représentants, administrateurs, fonctionnaires ou agents des collectivités et établissements publics doivent répondre à la convocation de la chambre régionale des comptes ( article L.241-4 du code des juridictions financières). Ils sont tenus de communiquer au rapporteur de la chambre tout document ou renseignement sur la gestion de services ou organismes soumis au contrôle de la chambre.

Pour les gestions ou opérations qui font appel à l'informatique, le magistrat chargé de l'instruction peut accéder à l'ensemble des données et programmes. De même qu'il a accès à tous les immeubles locaux et propriétés dépendant de la collectivité ou de l'établissement contrôlé.

Les magistrats instructeurs peuvent également demander des renseignements aux agents de l'Etat, aux services préfectoraux ou à la trésorerie générale notamment.

Les chambres régionales des comptes peuvent, pour des enquêtes très techniques, recourir à des experts.

Cette brève énumération montre l'étendue des moyens dont disposent les juridictions dans l'exercice de leurs missions.

b) Une procédure contradictoire insuffisamment affirmée

En contrepartie, le code des juridictions financières organise une procédure contradictoire qui s'applique à toutes les décisions que les chambres régionales des comptes peuvent prendre. En matière juridictionnelle, la procédure contradictoire est assurée par le double jugement (le premier jugement n'ayant qu'un caractère provisoire et permettant au comptable de répondre aux observations de la chambre).

Dans le cadre de l'examen de gestion, les observations ont d'abord un caractère provisoire 23( * ) . Avant l'établissement de ses observations définitives, la chambre régionale des comptes doit prévoir un entretien entre le magistrat rapporteur ou le président de la chambre et l'ordonnateur de la collectivité concernée.

Le cas échéant, un entretien doit également avoir lieu avec l'ordonnateur qui était en fonction au cours de l'exercice examiné.

Si la chambre régionale des comptes a le droit -comme la Cour des comptes- de convoquer tout représentant, administrateur, fonctionnaire ou agent des services des établissements et organismes contrôlés, elle a aussi le devoir d'entendre les personnes concernées.

Les observations définitives sur la gestion sont délibérées après l'audition, à sa demande, de la personne concernée ( article L 241-14 du code des juridictions financières).

Enfin, comme l'avait souhaité le Sénat lors de l'examen de la loi du 2 mars 1982, l'insertion au rapport public de la Cour des comptes des observations sur la gestion des collectivités locales et des organismes locaux relevant des chambres régionales des comptes, ouvre aux collectivité locales une sorte de droit de réponse. L'article L. 136-4 du code des juridictions financières fait obligation à la Cour des comptes d'informer les collectivités des observations qu'elle envisage d'insérer au rapport et de les inviter à faire part de leurs réponses. Celles-ci sont publiées à la suite des observations de la Cour.

Si ces dispositions ne doivent pas être sous-estimées, pour autant les auditions du groupe de travail ont mis en évidence que la procédure contradictoire n'apparaît pas suffisamment affirmée.

En premier lieu, le caractère contradictoire de la procédure n'est pas suffisant au sein même des chambres régionales des comptes.

Certes, pour les contrôles les plus importants, le président de la chambre ou le président de la section de cette chambre, peuvent désigner un magistrat contre-rapporteur. Celui-ci peut utilement apporter un nouvel éclairage sur la question soumise à la chambre régionale des comptes.

Mais, à la différence de la procédure suivie devant la Cour des comptes, la pratique du contre-rapport n'est pas systématique . Une telle situation n'est pas propice au traitement, dans les meilleures conditions, de questions souvent complexes et pour lesquelles le rôle des chambres régionales des comptes n'est pas de s'ériger en censeur de la gestion locale mais d'apporter aux élus locaux les conseils de nature à faciliter celle-ci.

Elle est d'autant plus regrettable, s'agissant d'institutions jeunes et disposant de magistrats-instructeurs parfois inexpérimentés.

De même, plusieurs magistrats entendus par le groupe de travail ont manifesté le souhait que la collégialité soit davantage affirmée, notamment pour la détermination des contrôles annuels mais aussi pour assurer un meilleur encadrement des conseillers-rapporteurs.

Plus profondément, les élus locaux ont trop souvent le sentiment que les réponses qu'ils présentent aux observations provisoires des chambres régionales des comptes ne sont pas prises en compte par ces dernières .

Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de rappeler, dans un arrêt de principe qui concernait la Cour des comptes (12 février 1993, Mme Gaillard), que la divulgation de tout ou partie de rapports provisoires rend tout intéressé recevable à demander à connaître les mentions le mettant en cause, à en contester l'exactitude et à en demander, le cas échéant, la suppression.

Certes, comme l'atteste l'analyse à laquelle le groupe de travail s'est livré, nombreuses sont les chambres régionales des comptes qui, dans leurs lettres d'observations définitives, prennent acte de la réponse de l'ordonnateur ou des mesures engagées par la collectivité pour redresser une situation.

Cette pratique -aussi positive soit-elle- n'apparaît pas suffisante. Elle ne reflète pas, en effet, l'existence d'un véritable dialogue entre la juridiction financière et les responsables des collectivités locales. Or seul un tel dialogue peut permettre à la juridiction financière d'apprécier, dans sa globalité, le contexte dans lequel les décisions locales ont été prises et mises en oeuvre.

Trop souvent, l'entretien ou la réponse de l'ordonnateur s'apparente à un simple acte de procédure ayant peu d'effet sur les observations définitives.

En témoigne la formule utilisée par certaines chambres régionales des comptes qui relèvent que la réponse de l'ordonnateur n'est pas de nature à modifier les observations de la chambre. Elle rapproche les observations sur la gestion d'un véritable jugement alors que tel n'est pas leur objet.

En toute hypothèse, le fait que les réponses des ordonnateurs ne soient pas annexées aux lettres d'observations définitives heurte le principe clairement affirmé par la loi du 17 juillet 1978 selon laquelle " toute personne a le droit de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées. Sur sa demande, ses observations à l'égard desdites conclusions sont obligatoirement consignées en annexe du document concerné ".

4. L'absence de procédure de recours

a) Des observations " sans appel "

Le contrôle de gestion ne peut entraîner une sanction d'ordre juridictionnel. Il en résulte que les lettres d'observations définitives ne peuvent faire l'objet d'un recours en appel devant la Cour des comptes.

Elles ne sont pas non plus susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

Saisi d'un recours à l'encontre d'un avis rendu par une chambre régionale des comptes dans le cadre des dispositions de la loi du 2 mars 1982 qui permettent au représentant de l'Etat de soumettre à la juridiction une convention relative à un marché ou à une délégation de service public, le Conseil d'Etat a considéré que l'avis ainsi émis ne présentait pas le caractère d'une décision susceptible d'être soumise au juge par la voie du recours pour excès de pouvoir (8 décembre 1995, Département de la Réunion).

S'agissant des observations rendues par une chambre régionale des comptes sur la gestion des collectivités, le tribunal administratif de Marseille a considéré que : " les observations formulées par la chambre régionale des comptes dans le cadre de l'examen de la gestion des collectivités (...) ne présentent pas, alors même qu'elles sont obligatoirement communiquées à l'assemblée délibérante de la collectivité intéressée dès sa plus proche réunion, inscrites à son ordre du jour et jointes à la convocation adressée à chacun de ses membres, le caractère de décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir " (1er mars 1995, société Sernica et commune de La Ciotat). Le Conseil d'Etat, saisi en appel de ce jugement, n'a pas encore rendu son arrêt.

b) Un double inconvénient

Cette situation présente un double inconvénient qui concerne, d'une part, les droits de la défense et, d'autre part, l'unification des pratiques des chambres régionales des comptes.

• S'agissant des droits de la défense , l'absence de recours lèse les droits des ordonnateurs mis en cause dans les lettres d'observations définitives, et, au-delà des ordonnateurs, les intérêts de la collectivité elle-même.

Par contraste, le jugement des comptes fait l'objet d'une procédure de première instance devant la chambre régionale des comptes, d'appel devant la Cour des comptes et de cassation devant le Conseil d'Etat.

Certes, l'argument invoqué pour expliquer cette distorsion -le fait que les observations sur la gestion ne sont pas rendues en forme juridictionnelle et ne sont pas assorties de sanctions- ne manque pas de valeur.

Il n'en demeure pas moins que ces observations -par leur contenu et par la publicité qui leur est obligatoirement donnée- sont susceptibles de porter préjudice à l'ordonnateur et à sa collectivité bien au-delà du simple prononcé d'une amende.

Depuis la loi du 15 janvier 1990, les observations définitives doivent, en effet, être communiquées par l'exécutif à son assemblée délibérante, dès sa plus prochaine réunion ( article 241-11 du code des juridictions financières).

Dès qu'a eu lieu la première réunion de l'assemblée délibérante suivant la réception par la collectivité de ces observations, elles peuvent être communiquées aux tiers ( article 120 du décret du 23 août 1995).

Ainsi, alors même que les questions soulevées dans la lettre d'observations n'ont pas nécessairement fait l'objet d'un véritable débat contradictoire et que les réponses de l'ordonnateur n'ont pas toujours été prises en comptes, celui-ci peut être mis en cause devant l'opinion sans qu'il puisse exercer un recours .

Cette situation ne peut que heurter les principes généraux d'un Etat de droit. Le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un acte dont la légalité est constestée constitue, en effet, un principe général du droit consacré par la jurisprudence.

• Sur le plan des pratiques des chambres régionales des comptes, l'absence de procédure de recours ne permet pas une unification qui serait pourtant nécessaire. Une instance d'appel pourrait, en effet, progressivement homogénéiser les solutions retenues face à des questions souvent complexes. Ses décisions -comme c'est le cas en matière juridictionnelle- serviraient de référence à des juridictions qui en manquent trop souvent.

Une procédure de recours aurait une double vertu de modération et de réflexion sur les chambres régionales des comptes.

B. LES COLLECTIVITÉS LOCALES FACE À L'EXAMEN DE LA GESTION : UNE SITUATION FRAGILISÉE

1. Une divulgation abusive des actes préparatoires et des lettres d'observations provisoires

a) Une amplification médiatique d'une vision réductrice

Le respect de la confidentialité des actes préparatoires et des lettres d'observations provisoires est la condition indispensable pour qu'un dialogue fructueux ait une chance de se développer entre la juridiction financière et les ordonnateurs locaux.

Telle a bien été la préoccupation du législateur lorsqu'il a prévu que la chambre régionale des comptes devait prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir le secret de ses investigations et que les propositions , les rapports et les travaux de la chambre étaient couverts par le secret professionnel .

Cette précaution est d'autant plus nécessaire que -comme ont tenu à le souligner devant le groupe de travail tant les représentants des élus que les magistrats des juridictions financières- le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes tire sa spécificité du fait qu'il concerne des ordonnateurs qui sont des élus, en tant que tels responsables devant le suffrage universel.

Or, la situation actuelle ne peut pas être considérée comme satisfaisante. Trop souvent, en effet, les observations provisoires sur la gestion sont publiées dans la presse avant même que les collectivités locales les aient elles-mêmes reçues. A l'inverse, les réponses des ordonnateurs à ces observations en principe provisoires sont rarement publiées.

Ainsi, sans que les intéressés aient pu faire connaître leurs réponses aux observations de la chambre régionale des comptes, leur condamnation médiatique est opérée par la voie de formules lapidaires extraites de documents provisoires, estimant que les intérêts de la collectivité ont été " perdus de vue " , que des " opérations frauduleuses " ont été réalisées ou que le rapport provisoire est " accablant " pour l'ordonnateur.

Il en résulte une " amplification médiatique d'une vision réductrice " , selon la formule de notre collègue Jean Puech, président de l'Assemblée des présidents des conseils généraux. Les chambres régionales des comptes sont, en effet, obligées de concentrer leurs analyses sur des aspects limités de la gestion d'une collectivité. Dans ces conditions, leurs lettres d'observations ne permettent pas en général de se forger une opinion concrète fondée sur une vision globale de cette gestion. La divulgation dans la presse d'informations provisoires ne peut qu'accentuer cette caractéristique.

Or, l'impact de cette médiatisation est sans commune mesure avec la publicité qui peut, par exemple, être donnée aux observations consignées dans le rapport annuel de la Cour des comptes concernant diverses administrations publiques. Dans le cas des observations des chambres régionales des comptes, c'est en effet un élu nommément désigné qui est mis en cause devant l'opinion publique.

Le rapport entre le contrôleur et le contrôlé est dès lors déséquilibré avant même la fin de la procédure légale.

A son corps défendant, l'organe de contrôle -auquel le législateur a entendu confier une mission de conseil- peut ainsi se trouver instrumentalisé au service d'objectifs qui lui sont étrangers. Cette situation est d'autant plus marquée lorsqu'elle intervient dans une période préélectorale.

L'origine de la divulgation de documents provisoires est, par définition, difficile à déterminer.

Plusieurs magistrats entendus par le groupe de travail ont tenu à souligner que les magistrats des chambres régionales des comptes n'avaient eux-mêmes aucun intérêt à de telles divulgations qui en définitive ne pouvaient que nuire à l'image et au rôle de leur institution.

b) Les sanctions applicables

Dans la mesure où ces divulgations seraient imputables à des magistrats, le groupe de travail observe que des sanctions existent et qu'elles doivent en principe prévenir certains comportements condamnables.

L'article L. 140-6 du code des juridictions financières prévoit, en effet, une obligation générale applicable à tous les magistrats des juridictions financières de respecter l'obligation du secret professionnel des magistrats.

L'article L. 220-1 soumet les membres du corps des chambres régionales des comptes au statut général des fonctionnaires. Or, l'article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires spécifie que ceux-ci sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées par le code pénal.

L'article 226-13 du code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 100.000 francs d'amende la révélation d'une information de caractère secret par une personne qui en est dépositaire notamment en raison d'une fonction.

En outre, sur le fondement de l'article 321-1 du même code, la communication d'observations provisoires constituant une atteinte au secret professionnel, la détention par un tiers de ces observations en connaissance de cause, constitue l'infraction de recel d'informations provenant d'une violation du secret professionnel.

Si la décision de communiquer à des tiers des observations provisoires émane de la juridiction elle-même, elle peut faire l'objet -en tant qu'elle fait elle-même grief- d'un recours devant la juridiction administrative.

Cependant, comme l'ont souligné plusieurs magistrats entendus par le groupe de travail, une difficulté supplémentaire vient de la communication des observations provisoires à une pluralité de destinataires ( les ordonnateurs des collectivités concernées et leurs prédécesseurs mais aussi toute personne nominativement ou explicitement mise en cause) dont les intérêts ne sont pas toujours convergents.

Enfin, depuis la loi du 15 janvier 1990, qui a prévu la publicité des observations définitives des chambres régionales des comptes, les actes préparatoires du contrôle de gestion (mesures d'instruction, rapports et communications provisoires) sont soumis au régime de la communication des actes administratifs institués par la loi du 17 juillet 1978.

Ce régime -qui contraste avec celui applicable à la Cour des comptes ( article L 140-9 du code des juridictions financières)- expose les documents préparatoires d'instruction des chambres régionales des comptes au risque d'être considérés comme communicables à tout moment à toute personne en faisant la demande et y ayant intérêt, quand bien même les propositions, les rapports et les travaux de la chambre régionale des comptes sont couverts par le secret professionnel ( article L. 241-6 ).

2. Les lacunes des lettres d'observations définitives

a) L'absence de hiérarchisation des observations

La forme que revêtent les lettres d'observations définitives soulève des critiques. Parmi celles-ci, celle la plus souvent formulée par les représentants des élus devant le groupe de travail est le caractère parcellaire et réducteur des questions abordées dans les lettres d'observations.

Il est vrai que la tâche impartie à un magistrat-instructeur n'est pas simple. Chargé d'un dossier inscrit au programme annuel de travail de la chambre régionale des comptes, qui ne précise en général que les exercices qui devront être examinés, il lui revient de délimiter son champ d'intervention.

Dans un champ de compétence d'une collectivité qui est vaste, il doit donc opérer des choix. Au-delà d'une analyse financière -exercice obligé- il doit soit examiner le plus grand nombre d'aspects de la gestion de la collectivité dans le temps encore disponible, soit ne s'intéresser qu'à des actions ponctuelles mais significatives.

Cette contrainte de temps conduit le plus souvent le magistrat-instructeur à limiter ses analyses à des aspects de la gestion locale qui, s'ils peuvent pour certains d'entre eux être importants, n'en sont pas moins parcellaires .

Or, cette démarche conduit le magistrat puis la chambre à donner un éclairage particulier à une action locale sans que l'importance de cette action dans l'ensemble de la gestion de la collectivité ne soit mise en évidence.

Elle aboutit à traiter sur le même plan des actions secondaires et des actions tout à fait essentielles d'une collectivité. Dans ce contexte, une irrégularité formelle relevée dans un domaine marginal de l'action locale peut prendre une ampleur probablement démesurée.

L'analyse financière globale devrait, au contraire, faire apparaître l'importance relative des différentes actions de la collectivité. Un guide d'analyse normalisée pourrait parfaitement répondre à cette exigence.

L'absence de hiérarchisation des observations est durement ressentie par les élus locaux qui peuvent avoir légitimement le sentiment que l'examen opéré par la chambre régionale des comptes ne rend pas compte de la réalité de la gestion de leur collectivité.

Ce sentiment est renforcé par le fait que, trop souvent, les lettres d'observations se bornent à faire état des aspects négatifs relevés dans l'examen de la gestion d'une collectivité sans mentionner les aspects positifs . Le groupe de travail tient cependant à souligner l'effort opéré par certaines chambres pour équilibrer la présentation d'une collectivité . Cette démarche devrait être approfondie.

Enfin, le caractère parcellaire de l'examen de gestion par les chambres régionales des comptes de même que l'objectif du contrôle de gestion, qui n'est pas de sanctionner mais de contribuer à une bonne gestion locale, devraient inciter à une très grande vigilance dans la forme des lettres d'observations.

Or, certaines formulations concourent à ce que les lettres d'observations apparaissent en définitive comme de véritables " jugements ", en fait sinon en droit.

b) L'absence de recommandations concrètes

Le contrôle de gestion doit constituer une aide à la gestion locale. Il n'a donc pas seulement pour objet de relever certaines irrégularités ou de dresser un constat financier d'une politique locale. Son ambition doit être plus ample et aboutir, à partir d'un constat, à la formulation de recommandations concrètes qui, sans mettre en cause la liberté de gestion, pourront aider l'ordonnateur et sa collectivité dans une perspective de renforcement de la qualité de la gestion locale.

La Cour des comptes, dans des rapports particuliers a ainsi cherché à favoriser une meilleure adaptation de la gestion locale, pour ce qui est de la dette et de la trésorerie par exemple, ou à établir un bilan équilibré de l'action des collectivités locales dans des domaines tels que l'enseignement du second degré, l'aide sociale ou encore la gestion des offices HLM.

Certains rapports particuliers résultant d'enquêtes menées en commun par la Cour et les chambres régionales des comptes ont aussi permis de souligner certaines inadéquations du cadre législatif en vigueur, notamment en ce qui concerne les interventions des collectivités territoriales en faveur des entreprises (rapport de novembre 1996).

Le groupe de travail relève, à la lecture de lettres d'observations, que certaines d'entre elles cherchent utilement à tirer, de manière positive, à destination des ordonnateurs, les conséquences de l'examen de la gestion.

Cette démarche ne paraît cependant pas encore suffisamment affirmée. Ce qui peut expliquer le fait que trop d'élus locaux ne perçoivent pas le concours que cette expertise peut apporter à la gestion de leur collectivité.

L'absence d'une prescription de portée générale qui ferait obligation aux chambres régionales des comptes d'assortir leurs observations de propositions concrètes produit ainsi des effets négatifs. Elle contribue à affaiblir le dialogue entre les juridictions financières et les collectivités locales, contrairement à l'objectif visé par le législateur.

3. L'absence de sécurité juridique des actes des collectivités locales

a) Une mise en cause a posteriori

Les délais dans lesquels interviennent les lettres d'observations définitives constituent une difficulté objective pour les collectivités locales.

En effet, le délai entre la prise de décision et l'examen de la gestion par la chambre régionale des comptes est souvent très long .

Il en résulte qu'une même lettre d'observations peut porter à la fois sur une gestion ancienne qui n'a pas relevé de l'ordonnateur actuellement en fonction et sur une gestion récente dont tel ou tel aspect pourra faire l'objet de mesures nouvelles de la part de cet ordonnateur.

La lettre d'observations définitives peut donc apparaître, dans certains cas, plus comme une " photographie " d'une situation passée que comme le reflet d'une situation présente, susceptible le cas échéant d'être améliorée.

b) Des divergences entre le contrôle de légalité et les chambres régionales des comptes préjudiciables à la bonne gestion locale

Plus profondément, le décalage entre la prise de décision et le contrôle de gestion opéré par les chambres régionales des comptes aboutit à des divergences entre les analyses des chambres et le contrôle de légalité.

Les auditions auxquelles le groupe de travail a procédé mettent en évidence l'incompréhension légitime des élus locaux face à cette situation.

En effet, des actes qui n'ont pas appelé d'observations particulières de la part du contrôle de légalité et dont la régularité apparaissait dès lors incontestable, peuvent plusieurs années après être remis en cause par la chambre régionale des comptes dans le cadre de l'examen de la gestion.

Les collectivités locales se trouvent ainsi face à deux organes de contrôle qui, pour un même acte, peuvent avoir des appréciations divergentes 24( * ) .

Cette situation n'est d'ailleurs pas spécifique aux relations entre le contrôle de légalité et les chambres régionales des comptes. Le rapport de notre collègue Pierre Fauchon au nom du groupe de travail de la commission des Lois sur la responsabilité pénale des élus locaux, sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye (n° 328, 1994-1995), avait lui-même souligné la réaction d'incompréhension des élus locaux lorsque leur responsabilité pénale est mise en cause à propos d'actes soumis au contrôle de légalité lequel n'avait donné lieu à aucune observation.

Comme l'a relevé le rapport de notre collègue Daniel Hoeffel au nom du groupe de travail de la commission des Lois sur la décentralisation, présidé par M. Jean-Paul Delevoye (n° 239, 1996-1997), on aboutit " à une sorte de confusion dans la définition et la mise en oeuvre du champ des contrôles juridictionnels exercés respectivement par le juge administratif et par le juge répressif, voire par les juridictions financières ".

Certes, ces distorsions d'appréciation entre le juge financier et le contrôle de légalité peuvent s'expliquer par la nature des actes en cause.

Comme l'ont souligné certains magistrats entendus par le groupe de travail, le contrôle de légalité peut avoir eu connaissance de l'acte initial mais pas de certaines modalités d'exécution. Le juge financier, qui est saisi de l'ensemble des actes intéressant une même opération, se doit de relever toutes les irrégularités qu'il observe.

En outre, ainsi que l'a fait observer devant le groupe de travail M. Joël Thoraval, président de l'Association du corps préfectoral, le contrôle de légalité ne se borne pas à recourir à des voies de droit contraignantes. Il tient compte des conditions réelles d'exercice des compétences locales.

Il n'en demeure pas moins que ces divergences d'appréciation ne peuvent que contribuer à l'insécurité juridique des actes des collectivités locales.

Ces divergences peuvent aussi se rencontrer entre une solution dégagée par un tribunal administratif et l'appréciation que peut avoir une chambre régionale des comptes dans le cadre de l'examen de la gestion. Dans un tel cas, la chambre qui agit dans un cadre non juridictionnel devrait s'incliner devant la décision de justice.

IV. LES INSUFFISANCES DU RÉGIME DE LA GESTION DE FAIT

A. LA DÉFINITION DE LA GESTION DE FAIT

En application du principe traditionnel de la séparation des ordonnateurs et des comptables, le comptable est seul chargé de l'encaissement des recettes, du paiement des dépenses et de la conservation des fonds et valeurs ( article 11 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique).

Les régies d'avances ou de recettes, par lesquelles un ordonnateur peut procéder à paiement ou à encaissement d'une somme sans faire appel au comptable, constituent une exception classique à cette règle.

Mais, en dehors de ces cas, les personnes qui s'immiscent sans titre dans la procédure comptable publique sont considérées comme comptables de fait. Cette qualification vise non seulement les ordonnateurs qui n'ont pas respecté le principe de séparation mais aussi toute personne privée, physique ou morale, qui détient ou manie sans titre des fonds publics.

La gestion de fait : des origines anciennes

La notion de gestion de fait est ancienne. L'ordonnance royale sur la Chambre des comptes de 1319 interdisait à tous autres qu'aux " receveurs à ce établis " de recevoir les deniers royaux.

L'Edit de Saint-Germain de 1663 faisait " défense à toutes sortes de personnes de s'immiscer en la recette et maniement de nos deniers sans nos lettres de provision ou commissions registrées en nos chambres de comptes ".

Une déclaration du 18 mars 1738 soumettait à la même responsabilité que les comptables " tous ceux qui auraient effectué le maniement des deniers royaux à quelque titre que ce soit ".

La thérorie a été précisée par plusieurs arrêts rendus par la Cour des comptes au cours du XIXe siècle et ratifiée par le Conseil d'Etat. L'arrêt le plus ancien de la Cour des comptes sur cette question semble remonter au 23 août 1834 (Ville de Roubaix).

La juridiction financière s'appuyait alors sur le code civil : l'article 1372 (obligations du gérant d'affaires), l'article 1993 (obligations du mandataire) et sur l'ordonnance royale du 23 avril 1823.

Cette théorie de la gestion de fait a par la suite été consacrée par le décret du 31 mai 1862 (article 25) portant règlement général sur la comptabilité publique, aujourd'hui abrogé, qui précisait que " toute personne autre que le comptable qui, sans autorisation légale, se serait ingérée dans le maniement des deniers publics, est, par ce seul fait, constituée comptable (...) comme s'étant immiscée, sans titre, dans des fonctions publiques. "

Cette théorie a enfin été reprise et précisée par l'article 60-XI de la loi du 23 février 1963.

L'article 60-XI de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 dispose que :

" Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste comptable ou dépendant d'un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou des valeurs qu'elle a irrégulièrement détenus ou maniés.

" Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou des valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d'un organisme public, et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou des valeurs n'appartenant pas aux organismes publics mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d'exécuter en vertu de la réglementation en vigueur.

" Les gestions de fait sont soumises aux mêmes juridictions et entraînent les mêmes obligations et responsabilités que les gestions régulières ".


Ainsi définie, la gestion de fait vise des opérations et les personnes qui les ont effectuées.

L'article L. 231-3 du code des juridictions financières attribue compétence à la chambre régionale des comptes pour juger " dans les mêmes formes et sous les mêmes sanctions (que les comptabilités régulières) les comptes que lui rendent les personnes qu'elle a déclarées comptables de fait d'une collectivité ou d'un établissement public relevant de sa compétence ".

En outre, l'article L. 231-5 spécifie que " la chambre régionale des comptes n'a pas juridiction sur les ordonnateurs, sauf sur ceux qu'elle a déclarés comptables de fait ".

La procédure de gestion de fait a pour objet essentiel d'une part de rétablir les formes comptables , en assujettissant le comptable de fait aux mêmes obligations qu'un comptable patent, d'autre part, de rétablir les formes budgétaires , en faisant délibérer l'organe ayant le pouvoir d'autoriser les dépenses.

B. LA MULTIPLICATION DES RISQUES

Force est de constater que, si le nombre de cas de gestion de fait reste somme toute très limité, la diversification très grande des activités locales et la nécessité pour les collectivités locales de répondre aux demandes multiples de la population ont eu tendance à exposer davantage les ordonnateurs au risque de la gestion de fait.

Le nombre de déclarations provisoires de gestion de fait par la Cour des comptes en ce qui concerne les collectivités et établissements locaux, avant la décentralisation, se situait entre cinq et dix par an (5 en 1980 ; 10 en 1981 ; 8 en 1982). Les chambres régionales des comptes opèrent entre trente-cinq et quarante déclarations provisoires par an (36 en 1986 ; 40 en 1987 ; 37 en 1988). Dans la période la plus récente, cette tendance s'est légèrement accentuée (66 en 1993 ; 53 en 1994 ; 48 en 1995 et 49 en 1996).

Or, le plus souvent, ces gestions de fait concernent des ordonnateurs qui, sans que leur bonne foi ne soit en cause , se sont placés en dehors du cadre prévu par la loi.

L'extension importante des associations para-administratives -utilisées pour remédier aux rigidités très fortes de la gestion publique ou pour engager des actions impliquant des partenaires extérieurs- a en particulier favorisé le développement des situations de gestion de fait.

En matière de recouvrement de recettes publiques, l'engagement d'une procédure de gestion de fait résulte fréquemment de l'encaissement de bonne foi par des personnes dépourvues de toute habilitation, de recettes destinées à une collectivité ou à un organisme doté d'un comptable public, lequel est seul autorisé à les recouvrer.

Tel peut être le cas, par exemple, de l'encaissement par une association non habilitée ou par le maire du produit de la location d'une salle des fêtes. Il peut s'agir également de l'encaissement par le secrétaire de mairie de recettes du camping municipal ou par un bibliothécaire des recettes de la bibliothèque municipale sans création d'une régie de recettes.

En matière d'extraction de deniers publics, certaines situations irrégulières relevées par les chambres régionales des comptes ont pu concerner des mandats fictifs consistant pour l'ordonnateur à conserver la maîtrise de l'utilisation de la subvention versée. Il en est en particulier ainsi s'il en fait usage pour payer des dépenses relevant de la responsabilité de la collectivité qu'il dirige et non de l'objet social de la personne morale bénéficiaire de la subvention.

Il peut en être ainsi notamment lorsqu'une association subventionnée prend en charge des factures libellées au nom de la commune. De nombreux cas ont pu, par ailleurs, concerner le versement de compléments de rémunération au personnel au travers d'associations subventionnées, situation certes peu satisfaisante mais qui traduit l'inadéquation des régimes indemnitaires des fonctionnaires territoriaux.

Très souvent, le degré d'autonomie dont dispose l'association subventionnée constitue le critère essentiel retenu par la chambre régionale des comptes pour apprécier l'existence d'une gestion de fait.

Lorsque l'association ne jouit d'aucune autonomie , les fonds versés conservent le caractère de deniers publics puisque ce sont les services de la collectivité qui décident dans le détail de l'utilisation qui en est faite. Pour apprécier l'autonomie de l'association par rapport à la collectivité, la chambre régionale des comptes examine si l'association -en raison des fonctions de ses membres, de la composition de son bureau ou de l'origine de ses ressources- n'est pas le simple relais des services de la collectivité. Si tel est le cas, la gestion de fait est établie.

Si, le plus souvent, les irrégularités relevées ne sont pas très graves et traduisent une méconnaissance de bonne foi des règles de la comptabilité publique, il n'en demeure pas moins qu'elles doivent être corrigées .

Une procédure peut être ouverte d'office par une chambre régionale des comptes lorsqu'elle découvre des opérations constitutives de gestion de fait à l'occasion de l'un de ses contrôles.

Elle peut également faire suite à un réquisitoire du commissaire du Gouvernement sur communication d'un préfet, d'un trésorier payeur général, du procureur général près la Cour des comptes ou -depuis le décret du 23 août 1995- d'un procureur de la République. Il semble que la majorité des communications soient encore le fait des trésoriers payeurs généraux.

Notons, cependant, que le commissaire du Gouvernement (art. 24 du décret précité) dispose d'un pouvoir d'appréciation pour donner ou non suite aux communications qui lui sont transmises.

Les lettres d'observations peuvent permettre d'obtenir la régularisation d'une situation, l'ordonnateur étant alerté dans le cadre de la lettre d'observations provisoires. La lettre d'observations définitives mentionne la régularisation intervenue et, sauf réquisitoire du ministère public, le recours à une procédure juridictionnelle peut être écartée.

Ces régularisations aboutissent, par exemple, à la dissolution d'associations para-administratives prenant en charge des missions que les collectivités locales ne peuvent déléguer ou à la modification des statuts d'associations destinée à leur donner davantage d'autonomie.

De nombreuses chambres régionales des comptes estiment qu'elles peuvent -dès lors que les pratiques irrégulières ont cessé, qu'elles ont été régularisées et que les gestionnaires de fait sont de bonne foi- renoncer à déclarer la gestion de fait pour absence d'intérêt pratique de la procédure . Tel est le cas, par exemple, lorsque toutes les écritures litigieuses ont été notifiées ou que les recettes encaissées sans titre légal ont été intégralement reversées au comptable public.

Cependant, force est de constater que l'ordonnateur n'est pas toujours alerté sur l'existence d'une situation irrégulière l'exposant à une gestion de fait.

D'une part, l'examen de la gestion peut n'intervenir que plusieurs années après que la situation de gestion de fait a commencé. D'autre part, et surtout, au cours même de l'examen de la gestion d'une collectivité, la chambre régionale des comptes -faute de temps- peut ne pas relever l'existence d'une gestion de fait. Dès lors, l'ordonnateur peut se croire en droit de considérer que les aspects de sa gestion qui n'ont pas fait l'objet d'observations de la part de la chambre sont réguliers. Or, la sanction de la gestion de fait pourra intervenir ultérieurement. Elle est lourde et souvent disproportionnée par rapport à l'objet même de cette procédure.

C. DES SANCTIONS AUTOMATIQUES INADÉQUATES

Comme pour les jugements des comptes des comptables patents, la règle du double jugement s'applique à la procédure de déclaration de gestion de fait. Le premier jugement de déclaration provisoire doit être motivé par de sérieuses présomptions. Il décrit les opérations constitutives de la gestion de fait et désigne les personnes qui paraissent y avoir pris part. Le jugement provisoire doit être notifié aux intéressés ainsi qu'à l'ordonnateur de la collectivité concernée.

Cette notification ouvre une procédure contradictoire qui a été sensiblement renforcée par les textes récents (le décret n° 95-945 du 23 août 1995 notamment) et par la jurisprudence tant de la Cour des comptes que du Conseil d'Etat.

Au terme de cette procédure contradictoire, un jugement définitif peut intervenir.

La sanction de la gestion de fait est de nature soit financière soit pénale.

L'article 60-XI de la loi de finances du 23 février 1963 prévoit que les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n'ont pas fait l'objet de poursuites au titre du délit d'usurpation de fonctions (prévu par l'article 433-12 du code pénal et puni de trois ans d'emprisonnement, de 300.000 francs d'amende et de peines complémentaires par l'article 433-22 ), être condamnés aux amendes prévues par la loi.

Mais à ces sanctions s'ajoutent, lorsque l'élu est déclaré définitivement gestionnaire de fait, la démission d'office. Pour des raisons vraisemblablement historiques, cette démission est prononcée par le préfet du département pour les conseillers municipaux ( article L. 236 du code électoral) et par le préfet de région pour les conseillers régionaux (article L. 341 ) mais par le conseil général pour les conseillers généraux ( article L. 205 ). Une harmonisation des solutions applicables pourrait -semble-t-il- être envisagée.

L'inéligibilité postérieure à l'élection du comptable de fait

Dans le cas de l'inéligibilité concernant les comptables (article L. 231 6 ° du code électoral), il est de jurisprudence constante que sont inéligibles au conseil municipal les personnes se trouvant dans la situation de comptable de fait dès lors que le compte n'est pas apuré au jour de l'élection (Conseil d'Etat, 1er décembre 1922, Elections comme conseiller municipal et maire de Nicolas-Vermelle ; 5 février 1926, Elections municipales de Crémeaux ; 21 mai 1926, Elections municipale de Quers ; 24 juillet 1987, Elections municipales de Clouanges).

Lorsque la situation du comptable de fait est constituée postérieurement à l'élection, s'appliquent les dispositions de l'article L.236 du code électoral qui prévoit la démission d'office de l'intéressé par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours et sauf recours au Conseil d'Etat.

Néanmoins, depuis la loi du 26 juillet 1991, le conseiller municipal déclaré comptable de fait peu recevoir quitus de sa gestion dans les six mois de l'expiration du délai de production des comptes imparti par le jugement définitif du juge des comptes. Dans ce cas, la procédure de démission d'office n'est pas mise en oeuvre.

Ainsi conçu, ce régime automatique d'inéligibilité et de démission apparaît -de l'avis même des magistrats financiers entendus dans le groupe de travail- très lourd et inadapté à l'objet même de la procédure de gestion de fait qui est de rétablir la règle de séparation des ordonnateurs et des comptables.

Il place, en effet, la chambre régionale des comptes qui prend une décision de gestion de fait dans la position d'être juge non seulement de la régularité comptable mais aussi, le cas échéant, de l'avenir du mandat de l'ordonnateur .

Ainsi, l'article L. 231 du code électoral qui prévoit l'inéligibilité du comptable exerçant ses fonctions dans le ressort dans les six mois précédant l'élection implique pour le juge financier soit de tenir compte de cette conséquence juridique avant de déclarer l'intéressé comptable de fait, soit de ne pas en tenir compte, obligeant ce dernier à régulariser sa situation dans des conditions difficiles.

Quant à la démission d'office, le délai de six mois prévu par l'article L. 236 du code électoral pour régulariser la situation de l'intéressé apparaît très court.

L'appel du jugement de déclaration définitive de gestion de fait -qui peut être interjeté dans un délai de deux mois à compter de sa notification- n'a en principe pas d'effet suspensif " sauf s'il en est autrement décidé par la Cour des comptes " ( article 70 du décret du 23 août 1995).

Les inéligibilités et démissions d'office qui frappent les gestionnaires de fait résultent de l'application aux comptables de fait des inéligibilités que le code électoral prévoit pour les comptables publics patents . Elles ne constituent donc en aucun cas des sanctions complémentaires appliquées par le juge des comptes.

En dépit de l'assouplissement que constitue la possibilité pour le comptable de fait de régulariser sa situation dans un délai de six mois et de la possibilité pour l'intéressé de se présenter aux élections après avoir obtenu un sursis à exécution de la Cour des comptes (Conseil d'Etat, 12 juin 1996, Elections municipales de Mutzig), les conséquences électorales d'une gestion de fait sont très lourdes pour les élus de bonne foi et qui n'ont pas lésé les intérêts de leur collectivité.

Un dispositif mieux adapté qui prévoirait une simple suspension des fonctions d'ordonnateur devrait donc être envisagé.

DEUXIEME PARTIE


LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL :

RENOVER LES CONDITIONS D'EXERCICE DE L'EXAMEN DE LA GESTION ET RENFORCER LA SECURITE JURIDIQUE DES ACTES DES COLLECTIVITES LOCALES

Les propositions que formule le groupe de travail, au terme de ses investigations et des auditions auxquelles il a procédé, sont dictées par un double souci : " normaliser " les relations entre les chambres régionales des comptes et les élus locaux ; moderniser les conditions d'exercice du contrôle financier.

Loin de contester la nécessité du contrôle exercé par les chambres, qui constitue le corollaire indispensable du renforcement de l'autonomie des collectivités locales et de l'accroissement de leurs compétences, le groupe de travail considère que l'établissement de relations confiantes entre les collectivités et les juridictions financières représente une condition préalable à l'exercice d'un contrôle serein, constructif et respectueux des droits de la défense.

Il faut en finir avec " cette ère du soupçon " et créer les conditions d'un dialogue entre les contrôleurs et les contrôlés fondé sur un respect mutuel.

A cet égard, les magistrats des chambres régionales des comptes doivent prendre conscience que les collectivités locales ne sont pas des entités mineures, mal gérées ou gérées sans rigueur : elles sont devenues, depuis la relance de la décentralisation intervenue en 1982, des acteurs économiques et sociaux majeurs, qui exercent des compétences essentielles pour la vie quotidienne de nos concitoyens.

Acteurs économiques majeurs, les collectivités locales le sont à l'évidence.

Le total de leurs dépenses annuelles s'élève aujourd'hui à plus de 850 milliards de francs : cette masse financière représente plus de la moitié du budget de l'Etat et environ 11 % du produit intérieur brut de la France.

Par ailleurs, les collectivités locales emploient actuellement 1,5 million de personnes soit près du tiers de l'ensemble de la fonction publique et plus de 7 % de la population active salariée.

En outre, et surtout, les collectivités locales sont les premiers investisseurs publics de France puisqu'elles réalisent, loin devant l'Etat et les organismes sociaux, 72 % de la formation brute de capital fixe des administrations publiques, c'est-à-dire de l' investissement public civil. Il s'agit là d'un rôle considérable qui fait des collectivités locales des moteurs de la connaissance. Certes la contribution des collectivités locales à la croissance de notre pays ne peut être chiffrée avec certitude ; mais il est possible d'affirmer, sans craindre de se tromper, que la croissance molle que connaît notre pays depuis le début des années 1990, aurait été encore plus faible, et le chômage encore plus élevé, si les collectivités locales n'avaient pas consenti un tel effort d'investissement.

Enfin, par leur action quotidienne et le maillage de solidarité qu'elles assurent, les collectivités locales ont, jusqu'à présent, évité que le tissu social ne se déchire de manière irréversible ou explosive.

Acteurs économiques et sociaux de premier plan, les collectivités locales apparaissent également, dans leur quasi totalité, comme des entités bien gérées, en dépit de la montée des dépenses incompressibles, de l'explosion des dépenses sociales, des transferts de compétences mal compensés et de la progression modérée des concours de l'Etat.

C'est ainsi que l'endettement des collectivités locales, qui s'élève à 825 milliards de francs, est resté stable : il représente, depuis plus de 20 ans, environ 10 % du PIB.

Cette dette équivaut à moins d'une année du total des budgets locaux, alors que l'Etat devrait consacrer deux ans et sept mois de son budget pour rembourser sa dette qui s'élève à 4.100 milliards de francs.

En outre, les collectivités locales ont dégagé, en 1997, grâce notamment à une gestion active et avisée de leur dette , une capacité de financement également à 0,20 % du PIB. Cet excellent résultat contraste avec les " contre-performances " de l'Etat et des organismes de sécurité sociale qui ont affiché un déficit équivalent à 3,2 % du PIB.

C'est la bonne gestion des collectivités locales qui a permis à la France de se qualifier pour l'euro.

Cette saine gestion locale oppose un démenti aux allégations selon lesquelles les collectivités territoriales constitueraient des îlots de laxisme et de gabegie dans un océan de rigueur et d' austérité.

Il est vrai que les collectivités locales sont condamnées à la vertu budgétaire puisque la loi leur interdit, fort judicieusement, certaines pratiques que l'Etat s'autorise comme l'adoption d'un budget en déficit ou le recours à l'emprunt pour financer des dépenses de fonctionnement...

Si les magistrats des chambres régionales des comptes doivent être conscients de la montée en puissance des collectivités locales, il leur appartient également de prendre en considération les difficultés auxquelles se heurtent les élus locaux dans l'exercice quotidien de leurs compétences.

A cet égard, il semble indispensable que le contrôle financier soit " mieux vécu " par les élus locaux et qu'il se déroule dans un climat plus serein et moins " suspicieux ".

A force de multiplier les contraintes, d'engager de manière quasi automatique la responsabilité des élus locaux et de les considérer comme des " délinquants potentiels ", on risque de décourager les vocations et de détourner les bonnes volontés de la tâche, pourtant exaltante, que constitue le service du public.

Un tel risque est réel comme en témoigne le fort pourcentage de maires sortants, et encore jeunes, qui ne se sont pas représentés aux dernières élections municipales.

Quant aux élus locaux, ils doivent résister à la tentation de considérer le contrôle comme une " brimade ". Le contrôle, qui constitue la contrepartie démocratique du renforcement des pouvoirs dévolus aux collectivités locales, s'avère encore plus indispensable dans un contexte de rareté de l'argent public.

Telles sont les considérations générales qui ont présidé à la conception des propositions formulées par le groupe de travail.

Elles s'articulent autour de deux idées majeures :


• rénover les conditions d'exercice de l'examen de la gestion des collectivités locales ;


et, renforcer la sécurité juridique des actes des collectivités locales.

CHAPITRE PREMIER

RENOVER LES CONDITIONS DE L'EXAMEN DE LA GESTION DES COLLECTIVITES LOCALES

L'examen de la gestion des collectivités locales, qui s'exerce concomitamment ou postérieurement à la vérification des comptes, concentre l'essentiel des critiques formulées par les élus locaux à l'encontre des " pratiques " des juridictions financières.

Les griefs les plus communément formulés portent sur :

- l' inégalité de traitement des collectivités locales au regard du contrôle exercé par les chambres en raison des disparités de taille entre les chambres, des différences de rythme dans leurs travaux, et des disparités de tonalité et de sévérité de leurs observations pour des situations identiques ;

- le climat dans lequel se déroule l'examen qui peut parfois donner aux élus locaux l'impression de faire l'objet d'une véritable inquisition ;

- l' accent mis par les chambres sur les seuls aspects négatifs d'une gestion (" la préférence pour le pathologique ") sans resituer ces éléments dans l'ensemble de l'action de la collectivité, afin de les pondérer et de les relativiser ;

- l' absence de hiérarchisation des observations, l'important et le secondaire, l'essentiel et l'anecdotique étant trop souvent placés sur le même plan ;

- la publicité qui est parfois faite à des observations provisoires dont la véracité n'est pas toujours établie ;

- la disproportion existant entre, d'une part, le caractère non juridictionnel de l'examen de la gestion qui devrait s'apparenter à une aide à la gestion, " dépassionnalisée " et " banalisée " et, d'autre part, l'impact médiatique des observations formulées par les chambres dont le retentissement est lié à l'aura de juridiction dont elles sont parées ;

- la dérive, plus ou moins subreptice, du contrôle de gestion vers une appréciation de l'opportunité ou de la pertinence des choix effectués par la collectivité, qui relèvent pourtant de la responsabilité exclusive des élus.

Il apparaît donc indispensable de rénover et de moderniser les conditions d'exercice de l'examen de la gestion des collectivités locales afin que ce " contrôle ", dont la nécessité et l'utilité ne sont pas contestables, soit " accepté " par les élus locaux, cette acceptation constituant le gage de son efficacité.

Cette rénovation de l'examen de gestion passe, d'une part, par l'élaboration d'un " code du bon usage du contrôle " et par une définition législative de l'objet de ce contrôle et, d'autre part, par un renforcement des garanties dont doivent bénéficier les " contrôlés ".

Enfin, cette harmonisation des pratiques des chambres suppose une homogénéisation de la dimension et des moyens des juridictions financières.

I. ELABORER UN " CODE DU BON USAGE DU CONTRÔLE " ET DEFINIR L'OBJET DE L'EXAMEN DE GESTION

A. POUR L'EDICTION D'UN " CODE DU BON USAGE " DE L'EXAMEN DE GESTION

La proposition de loi, présentée en mars 1997 par nos collègues Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois, a eu le mérite de faire prendre conscience à la Cour des comptes de l'ampleur du malaise et de l'étendue du malentendu qui affectent les relations entre les élus locaux et les juridictions financières.

C'est ainsi que la Cour a élaboré, au terme d'une étroite concertation avec les chambres régionales, qui s'est achevée en juillet 1997, un " texte de référence " sur l'objet et la forme des observations des chambres.

Ce texte, qui consacre des " principes généraux et de bon sens ", constitue à l'évidence, une avancée positive ; mais il apparaît également, en raison de certaines de ses lacunes, comme une initiative perfectible.

1. Une avancée positive

Le premier mérite du " texte de référence " est celui d'exister . Certes, ce texte ne constitue pas une " instruction " adressée aux chambres régionales des comptes : une telle démarche aurait été incompatible avec le statut des juridictions et de leurs magistrats ; mais ce texte n'est pas dénué de portée puisqu'il représente " l'expression d'une volonté concertée ". Il a, en effet, été élaboré sous l'égide de la Cour, à l'issue d'une large consultation des présidents de chambres, des magistrats et de leurs organisations représentatives. Ce texte a, de plus, été soumis au Conseil supérieur des chambres régionales des comptes. Cette démarche originale a débouché sur un document qui comporte de nombreux aspects positifs.

Tout d'abord, le texte insiste sur le " souci de cohérence ", qualifié " d'exigence déontologique ", qui doit guider les chambres dans la formulation des observations de gestion. Il s'agit, " d'harmoniser les pratiques des chambres ", afin d'éviter que, face à des pratiques semblables des collectivités, apparaissent des " divergences inexplicables d'appréciation ".

Par ailleurs, le texte n'exclut pas que le rapporteur de la chambre puisse informer l'ordonnateur ou le responsable de l'organisme concerné " des principaux axes envisagés pour la vérification ", tout en veillant à éviter un malentendu à cet égard, car " l'instruction peut conduire à réorienter le contrôle ".

En outre, le texte rappelle que si les lettres d'observations définitives ne sont pas des jugements (même si elles sont délibérées et arrêtées par des juridictions), la publicité auxquelles elles donnent lieu " n'est pas sans conséquence sur la forme qu'elles doivent revêtir ".

A cet égard, le texte insiste sur le fait que " les lettres d'observations doivent être compréhensibles pour des non spécialistes, quelle que soit la complexité de la question traitée ".

La lettre d'observations, précise le " texte de référence ", doit " s'appuyer sur des faits précis, sans y ajouter par des qualificatifs ou des formules susceptibles d'une exploitation politique ou médiatique indésirable ".

Doit être proscrite l'utilisation de termes " qui annonceraient prématurément une qualification pénale, des allusions, des sous-entendus, voire de l'ironie ".

De plus, si " les observations peuvent, le cas échéant, faire état des interrogations qui subsistent au terme de la procédure, faute d'explications satisfaisantes apportées dans le cadre de l'instruction ", elles doivent néanmoins se garder " de toute insinuation ".

Enfin, le " texte de référence " formule des recommandations judicieuses quant à la présentation des lettres d'observations définitives.

Après avoir rappelé que la lettre d'observations provisoires a pour objet de permettre à l'ordonnateur d'apporter une réponse écrite, " éventuellement éclairée par des explications orales ", le texte précise que la lettre d'observations définitives doit mentionner, " dans une brève introduction ", la date de l'entretien préalable, la date de la séance au cours de laquelle ont été arrêtées les observations provisoires, la date de la lettre d'observations provisoires et des réponses qui y ont été apportées ou l'absence de réponse dans le délai prescrit est expressément mentionnée, le cas échéant, la date de l'audition de l'ordonnateur ou du dirigeant de l'organisme contrôlé et, enfin, la date de la séance au cours de laquelle ont été arrêtées les observations définitives.

Par ailleurs, le texte indique que la lettre d'observations définitives doit " s'efforcer d'indiquer les raisons qui conduisent la chambre à écarter certains des arguments soulevés en réponse ".

En outre, -et il s'agit là d'un apport essentiel-, le texte préconise une hiérarchisation des observations en précisant que " la structure même de la lettre " et " le plan d'exposition retenu " doivent tenir compte " de l'importance relative des observations ".

Il affirme dans une phrase sans équivoque : " ce qui est important est annoncé clairement comme tel ; ce qui est secondaire, l'est également ".

Enfin, le texte recommande aux rédacteurs des lettres d'observations de préciser " si les irrégularités, anomalies, ou dysfonctionnements relevés apparaissent accidentels ou bien si, compte tenu des méthodes de contrôle mises en oeuvre, ils peuvent être considérés comme représentatifs d'un comportement de gestion ".

2. Une initiative perfectible

Le groupe de travail se félicite de l'élaboration et des termes de la rédaction de ce texte, qui constitue un progrès indéniable , tant par l'objectif poursuivi (la recherche d'une harmonisation des pratiques des chambres), que par le bien fondé de ses recommandations relatives à la forme et à la présentation des lettres d'observations.

L'existence même de ce texte prouve que les juridictions financières commencent à reconnaître l'urgente nécessité de corriger certains " défauts de jeunesse " qui pouvaient nuire à la crédibilité et à la qualité de leur contrôle.

L'existence de ce texte montre également que les chambres régionales des comptes ont progressivement pris conscience que l'importance du pouvoir dont elles disposent, en raison de l'impact médiatique de leurs observations, commande de l'utiliser avec davantage de tact, de discernement et de mesure.

Tout en intégrant les limites de cet exercice, qui tiennent tant à l'absence d'un pouvoir hiérarchique de la Cour sur les chambres qu'au manque d'homogénéité des chambres, le groupe de travail a cependant considéré que " le texte de référence " devait être complété afin de devenir un véritable code , interne aux juridictions financières, du bon usage de l'examen de gestion.

Parmi les compléments susceptibles d'être apportés au texte de référence, le groupe de travail a jugé nécessaire de prévoir des recommandations en vue d'une meilleure harmonisation de la programmation des travaux des chambres régionales.

Il serait, en effet, souhaitable que la programmation des travaux, de l'ensemble des chambres, soit plus stable afin d'assurer que la gestion de chaque collectivité sera examinée, selon un rythme comparable et régulier, par exemple quadriennal.

Par ailleurs, le groupe de travail juge indispensable que les chambres régionales se dotent d'un corps commun de critères et de ratios pour apprécier la situation financière d'une collectivité.

A cet égard, le groupe de travail estime nécessaire de dépasser l'approche, statique et statistique, par strate démographique, pour mieux appréhender la réalité de la situation financière des communes touristiques qui doivent assumer la charge d'équipements destinés à satisfaire les besoins d'une population saisonnière, très supérieure en nombre, à leur population permanente.

Dans ce cas, il pourrait être envisagé de substituer au critère de la population permanente celui du nombre de logements affecté d'un coefficient d'occupants.

En outre, le groupe de travail a jugé nécessaire que les chambres régionales des comptes ne se cantonnent pas dans une analyse statique de la situation financière des collectivités locales, mais qu'elles adoptent une démarche plus dynamique en analysant, en tendance, l'évolution de cette situation.

Enfin, il aurait pu paraître nécessaire de compléter le texte de référence par une définition de l' objet même de l'examen de la gestion d'une collectivité locale.

A cet égard, l'objectivité commande de préciser que " le texte de référence " comporte une définition de l'objet de l'examen de gestion.

C'est ainsi que le texte indique que l'examen de la gestion porte, d'abord, sur la régularité de la gestion, c'est-à-dire sur la conformité des actes de gestion aux lois et règlements.

Cet examen doit porter également sur la qualité de la gestion, c'est-à-dire " sur l' économie des moyens mis en oeuvre, leur efficience ainsi que sur l'efficacité des actions entreprises par rapport aux objectifs, sans que ceux-ci, qui relèvent de la responsabilité exclusive des élus, puissent être, en eux-mêmes, critiqués ".

Le groupe de travail se félicite de cette définition, tout à la fois claire et précise, qui, tout en complétant le contrôle de la régularité de la gestion par un examen de sa qualité, condamne toute dérive vers une appréciation de l'opportunité des choix effectués par les collectivités locales.

Mais compte tenu du caractère crucial de la délimitation de cette frontière, certes ténue, entre, d'une part, l'examen de la gestion d'une collectivité étendue à l'efficience des moyens mis en oeuvre, et, d'autre part, l'appréciation de l'opportunité ou de la pertinence des choix effectués, le groupe de travail a considéré que la définition de l'objet de l'examen de gestion devait être consacrée par la loi.

B. POUR UNE DEFINITION LEGALE DE L'OBJET DE L'EXAMEN DE GESTION

1. Les inconvénients d'une définition elliptique de l'examen de la gestion

Telles qu'elles résultent du dernier alinéa de l' article 87 de la loi du 2 mars 1982 -désormais codifié à l' article L. 211-8 du code des juridictions financières- les dispositions relatives à l'examen de la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics par les chambres régionales des comptes sont particulièrement elliptiques .

L' article L. 211-8 précité se borne, en effet, à prévoir que " la chambre régionale des comptes examine la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ". Il énonce, en outre, les autres établissements, sociétés, groupements ou organismes pouvant faire l'objet d'un tel examen et spécifie que l'examen de la gestion peut être effectué sur demande motivée du représentant de l'Etat ou de l'autorité territoriale.

Mais ces dispositions ne donnent aucune indication ni sur l'objet, ni sur le contenu de l'examen de la gestion.

Cette lacune présente des inconvénients majeurs qui ont été soulignés par plusieurs magistrats des juridictions financières entendus par le groupe de travail. Elle est en particulier de nature à susciter un risque que des magistrats dans l'exercice d'une fonction, pourtant non juridictionnelle, portent une appréciation sur l'opportunité des choix effectués par une collectivité locale.

Ces inconvénients sont d'autant plus réels que le pouvoir d'informer reconnu aux chambres par la loi du 15 janvier 1990 confère à leurs observations un impact considérable sur l'opinion publique.

2. Une précision législative nécessaire

Le groupe de travail est conscient des difficultés attachées à une définition législative de l'objet de l'examen de la gestion d'une collectivité. Si elle est trop large, elle peut apparaître comme une habilitation générale à intervenir dans la gestion locale, solution peu conciliable avec les principes mêmes de la décentralisation et avec l' article 72 de la Constitution. Si elle est trop étroite, elle peut être perçue comme de nature à restreindre de manière anormale les missions des chambres régionales des comptes dans ce domaine.

Cependant, soucieux de remédier aux inconvénients de l'absence de définition, le groupe de travail a jugé possible de synthétiser dans la loi des éléments de définition qui n'ont pas paru soulever d'objections au cours des auditions auxquelles il a procédé.

Ces éléments pourraient être les suivants.

• Si l'examen de la gestion porte d'abord sur la conformité des actes de gestion aux lois et règlements, il doit obligatoirement s'appuyer sur la référence aux textes qui auraient été méconnus.

• Cet examen doit porter, en deuxième lieu, sur l'économie des moyens mis en oeuvre, leur efficience ainsi que sur l'efficacité des actions entreprises par rapport aux objectifs, sans que ceux-ci qui relèvent de la responsabilité exclusive des élus puissent être en eux-mêmes critiqués.

• La lettre d'observations définitives doit prendre explicitement en compte les résultats de la procédure contradictoire.

• Par sa structure même, elle doit tenir compte de l'importance relative des observations formulées dans la gestion globale de la collectivité.

• Elle doit formuler des recommandations concrètes permettant, aux yeux de la chambre, d'améliorer tel ou tel aspect de la gestion locale.

L' article L. 211-8 du code des juridictions financières pourrait, à cette fin, être complété dans les termes suivants :

" L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion et sur l'économie de moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés par l'assemblée délibérante sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité exclusive des élus, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations.

" Les observations que la chambre régionale des comptes formule à cette occasion mentionnent les dispositions législatives ou réglementaires dont elles constatent la méconnaissance. Elles prennent en compte expressément les résultats de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur de la collectivité concernée. L'importance relative de ces observations dans l'ensemble de la gestion de la collectivité ou de l'établissement public est évaluée. Enfin, elles formulent des recommandations concrètes sur les aspects de la gestion examinés par la chambre. ".


En définitive, l'examen de la gestion des collectivités locales est appelé à se transformer en un véritable audit de l'action locale dans une optique d'aide à la décision future de la collectivité.

II. RENFORCER LES GARANTIES DONT BENEFICIE LE CONTRÔLÉ

A. ASSURER UNE PLUS GRANDE SÉRÉNITÉ DE LA PROCÉDURE

1. Renforcer la confidentialité des documents préparatoires : le cas des lettres d'observations provisoires

Dans le cadre d'une procédure d'examen de la gestion d'une collectivité locale, l'instruction du dossier par le magistrat rapporteur se clôt par une lettre d'observations provisoires destinée à être soumise à la formation délibérante de la chambre qui arrêtera les termes de la lettre d'observations définitives.

Le caractère contradictoire de la procédure en vigueur offre d'indéniables garanties à l'exécutif de la collectivité contrôlée.

En effet, le magistrat instructeur rencontre, avant l'envoi de la lettre d'observations provisoires, l'ordonnateur de la collectivité au cours d'un entretien dit "préalable".

Par ailleurs, l'ordonnateur dispose, après réception de la lettre d'observations provisoires et avant le délibéré de la chambre, d'un délai minimum d'un mois pour apporter une réponse écrite aux observations.

Enfin, dans ce délai minimum d'un mois minimum, l'ordonnateur peut demander à être entendu par la chambre afin de compléter oralement sa réponse écrite.

Pourtant force est de constater qu'en dépit de ces précautions, les lettres d'observations provisoires comportent parfois des informations inexactes et des affirmations erronées .

Ces défauts peuvent résulter de lacunes dans la collecte des informations, le magistrat n'ayant pas obtenu tous les documents -généralement très nombreux- qu'il a demandés au cours de l'instruction.

Parfois, la rédaction de la lettre d'observations provisoires anticipe sur le caractère "modérateur" de la collégialité en grossissant le trait et en durcissant le ton afin "qu'il en reste quand même quelque chose".

Cette pratique, relativement fréquente, emporte des effets particulièrement pervers en cas de "fuite" dans la presse des observations provisoires puisqu'elle peut aboutir à la diffusion d'informations erronées.

La divulgation de documents provisoires des chambres régionales des comptes fait grief , tant aux collectivités locales qu'aux chambres elles-mêmes.

L 'ordonnateur de la collectivité locale voit, en effet, sa responsabilité mise en cause devant l'opinion publique sur le fondement, pourtant fragile, de formulations souvent lapidaires et d'informations parfois parcellaires auxquelles il n'a pas toujours pu apporter de réponses.

Et même si des réponses ont pu être apportées, elles ne feront pas l'objet d'une publicité identique.

Pourtant, la jurisprudence du Conseil d'Etat a clairement établi, dans d'autres domaines, que la publication de documents administratifs mettant en cause des personnes étaient susceptibles de faire grief aux intéressés, ce qui leur ouvrait la voie du recours pour excès de pouvoir à l'encontre de la décision de publication (CE 21 octobre 1988, Eglise de Scientologie) ou de la décision refusant à l'intéressé le droit de faire valoir ses observations (CE 12 février 1993, Mme Gaillard).

Lésant les intérêts des ordonnateurs des collectivités locales, la divulgation de documents provisoires porte également préjudice aux chambres régionales des comptes et à leur rôle de régulation de l'action publique locale.

En effet, ces " fuites " font de leurs observations provisoires les instruments d'une mise en cause médiatique et d'une déstabilisation politique des exécutifs territoriaux.

Cette situation porte atteinte à leur crédit et réduit la possibilité d'un dialogue confiant et fructueux entre magistrats et élus locaux.

C'est pourquoi le groupe de travail a jugé indispensable de formuler des propositions destinées à améliorer la qualité des lettres d'observations provisoires et à garantir une plus grande confidentialité de ces documents préparatoires.

L'amélioration de la qualité des lettres d'observations provisoires et, d'une manière générale, de l'objectivité de l'examen de la gestion passe par l'intervention, dès le début de l'instruction, d'un contre-rapporteur 25( * ) .

S'agissant du renforcement de la confidentialité qui devrait présider à l'examen de la gestion d'une collectivité locale, jusqu'à la formulation des observations définitives, le groupe de travail est conscient de la difficulté qui s'attache à l'identification de la " source de l'indiscrétion ".

Dans l'hypothèse où l'indiscrétion serait le fait d'un magistrat de la chambre régionale, cette violation du secret des investigations constituerait une faute professionnelle grave qui pourrait, si les faits étaient établis, être sanctionnée par le Conseil supérieur des chambres régionales. En outre, si les agissements en cause sont constitutifs d'une infraction pénale, le président de la chambre régionale des comptes peut saisir le ministère public aux fins de déclenchement de l'action publique.

La même procédure peut également concerner celui qui détient l'information divulguée et se rend coupable du délit de recel d'informations provenant d'une violation du secret professionnel, délit puni par l'article 321-1 du code pénal.

En revanche, si l'indiscrétion provient de tiers, il sera extrêmement difficile d'en identifier la source. Comme l'a dit M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, lors du colloque organisé, en octobre 1996, par le ministère de l'économie et des finances, sur "la modernisation et la transparence des finances locales", lorsqu'un document administratif circule "il y a un expéditeur et il y a souvent plusieurs destinataires... (car) généralement, à l'arrivée, il y a plusieurs photocopieuses et parfois plusieurs utilisateurs".

Sans méconnaître les difficultés qui peuvent résulter de la transmission des documents provisoires à une pluralité de destinataires, le groupe de travail souhaite que les procédures existantes soient mise en oeuvre de manière plus affirmée, dans le but non seulement de réprimer de tels agissements, mais aussi de prévenir des actions répréhensibles qui jettent le discrédit sur le contrôle financier.

Par ailleurs, notre collègue Paul Girod a évoqué, devant le groupe de travail, la possibilité du dépôt d'une plainte conjointe de la collectivité locale et de la chambre régionale des comptes, en cas de divulgation de documents provisoires.

M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des comptes, a indiqué au groupe de travail qu'il n'était pas hostile à une telle solution.

A cet égard, force est de constater qu'en l'état actuel des textes, rien n'interdit que puissent être déclenchées concomitamment l'action publique par le ministère public ( article 31 du code de procédure pénale) et l'action civile par la personne qui se prétend lésée par un délit ( article 85 ), en l'espèce l'ordonnateur en son nom personnel ou en sa qualité de représentant de la collectivité ( article L. 2132-2 du code général des collectivités territoriales pour le maire ; article L. 3221-10 pour le président du conseil général et article L. 4231-7 pour le président du conseil régional).

En outre, la plainte déposée entre les mains d'un juge d'instruction par la personne qui se dit victime d'un délit, lorsqu'elle est accompagnée d'une constitution de partie civile, produit pour la mise en mouvement de l'action publique les mêmes effets qu'une réquisition du procureur de la République.

En dehors de ces hypothèses de concomitance entre l'action publique et l'action civile de la collectivité locale ou de l'ordonnateur, une action civile conjointe pourrait avoir l'avantage de bien marquer le fait que la divulgation de documents provisoires porte préjudice tant à la collectivité locale qu'aux chambres régionales des comptes elles-mêmes dans l'exercice de leur mission.

Cependant, la chambre régionale des comptes n'ayant pas une personnalité morale distincte de l'Etat, l'action civile qu'elle peut souhaiter engager en invoquant un préjudice propre du fait de divulgations d'observations provisoires doit obligatoirement être intentée à peine de nullité par l'agent judiciaire du Trésor ( article 38 de la loi de finances n° 55-366 du 3 avril 1955). Un président de chambre qui a saisi le ministère public à la suite de telles divulgations peut d'ailleurs très bien par la suite, si l'affaire suit son cours, s'adresser à l'agent judiciaire du Trésor pour qu'une action civile soit engagée.

Il resterait néanmoins à apprécier si le préjudice ainsi invoqué pourrait suffisamment se distinguer, en l'espèce, des motifs qui fondent l'action publique, à savoir la défense de l'intérêt public. On peut penser que, dans certains cas, la demande par l'Etat d'une réparation civile même symbolique pourrait appuyer la démarche de la collectivité locale et du ministère public, en soulignant davantage le préjudice porté au bon fonctionnement des juridictions financières.

En outre, le groupe de travail préconise de compléter l' article L. 241-6 du code des juridictions financières, relatif au secret professionnel, par un alinéa précisant que le principe de l'accès aux documents administratifs n'est pas applicable aux mesures d'instruction ainsi qu'aux rapports et communications provisoires des chambres régionales des comptes.

Cette mesure reviendrait sur la disposition de la loi du 15 janvier 1990 qui a inclus l'ensemble des actes des chambres régionales de comptes dans le champ du principe du libre accès aux documents administratifs : elle aurait pour objet d'étendre aux chambres régionales des comptes le régime de non communication, d'ores et déjà en vigueur, pour les documents préparatoires d'instruction de la Cour des comptes.

Enfin, le groupe de travail a envisagé, dans un souci de transparence, de prévoir la possibilité d'annexer la lettre d'observations provisoires à la lettre d'observations définitives.

Cette publicité donnée à la lettre d'observations provisoires, qui pourrait être soit systématique, soit réservée au cas où ce document aurait fait l'objet d'une " fuite " dans la presse, permettrait, d'une part, de mieux comprendre la portée de la réponse faite par l'exécutif local à ce document provisoire et de pouvoir vérifier le degré de prise en compte de cette réponse et, d'autre part, de conduire le rédacteur de cette lettre à s'assurer de l'exactitude de ses affirmations.

2. L'institution d'un délai de " neutralité "

a) Eviter les interférences entre les lettres d'observations définitives et débat électoral

Dans son rapport public de 1996, la Cour des comptes notait, à juste titre, les difficultés qui pouvaient résulter de l'interférence entre l'envoi de lettres d'observations définitives et une période électorale 26( * ) .

A cet égard, le groupe de travail rejoint le constat fait par la Cour et considère qu'il est nécessaire d' éviter l'exploitation partisane et électoraliste des conclusions d'un examen de la gestion.

Sur ce point, il convient de rappeler l'analyse de la Cour des comptes qui relève que "la portée réelle d'observations communiquées à une date rapprochée d'une consultation pourrait faire l' objet d'interprétations de nature à fausser les conditions de l'élection ".

b) Les garanties envisageables

Soucieuse d'éviter la survenance de telles situations, la Cour des comptes précisait que "la question s'est posée de savoir s'il ne convenait pas de suspendre, pendant un certain délai, l'envoi de lettres d'observations définitives afin d'éviter que les observations de la chambres régionales des comptes ne soient exploitées dans le cadre du débat précédant l'élection". Sur ce point, la Cour notait "qu'aucun texte législatif ou réglementaire n'a prévu de délai de neutralité" et, qu'en conséquence, "les chambres [s'étaient] appliquées, de manière concertée, à respecter un tel délai" .

(1) Fixer dans la loi un délai de neutralité

Le groupe de travail se félicite de cette démarche qu'il juge particulièrement opportune ; mais il s'est néanmoins interrogé sur l'important pouvoir d'appréciation que laisse subsister dans un tel domaine, le caractère informel de cette " période de neutralité " C'est pourquoi il considère que le législateur pourrait définir un délai légal pendant lequel l'envoi des lettres d'observations définitives serait suspendu pendant les périodes précédant une consultation électorale. Ainsi, le juge financier serait libéré du fait de prendre lui même la responsabilité de la suspension de l'envoi des lettres d'observations définitives.

Si un " délai de neutralité " devait être défini par la loi, il pourrait porter sur une période de six mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, alignant ce délai sur celui défini au second alinéa de l' article L. 52-1 du code électoral qui prévoit l'interdiction de toute "campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité". Dans la mesure où une lettre d'observations définitives concerne, par définition, la gestion d'une collectivité locale, il paraît en effet logique de fixer la durée du délai de neutralité, au cours duquel l'envoi de ce type de document est suspendu, en fonction de celui qui est retenu par le code électoral pour interdire toute forme de promotion de la gestion d'une collectivité locale.

(2) Protéger le droit de réponse des collectivités locales

A défaut d'une définition législative d'un délai de neutralité, il serait, en tout état de cause, souhaitable de prévoir une "protection" du droit de réponse des collectivités locales à une lettre d'observations définitives qui serait rendue publique au cours du délai de six mois précédant une élection.

Dans un tel cas, en effet, il conviendrait d'éviter qu'une réponse publique de la collectivité aux observations d'une chambre régionale des comptes ne puisse être assimilée à une opération de propagande électorale au sens du premier alinéa de l' article L. 52-1 du code électoral, ou à une "campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité" visée au second alinéa du même article.

A cette fin, il conviendrait de préciser qu'une réponse à une lettre d'observations définitives ne constitue ni une campagne de promotion publicitaire, ni une opération de propagande, au sens du code électoral.

B. RENFORCER LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE

1. La systématisation souhaitable de la collégialité et du contre-rapport

Dans la pratique des juridictions financières, la collégialité a toujours tenu une place essentielle pour garantir l'impartialité des décisions. A cet égard, les méthodes de travail retenues par la Cour des comptes constituent un modèle dont les principes sont très largement repris au sein des chambres régionales des comptes.

Les auditions auxquelles a procédé le groupe de travail ont cependant mis en évidence qu'en raison de la grande inégalité des moyens en personnel des différentes chambres régionales des comptes, la pratique du contre-rapport était très loin d'être généralisée au sein de ces juridictions. Or, cette pratique constitue un gage de rigueur et d'impartialité supplémentaire dans le processus de décision d'une juridiction.

C'est pourquoi le groupe de travail considère indispensable que cette méthode soit systématisée . Il convient de noter que cette systématisation du contre-rapport se rattache très logiquement à la réflexion du groupe de travail sur la nécessaire harmonisation des pratiques des chambres régionales des comptes et, partant, sur la pertinence du ressort territorial de ces juridictions. La pratique systématique du contre-rapport suppose en effet une certaine homogénéité de la dimension des chambres régionales des comptes, chacune devant pouvoir disposer des moyens permettant d'assumer dans de bonnes conditions cette pratique.

2. Annexer les réponses de l'ordonnateur aux lettres d'observations définitives

Au-delà d'une volonté d'organiser, à tous les stades de la procédure d'examen de la gestion, un échange d'information entre la collectivité locale et la juridiction financière, le groupe de travail souhaite que les lettres d'observations définitives mettent en évidence le caractère constructif de cet échange . L'ensemble de cette procédure doit en effet être conçue et mise en oeuvre à travers le dialogue qui s'établit entre la collectivité locale et la chambres régionales des comptes . C'est pourquoi, au terme de cette procédure, la lettre d'observations définitives doit clairement faire ressortir la teneur de cet échange.

Une telle évolution serait en effet de nature à rapprocher la lettre d'observations d'une forme d'audit, ce qui contribuerait à la qualité de dialogue entre contrôleur et contrôlé ainsi qu'à son image.

Le groupe de travail considère par ailleurs que cette démarche doit être complétée par une adjonction des réponses de la collectivité locales aux observations formulées dans la lettre d'observations définitives .

Ainsi, à l'image des analyses rendues publiques dans le rapport annuel de la cour des comptes, la collectivité locale concernée sera, en tout état de cause, mise en mesure de présenter publiquement son appréciation sur les conclusions de la chambres régionales des comptes. Cette faculté devrait pouvoir être exercée dans un délai relativement court après la réception par la collectivité locale concernée de la lettre d'observations définitives afin de ne pas retarder la communication de ce document.

3. Instituer une procédure de recours contre les lettres d'observations définitives

a) Les termes du débat

L'absence de toute procédure de recours à l'encontre des lettres d'observations définitives pose à l'évidence problème dès lors que ces lettres peuvent mettre en cause très directement la gestion d'un ordonnateur et au-delà de ce dernier la collectivité dont il a la charge.

Certes, si une procédure juridictionnelle est engagée sur le fondement des constatations faites par une chambre régionale des comptes dans le cadre de l'examen de la gestion, la personne mise en cause bénéficie de toutes les garanties habituelles.

Mais, en dehors de cette hypothèse, l'intéressé ne peut contester des lettres d'observations définitives. Cette situation n'est pas acceptable.

Les difficultés pour définir une procédure de recours portent principalement sur la forme que revêtent les lettres d'observations définitives et, de manière moins aiguë, sur le choix de l'instance juridictionnelle appelée à connaître d'éventuels recours.

Sur la forme , les lettres d'observations définitives ne sont pas des décisions juridictionnelles . Elles se bornent à effectuer diverses constatations, à formuler des critiques et le cas échéant des propositions sur tel ou tel aspect de la gestion locale. Elles ne comportent pas de sanctions .

En outre, bien qu'elles ne puissent être assimilées à des actes préparatoires, puisqu'elles concluent la procédure non juridictionnelle menée par la chambre régionale des comptes, elles pourraient être rapprochées d'un rapport d'inspection qui, selon une jurisprudence constante, ne constitue pas un acte faisant grief (Conseil d'Etat, 26 mai 1982, Droulers).

S'agissant d'organismes de régulation tels que la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le Conseil d'Etat a ainsi distingué les décisions normatives qui font grief (12 mars 1982, Confédération générale du travail) et les recommandations formulées par cette commission qui, elles, ne font pas grief (27 septembre 1989, S.A. Chopin et autres).

Même si cette question n'a pas encore été tranchée par le Conseil d'Etat, un jugement du tribunal administratif de Marseille (1er mars 1995, société Sernica et commune de La Ciotat), déjà cité par votre rapporteur, a considéré que les observations formulées par la chambre régionale des comptes ne présentent pas " le caractère de décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ".

La chambre régionale des comptes ne prend en outre aucune décision quant à la publicité des lettres d'observations définitives, cette publicité étant prévue et organisée par la loi elle-même. Au demeurant, si la décision de publier un acte qui ne fait pas grief et dont la publication n'est pas obligatoire constitue une décision susceptible de recours (Conseil d'Etat, 21 octobre 1988, Eglise de scientologie), le contrôle du juge se limite à la décision de publication elle-même (Conseil d'Etat, 27 mai 1987, S.A. Laboratoire Goupil).

Ces difficultés liées aux caractéristiques des lettres d'observations définitives se doublent d'interrogations qui portent sur le choix de l'instance juridictionnelle susceptible de connaître d'éventuels recours.

Le fait qu'une lettre d'observations définitives ne modifie pas la situation juridique des intéressés semblerait a priori devoir exclure la compétence de la juridiction administrative, à s'en tenir aux considérants qui ont fondé la décision précitée du tribunal administratif de Marseille.

Encore faut-il rappeler que le juge administratif peut, sans se prononcer sur le fond, contrôler les vices propres de l'acte. Telle est la voie qu'il a choisie pour les délibérations non décisionnelles (délibérations préparatoires, voeux ou avis) des conseils municipaux (Conseil d'Etat, 22 mai 1987, Tête ). Cette solution permet de sanctionner le " vice propre " de forme ou de procédure qui a entaché une telle délibération. Appliquée aux observations sur la gestion, une telle jurisprudence ne serait pas sans intérêt pratique. Ainsi pourrait être, au minimum, garanti le contrôle du juge administratif sur le respect des procédures et sur la forme des lettres d'observations.

b) Les propositions du groupe de travail
(1) Un recours non juridictionnel devant la Cour des comptes

La Cour des comptes -en application de l'article L. 111-1 du code des juridictions financières- " statue sur les appels formés contre les jugements prononcés à titre définitif par les chambres régionales des comptes ".

Elle est en outre chargée d'" une mission permanente d'inspection à l'égard des chambres régionales des comptes " ( article L. 111-10 ).

Dès lors, la Cour des comptes pourrait être bien placée, sous réserve, le cas échéant, de spécialiser l'une de ses chambres dans cette mission, pour être " l'instance d'appel " des lettres d'observations définitives. De cette manière, s'appuyant sur sa longue expérience du contrôle financier, elle pourrait assurer progressivement l'unification des critères et des procédures applicables à l'examen de la gestion des collectivités locales.

L'ouverture d'un recours devant la Cour des comptes peut néanmoins poser un problème en raison du caractère non juridictionnel des lettres d'observations définitives.

En conséquence, si elle devait être approfondie, sa mise en oeuvre passerait nécessairement par une voie non juridictionnelle . Il s'agirait, par exemple, de renforcer le rôle de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes.

Cette structure interne à la Cour des comptes pourrait être saisie des difficultés rencontrées avant l'adoption des lettres d'observations définitives : délimitation du champ du contrôle et de la frontière entre la régularité et l'opportunité ; problèmes de forme de la lettre d'observations ; mise en perspective des aspects contrôlés avec l'ensemble de la gestion de la collectivité ; appréciation des ratios et références utilisés ; prise en compte des réponses de l'ordonnateur ; formulation de recommandations concrètes...

Elle pourrait être saisie à cette fin soit par le président de la chambre régionale des comptes, soit par l'une des personnes mises en cause dans la lettre d'observations provisoires. Il lui appartiendrait de formuler des recommandations concrètes en s'appuyant sur un corps de doctrine que le groupe de travail souhaite voir émerger au sein des juridictions financières sur le contenu et la forme du contrôle de la gestion des collectivités locales.

Après parution de la lettre d'observations définitives, la Cour des comptes pourrait être saisi d'un recours non juridictionnel tendant à la révision de cette lettre d'observations.

(2) L'ouverture du recours pour excès de pouvoir

Sans sous-estimer l'intérêt de cette solution non juridictionnelle, le groupe de travail en a également mesuré les limites. Il a donc jugé nécessaire d'approfondir cette démarche afin d'offrir de véritables garanties juridictionnelles aux ordonnateurs et aux collectivités. Ces garanties sont, en effet, nécessaires pour rétablir un équilibre entre le " contrôleur " et le " contrôlé ".

A cette fin, le groupe de travail préconise l'ouverture du recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

Le droit pour tout intéressé de former un recours pour excès de pouvoir pour obtenir l'annulation d'un acte dont il conteste la légalité, est un principe général du droit reconnu depuis la jurisprudence du Conseil d'Etat du 17 octobre 1950, Ministère de l'agriculture c/ Dame Lamotte . Le Conseil constitutionnel a ultérieurement donné à ce principe une valeur constitutionnelle.

Il en résulte une nécessaire imbrication entre le contrôle opéré par les chambres régionales des comptes et celui du juge administratif, comme l'illustre le contentieux relatif à la procédure d'inscription des dépenses obligatoires. Le Conseil d'Etat est, en outre, le juge de cassation des décisions juridictionnelles rendues par la Cour des comptes.

Tout en ne reconnaissant pas aux lettres d'observations le caractère d'une décision faisant grief, le tribunal administratif de Marseille a néanmoins reconnu aux collectivités locales concernées le droit de demander la rectification de leur contenu , au-delà même d'une simple rectification matérielle. Il a précisé qu'en vertu du principe du parallélisme des compétences, toute décision sur une telle demande devait être prise par la chambre statuant dans la même formation et non pas par son seul président (29 avril 1997, Commune de Fos-sur-Mer).

Cette solution constitue une réponse logique à l'influence exercée par les chambres régionales des comptes sur les gestions locales. Elle exprime l'idée simple qu'à l'existence d'un pouvoir doit correspondre un contrôle fut-il minimum. L'ouverture du recours pour excès de pouvoir à l'encontre des lettres d'observations définitives répondrait à la même exigence. Elle s'inscrirait dans un cadre existant et conforme aux exigences d'un Etat de droit.

Il resterait néanmoins à lever la difficulté, énoncée ci-dessus, qui concerne la qualification de la lettre d'observations définitives comme une décision de nature ou susceptible de faire grief . Telle est la condition préalable pour que cet acte puisse faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Toutes les décisions administratives ne sont, en effet, pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Le juge administratif se refuse traditionnellement à connaître de certains actes tels que les circulaires interprétatives , documents internes à l'administration et qui ne font pas grief aux tiers (Conseil d'Etat, 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker).

De même, a-t-il été longtemps réticent à contrôler les mesures d'ordre intérieur , prises dans certaines enceintes telles que les établissements scolaires ou pénitentiaires ou encore les enceintes militaires.

Cette position se fondait sur le motif qu'en vertu de l'adage latin de minimis non curat praetor, le juge de l'excès de pouvoir n'a pas à entrer dans les litiges subalternes. Elle répondait également à un souci d'efficacité des services publics.

Elle a cependant très largement évolué, le juge administratif appréciant de manière beaucoup plus souple les deux critères cumulatifs de la mesure d'ordre intérieur à savoir le caractère interne de l'acte et son effet sur la situation juridique de son destinataire. Ainsi, le Conseil d'Etat juge désormais recevable une requête présentée à l'encontre de sanctions disciplinaires infligées à un militaire ( 17 février 1995, Hardouin) ou à un détenu (17 février 1995, Marie).

Les règlements intérieurs des assemblées délibérantes des collectivités locales, longtemps considérés comme des décisions insusceptibles de recours (Conseil d'Etat, 2 décembre 1983, Charbonnel) peuvent dorénavant être déférées au juge de l'excès de pouvoir (Conseil d'Etat, 10 février 1995, Riehl ; 10 février 1995, commune de Coudekerque-Branche). Le législateur a pris soin dans ce cas de spécifier que le règlement intérieur pouvait être déféré au tribunal administratif ( article L. 2121-8 pour le conseil municipal, article L. 3121-8 pour le conseil général et article L. 4132-6 pour le conseil régional).

Si les lettres d'observations définitives ne constituent pas des mesures d'ordre intérieur, néanmoins le raisonnement qui a fondé l'évolution jurisprudentielle élargissant le champ d'intervention du juge pourrait leur être appliqué. Certes, n'étant pas des décisions, ces observations ne modifient pas immédiatement la situation juridique des personnes physiques ou morales qu'elles visent. Elles n'en ont pas moins des effets incontestables sur les conditions d'exercice de leur mandat par les ordonnateurs, sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante ou encore sur la situation personnelle de tiers.

Il est vrai que l'on peut s'interroger sur l'étendue du contrôle que le juge administratif pourrait exercer sur ces lettres d'observations. Il devrait sans difficulté s'appliquer au respect de la légalité externe, c'est à dire, outre l'incompétence, le vice de procédure ou de forme, notamment le principe du contradictoire ou encore -selon les propositions du groupe de travail- l'insertion obligatoire des réponses des ordonnateurs dans les lettres d'observations définitives.

En revanche, en l'absence de définition légale de l'objet et du contenu de l'  " examen de la gestion ", dont les inconvénients ont été soulignés par l'ensemble des personnalités entendues par le groupe de travail, le contrôle sur le fond pourrait s'avérer plus délicat, la tentation pouvant alors être forte de cantonner le contrôle de la légalité interne dans la seule sanction de l'erreur manifeste d'appréciation .

Mais même dans cette forme restreinte, le contrôle par le juge administratif des lettres d'observations conserverait tout son intérêt . Il assurerait le nécessaire respect des procédures. Il sanctionnerait les anomalies les plus graves qui, si elles demeurent somme toute relativement peu nombreuses, mettent en cause le crédit même du contrôle financier et nuisent à son " acceptation " par les élus et partant à son efficacité.

Si cette voie était retenue, il appartiendrait au législateur, afin de prendre en compte la réalité et la nature du contrôle de gestion, de qualifier les lettres d'observations définitives des chambres régionales des comptes comme des décisions faisant grief ou de préciser qu'elles peuvent être déférées au juge administratif.

III. POUR UNE MODERNISATION DU FONCTIONNEMENT DES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES

A. CONFORTER LA "FRONTIÈRE" ENTRE LE RÉGIME DE L'APUREMENT ADMINISTRATIF ET LE JUGEMENT DES COMPTES

En conclusion de son analyse du jugement des comptes, le groupe de travail a relevé que le partage des rôles entre les chambres régionales des comptes et les comptables supérieurs du Trésor (les trésoriers-payeurs généraux et les receveurs particuliers des finances) s'avérait satisfaisant , mais que les modalités retenues en 1988 pour définir la frontière entre ces deux modes de contrôle devaient être modifiées.

1. Les inconvénients du dispositif en vigueur

Les deux critères cumulatifs fixés en 1988 27( * ) pour établir la frontière entre le jugement des comptes par les chambres régionales des comptes et l'apurement administratif des comptes par les comptables supérieurs, sont en effet figés et correspondent à une photographie de la situation datée de 1988.

a) Le franchissement des seuils fixés en 1988...

Or, depuis cette date, la constitution de nombreux groupements de communes entraîne des franchissements du seuil de population fixé à 2.000 habitants induit un certain nombre d'entrées dans le champ de compétence des chambres régionales des comptes.

A ce phénomène, s'ajoute le facteur, plus important, du franchissement par certaines communes du seuil financier arrêté à 2 millions de francs pour le montant des recettes ordinaires.

Affecté tant par l'érosion monétaire que par la croissance des budgets communaux, ce seuil financier est appelé, par définition, à être franchi chaque année par des communes relevant de l'apurement administratif.

Ainsi, à terme et en l'absence de modification, la compétence des chambres régionales des comptes au titre du jugement des comptes finirait par s'étendre, à nouveau, à l'ensemble des collectivités locales.

b) ... contribue à l'accroissement du nombre de comptabilités relevant de la compétence des chambres régionales des comptes...

Depuis son rapport public de 1994, la Cour des comptes constate l'accroissement régulier du nombre de comptabilités relevant de la compétence des chambres régionales des comptes en raison, notamment, du franchissement par des communes et des groupements de communes des seuils fixés en 1988.

c) ... et entraîne, pour certaines communes, des situations d'" aller-retour "

Le franchissement des seuils entraîne, pour certaines communes, des transferts d'un système à l'autre en raison des variations que connaissent leurs budgets. Or, ces franchissements, dans un sens ou dans un autre, ne produisent d'effet sur la répartition des compétences que pour l'année considérée. De ce fait, les comptes de ces communes se trouvent soumis tantôt à un système tantôt à l'autre.

Ces situations, outre le fait qu'elles compliquent le suivi des gestions des collectivités concernées et qu'elles induisent des charges administratives pour les autorités chargées du contrôle des comptes, traduisent les limites du double seuil retenu en 1988.

2. Pour une nouvelle définition des règles.

Avant de proposer des pistes de modification, il convient de rappeler dans quelles conditions le double seuil a été défini.

a) L'origine du seuil actuel

La détermination, en 1988, d'un double seuil combinant des critères cumulatifs, l'un démographique et l'autre financier fixé en fonction du montant des recettes ordinaires, résulte très largement des travaux du Sénat.

A l'origine, le texte proposé par le Gouvernement ne retenait en effet qu'un critère démographique pour déterminer la répartition des compétences entres les chambres régionales des comptes et les comptables supérieurs en matière de contrôle des comptes.

Au cours de la discussion de ce projet de loi en première lecture le Sénat a introduit, sur l'initiative de sa commission des lois, un critère financier limitant la rétrocession à l'apurement administratif des seules communes de moins de 2.000 habitants, dont les budgets ne dépassaient pas trois millions de francs.

La commission des lois était, en effet, confrontée, d'une part, à un doute sur la constitutionnalité du seul critère démographique, qui recouvre des situations budgétaires très variables et, d'autre part, à l'expression de nombreux jugements réservés sur le principe d'une rétrocession à l'apurement administratif de l'immense majorité des communes.

Aussi, a-t-elle "admis l'intervention des trésoriers-payeurs généraux et des receveurs particuliers des finances dans cette procédure, mais à condition qu'elle constitue une première étape, concernant les communes de moins de 2.000 habitants, dont les budgets n'excèdent pas trois millions de francs. La ligne de partage se fera donc en fonction d'un seuil financier" 28( * ) .

Dans ses observations, présentées en annexe du rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale 29( * ) , M. André Rossi, rapporteur pour avis de la commission des finances relevait que l'introduction d'un critère financier concernant "essentiellement les communes touristiques qui, bien que peu peuplées, ont parfois un budget important [...] l'adjonction de ce nouveau critère [permettant] pratiquement de doubler le nombre de communes dont les comptes demeurent justiciables des chambres régionales des comptes".

La suite de la discussion de ce projet de loi (que le Gouvernement avait déclaré d'urgence) a confirmé l'initiative du Sénat, le dispositif initial étant simplement précisé pour viser les "recettes ordinaires", moins susceptibles de connaître des variations de leur niveau, et en ramenant le montant de celles-ci à deux millions de francs.

b) Pour une indexation du critère financier

Dix ans après l'importante réforme opérée par la loi du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation, le groupe de travail souhaite voir confirmer le principe du "partage des tâches" entre le jugement des comptes par les chambres régionales des comptes et l'apurement administratif des comptes relevant des comptables supérieurs du Trésor.

Les inquiétudes légitimement exprimées en 1988 par le Sénat à l'égard du rétablissement de l'apurement administratif, qui pouvait être analysé comme une forme de retour de la tutelle financière, ont été très largement dissipées par la pratique et par l'esprit dans lequel ce pouvoir a été mis en oeuvre par la direction de la comptabilité publique 30( * ) .

Le groupe de travail estime en conséquence qu'il convient de confirmer les choix retenus par la commission des lois en 1988, et de prévoir une indexation du seuil de 2 millions de francs retenu à l'époque de telle sorte que l'équilibre, défini alors entre les deux systèmes de contrôle, soit préservé.

A cette fin, le groupe de travail propose deux modifications du système défini en 1988.

En premier lieu, il s'agit donc d'indexer le montant de 2 millions de francs en fonction d'un indicateur représentatif de l'évolution des budgets des collectivités locales. Cette indexation pourrait ainsi être fixée, soit par rapport au taux de progression de la dotation globale de fonctionnement (DGF), soit par rapport à un indice synthétique résultant de la moyenne du taux de progression de la DGF et du taux de croissance du produit de la fiscalité directe locale.

En second lieu, il s'agit de prévenir le phénomène des communes qui se trouvent transférées, d'une année sur l'autre, du système de l'apurement administratif à celui du jugement de leurs comptes par les chambres régionales des comptes et inversement.

Les inconvénients de ces situations, analysés précédemment, ont conduit le groupe de travail à proposer que les communes, dont le montant des recettes ordinaires varie, en plus ou en moins, de 20 % par rapport au seuil, indexé, de 2 millions de francs, continuent à relever du dispositif de contrôle des comptes dont elles avaient précédemment eu à connaître.

B. LE RESSORT TERRITORIAL DES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES

1. Les inconvénients du ressort régional

La volonté de renforcer l'harmonisation des pratiques des chambres régionales des comptes est inséparable d'une réflexion sur la pertinence du ressort territorial retenu depuis l'origine pour ces nouvelles juridictions financières : la région 31( * ) .

De ce fait, il existe sur le plan juridique, 28 chambres régionales et territoriales des comptes dont : 22 chambres métropolitaines, 4 chambres régionales d'outre-mer (Réunion, Guadeloupe, Guyane, Martinique) et 2 chambres territoriales des comptes (Polynésie française et Nouvelle-Calédonie).

Au plan administratif, ces juridictions ne sont néanmoins qu'au nombre de 25, dans la mesure où les chambres régionales des comptes de Guadeloupe, Guyane, Martinique, d'une part, et les chambres territoriales de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, d'autre part, sont composées des mêmes magistrats.

A cet égard, le tableau ci-après met en évidence la très forte inégalité de moyens en personnel des différentes chambres régionales des comptes, l'écart maximum atteignant pratiquement de 1 à 10 pour l'effectif des magistrats entre la chambre régionale des comptes la plus importante et celle qui se trouve la moins bien dotée.

Cette situation, qui recouvre d'incontestables différences en termes de charges travail, induit d'importantes distorsions dans les méthodes de travail des chambres régionales des comptes d'une région à l'autre. La conséquence majeure de cette situation est de favoriser l'inégalité de traitement des collectivités locales en raison de l'absence d'homogénéité du contrôle qu'entraîne inévitablement ces distorsions.

2. Vers une harmonisation de la dimension des chambres ?

Pour répondre à cette situation, un meilleur équilibre entre les différentes chambres régionales des comptes apparaît souhaitable.

A cet égard, il est intéressant de noter qu'au cours de la discussion, à l'Assemblée nationale, du texte qui allait devenir la loi du 2 mars 1982, M. Raymond Marcellin analysait les inconvénients du niveau régional retenu par le projet 32( * ) . Ce dernier relevait, en effet, que "la création de chambres interrégionales des comptes au début peut également se justifier par le fait qu'il n'y a pas en France que de grandes régions [...]. L'avantage de la création des chambres interrégionales des comptes pendant une première période serait de vous faire connaître le volume des affaires traitées et relevant de chaque région".

La démarche pragmatique, qui était alors proposée, a pu apparaître à certains comme de nature à contribuer utilement à l'effort d'harmonisation, aujourd'hui souhaité, des pratiques des chambres régionales des comptes. Néanmoins, la portée exacte d'une redéfinition complète du ressort territorial des chambres régionales des comptes mériterait une évaluation approfondie. Une réflexion sur la définition d'une " taille critique " minimale pour les chambres dont les dimensions sont les plus restreintes doit être engagée.

C. AMÉLIORER LE STATUT DES MAGISTRATS DES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES : VERS UN ALIGNEMENT SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS

Le statut du corps des magistrats des chambres régionales des comptes est fixé par le code des juridictions financières.

Jusqu'à la loi n° 97-276 du 25 mars 1997 portant dispositions statutaires relatives aux corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, il était assez largement comparable à celui des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Cependant, la loi du 25 mars 1997 a restructuré le corps des magistrats administratifs. Elle a, en outre, tiré les conséquences de cette restructuration sur les dispositions applicables au tour extérieur et au recrutement complémentaire et renforcé le régime des incompatibilités.

Ce corps est désormais organisé en trois grades et non plus en sept comme auparavant. Les listes d'aptitude, établies après avis du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, permettent de sélectionner les candidats aptes à l'exercice de fonctions de responsabilité les plus importantes.

Les fonctions de rapporteurs et de commissaires du Gouvernement doivent correspondre aux grades de conseillers et de premiers conseillers. En outre, l'allégement des exigences d'ancienneté pesant sur les premiers conseillers a eu pour souci de faciliter l'exercice des fonctions de juge unique.

La loi du 25 mars 1997 a également renforcé les incompatibilités géographiques applicables aux magistrats administratifs. Elle a allégé les conditions d'ancienneté requises pour l'affectation dans les cours administratives d'appel et adapté les conditions d'accès au tour extérieur à la nouvelle structure du corps, ces conditions étant en outre légèrement assouplies. Enfin, le détachement a été ouvert aux professeurs et maîtres de conférence titulaires des universités.

Parallèlement à la réforme législative, un rééchelonnement indiciaire a été prévu, représentant un coût global évalué à 21,586 millions de francs, soit un accroissement de l'ordre de 9,6% du coût des rémunérations versées aux magistrats administratifs.

Comme l'a relevé, lors de l'examen de cette loi, notre collègue Daniel Hoeffel dans son rapport au nom de la commission des Lois (n° 217, 1996-1997), l'évolution des missions des magistrats administratifs et les difficultés d'avancement tenant à l'ampleur des recrutements effectués au cours des années précédant la réforme, ont justifié une modification substantielle du statut des intéressés.

Cependant, compte tenu de la similitude des deux statuts, la commission des Lois a, à cette occasion, jugé nécessaire une réflexion destinée à apprécier si une modification du statut des magistrats des chambres régionales des comptes ne serait pas justifiée.

Soucieux que le statut des magistrats des chambres régionales des comptes soit un gage de qualité de l'activité de ces juridictions, le groupe de travail ne peut que reprendre ce constat à son compte.

Un rapprochement des deux statuts , sous réserve de la reconnaissance de spécificités propres aux magistrats des chambres régionales des comptes, pourrait ainsi être envisagé.

Favorable à ce rapprochement, le groupe de travail doit néanmoins faire observer qu'une initiative parlementaire dans ce domaine se heurterait au couperet de l'irrecevabilité financière.

IV. ADAPTER LE REGIME DES SANCTIONS DE LA GESTION DE FAIT A LEUR VERITABLE OBJET

A. REMÉDIER AUX INCONVÉNIENTS DU DISPOSITIF EN VIGUEUR

L'objet de la procédure de gestion de fait est avant tout de rétablir la règle de la séparation des ordonnateurs et des comptables, règle fondamentale dans notre organisation administrative et financière.

Dans la pratique de la gestion locale, des élus peuvent de bonne foi se mettre dans une situation irrégulière au regard de cette règle.

Or, les inéligibilités et démissions d'office prévues par le code électoral apparaissent inadaptées à l'objet de cette procédure de gestion de fait.

Comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, sont mises en oeuvre pour les comptables de fait des règles normalement prévues pour les comptables patents. Elles ne sont donc pas des sanctions complémentaires que le juge des comptes pourrait appliquer.

Ainsi conçu ce dispositif présente plusieurs inconvénients :

- il place la chambre régionale des comptes qui relève une situation de gestion de fait en position d'être juge du mandat de l'ordonnateur ;

- il prévoit un délai de régularisation ( six mois ) trop bref et mal adapté à la diversité des situations rencontrées ;

- il applique une sanction automatique extrêmement lourde et disproportionnée à la nature des irrégularités constatées.

On rappelera qu'en matière pénale, s'applique le principe général de l'individualisation judiciaire de la peine ( article 132-24 du code pénal).

Pour ces motifs, il conviendrait d'adapter les sanctions applicables à leur véritable objet qui est de rétablir la règle fondamentale et intangible de la séparation des ordonnateurs et des comptables.

B. POUR UNE MISE EN OEUVRE GRADUÉE DES SANCTIONS APPLICABLES

Le groupe de travail se prononce pour le remplacement de la démission d'office -sanction automatique et inadaptée- par une procédure de suspension des fonctions de l'ordonnateur jusqu'à l'apurement de la situation de la gestion de fait.

Une telle solution -moins brutale que celle en vigueur- permettrait de rétablir sans délai la règle fondamentale de séparation des ordonnateurs et des comptables, tout en incitant l'ordonnateur à régulariser au plus vite sa situation.

Elle n'aboutirait pas à une pratique différente de celle actuellement observée pour la régularisation qui peut être effectuée dans un délai de six mois, depuis la loi du 26 juillet 1991. Comme il est actuellement conduit à régulariser sa situation afin d'éviter la démission d'office, l'ordonnateur suspendu serait en effet incité à prendre les dispositions dans les plus brefs délais pour rétablir la régularité comptable, afin de retrouver ses prérogatives.

Cette régularisation pourrait néanmoins s'effectuer dans des délais plus réalistes (douze mois par exemple) et non pas dans le " délai-couperet " de six mois, souvent difficile à tenir.

Les sanctions électives ne seraient pas pour autant écartées pour les gestions de fait dont le caractère frauduleux conduirait à la mise en oeuvre d'une procédure pénale. Au terme de celle-ci, des peines complémentaires d'inéligibilité peuvent, le cas échéant, toujours être prononcées à titre complémentaire.

Enfin, le caractère non suspensif de l'appel peut avoir, dans ce cas précis, des conséquences difficilement réparables . En effet, en application des dispositions du code électoral, la démission d'office d'un élu déclaré comptable de fait peut être prononcée, lorsque quitus de sa gestion ne lui a pas été délivré dans les six mois de l'expiration du délai de production des comptes imparti par le jugement. Cette règle joue alors même que le jugement aurait été frappé d'appel.

Quel que soit par la suite le résultat du recours engagé, la démission d'office aura produit ses effets. L'élu se trouve ainsi, en pratique, privé du bénéfice du double degré de juridiction, ce qui n'est pas sans poser problème au regard des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Or il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 91-716 du 26 juillet 1991, qui a prévu la suspension de l'intervention de la démission prononcée par le préfet pendant un délai de six mois pour permettre au juge des comptes de déclarer, le cas échéant, l'élu quitte de sa gestion, que l'intention du législateur a été d'éviter qu'une démission d'office ne soit prononcée de façon précipitée pour une gestion de fait bénigne et, en toute hypothèse, exempte de tout caractère frauduleux.

Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, M. Alain Richard, avait ainsi noté dans son rapport écrit qu'en prévoyant qu'un élu ne peut être déclaré comptable de fait que par un jugement du juge des comptes statuant définitivement, cette disposition impliquait " en premier lieu, que le jugement provisoire d'une chambre régionale des comptes ne peut provoquer la déclaration de démission d'un élu et, en second lieu , que les voies de recours ont été épuisées ".

Saisi d'une demande d'interprétation de ces dispositions relatives au " jugement du juge des comptes statuant définitivement ", le Conseil constitutionnel n'a pas donné suite à cette demande, considérant qu'il ne lui appartenait de procéder à l'interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où cette interprétation est nécessaire à l'appréciation de sa constitutionnalité. Ce qui, selon le Conseil, n'était pas le cas en l'espèce (décision n ° 91-298 DC du 24 juillet 1991). Cette clarification devrait donc résulter de la loi elle-même.

CHAPITRE II

RENFORCER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DES ACTES DES COLLECTIVITÉS LOCALES

I. LA NÉCESSAIRE CLARIFICATION DE CERTAINS ASPECTS DE LA LÉGISLATION

Au cours du cycle d'auditions conduit par le groupe de travail, de nombreux intervenants, qu'il s'agisse des magistrats des juridictions financières ou des représentants des associations d'élus locaux, ont souligné les graves conséquences que comportent, pour les collectivités locales, les insuffisances de la législation ou son excessive rigidité dans certains domaines. De nombreuses difficultés que rencontrent les collectivités locales sont en effet une conséquence directe des rigidités ou du caractère flou de certaines législations .

Aussi, le groupe de travail souhaite-t-il que ces législations soient adaptées ou clarifiées. A cette fin, bien que le législateur détienne une responsabilité première dans ce domaine, le groupe de travail demande que soit reconnu aux chambres régionales des comptes un " droit d'alerte " du législateur, afin que ces juridictions puissent apporter leur concours dans la mise en évidence des aspects de la législation qui apparaissent comme des sources de difficultés pour les collectivités locales.

A cet égard, le travail effectué, à l'initiative du Sénat, dans le domaine de la législation sur le tourisme constitue un bon exemple, voire une démarche exemplaire, de clarification du cadre législatif dans lequel s'inscrit l'action des collectivités locales.

A. REMÉDIER AUX LIMITES DE CERTAINES LEGISLATIONS

1. Corriger des rigidités excessives

S'agissant de l'excessive rigidité de certains cadres d'action des collectivités locales, le groupe de travail, rejoint ici pleinement les conclusions des groupes de travail de la commission des lois respectivement consacrés à la responsabilité pénale des élus locaux 33( * ) et à la décentralisation 34( * ) . Relevant la complexité croissante du contexte de la gestion locale et les incertitudes, voire l'insécurité juridique que celle-ci fait peser sur les collectivités locales , ces groupes de travail de la commission des lois ont très largement mis en évidence la nécessité de clarifier le cadre légal dans lequel agissent les collectivités locales .

Ainsi était très justement analysée la mise en cause de l'efficacité des interventions économiques de collectivités locales résultant de l'inadaptation du cadre juridique dans lequel ces interventions s'inscrivent.

De même était relevés les inconvénients des rigidités persistantes du statut de la fonction publique territoriale , qui induisent notamment des lourdeurs dans les procédures de recrutement et de formation ainsi que des difficultés dans la gestion des carrières.

2. Clarifier des " zones d'ombre "

Outre le fait que certaines législations sont caractérisées par leur excessive rigidité, d'autres sont marquées par leur caractère flou. Les " zones d'ombre " de ces législations sont doublement problématiques pour les collectivités locales puisqu'elles entraînent, d'une part, de grandes incertitudes pour la conduite de certaines de leurs actions et que, d'autre part, elles sont à l'origine d'une inégalité de traitement de celles-ci en raison des divergences d'interprétation que ces dispositions peuvent soulever.

A cet égard, votre rapporteur a relevé que de nombreuses difficultés étaient liées soit à des incertitudes sur la portée de certaines définitions, soit à l'absence de dispositions encadrant certains domaines. Ce type d'incertitude ou de lacune se vérifie ainsi, par exemple, au sujet de la définition de la notion de " mieux disant " dans le domaine des règles applicables aux marchés publics, il se retrouve aussi dans le domaine du statut et des facilités accordées aux délégués des conseils municipaux au sein des établissements publics de coopération intercommunale. Des limites de même nature se retrouvent dans l'encadrement législatif des enquêtes publiques ainsi que dans les règles applicables aux délégations de service public, enfin, les règles applicables en cas de recours à une structure associative dans le domaine sportif ou culturel sont le plus souvent insuffisantes.


Rappel des principales règles à respecter en cas de recours
à une association

Le principal risque dans ce domaine tient au fait que les collectivités locales peuvent se trouver involontairement mise dans une situation de gestion de fait. C'est pourquoi il est souhaitable, d'une part, de rappeler les principales situations susceptibles de déboucher sur une situation de gestion de fait et, d'autre part d'indiquer les principales règles à respecter pour éviter sa survenance.

Sont susceptibles de déboucher sur une gestion de fait :

- les associations recouvrant des produits destinés à une collectivité, sans y être légalement habilitées ; une telle habilitation doit résulter d'une convention passée avec la collectivité et exige une justification annuelle des opérations du gestionnaire de l'organisme auprès du comptable de la collectivité ;

- l'attribution de subventions à des associations non déclarées ;

- les subventions détournées de leur véritable objet, en raison d'un emploi étranger à l'objet social de l'association.

De façon générale la " jurisprudence financière " en matière de gestion de fait dans le cadre associatif, tend à considérer que si une association " tire ses ressources essentiellement de la collectivité publique, si ses membres dirigeants (notamment son bureau et son assemblée) sont les responsables de ladite collectivité et si l'activité consiste à exécuter les tâches que ces derniers lui assignent, l'association a toutes les chances d'être déclarée gestionnaire de fait " (extrait de " Les contrôles des chambres régionales des comptes " de M. Jean Raynaud, éditions Sorman, 8 e édition, page 156).

Une situation de gestion de fait ne résulte donc que de la présence cumulative d'un certain nombre de faits concordants.

De fait, si les conditions d'exécution d'une tâche par une association sont clairement définies par une convention ou une délibération régulière, il ne s'agit pas d'une gestion de fait (arrêt de la Cour des comptes du 22 septembre 1988 - Département de la Haute-Saône, annulant le jugement de la chambre régionale des comptes prononçant la gestion de fait).

En pratique, " la plupart des associations culturelles, sportives ou autres recevant des subventions, échappent au risque d'une déclaration de gestion de fait dans la mesure où elles ne gèrent pas un immeuble ou une activité pour le compte d'une collectivité locale et remplissent les deux conditions suivantes :

- respect de l'objet pour lequel elles ont été créées ;

- degré d'autonomie suffisant vis-à-vis de l'assemblée et de l'administration locale " (Jean Raynaud déjà cité, page 157).

Dans cette perspective, l'analyse de plusieurs lettres d'observations définitives met en évidence certains points au respect desquels tout gestionnaire local doit rester attentif :

Veiller à l'autonomie administrative de l'association :

- il est ainsi souhaitable de veiller à l'existence de conventions d'objectifs entre le comité et la collectivité locale ;

- il est préférable de matérialiser l'autonomie de l'association en l'installant dans des locaux qui lui sont propres et de veiller à l'existence d'une relation contractuelle (paiement d'un loyer) s'il s'agit de locaux appartenant à la collectivité locale ;

Eviter une éventuelle confusion des rôles :

- l'association ne doit pas conduire d'actions pour le compte de la collectivité ne se rattachant pas à sa mission ;

Veiller à la transparence et à la rigueur de la comptabilité de l'association :

- en évitant en particulier le règlement par la collectivité locale de factures destinées à l'association.

Dans le prolongement de cette réflexion, le groupe de travail préconise une clarification du cadre d'intervention des collectivités locales dans les domaines où celles-ci se heurtent à l'absence de cadre légal bien défini, ce qui les conduit, soit à s'abstenir d'agir, soit à agir en prenant des risques juridiques .

B. ADAPTER LE CADRE LÉGISLATIF D'ACTION DES COLLECTIVITÉS LOCALES

1. Reconnaître aux chambres régionales des comptes un " droit d'alerte " sur les insuffisances ou les incertitudes de la législation

Ainsi qu'il a déjà été dit, il apparaît nécessaire de reconnaître aux chambres régionales des comptes un " droit d'alerte " sur les insuffisances, les incohérences et les difficultés d'interprétation de la législation dans le domaine de la gestion locale. Ces observations trouveraient leur place au sein du rapport public annuel de la Cour des comptes. Cette fonction devrait avoir notamment pour ambition de favoriser une réduction des divergences d'appréciation d'une chambre régionale des comptes à une autre, et donc de réduire les risques d'inégalité de traitement des collectivités locales.

2. Un bon exemple de clarification : la loi sur le tourisme

A cet égard, la clarification du cadre légal d'intervention des collectivités locales dans le domaine du tourisme qui résulte de la loi n° 92-1341 du 23 décembre 1992, portant répartition des compétences dans le domaine du tourisme apparaît comme un très bon exemple de ce travail d'adaptation du cadre législatif dans lequel agissent les collectivités locales.

Cette loi fait en effet suite aux nombreuses difficultés relevées, notamment par la Cour des comptes, dans ce domaine. Ces observations ont été suivies par le dépôt d'une proposition de loi de M. Georges Mouly, dont le rapporteur était M. Josselin de Rohan : cette proposition de loi s'est " transformée ", au cours de la navette parlementaire, en un texte global définissant, notamment, les rôles respectifs de l'Etat et des différents niveaux de collectivités locales dans ce domaine et prévoyant les modalités de mise en oeuvre financière et administrative de ces compétences. A cet égard, il apparaît, pour prendre cet exemple, que les comités départementaux du tourisme sont en effet, par la volonté du législateur, délégataires d'une mission de service public.

Cette prescription législative fonde ainsi un cadre spécifique pour l'action de ces collectivités locales dans le domaine du tourisme.

Ce texte prévoit en particulier pour les départements que :

1. " Le comité départemental du tourisme, créé à l'initiative du conseil général, prépare et met en oeuvre la politique touristique du département. " (article 6) ;

le principe d'une délégation de compétence du département au profit du comité départemental du tourisme se trouve donc affirmé ;

2. " Le conseil général fixe la nature juridique et la composition du comité départemental du tourisme. Il comprend notamment des délégués du conseil général ... " (article 7) ;

la liberté de choix du conseil général quant à la nature juridique du comité et à sa composition est clairement énoncée, la présence de représentants du conseil général est en outre expressément prévue ;

3. " Les ressources du comité départemental du tourisme peuvent comprendre notamment : des subventions et contribution de toute nature de l'Etat, de la région, du département , des communes et de leurs groupements... " (article 9) ;

la participation financière du conseil général au budget du comité n'est subordonnée à aucune limitation de montant ou de proportion la seule obligation du comité est de soumettre annuellement son rapport financier au conseil général siégeant en séance plénière.

Au total, l'analyse de ces dispositions démontre clairement la volonté du législateur d'instituer une délégation de service public dans le domaine du tourisme et met en évidence la grande souplesse du cadre juridique prévu pour sa mise en oeuvre. De ce fait, l'intervention des départements dans le domaine du tourisme bénéficie d'un cadre légal clair et souple.

II. DÉVELOPPER LA MISSION DE CONSEIL DES CHAMBRES REGIONALES DES COMPTES : UNE FAUSSE BONNE IDÉE

Evoquée à plusieurs reprises lors des auditions auxquelles a procédé le groupe de travail, et défendue, avec fougue, par le vice-président de l'association des présidents des conseils régionaux 35( * ) , l'idée de confier une mission de conseil ou d' avis préalable aux chambres régionales des comptes peut sembler séduisante ; mais, une telle réforme, qui pourrait modifier de manière durable et bénéfique les relations qu'entretiennent les élus locaux et les juridictions financières, se heurte à des obstacles matériels et à des objections juridiques qui rendent sa concrétisation difficile , voire impossible.

A. UNE IDÉE SEDUISANTE

L'idée de confier une mission de conseil aux chambres régionales des comptes n'est pas incongrue.

En effet, les deux autres "contrôleurs" des collectivités locales s'acquittent, d'ores et déjà, d'une telle fonction de conseil des collectivités territoriales, à la plus grande satisfaction des élus locaux.

C'est ainsi que le préfet, dans sa mise en oeuvre du contrôle de légalité et avant de saisir le juge administratif, entretient avec les collectivités locales concernées un dialogue destiné à prévenir les difficultés contentieuses.

Ces pratiques de consultation, de concertation et d'échanges sur la légalité des actes des collectivités locales ont été "consacrées" par la jurisprudence. En effet, le Conseil d'Etat a considéré, par un arrêt du 18 avril 1986 (Commissaire de la République du département d'Ille-et-Vilaine), que les observations adressées, à l'intérieur du délai de recours contentieux, par le préfet à un élu local, sur la légalité d'un acte de sa collectivité, équivalent à un recours gracieux qui prolonge le délai de recours contentieux ouvert au représentant de l'Etat.

Par ailleurs, les comptables publics chargés de l'apurement administratif des comptes des "petites" communes jouent, depuis longtemps, un rôle de conseil qui apparaît en étroite synergie avec leur rôle de contrôle.

Ils ont d'ailleurs été fortement incités à assumer cette mission de conseil juridique par la circulaire du 18 juin 1990 prise par notre collègue Michel Charasse, à l'époque ministre délégué chargé du budget 36( * ) .

Ce texte procédait, tout d'abord, à un rappel de la nature et de la portée du contrôle exercé par les comptables publics. Deux règles étaient réaffirmées avec force :

- en premier lieu, le comptable ne peut subordonner ses actes de paiement à une appréciation de l'opportunité des décisions prises par l'ordonnateur (rappel des articles 15, 55 et 82 de la loi du 2 mars 1982) ;

- en second lieu, le comptable ne peut effectuer un contrôle de la légalité interne des actes : son contrôle, qui porte sur la régularité, est circonscrit à un contrôle de la légalité externe des actes.

Pour le reste, cette circulaire avait pour objet principal de conforter le rôle de conseil des comptables locaux. Elle a atteint son but comme en attestent les témoignages des élus locaux, même si l'instruction du 17 septembre 1990 a opéré, sous prétexte " de préserver les prérogatives du préfet", un "repli stratégique", par rapport au texte de juillet, en réservant aux comptables supérieurs -et non plus aux ordonnateurs locaux- la primeur des observations formulées par les comptables sur la légalité externe des actes des collectivités locales.

Dans leur action quotidienne, les comptables publics continuent d'entretenir un dialogue constructif avec les élus locaux.

Enfin, les chambres régionales des comptes elles-mêmes exercent une fonction de conseil dans trois cas au moins :

- le contrôle des actes budgétaires dans l'exercice duquel les chambres régionales des comptes interviennent comme conseillers des préfets ;

- les modifications susceptibles d'être apportées aux règles fixant les modalités de répartition des contributions des communes au budget d'un syndicat intercommunal, sur lesquelles les chambres régionales des comptes, saisies par les préfets, donnent un avis ( article L. 232-3 du code des juridictions financières) ;

- les conventions relatives à des délégations de service public et les conventions relatives aux marchés sur lesquelles les chambres régionales des comptes, saisies par les préfets, émettent un avis qui est transmis au représentant de l'Etat et à la collectivité territoriale concernée (article L. 234-1 et L. 234-2 du code des juridictions financières ).

Il s'agirait donc d' étendre aux exécutifs territoriaux cette faculté de consulter les chambres régionales des comptes, jusqu'à présent réservée aux seuls préfets.

Cette extension peut paraître séduisante dans la mesure où elle permettrait de répondre à deux besoins exprimés par les élus locaux :

- en premier lieu, contribuer à la normalisation des rapports entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, en créant les conditions d'un dialogue avec les juridictions financières qui constituerait une aide à la décision ;

- en second lieu, conforter le besoin de sécurité juridique éprouvé par les élus locaux, en leur permettant de pouvoir bénéficier de conseils éclairés qui leur évitent de commettre des erreurs.

B. UNE IDEE DIFFICILEMENT APPLICABLE

Séduisante dans son esprit et dans ses éventuelles conséquences, la suggestion d'une extension de la fonction consultative des chambres régionales des comptes se heurte à de tels obstacles qu'elle semble vouée à demeurer une fausse bonne idée.

Le premier obstacle rencontré par ce projet est constitué par le caractère non extensible des ressources humaines dont disposent les chambres régionales des comptes.

A effectif inchangé, la reconnaissance d'une fonction de conseil, même limitée à deux matières (les projets de convention de délégation et de service public ou de marchés publics et les situations susceptibles de déboucher sur une gestion de fait) risque de se traduire par un "embouteillage", un encombrement ou un engorgement des chambres au détriment d'un exercice satisfaisant de leur fonction juridictionnelle de jugement des comptes et de leur mission "d'examinateur" de la gestion des collectivités locales.

En second lieu et surtout, -car l'obstacle matériel n'est pas insurmontable-, la reconnaissance aux chambres régionales des comptes d'une fonction consultative au bénéfice des élus locaux aboutirait à un dédoublement fonctionnel de ces juridictions financières qui pourrait poser problème au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En effet, dans un arrêt récent (Procola c/Luxembourg, 19 juillet 1995), la Cour européenne des droits de l'homme a condamné le Grand-Duché du Luxembourg pour violation de l'article 6 (droit à une procès équitable) de la convention, en raison du défaut d' impartialité structurelle du comité contentieux de son Conseil d'Etat.

Selon la Cour, "il y a eu confusion dans le chef de quatre conseillers d'Etat de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles . Dans le cadre d'une institution telle que le Conseil d'Etat luxembourgeois, le seul fait que certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions les deux types de fonctions est de nature à mette en cause l' impartialité structurelle de ladite institution. En l'espèce, Procola a pu légitimement craindre que les membres du comité du contentieux se soient sentis liés par l'avis précédemment donné. Ce simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit à altérer l'impartialité du tribunal en question."

Certes la portée de cette jurisprudence, qui représente un avatar européen du vieil adage selon lequel " nul ne peut être juge et partie ", mérite d'être relativisée car elle ne semble s'appliquer qu'au cas où le même magistrat aurait à connaître dans ses fonctions juridictionnelles d'une "affaire" sur laquelle il aurait émis, en amont, un avis dans son rôle consultatif.

Toutefois, cette hypothèse "d'impartialité structurelle" risque de se réaliser dans les "petites" chambres régionales des comptes aux effectifs réduits où il sera impossible d'établir une stricte division du travail entre les magistrats " conseillers " et les magistrats " contrôleurs ".

Or, il est inconcevable de ne reconnaître une fonction consultative qu'aux seules chambres régionales des comptes disposant d'effectifs de magistrats suffisants pour éviter de se trouver en situation "d'impartialité structurelle".

Une telle discrimination entre les chambres, fondée sur leur taille, se traduirait par une rupture du principe d'égalité entre les collectivités locales.

Pour toutes ces raisons, le groupe de travail a décidé, après en avoir longuement débattu, de ne pas retenir la suggestion d'une extension au bénéfice des élus locaux de la fonction consultative des chambres régionales des comptes.

III. AMÉLIORER LE CONTRÔLE DE LÉGALITÉ

Les solutions contraires dégagées, pour un même acte, par le contrôle de légalité et par la chambre régionale des comptes à l'occasion de l'examen de la gestion d'une collectivité locale, suscitent légitimement l'incompréhension des élus locaux.

Le groupe de travail a donc jugé nécessaire de définir des orientations qui, s'appuyant sur les réflexions antérieures, devraient être mises en oeuvre afin que le contrôle de légalité joue un rôle plus efficace en vue d'une sécurité juridique accrue des actes des collectivités locales.

A. LES RÉFLEXIONS ANTÉRIEURES

1. Les suggestions du Conseil d'Etat

Dans son rapport public pour 1993, le Conseil d'Etat avait recensé plusieurs carences dans la mise en oeuvre du contrôle de légalité : le nombre insuffisant des personnels affectés à cette mission, leur qualification insuffisante, les difficultés dans la collaboration entre les services préfectoraux et les services déconcentrés et, enfin, le manque d'information sur les textes et la jurisprudence applicables.

Afin de remédier à ces carences, le Conseil d'Etat avait suggéré d'accroître les effectifs des services préfectoraux chargés du contrôle de légalité et d'améliorer la formation des fonctionnaires en charge de cette mission.

Soutenant l'idée de mieux structurer les services chargés du contrôle de légalité, il avait envisagé deux formules : soit la création d'une direction juridique de la préfecture ayant pour mission le contrôle de légalité, le contrôle budgétaire, le contentieux et le conseil ; soit la mise en place d'un " pôle de compétences " à vocation spécialisée , notamment en matière de marchés publics.

Le Conseil d'Etat avait enfin préconisé une plus grande participation des services déconcentrés à l'exercice du contrôle de légalité

2. Le rapport Houssin

Le rapport de mission établi par notre ancien collègue député Pierre-Rémy Houssin sur la simplification de l'Etat dans ses relations avec les collectivités locales , avait également mis en lumière la nécessité de rendre plus homogène et plus effectif le contrôle de légalité.

Le rapport avait en effet souligné que le contrôle de légalité était trop inégal au plan géographique et souvent superficiel. Il avait relevé qu'il pouvait osciller entre le rigorisme le plus excessif et le laxisme le plus blâmable.

Le même rapport formulait des propositions sur l'organisation de l'Etat déconcentré qui, sans être directement liées au contrôle de légalité, pouvaient avoir un impact sur la capacité d'expertise des services de l'Etat.

Il soulignait qu'une relation harmonieuse et équilibrée entre les collectivités locales et l'Etat déconcentré impliquait l'unité de commandement au sein des services de l'Etat. Ce qui justifierait un renforcement de l'autorité du préfet sur l'ensemble des services extérieurs de l'administration de l'Etat.

Dans un ensemble de propositions destinées à améliorer les relations des services déconcentrés avec les collectivités locales, il suggérait de regrouper en pôles de compétences , voire en services uniques, sous l'autorité du préfet, certaines fonctions communes aux différents services de l'Etat, notamment la documentation juridique.

En outre, il relevait la nécessité de simplifier l'organisation des services de l'Etat, notamment par certains regroupements de services. Une telle proposition -parmi d'autres- devait être de nature à répondre à la légitime demande des élus locaux d'avoir comme interlocuteurs des services de l'Etat en mesure de leur apporter les réponses rapides et efficaces qu'ils sont en droit d'attendre.

3. Les conclusions du groupe sénatorial de travail sur la décentralisation

Le Sénat a depuis plusieurs années mis en évidence les légitimes préoccupations des élus locaux face à la mise en cause devant les tribunaux d'actes n'ayant pas appelé d'observations de la part du contrôle de légalité.

Le rapport établi par M. Pierre Fauchon au nom du groupe de travail de la commission des Lois sur la responsabilité pénale des élus locaux, placé sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye (n° 328, 1994-1995), avait déjà relevé que les élus locaux pouvaient légitimement être fondés à considérer le contrôle de légalité comme un indicateur fiable de la valeur juridique de leurs actes . Il avait donc souhaité que, par des moyens renforcés, les services du contrôle de légalité soient mieux à même d'informer les collectivités locales sur la légalité de leurs actes.

M. Jacques Larché, président de la commission des Lois, dans une question écrite, datée du 23 mai 1996 et adressée au Garde des Sceaux, avait lui-même fait observer que la discordance de points de vues entre le préfet et le procureur de la République sur un même acte faisait naître chez les élus locaux un sentiment d'insécurité juridique particulièrement préjudiciable au bon fonctionnement des collectivités territoriales.

Sur le rapport de M. Daniel Hoeffel, le groupe de travail de la commission des Lois sur la décentralisation, placé sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye (n° 239, 1996-1997), avait par la suite souligné la confusion qui existait dans la mise en oeuvre du champ des contrôles juridictionnels.

Il avait souhaité que les services du contrôle de la légalité soient mieux adaptés aux besoins des collectivités .

Mais, estimant que les collectivités locales faisaient confiance aux préfets pour exercer le contrôle de légalité et qu'une telle création serait susceptible de dénaturer l'esprit de la décentralisation, il avait écarté l'idée d'un " ministère public de la décentralisation " qui serait confié à un commissaire spécialisé issu du corps des magistrats des tribunaux administratifs et qui serait chargé d'exercer le contrôle de légalité en dehors des préfectures.

B. LES ORIENTATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

1. Pour une confirmation du rôle des préfets

Si le contrôle de légalité ne peut être une garantie absolue de la validité juridique des actes des collectivités locales, ces dernières peuvent néanmoins légitimement prétendre à une meilleure sécurité juridique.

A cet égard, l'autonomie du contrôle de gestion par rapport au contrôle de légalité renforce chez les élus un sentiment d'insécurité juridique, dans la mesure où une chambre régionale des comptes peut, quelques années plus tard, formuler des observations sur des décisions qui n'ont pas été critiquées dans le cadre du contrôle de légalité.

Si cette situation peut jeter un doute sur la qualité du contrôle exercé par les services préfectoraux, encore faut-il garder présent à l'esprit les caractéristiques de ce contrôle.

En premier lieu, le rôle des préfets -à travers l'exercice du contrôle de légalité- ne se borne pas à recourir à des voies de droit contraignantes. Les préfets doivent également prendre en compte les conditions réelles d'exercice des compétences locales. Cette spécificité du contrôle de légalité se traduit par un dialogue fructueux entre les préfets et les élus . C'est pourquoi, le faible nombre de déférés préfectoraux (1 961 pour 5,8 millions d'actes transmis aux préfectures en 1996) doit être analysé en tenant compte de la procédure préalable de concertation entre les élus locaux et les préfets, qui permet, dans bien des cas, de prévenir un déféré.

Comme le reconnaît la jurisprudence administrative, l'autorité préfectorale n'a pas l'obligation de déférer un acte d'une collectivité locale au tribunal administratif, un pouvoir d'appréciation du degré de gravité de l'infraction lui étant reconnu.

A la suite du groupe de travail de la commission des Lois sur la décentralisation, le groupe de travail affirme son attachement à ce que le contrôle de légalité continue à être exercé dans les préfectures, dans un cadre rénové.

2. Pour une complémentarité effective entre le contrôle de légalité et le contrôle financier

En second lieu, comme l'ont admis les magistrats entendus par le groupe de travail, certains irrégularités relevées par les chambres régionales des comptes au cours du contrôle de gestion pouvaient ne pas être décelables au moment où le contrôle de légalité s'est exercé.

Il existe donc en pratique une complémentarité entre le contrôle de légalité et le contrôle financier.

Il n'est, en outre, pas rare que les chambres régionales des comptes utilisent les travaux des services préfectoraux à l'appui de leur contrôle de gestion.

A l'inverse, dans l'exercice du contrôle de légalité, les préfets peuvent s'appuyer sur les analyses et les observations des chambres régionales des comptes.

Cette complémentarité est également expressément prévu par les textes pour l'exercice du contrôle budgétaire auquel les chambres régionales des comptes concourent ou à travers différentes dispositions prévoyant l'information des préfets par la juridiction financière à différents stades des procédures de contrôle budgétaire, de jugement des comptes ou d'examen de la gestion d'un collectivité locale.

Cette complémentarité pourrait être renforcée si des magistrats financiers, détachés à cet effet, apportait une assistance technique à l'exercice du contrôle de légalité . La même assistance pourrait être apportée par des magistrats des tribunaux administratifs et judiciaires ainsi que par des fonctionnaires des services déconcentrés de l'Etat. Pour ces derniers, si nécessaire, les compétences exercées dans les administrations centrales et qui sont souvent mal utilisées pourraient être déconcentrées au niveau départemental ou régional. Ce " pôle de compétences " devrait être rattaché au préfet, qui en définitive déciderait, seul, de la suite à donner à ces observations.

Parallèlement, les services préfectoraux chargés du contrôle de légalité devraient être renforcés, tant par la délivrance de formations adaptées que par la mise à leur disposition des outils d'analyse nécessaires .

Il s'agirait, à cette fin, d'approfondir les actions déjà mises en oeuvre par la direction générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur, à travers l'établissement de recueils de jurisprudence, la réponse à des questions ponctuelles ou l'organisation de sessions de formation sur les marchés publics et sur l'instruction comptable M14.

IV. RENFORCER LES PROCÉDURES DE CONTRÔLE INTERNE DES COLLECTIVITES LOCALES

Le changement de nature de l'action des collectivités locales qui résulte de la décentralisation a débouché sur un accroissement considérable des contraintes de gestion.

En effet, les collectivités locales sont notamment tenues de respecter un grand nombre d'obligations destinées à assurer la publicité et la transparence de leur gestion. A cet égard, il convient de citer, en particulier le débat obligatoire sur les orientations budgétaires, la mise à disposition du public de données synthétiques et comparatives, ainsi que les annexes aux documents comptables et budgétaires traditionnels.

Les gestionnaires locaux ont donc modernisé leurs méthodes, et tout en apprenant à travailler avec les organes de contrôle externes que constituent les chambres régionales des comptes, ils ont commencé à développer le contrôle interne de leur gestion.

A. UNE ÉVOLUTION QUALITATIVE ESSENTIELLE

Dans le cadre de cette évolution, de nombreuses collectivités locales ont, en effet pris, la mesure de l'intérêt qu'il pouvait y avoir pour elles à disposer d'une expertise qui leur soit propre.

Cependant, à la différence des entreprises, pour lesquelles l'analyse financière a donné lieu à des méthodes bien " étalonnées " et reconnues et où chacun s'accorde sur la finalité et sur les méthodes de l'analyse, l'examen des comptes des collectivités locales présente d'importantes spécificités.

A cet égard, il faut rappeler que les règles de la comptabilité publique auxquelles les collectivités locales sont soumises sont traditionnellement et fondamentalement conçues pour permettre le contrôle de la régularité de l'exécution d'un budget.

Or, aujourd'hui la vocation du contrôle interne doit être de servir la cause d'une bonne information financière et d'une gestion efficace. Ce contrôle interne, possède donc des règles spécifiques qui se distinguent ainsi, par nature, des règles de la comptabilité publique, qui apparaissent peu adaptées à une mise en perspective dynamique de la gestion locale.

A cet égard, l'entrée en vigueur progressive depuis 1997 des règles de la comptabilité M14 pour les communes constitue, malgré les difficultés pratiques qu'implique le changement de système comptable pour ces collectivités, un progrès indéniable. Ce nouvel ensemble de règles comptables aligne en effet, dans ses grandes lignes, la comptabilité des communes sur celles du plan comptable général applicable aux entreprises depuis 1982. De même, un grand nombre de ratios financiers ont été définis afin de pouvoir apprécier la situation financière des collectivités.

Ce dispositif comptable devrait permettre de moderniser la gestion des collectivités locales. Dans la perspective de l'entrée en vigueur des instructions comptables M52 et M71, qui devrait respectivement s'appliquer à partir de l'an 2000 aux départements et aux régions, M. Lionel Fourny, directeur général des services de la Moselle et président de l'association des directeurs généraux de service et directeurs généraux adjoints de service des conseils régionaux et généraux, note que " les pratiques et les outils de gestion sont anciens, et procèdent de règles héritées de l'Etat. Le changement de plan de comptes va donner l'occasion de mettre en place des instruments de pilotage qui n'existent pas encore " 37( * ) .

D'importants progrès ont donc été réalisés dans ces domaines.

Cependant, la complexité de l'environnement juridique et financier auquel sont confrontés les élus locaux dans le cadre de leur gestion renforce encore le besoin de concertation et de conseil, plus particulièrement à l'attention des petites communes, afin que l'action locale puisse s'exercer dans les meilleures conditions de sécurité juridique.

B. DOTER LES COLLECTIVITÉS LOCALES D'UNE FORCE DE CONSEIL AUTONOME

Les auditions du groupe de travail ont mis en évidence la forte demande des collectivités locales de pouvoir recourir à des instances de conseil autonomes dont l'objet serait de les assister dans l'exercice de leurs missions.

• A cet égard, le groupe de travail tient tout d'abord à rendre hommage à l'importante action conduite dans ce domaine par les grandes associations d'élus locaux et, tout particulièrement par l'association des maires de France qui apporte, notamment, son concours aux petites communes qui ne disposent pas des moyens suffisants pour pouvoir assumer seules la mise en place d'un contrôle interne.

• Par ailleurs, le groupe de travail a examiné l'idée d'une " réactivation ", sous une forme modernisée, de la formule de l'agence départementale instituée par l'article 32 de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, actuellement codifié à l'article L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales. Cet article prévoit que " le département, des communes et des établissements publics intercommunaux peuvent créer entre eux un établissement public dénommé agence départementale. Cette agence est chargée d'apporter aux collectivités territoriales et aux établissements publics intercommunaux du département qui le demandent une assistance d'ordre technique, juridique ou financier ".

Cette disposition témoignait de la volonté de permettre aux collectivités locales de disposer d'une instance de conseil émanant des collectivités locales elles mêmes. Il s'avère pourtant que cette formule a, en pratique, été un échec.

L'explication de cet échec se trouve en filigrane des conditions de son inscription dans la loi du 2 mars 1982. Au cours de la discussion de ce texte à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a répondu aux souhaits exprimés par de nombreux parlementaires, en proposant la création d'une agence départementale destinée à apporter aux communes ou à leurs établissements publics une assistance d'ordre technique, juridique ou financier. A cet égard, M. Alain Richard, rapporteur du texte, notait que " pour rééquilibrer le texte de la loi, en allégeant les tutelles techniques au même rythme que la tutelle administrative, [il s'agissait de chercher] des formules permettant aux communes de s'affranchir des contrôles et de l'orientation prioritaire que donnent les services de l'Etat aux projets des communes, grâce à l'importance de leurs moyens techniques ".

Au Sénat, la commission des lois et la commission des finances ont, à des degrés divers, exprimé des inquiétudes sur le principe de cette agence. La commission des lois considérait en effet que de telles structures pouvaient être créées dans le cadre du droit existant et, surtout, craignait que celles-ci puissent déboucher sur une nouvelle forme de tutelle entre collectivités locales. La seconde, tout en affirmant son refus de voir naître une tutelle à cette occasion, considérait cependant que le principe d'une instance locale de conseil était souhaitable pour les petites communes.

Force est de constater que cette formule n'a pas connu un grand succès en raison, notamment, de la crainte de voir naître une nouvelle forme de tutelle, mais aussi en raison du risque " inflationniste " que pouvait comporter une structure concurrente des services de l'Etat.

Le groupe de travail a donc estimé nécessaire qu'il soit procédé à une analyse plus approfondie des causes de l'échec de cette formule avant de s'interroger sur son éventuelle réactivation.

• Enfin, le groupe de travail a retenu tout l'intérêt qui s'attache à la proposition formulée par notre collègue Jean Puech, en sa qualité de président de l'assemblée des présidents de conseils généraux, et qui visait à la constitution d'un corps d'inspection spécifique aux collectivités locales . A cet égard, le groupe de travail a considéré qu'un tel corps d'inspection, qui devrait plutôt s'apparenter à une mission de conseil et d'audit , composée d' administrateurs territoriaux , pourrait utilement contribuer à l'exercice d'une fonction de conseil et d'assistance à la gestion en faveur des collectivités locales.

Dans l'esprit du groupe de travail, cette instance répondrait aux " commandes " des collectivités locales, et plus particulièrement à celles émanant des petites communes qui disposent de moyens financiers limités. L'organisme chargé d'effectuer cette prestation de service, qui pourrait faire l'objet d'une rémunération, serait constitué sous la forme d'un établissement public dont le conseil d'administration serait exclusivement composé de représentants des collectivités locales. En tout état de cause, il ne s'agirait pas de concurrencer les formes privées de conseil et d'audit des collectivités locales, mais de contribuer à une plus grande égalité dans l'accès au conseil en aidant les petites et moyennes communes aux moyens financiers limités.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

I. L'esprit des propositions

Le groupe de travail ne conteste pas la nécessité du contrôle financier exercé par les chambres régionales des comptes : ce contrôle constitue la contrepartie démocratique du renforcement des pouvoirs dévolus aux collectivités locales.

Corollaire indispensable de la décentralisation, ce contrôle représente également un indéniable facteur de transparence de la gestion publique locale.

Toutefois, l'impact médiatique du pouvoir d'informer, reconnu aux chambres régionales par la loi du 15 janvier 1990, impose que la mise en oeuvre de ce contrôle s'effectue dans le respect des principes généraux du droit et, en particulier, l'objectivité de l'instruction, le respect des droits de la défense et le droit d'exercer un recours contre les lettres d'observations définitives.

II. Les propositions

A cette fin, le groupe de travail préconise, en premier lieu, une rénovation des conditions de l'examen de la gestion des collectivités locales qui suppose :

1. L'édiction d'un " code du bon usage du contrôle " et une définition légale de l'objet de l'examen de la gestion.

•  La Cour des comptes doit continuer à favoriser l'émergence d'une " doctrine " commune aux juridictions financières pour la mise en oeuvre du contrôle financier, afin d'aboutir à une harmonisation des pratiques des chambres.

•  La consécration dans la loi d'une définition de l' objet de l' examen de la gestion permettrait de préciser que les lettres d'observations doivent faire obligatoirement référence aux textes qui auraient été méconnus et que l'examen de l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs ne peut aboutir à ce que les choix effectués, qui relèvent de la responsabilité exclusive des élus , puissent être eux-mêmes critiqués .

Elle devrait également prévoir que les lettres d'observations définitives sont tenues de prendre explicitement en compte les résultats de la procédure contradictoire et que, par leur structure même, elles doivent tenir compte de l'importance relative des observations formulées dans la gestion globale de la collectivité et formuler des recommandations concrètes permettant, aux yeux de la chambre, d'améliorer tel ou tel aspect de la gestion locale.

2. Le renforcement des garanties dont bénéficie le contrôlé , qui passe par une confidentialité des documents préparatoires ; l'institution , à l'approche des élections locales, d'une période de neutralité (de six mois) au cours de laquelle l'envoi des lettres d'observations définitives serait suspendu ; et, un renforcement du principe du contradictoire par la systématisation de la collégialité et du contre-rapport , la prise en compte des réponses de l' ordonnateur dans les lettres d'observations définitives et l'institution d'une procédure de recours contre les lettres d'observations définitives.

3. La modernisation du fonctionnement des chambres régionales des comptes , qui implique :

- une confirmation de la "frontière" fixée en 1988 entre le régime de l'apurement administratif , qui relève des comptables publics, et le jugement des comptes, effectué par les chambres, en prévoyant une indexation du seuil de 2 millions de francs (sur le taux d'évolution de la DGF) et en évitant les phénomènes d'aller-retour que connaissent certaines communes entre les deux régimes ;

- une réflexion sur une plus grande homogénéité des chambres qui conduit à s'interroger sur un éventuel regroupement des " petites chambres " ;

- un rapprochement du statut des magistrats des chambres régionales des comptes de celui des magistrats des tribunaux administratifs.

4. L'adaptation du régime des sanctions de la gestion de fait à leur véritable objet qui est de rétablir la règle fondamentale et intangible de la séparation des ordonnateurs et des comptables.

A cette fin, la sanction automatique résultant de la démission d'office de l'ordonnateur reconnu comptable de fait devrait être remplacée par une procédure de suspension des fonctions d'ordonnateur jusqu'à l'apurement de la situation de gestion de fait.

III. Le groupe de travail a, en second lieu , considéré qu'il était nécessaire de renforcer la sécurité juridique des actes des collectivités locales , ce qui suppose :

1. une clarification de certains aspects de la législation ;

2. une amélioration du contrôle de légalité qui doit continuer à être exercé par les préfectures, mais dans un cadre rénové.

A cette fin, la complémentarité entre le contrôle de légalité et le contrôle financier pourrait être améliorée (des magistrats financiers détachés à cet effet pourraient apporter une assistance technique dans le cadre d'un " pôle de compétences " rattaché au préfet) ;

3. un renforcement des procédures de contrôle interne des collectivités locales, ce qui pourrait justifier une évaluation des voies et moyens de nature à réactiver les agences départementales pour les plus petites collectivités et une réflexion sur la mise en place d'une mission de conseil et d'audit propre aux collectivités locales.

CONCLUSION

Au terme de ce rapport, ses auteurs souhaitent préciser que ce document, approuvé par la majorité du groupe de travail et dont la publication a été autorisée, à l'unanimité, par ses commissions de rattachement (la commission des Finances et la commission des Lois), constitue un rapport d'étape en vue d'une modernisation des conditions d'exercice du contrôle financier.

Ce caractère de "lettre d'observations provisoires" explique la formulation de certaines propositions sur un mode interrogatif ou conditionnel. Tel est le cas de la suggestion d'un regroupement des chambres régionales afin d'aboutir à la constitution d'entités plus homogènes.

Ce caractère de rapport d'étape explique également que l'idée d'une extension de la fonction consultative des chambres régionales des comptes ait fait l'objet de développements nourris, avec un examen des avantages et des inconvénients de cette formule qui a été écartée par le groupe de travail, en l'état actuel de ses réflexions.

En réalité, ce rapport d'étape est destiné à nourrir la réflexion sur une question essentielle pour le bon fonctionnement de la décentralisation. Il est souhaitable que chacune des propositions formulées ou esquissées, puisse permettre d'approfondir le dialogue engagé tout au long des auditions du groupe de travail avec les parties concernées : le Gouvernement, les élus locaux, les juridictions financières, les comptables publics...

A l'issue de cette nécessaire concertation , une proposition de loi pourrait utilement formaliser un certain nombre de dispositions dont l'introduction dans notre ordonnancement juridique nécessiterait l'intervention du législateur.

Telle est la démarche, en deux temps, qu'a décidé d'adopter le groupe de travail afin d'aboutir à "une lettre d'observations définitives" susceptible de faire l'objet d'un large consensus.

Ce processus itératif, qui permet de confronter les propositions émises par le groupe de travail à l'épreuve positive de la critique constructive, s'avère indispensable sur un sujet aussi crucial que le contrôle des actes des collectivités locales.

Ce thème se trouve, en effet, au confluent de deux exigences fondamentales pour l'avenir de notre pays :


• l' impérieuse nécessité de développer une culture de l'évaluation des politiques publiques afin d'assurer la meilleure allocation possible des ressources publiques dans un contexte de rareté de l'argent public ;


• l' ardente obligation de conforter la décentralisation et de faire vivre la démocratie locale qui, en offrant un point d'ancrage et d'enracinement à nos concitoyens, constituent une réponse moderne au défi de la mondialisation.

ANNEXES


ANNEXE N° I : Examen du rapport du groupe de travail par la commission des finances et la commission des lois.

ANNEXE N° II : Liste des personnes entendues par le groupe de travail.

ANNEXE N° III : Comptes rendus des auditions.

ANNEXE N° IV : Le " texte de référence ", élaboré par la Cour des comptes, sur la forme et la présentation des lettres d'observations définitives.

ANNEXE N° I

EXAMEN DU RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL PAR LA COMMISSION DES FINANCES ET LA COMMISSION DES LOIS

Réunies le mardi 23 juin 1998, sous la présidence conjointe de M. Jacques Larché, président de la commission des lois, et de M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, les deux commissions ont entendu une communication de M. Jean-Paul Amoudry, président, et de M. Jacques Oudin, rapporteur, sur les conclusions du groupe de travail commun aux deux commissions sur les chambres régionales des comptes.

M. Jacques Larché, président de la commission des lois, a tout d'abord rappelé que le groupe de travail sur les chambres régionales des comptes, commun à la commission des finances et à la commission des lois, avait été constitué à son initiative et à celle de M. Christian Poncelet, à la suite du dépôt, le 25 février 1997, de la proposition de loi n° 229 de MM. Patrice Gélard, Jean-Patrick Courtois et de plusieurs de leurs collègues, destinée à préciser les compétences des chambres régionales des comptes.

M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, a mis en valeur les auditions auxquelles avait procédé le groupe de travail pour parvenir à une large concertation.

M. Jean-Paul Amoudry, président du groupe de travail, a précisé que celui-ci s'était assigné pour tâche de dresser un bilan, après quinze années de pratique de l'action des chambres régionales des comptes et des modalités d'exercice du contrôle financier.

M. Jean-Paul Amoudry a souligné que les réflexions de ce groupe de travail s'étaient inscrites dans une double perspective. Il a indiqué, en premier lieu, que le principe du contrôle financier constituait un corollaire indispensable et incontestable de la décentralisation et un indéniable facteur de transparence de la gestion publique locale. Il a, en second lieu, rappelé que le respect de la démocratie exigeait néanmoins que le contrôle financier se garde de heurter deux écueils, d'une part, la tentation de se prononcer en opportunité sur les choix démocratiquement effectués par les assemblées locales et, d'autre part, l'excès de rigidité qui ne tiendrait pas compte de la grande complexité du contexte juridique, économique et financier dans lequel interviennent les collectivités locales. Sur ce point, il a rappelé que ce contexte avait contribué, lors des dernières élections municipales, à décourager de nombreux maires sortants qui n'avaient pas sollicité le renouvellement de leur mandat.

M. Jean-Paul Amoudry a ensuite souligné que les conclusions du groupe de travail avaient pour ambition de proposer des modifications des conditions de la mise en oeuvre du contrôle financier local, qui constituait la contrepartie démocratique de l'accroissement des pouvoirs dévolus aux collectivités locales, ayant pour objet de rendre celui-ci plus respectueux des principes généraux du droit. Il a enfin indiqué que ces conclusions étaient destinées à constituer un rapport d'étape dont l'ambition était de contribuer au dialogue indispensable entre chambres régionales des comptes et élus locaux.

M. Jacques Oudin, rapporteur, présentant les conclusions du groupe de travail, a souligné que celles-ci étaient marquées par la volonté d'inscrire l'exercice du contrôle financier local dans le cadre du respect des principes généraux du droit qui tiennent, notamment, à la rigueur de l'instruction, au respect des droits de la défense, à la proportionnalité des sanctions ainsi qu'au droit d'exercer un recours à l'encontre de tout acte administratif faisant grief.

A l'issue de cette présentation, M. Jacques Larché, président de la commission des lois, a fait remarquer que ces conclusions pourraient servir de base à une éventuelle réforme législative des modalités du contrôle financier. Il a relevé que ce travail avait très justement rappelé, d'une part, le caractère indissociable de la décentralisation et du contrôle financier local et, d'autre part, la nécessité de garantir les droits de la défense dans ce domaine. Il a, par ailleurs, confirmé que la complexité du cadre juridique et financier dans lequel interviennent les collectivités locales avait constitué un facteur de découragement des maires et contribué à dissuader un grand nombre d'entre eux de se représenter aux élections municipales de 1995.

M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, a pour sa part insisté sur l'importance du lien qui existait entre la décentralisation et le contrôle financier local. Il a précisé qu'il convenait néanmoins de veiller au respect des droits de la défense. Il a, par ailleurs, noté que la définition d'une frontière objective entre l'appréciation de l'opportunité des décisions prises par une assemblée locale et le contrôle de la régularité juridique de celles-ci ne constituait pas une tâche aisée. Il a ensuite déploré l'incertitude juridique qui pesait sur les actes des collectivités locales qui "passaient le cap" du contrôle de légalité et qui suscitaient ensuite des critiques de la part des chambres régionales des comptes. S'agissant enfin de la fonction de conseil des chambres régionales des comptes, il a souhaité que celles-ci puissent continuer de s'exercer de façon informelle.

M. Michel Charasse s'est dit en accord avec la "philosophie d'ensemble" des conclusions du groupe de travail à l'exception de quelques divergences ponctuelles. A cet égard, il a tout d'abord précisé que la frontière entre contrôle de la régularité et contrôle de l'opportunité était difficile à définir mais que la réaffirmation de son principe était indispensable. Sur ce point, il a contesté toute forme de contrôle de l'utilité des dépenses des collectivités locales par les chambres régionales des comptes.

M. Michel Charasse a ensuite estimé qu'il convenait de conférer une valeur juridictionnelle aux lettres d'observations définitives afin que celles-ci puissent faire l'objet de recours en appel et en cassation. Il a, par ailleurs, insisté sur la nécessité d'imposer aux chambres régionales des comptes le respect de l'autorité de la chose jugée. A cet égard, il a considéré qu'il fallait, en premier lieu, veiller à ce que les chambres régionales des comptes ne puissent pas se prononcer, dans le cadre d'un examen de la gestion d'une collectivité locale, sur les périodes dont les comptes avaient déjà été jugés ou vérifiés.

En deuxième lieu, M. Michel Charasse a souligné qu'en cas d'opposition entre l'appréciation d'une chambre régionale des comptes et un jugement d'un tribunal administratif, l'autorité de la chose jugée devait conduire la chambre régionale des comptes à s'en tenir aux termes de ce jugement. En troisième lieu, il a insisté sur le fait qu'une chambre régionale des comptes ne pouvait en aucun cas se prononcer sur la légalité d'actes réglementaires dont elle aurait à connaître dans l'exercice de sa mission.

Par ailleurs, M. Michel Charasse a souhaité que les comptes des collectivités locales ayant fait l'objet d'un jugement d'une chambre régionale des comptes ou ayant été apurés par les comptables supérieurs du Trésor ne puissent plus faire l'objet d'une autre forme de contrôle, tel que celui exercé par les Unions de recouvrement des cotisations de la sécurité sociale et des allocations familiales (URSSAF). Il a proposé que la faculté reconnue au préfet de consulter les chambres régionales des comptes soit développée sur le modèle de la consultation des présidents de tribunal administratif.

Puis, M. Michel Charasse a souligné qu'il convenait d'unifier le régime juridique applicable en matière de démission d'office à la suite d'une déclaration définitive de gestion de fait, de telle sorte que celle-ci soit, dans tous les cas, prononcée par le préfet. Enfin, il a évoqué le problème de l'exercice du droit de grâce au regard des condamnations et amendes prononcées par l'ensemble des juridictions financières, en soulignant la spécificité du pouvoir de remise, exercé dans ce domaine par le ministre du budget, alors qu'il s'agissait de sanctions quasi pénales qui, à ses yeux, devraient relever du Président de la République.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a noté le très grand intérêt des conclusions du groupe de travail en soulignant qu'il avait apprécié la façon dont la problématique du contrôle financier local avait été présentée. Il a estimé que ce document pouvait servir de référence à une future réforme législative.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a ensuite indiqué que quatre points recueillaient son entière approbation. Tout d'abord, il a relevé qu'il était indispensable de confirmer le refus de toute forme de contrôle de l'opportunité des décisions prises par des assemblées démocratiquement élues. Puis, il a insisté sur la nécessité de garantir le secret de l'instruction et, par conséquent, le caractère confidentiel et non communicable des lettres d'observations provisoires. Il a ensuite considéré qu'il était indispensable de veiller au respect du caractère contradictoire de l'ensemble des procédures applicables devant les chambres régionales des comptes. Il s'est enfin dit favorable à l'idée d'instituer un "droit d'alerte" des chambres régionales des comptes sur les défauts de la législation que celles-ci relevaient dans l'exercice de leurs fonctions.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a ensuite exprimé une réserve sur l'idée de demander aux chambres régionales des comptes d'inclure des appréciations positives dans les lettres d'observations définitives. Il s'est aussi dit réservé sur l'opportunité d'annexer le texte des lettres d'observations provisoires à celui des lettres d'observations définitives. Il a en outre considéré que les chambres régionales des comptes devaient veiller à respecter, dans la formulation de leurs observations, une rédaction neutre pour éviter tout caractère accusatoire.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a ensuite souligné son opposition à l'idée de conférer un caractère supra régional à certaines chambres régionales des comptes dans le cadre d'un éventuel regroupement des chambres qui n'atteignent pas "la taille critique". S'agissant des divergences d'appréciation entre le contrôle de légalité et le contrôle financier, il a rappelé que chacune de ces deux formes de contrôle comportait des spécificités inévitables. Il a enfin considéré qu'il n'était pas nécessaire d'instituer une nouvelle forme de recours à l'encontre des lettres d'observations définitives.

M. Jacques Oudin, rapporteur, a précisé qu'en l'état actuel du droit, les lettres d'observations définitives étant réputées ne pas faire grief, elles n'étaient pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel. Il a indiqué que le groupe de travail proposait en conséquence de combler cette lacune.

M. Jean-Pierre Schosteck a considéré, pour sa part, que l'adjonction, en annexe des lettres d'observations définitives, du texte des lettres d'observations provisoires n'était pas souhaitable dans la mesure où ces dernières comportaient souvent des erreurs, y compris purement matérielles. Il a, par ailleurs, souligné qu'au sein d'un groupe de travail constitué entre la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte (FNSEM) et les chambres régionales des comptes dont il était membre, il avait été convenu que les magistrats devaient être plus attentifs à l'interprétation médiatique du vocabulaire juridique traditionnellement employé dans les lettres d'observations définitives. Il a enfin relevé l'excessive durée de certaines procédures d'examen de la gestion qui pouvaient dépasser quatre années.

M. François Blaizot s'est félicité de la qualité du rapport du groupe de travail et a considéré qu'il contribuerait à faire progresser la réflexion dans ce domaine. Il a, par ailleurs, regretté que les chambres régionales des comptes s'en tiennent trop souvent à une simple critique de la gestion locale. Il a souhaité que ces juridictions financières tiennent un meilleur compte de l'ensemble de la gestion de la collectivité locale qu'elles examinent. Il s'est dit enfin très favorable à l'institution d'une faculté d'exercer un recours à l'encontre des lettres d'observations définitives.

A l'issue de ce débat, les deux commissions réunies ont alors décidé, à l'unanimité, d'autoriser la publication des conclusions du groupe de travail (sous la forme d'un rapport d'information).


ANNEXE N° II

LISTE DES PERSONNES
ENTENDUES PAR LE GROUPE DE TRAVAIL

Jeudi 5 juin 1997 M. Jacques BONNET , Président de chambre à la
Cour des comptes 169

Mme Hélène GISSEROT , Procureur général près
la Cour des Comptes et M. Jean-Philippe VACHIA, Avocat général près la Cour des comptes 173

Mardi 10 juin 1997  M. Jacques BLANC , président de la région Languedoc-Roussillon 181

M. Jean-Pierre GASTINEL , Président de la chambre régionale des comptes de Nord-Pas-de-Calais 185

Mardi 17 juin 1997  M. Jean PUECH , sénateur, Président de
l'Association des présidents de conseils généraux (APCG) 191

M. Marc CENSI ,Président de l'assemblée des districts et communautés de France 195

M. Pierre JOXE , Premier Président de la Cour des comptes 199

Jeudi 19 juin 1997 M. Joël THORAVAL , Préfet de la région
Ile-de-France, Président de l'Association du corps préfectoral 203

M. Michel THÉNAULT , Directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur 207

M. Gilles CAREZ , Député, vice-président de l'Association des Maires de France (AMF) 213

Mardi 1 er juillet 1997 M. Camille VALLIN , Président de la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte (FNSEM)
et M. Maxime Peter , directeur général
de la Fédération 219

MM. Pierre ROCCA , Conseiller à la chambre régionale des comptes
de Provence-Alpes-Côte d'Azur, et
Dominique DELARUE , Conseiller à la chambre
régionale des comptes de Bourgogne 225

Mardi 16 septembre 1997 M. Michel GONNET , Directeur de la comptabilité publique au ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie 231

M. Louis ARBELOT , Trésorier payeur général du Rhône et de la région Rhône-Alpes 237



Mardi 23 septembre 1997 MM. Alain SERIEYX , Président de la chambre
régionale des comptes de la région
Provence-Alpes-Côte d'Azur
Philippe LIMOUZIN-LAMOTHE , Président de la chambre régionale des comptes de la région
Midi-Pyrénées et
Roger COMBEL , Président de la chambre
régionale des comptes de Bretagne 241

Jeudi 25 septembre 1997  Maître Jean ANTAGNAC , Avocat 251

Maître Régis de CASTELNAU , Président de l'association française des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales 255

M. Lionel FOURNY , Président de l'association nationale des directeurs de service et directeurs généraux adjoints de service, des conseils généraux et régionaux 259

Mardi 10 février 1998   M. Maurice DOUSSET , Président de la région
Centre 263



M. Jacques FERRATON , Président de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté 267

M. Jacques BELLE , Président de la chambre régionale des comptes de la région Rhône Alpes 273

ANNEXE N° III

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS AUXQUELLES A PROCÉDÉ LE GROUPE DE TRAVAIL

M. Jacques BONNET

Président de chambre à la Cour des Comptes,
Chef de la mission d'inspection
des chambres régionales des comptes
Jeudi 5 juin 1997

M. Jacques Bonnet a, tout d'abord, dressé un tableau de la situation actuelle des chambres régionales des comptes, dont le régime juridique n'a cessé d'évoluer depuis l'institution de ces chambres par la loi du 2 mars 1982. Soulignant que ces juridictions nouvelles n'étaient que partiellement héritières de la Cour des Comptes, il a insisté sur la part de novation qui avait présidé à leur création. Il a relevé la difficulté particulière de leur tâche dans la mesure où leur champ de compétence concerne des assemblées élues. Il a ensuite rappelé que les juridictions financières locales comportaient 25 chambres régionales des comptes, qui employaient un effectif de 320 magistrats, dont un tiers était issu de l'Ecole nationale d'administration.

Par ailleurs, il a rappelé que les chambres régionales des comptes devaient contrôler plus de 67.000 comptabilités publiques, auxquelles il convenait d'ajouter les comptes de nombreux organismes de droit privé bénéficiant de financements en provenance des collectivités locales.

M. Jacques Bonnet a ensuite dressé un bilan quantitatif de l'activité des chambres régionales des comptes qui prononcent plus de 17.000 jugements par an, ce qui correspond à un rythme d'apurement quadriennal. Puis, il a indiqué qu'en 1995 les chambres régionales des comptes avaient émis 1.370 avis budgétaires et adressé 2.671 communications aux ordonnateurs ou aux autorités administratives, dont plus de 1.120 lettres d'observations provisoires et près de 960 lettres d'observations définitives. Il a enfin souligné que 264 mises en débet avaient été prononcées, qui avaient mis à la charge des comptables publics près de 29 millions de francs, cet ensemble ayant abouti dans 83 cas à une déclaration de comptabilité de fait. 63 affaires ont fait l'objet d'une transmission au procureur de la République.

M. Jacques Bonnet a rappelé que la législation applicable aux chambres régionales des comptes avait connu une évolution constante puisque, depuis la loi fondatrice du 2 mars 1982, pas moins de dix lois étaient intervenues pour modifier soit leurs compétences, soit les procédures applicables à l'exercice du contrôle financier. Il a insisté, en particulier, sur l'importance de la "loi d'amélioration de la décentralisation" du 5 janvier 1988 qui avait, d'une part, restreint le champ d'action des chambres régionales des comptes, en soustrayant à leur contrôle les communes de moins de deux mille habitants et dont le montant des recettes ordinaires était inférieur à 2 millions de francs et, d'autre part, organisé et défini le cadre d'un véritable contrôle de la gestion des collectivités locales. Il a souligné que cette loi avait eu des effets très positifs, dans la mesure où elle avait permis de recentrer le contrôle des chambres régionales des comptes sur les "grandes" collectivités. M. Jacques Bonnet a, par ailleurs, insisté sur la naissance d'une véritable procédure contradictoire destinée à encadrer l'exercice du contrôle de gestion.

Il a ensuite axé son analyse sur les lettres d'observations définitives, dont il a considéré qu'elles concentraient les principales difficultés rencontrées dans l'exercice du contrôle financier. S'agissant du contenu des lettres d'observations définitives, M. Jacques Bonnet a tout d'abord constaté que la très grande majorité des observations traitait de la régularité des décisions des collectivités locales sans qu'il soit porté d'appréciation sur leur gestion. Sur ce point, il a précisé que l'analyse des décisions de gestion était reprise dans le cadre de travaux thématiques conduits par la Cour des Comptes sous la forme de rapports particuliers. A cet égard, il a rappelé que ces rapports, qui avaient traité notamment des constructions scolaires, de l'aide sociale, du thermalisme et des interventions économiques des collectivités locales, constituaient des analyses nuancées de la gestion des collectivités locales. Il a ensuite insisté sur la fonction essentielle des juridictions financières, qui était de concourir à une bonne gestion des collectivités locales en les mettant en garde contre un certain nombre de risques ou de dérives.

S'agissant du contrôle de l'opportunité des choix de gestion, M. Jacques Bonnet a souligné que, s'il existait parfois des maladresses de rédaction dans les lettres d'observations, il ne s'agissait, en aucun cas, pour les juridictions financières de porter une appréciation sur les choix politiques effectués par les élus locaux. Il a alors évoqué les deux cas "litigieux" du pont de Normandie et de la participation financière de la commune des Sables-d'Olonne au "Vendée-Globe". A cet égard, il a noté que, dans le premier cas, la chambre régionale des comptes avait relevé l'absence de compétence du département pour participer à cette opération, ainsi que le renchérissement du coût de l'opération. Dans le second cas, la chambre régionale des comptes s'était bornée à suggérer la réalisation d'études destinées à évaluer les "retours" de la participation financière de la commune en termes d'effets économiques et à mettre ces éventuelles retombées en rapport avec l'investissement effectué par la collectivité.

Il a cependant considéré que la mise en oeuvre du contrôle de gestion pouvait s'avérer imparfaite et que ce constat avait conduit la Cour des Comptes à engager une vaste consultation des chambres régionales des comptes, dont l'objectif était d'aboutir à l'élaboration d'un "code de bonne conduite" dans la mise en oeuvre du contrôle de gestion. Soulignant que cette consultation était encore en cours, il a néanmoins précisé que les principaux objectifs de cette démarche étaient de recommander une hiérarchisation des observations en fonction de leur importance et de leur enjeu financier et de définir des critères objectifs pour apprécier la gestion d'une collectivité locale.

S'agissant d'éventuelles adaptations législatives, M. Jacques Bonnet a indiqué qu'à l'exception d'une éventuelle suppression de l'automaticité de la sanction d'inéligibilité et de démission d'office applicable à la gestion de fait, la Cour des Comptes considérait que les textes en vigueur formaient un ensemble acceptable. Il a cependant relevé qu'un éventuel développement du rôle préventif des chambres régionales des comptes pouvait être envisagé en instituant une procédure d'avis préalable sur les projets de conventions comportant une délégation de service public, ainsi qu'en ce qui concerne les "montages" juridiques susceptibles de déboucher sur une gestion de fait.

S'agissant de l'institution éventuelle d'une procédure de recours à l'encontre des lettres d'observations définitives qui serait exercée par les collectivités locales auprès de la Cour des Comptes, il a considéré qu'il existait un problème juridique dans la mesure où la lettre d'observations définitives ne constituait pas une décision juridictionnelle et qu'en outre, une telle procédure comportait, dans l'état actuel des moyens dont dispose la Cour des Comptes, un risque d'encombrement de son prétoire.

Répondant aux questions de M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim, le chef de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes a tout d'abord indiqué que la mission pouvait être saisie par le Premier Président de la Cour des comptes, à la suite d'une lettre adressée par une collectivité locale, afin de se prononcer sur le point de savoir si une chambre régionale des comptes avait outrepassé ses compétences. Sur ce point, il s'est dit favorable à la mise en oeuvre d'une pratique prétorienne, plutôt qu'à une définition législative plus précise du rôle de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes.

S'agissant des violations de la règle du secret professionnel au cours d'un contrôle de gestion, M. Jacques Bonnet a souligné l'existence d'un droit disciplinaire qui permettait de sanctionner les magistrats qui seraient reconnus coupables de manquements à la règle du secret professionnel. Il a cependant relevé que la très grande majorité des "fuites" ne trouvaient pas leur origine dans les chambres régionales des comptes. Sur ce point, il a néanmoins jugé utile de réaffirmer le caractère impératif de la règle du secret professionnel.

S'agissant de l'adjonction des réponses de la collectivité locale à la lettre d'observations définitives, il a souligné qu'il n'existait pas d'obstacles de principe à une telle adaptation. Quant aux formes de la communication de ces lettres d'observations définitives aux assemblées délibérantes, M. Jacques Bonnet a rappelé que les textes prévoyaient une "communication", qui pouvait être écrite, et ne prescrivaient, en aucun cas, l'obligation d'une lecture devant l'assemblée délibérante. S'agissant, enfin, de la distinction existant entre le contrôle juridictionnel et le contrôle de gestion, il a précisé que ces derniers relevaient de deux logiques totalement distinctes.

Répondant ensuite aux questions de M. Joël Bourdin, le chef de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes a tout d'abord reconnu la difficulté de définir précisément la frontière entre le contrôle de régularité et le contrôle d'opportunité. A cet égard, il a rappelé qu'il n'appartenait pas aux juridictions financières de se prononcer sur des décisions politiques, mais qu'elles devaient cantonner leur action à l'analyse de la mise en oeuvre financière de ces décisions. S'agissant d'éventuels cas de "harcèlement" d'une collectivité locale par une chambre régionale des comptes, M. Jacques Bonnet a demandé que si de tels cas existaient, ils soient signalés à la Cour des comptes, qui pourrait éventuellement engager une procédure de sanction disciplinaire en cas de manquements graves aux règles professionnelles. S'agissant, enfin, de l'articulation entre le contrôle de légalité et le contrôle de gestion, il a indiqué que le fait, pour une collectivité locale, d'avoir passé "la barrière" du contrôle de légalité ne pouvait pas préjuger de la régularité de la mise en oeuvre d'une décision.

Mme Hélène GISSEROT
Procureur général
près la Cour des comptes
M. Jean-Philippe VACHIA
Avocat général
près la Cour des comptes
Jeudi 5 juin 1997

Mme Hélène Gisserot , rappelant que les chambres régionales des comptes avaient pour mission d'exercer un contrôle externe des gestions publiques, a fait observer qu'un tel contrôle existait dans tous les Etats démocratiques en particulier en Europe. Elle a néanmoins relevé que l'exercice de ce contrôle par des organes juridictionnels tels que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes constituait une solution originale.

Mme Hélène Gisserot a ensuite fait valoir que les chambres régionales des comptes opéraient un contrôle technique des comptes et de la gestion des collectivités locales, qui devait être bien distingué du contrôle politique exercé par les assemblées délibérantes et par le suffrage universel.

Présentant les étapes successives du contrôle des comptes, Mme Hélène Gisserot a rappelé qu'entre 1807 et 1835, ce contrôle était exercé par les conseils de préfectures, lesquels avaient des prérogatives limitées.

Elle a noté qu'entre 1835 et 1982 la Cour des comptes assumait elle-même cette mission qui était néanmoins limitée aux collectivités locales les plus importantes, les autres collectivités étant soumises à l'apurement administratif effectué par le trésorier payeur général. Elle a néanmoins considéré que l'existence d'une tutelle préfectorale contribuait à garantir la bonne gestion des finances locales.

Mme Hélène Gisserot a indiqué que pendant cette période les rapports publics de la Cour des comptes comprenaient fréquemment des chapitres relatifs aux collectivités locales, ces chapitres présentant des observations intéressant un secteur de la gestion locale ou encore la gestion des grandes villes.

Mme Hélène Gisserot a alors fait observer que, depuis 1982, un contrôle financier externe a posteriori était exercé par les chambres régionales des comptes, la Cour des comptes limitant pour sa part son intervention à l'Etat et au secteur public national. Elle a relevé que, de cette manière, les juridictions financières disposaient d'une compétence générale sur les entités publiques qu'elles soient nationales ou locales.

S'attachant ensuite à démontrer la cohérence des contrôles exercés depuis 1982, Mme Hélène Gisserot a rappelé qu'à l'origine les chambres régionales des comptes avaient pour mission de juger les comptes, d'examiner le bon emploi des deniers publics et de contrôler les actes budgétaires. Elle a rappelé qu'en 1988 un recentrage avait été opéré afin d'assurer le secret des interventions des chambres régionales, de faire porter leurs vérifications sur l'emploi régulier des deniers publics et de prévoir un simple apurement administratif pour les petites collectivités.

Mme Hélène Gisserot a ensuite indiqué que la réforme intervenue en 1990 avait veillé à la publicité des interventions des chambres régionales des comptes et perfectionné les procédures contradictoires.

Enfin, elle a noté qu'en 1992, la saisine des chambres régionales des comptes avait été élargie.

Puis, traçant un bilan de l'activité des chambres régionales des comptes, Mme Hélène Gisserot a précisé que celles-ci rendaient 15.000 à 17.000 jugements des comptes par an sur un total de 65.000 comptabilités intéressant des collectivités de toute taille.

Elle a précisé que 250 jugements de débet engageant la responsabilité du comptable étaient rendus et que 1.000 observations sur la gestion étaient formulées chaque année, ce qui lui a paru raisonnable au regard des 15.000 entités examinées.

Mme Hélène Gisserot a en outre fait observer qu'un peu moins de 100 déclarations définitives de gestion de fait étaient prononcées chaque année.

S'intéressant ensuite aux saisines des chambres régionales des comptes par le préfet ou par un créancier pour des actes budgétaires, Mme Hélène Gisserot a indiqué que 1.200 saisines de ce type pouvaient être recensées chaque année, ce qui aboutissait, compte tenu des procédures en vigueur, à 1.400 avis rendus par les chambres régionales des comptes.

Elle a par ailleurs relevé que le nombre des saisines sur demande motivée, qui s'est élevé à 200 en 1996, avait tendance à augmenter.

Puis Mme Hélène Gisserot a tenu à souligner le lien qui existait entre le contrôle des comptes du comptable et l'examen de la gestion. Décrivant la procédure suivie, elle a en effet fait observer que c'était l'examen des comptes qui conduisait les chambres régionales à s'interroger sur la régularité des opérations, sur les prix payés par la collectivité locale et enfin sur le respect des objectifs qui avaient été fixés.

Soulignant que l'examen de la gestion constituait une activité non juridictionnelle, Mme Hélène Gisserot a néanmoins relevé qu'elle donnait lieu à la mise en oeuvre de garanties de procédures et d'impartialité.

Après avoir rappelé que ce type d'activité avait été développée dès la monarchie de juillet par la Cour des comptes, Mme Hélène Gisserot a fait valoir qu'elle conduisait les juridictions financières à procéder à un audit désintéressé qui avait pour finalité non pas de remettre en question ce qui avait été fait mais d'apporter un éclairage pour l'avenir. Relevant que cette mission portait de plus en plus sur des activités périphériques des collectivités locales, elle a souligné que les exécutifs locaux avaient tout intérêt à un contrôle efficace de ces activités.

En conséquence, elle a estimé que l'examen de la gestion pouvait constituer un instrument de prévention notamment sur le plan budgétaire évitant ainsi des saisines ultérieures des chambres régionales portant sur des actes budgétaires.

Soulignant la différence de nature entre le contrôle de légalité et celui de l'opportunité, Mme Hélène Gisserot a fait observer que seules les assemblées délibérantes et le suffrage universel pouvaient décider des sanctions adéquates portant sur les objectifs politiques.

Après avoir noté que, par définition, l'opportunité concernait la définition des objectifs et des choix politiques, Mme Hélène Gisserot a fait valoir que l'examen de la gestion n'avait pas pour finalité de remettre en question ces objectifs et ces choix. Elle a relevé qu'au contraire l'examen de la gestion consistait à apprécier des actes administratifs, des décisions ou des agissements ayant entraîné des dépenses et des recettes et ayant ainsi un effet sur la situation financière de la collectivité locale.

Mme Hélène Gisserot a fait observer que, dans l'exercice de leurs fonctions, les chambres régionales des comptes s'assuraient du respect des lois et décrets, de celui des textes propres à la collectivité concernée, une délégation notamment, de la régularité financière et comptable, et qu'elles appréciaient des critères économiques portant notamment sur le coût des mesures mises en oeuvre ainsi que l'efficacité de celles-ci par rapport à l'objectif poursuivi.

Tout en admettant que les lettres d'observation définitives pouvaient être ressenties comme une sanction, Mme Hélène Gisserot a souligné qu'elles étaient avant tout une aide très utile pour les responsables locaux.

Elle a ainsi fait valoir que les observations pouvaient confoter les élus locaux en leur permettant de résister à certaines dérives ou à des rapports déséquilibrés avec les partenaires de la collectivité locale.

Mme Hélène Gisserot a également souligné que certains rapports particuliers de la Cour des comptes portant sur la gestion de la dette et de la trésorerie ou encore sur les délégations de service public avaient eu des effets positifs en permettant aux collectivités locales de mieux adapter leur gestion. Elle a en outre rappelé que les rapports de la Cour des comptes avaient établi un bilan équilibré de l'action des collectivités locales dans des domaines tels que l'enseignement du second degré, l'aide sociale ou encore la gestion des offices HLM.

Mme Hélène Gisserot a par ailleurs estimé que, dans ces rapports, la Cour des comptes avait pu donner d'utiles avertissements aux collectivités locales sur certains risques financiers et sur des irrégularités notamment pour ce qui est du recours aux associations para-administratives (rapport public de 1995) ou à des associations pour le versement de rémunérations accessoires à des fonctionnaires (rapport public de 1993).

Mme Hélène Gisserot a donc jugé que l'examen de la gestion était à la fois normal et légitime mais qu'il devait s'exercer dans le respect du droit et de la décentralisation.

S'interrogeant alors sur les moyens d'assurer une meilleure sécurité juridique aux interventions des chambres régionales des comptes, Mme Hélène Gisserot a souligné le rôle du parquet pour veiller au respect des procédures.

Elle a rappelé qu'un décret de 1995 avait précisé et approfondi le caractère contradictoire de la procédure relative aux lettres d'observations définitives. Après avoir noté que ce caractère contradictoire était désormais mieux assuré notamment par l'audition des responsables de la collectivité concernée, elle a fait observer que le ministère public veillait par ailleurs à harmoniser les positions des chambres régionales des comptes.

Puis, examinant les difficultés rencontrées dans la pratique des chambres régionales des comptes, Mme Hélène Gisserot a tout d'abord relevé un problème de forme et de présentation des lettres d'observations définitives. Elle a jugé possible d'améliorer cette présentation afin notamment de relativiser certaines observations au regard de l'ensemble de la gestion publique. Elle a en outre considéré que les réponses faites par la collectivité locale aux observations de la chambre régionale devraient être clairement mentionnées dans les lettres d'observations définitives.

Regrettant en outre une publicité intempestive qui pouvait être faite à certaines observations, Mme Hélène Gisserot a estimé que cette pratique avait une origine extérieure aux chambres régionales des comptes lesquelles devaient néanmoins prendre les précautions nécessaires. Elle s'est en outre interrogée sur l'idée d'adresser ces observations définitives, non seulement aux ordonnateurs en fonction mais aussi à leurs prédécesseurs. Mme Hélène Gisserot a rappelé que, lorsque l'exécutif local communiquait les observations définitives à l'assemblée délibérante, il avait toujours la faculté d'assortir cette communication de ses propres observations.

S'intéressant enfin aux conséquences juridiques des déclarations de gestion de fait en matière d'inéligibilité et de démission d'office, Mme Hélène Gisserot a considéré, à titre personnel, que les dispositions actuellement prévues par le code électoral étaient trop sévères.

Après avoir rappelé que l'inéligibilité devait être une peine complémentaire que le juge pénal pouvait prononcer au regard de la gravité des faits, Mme Hélène Gisserot a fait valoir que le caractère automatique de la sanction prévue par le code électoral gênait le juge financier.

M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , a fait observer que les élus locaux étaient très sensibles à la superposition du contrôle de légalité et du contrôle financier ainsi qu'à l'absence de lien entre ces deux types de contrôles. Il s'est en outre interrogé sur la possibilité de définir une frontière plus nette entre l'exercice par les chambres régionales des comptes du contrôle juridictionnel et du contrôle de la gestion.

Il a ensuite souhaité savoir si le parquet jouait un rôle actif dans les réflexions en cours qui tendaient à élaborer un code de déontologie à l'intention des magistrats.

Enfin, il s'est demandé s'il serait possible de réviser dans un délai proche les textes en vigueur concernant la sanction d'inéligibilité qui résultait automatiquement d'une déclaration de gestion de fait.

En réponse, Mme Hélène Gisserot a tout d'abord fait valoir que le contrôle de légalité et le contrôle financier n'étaient pas superposés. Elle a ainsi noté qu'un marché public régulier en la forme pouvait néanmoins appeler des observations du contrôle financier quant à ses mesures d'application.

Elle a fait observer que le juge financier pouvait, le cas échéant, relever une défaillance du contrôle de légalité et en informer l'ordonnateur. Elle a en outre souligné que le juge financier avait des compétences sur les services de l'Etat, ce qui lui imposait de veiller à leur bon fonctionnement.

Mme Hélène Gisserot a, par ailleurs, estimé que le juge financier ne portait pas d'appréciation subjective mais qu'il constatait certaines situations.

S'agissant du rôle du parquet, Mme Hélène Gisserot a fait observer que celui-ci participait très étroitement aux réflexions actuelles et que les commissaires du Gouvernement étaient très associés aux travaux des chambres régionales des comptes.

Relevant néanmoins qu'ils étaient rarement associés à la rédaction des observations définitives, elle a estimé qu'il serait souhaitable que le ministère public puisse participer à cette phase de la procédure, par exemple, en relisant les lettres d'observations définitives.

Concernant enfin la gestion de fait, Mme Hélène Gisserot a considéré que des solutions moins brutales que celles en vigueur pourraient être envisagées, notamment une augmentation des délais ou une suspension des fonctions d'ordonnateurs avant apurement de la gestion de fait.

M. Jean-Philippe Vachia, avocat général près la Cour des comptes , a alors rappelé que les articles L 231 et L 236 du code électoral aboutissaient à des situations complexes.

Il a fait observer que l'article L. 231 qui prévoyait l'inéligibilité d'un comptable exerçant ses fonctions dans le ressort dans les six mois précédant une élection impliquait pour le juge financier soit de tenir compte de cette conséquence juridique avant de déclarer l'intéressé comptable de fait, soit de ne pas en tenir compte obligeant alors ce dernier à régulariser sa situation dans des conditions difficiles.

M. Jean-Philippe Vachia , rappelant que l'article L. 236 du code électoral prévoyait la démission d'office par le préfet d'un conseiller municipal se trouvant dans un cas d'inéligibilité, a estimé que si cette disposition soulevait moins de difficultés, le délai de six mois prévu pour régulariser la situation de l'intéressé pouvait néanmoins paraître très court.

M. Paul Girod , s'inquiétant de la publication dans la presse de lettres d'observations provisoires, a jugé nécessaire la définition de règles déontologiques.

Il s'est par ailleurs demandé si la publication de tels documents dans la presse ne pourrait pas entraîner le dépôt d'une plainte conjointe par l'exécutif local et par le parquet.

Enfin, M. Paul Girod s'est interrogé sur une meilleure distinction au sein de la lettre d'observations définitives entre le jugement portant sur les comptes et les observations relatives à la gestion. Il a considéré que pour ces dernières une publication commune avec l'exécutif local comportant les réponses de ce dernier pourrait être envisagée.

En réponse, Mme Hélène Gisserot a fait observer que si cette divulgation trouvait son origine dans la chambre régionale des comptes il s'agissait d'une violation du secret des investigations, donc du secret professionnel. Elle a souligné que le président de la chambre régionale des comptes pouvait alors prendre des mesures allant jusqu'au dépôt d'une plainte. Elle a néanmoins relevé que ces cas étaient rarissimes.

Mme Hélène Gisserot a noté qu'une plainte pouvait également être envisagée lorsque la divulgation provenait de tiers. Elle a néanmoins fait observer que la situation était plus complexe lorsque cette divulgation était le fait du destinataire de la lettre d'observations provisoires.

Après avoir rappelé que dans le cadre d'un procès pénal une partie pouvait utiliser une pièce du dossier utile à sa position, Mme Hélène Gisserot a fait valoir qu'il serait difficile d'être plus sévère pour le destinataire d'une lettre d'observations provisoires.

S'agissant de la suggestion de diviser en deux la lettre d'observations définitives, Mme Hélène Gisserot a indiqué que ce document ne comportait en pratique que des observations et pas de jugement des comptes. Elle a en outre fait observer que la publicité des lettres d'observations définitives était une conséquence inévitable de leur communication aux assemblées délibérantes qui se réunissaient en présence du public.

Puis, M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , ayant fait valoir que les modalités d'exercice du contrôle budgétaire sensibilisaient aussi les élus locaux, Mme Hélène Gisserot a indiqué que les commissaires du gouvernement intervenaient dans cette procédure. Elle a estimé que celle-ci posait un problème relatif à la présentation des avis des chambres régionales des comptes mais aussi un problème de fond qui concernait les critères retenus pour l'appréciation portée par la chambre régionale sur le budget de la collectivité concernée.

Mme Hélène Gisserot a néanmoins rappelé que les chambres régionales des comptes ne jouaient à ce titre qu'un rôle consultatif, la décision définitive relevant du préfet.

M. Jean-Philippe Vachia a précisé que le contrôle budgétaire concernait en pratique quelques chambres régionales des comptes. Il a indiqué qu'une réflexion était en cours sur les voies et moyens d'une amélioration de la procédure pour les collectivités locales connaissant une situation financière très dégradée.

Il a estimé que l'intervention concomitante de la chambre régionale des comptes et de l'assemblée délibérante était une source de complications même si la décision finale appartenait au préfet.

M. Jean-Paul Amoudry, président , s'est alors demandé s'il ne serait pas possible de prévoir un " délai de neutralité " destiné à suspendre l'envoi de lettres d'observations définitives afin d'éviter que les observations de la chambre régionale des comptes ne soient exploitées dans le cadre du débat précédant une élection.

M. Jean-Paul Amoudry, président , a en outre souhaité connaître le bilan des relations entre les juridictions financières et les juridictions judiciaires et s'est interrogé sur les pistes de modernisation de ces relations.

En réponse, Mme Hélène Gisserot a indiqué qu'en pratique les chambres régionales des comptes avaient décidé de suspendre l'envoi de lettres d'observations dans un délai de trois mois précédant les dernières élections municipales.

Elle s'est en outre déclarée très favorable à la disposition prévue par le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier dont l'objet était de prévoir explicitement la faculté pour le procureur de la République de communiquer aux juridictions financières les pièces révélant des irrégularités comptables dont ils ont eu connaissance au cours de procédures judiciaires. Elle a considéré qu'une telle disposition était de nature à donner une plus grande sécurité aux relations entre les deux ordres de juridictions.

M. Jacques BLANC
Président de la région Languedoc-Roussillon
en sa qualité de
Vice-président de
l'Association des présidents de conseils régionaux
Mardi 10 juin 1997

A titre liminaire, M. Jacques Blanc a indiqué qu'il était favorable au principe du contrôle financier conçu comme la contrepartie de la décentralisation, mais qu'il percevait une certaine anxiété des élus locaux par rapport à certaines modalités d'exercice de ce contrôle. Il a souligné que cette situation résultait de la complexité croissante du contexte dans lequel s'inscrivait l'action publique locale, alors même que se renforçait la médiatisation des observations formulées par les chambres régionales des comptes sur la gestion des collectivités locales.

M. Jacques Blanc a estimé, en conséquence, qu'il était nécessaire de conduire, dans un esprit constructif, une réflexion sur les réformes à apporter aux modalités d'exercice du contrôle de gestion. Il a, tout d'abord, suggéré d'accorder aux exécutifs territoriaux la faculté de saisir les chambres régionales des comptes dans le cadre d'une procédure consultative. Relevant l'importance des incertitudes pesant sur les responsables locaux lors de la prise de décisions de gestion, il a indiqué que cette saisine pour avis des chambres régionales des comptes favoriserait le respect de la "légalité financière". A cet égard, M. Jacques Blanc a rappelé qu'il avait déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi. Il a précisé que l'ouverture de cette faculté nouvelle permettrait d'offrir une "couverture morale" aux décisions de gestion prises par les assemblées locales. Il a ensuite indiqué que ce rôle nouveau des chambres régionales des comptes ne constituerait pas une concurrence pour les services territoriaux. M. Jacques Blanc a enfin relevé qu'à l'occasion du dixième anniversaire de la création des chambres régionales des comptes en 1992, M. Pierre Arpaillange, à l'époque premier président de la Cour des comptes, avait plaidé pour un développement du rôle préventif des juridictions financières .

M. Jacques Blanc
a ensuite insisté sur la nécessité d'adapter les règles de procédure applicables au contrôle de gestion. Il a tout d'abord rappelé que la médiatisation de la société aboutissait bien souvent à la diffusion de données brutes, parfois non vérifiées, dont l'impact sur l'opinion publique pouvait conduire à discréditer l'action des élus locaux. Pour remédier à cette situation, M. Jacques Blanc a recommandé, d'une part, d'adopter certaines modifications de la présentation des observations formulées par les chambres régionales des comptes et, d'autre part, de redéfinir les conditions de leur diffusion. A cet égard, M. Jacques Blanc a noté que l'exercice du contrôle budgétaire et celui du contrôle de gestion pouvait conduire les juridictions financières à relever des irrégularités susceptibles de faire l'objet de poursuites devant les juridictions judiciaires. Sur ce point, il a recommandé d'opérer une distinction entre les faits relevant de la gestion collective et ceux qui relèvent de la gestion individuelle. Il a ensuite évoqué la nécessité de joindre aux lettres d'observations définitives les réponses apportées à ces observations par les exécutifs locaux, notant qu'ainsi les principes de la procédure contradictoire et des droits de la défense seraient garantis jusqu'au terme du contrôle de gestion.

M. Jacques Blanc a, par ailleurs, insisté sur l'intérêt d'inscrire dans le droit positif le principe d'une suspension de l'envoi de lettres d'observations définitives dans la période précédant une consultation électorale.

M. Jacques Blanc a ensuite évoqué la nécessité de définir de nouvelles règles de procédure destinées à répondre à l'évolution du contrôle de gestion. Il a indiqué qu'il s'agissait notamment de prévoir l'envoi à l'exécutif local d'une "lettre de présomption d'infraction", qui résulterait d'une décision collégiale de la chambre, dans le cas où le conseiller instructeur envisagerait de saisir la juridiction judiciaire. Il a précisé que cette procédure aurait l'avantage de permettre au responsable concerné d'accéder au dossier.

M. Jacques Blanc a ensuite évoqué la difficulté de définir une frontière précise entre le contrôle d'opportunité et le contrôle de régularité dans l'exercice du contrôle de gestion. Puis il a insisté sur la nécessité de revoir l'articulation entre le contrôle de légalité exercé par le représentant de l'Etat et le contrôle de gestion mis en oeuvre par les chambres régionales des comptes afin de renforcer la sécurité juridique du décideur local. Il a ensuite relevé la nécessité de concevoir un "droit à l'erreur" et d'éviter toute confusion entre une erreur, commise de bonne foi, et une malversation caractérisée.

M. Jacques Blanc a estimé qu'il entrait parfaitement dans la vocation du Sénat de recréer "une dynamique de confiance" entre les contrôleurs et les contrôlés. Admettant que la complexité de la gestion locale rendait le contrôle de gestion nécessaire, il a cependant rappelé que le respect de la démocratie devait exclure tout "dérapage" dans la mise en oeuvre de ce contrôle.

M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim, est alors intervenu pour relever une grande concordance entre les principales propositions formulées par le vice-président de l'association des présidents de conseils régionaux et les axes principaux de la réflexion conduite par le groupe de travail. S'agissant du développement du rôle consultatif des chambres régionales des comptes, il a insisté sur la difficulté de distinguer clairement entre les différentes missions dévolues aux chambres régionales des comptes. Il s'est félicité de la volonté exprimée par l'association des présidents de conseils régionaux de prévoir l'adjonction des réponses des gestionnaires locaux aux lettres d'observations définitives. S'agissant de l'institution d'un "délai de neutralité" destiné à suspendre l'envoi de lettres d'observations définitives au cours de la période précédant une consultation électorale, M. Yann Gaillard a souhaité que ce délai soit fixé à six mois. Par ailleurs, il s'est dit réservé au sujet de l'institution d'une lettre de présomption d'infraction, dans la mesure où celle-ci était de nature à instaurer un juge d'instruction au sein des chambres régionales des comptes et, surtout, en raison de l'assimilation qui pourrait être faite entre l'envoi d'une telle lettre et une mise en examen. S'agissant enfin de l'articulation entre le contrôle de légalité et le contrôle de gestion, M. Yann Gaillard a rappelé que les auditions de M. Jacques Bonnet, chef de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes, et de Mme Hélène Gisserot avaient insisté sur l'importance des spécificités respectives de ces deux formes de contrôle.

En réponse, M. Jacques Blanc a tout d'abord noté que l'institution d'une procédure consultative aurait pour avantage de mieux faire mesurer par les magistrats des chambres régionales des comptes les difficultés auxquelles sont confrontés les élus locaux dans leurs décisions de gestion. Sur ce point, il a enfin considéré que les inconvénients d'une telle procédure étaient mineurs au regard du climat de coopération susceptible d'en découler. Il a cependant admis qu'il ne s'agissait pas de transformer ces juridictions en des organismes consultatifs comparables aux consultants professionnels. S'agissant de la durée du délai de neutralité, M. Jacques Blanc a exprimé sa préférence pour une durée au moins égale à six mois afin de limiter l'exploitation partisane des conclusions d'un contrôle de gestion. Abordant ensuite l'institution éventuelle de lettres de présomption d'infraction, il a insisté sur le fait qu'une telle procédure resterait strictement confidentielle.

M. Robert Pagès s'est inquiété des conséquences de l'ouverture d'une procédure de saisine pour avis des chambres régionales des comptes, au profit des collectivités locales, dans la mesure où cette procédure consultative pouvait conduire à une forme de rétablissement du contrôle a priori sur les actes des collectivités locales.

M. Joël Bourdin a pour sa part souhaité qu'une enquête soit conduite dans le but de relever l'existence des "cas limites" où l'exercice du contrôle de gestion avait pu déboucher sur une appréciation de l'opportunité des décisions.

M. Paul Girod a indiqué son souhait de voir instituée une procédure automatique de plainte conjointe du président de la chambre régionale des comptes et de l'exécutif territorial concernés en cas de diffusion d'observations provisoires. Puis il a dénoncé une dérive incontestable du contrôle de gestion vers le contrôle de l'opportunité.

En réponse , M. Jacques Blanc a souligné que les problèmes posés par le contrôle de gestion en matière de confidentialité rejoignaient le problème plus général du secret de l'instruction.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a, pour sa part, relevé que les propositions avancées par le vice-président de l'association des présidents de conseils régionaux traduisaient une assimilation tendancielle entre le contrôle de gestion et la procédure pénale. Il a ensuite contesté la personnalisation de décisions pourtant prises collectivement par les collectivités locales. Par ailleurs, il s'est dit opposé à la reconnaissance d'un rôle consultatif des chambres régionales des comptes dans la mesure où celui-ci était de nature à "lier les mains" des magistrats dans l'exercice du contrôle de gestion. Il a insisté en rappelant que l'esprit des lois de décentralisation était de confier aux élus locaux la responsabilité de leurs décisions de gestion. S'agissant de l'éventuelle institution d'un délai de neutralité pré-électorale pour l'envoi des lettres d'observations définitives, il a rappelé que les magistrats s'astreignaient déjà spontanément à cette règle. Enfin, il s'est dit favorable au renforcement des aspects contradictoires de la procédure suivie en matière de contrôle de gestion.

M. Marc Massion a, pour sa part, considéré que l'institution d'un délai de neutralité préélectorale pourrait susciter un sentiment de suspicion au sein de l'opinion publique, qui s'avérerait plus gênant pour les gestionnaires locaux que la publication d'observations sur leur gestion.

En réponse, M. Jacques Blanc a précisé que l'inscription de cette règle dans le droit positif permettrait d'affranchir les magistrats des juridictions financières de toute accusation de subjectivité dans l'exercice de cette "abstention".

En conclusion, M. Jacques Blanc a rappelé sa volonté de favoriser le fonctionnement régulier de la démocratie locale, tout en veillant au bon exercice de la mission confiée aux chambres régionales des comptes.

M. Jean-Pierre GASTINEL

Président de la Chambre régionale des comptes de
Nord-Pas-de Calais
Mardi 10 juin 1997

M. Jean-Pierre Gastinel a indiqué que les chambres régionales des comptes, qui avaient certaines caractéristiques traditionnelles des juridictions financières, s'inscrivaient néanmoins dans une logique nouvelle. Il a, en outre, souligné qu'elles connaissaient depuis leur création une évolution permanente.

Décrivant les caractéristiques traditionnelles des chambres régionales des comptes, M. Jean-Pierre Gastinel a fait observer qu'elles fonctionnaient sur le modèle de la Cour des comptes et qu'à l'instar de celle-ci, leurs missions portaient à la fois sur le contrôle des comptes et sur le contrôle de la gestion.

Puis, présentant les caractéristiques originales des chambres régionales des comptes, M. Jean-Pierre Gastinel a relevé qu'il s'agissait de juridictions nouvelles exerçant des compétences inédites telles que le contrôle budgétaire. Il a souligné qu'elles évoluaient, en outre, dans un contexte nouveau, les élus locaux n'étant pas habitués à ce type de contrôle et les pouvoirs donnés aux collectivités locales par la décentralisation ayant créé une situation radicalement différente du système antérieur.

M. Jean-Pierre Gastinel , soulignant que les chambres régionales des comptes connaissaient des évolutions constantes, a fait valoir que leur domaine de compétences s'était étendu, notamment aux établissements publics locaux (collèges et lycées) et aux établissements publics nationaux ayant une assise locale (universités). Il a noté que les chambres régionales des comptes pouvaient désormais donner des avis à la demande du préfet et exercer des contrôles à la demande des élus locaux eux-mêmes.

M. Jean-Pierre Gastinel a, par ailleurs, constaté que les procédures applicables avaient évolué. Il a notamment rappelé que le législateur avait prévu un entretien préalable avec les responsables locaux avant l'établissement des observations sur la gestion et que la communication de ces observations devant le conseil municipal était désormais obligatoire.

M. Jean-Pierre Gastinel , considérant que ces évolutions avaient pu soulever certaines difficultés, a fait, en premier lieu, valoir que l'exercice d'un contrôle dans une période précédant une élection était toujours délicat. Rappelant en outre que les élus locaux devaient s'adapter à des procédures entièrement nouvelles pour eux, il a estimé que les règles actuelles étaient insuffisamment claires pour les justiciables.

M. Jean-Pierre Gastinel a fait observer que les liens étroits qui existaient entre la Cour des comptes et les Chambre régionales des comptes avaient une grande importance pour le bon fonctionnement des juridictions financières. Il a ainsi fait valoir le rôle du parquet de la Cour des comptes qui exerçait les fonctions du ministère public auprès des chambres régionales des comptes ainsi que celui du Premier président de la Cour des comptes. Il a en outre noté que la mission d'inspection des Chambre régionale des comptes jouait un rôle de médiation qui devrait, selon lui, être renforcé.

Puis, M. Jean-Pierre Gastinel a considéré que le contrôle des actes budgétaires ne soulevait pas de difficultés particulières, notamment pour les avis rendus par les chambres régionales des comptes qui se multipliaient à la demande des élus locaux eux-mêmes.

Il a relevé que le contrôle juridictionnel des comptables se déroulait également de manière satisfaisante sauf pour ce qui est de la gestion de fait, la sanction automatique de celle-ci par l'inéligibilité politique créant de réelles difficultés.

M. Jean-Pierre Gastinel a fait observer que le contrôle de gestion soulevait les difficultés les plus importantes. Il a relevé que le contenu de ce contrôle  était mis en cause spécifiquement en ce qui concerne les collectivités locales alors qu'il ne semblait pas appeler d'observations particulières pour ce qui est des établissements publics tels que les hôpitaux ou les collèges et lycées.

Il a fait valoir que l'analyse de la situation financière et des risques encourus par les collectivités locales était effectuée dans des conditions satisfaisantes. En revanche, il a noté que l'examen de la régularité des actes soulèvait le problème du lien entre le contrôle financier et le contrôle de légalité, les trois quarts des actes examinés par les Chambres régionales des comptes n'ayant pas au préalable appelé d'observations de la part du contrôle de légalité.

S'interrogeant sur le contrôle de l'efficacité des actions locales qui était effectué par les Chambres régionales des comptes, M. Jean-Pierre Gastinel a souligné que ce contrôle n'avait pas pour objet de dénoncer une irrégularité en tant que telle mais au contraire d'éviter qu'une telle irrégularité ne se reproduise.

Abordant, enfin, les différentes pistes d'évolutions envisageables, M. Jean-Pierre Gastinel a jugé qu'il était nécessaire d'harmoniser les méthodes et les procédures des juridictions financières.

Il a relevé, en premier lieu, que beaucoup de magistrats recrutés à la suite de procédures exceptionnelles exerçaient auparavant des fonctions tout à fait différentes. Il a estimé en conséquence qu'un délai d'adaptation est inévitable pour que ces magistrats prennent en compte toutes les spécificités de leurs fonctions.

M. Jean-Pierre Gastinel a également plaidé pour une harmonisation des méthodes grâce à l'intervention d'organes de réflexion internes à la Cour des comptes. Il a relevé que le développement des enquêtes communes à plusieurs chambres régionales des comptes permettait de favoriser l'harmonisation des pratiques et d'éviter des distorsions choquantes dans la manière dont les procédures étaient poursuivies. Il a estimé que les lettres d'observations définitives devraient être harmonisées et que les élus devraient être sensibilisés aux possibilités qui leur étaient ouvertes de dialoguer avec les juridictions financières.

M. Yann Gaillard, rapporteur, soulignant qu'un malentendu existait entre les élus locaux et les magistrats financiers, s'est inquiété des distorsions existantes entre le contrôle de légalité et le contrôle financier.

Il a en outre souhaité que les observations définitives rendues par les Chambres régionales des comptes fassent l'objet d'un examen détaillé afin de déterminer celles d'entre-elles qui entraient dans le champ du contrôle de pure opportunité.

Puis, il s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable de renforcer le rôle préventif des Chambres régionales des comptes en permettant leur saisine pour avis par les élus locaux eux-mêmes. Il a souhaité savoir s'il serait envisageable d'améliorer la procédure du contrôle de gestion, notamment en prévoyant des lettres de présomption d'infraction.

Enfin, le rapporteur a demandé des précisions sur une réforme éventuelle de la formation et du statut des magistrats.

En réponse, M. Jean-Pierre Gastinel a indiqué que les magistrats étaient partagés sur le développement du rôle préventif des Chambres régionales des comptes, certains d'entre eux craignant le risque d'un encombrement des juridictions, ainsi que la multiplication de demandes d'avis insuffisamment précisées.

A titre personnel, M. Jean-Pierre Gastinel a considéré qu'il serait plus clair que les Chambres régionales des comptes puissent être saisies pour consultation directement par les élus locaux et non plus par l'intermédiaire des préfets. Il a néanmoins souligné qu'un certain nombre de précautions devraient être prises en particulier sur les conditions de la saisine, l'établissement d'un délai de réponse suffisant et la forme de l'avis. Il a fait observer que, réservé à l'origine sur une telle procédure, sa position avait évolué compte tenu du contexte actuel de la gestion locale.

S'agissant de la procédure du contrôle de gestion, M. Jean-Pierre Gastinel a fait valoir que judiciariser de manière excessive cette procédure ne serait dans l'intérêt ni des Chambres régionales des comptes, ni des élus locaux eux-mêmes. Il a noté que les faits pouvant recevoir une qualification pénale restés marginaux et qu'en outre les Chambres régionales des comptes n'avaient pas pour vocation d'être les auxiliaires du ministère public.

Concernantt enfin du statut des magistrats, M. Jean-Pierre Gastinel a estimé que leur hétérogénéité actuelle se résoudrait d'elle-même mais qu'en revanche des actions de formation étaient nécessaires.

M. Paul Girod s'inquiétant de la parution dans la presse de lettres d'observations, s'est demandé s'il ne serait pas opportun de permettre le dépôt d'une plainte conjointe à la Chambre régionale des comptes et à la collectivité concernées.

S'interrogeant, en outre, sur les moyens de remédier aux contrôles d'opportunité, il s'est demandé s'il ne serait pas possible de mieux distinguer le jugement des comptes des observation sur la gestion.

Enfin, M. Paul Girod a rappelé que l'esprit du contrôle de gestion, tel qu'il avait été conçu par le législateur, devait être d'examiner la structure interne et l'efficacité des collectivités locales.

En réponse, M. Jean-Pierre Gastinel a fait valoir qu'il était très difficile d'apporter la preuve de la divulgation de documents internes aux juridictions financières. Il a relevé que ce problème devait être rattaché à celui plus général du secret de l'instruction. Il a exprimé des réserves à l'égard de dispositions législatives nouvelles qui seraient difficilement applicables.

Considérant que le contrôle de la gestion devait avoir pour finalité de mener une étude impartiale et rigoureuse, M. Jean-Pierre Gastinel a souligné que les risques pris par certaines collectivités locales n'étaient critiquables que s'ils n'avaient pas été évalués au préalable et s'ils étaient en outre disproportionnés par rapport aux capacités financières de la collectivité concernée.

Il a enfin jugé nécessaire que les Chambres régionales des comptes prennent en compte les réponses des collectivités locales avant l'établissement de leurs observations définitives.

M. Joël Bourdin , soulignant que les ordonnateurs considéraient légitimement comme établie la régularité de leurs actes qui n'avaient pas appelé d'observations du contrôle de légalité, s'est inquiété de la remise en cause de cette régularité par les Chambres régionales des comptes.

Il a jugé par ailleurs que les lettres d'observations définitives n'étaient pas suffisamment équilibrées, s'exposant par là-même à leur exploitation politique.

Faisant enfin valoir que certains équilibres budgétaire, bien que non sincères, n'appelaient pas d'observations des Chambres régionales des comptes , M. Joël Bourdin s'est demandé si le champ du contrôle budgétaire n'était pas limité à certains aspects.

M. Philippe de Bourgoing a souhaité avoir des précisions sur les modalités actuelles de saisine pour avis des Chambres régionales des comptes.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souhaité connaître la position collective des présidents de Chambres régionales des comptes sur les différents sujets abordés.

S'interrogeant par ailleurs sur la différence entre le contrôle de légalité et le contrôle d'opportunité, M. Michel Dreyfus-Schmidt a fait valoir que certains sujets relevaient du contrôle direct des électeurs et non pas de celui des Chambres régionales des comptes .

En réponse, M. Jean-Pierre Gastinel , après avoir fait observer que le contrôle de légalité était dans certains cas déficient, a estimé que les chambres régionales des comptes devaient relever certaines irrégularités et en informer le cas échéant le préfet. Il a souligné que les juridictions financières pouvaient de cette manière également mettre évidence certaines insuffisances de la réglementation en vigueur.

S'agissant de la rédaction des lettres d'observations définitives, M. Jean-Pierre Gastinel, tout en reconnaissant que ces lettres ne mentionnaient pas les aspects positifs de la gestion locale, a fait observer que si tel était le cas, une unification des pratiques des différentes juridictions seraient nécessaires. Il a estimé qu'il serait difficile de s'engager dans cette voie.

Puis, M. Jean-Pierre Gastinel a souligné que le contrôle budgétaire était complexe à la fois pour les élus locaux et pour les représentants de l'Etat.

Après s'être interrogé sur l'idée de mieux impliquer les receveurs et les trésoriers payeurs généraux dans la mise en oeuvre des contrôles, M. Jean-Pierre Gastinel a fait valoir que la situation financière des collectivités locales étaient examinées avec attention par les Chambres régionales des comptes.

Précisant ensuite les conditions actuelles de saisine pour avis des chambres régionales des comptes, M. Jean-Pierre Gastinel a indiqué que les préfets, comme les élus locaux, pouvaient demander le contrôle des collectivités locales ainsi que des sociétés d'économie mixte.

Il a relevé qu'en revanche les conventions relatives aux marchés ou à des délégations de service public et les actes pouvant affecter la gestion des collectivités locales ne pouvaient être déférés aux chambres régionales des comptes que par les seuls préfets. Il a souligné, qu'à titre personnel, il était favorable à l'idée d'étendre cette saisine aux élus locaux.

M. Jean-Pierre Gastinel a rappelé, par ailleurs, que les présidents et les magistrats des Chambres régionales des comptes n'avaient pas de position unanime sur le problème du rôle consultatif de ces juridictions. Il a indiqué à nouveau que certains d'entre eux craignaient un encombrement des juridictions financières qui aboutisse à leur paralysie.

Concernant, enfin, les appréciations d'opportunité qui pouvaient être portées dans le cadre du contrôle de gestion, M. Jean-Pierre Gastinel a estimé que les Chambres régionales des comptes pouvaient contribuer à une clarification de la gestion locale en favorisant un dialogue constructif avec les élus locaux.

M. Jean PUECH

Sénateur,
Président de l'Association des présidents de conseils généraux (APCG)

Mardi 17 juin 1998

A titre liminaire, M. Jean Puech s'est félicité de l'initiative prise par la commission des finances et la commission des lois du Sénat de dresser, après quinze années de pratique, un bilan de l'exercice du contrôle financier par les chambres régionales des comptes.

Dans cette perspective, il a tout d'abord relevé le caractère "non dissociable" du contrôle financier et du contrôle de légalité, tout en déplorant l'importance des "décalages" qui existent entre ces deux formes de contrôle.

Sur ce point, M. Jean Puech a souligné que le contrôle de légalité ne pouvait pas être considéré comme une garantie et que cette situation engendrait une insécurité juridique pour les collectivités locales. A cet égard, il a considéré que les observations des chambres régionales des comptes devraient s'adresser non seulement aux collectivités locales, mais aussi en tant que de besoin aux services de l'Etat concernés.

M. Jean Puech a ensuite relevé la complexité du cadre juridique au sein duquel agissent les collectivités locales et noté que, dans le cadre du contrôle de gestion, les mêmes situations pouvaient faire l'objet d'interprétations très différentes d'une chambre régionale des comptes à l'autre.

Il a, en conséquence, souhaité que les collectivités locales puissent bénéficier d'une voie d'appel à l'encontre des observations formulées sur leur gestion, par exemple devant le Conseil d'Etat.

Par ailleurs, le président de l'association des présidents de conseils généraux a souhaité que les chambres régionales des comptes "hiérarchisent davantage" les observations qu'elles formulaient sur la gestion des collectivités locales en prenant notamment soin de resituer leurs éventuelles critiques par rapport à la gestion de l'ensemble de la collectivité.

M. Jean Puech a ensuite déploré l'existence de nombreux cas où la confidentialité qui doit caractériser la procédure des lettres d'observations provisoires n'avait pas été respectée. Il a précisé que, si les cas de "fuites" devaient se multiplier, il conviendrait de prévoir le dépôt de plaintes à l'encontre des responsables de ces fuites.

En outre, M. Jean Puech a souligné la nécessité d'effectuer un "examen complet et exhaustif" des observations formulées par les chambres régionales des comptes afin de vérifier si ces juridictions n'outrepassent pas, dans certains cas, leurs compétences en exerçant un contrôle d'opportunité des décisions prises par les collectivités locales.

En réponse aux questions de M. Jean-Paul Amoudry, président, M. Jean Puech a, tout d'abord, indiqué que les résultats de l'étude conduite par l'association des présidents de conseils généraux sur le contenu des lettres d'observations définitives seraient communiqués au groupe de travail dès qu'ils seraient disponibles.

S'agissant du renforcement de la sécurité juridique des collectivités locales, le président de l'association des présidents de conseils généraux a suggéré que soit créé un corps d'inspection générale spécifique aux collectivités locales, ayant pour vocation d'analyser et d'évaluer les politiques mises en oeuvre par les collectivités locales.

Répondant à une question de M. Philippe de Bourgoing, le président de l'association des présidents de conseils généraux a estimé que si une procédure d'appel des observations définitives des chambres régionales des comptes était définie, il serait souhaitable que celle-ci puisse s'exercer auprès d'une instance extérieure aux juridictions financières.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a, pour sa part, considéré que la mise en place d'un éventuel corps d'inspection générale des collectivités locales nécessiterait une étude approfondie de ses statuts et de son rôle. Par ailleurs, il a indiqué que le contrôle financier local pourrait également être amélioré par un renforcement des pouvoirs des groupes minoritaires au sein des assemblées locales.

M. Jean Puech a répondu qu'à la différence de la situation qui prévalait avant la décentralisation, la commission permanente du conseil général était composée à la proportionnelle des groupes, donnant ainsi à la minorité de réels pouvoirs en matière d'information sur la gestion de la collectivité.

M. Marc Massion a fait valoir qu'à sa connaissance, la commission permanente du conseil général ne faisait qu'entériner les décisions de l'exécutif territorial. En outre, il s'est interrogé sur la nature de la tutelle qui s'exercerait sur un éventuel corps d'inspection générale des collectivités locales.

En réponse à l'intervenant, M. Jean Puech a précisé qu'un tel corps, dont la mission serait essentiellement d'apporter une assistance technique et de conseil permanent aux responsables locaux, ne pourrait dépendre que des collectivités locales et non de l'Etat. Il a précisé que ce corps prendrait le relais du rôle joué actuellement par les grandes associations d'élus en faveur de leurs membres.

En réponse à une question de M. Jean-Paul Amoudry, président, le président de l'association des présidents de conseils généraux s'est enfin dit défavorable à ce que les lettres d'observations définitives soient communiquées à l'assemblée délibérante sous la seule forme écrite, dans la mesure où cette procédure ne pourrait empêcher le nécessaire débat que suscite, en général, l'aboutissement d'un contrôle de gestion.


M. Marc CENSI

Président de l'assemblée des districts et communautés de France
Mardi 17 juin 1997

A titre liminaire, M. Marc Censi a indiqué que l'on dénombrait quelque 1.500 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Il a souligné que si le développement de l'intercommunalité à fiscalité propre avait connu une grande ampleur dans la période récente, toutefois les premiers districts étaient apparus dès le début des années soixante.

Puis M. Marc Censi a exprimé sa satisfaction sur l'état des relations de ces groupements avec les chambres régionales des comptes. Il a en effet relevé que, pour l'essentiel, les juridictions financières jouaient à l'égard des groupements de communes un rôle de conseil. Il a précisé que si les chambres régionales des comptes n'effectuaient pas des consultations juridiques a priori, néanmoins, sur le fondement de leurs observations, des régularisations étaient possibles en étroite concertation avec elles. Il a également souligné que ces régularisations faisaient, dans certains cas, l'objet d'un courrier de la chambre régionale des comptes qui donnait quitus à la collectivité locale.

Faisant observer que, par nature, les observations des chambres régionales des comptes mettaient l'accent sur les dysfonctionnements des collectivités locales, M. Marc Censi a plaidé pour que, dans un souci d'équilibre, ces observations prennent également en compte les aspects positifs de la gestion locale.

M. Marc Censi a en outre jugé souhaitable de donner aux exécutifs locaux la possibilité de saisir les chambres régionales des comptes sur des sujets donnant lieu à des controverses.

Abordant ensuite la question de la diffusion des informations issues des chambres régionales des comptes, M. Marc Censi a fait observer que la confidentialité des lettres d'observations provisoires était insuffisante, ces lettres faisant trop fréquemment l'objet d'une parution dans la presse. Il a exprimé le voeu que toutes les précautions soient prises pour assurer cette confidentialité.

S'agissant des lettres d'observations définitives, M. Marc Censi a plaidé pour qu'une attention particulière soit portée au choix des termes retenus.

Puis, relevant les critiques émises à l'encontre de contrôles de pure opportunité, M. Marc Censi a proposé que les lettres d'observations des chambres régionales des comptes fassent systématiquement référence à des textes précis et ne se fondent pas sur des appréciations purement subjectives.

Il a ainsi fait valoir qu'en particulier pour les établissements publics de coopération intercommunale, l'utilisation des ratios n'avait pas de signification si ces ratios n'étaient pas appréciés en fonction du contexte de la gestion locale.

Après avoir fait observer que les établissements publics de coopération intercommunale bénéficiaient d'une relative liberté d'appréciation dans l'application des textes, notamment en raison de l'existence de nombreux vides juridiques et de la nature même des textes applicables, M. Marc Censi a fait valoir que la souplesse de la gestion était une condition nécessaire au succès même de l'intercommunalité. Il a, en conséquence, regretté que les chambres régionales des comptes privilégient la régularité formelle et admettent difficilement cette liberté d'interprétation.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a souhaité savoir si des garanties supplémentaires devaient être prévues dans la procédure contradictoire applicable au contrôle de gestion. Il s'est en outre demandé si des procédures de consultation des chambres régionales des comptes devraient être envisagées et dans quels domaines.

En réponse, M. Marc Censi a de nouveau estimé que les chambres régionales des comptes accomplissaient leur mission dans des conditions satisfaisantes. Tout en jugeant naturel que les collectivités locales réagissent aux observations présentées par ces juridictions, il a néanmoins estimé qu'en dépit de certains excès, un équilibre s'était établi.

S'agissant de la suggestion de permettre une consultation a priori des chambres régionales des comptes, M. Marc Censi a fait valoir qu'il paraissait difficile d'appliquer une telle procédure à une juridiction dont ce n'était pas la vocation. En revanche, il a considéré qu'une concertation avec les chambres régionales des comptes paraissait souhaitable dès lors qu'il s'agissait de régulariser une situation relevée par la juridiction elle-même.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souligné qu'une telle procédure risquait de susciter une contradiction entre l'avis qui serait donné a priori et la décision que la formation de jugement serait ensuite appelée à rendre.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a fait observer qu'en matière d'urbanisme également, face à la complexité du droit applicable, les élus locaux souhaitaient fréquemment pouvoir interroger a priori les juridictions.

Puis, relevant le risque que les chambres régionales des comptes en privilégiant la régularité formelle ne contribuent à freiner le processus de développement de l'intercommunalité, il a souhaité savoir si ce risque était étayé par des éléments concrets notamment en ce qui concerne l'exercice de compétences optionnelles par les groupements de communes.

M. Henri Collard s'est demandé si une différence était observée à cet égard entre la situation des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et ceux dotés de ressources contributives.

En réponse, M. Marc Censi a indiqué que, s'agissant de l'intercommunalité de type syndical, le risque évoqué n'existait pas. En revanche, il a précisé que, pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, les difficultés portaient sur l'appréciation des compétences transférées, lesquelles étaient souvent formulées de manière très large notamment en matière d'urbanisme.

M. Marc Censi a fait valoir que, dans ces conditions, les établissements publics de coopération intercommunale délibéraient dans des domaines qui apparaissaient à la chambre régionale des comptes comme étant hors des compétences transférées à ces établissements. Il a donc jugé nécessaire de préserver les initiatives des élus en matière d'intercommunalité.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a fait observer qu'en principe les appréciations des chambres régionales des comptes devraient porter sur les conséquences financières et budgétaires d'un transfert de compétences et non sur la régularité de ces transferts, cette dernière appréciation relevant, à ses yeux, du contrôle de légalité.

En réponse, M. Marc Censi , après avoir estimé que l'absence d'opposition du préfet à un acte qui lui était transmis par un groupement de communes pouvait s'expliquer par son souci de ne pas mettre en cause le développement de l'intercommunalité, a indiqué que les chambres régionales des comptes n'acceptaient pas cette bienveillance du contrôle de légalité face à des actes qu'elles considéraient comme non conformes au droit en vigueur. Il a néanmoins fait valoir qu'il ne fallait pas empêcher les groupements de communes de procéder à certains ajustements souvent nécessaires dans la pratique.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a considéré qu'il fallait tenir compte du besoin de souplesse dans la gestion des groupements de communes. Il a néanmoins relevé que cela ne signifiait pas que la loi ne devait pas être respectée.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a fait valoir que, dès lors qu'un acte d'un groupement de communes ne respectait pas le droit en vigueur, il était du devoir des chambres régionales des comptes de le relever même si cet acte n'avait pas appelé d'observations de la part du contrôle de légalité.

M. Marc Censi a mis en garde contre un risque de blocage de l'intercommunalité si un accent excessif était mis sur la régularité formelle des actes des groupements de communes.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a alors demandé que soient communiqués au groupe de travail des exemples d'observations des chambres régionales des comptes ayant pu susciter des difficultés dans la gestion des établissements publics de coopération intercommunale.

En conclusion, M. Marc Censi a fait observer que le contrôle financier débordait le problème des comptes, la question de la régularité des actes pouvant avoir des conséquences sur le plan financier.

M. Pierre JOXE

Premier Président
de la Cour des comptes
Mardi 17 juin 1997

M. Pierre Joxe, premier président de la Cour des comptes, a tout d'abord rappelé qu'avant la décentralisation, le contrôle des finances locales relevait de la Cour des comptes pour les départements et les communes les plus importantes, les trésoriers payeurs généraux assurant, pour leur part, le contrôle des autres communes. Il a ensuite souligné que la création des chambres régionales des comptes était inséparable du passage de la tutelle a priori au contrôle a posteriori. Il a cependant précisé que la solution française d'un contrôle des finances locales exercé a posteriori par des juridictions financières déconcentrées constituait une spécificité au sein de l'Union européenne.

Le premier président de la Cour des comptes a noté que ce contrôle financier représentait une composante indispensable de l'équilibre nouveau résultant de la décentralisation et qu'il contribuait à garantir la "régularité, l'efficacité, la probité et l'équilibre" des gestions publiques locales. Il a insisté sur la nécessité d'assurer la transparence de la gestion publique pour garantir une véritable démocratie locale. Il a ensuite précisé que le contrôle financier local ne consistait pas en une simple transposition du contrôle exercé par la Cour des comptes sur les administrations nationales et qu'il comportait des novations comme le contrôle budgétaire. S'agissant de l'examen de la gestion, M. Pierre Joxe a insisté sur le fait que les juridictions financières locales jouaient un rôle de conseiller autant que de censeur, leur objectif étant d'obtenir le redressement des irrégularités et la correction des dysfonctionnements. Sur ce point, il a relevé que, dans la très grande majorité des cas, le contrôle de gestion répondait aux attentes des élus locaux et qu'il faisait, en général, l'objet de comptes rendus "responsables" dans la presse. En revanche, il a noté que l'articulation entre le contrôle de légalité, exercé par l'autorité préfectorale, et le contrôle de gestion, mis en oeuvre par les chambres régionales des comptes, s'avérait peu satisfaisante.

M. Pierre Joxe a ensuite rappelé les nombreuses étapes législatives ayant conduit à préciser les principes du contrôle financier local et les procédures applicables en la matière. A cet égard, il a souligné que la loi "d'amélioration de la décentralisation" du 5 janvier 1988 avait conduit au renforcement du caractère contradictoire des procédures, à une définition précise du contrôle de gestion et à un retour au système de l'apurement administratif pour les communes les plus petites. Il a ensuite précisé que la loi du 15 janvier 1990 avait supprimé la non-application aux travaux issus des délibérés des chambres régionales des comptes des dispositions de la loi du 17 juillet 1978 sur la communication des actes administratifs. Le caractère communicable et donc public des observations de gestion constituant, selon lui, une contribution importante à la transparence des gestions locales et donc à la régulation de la décentralisation.

Le premier président de la Cour des comptes a ensuite fait état de la loi du 6 février 1992 d'orientation sur l'administration territoriale de la République qui avait, en particulier, ouvert au représentant de l'Etat et à l'exécutif territorial le droit d'introduire auprès des chambres régionales des comptes une demande de vérification d'une gestion locale. Il a ensuite mentionné la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence des activités économiques, qui comportait, notamment, la création d'un droit général à audition dans le cadre du contrôle financier local, mais aussi la définition d'un délit d'obstacle au contrôle des magistrats et rapporteurs des juridictions financières. Il a enfin cité la loi du 8 février 1995, dont certaines dispositions avaient renforcé les pouvoirs de contrôle des juridictions financières sur les services publics délégués.

M. Pierre Joxe a souligné, par ailleurs, que ces textes avaient dans leur ensemble contribué au renforcement du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'examen de la gestion. S'agissant des origines administratives des magistrats des chambres régionales des comptes, il a noté que, malgré le nombre important de fonctionnaires issus de l'administration du ministère des finances, la composition de ce corps de magistrats était assez variée.

A cet égard, il a insisté sur les importants progrès réalisés dans l'unification de ce corps et dans l'harmonisation de ses méthodes de travail. Il a rappelé que ces progrès résultaient en grande partie de la politique de coordination et de formation menée par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes.

M. Pierre Joxe a ensuite relevé que l'important accroissement du nombre de comptabilités soumises au contrôle des chambres régionales des comptes ne s'était pas accompagné d'une progression correspondante de leurs moyens humains, financiers et matériels. A cet égard, le premier président de la Cour des comptes a considéré qu'il serait souhaitable de revoir le ressort territorial des chambres régionales des comptes et d'envisager le regroupement de certaines d'entre elles, afin de renforcer les moyens d'action des chambres les plus petites et d'homogénéiser leur taille.

Il a estimé que cette orientation favoriserait, en outre, une rationalisation des pratiques et des procédures ainsi qu'une "homogénéisation de la jurisprudence" des chambres. M. Pierre Joxe a également souligné la nécessité de prévoir un alignement du statut des magistrats des chambres régionales des comptes sur celui des magistrats des juridictions administratives.

S'agissant des préoccupations exprimées concernant l'examen de la gestion, le premier président de la Cour des comptes a, tout d'abord, souligné l'intérêt que pourrait présenter en matière de diffusion et de publication des observations définitives des chambres régionales des comptes l'obligation d'y adjoindre les réponses des collectivités locales concernées, comme c'est le cas pour le rapport public de la Cour des comptes.

M. Pierre Joxe a ensuite relevé qu'il ne disposait d'aucune preuve formelle de l'exercice éventuel par les chambres régionales des comptes d'un contrôle de l'opportunité des décisions prises par les collectivités locales.

Il a, en revanche, admis qu'il pouvait exister des différences de "jurisprudence", ou de rythme des contrôles, d'une chambre régionale des comptes à l'autre. A cet égard, il a rappelé que, s'agissant de juridictions, la Cour des comptes ne disposait d'aucun pouvoir hiérarchique sur les chambres régionales des comptes.

En définitive, M. Pierre Joxe a considéré que les améliorations du contrôle financier local résulteraient essentiellement de la pratique.

En réponse aux questions de M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim, le premier président de la Cour des comptes a, tout d'abord, indiqué qu'il était favorable à la création d'une présidence de chambre au sein de la Cour des comptes qui aurait pour vocation spécifique le suivi de l'activité des chambres régionales des comptes. Sur ce point, il a souligné que les moyens mis à la disposition de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes avaient d'ores et déjà été renforcés. Il a cependant souligné la difficulté d'instituer une procédure d'appel des observations formulées par les chambres régionales des comptes dans l'exercice du contrôle de gestion, dans la mesure où il ne s'agit ni de décisions juridictionnelles, ni d'actes faisant grief. M. Pierre Joxe s'est, en revanche, dit favorable au renforcement du rôle consultatif des chambres régionales des comptes, sous réserve que leur soient alloués les moyens matériels et humains supplémentaires pour faire face à ces nouvelles tâches, sans nuire à l'exercice du contrôle financier.

Répondant ensuite à M. Paul Girod, le premier président de la Cour des comptes a précisé que, loin de paralyser les initiatives des élus locaux, l'examen de la gestion possédait une vocation pédagogique affirmée que la Cour des comptes s'efforçait de valoriser en publiant des rapports thématiques portant sur certains aspects de la gestion locale. Par ailleurs, il ne s'est pas opposé à l'idée que les chambres régionales des comptes et les collectivités locales concernées déposent une plainte conjointe contre X en cas de "fuites" médiatisées au cours d'un examen de la gestion d'une collectivité locale.

Répondant ensuite à M. Michel Dreyfus-Schmidt, le premier président de la Cour des comptes a estimé qu'à l'instar des juridictions administratives, l'exercice parallèle par les chambres régionales d'une fonction de contrôle et de compétences consultatives ne soulevait pas d'objection de principe.

Enfin, en réponse à M. Jean-Paul Amoudry, président, le premier président de la Cour des comptes s'est déclaré satisfait de la pratique informelle de respect d'un "délai de neutralité" suspendant pendant les trois ou quatre mois précédant une élection locale l'envoi de lettres d'observations définitives. Il a, en outre, admis l'utilité d'une réflexion sur la suppression éventuelle du caractère automatique de la sanction d'inéligibilité applicable à un responsable local ayant été reconnu comptable de fait, tout en soulignant cependant que cette disposition du code électoral sanctionnait une infraction grave aux règles de la comptabilité publique.

M. Joël THORAVAL

Préfet de la région Ile-de-France
en sa qualité de
Président de l'association du corps préfectoral

Jeudi 19 juin 1997

A titre liminaire, M. Joël Thoraval a souligné la complexité de la problématique du contrôle des finances locales, où interviennent, d'une part, le représentant territorial de l'Etat pour le contrôle de légalité et, d'autre part, les chambres régionales des comptes au titre du contrôle financier. Il a souligné l'importante évolution du contexte local depuis la décentralisation engagée en 1982, marqué par l'élargissement des compétences des collectivités locales, la forte croissance des budgets locaux et les difficultés financières rencontrées par certaines collectivités. Il a insisté sur l'impact de la médiatisation et de la politisation qui accompagnent la diffusion des observations des chambres régionales des comptes.

M. Joël Thoraval a relevé qu'il existait dans ce domaine une interaction complexe entre la mission de contrôle exercée par les préfets et la mise en oeuvre du contrôle de la gestion des collectivités locales par les chambres régionales des comptes. Il a insisté sur l'importance de la contribution du contrôle financier local au redressement d'irrégularités qui sont, le plus souvent, commises de façon involontaire par les gestionnaires locaux. A cet égard, il a fait état du paradoxe résultant, d'une part, de la reconnaissance d'une mission de contribution au bon fonctionnement de la démocratie locale et, d'autre part, d'une contestation de la mise en oeuvre du contrôle financier.

Analysant le cadre et les enjeux du contrôle financier local, M. Joël Thoraval a insisté sur l'importance du phénomène de "juridicisation" de la société et de son corollaire, la pénalisation. Il a ensuite expliqué que ce phénomène favorisait l'émergence d'un sentiment d'insécurité juridique chez les élus locaux, en raison de l'augmentation du nombre de dossiers transmis à la juridiction judiciaire par les chambres régionales des comptes, ce nombre étant passé de 42 en 1994, à 63 en 1995. Il a souligné que cette circonstance était renforcée par les phénomènes de médiatisation et de politisation qui donnent à ces observations, rendues publiques, un impact mal mesuré par le juge financier. Il a noté que cette situation était d'autant plus sensible que les observations formulées par les chambres régionales des comptes n'étaient pas revêtues de l'autorité de la chose jugée et qu'elles étaient, en conséquence, insusceptibles de faire l'objet d'un appel.

M. Joël Thoraval a néanmoins relevé que la communication aux personnes intéressées des observations formulées par les chambres régionales des comptes, dans le cadre d'une procédure contradictoire, garantissait le respect des droits de la défense. Il a néanmoins relevé que cette communication comportait un risque réel de divulgation des observations provisoires, notamment lorsqu'elles concernent la gestion du précédent ordonnateur. Sur ce point, il a relevé que la Cour des Comptes soulignait l'existence d'une asymétrie entre les chambres régionales des comptes qui doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir le secret de leurs investigations et les collectivités locales qui ne sont pas soumises aux mêmes obligations.

Le président de l'association du corps préfectoral a conclu sur ce point en insistant sur les conséquences de la médiatisation des observations formulées par les chambres régionales des comptes, tout en admettant que cette transparence était nécessaire au bon exercice de la démocratie locale. A cet égard, il a insisté sur la nécessité d'organiser des "contrepoids" à la mise en oeuvre du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales opérée par les lois de décentralisation. Dans cet esprit, il a noté que, parallèlement au contrôle de légalité, les chambres régionales des comptes jouaient un rôle croissant dans la "régulation de la décentralisation", alors même, qu'en dehors du jugement des comptes, elles ne possédaient pas un réel pouvoir de décision.

M. Joël Thoraval a par ailleurs admis que le caractère tardif du contrôle de gestion et son autonomie par rapport au contrôle de légalité étaient susceptibles de faire naître un sentiment d'insécurité juridique chez les élus locaux, dans la mesure où une chambre régionale des comptes peut formuler des observations sur des décisions qui n'ont pas été critiquées dans le cadre du contrôle de légalité. Il a reconnu que ce type de situation était de nature à jeter un doute sur la qualité du contrôle exercé par les services préfectoraux. Sur ce point, M. Joël Thoraval a tenu à souligner que cette situation découlait, d'une part, du caractère non décelable de certaines irrégularités au moment où s'exerce le contrôle de légalité et, d'autre part, de la spécificité de ce contrôle qui a pour objet de favoriser un dialogue confiant entre les élus locaux et le représentant de l'Etat.

Décrivant l'articulation qui existe entre ces deux contrôles, M. Joël Thoraval a, tout d'abord, relevé l'utilisation par les chambres régionales des comptes des travaux du service préfectoral à l'appui de leur contrôle de gestion. Il a ensuite rappelé que le Conseil d'Etat avait jugé que l'autorité préfectorale n'avait pas l'obligation de déférer aux tribunaux administratifs les actes des collectivités locales, dans la mesure où il a reconnu aux préfets un pouvoir d'appréciation du degré de gravité de l'irrégularité. Il a estimé que le contrôle "préfectoral" ne devait pas être "tâtillon" et qu'il devait tenir compte des réalités locales.

Considérant que les deux contrôles étaient, dans une large mesure, complémentaires, M. Joël Thoraval a suggéré que soient rééquilibrés les rôles respectifs des chambres régionales des comptes et du préfet dans l'exercice de leur fonction de régulation de la décentralisation. Pour illustrer le caractère complémentaire du contrôle de légalité et du contrôle financier, il a tout d'abord rappelé que la loi prévoyait que les chambres régionales des comptes concouraient au contrôle budgétaire des collectivités locales, le préfet statuant au regard des propositions formulées par les chambres. Ces dernières sont aussi tenues d'informer le préfet à différents stades des procédures de contrôle budgétaire, de jugement des comptes ou d'examen de la gestion d'une collectivité locale.

Le président de l'association du corps préfectoral a relevé qu'à l'inverse les préfets pouvaient, dans l'exercice du contrôle de légalité, s'appuyer sur les analyses et les observations des chambres.

Il a cependant admis l'existence de certaines difficultés, résultant par exemple de la mise en cause de la qualité du contrôle de légalité par une chambre régionale des comptes.

M. Joël Thoraval s'est élevé contre de telles pratiques qui traduisent une méconnaissance de la conception préfectorale du contrôle de légalité, dont l'objet ne se borne pas à recourir à des voies de droit contraignantes, et qui tient compte des conditions réelles d'exercice des compétences des collectivités locales. Il a précisé que les chambres régionales des comptes devaient contribuer au contrôle de légalité en apportant une assistance technique à l'exercice de cette mission. A cette fin, M. Joël Thoraval a indiqué que l'association du corps préfectoral souhaitait renforcer l'administration territoriale en regroupant au sein d'un même service interministériel des fonctions actuellement dispersées dans plusieurs services déconcentrés.

M. Joël Thoraval a ensuite présenté plusieurs propositions destinées à moderniser les conditions d'exercice du contrôle financier local. A cet égard, il a, tout d'abord, recommandé un renforcement du rôle préventif des chambres régionales des comptes. Il a ensuite souhaité que les observations des chambres régionales soient accompagnées de recommandations concrètes destinées à remédier aux problèmes qu'elles ont relevés dans le cadre d'un contrôle de gestion. Il a souligné qu'une telle adaptation aurait l'avantage de mieux associer les chambres régionales des comptes aux réalités de la gestion locale. Puis il a suggéré de mettre en place des "missions du contrôle de légalité" qui seraient composées de magistrats issus des juridictions administratives, financières et judiciaires, ainsi que de fonctionnaires provenant de certains services déconcentrés de l'Etat. Enfin, il a souhaité un "rééquilibrage" des rôles respectifs des chambres régionales des comptes et des services préfectoraux qui passe, selon lui, par un renforcement de ces derniers.

En conclusion, M. Joël Thoraval a souhaité qu'un nouveau type de relations se tisse entre les acteurs de la vie publique locale afin de promouvoir la prévention des irrégularités et de favoriser la cohérence des différentes formes de contrôle exercé par les services de l'Etat.

M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , s'est tout d'abord félicité de la volonté de renforcer la prévention et de mieux associer les juridictions financières aux conséquences de leurs observations. Il a par ailleurs jugé pertinente l'idée de regrouper les moyens administratifs des services déconcentrés de l'Etat pour favoriser la cohérence des différentes formes de contrôle.

Afin de lever toute ambiguïté sur la portée du contrôle de légalité, il a, par ailleurs, suggéré qu'à l'issue de ce contrôle, soit apposée sur les documents "traités" une formule rappelant que le visa de l'autorité préfectorale ne valait pas quitus au regard du contrôle financier.

Répondant à une question de M. Jean-Paul Amoudry, président, le président de l'association du corps préfectoral s'est dit défavorable à une éventuelle suppression de l'automaticité de la sanction d'inégibilité en cas de gestion de fait, dans la mesure où cette adaptation risquait d'être mal perçue par l'opinion publique qui l'analyserait comme un allègement "suspect" des sanctions pesant sur des élus "fautifs".

M. Michel THÉNAULT

Directeur général des collectivités locales
au ministère de l'intérieur

Jeudi 19 juin 1997

A titre liminaire, M. Michel Thénault a fait observer que les contrôles opérés par les chambres régionales des comptes s'inscrivaient dans un contexte caractérisé par la grande maturité des collectivités locales.

Il a relevé que les collectivités territoriales, qui exerçaient des compétences très étendues, intervenaient désormais dans tous les domaines de la vie sociale et que leurs budgets, qui s'élevaient à 750 millions de francs, représentaient à peu près la moitié du budget de l'Etat.

M. Michel Thénault a néanmoins souligné que les collectivités locales disposaient de marges de manoeuvre réduites, que les citoyens étaient désormais très sensibles à la pression fiscale et que certaines collectivités locales étaient en proie à des difficultés financières qui avaient pu sensibiliser l'opinion publique.

Le directeur général des collectivités locales a fait valoir que les médias se saisissaient des contrôles opérés par les chambres régionales des comptes alors même que le débat entre la collectivité locale et la juridiction concernée n'était pas clos. Il a constaté l'utilisation par les médias d'éléments du contrôle financier, qui étaient essentiellement d'ordre technique.

Puis, considérant que le contrôle de légalité et le contrôle financier étaient la contrepartie logique de la décentralisation, M. Michel Thénault a rappelé que les chambres régionales des comptes exerçaient trois missions essentielles, à savoir le jugement des comptes et des comptables, la contribution au contrôle budgétaire et l'examen de la gestion des collectivités locales.

Après avoir relevé que les compétences des chambres régionales des comptes avaient été progressivement développées ces dernières années, il a fait valoir que les modalités du contrôle avaient été également précisées notamment pour ce qui est de la procédure contradictoire préalable à l'établissement des observations définitives et pour la garantie du secret des investigations.

Le directeur général des collectivités locales a alors souligné que la mission des chambres régionales des comptes en matière de contrôle de la gestion était de s'assurer de l'efficacité de la gestion locale sans pour autant se prononcer sur les choix opérés.

Distinguant le contrôle de gestion de la fonction juridictionnelle exercée par les chambres régionales des comptes, il a fait valoir que les observations définitives des chambres régionales des comptes n'étaient pas assorties de sanctions même si leur communication à l'assemblée délibérante leur conférait une portée très importante.

Relevant ensuite que le contrôle de gestion avait pu apparaître, dans certains cas, comme portant sur l'opportunité des décisions locales, M. Michel Thénault a jugé nécessaire d'évaluer si ce contrôle de l'opportunité était ou non fondé sur des considérations juridiques.

S'appuyant sur des exemples d'observations définitives rendues par des chambres régionales des comptes, il a ainsi noté que l'attribution d'un marché public, tout en respectant les procédures de mise en concurrence, pouvait s'appuyer sur des critères de choix qui n'étaient pas exempts de risques.

De même, M. Michel Thénault a indiqué que les chambres régionales des comptes avaient pu constater que le fractionnement des services d'une collectivité locale chargés de la commande publique avait pu avoir un effet sur le dépassement des seuils permettant le règlement des achats sur simple facture. Il a enfin précisé que l'examen des interventions économiques conduisait les chambres régionales des comptes à une évaluation et à une appréciation de la régularité du risque.

Tout en reconnaissant que la frontière entre la régularité et l'opportunité était ténue, M. Michel Thénault a fait valoir que les observations des chambres régionales des comptes pouvaient correspondre, dans nombre de cas, à des préoccupations de régularité.

Dans ces conditions, il a jugé nécessaire d'écarter une approche restrictive du champ d'application du contrôle de gestion. Il a en effet estimé que si celui-ci devait être réduit, il y aurait un risque sérieux de faire évoluer le contrôle non juridictionnel vers un contrôle de type juridictionnel.

Puis, abordant les pistes envisageables en vue d'améliorer le cadre actuel, M. Michel Thénault a tout d'abord estimé possible de renforcer les conditions d'exercice du contrôle de gestion.

Jugeant nécessaire de rechercher une plus grande confidentialité dans la procédure contradictoire, il a proposé de compléter l'article L. 241-6 du code des juridictions financières afin d'étendre aux chambres régionales des comptes, la solution d'ores et déjà en vigueur pour la Cour des Comptes, ce qui garantirait une confidentialité des actes préalables aux observations définitives.

Examinant ensuite les évolutions possibles de la législation, M. Michel Thénault a fait observer que la complexité de celle-ci était dans certains cas soulignée par les chambres régionales des comptes.

Il a ainsi jugé nécessaire de réviser l'article L. 1511-5 du code général des collectivités locales qui, définissant un cadre conventionnel pour les relations entre l'Etat et les collectivités locales, était souvent appliqué dans des conditions critiquables.

De même, le directeur général des collectivités locales a fait valoir que les critiques émises à l'encontre des démembrements administratifs justifiaient la recherche de nouveaux modes de gestion, par exemple avec la mise en place d'établissements publics locaux.

S'intéressant aux conditions d'exercice du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire, M. Michel Thénault a fait observer que le contrôle de légalité était souvent critiqué soit pour sa rigueur excessive, soit au contraire pour son laxisme.

Il a néanmoins relevé l'existence d'une demande de plus en plus forte des élus locaux pour un renforcement de la sécurité juridique de leurs actes.

Après avoir rappelé que le contrôle de légalité ne garantissait en aucun cas de manière définitive la validité juridique des actes des collectivités locales, M. Michel Thénault a néanmoins jugé souhaitable d'augmenter la sécurité juridique de ces actes. De même, il a fait valoir que le contrôle budgétaire devait permettre de prévenir des situations financières dégradées.

S'interrogeant sur les conditions et l'étendue de ces contrôles, M. Michel Thénault a indiqué que sur 5 millions d'actes transmis aux préfectures en 1995, 2.000  avaient fait l'objet de déférés aux tribunaux administratifs.

Relevant le faible pourcentage de déférés préfectoraux, M. Michel Thénault a néanmoins souligné le rôle de la procédure préalable de concertation entre les élus locaux et les préfets qui permettait, dans bien des cas, de prévenir un déféré. Il a néanmoins indiqué que dans des domaines tels que l'urbanisme ou les marchés publics, le contrôle de légalité faisait preuve d'une rigueur accrue.

Il a enfin noté que les dispositifs législatifs adoptés en 1992-1993 et 1995 avaient eu pour objet d'étendre le champ de la transmission obligatoire des actes des collectivités locales et d' accélérer la procédure de sursis à exécution de ces derniers.

S'agissant du contrôle budgétaire, M. Michel Thénault a indiqué que sur 340.000 actes contrôlés, 700 avaient donné lieu à une saisine des chambres régionales des comptes.

Le directeur général des collectivités locales a alors jugé nécessaire de renforcer la formation des services chargés du contrôle de légalité, de mettre à leur disposition des outils d'analyse et de veiller à une homogénéité des solutions adoptées.

Il a précisé que la direction générale des collectivités locales avait développé plusieurs actions dans ce sens, notamment par l'établissement de recueils de jurisprudence, en répondant à des questions ponctuelles et en organisant des sessions de formation sur les marchés publics et sur l'instruction comptable M.14.

Il a néanmoins considéré que ces actions devraient être développées en renforçant l'assistance apportée aux préfectures et en mettant à leur disposition des instruments d'analyse afin d'accélérer et d'améliorer les contrôles.

En conclusion, M. Michel Thénault a fait valoir qu'il était possible de rechercher une plus grande harmonisation des solutions retenues et de développer l'expertise locale.

M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , a alors jugé souhaitable que le groupe de travail puisse disposer d'analyses de la direction générale des collectivités locales sur les observations rendues par les chambres régionales des comptes.

Il a par ailleurs relevé la suggestion de légitimer dans la loi les interventions des collectivités locales dans certains domaines. Il s'est ensuite interrogé sur l'idée de mettre en place des missions de contrôle de légalité qui seraient à la disposition des préfets.

Enfin, M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , après avoir noté les inconvénients de la communication orale à l'assemblée délibérante des observations définitives des chambres régionales des comptes, s'est demandé s'il ne serait pas préférable d'instituer une communication écrite.

En réponse, M. Michel Thénault a tout d'abord fait valoir que certaines observations avaient pu conduire les chambres régionales des comptes à apprécier des sujets qui semblaient relever de la pure opportunité.

Reprenant l'exemple de la gestion des commandes publiques dans une collectivité locale, qui était directement de la responsabilité de celle-ci, il a néanmoins fait observer que cette organisation interne pouvait conduire la collectivité locale à prendre des risques, ce qui soulevait alors un problème de régularité.

Il a, en conséquence, de nouveau estimé qu'une restriction du champ du contrôle de gestion pourrait entraîner un glissement de celui-ci vers un contrôle juridictionnel.

Soulignant ensuite que la confidentialité des observations provisoires des chambres régionales des comptes devrait être mieux assurée, M. Michel Thénault a de nouveau suggéré de compléter l'article L. 241-6 du code des juridictions financières afin de supprimer la distorsion actuelle entre la procédure suivie devant la Cour des Comptes et celle appliquée par les chambres régionales des comptes.

S'agissant de la suggestion de mettre en place des missions du contrôle de légalité, M. Michel Thénault a fait valoir qu'il était avant tout nécessaire d'instituer auprès du préfet des pôles de compétences pluridisciplinaires.

Il a en revanche jugé nécessaire de ne pas instaurer entre les préfets et les autorités locales une structure intermédiaire qui pourrait jouer le rôle d'une sorte de " parquet " administratif.

Soulignant que dans un contexte de juridictionnalisation, la pression du risque pénal pesait sur tous les acteurs locaux, il a fait observer qu'une telle structure risquerait d'enfermer les préfets dans des compétences liées et de modifier profondément la nature de leurs relations avec les collectivités locales.

M. Michel Thénault a en outre jugé souhaitable de ne pas démobiliser les services permanents des préfectures, même si la création de pôles de compétences ou le développement de la mobilité pouvaient être très utiles.

S'agissant de la communication des observations définitives des chambres régionales des comptes à l'assemblée délibérante, M. Michel Thénault a estimé que cette communication était en principe écrite dans la mesure où la convocation devait comporter ces observations.

M. Patrice Gélard a alors souligné les difficultés auxquelles étaient confrontées les collectivités locales pour recruter des fonctionnaires territoriaux ayant une bonne formation juridique et donc susceptibles de bien appréhender les problèmes juridiques auxquels les collectivités étaient confrontées.

En réponse, M. Michel Thénault a fait observer que les compétences de la fonction publique territoriale s'étaient renforcées. Il a relevé que la filière administrative avait été mise en place en 1987, à un moment où la complexité des problèmes juridiques des collectivités locales était moins sensible. Il a également noté que les procédures de recrutement avaient eu tendance à privilégier les aspects sociaux, peut-être au détriment des aspects juridiques.

Dans ces conditions, le directeur général des collectivités locales a jugé nécessaire de revoir le programme des concours administratifs et de permettre une plus grande " capitalisation " de la formation permanente. Il a également estimé que les aspects juridiques pourraient être mieux pris en compte dans le nouveau statut des élèves qui concernait les cadres supérieurs.

M. Paul Girod s'est alors interrogé sur l'idée de prévoir une plainte automatique et conjointe de la chambre régionale des comptes et de la collectivité locale en cas de divulgation dans la presse d'observations provisoires. Il a en outre fait valoir que la mise en cause a posteriori par les chambres régionales des comptes de la prise de risques pouvait aboutir en pratique à une paralysie de l'action locale.

En réponse, M. Michel Thénault, prenant l'exemple des interventions économiques des collectivités locales, a de nouveau considéré que, dans un certain nombre de cas, une clarification législative permettrait de mettre utilement le droit en conformité avec la pratique.

M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , a jugé nécessaire de prendre en compte les spécificités des départements d'outre-mer pour lesquels des missions du contrôle de légalité pourraient avoir une utilité particulière.

M. Gilles CARREZ

Député
Vice-Président de l'Association des Maires de France (AMF)

Mardi 24 juin 1997

Faisant état des résultats provisoires d'une enquête sur les chambres régionales des comptes menée par l'AMF auprès des présidents d'associations départementales des maires, M. Gilles Carrez a indiqué que les maires consultés ne remettaient pas en cause globalement les contrôles exercés par les chambres régionales des comptes mais qu'en revanche, ils exprimaient le souci d'une meilleure définition de leur champ d'application. Il a notamment relevé la préoccupation concernant la distinction entre le contrôle de régularité et le contrôle de pure opportunité. Il a également noté une contestation très localisée à l'encontre de ces contrôles.

Après avoir souligné que les chambres régionales des comptes étaient des juridictions, M. Gilles Carrez a estimé que le jugement des comptes correspondait à une procédure ancienne, bien acceptée par les élus et conforme à la nature juridictionnelle des chambres régionales des comptes.

Faisant néanmoins observer que, dans ce cadre, ces juridictions pouvaient établir des lettres d'observations concernant la gestion des ordonnateurs, M. Gilles Carrez a considéré que cette concomitance d'un jugement sur les comptes et d'un avis sur la gestion faisait apparaître ce dernier comme un véritable jugement. Il a fait valoir que cette confusion était accentuée par le fait que dans certains cas, qui relevaient de la gestion de fait, les chambres régionales des comptes étaient appelées à rendre un véritable jugement assorti de sanctions.

Puis, M. Gilles Carrez a estimé que la nature juridictionnelle des chambres régionales des comptes rendait difficile une procédure de consultation préalable à la demande des collectivités locales. Il a jugé préférable de prévoir le recours à des pôles de compétences impliquant les différents services concernés.

M. Gilles Carrez a par ailleurs fait observer que les chambres régionales des comptes intervenant postérieurement au contrôle de légalité, cette situation posait le problème de la sécurité juridique des actes des collectivités locales. Il a ainsi relevé le risque de contradiction entre le contrôle de légalité et le contrôle financier.

M. Gilles Carrez a ensuite fait valoir que les interventions des chambres régionales des comptes à l'égard des ordonnateurs étaient trop tardives par rapport à l'objectif d'assurer une bonne gestion locale, notamment pour ce qui est des activités périphériques telles que les associations ou les sociétés d'économie mixte. Il a considéré que si les observations concernant la gestion étaient formulées au moment du jugement des comptes, elles ne pouvaient pas jouer un rôle efficace pour remédier à certains dysfonctionnements.

Relevant les problèmes posés par la procédure actuelle, M. Gilles Carrez a indiqué que les élus locaux étaient souvent choqués, moins par le contenu que par la présentation des observations.

Tout en se déclarant favorable au maintien de la communication des observations définitives des chambres régionales des comptes aux assemblées délibérantes, M. Gilles Carrez a néanmoins plaidé pour la mise en place d'une véritable procédure contradictoire. Il a également souhaité que les chambres régionales des comptes prennent davantage en considération les réponses des ordonnateurs à leurs observations provisoires et qu'elles ne limitent pas leurs observations aux seuls aspects négatifs de la gestion locale. Enfin, il a souhaité que les réponses des ordonnateurs soient versées au dossier et fassent l'objet d'une publicité.

M. Gilles Carrez a par ailleurs regretté l'absence de procédures d'audit et de contrôle internes aux collectivités locales.

En conclusion, après avoir considéré que les contrôles étaient le corollaire de la décentralisation, M. Gilles Carrez a néanmoins plaidé pour un renforcement des procédures et pour une consultation préalable qui serait ouverte aux collectivités locales afin de sécuriser leurs interventions.

M. Paul Girod a également estimé qu'une procédure de consultation préalable devrait être envisagée sous une forme qui restait à définir. Il a considéré que la mise en oeuvre d'une telle procédure pourrait faire bénéficier l'ordonnateur d'une présomption de bonne foi.

M. Jacques Oudin, rapporteur, soulignant l'intérêt de l'enquête réalisée par l'AMF, a relevé que celle-ci ne mettait en évidence aucune remise en cause globale du contrôle financier mais exprimait le souhait d'une meilleure distinction entre la régularité et l'opportunité, ce qui relevait à ses yeux d'un code de procédure financière.

Notant l'existence de contestations localisées du contrôle financier, il a estimé que celles-ci soulevaient le problème du rôle régulateur de la Cour des Comptes à l'égard des chambres régionales des comptes.

M. Jacques Oudin, rapporteur, a ensuite rappelé que la procédure d'examen de la gestion des collectivités locales avait été souhaitée par le législateur lui-même.

Il a estimé que s'il pouvait être difficile de permettre aux collectivités locales de solliciter l'avis préalable des chambres régionales des comptes, la question d'une procédure préalable aux décisions locales méritait néanmoins d'être approfondie.

Puis, le rapporteur a fait valoir que l'intervention des chambres régionales des comptes postérieurement au contrôle de légalité était inévitable, les juridictions financières devant se prononcer sur des pratiques qui faisaient suite à l'adoption d'un acte. Au sujet de la préoccupation exprimée sur le caractère tardif de ces contrôles, il a souligné que ceux-ci intervenaient nécessairement a posteriori, ce qui pouvait contribuer à une certaine sérénité de la procédure.

S'agissant de la forme des observations définitives, M. Jacques Oudin, rapporteur, a fait valoir que la mission de tout organe chargé d'une mission de contrôle était de relever les déficiences de la gestion publique et non pas ses aspects positifs.

Enfin, le rapporteur a souligné que des progrès considérables pouvaient être réalisés pour développer des audits internes aux collectivités locales, notamment grâce à un plus grand recours à l'informatique.

M. Joël Bourdin, s'interrogeant sur les relations entre le contrôle de légalité et le contrôle financier, a souligné que les incohérences entre ces deux types de contrôles étaient légitimement mal vécues par les élus locaux.

A propos de la suggestion de mettre en place une procédure d'avis préalable, M. Joël Bourdin a fait valoir que les collectivités locales pouvaient toujours solliciter l'avis de professionnels qualifiés, notamment des universitaires ou des associations d'élus, lesquelles pourraient, selon lui, jouer un rôle accru dans ce domaine.

En réponse, M. Gilles Carrez, après avoir souscrit à ces observations, a indiqué, concernant la délivrance par les services de l'Etat d'avis préalables aux décisions locales, que la situation était très hétérogène selon les départements et selon les services. Il a, par ailleurs, précisé que l'AMF avait mis en place une procédure de conseil aux élus sur les délégations de services publics et la gestion de l'eau.

Puis, M. Gilles Carrez a fait observer que le contrôle de légalité pouvait être tatillon sur certains aspects de la gestion locale et au contraire ne pas se préoccuper d'autres aspects pourtant tout à fait importants de cette gestion. Il a en outre relevé que le contrôle de légalité était très variable d'une préfecture à l'autre.

Tout en émettant des doutes sur les possibilités d'améliorer ce dispositif, M. Gilles Carrez a néanmoins jugé possible, afin de promouvoir une fonction de conseil aux élus, de réunir des compétences dans les domaines financiers, budgétaires ou juridiques. Considérant qu'il serait difficile de confier la gestion de ce pôle de compétences à un organisme chargé du contrôle juridictionnel, il a estimé qu'il serait logique de le rattacher aux préfets.

S'agissant du rôle des associations d'élus pour conseiller les collectivités locales, M. Gilles Carrez a indiqué que l'AMF était susceptible de donner des informations sur tel ou tel aspect de la gestion locale mais qu'en revanche, il lui était plus difficile de développer un pôle de réflexion multicompétent. Estimant que les compétences qui existaient au sein des administrations centrales pour assurer une mission de conseil aux élus locaux étaient souvent mal utilisées, il a proposé de déconcentrer ces compétences au niveau départemental ou régional.

Soulignant à nouveau l'intérêt d'un développement de l'audit interne aux collectivités locales, M. Gilles Carrez a relevé que le débat d'orientation budgétaire qui avait été prévu par la loi d'orientation du 6 février 1992 pouvait favoriser cette recherche d'une meilleure qualité de la gestion. Il a en outre fait valoir que la dimension pluriannuelle et prévisionnelle devrait être davantage prise en compte.

M. Jacques Oudin, rapporteur, a alors estimé qu'il serait difficile de concilier au sein des chambres régionales des comptes à la fois la mission de délivrer des avis préalables et celle de rendre des jugements sur les comptes. Il s'est donc interrogé sur une solution consistant à mettre en place des pôles de compétences sous la responsabilité des préfets et en liaison avec les associations d'élus. Il a également relevé à son tour la possibilité pour les collectivités locales de recourir aux services de professionnels extérieurs.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a rappelé que le rapport d'information établi par M. Daniel Hoeffel au nom du groupe de travail de la commission des lois sur la décentralisation avait souligné les insuffisances actuelles du contrôle de légalité.

Il s'est en outre interrogé sur l'instauration d'un délai de " neutralité " ayant pour objet de prohiber la délivrance de lettres d'observations définitives à l'approche d'une échéance électorale. Il a souhaité savoir si, lors des dernières consultations, des élus locaux avaient eu à se plaindre d'une utilisation de ces lettres d'observations définitives à des fins purement électorales.

M. Jean-Paul Amoudry, président, s'est enfin demandé si la sanction automatique de la gestion de fait par l'inéligibilité n'était pas excessive.

En réponse, M. Gilles Carrez, après avoir indiqué qu'il n'avait pas recensé de plaintes d'élus locaux à raison de la communication d'observations définitives des chambres régionales des comptes à l'approche des dernières élections municipales, a néanmoins craint que le problème ne se pose à l'occasion des prochaines élections municipales. Il a en conséquence souhaité l'institution d'un délai d'une durée minimale de six mois pendant lequel serait interdite la communication d'observations définitives des chambres régionales des comptes.

S'agissant de la gestion de fait, M. Gilles Carrez a fait valoir que le caractère automatique de la sanction de l'inéligibilité était excessif. Il a en effet relevé que dans un certain nombre de cas la gestion de fait était involontaire.

M. Camille VALLIN

Président de la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte (FNSEM)

M. Maxime PETER
Directeur général

Mardi 1 er juillet 1997

A titre liminaire, M. Camille Vallin a rappelé que la loi du 7 juillet 1983 qui organise le fonctionnement des sociétés d'économie mixte (SEM), avait été adoptée à l'unanimité par le Parlement et que les SEM étaient présidées par des élus de toutes tendances politiques.

M. Camille Vallin a ensuite indiqué que les SEM étaient des sociétés anonymes soumises à la loi du 24 juillet 1966, et qu'elles dérogeaient à ce droit commun par plusieurs règles particulières issues de la loi du 16 juillet 1983, lesquelles règles découlaient de la participation majoritaire des collectivités locales à leur capital et concouraient à garantir l'actionnaire public.

Soulignant l'importance et la vitalité des SEM dans le secteur public local, M. Camille Vallin a indiqué qu'il existait 1.400 SEM réparties dans trois grands secteurs d'activité : la gestion des services publics locaux (46 %), la construction et la gestion immobilière (27 %), l'aménagement et le développement économique (27 %).

Il a précisé que les SEM étaient à l'origine de 55.000 emplois directs dont 20.000 créés depuis 1983 et qu'elles disposaient de 10 milliards de capitalisation. Il a en outre relevé qu'elles avaient créé 500.000 logements sociaux ou intermédiaires et qu'elles réalisaient 18 milliards d'investissements annuels dans l'aménagement urbain.

M. Camille Vallin a fait observer qu'entreprises publiques locales, les SEM étaient logiquement soumises au contrôle des chambres régionales des comptes. Il a relevé que ce contrôle était déclenché soit par saisine préfectorale ou territoriale, soit, le plus fréquemment, à l'initiative de la chambre régionale des comptes elle-même.

Soulignant que ces contrôles étaient de plus en plus fréquents et faisaient ainsi des SEM une cible privilégiée des chambres régionales des comptes, M. Camille Vallin a précisé qu'en 1995 sur 960 lettres d'observations définitives, 88 avaient porté sur des SEM.

Après avoir indiqué que sa fédération avait étudié le contenu des observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes sur les SEM, afin de recommander à ses adhérents les mesures de prévention requises, il a indiqué qu'elle avait également analysé les difficultés rencontrées par les SEM lors de ces contrôles.

Présentant ces difficultés, M. Camille Vallin a tout d'abord fait observer que les contrôles des chambres régionales des comptes étaient plus larges que l'examen de la régularité des opérations, mais qu'ils ne pouvaient, en principe, consister dans une appréciation de l'opportunité des décisions et des objectifs stratégiques des organismes contrôlées.

Après avoir rappelé que les dispositions de la loi du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation étaient sans ambiguïté sur ce point, il a néanmoins fait valoir qu'à l'épreuve des faits les frontières entre le contrôle de gestion et le contrôle de l'opportunité n'étaient pas clairement délimitées. Il a ainsi fait observer que les chambres régionales des comptes s'interrogeaient très fréquemment sur l'utilité du recours à des SEM parce qu'elles considéraient en général que la gestion directe selon les règles du droit public (en régies ou en établissements publics) offrait plus de sécurité, sinon d'efficacité, que la gestion déléguée.

Considérant que cette dérive devait être stoppée, M. Camille Vallin a suggéré que la Cour des Comptes et les chambres régionales des comptes proposent, dans le cadre d'un code déontologie, des critères objectifs d'appréciation ainsi qu'une procédure d'appel devant la Cour des Comptes lorsqu'un organisme contrôlé constaterait qu'une chambre régionale a outrepassé ses compétences.

Puis abordant la question du caractère contradictoire de la procédure de contrôle, M. Camille Vallin a fait valoir qu'il serait normal que l'audition préalable à la séance de la chambre, qui approuve les observations provisoires d'un dirigeant de la SEM contrôlée, devienne obligatoire et que cette audition fasse l'objet d'un procès-verbal communiqué à la personne entendue par la chambre régionale. Il a, par ailleurs, souhaité que les observations ne puissent être arrêtées définitivement avant que l'organisme contrôlé n'ait été en mesure d'y répondre par écrit.

S'intéressant enfin à la question de la publicité des lettres d'observations définitives, M. Camille Vallin a estimé qu'une adaptation des règles en vigueur était urgente face à la médiatisation croissante de la société. Il a ainsi fait observer que les lettres d'observations définitives, bien que ne faisant pas grief sur le plan juridique, apparaissaient comme une véritable sentence dont l'impact sur l'opinion publique pouvait jeter le discrédit sur un élu, sur un projet ou sur une structure, alors même que les irrégularités soulevées par la chambre régionale des comptes pouvaient être de pure forme et ne justifiaient pas, en tout état de cause, que la probité ou la compétence des élus soient mises en cause.

Puis, considérant que l'existence d'un contrôle a posteriori des finances locales, gage d'une bonne démocratie, ne devait pas conduire à créer un climat de défiance entre les citoyens et les élus locaux, M. Camille Vallin a souhaité la mise en place de mesures visant à mieux garantir les principes de la procédure contradictoire et les droits de la défense.

Il a, en premier lieu, plaidé pour que les lettres d'observations provisoires soient confidentielles car elles étaient couvertes par le secret professionnel et leur divulgation apparaissait prématurée en l'absence de réponse de la personne concernée.

Il a, en second lieu, proposé que dans le cas où une lettre d'observations provisoires serait néanmoins publiée, une procédure systématique de plainte conjointe de la chambre et de la collectivité locale, qui aurait un effet suspensif sur la diffusion des observations, soit envisagée.

Par ailleurs, M. Camille Vallin a considéré qu'à l'instar du rapport annuel de la Cour des Comptes, une lettre d'observations définitives devrait, pour devenir communicable, reprendre les réponses définitives de l'exécutif territorial aux observations provisoires de la chambre.

Enfin, M. Camille Vallin a souhaité qu'une harmonisation soit réalisée dans les pratiques des différentes chambres régionales des comptes pour ce qui est de la publication d'un rapport annuel de synthèse.

M. Jacques Oudin, rapporteur , après avoir relevé la diversité des SEM, a souhaité savoir si celles-ci avaient développé des procédures de contrôle interne de leur gestion.

Il s'est par ailleurs demandé si les observations formulées par les chambres régionales des comptes, au moment du jugement des comptes, n'apparaissaient pas trop tardives pour remédier à d'éventuels dysfonctionnements.

En réponse, M. Camille Vallin a indiqué que sa fédération avait élaboré un code de déontologie des SEM et qu'une commission de déontologie examinait les mesures à prendre pour celles d'entre elles qui ne respecteraient pas les règles contenues dans ce code. Il a, en outre précisé, que les SEM pouvaient adhérer à une procédure d'auto-contrôle mise en place par la fédération et que désormais l'adhésion à celle-ci entraînait automatiquement l'adhésion à cette procédure.

M. Camille Vallin a en outre fait valoir que la FNSEM avait réalisé de gros efforts de formation à destination des élus et des personnels des SEM, notamment par l'organisation de stages.

Il a indiqué que des vérifications étaient faites, notamment au regard des règles déontologiques, sur le fonctionnement des SEM qui demandaient d'adhérer à la fédération.

Après avoir souligné que la FNSEM insistait auprès de ses adhérents sur les conditions de création des SEM, il a indiqué qu'elle avait mis en place un observatoire national sur le fonctionnement des SEM d'aménagement qui informait notamment celles-ci sur les normes nationales à respecter. Il a relevé également l'existence d'un observatoire des SEM de services.

Puis M. Camille Vallin a précisé que la FNSEM souhaitait une adaptation du dispositif issu de la loi du 7 juillet 1983.

Soulignant que la législation relative aux SEM était complexe, M. Camille Vallin a fait observer que les chambres régionales des comptes ne faisaient pas toujours la différence nécessaire parmi les règles applicables entre celles relevant du droit public et celles de droit privé, en privilégiant nettement les premières sur le secondes.

M. Camille Vallin a par ailleurs précisé que les SEM souhaitaient une clarification de leurs relations financières avec les collectivités locales.

Enfin, s'agissant du contrôle des SEM par les collectivités locales, il a souhaité que le compte rendu d'activité annuel soit désormais obligatoirement adopté par l'assemblée délibérante de la collectivité concernée.

M. Maxime Peter, directeur général de la FNSEM , a indiqué que la fédération avait mis au point des guides méthodologiques à destination de ses adhérents.

Il a précisé que deux guides de comptabilité étaient destinés aux SEM immobilières et aux SEM d'aménagement afin de faciliter les contrôles de l'actionnaire et permettre à celui-ci d'évaluer les risques qu'il prenait. Il a relevé que ces guides soulignaient les obligations de communication et de contrôle qui étaient imposées aux SEM. Il a ainsi fait valoir que les SEM étaient très contrôlées puisqu'elles cumulaient des contrôles résultant du droit public avec ceux résultant du droit privé.

Puis, soulignant à son tour la complexité du droit applicable aux SEM, M. Maxime Peter a fait observer que la jurisprudence était confuse, notamment pour ce qui était des relations entre la SEM et la collectivité actionnaire.

Après avoir relevé que chaque chambre régionale des comptes établissait sa propre doctrine en fonction de laquelle elle se prononçait, M. Maxime Peter a regretté l'hétérogénéité des observations présentées par les chambres régionales des comptes.

Répondant à M. Jacques Oudin, rapporteur , le rapporteur général de la fédération a précisé que les guides méthodologiques proposaient en matière de communication et de contrôle des formules types, en particulier pour l'élaboration d'un rapport de synthèse qui reprenait l'ensemble des obligations de communication. Il a fait observer que les mesures de contrôle interne conseillées par la FNSEM étaient bien comprises par les SEM.

M. Robert Pagès, faisant part de ses réserves sur une telle procédure, a souhaité connaître la position de la fédération sur l'idée de permettre une saisine préalable des chambres régionales des comptes par les collectivités locales.

En réponse, M. Camille Vallin , après avoir souligné la volonté de transparence et de compréhension réciproque qui animait les SEM, a néanmoins considéré qu'une telle procédure risquerait d'aboutir au rétablissement du contrôle a priori.

M. Maxime Peter a estimé que cette procédure reviendrait à faire jouer par les chambres régionales des comptes, à la fois le rôle du juge et celui de la partie mise en cause, les chambres risquant en outre d'être liées par l'avis préalable qu'elles auraient délivré.

Faisant néanmoins valoir que les SEM avaient besoin d'une assistance pour la mise en place de procédures de contrôle interne, M. Maxime Peter a considéré que les chambres régionales des comptes pourraient jouer un rôle utile dans la mise en place de telles procédures.

M. Jean-Paul Amoudry , président , a souhaité que le groupe de travail puisse avoir communication d'exemples de contrôles opérés par les chambres régionales des comptes sur les SEM qui paraîtraient relever de la pure opportunité.

Il s'est en outre demandé si les collectivités locales disposaient de moyens suffisants pour contrôler les SEM et apprécier les risques financiers qu'elles encouraient.

En réponse, M. Camille Vallin a de nouveau souligné que plusieurs chambres régionales des comptes semblaient mettre en cause purement et simplement le principe même d'un recours à la formule de la SEM.

S'agissant du contrôle opéré par les collectivités locales, il a estimé que le dispositif actuel n'était pas satisfaisant. Il a, en conséquence, renouvelé sa proposition tendant à ce que les collectivités locales approuvent le compte rendu d'activité des SEM.

M. Maxime Peter , revenant sur la frontière entre le contrôle de gestion et le contrôle d'opportunité, a considéré qu'il pourrait être difficile de délimiter précisément les cas dans lesquels la chambre régionale des comptes, excédant ses compétences, une procédure d'appel devant la Cour des Comptes devrait pouvoir être mise en oeuvre.

Il a suggéré que les comptes rendus annuels d'activité des SEM soient non seulement approuvés par la collectivité locale mais en outre certifiés par le commissariat aux comptes de la SEM.

En réponse à M. Jean-Paul Amoudry , président , qui souhaitait savoir quelle avait été la place de la question des contrôles dans la concertation mise en oeuvre par le précédent Gouvernement sur une réforme de la loi du 7 juillet 1983, M. Maxime Peter a indiqué que la question des relations financières entre la collectivité locale et la SEM avait eu une place importante dans cette concertation et que les propositions formulées par la FNSEM avaient reçu un accueil favorable. Il a précisé que le nouveau Gouvernement avait été saisi de ces propositions.

M. Pierre ROCCA
Conseiller à la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur
Président de l'association professionnelle des magistrats de chambres régionales des comptes

M. Dominique DELARUE
Conseiller à la chambre régionale des comptes de Bourgogne

Mardi 1 er juillet 1997

M. Pierre Rocca a, tout d'abord, souligné la très forte représentativité de l'association professionnelle des magistrats de chambres régionales des comptes, à laquelle adhèrent plus de 80 % des 320 magistrats effectivement en fonction au sein des juridictions financières.

Puis, il a rappelé que le corps des magistrats de chambres régionales des comptes avait été constitué très rapidement après la création des chambres régionales des comptes en 1982.

A cet égard, il a souligné que le recrutement initial des magistrats avait été caractérisé par l'importance du nombre de fonctionnaires en provenance de la direction de la comptabilité publique et plus largement des directions du ministère des finances.

M. Pierre Rocca a ensuite indiqué que ce recrutement s'était depuis lors diversifié et que plus de 20 % des effectifs du corps des magistrats de chambres régionales des comptes était aujourd'hui issu de l'école nationale d'administration. Sur ce point, il a enfin noté que l'évolution de l'origine professionnelle des magistrats de chambres régionales des comptes avait permis au corps de passer d'une "monoculture comptabilité publique" à une culture juridique et financière variée qui constituait une richesse à préserver.

M. Pierre Rocca a ensuite indiqué que l'action des chambres régionales des comptes était très largement reconnue et appréciée tant par les citoyens que par les élus.

Il a cependant admis que l'exercice de la mission du contrôle financier s'exerçait dans un contexte général de "complexification" du droit dont la portée dépassait largement les seules juridictions financières.

S'agissant de la mise en oeuvre par les chambres de leurs pouvoirs, M. Pierre Rocca a insisté sur la spécificité que constituait l'autosaisine de plein droit des comptes publics suivie de jugements ou d'observations publiques faisant suite à un examen de la gestion, qui débouchent par nature sur la mise en évidence de certaines irrégularités ou défaillances.

M. Pierre Rocca a estimé que de tels pouvoirs exigeaient, de la part des magistrats chargés de les exercer, "compétence, probité et impartialité". Il a précisé que ces pouvoirs étaient mis en oeuvre avec pondération et que l'exercice du contrôle financier avait largement dépassé les "erreurs de jeunesse" qui lui avaient été reprochées en 1987.

M. Pierre Rocca a ensuite constaté que la prolifération des normes et l'insuffisante formation juridique des élux locaux étaient souvent à l'origine des problèmes rencontrés. A cet égard, il a noté que l'exercice du contrôle de légalité se heurtait à de réelles difficultés.

Il a ensuite relevé le problème posé par l'absence de structures intercommunales habilitées à fournir un conseil juridique. Sur ce point, il a souligné l'échec que représentait l'absence de mise en oeuvre de l'article 32 de la loi du 2 mars 1982 qui permettait de créer des agences départementales chargées d'apporter aux collectivités locales du département une assistance d'ordre technique, juridique ou financier.

Admettant l'existence de l'important besoin de sécurité juridique des élus locaux, M. Pierre Rocca a précisé que les différentes modifications envisageables n'étaient pas nécessairement de nature législative.

S'agissant des missions dévolues aux chambres régionales des comptes, M. Pierre Rocca a tout d'abord noté que la tâche "historique" du jugement des comptes pouvait être modernisée, mais qu'elle n'était pas en elle-même une source de difficultés. Il a cependant noté qu'un consensus semblait se dégager au sujet d'une suppression éventuelle du caractère automatique de la sanction d'inéligibilité applicable en cas de gestion de fait. Il a cependant précisé que cette sanction ne s'appliquait qu'en l'absence de régularisation dans un délai de six mois, tout en admettant que ce délai d'apurement s'avérait souvent insuffisant.

S'agissant de l'examen de la gestion, M. Pierre Rocca a souligné que cette mission constituait un héritage en provenance de la Cour des Comptes. Il a souligné que l'exercice de cette mission constituait un apport fondamental pour la démocratie locale puisqu'elle répondait à l'attente des citoyens en contribuant à accroître la transparence de la gestion publique locale.

M. Pierre Rocca a cependant précisé que cette mission ne pouvait s'exercer sans que de larges garanties soient reconnues aux personnes concernées par l'examen de la gestion, tout en soulignant que cet examen ne constituait pas une procédure juridictionnelle.

S'agissant de la mise en oeuvre de l'examen de la gestion, M. Pierre Rocca a tout d'abord souligné la nécessité pour les chambres régionales des comptes de pouvoir garantir une égalité de traitement entre les différentes collectivités. Il a souligné qu'un important effort avait été engagé à cette fin par la Cour des Comptes et qu'une commission des méthodes avait été chargée de veiller à l'harmonisation des procédures d'investigation. Puis, il a noté que la hiérarchie existant au sein du ministère public constituait un gage pour l'unité de la "jurisprudence" des juridictions financières locales. Il a ajouté que cet effort d'unification se traduisait aussi par la conduite d'enquêtes "inter-chambres". Il a cependant admis que de nombreux progrès restaient encore à accomplir pour compléter cet effort d'harmonisation. Il a noté que ces progrès seraient favorisés par un renforcement de la formation des magistrats et par le développement de la concertation entre les juridictions financières locales.

M. Pierre Rocca a ensuite relevé que les seuils introduits par la loi du 5 janvier 1988 n'avaient pas été révisés depuis le vote de ce texte. Il a précisé que de ce fait sur les 32.000 communes qui avaient été, à l'époque, soustraites à la juridiction des chambres régionales des comptes pour être soumises à l'apurement administratif exercé par les trésoriers payeurs généraux, seules 29.000 relevaient de cette dernière procédure.

Il a, par ailleurs, relevé qu'un certain nombre de comptabilités, comme celles des 19.000 associations foncières rurales et associations syndicales agricoles et des 8.000 établissements publics d'enseignement, continuaient à relever du contrôle des chambres régionales des comptes sans que leur importance ne le justifie.

M. Pierre Rocca a ensuite analysé le contrôle budgétaire, dernière mission exercée par les chambres régionales des comptes. Il a souligné que ce contrôle constituait une contrepartie naturelle de la décentralisation et a précisé qu'il s'exerçait de façon "contemporaine" par rapport au vote du budget des collectivités locales. Il a relevé que cette mission s'était enrichie puisque son exercice dépassait les limites du seul contrôle budgétaire pour s'approcher d'une mission d'audit permettant aux chambres de donner un avis aux préfets sur les conventions de marché et de délégation de service public.

S'agissant de l'extension aux collectivités locales des facultés de saisine pour avis des chambres régionales des comptes ouvertes aux préfets, M. Pierre Rocca a relevé l'existence d'un certain "consensus administratif". Il a cependant relevé la difficulté qui pourrait exister à déterminer la nature de l'autorité qui pourrait prendre l'initiative de cette saisine, selon qu'il s'agisse de l'assemblée délibérante ou de l'ordonnateur.

Il a ensuite insisté sur la nécessité de délimiter précisément les domaines dans lesquels cette fonction consultative des chambres régionales des comptes pourrait s'exercer. Il a souhaité que cette fonction corresponde au domaine d'expertise des chambres et porte notamment sur les montages complexes, sur les marchés d'entreprise de travaux publics ou encore sur les délégations pour recouvrement de recettes par des tiers.

Il a considéré qu'une mission de conseil plus large des chambres régionales des comptes n'était "ni souhaitable" ni "possible", tout en reconnaissant que les chambres fournissaient souvent un "conseil de proximité" informel. A cet égard, M. Pierre Rocca a rappelé que les collectivités locales pouvaient aussi solliciter des conseils tant auprès des sous-préfets que des comptables du Trésor.

Par ailleurs, il a insisté sur les difficultés que pourrait soulever, au regard du droit européen, le fait de confier à une institution de contrôle des tâches relevant d'une fonction de conseil. Enfin, M. Pierre Rocca a souligné que pour être efficace, la fonction de conseil devait être pluridisciplinaire et qu'elle dépassait, en conséquence, le rôle des seules chambres régionales des comptes. A cette fin, il a suggéré la création d'un organisme spécifique rattaché au préfet de région qui serait chargé de cette fonction de conseil et qui devrait rester indépendant du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire.

S'agissant ensuite de la procédure, M. Pierre Rocca a souligné qu'une trop grande complexité serait de nature à paralyser l'activité des chambres régionales des comptes. Il a cependant admis qu'un certain nombre d'améliorations étaient souhaitables. A cet égard, il a insisté sur l'intérêt du renforcement de la collégialité des décisions au sein de chaque chambre qui pourrait notamment être étendue au choix de la programmation des travaux de la juridiction.

Il a, par ailleurs, estimé qu'il serait possible de confier aux présidents de section ou aux commissaires du Gouvernement un rôle plus systématique de contre-rapporteur, prenant ainsi exemple sur le modèle de la Cour des Comptes.

En réponse à M. Jacques Oudin , rapporteur , le président de l'association professionnelle des magistrats de chambres régionales des comptes a noté qu'il existait un assez large recoupement entre les préoccupations du groupe de travail et les pistes de réflexion qu'il avait abordées dans son exposé. S'agissant de l'éventuelle redéfinition du ressort territorial des chambres régionales des comptes, M. Pierre Rocca a indiqué qu'il n'y voyait pas d'obstacle de principe à l'exception du mécontentement que pourrait susciter la suppression des juridictions dans certaines circonscriptions.

S'agissant du statut des magistrats de chambres régionales des comptes, M. Pierre Rocca a insisté sur la nécessité de renforcer les moyens humains, ainsi que la formation au sein des juridictions financières. Sur ce point, il a relevé que toutes les dispositions tendant à renforcer le caractère contradictoire de la procédure seraient de nature à allonger la durée des travaux des chambres régionales des comptes .

En ce qui concerne le respect de la confidentialité au cours d'un examen de la gestion d'une collectivité locale, M. Pierre Rocca a fait remarquer que certains aspects de la procédure pouvaient constituer des "failles", qu'il s'agisse de l'obligation de communiquer à toute personne mentionnée les extraits des lettres d'observations provisoires qui les concernent ou du principe de la transmission de cette lettre, tant à l'ordonnateur actuel qu'à celui qui était en fonction au moment des faits.

M. Dominique Delarue, conseiller à la chambre régionale des comptes de Bourgogne , a pour sa part relevé les deux grandes tendances qui s'étaient dégagées des travaux du colloque organisé par la Cour des Comptes, le vendredi 27 juin 1997 : d'une part, le sentiment d'insécurité juridique éprouvé par les élus, et, d'autre part, le manque de contrôle de gestion interne des collectivités locales. Sur ce dernier point, il a signalé que la suppression des "comptables internes" des collectivités locales avait été décidée par la loi du 14 septembre 1941. Il a ensuite regretté la faible implication du réseau de la comptabilité publique dans le conseil aux collectivités locales. Il a ensuite souligné que la quasi-totalité des lettres d'observation définitives étaient de nature à rendre service aux élus et que ce rôle s'apparentait à un audit informel exercé au bénéfice des collectivités locales. Il a enfin souligné qu'il convenait de relativiser les difficultés qui avaient pu surgir à l'occasion de l'examen de la gestion.

M. Yann Gaillard a pour sa part souligné les difficultés spécifiques rencontrées par le contrôle financier dans les DOM-TOM. Il s'est, par ailleurs, inquiété de la sévérité relative des chambres régionales des comptes dans l'exercice de la mise en débet.

En réponse, M. Pierre Rocca a reconnu les difficultés particulières rencontrées dans les DOM-TOM, puis il a souligné qu'il n'y avait que 200 jugements de mise en débet pour 66.000 comptes rendus sur les comptes. Il a précisé que l'exercice de ce pouvoir avait une vocation "pédagogique". Il a enfin suggéré une "piste" pour la modernisation du jugement des comptes en suggérant de substituer des amendes, dont le montant est forfaitaire, au débet dont le montant est proportionnel à la faute.

M. Michel GONNET

Directeur de la comptabilité publique au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Mardi 16 septembre 1997

M. Michel Gonnet a tout d'abord rappelé que les relations du réseau de la comptabilité publique avec les chambres régionales des comptes se situaient quasi exclusivement sur le terrain juridictionnel.

A cet égard, il a précisé que ses services n'étaient pas impliqués dans les domaines du contrôle budgétaire et de l'examen de la gestion. Il a indiqué cependant que les comptables publics étaient tenus de déférer aux demandes qui leur étaient adressées par les magistrats des chambres régionales des comptes, qu'il s'agisse des statistiques concernant les finances locales ou d'éléments d'information objectifs sur la situation financière d'une collectivité.

M. Michel Gonnet a ensuite traité de l'apurement administratif des comptes auquel sont soumises la plupart des communes.

Sur ce point, il a rappelé que la loi du 5 janvier 1988 avait confié cette compétence aux comptables supérieurs du Trésor que sont les trésoriers payeurs généraux et les receveurs particuliers des finances pour les comptes des communes et des groupements de communes dont la population n'excède pas 2.000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif est inférieur à 2 millions de francs.

Soulignant que l'exercice de cette compétence excluait toute approche subjective, il a considéré que la réforme opérée en 1988 avait institué un partage des tâches adapté à la réalité entre les comptables supérieurs du Trésor et les chambres régionales des comptes, sous réserve du droit d'évocation dont disposent ces dernières.

M. Michel Gonnet a ensuite décrit la mise en état d'examen des comptes des collectivités locales par les comptables publics, rappelant qu'il s'agissait là d'une activité administrative destinée à vérifier le respect des règles formelles de présentation, la régularité et la sincérité des comptes ainsi que la cohérence entre le compte de gestion et le compte administratif.

A cet égard, M. Michel Gonnet a souligné que les 32.000 comptes en provenance du secteur public local représentaient près du tiers des comptes déposés rendus par les comptables du secteur public local appartenant au réseau de la comptabilité publique. Il a précisé que la gestion du secteur public local représentait un enjeu stratégique pour sa direction, dont elle constituait 50 % de la charge de travail, fondant ainsi l'existence du service public financier de proximité.

Puis, il a indiqué que les critères de répartition des compétences entre les chambres régionales des comptes et les comptables publics méritaient d'être actualisés, et en particulier le critère du seuil monétaire en deçà duquel une commune ou un groupement de communes relève de l'apurement administratif, fixé à 2 millions de francs en 1988 et non révisé depuis cette date.

Sur ce point, il a précisé que près de 600 collectivités entraient, chaque année, dans le champ de compétence des chambres régionales des comptes, entraînant ainsi un recul significatif de l'étendue de l'apurement administratif souhaité par le législateur en 1988.

M. Michel Gonnet a ensuite souligné l'aspect juridictionnel de l'apurement administratif indiquant que ce dernier était caractérisé par la recherche d'une unité de doctrine et possédait un caractère préventif.

A cet égard, il a insisté sur la volonté des comptables publics d'éviter des erreurs dans des domaines tels que les restes à recouvrer, les admissions en non-valeur, les marchés publics ou les subventions.

Abordant les sanctions de l'apurement administratif, M. Michel Gonnet a rappelé qu'en cas d'irrégularité grave, la responsabilité des comptables locaux pouvait se trouver engagée. Il a cependant précisé que, sur les 40.000 observations adressées chaque année par les comptables supérieurs du Trésor aux comptables locaux, seules 2.000 d'entre elles contenaient des injonctions et que les arrêts de charge provisoire s'avéraient extrêmement rares.

Par ailleurs, il a souligné le caractère pragmatique du contrôle exercé sur les comptes des plus petites communes. Puis, il a rappelé qu'avec 55.000 agents répartis dans 4.000 postes comptables, la densité du réseau de la comptabilité publique favorisait l'exercice d'un rôle de conseil auprès des collectivités locales.

Insistant sur le caractère hiérarchique de l'administration de la comptabilité publique et sur l'application de normes précises par celle-ci, M. Michel Gonnet a relevé que les dysfonctionnements et les lacunes, mis en évidence par l'apurement administratif, débouchaient sur des actions de fond destinées à remédier à ces problèmes et notamment sur une politique de formation associant le cas échéant les fonctionnaires de la comptabilité publique et les agents des collectivités locales.

Il a, en outre, indiqué que la direction de la comptabilité publique entretenait d'excellentes relations avec la direction générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur. Puis il a souligné que l'apurement administratif était mis en oeuvre en synergie avec les chambres régionales des comptes, dont il a rappelé qu'elles disposaient d'un droit d'évocation sur l'ensemble des comptes locaux. Il a par ailleurs signalé qu'un "cadrage" des règles et modalités du contrôle juridictionnel et, par conséquent, de l'apurement administratif était déterminé chaque année entre les trésoriers payeurs généraux et les présidents de chambres régionales des comptes.

Abordant ensuite l'évolution des relations entre le juge financier et les comptables au niveau local depuis 1982, M. Michel Gonnet a tout d'abord relevé que le "positionnement initial" des comptables publics avait été "difficile" en raison, notamment, du prononcé d'amendes par les chambres régionales des comptes à l'encontre des comptables publics pour retard dans la date de dépôt des comptes. Il a indiqué, par ailleurs, qu'une divergence d'appréciation avait existé sur l'étendue de la responsabilité des comptables publics, celle-ci se limitant pour la comptabilité publique au contrôle des comptes, tandis que certaines chambres régionales des comptes estimaient souvent nécessaire que les comptables procèdent à des vérifications supplémentaires des dépenses qui participent en réalité de l'exercice du contrôle de gestion.

A cet égard, M. Michel Gonnet a noté que depuis le rétablissement de l'apurement administratif pour les petites communes, les relations entre les comptables publics et les chambres régionales des comptes étaient devenues plus sereines, en raison notamment de l'intervention de la Cour des Comptes qui avait contribué à clarifier la situation en infirmant plusieurs décisions des chambres régionales des comptes concernant la responsabilité des comptables et en stabilisant ainsi la jurisprudence des chambres en la matière.

M. Michel Gonnet a ensuite insisté sur l'importance du rôle préventif du contrôle des comptes, dont il a souligné la nécessité, tout en ajoutant que ce dernier aurait pu être organisé selon d'autres modalités à l'époque du vote des lois de décentralisation.

M. Michel Gonnet a alors soulevé deux questions susceptibles de faire l'objet d'améliorations.

A cet égard, il a tout d'abord signalé l'existence d'une revendication de certains comptables destinée à obtenir un assouplissement du régime de leur responsabilité à laquelle il a déclaré ne pas souscrire. Puis, il a évoqué le problème du débet sans préjudice qui intervient lorsque des paiements sans pièces justificatives suffisantes sont relevés.

Sur ce point, il a indiqué qu'il existait une difficulté pour déterminer la notion de préjudice et qu'une modification de nature législative pourrait être envisagée afin de clarifier cette notion.

Répondant aux questions de M. Jacques Oudin, rapporteur , sur les conséquences de la nouvelle instruction budgétaire et comptable M. 14, M. Michel Gonnet a indiqué que ce nouveau cadre avait impliqué un renouvellement de l'ensemble des bases du contrôle exercé par les comptables publics.

Après avoir insisté sur la volonté de la direction de la comptabilité publique de veiller à l'unité de la doctrine du contrôle dans l'ensemble du réseau, M. Michel Gonnet a indiqué que des outils informatiques d'analyse de la "gestion M. 14" avaient été développés.

M. Jacques Oudin, rapporteur , s'est interrogé sur la possibilité pour les collectivités locales d'utiliser ces logiciels d'analyse de gestion et sur leur contribution potentielle au dialogue entre les comptables publics et les gestionnaires locaux.

Réservé sur l'utilité pour les collectivités locales de disposer du logiciel d'analyse financière conçu par la comptabilité publique, il a souligné que les études réalisées par ses services étaient systématiquement mises à la disposition des élus accompagnées des explications nécessaires. M. Michel Gonnet a, par ailleurs, rappelé que les comptables devaient donner aux décideurs locaux des informations financières fiables et récentes, mais en aucun cas se substituer aux ordonnateurs.

S'agissant du contrôle de gestion interne des collectivités locales, le directeur de la comptabilité publique a souligné que les grandes collectivités disposaient en général de services financiers compétents et efficaces.

Notant qu'au sein des petites collectivités, dont la population est comprise entre 2.000 et 5.000 habitants, il était possible de concevoir quelques opérations simples de contrôle interne ; il a, en revanche, souligné que des progrès dans ce domaine étaient possibles au sein des villes moyennes.

S'agissant de l'amélioration des prestations de Conseil assurées par les comptables publics, M. Michel Gonnet a souligné que celle-ci s'appuierait sur une meilleure synergie entre les trois niveaux de gestion du secteur public local (trésorier municipal - service départemental - ou d'arrondissement des collectivités locales - département des études économiques et financières de la trésorerie générale de région) et la rénovation des missions et de l'implantation des recettes des finances. Par ailleurs, il a évoqué la création d'un pôle d'expertise économique et financière au niveau régional : la mission d'expertise économique et financière qui fédère les compétences des administrations financières.

M. Jean-Paul Amoudry, président , s'est ensuite interrogé sur les enseignements éventuels qui pourraient être tirés de ces bonnes relations entre comptables publics et gestionnaires locaux pour la réflexion sur l'action des chambres régionales des comptes.

M. Michel Gonnet a, tout d'abord, répondu qu'un important travail de pédagogie et d'information réciproque était nécessaire, tout en soulignant la nécessité qu'un minimum de règles communes soit applicable à l'ensemble des chambres régionales des comptes.

S'agissant enfin de l'attribution d'une fonction de conseil aux chambres régionales des comptes, le directeur de la comptabilité publique a considéré qu'elle ne lui paraissait pas souhaitable en raison d'une part, des moyens limités de ces juridictions et, d'autre part, du contestable "mélange des genres" qui résulterait de l'exercice concomitant de fonctions juridictionnelles et consultatives.

M. Louis ARBELOT

Trésorier-payeur général du Rhône et de la région Rhône-Alpes
Président de l'Association des
trésoriers-payeurs généraux

Mardi 16 septembre 1997

Prenant l'exemple du département du Rhône, M. Louis Arbelot a indiqué que les collectivités locales représentaient environ 50 à 60 % de la charge de travail des trésoriers-payeurs généraux. Il a précisé que 6 % des collectivités locales relevaient du simple apurement administratif opéré par les comptables supérieurs du Trésor.

M. Louis Arbelot a ensuite estimé qu'après une période assez difficile, les relations entre les comptables publics et les chambres régionales des comptes étaient désormais stabilisées.

Abordant la question de l'apurement administratif des comptes des collectivités locales, M. Louis Arbelot a rappelé que les comptables publics agissaient en l'espèce par délégation des chambres régionales des comptes pour les collectivités de 2.000 habitants au plus et disposant de recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif inférieures à 2 millions de francs.

M. Louis Arbelot a fait observer qu'en fonction de l'évolution de leurs recettes ordinaires, certaines collectivités pouvaient d'une année sur l'autre être soumises alternativement à la compétence de la chambre régionale des comptes ou à celle du trésorier-payeur général. Il a souligné que cette situation avait pour effet de rendre la procédure plus complexe. Il a en outre relevé que lorsqu'ils étaient de nouveau compétents, les trésoriers payeurs généraux ne pouvaient procéder à l'apurement administratif tant que les comptes des exercices précédents n'avaient pas été réglés par la chambre régionale des comptes.

M. Louis Arbelot a en conséquence suggéré de réformer le régime de l'apurement administratif soit en supprimant le critère financier, soit en relevant le seuil de 2 millions de francs prévu par le code des juridictions financières. Il a néanmoins fait valoir qu'un développement des compétences des trésoriers-payeurs généraux en matière d'apurement administratif devrait s'accompagner d'une augmentation des effectifs mis à leur disposition.

Abordant ensuite la procédure de jugement des comptes par les chambres régionales des comptes, M. Louis Arbelot a considéré que le dispositif actuel était très lourd. Tout en estimant que le développement de l'informatique pourrait accélérer la procédure et réduire les retards dans le jugement des comptes, il a néanmoins indiqué que dans le département du Rhône plus de 600 comptes antérieurs à 1991 n'avaient pas encore été jugés.

Après avoir souligné que cette situation était gênante pour les comptables qui ne pouvaient pas obtenir quitus de leur gestion, M. Louis Arbelot a fait observer qu'elle nuisait également à la crédibilité des jugements vis-à-vis des élus locaux. Il a néanmoins relevé que certains efforts avaient été entrepris en liaison avec les commissaires du Gouvernement.

M. Louis Arbelot a par ailleurs soulevé le problème des " circuits " de notification en regrettant que certaines décisions mettant en cause les comptables soient d'abord communiquées aux élus locaux, ce qui pouvait avoir pour effet de déstabiliser les comptables concernés.

M. Louis Arbelot a enfin regretté que les règles de dissolution de certains groupements de collectivités locales, tels que les associations foncières de remembrement soient insuffisamment claires. Il a en effet souligné que la persistance de groupements n'ayant plus d'activité effective compliquait la tâche des comptables.

S'intéressant enfin au contrôle budgétaire, M. Louis Arbelot s'est félicité de la procédure en vigueur qui permettait aux comptables de dissuader efficacement certains élus de s'engager dans des procédures qui risqueraient de méconnaître la légalité.

Il a fait part de ses réserves sur l'exercice d'une fonction de conseil par les chambres régionales des comptes en estimant que l'intervention de ces juridictions pourrait mettre en cause la relation de confiance qui caractérisait la réalisation d'analyses financières par les comptables au profit des élus locaux.

En réponse à M. Jacques Oudin, rapporteur, qui l'interrogeait sur l'idée de supprimer le critère financier prévu pour l'apurement administratif de certaines collectivités, M. Louis Arbelot a fait valoir que, faute d'adaptation du seuil financier, le maintien des règles en vigueur aurait pour effet de réduire progressivement le nombre de collectivités soumises à la procédure d'apurement administratif par les comptables supérieurs du Trésor.

Il a en outre partagé le souci du rapporteur qui estimait que les élus locaux et les comptables du Trésor devraient disposer d'outils informatiques communs. Il a souligné que, contrairement à ce qui se passait pour la transmission d'informations aux chambres régionales des comptes, l'utilisation de l'informatique était courante dans les relations entre les comptables et les ordonnateurs.

M. Louis Arbelot a en outre indiqué que les trésoriers-payeurs généraux considéraient qu'ils étaient bien armés pour exercer une fonction de conseil auprès des élus locaux. Il a également plaidé pour une meilleure formation des magistrats des chambres régionales des comptes.

En réponse à M. Jean-Paul Amoudry, président , qui se demandait si certains enseignements ne devaient pas être tirés de l'expérience positive du contrôle exercé par les trésoriers-payeurs généraux pour améliorer le cadre d'intervention des chambres régionales des comptes, M. Louis Arbelot a fait observer que les chambres régionales des comptes qui avaient déjà des difficultés à juger des comptes dans les délais normaux pourraient difficilement assumer une mission consultative auprès des collectivités locales.

Il a en outre relevé qu'il pouvait être contestable de faire prendre en charge par un même organe la fonction juridictionnelle et la fonction consultative. Il a enfin craint que les chambres régionales des comptes soient dans ce cas excessivement sollicitées par certaines collectivités locales qui souhaiteraient se prémunir contre toute sanction juridictionnelle.

En réponse à M. Jacques Oudin, rapporteur, qui souhaitait savoir si les chambres régionales des comptes exerçaient fréquemment leur droit d'évocation auprès des trésoriers-payeurs généraux, M. Louis Arbelot a indiqué que ce droit était en pratique peu mis en oeuvre, ce qui pouvait s'expliquer par la concertation préalable entre les trésoriers-payeurs généraux et les chambres régionales des comptes ainsi que par le compte rendu de l'apurement administratif qui était transmis à ces dernières.

Il a néanmoins fait observer que les trésoriers-payeurs généraux devaient logiquement susciter la mise en oeuvre de ce pouvoir d'évocation par les chambres régionales des comptes lorsqu'ils observaient des situations anormales.

M. Jacques Oudin, rapporteur, ayant souhaité savoir si l'analyse financière d'une collectivité locale établie par les trésoriers-payeurs généraux était le cas échéant transmise aux chambres régionales des comptes, M. Louis Arbelot a indiqué que les textes prévoyaient la communication des informations demandées par ces dernières. Il a néanmoins jugé préférable que la chambre régionale des comptes demande elle-même ces documents à la collectivité concernée, laquelle en avait la propriété.

Puis M. Louis Arbelot , s'agissant des "circuits " de notification, a précisé que la situation qu'il avait décrite était désormais en voie d'amélioration.

Il a par ailleurs partagé l'analyse du rapporteur, selon laquelle la décentralisation entrait désormais dans une phase de stabilisation de la fiscalité locale et de la croissance des budgets.

Répondant à M. Jean-Paul Amoudry, président , le président de l'association des trésoriers payeurs généraux a précisé qu'après une première phase où la très forte augmentation des dépenses de personnel constituait la préoccupation essentielle, désormais deux domaines retenaient particulièrement l'attention des comptables publics : les associations et les marchés publics.

M. Louis Arbelot a en particulier indiqué qu'un gros travail de formation des comptables avait été accompli en matière de marchés publics. Il s'est par ailleurs interrogé sur l'opportunité d'appliquer dans ce domaine des règles uniformes à des collectivités de tailles très différentes.

En réponse à M. Jacques Oudin, rapporteur, qui soulignait la bonne adéquation du réseau des comptables publics à l'exercice d'une fonction de conseil, M. Louis Arbelot a fait valoir que cette fonction devrait s'exercer à un niveau régional, afin de prendre en compte les contraintes en matière d'effectifs.

M. Philippe de Bourgoing , relevant la relation de confiance qui existait entre les comptables publics et les élus locaux, a estimé que la même confiance n'était pas observée dans les rapports entre ces derniers et les chambres régionales des comptes.

M. Louis Arbelot a alors plaidé pour le maintien de la confidentialité des analyses financières réalisées par les trésoriers-payeurs généraux, cette confidentialité lui apparaissant conforme à la déontologie et de nature à préserver la qualité du dialogue entre ceux-ci et les collectivités locales.

M. Alain SERIEYX
Président de la chambre régionale des comptes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur

M. Philippe LIMOUZIN-LAMOTHE
Président de la chambre régionale des comptes de la région Midi-Pyrénées

M. Roger COMBEL
Président de la chambre régionale des comptes de Bretagne

Mardi 23 septembre 1997

M. Alain Serieyx , soulignant le souci des magistrats des chambres régionales des comptes d'accomplir efficacement les missions que le législateur leur a confiées, a regretté que ces missions ne soient pas clairement précisées.

Après avoir rappelé que les principales missions des chambres régionales des comptes étaient inscrites dans le code des juridictions financières adopté par le Parlement en décembre 1994, M. Alain Serieyx a estimé que leur mission essentielle de juger les comptes des collectivités locales et des établissements publics dotés d'un comptable public était devenue assez fictive. Il a en effet souligné que cette mission n'était pas suffisamment adaptée pour, au-delà de l'examen de la simple exécution budgétaire, rendre compte de l'état économique et patrimonial de la collectivité.

M. Alain Serieyx a par ailleurs regretté que le ministre des finances intervienne de plus en plus sur requête d'un comptable mis en débet afin de relever celui-ci de sa responsabilité financière. Il a fait observer que le ministre des finances s'exonérait ainsi de dispositions définies en 1964 qui lui imposaient de se substituer au comptable ou d'obtenir l'agrément de la collectivité locale afin de considérer que l'Etat n'était pas débiteur à l'égard de celle-ci.

Puis, énonçant la deuxième grande mission exercée par les chambres régionales des comptes consistant à s'assurer de la régularité des opérations réalisées par les ordonnateurs, M. Alain Serieyx a noté que cette mission avait pu troubler certains élus locaux qui s'étonnaient de voir mise en cause la régularité d'actes non contestés par le contrôle de légalité.

M. Alain Serieyx a ensuite exposé que la troisième grande mission des chambres régionales des comptes, consistant à examiner la gestion des collectivités locales, semblait soulever le plus de controverses.

Il a fait observer que n'existait aucune définition précise du contenu de cet examen de la gestion, pas plus que de la notion d'opportunité qu'il n'appartenait pas aux chambres régionales des comptes de contrôler.

M. Alain Serieyx a souligné que cette question était compliquée par le fait que le contrôle opéré par les chambres régionales des comptes ne reproduisait pas purement et simplement celui effectué par la Cour des Comptes.

Après avoir rappelé que la Cour des Comptes contrôlait la gestion de hauts fonctionnaires responsables d'administrations centrales ou d'établissements publics et que ce contrôle restait confidentiel, M. Alain Serieyx a fait observer qu'à l'inverse, les chambres régionales des comptes contrôlaient le plus souvent la gestion d'élus et que la loi du 15 janvier 1990 avait prévu que leurs observations sur la gestion devaient être rendues publiques.

Relevant que ces observations ne constituaient pas des actes faisant grief et ne modifiaient pas la situation juridique des collectivités locales ni les situations mises en cause, M. Alain Serieyx a néanmoins souligné qu'elles avaient un poids politique considérable.

Il a donc regretté l'absence d'indications précises sur les intentions du législateur lorsque celui-ci avait prévu l'examen de la gestion des collectivités locales par les chambres régionales des comptes et la publicité des observations opérées par ces dernières.

M. Alain Serieyx a fait valoir que dans ces conditions, les chambres régionales des comptes avaient été amenées à utiliser les méthodes de la Cour des Comptes consistant à rechercher les dysfonctionnements de la gestion des collectivités locales.

Notant que chaque observation de la chambre régionale des comptes aboutissait à mettre en cause certains aspects de la gestion des collectivités locales, M. Alain Serieyx a considéré que cette pratique expliquait le sentiment de malaise parfaitement compréhensible des élus concernés.

En conclusion, il a donc souhaité que les intentions du législateur soient davantage précisées.

M. Philippe Limouzin-Lamothe , après avoir souscrit à ces analyses, a estimé que les conditions d'intervention des chambres régionales des comptes pourraient être améliorées sous trois aspects.

En premier lieu, considérant que le contrôle des chambres régionales des comptes devrait être mieux compris, M. Philippe Limouzin-Lamothe a fait valoir que certains progrès étaient possibles sans qu'il soit nécessaire de modifier les textes en vigueur. D'une part, il a proposé que les observations des chambres régionales des comptes soient motivées par la mention non seulement des textes concernés mais aussi des principes généraux sur lesquels ces observations étaient fondées. D'autre part, il a suggéré qu'en liaison avec les associations d'élus, des références communes puissent être progressivement établies. Enfin, tout en considérant qu'il serait difficile de confier aux chambres régionales des comptes une fonction de conseil, il a néanmoins estimé qu'il fallait leur laisser la faculté de donner ponctuellement leur avis sur des questions intéressant les collectivités locales.

En second lieu, jugeant que le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes devrait être plus efficace, M. Philippe Limouzin-Lamothe a souligné qu'il serait nécessaire d'approfondir le dialogue préalable entre ces juridictions et les élus locaux qui permettait bien souvent de régulariser certains aspects de la gestion locale avant même la conclusion de l'examen de la gestion. Il a fait observer qu'une fois cette régularisation faite, la formulation d'observations pouvait devenir inutile.

M. Philippe Limouzin-Lamothe a par ailleurs estimé que la procédure contradictoire devrait être aménagée, afin notamment de conférer à l'examen de la gestion un caractère plus collégial. Il a en outre suggéré que l'entretien avec l'ordonnateur puisse intervenir dès le début de la procédure de contrôle et s'effectuer avec la formation collégiale de la chambre régionale des comptes.

M. Philippe Limouzin-Lamothe a enfin plaidé pour que les lettres d'observations définitives ne se bornent pas à émettre des critiques mais formulent également des suggestions, lesquelles pourraient ensuite faire l'objet d'un suivi par les juridictions.

Puis, M. Philippe Limouzin-Lamothe a fait valoir que le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes devrait susciter des débats mais pas des controverses. Soulevant le problème de la confidentialité, il a relevé que la loi imposait la communication des observations définitives à plusieurs destinataires, lesquels pouvaient avoir des intérêts contradictoires. Dans ces conditions, il a souligné que ce problème échappait très largement aux chambres régionales des comptes.

Estimant qu'il pourrait être envisageable d'ouvrir une action commune devant les tribunaux à la collectivité locale concernée et à la chambre régionale des comptes en cas de divulgation des observations, il a néanmoins relevé que dans ce cas, il conviendrait que la loi autorise la chambre régionale des comptes à ester en justice.

M. Philippe Limouzin-Lamothe , après avoir rappelé que les lettres d'observations définitives devaient être obligatoirement jointes à la convocation de l'assemblée délibérante, a fait observer que la communication écrite était d'ores et déjà obligatoire. Il a néanmoins relevé qu'un débat sur ces observations n'était pas formellement imposé et qu'il appartenait à l'assemblée délibérante et à son président de l'organiser, le cas échéant.

S'agissant de la publicité des lettres d'observations définitives, M. Philippe Limouzin-Lamothe a fait valoir qu'une fois ces lettres transmises à l'assemblée délibérante, la chambre régionale des comptes était tenue de répondre aux demandes de communication de ces observations présentées par des tiers.

Relevant enfin la suggestion d'annexer la réponse de l'ordonnateur aux lettres d'observations définitives, M. Philippe Limouzin-Lamothe , après avoir rappelé qu'une telle procédure était appliquée pour le rapport public de la Cour des Comptes, a fait valoir que son extension aux lettres d'observations définitives pourrait être plus complexe en raison de la pluralité des destinataires. Il a considéré qu'en toute hypothèse, des délais devraient être fixés pour la formulation des réponses de l'ordonnateur afin d'éviter le blocage de la parution des lettres d'observations définitives.

M. Roger Combel, examinant les moyens d'assurer une plus grande confidentialité des lettres d'observations définitives, s'est interrogé sur le fondement d'une éventuelle action publique en la matière.

Il a en outre souligné que le problème était plus délicat lorsque la divulgation de ces observations était le fait de leur destinataire, celui-ci étant propriétaire desdites observations et bénéficiant en outre de la protection des correspondances.

M. Roger Combel a par ailleurs considéré qu'il n'y avait aucune raison de s'opposer à la publication des réponses de l'ordonnateur si ce n'est, le cas échéant, pour des raisons pratiques en raison du volume de certaines réponses.

Il a cependant noté que les échanges de réponses entre tous les destinataires étaient susceptibles d'alourdir les procédures et d'accroître les délais. Dans ces conditions, il s'est demandé s'il ne pourrait pas être envisagé de publier le compte rendu des débats de l'assemblée délibérante en même temps que les lettres d'observations définitives.

Puis, rappelant qu'une réflexion était en cours sous l'égide de la Cour des Comptes afin d'harmoniser les pratiques des chambres régionales des comptes, M. Roger Combel a fait valoir que les critiques émises à l'encontre d'un manque de cohérence de l'action de ces juridictions financières méritaient d'être tempérées.

M. Roger Combel a en outre fait observer que la parution des lettres d'observations définitives constituait un exercice de communication difficile dans la mesure où celles-ci étaient utilisées par une pluralité de destinataires qui les interprétaient chacun à leur façon.

Enfin, M. Roger Combel , après avoir indiqué que les demandes d'avis présentées aux chambres régionales des comptes étaient de plus en plus fréquentes, a estimé que ces juridictions ne pourraient exercer une fonction de conseil sans perdre leur indépendance. Il a néanmoins rappelé que l'exercice du contrôle était un moment privilégié du dialogue entre la juridiction et la collectivité concernée.

M. Jacques Oudin, rapporteur, relevant que peu de critiques étaient émises à l'encontre de l'apurement administratif exercé par les comptables supérieurs du Trésor, a souhaité savoir si les critères fixés par la loi pour l'application de cette procédure paraissaient satisfaisants.

Le rapporteur, rappelant par ailleurs que le Conseil d'Etat ne s'était pas encore prononcé sur le point de savoir si les lettres d'observations définitives constituaient des actes faisant grief, s'est interrogé sur les conséquences éventuelles d'une jurisprudence administrative qui, reconnaissant à ces documents ce caractère, aurait pour effet de soumettre les chambres régionales des comptes au contrôle du Conseil d'Etat.

M. Jacques Oudin, rapporteur, s'est ensuite demandé si les réflexions menées à l'instigation de la Cour des Comptes avaient d'ores et déjà produit des résultats concrets au sein des chambres régionales des comptes. Il a souhaité savoir si le rôle de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes méritait d'être renforcé.

Puis il a interrogé les intervenants sur l'opinion dominante dans les chambres régionales des comptes en ce qui concerne l'exercice éventuel par ces juridictions d'une fonction de conseil.

Enfin, il a souhaité connaître leur appréciation sur l'instauration d'un délai pendant lequel la parution de lettres d'observations définitives serait suspendue dans les périodes précédant une élection.

En réponse, M. Alain Serieyx , après avoir rappelé que l'apurement administratif ne concernait que les jugements des comptes des comptables publics et non pas des ordonnateurs, a estimé que cette procédure était mise en oeuvre dans des délais très brefs et de manière peu rigoureuse. Il a indiqué que les seuils prévus par la loi du 5 janvier 1988 avaient pour effet de soumettre à la procédure de l'apurement administratif des communes d'environ 300 habitants. Il a souligné que d'une année sur l'autre, ces communes pouvaient être alternativement soumises à la juridiction des chambres régionales des comptes ou à l'apurement administratif par les comptables supérieurs du Trésor, ce qui lui est apparu source de confusion.

M. Alain Serieyx a en conséquence proposé de ne retenir qu'un critère de population avec pondération, critère qui n'évoluerait qu'à l'occasion des recensements. Il a en outre suggéré de ne plus soumettre à la chambre régionale des comptes les associations syndicales autorisées, lesquelles n'étaient pas des établissements publics dépendant des collectivités locales mais des structures sui generis.

Examinant ensuite les conditions de recours contre les lettres d'observations définitives, M. Alain Serieyx a précisé que le Conseil d'Etat, saisi en appel d'un rejet de recours fait par le tribunal administratif de Marseille, n'avait pas à ce jour tranché cette question. Il a relevé que si le Conseil d'Etat décidait que les lettres d'observations définitives constituaient des actes faisant grief, cette jurisprudence trouverait à s'appliquer pour un grand nombre de documents administratifs émis par des organismes administratifs ou juridictionnels sans que la haute juridiction dispose, dans tous les cas, des moyens techniques d'examiner lesdits documents.

M. Alain Serieyx a néanmoins jugé qu'il serait normal que la juridiction administrative exerce son contrôle sur les procédures mises en oeuvre par les chambres régionales des comptes. Il a rappelé que jusqu'à présent le Conseil d'Etat considérait que ne faisaient grief que les décisions susceptibles de modifier l'ordonnancement juridique.

S'agissant du bilan des réflexions menées par la Cour des Comptes, M. Alain Serieyx , tout en relevant que ces réflexions étaient encore récentes, a néanmoins indiqué que les chambres régionales des comptes avaient commencé à examiner les moyens de mettre en oeuvre les orientations ainsi retenues.

Jugeant par ailleurs souhaitable de renforcer le rôle de la mission d'inspection des chambres régionales des comptes, il a néanmoins fait observer que celle-ci ne disposait pas à l'heure actuelle des moyens adaptés. Il a en outre noté que la difficulté essentielle résidait dans le fait que certaines pratiques étaient relevées par certaines chambres régionales des comptes mais pas par d'autres.

M. Alain Serieyx a en outre considéré qu'il serait envisageable d'étendre aux élus locaux la faculté de saisir aux fins de consultation directement les chambres régionales des comptes dans des domaines limités. Il a néanmoins réaffirmé qu'il serait contradictoire de faire exercer par un même organe une fonction de conseil et une activité de contrôle.

Répondant à M. Patrice Gélard qui faisait observer que le Conseil d'Etat lui-même accomplissait à la fois une mission de conseil et une mission juridictionnelle, M. Alain Serieyx a noté que ces deux missions étaient mises en oeuvre par des sections distinctes au sein de la haute juridiction.

M. Philippe Limouzin-Lamothe a pour sa part souligné que la fonction consultative du Conseil d'Etat s'exerçait à l'intention d'autorités dotées du pouvoir réglementaire.

Relevant par ailleurs que les juridictions administratives étaient saisies de questions de droit particulier, M. Philippe Limouzin-Lamothe a fait valoir que l'exercice d'une fonction consultative était plus difficilement envisageable dans des domaines non codifiés par le droit et qui pouvaient se rattacher à des questions très larges.

Il a en outre fait observer que les préfets interrogeaient la juridiction administrative sur un acte juridique.

M. Alain Serieyx a à son tour souligné que les questions juridiques relevaient de la juridiction administrative et que la réponse à des questions portant sur la gestion soulevait des difficultés spécifiques.

M. Roger Combel , souscrivant à cette appréciation, a fait valoir que les chambres régionales des comptes ne pouvaient donner un avis que sur des situations susceptibles d'être considérées comme une gestion de fait.

M. Patrice Gélard a alors fait observer que les chambres régionales des comptes avaient été créées sans que leur soient donnés les moyens de constituer de véritables juridictions.

Regrettant l'évaluation insuffisante des effets de la loi, M. Patrice Gélard a estimé qu'un code de procédure des juridictions financières serait nécessaire afin notamment de préciser le rôle du rapporteur, les conditions de mise en oeuvre de la procédure contradictoire, le rôle de la collégialité ou encore de poser le problème du double degré de juridiction.

M. Patrice Gélard a ensuite souhaité que la synthèse des récentes réflexions de la Cour des Comptes soit adressée aux collectivités locales.

Enfin, après avoir fait valoir que les chambres régionales des comptes devaient désormais voir leur rôle reconnu, M. Patrice Gélard a déploré que la presse publie les observations sur la gestion avant même que les collectivités locales les aient elle-mêmes reçues et que les réponses des ordonnateurs soient en revanche rarement publiées. Il a par ailleurs estimé que les avis émis par ces juridictions sur la gestion des collectivités locales devraient avoir un rôle pédagogique.

En réponse, M. Alain Serieyx a rappelé qu'un décret du 23 août 1995 avait d'ores et déjà établi un code de procédure. Il a en outre souligné que des aspects importants des pratiques des juridictions financières étaient difficilement codifiables.

M. Alain Serieyx , soulignant que le travail en équipe était indispensable, a estimé que la procédure applicable devant les juridictions administratives qui concernait des jugements n'était pas transposable à des observations qui portaient sur la gestion. Il a en outre considéré qu'il serait difficile d'organiser dans le détail les décisions relevant de la collégialité. Il a néanmoins fait valoir que la rédaction des lettres d'observations définitives devait exprimer la position retenue collégialement.

M. Alain Serieyx a enfin fait observer que les charges imposées par la loi aux magistrats des chambres régionales des comptes avaient été sous-estimées lorsque ce corps avait été créé.

M. Philippe Limouzin-Lamothe a fait valoir qu'il ne s'agissait pas seulement d'améliorer les textes existants mais plutôt de réviser des procédures qui, en l'état, n'étaient pas satisfaisantes afin notamment de développer la collégialité.

M. Roger Combel a à son tour fait valoir que la transposition des procédures applicables devant les tribunaux administratifs n'était pas possible, ces derniers tranchant des litiges en apportant des solutions juridiques alors que les chambres régionales des comptes examinaient la gestion.

M. Roger Combel a en outre estimé que la diversité du recrutement des magistrats des chambres régionales des comptes avait constitué un atout pour le corps et que la collégialité permettait de rendre plus équilibrées les appréciations portées par un seul magistrat.

M. Philippe Limouzin-Lamothe a alors de nouveau souhaité que la collégialité puisse s'exercer dès le début de la procédure.

M. Henri Collard a relevé qu'il était possible de souscrire à la plupart des propositions présentées sans qu'une modification législative soit toujours indispensable.

Il a par ailleurs relevé que les associations syndicales autorisées posaient également des problèmes aux collectivités locales qui n'avaient pas les moyens de les contrôler. Enfin, il a souligné les différences d'appréciation d'une chambre régionale des comptes à l'autre.

M. Jacques Oudin, rapporteur, ayant soulevé le problème des associations à caractère social, M. Philippe Limouzin-Lamothe a indiqué que les chambres régionales des comptes n'étaient le plus souvent pas compétentes pour contrôler ces associations dans la mesure où étaient en cause des prestations de services et non pas des subventions.

M. Philippe de Bourgoing a fait observer que le contrôle exercé par les trésoriers payeurs généraux s'exerçait dans des conditions satisfaisantes dans la mesure où ceux-ci accomplissaient également une fonction de conseil. Il a en revanche relevé des cas où le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes relevait de la pure opportunité.

En réponse, M. Roger Combel , tout en reconnaissant que l'apurement administratif se déroulait dans de bonnes conditions, a néanmoins fait valoir que ce contrôle était essentiellement formel. Il a donc estimé qu'il n'était pas comparable avec la procédure mise en oeuvre par les chambres régionales des comptes.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a pour sa part estimé que les communes avaient de bonnes relations avec leurs trésoriers qui leur consacraient suffisamment de temps, ce qui n'était pas en revanche le cas de l'ensemble des agents du Trésor.

M. Alain Serieyx a alors considéré que la comptabilité publique n'avait pas adapté ses moyens au développement considérable des activités financières des collectivités locales. Il a notamment relevé l'insuffisance des effectifs et des moyens informatiques.

M. Alain Serieyx a ensuite indiqué qu'à l'occasion des élections municipales de 1995, les chambres régionales des comptes avaient spontanément décidé de ne pas publier de lettres d'observations définitives dans un délai de trois mois précédant les élections.

Relevant que la question se posait à l'approche de nouvelles échéances électorales, M. Alain Serieyx a fait valoir que des lettres d'observation provisoires pouvaient avoir un impact plus important dans le débat électoral que des lettres d'observations définitives. Il a en outre fait observer que la multiplication des élections pourrait, si un tel délai était généralisé, avoir pour effet de bloquer toute publication des lettres d'observations définitives.

S'agissant de la sanction d'inéligibilité qui frappait automatiquement l'élu reconnu gestionnaire de fait, M. Alain Serieyx a fait valoir, à titre personnel, qu'il était très gênant pour une chambre régionale des comptes de prendre une décision de gestion de fait qui la rendait juge non seulement de la régularité comptable mais aussi du mandat de l'ordonnateur. Il a fait observer que la gestion de fait transformant l'ordonnateur en comptable public, les mêmes incompatibilités lui étaient applicables.

M. Alain Serieyx , rappelant en outre que passé le délai de six mois permettant à l'ordonnateur de régulariser sa situation, le préfet devait procéder à sa révocation, a considéré que cette disposition était très lourde. Il a en conséquence suggéré une nouvelle disposition qui interdirait à l'ordonnateur d'exercer ses fonctions pendant la période précédant la régularisation de sa situation.

M. Alain Serieyx a souligné que la gestion de fait n'était pas infamante mais constituait plus simplement une situation techniquement inacceptable.

Après avoir souscrit à ces observations, M. Philippe Limouzin-Lamothe a fait observer que la gestion de fait était incluse dans le délit d'immixion, lequel n'était en pratique plus appliqué. Relevant que le juge pénal avait pour sa part la faculté de moduler les peines accessoires, il a plaidé pour que la gestion de fait ne fasse plus l'objet d'une sanction pénale.

M. Roger Combel , indiquant qu'un consensus existait parmi les magistrats des chambres régionales des comptes pour s'abstenir de publier des lettres d'observations définitives dans la période précédant une élection, a estimé que cette procédure devrait être de nouveau appliquée pour les prochaines échéances électorales. Il s'est demandé si elle ne devrait pas être étendue aux lettres d'observations provisoires.

Répondant à M. Jean-Paul Amoudry, président, M. Philippe Limouzin-Lamothe a indiqué que dans de nombreux cas, les situations susceptibles d'être qualifiées de gestion de fait n'étaient pas déclarées comme telles par les chambres régionales des comptes car leurs conséquences n'apparaissaient pas graves et la régularité comptable pouvait être rétablie.

Maître Jean ANTAGNAC

Avocat

Jeudi 25 septembre 1997

Tout en dressant un bilan globalement positif du fonctionnement des chambres régionales des comptes, Me Jean Antagnac a néanmoins fait valoir qu'il était possible d'améliorer les procédures et pratiques de ces juridictions financières et de renforcer les garanties accordées aux élus locaux.

Estimant que les chambres régionales des comptes devaient devenir des juridictions à part entière, Me Jean Antagnac a jugé nécessaire d'harmoniser le statut de leurs magistrats avec celui des magistrats des tribunaux administratifs.

Il a par ailleurs relevé que les chambres régionales des comptes constituaient des juridictions hybrides puisqu'elles étaient appelées à la fois à juger des comptes et à exercer une fonction administrative d'examen de la gestion.

Puis, Me Jean Antagnac a fait valoir que les chambres régionales des comptes apparaissaient encore comme des services déconcentrés de la Cour des Comptes.

Me Jean Antagnac a relevé qu'à la différence des présidents de tribunaux administratifs, les présidents des chambres régionales des comptes n'étaient pas issus de la juridiction elle-même mais de la Cour des Comptes. Il a en conséquence regretté cette situation, la Cour des Comptes exerçant par ailleurs une fonction d'appel sur les jugements des chambres régionales des comptes. Il a en outre fait observer que les présidents des chambres régionales des comptes n'avaient ainsi pas le même statut que les autres magistrats notamment en ce qui concerne le régime des incompatibilités.

Me Jean Antagnac a alors plaidé pour que le statut des magistrats des chambres régionales des comptes s'impose à tous les magistrats de ces juridictions et pour que les chambres régionales des comptes suivent leur juge de cassation et soient désormais gérées par le ministère de la justice et non plus par le ministère des finances. Il a en outre jugé nécessaire de renforcer la collégialité dans la programmation des travaux.

Puis, Me Jean Antagnac a fait valoir qu'il serait souhaitable de renforcer les garanties accordées aux élus locaux en modifiant, par la voie législative, les procédures applicables.

Après avoir de nouveau souligné qu'il serait nécessaire de renforcer la collégialité, Me Jean Antagnac a estimé que les réponses de l'ordonnateur et la lettre d'observations provisoires devraient être annexées à la lettre d'observations définitives.

Il a également fait valoir que les chambres régionales des comptes devraient être davantage structurées par une division en sections suffisamment nombreuses pour couvrir l'activité totale des chambres.

Tout en considérant que les lettres d'observations pouvaient avoir un impact plus grand qu'un jugement, Me Jean Antagnac a néanmoins fait part de ses réserves sur l'ouverture d'une procédure d'appel à l'encontre de ces observations en raison de la forme et du volume de celles-ci. Il a au contraire jugé préférable de développer une procédure contradictoire publique devant les chambres régionales des comptes.

Me Jean Antagnac a ensuite énoncé la nécessité de clarifier la question des lettres d'observations provisoires par rapport au principe de la communication des documents fixé par la loi du 17 juillet 1978, d'autoriser les chambres régionales des comptes à obtenir des informations auprès de l'autorité judiciaire et, enfin, de préciser la question de la suspicion légitime.

Il a, par ailleurs, estimé que la gestion de fait ne devrait plus être sanctionnée par l'inéligibilité.

Renouvelant ses réserves sur la possibilité pour les chambres régionales des comptes d'exercer une fonction de conseil, il a jugé préférable que cette fonction soit assurée par une structure placée auprès du préfet.

M. Jacques Oudin, rapporteur , a alors relevé la nécessité de mieux garantir les droits des justiciables en développant la procédure contradictoire et en renforçant la collégialité ainsi que la confidentialité des documents provisoires.

Tout en approuvant l'idée d'aligner le statut des magistrats des chambres régionales des comptes sur celui des magistrats administratifs, le rapporteur s'est néanmoins déclaré perplexe sur l'idée de ne plus faire présider les chambres régionales des comptes par des magistrats de la Cour des Comptes. Il a au contraire fait valoir que la Cour des Comptes devrait voir son rôle renforcé à l'égard des chambres régionales des comptes.

Puis, M. Jacques Oudin s'interrogeant sur l'ouverture d'une procédure d'appel a fait observer que la transformation des observations des chambres régionales des comptes en jugements constituerait une innovation considérable.

Il a enfin approuvé l'idée de ne pas confier une mission de conseil aux chambres régionales des comptes.

En réponse, Me Jean Antagnac a estimé que les commissaires du Gouvernement pouvaient jouer un rôle efficace pour harmoniser les positions des chambres régionales des comptes à condition que leur rôle soit renforcé et clairement distingué de celui du président.

Me Jean Antagnac a de nouveau considéré que la définition de garanties supplémentaires au profit des élus locaux passait par une plus grande indépendance des chambres régionales des comptes vis-à-vis de la Cour des Comptes qui doit rester dans l'exercice de sa fonction de juridiction d'appel. Il a enfin fait valoir que les observations des chambres régionales des comptes étaient perçues par l'opinion publique comme de véritables jugements.

Maître Régis de CASTELNAU

Président de l'association française des avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales

Jeudi 25 septembre 1997

Après avoir précisé que son association regroupait soixante cabinets spécialisés et 200 avocats, Me Régis de Castelnau a fait observer que de nombreux élus locaux éprouvaient un sentiment de malaise et d'injustice face au développement de leur responsabilité pénale et au contrôle exercé par les chambres régionales des comptes.

S'intéressant au contrôle de gestion opéré par les chambres régionales des comptes, Me Régis de Castelnau a fait observer que les élus locaux ressentaient un sentiment d'arbitraire quant aux conditions de mise en oeuvre de ce contrôle. Il a relevé que celui-ci était caractérisé par une inégalité temporelle dans l'intervention des chambres, par l'incohérence entre les contrôles et par une inégalité spatiale.

Me Régis de Castelnau a néanmoins estimé que des efforts étaient actuellement mis en oeuvre par la Cour des Comptes et par les chambres régionales des comptes pour améliorer cette situation, notamment en recourant davantage aux procédures collégiales et en renforçant le rôle du parquet.

Il a également noté que le comité de liaison fonctionnait assez bien et que la commission des méthodes recherchait une plus grande harmonisation des procédures. Enfin, il a souligné le rôle positif de l'association des présidents de chambres régionales des comptes.

Puis Me Régis de Castelnau a fait valoir que le contrôle des chambres régionales des comptes interférait avec d'autres types de contrôles.

Il a ainsi relevé que dans l'esprit de beaucoup d'élus locaux l'absence de mise en oeuvre du contrôle de légalité conférait à leurs actes une sorte d'immunité juridique. Or, il a souligné que ce contrôle et celui exercé par les chambres régionales des comptes n'avaient pas la même nature et poursuivaient des objectifs différents.

Me Régis de Castelnau a également relevé l'existence d'une concurrence entre les chambres régionales des comptes et la juridiction administrative.

Puis, rappelant que les chambres régionales des comptes avaient l'obligation de transmettre au procureur de la République les faits susceptibles de constituer une incrimination pénale, Me Régis de Castelnau a souligné qu'il s'agissait d'un nouveau mode de déclenchement de l'action publique qui avait une portée très large en raison des pouvoirs d'investigation des chambres régionales des comptes.

Il a néanmoins rappelé que, conformément à une jurisprudence de la Cour de cassation de 1816, le juge pénal ne pouvait se substituer au juge financier pour se prononcer sur l'irrégularité de gestion des comptes.

Enfin, relevant que le contrôle des chambres régionales des comptes devait également être mis en relation avec le contrôle exercé par les citoyens, Me Régis de Castelnau a estimé qu'il serait souhaitable de mieux définir la délimitation entre le contrôle de l'opportunité et le contrôle de la qualité de la gestion.

Me Régis de Castelnau a ensuite abordé le problème de la gestion de fait qui ne devait à son sens pas être assimilée à une mesure de lutte contre la corruption.

Il a en effet souligné qu'il s'agissait d'une technique destinée à rétablir les règles de la comptabilité publique. En conséquence, il a jugé nécessaire de prendre en compte cette caractéristique de la gestion de fait afin de mettre un terme aux dévoiements actuels.

S'interrogeant par ailleurs sur les grands sujets définis par la Cour des Comptes dans le cadre de son rapport public, Me Régis de Castelnau a fait observer que le contrôle opéré sur les structures satellites des collectivités locales mettaient en évidence la contradiction qu'il pouvait y avoir entre le respect de la légalité et la recherche de l'efficacité.

Prenant l'exemple de la rémunération des fonctionnaires, il a souligné que la volonté de remise en ordre des pratiques actuelles pouvait expliquer un certain sentiment d'arbitraire éprouvé par les élus locaux.

Présentant ensuite des suggestions destinées à améliorer le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes, Me Régis de Castelnau a tout d'abord estimé que le corps des magistrats de ces juridictions devait évoluer.

Relevant l'insuffisance de la culture juridique et judiciaire des chambres régionales des comptes, il a plaidé pour un renforcement de la procédure contradictoire et par le développement des pratiques judiciaires.

Me Régis de Castelnau a par ailleurs jugé nécessaire de renforcer les moyens des juridictions financières notamment en améliorant le statut et la formation des magistrats. Il a ainsi considéré qu'il serait nécessaire de favoriser l'intégration de magistrats des chambres régionales des comptes au sein de la Cour des Comptes. Il a en outre souhaité que la Cour des Comptes soit plus exigeante à leur égard.

Puis, s'interrogeant sur les moyens d'améliorer la procédure applicable aux observations des chambres régionales des comptes, Me Régis de Castelnau a proposé que les lettres d'observations provisoires ne soient plus apostillées par la formation collégiale. Il a en effet estimé que cette solution permettrait un véritable débat préalable à la lettre d'observation définitive.

Me Régis de Castelnau s'est prononcé pour la suppression de la sanction d'inéligibilité applicable à la gestion de fait.

Après avoir fait observer que la règle en vigueur constituait une application mécanique de l'incompatibilité entre les fonctions de comptable et celles d'élu, il a suggéré que le comptable de fait ayant fait l'objet d'un jugement de débet définitif puisse disposer d'un délai de six mois pour régulariser sa situation, délai au-delà duquel sa démission d'office serait prononcée.

S'agissant du maintien du secret des documents provisoires, Me Régis de Castelnau a estimé que les sanctions en la matière étaient illusoires en raison de la pluralité de destinataires des documents en cause. Il a en revanche proposé d'interdire la publication de toute information liée à la procédure provisoire.

Justifiant cette proposition par le fait que la loi organisait la communication et la publicité des lettres d'observations définitives, il a suggéré que cette interdiction soit assortie de sanctions très lourdes.

En conclusion, Me Régis de Castelnau a jugé nécessaire de sortir du débat sur la légitimité des chambres régionales des comptes. Rappelant que les différents Etats de l'Union européenne avaient renforcé les procédures destinées à assurer un plus grand contrôle et une plus grande transparence des collectivités locales, il a considéré que la légitimité du rôle des chambres régionales des comptes serait progressivement établie. Il a en conséquence jugé fondées les exigences exprimées à leur égard. Il a enfin estimé que le problème de l'insécurité des actes des collectivités locales serait durable.

Après avoir souscrit à ces analyses, M. Jacques Oudin, rapporteur , a relevé une contradiction entre l'affirmation selon laquelle toute répression des "fuites" serait illusoire et le souci de mieux sanctionner la divulgation d'informations provisoires des chambres régionales des comptes.

En réponse, Me Régis de Castelnau a souligné que, selon lui, il serait effectivement illusoire de rechercher les auteurs desdites divulgations et de les réprimer. En revanche, il a jugé souhaitable de sanctionner ceux qui publient ces informations provisoires.

Après avoir estimé qu'il était nécessaire d'assurer le caractère confidentiel des lettres d'observations provisoires et de sanctionner toute violation de cette règle, M. Jacques Oudin, rapporteur , s'est interrogé sur la jurisprudence de la Cour de cassation de 1816 interdisant au juge pénal de se prononcer avant le juge financier sur une irrégularité dans la gestion des comptes.

En réponse, Me Régis de Castelnau a précisé que depuis la création des chambres régionales des comptes la Cour de cassation n'avait pas confirmé cette jurisprudence. Il a néanmoins fait valoir que cette dernière appliquée à la Cour des Comptes pouvait être transposée aux chambres régionales des comptes.

Puis, il a souscrit à l'observation du rapporteur selon laquelle il serait difficile pour la juridiction administrative saisie en appel de reprendre toute la procédure de contrôle de la gestion.

Répondant à M. Jacques Oudin et à M. Philippe de Bourgoing qui soulignaient la difficulté pour les élus locaux d'appliquer des règles de plus en plus complexes, Me Régis de Castelnau a fait valoir que l'annulation d'un marché public ne signifiait pas que l'élu local avait commis une faute morale compte tenu de l'insécurité juridique croissante et qui risquait d'être durable.

Il a estimé que les collectivités locales devaient éviter deux fausses solutions, d'une part se tourner vers l'Etat, ce qui reviendrait à rétablir le contrôle a priori, d'autre part se tourner vers le juge, ce qui conduirait celui-ci à exercer à la fois une fonction de conseil et une fonction de jugement.

Me Régis de Castelnau a considéré que la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence et de négligence avait eu un effet positif. Il a en outre estimé que les élus locaux devaient admettre l'existence d'une certaine insécurité juridique.

Enfin, répondant à M. Jean-Paul Amoudry, président , Me Régis de Castelnau a jugé nécessaire de mieux encadrer les procédures en imposant des délais aux chambres régionales des comptes.

M. Lionel FOURNY

Président de l'association nationale des directeurs de service et directeurs généraux adjoints de service, des conseils généraux et régionaux

Jeudi 25 septembre 1997

M. Lionel Fourny a tout d'abord présenté l'association qu'il préside en indiquant que, créée en juillet 1995 pour établir des contacts entre les cadres supérieurs des services de ces collectivités, cette association réunissait actuellement plus de 170 membres, soit près des deux tiers de la profession.

Il a ensuite indiqué que l'association avait procédé à un travail d'analyse de plus d'une centaine de lettres d'observations définitives publiées entre 1990 et 1996 et concernant 63 départements et 16 régions.

M. Lionel Fourny a précisé que l'association avait insisté sur son attachement au principe du contrôle exercé a posteriori par les chambres régionales des comptes et sur l'importance de ce contrôle pour garantir la transparence des gestions locales. Il a néanmoins exprimé le souhait de voir le contrôle financier local à la fois modernisé et rendu plus pertinent dans son exercice. Il a noté que, depuis leur création, les chambres régionales des comptes s'étaient progressivement imposées dans le "paysage administratif" et qu'elles disposaient aujourd'hui d'une réelle compétence, à la différence de la situation qui avait prévalu entre 1985 et 1991.

Il a cependant relevé que plusieurs interrogations subsistaient. A cet égard, M. Lionel Fourny a, tout d'abord, souligné qu'il n'existait aucune définition juridique de la nature de l'examen de la gestion, rappelant que l'article L.211-8 du code des juridictions financières se bornait à énoncer que les chambres régionales des comptes "examinent la gestion" des collectivités locales. Il a noté que cette absence de définition précise débouchait sur une mise en oeuvre peu homogène de l'examen de la gestion par les différentes chambres régionales des comptes, cet examen pouvant passer d'un simple audit juridique externe à une véritable appréciation de la qualité de l'ensemble de la gestion d'une collectivité locale.

M. Lionel Fourny a par ailleurs regretté l'absence de hiérarchie entre les remarques, qui caractérisent fréquemment le contenu des lettres d'observations définitives, soulignant l'existence de critiques sévères portant sur des aspects secondaires de la gestion sans qu'il soit fait référence à la situation financière d'ensemble de la collectivité concernée. Sur ce point, M. Lionel Fourny a estimé que le législateur devait rechercher une définition minimale de la portée de l'examen de la gestion.

Il a par ailleurs souhaité que les lettres d'observations définitives puissent comporter des suggestions destinées à remédier aux difficultés relevées à l'occasion de l'examen d'une gestion. Puis, il a indiqué qu'il serait souhaitable que les réponses de l'ordonnateur soient automatiquement adjointes aux lettres d'observations définitives. De façon plus générale, M. Lionel Fourny a relevé la nécessité pour les chambres régionales des comptes de hiérarchiser, selon leur importance, les critiques formulées à l'encontre de la gestion d'une collectivité locale et de resituer celles-ci au regard de leur impact financier. Il a considéré que cette orientation permettrait d'atténuer la vision, parfois réductrice, des observations formulées par les chambres régionales des comptes.

S'agissant de la confidentialité qui devrait entourer la procédure des lettres d'observations provisoires, M. Lionel Fourny s'est dit favorable, en cas de "fuite", à l'idée du dépôt d'une plainte conjointe de la collectivité locale et de la juridiction concernées.

M. Lionel Fourny s'est par ailleurs ému d'un risque de politisation des sections de certaines grandes chambres régionales des comptes. Sur ce point, il a considéré qu'il était nécessaire de prévoir des règles de procédure plus strictes destinées à garantir le caractère collégial des décisions conduisant à la formulation des observations définitives.

M. Lionel Fourny a ensuite traité des difficultés rencontrées par le contrôle financier au regard du contrôle de légalité. Il a souligné qu'il était difficile pour les collectivités locales d'admettre que des chambres régionales des comptes "récusent" des actes ayant passé le "filtre" du contrôle de légalité. Il a considéré qu'il était de la responsabilité du législateur de veiller à renforcer la cohérence entre ces deux types de contrôle.

S'agissant de la mise en oeuvre de l'examen de la gestion des collectivités locales par les chambres régionales des comptes, M. Lionel Fourny a déploré la tendance du juge financier à "interpréter" les règles de droit applicables, ce qui lui paraîssait d'autant plus contestable qu'il s'agissait d'une procédure à caractère administratif. Il a souligné que cette "attitude constructive" du juge financier était patente en matière d'avantages en nature et de régime indemnitaire des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux. Sur ce point, il a souhaité qu'en cas de doute sur la portée des textes applicables le juge financier doive surseoir à statuer pour saisir, à titre préjudiciel, "une autorité compétente" chargée d'interpréter la règle de droit dont la portée était incertaine.

M. Lionel Fourny a, enfin, observé que les chambres régionales des comptes étaient des juridictions récentes en comparaison de la Cour des Comptes ou des tribunaux administratifs et que celles-ci commençaient à trouver un équilibre favorisé par l'action de la Cour des Comptes en faveur de l'harmonisation de leur "jurisprudence".

M. Jacques Oudin, rapporteur, a tout d'abord relevé que la diversité des tâches dévolues aux chambres régionales des comptes ne faisait pas des juridictions financières des exceptions au sein de l'ordre juridictionnel. Rappelant l'existence de jurisprudences divergentes au sein des juridictions judiciaires ou administratives, il a insisté sur l'importance de ne pas soumettre les juridictions financières à un régime d'exception. Il s'est ensuite interrogé sur la difficulté qu'il y aurait à assortir les lettres d'observations définitives de propositions de redressement, considérant qu'il existerait là un risque de détournement du rôle des chambres régionales des comptes.

M. Jacques Oudin, rapporteur, s'est ensuite dit hostile à l'institution éventuelle d'une forme de question préjudicielle en cas de doute sur le droit applicable. Il a, en effet, considéré qu'il serait très difficile de définir l'autorité qualifiée chargée d'y répondre. Il a en outre souligné qu'en raison du caractère ambivalent de l'examen de la gestion et de la difficulté à définir juridiquement la nature d'une lettre d'observations définitives, il serait très problématique d'envisager l'institution d'un recours en appel ou en cassation contre ces documents.

En réponse, M. Lionel Fourny a insisté sur l'intérêt de prévoir l'accompagnement des observations définitives de suggestions destinées à répondre aux difficultés soulevées par le juge financier. Il a souligné qu'une telle solution contraindrait les chambres régionales des comptes à mieux prendre conscience de la complexité à laquelle sont confrontés les choix de gestion des élus locaux.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a, pour sa part, évoqué la difficulté de définir une frontière entre le contrôle d'opportunité et le "contrôle de qualité" évoqué par le Premier président de la Cour des Comptes, M. Pierre Joxe, à l'occasion du colloque sur les chambres régionales des comptes.

Sur ce point, M. Lionel Fourny a indiqué que la centaine de lettres d'observations définitives analysées par son association ne permettait pas de mettre en évidence l'existence d'un contrôle d'opportunité, c'est-à-dire comportant une critique de principe des choix effectués par les élus locaux. Il a précisé qu'on ne pouvait confondre une analyse du "bilan coût-avantage" d'une décision prise par une collectivité locale et un contrôle d'opportunité. Il a cependant reconnu que les lettres d'observations définitives faisaient l'objet d'une rédaction dont la qualité pouvait être variable et de "plus ou moins bonne foi".

Enfin, M. Jean-Paul Amoudry, président, a indiqué que le rapporteur soumettrait, d'ici à quelques semaines, un rapport d'étape qui ferait la synthèse des informations recueillies au cours des auditions conduites par le groupe de travail et présenterait ses premières propositions avant de proposer un éventuel complément d'information destiné à approfondir la réflexion du groupe sur les pistes nouvelles que constituent la gestion de fait ou les relations des collectivités locales avec les associations.

M. Maurice DOUSSET

Président de la région Centre

Mardi 10 février 1998

A titre liminaire , M. Maurice Dousset a présenté ses réflexions sur le contrôle exercé par les chambres régionales des comptes. Il a souligné que ce contrôle lui apparaissait "absolument nécessaire" et qu'il contribuait très largement à l'amélioration de la gestion des collectivités locales. A cet égard, il rappelé que la région Centre avait modifié un certain nombre de ses procédures à la suite des observations formulées par la chambre régionale des comptes en 1991 comme 1995. Il a souligné que la région était ainsi parvenue à une certification de ses procédures opérationnelles de marchés publics aux normes ISO 9002. Il a insisté sur le fait que la région avait adopté et suivi une démarche volontariste de renforcement de la transparence financière de sa gestion et que l'expérience des contrôles de la chambre régionale des comptes l'avait conduite à instituer un contrôle interne au sein des services de la région.

M. Maurice Dousset a cependant regretté que les observations des chambres régionales des comptes se bornent, le plus souvent, à mentionner les seuls points négatifs d'une gestion locale, sans qu'il soit fait référence à l'ensemble de la gestion d'une collectivité et à ses aspects positifs. Il a ensuite noté que les chambres régionales des comptes ne formulaient jamais de critiques à l'encontre des services de l'Etat, qui, selon lui, possèdent souvent une responsabilité dans les choix locaux. Puis, il a insisté sur la nécessité, pour les juridictions financières, de s'abstenir de toute appréciation pouvant s'apparenter à un contrôle de l'opportunité des décisions des gestionnaires locaux. Il a enfin mis en évidence la gravité de l'impact médiatique des observations formulées par les chambres régionales des comptes qui tendent à concentrer l'opinion publique sur les seuls aspects négatifs de la gestion locale.

M. Maurice Dousset a ensuite exposé les faits ayant conduit, au terme d'une procédure de gestion de fait, à son inéligibilité aux prochaines élections régionales. A cet égard, il a indiqué qu'un contrôle avait été engagé par la chambre régionale des comptes du Centre le 29 juillet 1994.

Rappelant les principales étapes du calendrier de ce contrôle, M. Maurice Dousset a insisté, d'une part, sur la longueur de la procédure de contrôle et, d'autre part, sur la brièveté avec laquelle s'était conclue la procédure de gestion de fait, engagée à son encontre, au sujet de l'association du personnel de la région Centre. Il a indiqué que cette association avait pour principale fonction de gérer un système de retraite supplémentaire en faveur des agents contractuels territoriaux, qui avait été mis en place en 1986, à la suite d'études engagées en 1984. Sur ce point, M. Maurice Dousset a relevé que la gestion de cette association n'avait pas appelé de commentaires particuliers de la chambre régionale des comptes au terme du contrôle effectué par celle-ci en 1991. Il a déploré que la juridiction financière n'ait pas formulé d'observations sur la gestion de cette association à l'époque, ce qui avait conduit la région à "persévérer dans l'erreur" pendant quatre années supplémentaires. Il a indiqué qu'à l'occasion du second contrôle mis en oeuvre par la chambre régionale des comptes, la région avait décidé, dès le 30 juin 1995, de suspendre le système de retraite complémentaire du personnel et que l'association du personnel de la région Centre s'était dissoute dès le mois d'octobre 1995.

M. Maurice Dousset a ensuite rappelé qu'une procédure de gestion de fait avait été engagée à la fin de l'année 1995, la déclaration provisoire de gestion de fait ayant été prononcée le 2 février 1996 et notifiée le 7 mars, précisant que le mémoire en réponse de la région avait été transmis à la Chambre régionale des comptes le 16 juin 1996. Il a ensuite précisé que la déclaration définitive de la situation de gestion de fait lui avait été communiquée le 21 janvier 1997, par simple communication téléphonique, et que le jugement visant le président de la région et les trésoriers de l'association avait été notifié le 11 février 1997. A cet égard, il a noté que ce jugement était assorti du prononcé d'une amende de 70.000 francs à son encontre et de 20.000 francs pour chacun des trois trésoriers.

En définitive, le président de la région Centre s'est étonné de la "mise en sommeil" de cette procédure entre le début du mois de juin 1996 et la fin du mois de janvier 1997. Il a précisé que, sur la recommandation du président de la chambre régionale des comptes du Centre, il avait fait appel de ce jugement devant la Cour des Comptes le 8 avril 1997. Il a indiqué que le conseil régional, à cette occasion, s'était prononcé pour la seconde fois sur l'utilité publique des dépenses engagées par l'association du personnel de la région Centre et que, le 28 mai 1997, la Cour avait admis la recevabilité de l'appel et prononcé un sursis à exécution. Il a souligné que le 2 octobre 1997, soit à peine quatre mois plus tard, la Cour des Comptes avait confirmé le jugement de la chambre régionale des comptes constatant en conséquence son inéligibilité pendant six mois, ce qui faisait ainsi définitivement obstacle à sa candidature aux élections régionales de mars 1998.

S'agissant des amendes, M. Maurice Dousset a souligné que, malgré la réduction de leurs montants, la condamnation à une telle peine possédait un caractère infamant aggravé par un long écho médiatique.

M. Jean-Paul Amoudry, président, a rappelé que le problème de la gestion de systèmes de retraite complémentaire des agents territoriaux constituait une préoccupation pour de nombreuses collectivités locales et qu'il convenait de distinguer entre les régimes mis en oeuvre avant 1984 et ceux constitués après cette date.

M. Jacques Oudin, rapporteur, a, pour sa part, souhaité que les chambres régionales des comptes modifient leur conception de l'examen de la gestion afin de resituer leurs observations au sein d'un bilan global des contrôles effectués qui relèverait également les aspects positifs de la question examinée. Il a relevé, par ailleurs, les grandes différences qui caractérisent la durée des procédures de contrôle engagées et a suggéré que celles-ci soient inscrites dans des délais précis tout en précisant que ceux-ci pourraient être reconductibles.

M. Paul Girod a relevé que dans ce domaine il existait un phénomène de jalousie de la fonction publique de l'Etat envers la fonction publique territoriale. Il a relevé, par ailleurs, l'importance des contrariétés de jurisprudence entre différentes chambres régionales des comptes.

M. Henri Collard s'est, pour sa part, interrogé sur le degré de transparence des systèmes de primes allouées aux fonctionnaires des services déconcentrés de l'Etat.

Interrogé par le président Jean-Paul Amoudry sur le dépôt d'un pourvoi en cassation, auprès du Conseil d'Etat, de l'arrêt de la Cour des Comptes, M. Maurice Dousset a indiqué qu'il s'en était abstenu dans la mesure où ce recours aurait fait obstacle à l'obtention du quitus de la juridiction financière dans cette affaire.

M. Jacques FERRATON

Président de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté

Mardi 10 février 1998

M. Jacques Ferraton a indiqué, tout d'abord, que les chambres régionales des comptes avaient, depuis leur création, accomplis d'importants progrès en termes de compétence technique des magistrats. Il a cependant admis que les modalités d'expression retenues pour la rédaction des lettres d'observation restaient encore dans certains cas à parfaire, avant de constater l'absence de définition légale précise de l'examen de la gestion.

S'agissant de cette forme de contrôle, M. Jacques Ferraton a relevé que les chambres régionales des comptes possédaient une grande liberté pour sa mise en oeuvre. Il a cependant précisé que le comité des méthodes et le comité de liaison créés au sein de la Cour des Comptes avaient fortement contribué à harmoniser, tant la méthodologie, que la déontologie applicables à l'examen de la gestion. Il a noté, par ailleurs, que les chambres possédaient des moyens limités et qu'elles étaient soumises à un accroissement des tâches lié au contrôle budgétaire et aux audits qui pouvaient leur être demandés et qu'il en résultait une certaine limitation du nombre des comptes examinés. Il a souligné, qu'à cet égard, les critiques formulées par les élus locaux avaient contribué à améliorer les conditions de mise en oeuvre de l'examen de la gestion.

Le président de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté a, par ailleurs, précisé que si le contrôle d'opportunité était un sujet dont il ne fallait pas surestimer l'importance, il constituait néanmoins un risque réel et que les magistrats des juridictions financières avaient été sensibilisés à la nécessité de respecter la frontière entre la légalité et l'opportunité.

M. Jacques Ferraton a ensuite admis que les observations formulées par les chambres régionales des comptes souffraient parfois d'hétérogénéité, tant sur le fond que dans la forme. S'agissant du fond, il a noté qu'il s'agissait "d'un travers inévitable" en l'absence d'un système de réformation applicable aux lettres d'observation, soulignant qu'en outre les thèmes de contrôle retenus par chaque juridiction étaient très diversifiés. S'agissant de la forme, il a reconnu que les lettres d'observation étaient caractérisées par le caractère variable de leur longueur et de leur ton. Sur ce point, il a souligné que, l'existence d'un support informatique recensant les lettres d'observation émises par les chambres régionales des comptes depuis 1993 avait contribué à favoriser une certaine harmonisation des pratiques. Il a souligné que dans l'exercice de ses fonctions à la tête de la chambre régionale des comptes de Lorraine, il avait favorisé l'émergence de règles simples ayant principalement pour objet de recommander que les secteurs contrôlés soient précisés, que les observations soient hiérarchisées et que celles-ci soient replacées dans le contexte de la gestion d`ensemble de la collectivité concernée. Il a notamment souligné l'importance de distinguer les simples erreurs de gestion des éventuelles malversations qui pouvaient être relevées.

S'agissant des problèmes de confidentialité des observations provisoires des chambres régionales des comptes, il a souligné qu'il s'agissait d'une question de discipline et d'organisation des juridictions, mais que le secret ne pouvait être respecté que dans la mesure où les responsables des collectivités locales concernées et leurs services se soumettaient aux mêmes exigences de discrétion. Il a noté que les incidents dans ce domaine étaient relativement rares et qu'il reviendrait, dans un tel cas, à la mission d'inspection de la Cour des Comptes d'enquêter si des cas d'atteinte à la déontologie étaient relevés.

Après avoir estimé que la tradition héritée de la Cour des Comptes conduisait spontanément les chambres régionales des comptes à ne relever que les aspects négatifs d'une gestion, M. Jacques Ferraton a indiqué qu'il pourrait être envisagé de travailler autrement et de prévoir que les contrôles soient organisés dans l'esprit d'un audit global consacré soit à une opération précise, soit à un service, soit encore à une politique donnée.

Abordant ensuite l'aspect contradictoire de la procédure de l'examen de gestion, il a rappelé qu'il existait trois étapes possibles : l'entretien préalable, les échanges de lettres ainsi que des auditions. A cet égard, il a souligné la grande importance de l'entretien préalable pour le bon déroulement d'un examen de la gestion. Il a en outre indiqué qu'il était utile de compléter l'entretien avec l'ordonnateur principal par une entrevue avec le directeur général des services de la collectivité concernée.

A propos de l'éventuelle adjonction des réponses des gestionnaires locaux aux observations définitives des chambres régionales des comptes, lors de la communication de celles-ci à l'assemblée délibérante, M. Jacques Ferraton a indiqué que s'agissant d'une simple communication des observations de la juridiction financière, et non pas d'une publication, rien n'interdisait actuellement, dans la pratique, une publication concomitante des réponses de la collectivité locale aux observations formulées par la chambre régionale des comptes.

Analysant ensuite le développement éventuel de la fonction de conseil des chambres régionales des comptes, M. Jacques Ferraton a considéré qu'il serait anormal de refuser par principe la fourniture d'un conseil à une collectivité locale et a précisé, qu'à titre personnel, il avait en général accepté de jouer ce rôle. Il a cependant considéré qu'il n'était pas utile de légiférer sur ce point et qu'il était préférable de laisser une marge d'appréciation aux juridictions financières.

S'agissant de la gestion de fait, M. Jacques Ferraton a reconnu l'existence d'un "sentiment convergent" des présidents de chambres régionales des comptes pour constater une disproportion entre les faits reprochés et l'automaticité de la sanction d'inéligibilité, sachant que, le plus souvent, la gestion de fait était la conséquence d'une erreur de gestion, et non pas d'une malversation. Il a noté que la procédure de la gestion de fait était un dispositif légal ancien et que celui-ci avait été modifié en 1990 dans un sens protecteur pour les élus locaux avec l'institution d'un délai de six mois destiné à permettre la régularisation de cette situation. Il a relevé que ces délais étaient cependant devenus "une arme" pour les chambres régionales des comptes pour l'obtention rapide de la régularisation des situations de gestion de fait. Il a cependant reconnu que cette "efficacité" se trouvait fortement limitée dans les cas, relativement fréquents où il existe une pluralité de comptables de fait. A cet égard, il a souligné que la détermination en 1990, d'un "délai couperet" uniforme était mal adaptée à une procédure caractérisée par une grande diversité des situations.

M. Jacques Ferraton a ensuite évoqué le renforcement des garanties qui entourent la procédure de gestion de fait opéré par le décret du 23 août 1995. Notant l'insuffisance du délai de six mois, prévu pour permettre la régularisation d'une situation de gestion de fait, le président de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté a aussi relevé qu'il existait dans ce domaine des différences de rédaction au sein du code électoral, selon qu'il s'agisse des mandats municipaux ou des mandats départementaux, de même, que subsistaient des incertitudes quant à la portée territoriale de l'inéligibilité résultant d'une gestion de fait. Il a suggéré que des améliorations pouvaient être envisagées dans ces cas. A cet égard, il a tout d'abord indiqué que la démission d'office résultant d'une gestion de fait pourrait être remplacée par une suspension des fonctions d'ordonnateur, ce qui garantirait ainsi le respect des principes de la comptabilité publique, tout en incitant l'ordonnateur à régulariser sa situation. S'agissant de l'inéligibilité, M. Jacques Ferraton a relevé qu'une solution était plus difficile à trouver, mais a néanmoins évoqué l'idée de la suppression du délai de six mois au profit d'un dispositif permettant de constater la régularisation, ou l'absence de régularisation, d'une gestion de fait au moment du dépôt des candidatures à une élection.

Au total, M. Jacques Ferraton a souligné qu'il existait une quasi unanimité des présidents de chambres régionales des comptes pour constater la "sévérité" des sanctions applicables à une gestion de fait.

Citant l'exemple du Futuroscope, M. Paul Girod a tout d'abord mis en évidence la difficulté d'intégrer dans l'examen de la gestion d'une collectivité, la notion de "risque encouru" dans la mesure où un certain nombre d'investissements des collectivités locales constituaient un pari sur l'avenir, dont la rentabilité ne pouvait se mesurer qu'à moyen ou à long terme. Il a ensuite souligné la difficulté que pouvaient rencontrer les conseils généraux dans le contrôle de leurs dépenses sociales en mentionnant le cas de l'attribution de la prestation spécifique dépendance pour laquelle le département ne possède aucun pouvoir de vérification sur l'existence d'une tierce personne.

Le président de la chambre régionale des comptes de Franche-Comté a admis les difficultés posées par le contrôle a posteriori tout en soulignant que le rôle des juridictions financières consistait notamment à rappeler les précautions à prendre à l'occasion d'une prise de risque par une collectivité locale.

M. Henri Collard a souligné qu'il convenait de distinguer la formulation d'observations par les chambres régionales des comptes de l'exercice, par celles-ci, d'un éventuel contrôle de l'opportunité des choix de gestion effectués par les collectivités locales. Il a par ailleurs relevé que les situations de gestion de fait ne comportaient que très rarement des "détournements fautifs".

M. Jacques Ferraton a indiqué que néanmoins la gestion de fait avait souvent pour objet de constituer "un trésor de guerre", soustrait aux règles de la comptabilité publique et au contrôle de l'assemblée délibérante. Soulignant le caractère très contestable de ces pratiques, il a cependant insisté sur la "sévérité excessive" des sanctions applicables. S'agissant des contrariétés de jurisprudence entre les différentes chambres régionales des comptes, il a indiqué qu'il ne lui semblait pas souhaitable de légiférer en la matière, rappelant à cette occasion que la Cour des Comptes avait conduit une importante action destinée à favoriser l'harmonisation des méthodes et des objectifs de ces juridictions financières.

M. Jean-Paul Amoudry, président , a souligné la nécessité de favoriser l'émergence d'instances de conseil aux collectivités locales. Il a ensuite évoqué le cas particulier des comités départementaux du tourisme dont la loi de 1992 a prescrit la constitution sous une forme associative.

M. Jacques Ferraton a tout d'abord répondu qu'il ne lui semblait pas souhaitable de conférer, par voie législative, une fonction de conseil aux chambres régionales des comptes et qu'il valait mieux laisser à celles-ci une marge d'appréciation. Il a, par ailleurs, relevé que d'autres structures de conseil pouvaient être envisagées et que cette fonction pourrait être partiellement assumée par les grandes associations d'élus locaux. S'agissant des comités départementaux de tourisme, il a précisé que l'obligation de recourir à une structure associative n'excluait pas tout risque de gestion de fait. Plus largement, il a indiqué que le recours à une association ne débouchait pas nécessairement sur une situation de gestion de fait et qu'il fallait, pour qu'une telle situation soit constituée, une présence d'éléments "aggravants" tels que l'opacité de la gestion ou la dissimulation intentionnelle d'éléments de recettes ou de dépenses.

M. Jacques BELLE

Président de la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes

Mardi 10 février 1998

A titre liminaire, M. Jacques Belle a formulé certaines remarques au sujet du contrôle exercé par les chambres régionales des comptes. Il a tout d'abord indiqué, qu'à titre personnel, il était favorable au développement de la fonction de conseil des juridictions financières et que cette fonction pouvait être prévue par la loi dans la mesure où celle-ci en définirait précisément les limites. Il a cependant souligné que l'exercice d'une telle fonction supposerait des moyens supplémentaires et impliquerait un grand effort d'harmonisation. Il a, par ailleurs, noté que les seuils fixés en 1988 (2.000 habitants et recettes ordinaires supérieures à 2 millions de francs) pour déterminer la compétence des chambres régionales des comptes, s'avéraient aujourd'hui inadaptés. Il a suggéré que le seuil de 2 millions de francs soit porté à 10 millions de francs, précisant que le seuil démographique pourrait alors être supprimé. Il a enfin relevé qu'une clarification de la législation en matière de délégations de service public lui apparaissait souhaitable.

S'agissant de la gestion de fait, M. Jacques Belle a tout d'abord souhaité rappeler que cette procédure ne constituait qu'une très faible proportion de l'activité des chambres régionales des comptes. Il a en effet souligné que malgré l'augmentation du nombre de déclarations de situations de gestion de fait (de 35 en 1993 à 83 en 1996), la tendance actuelle se situait aux alentours d'une soixantaine de cas par an, le nombre des amendes prononcées dans ce domaine se situant entre 10 et 20 par an. Il a cependant précisé qu'il existait un grand nombre de cas où une gestion de fait était susceptible d'apparaître et notamment, dans le cadre d'associations parapubliques subventionnées. A cet égard, il a rappelé que la législation avait progressivement étendu le champ de compétences des chambres régionales des comptes puisqu'une subvention de 10.000 francs constituait un critère suffisant pour que celles-ci puissent exercer leur contrôle sur les comptes d'une association. Il a ensuite souligné que ces structures devaient être en mesure de fournir un certain nombre de documents financiers en fonction de l'importance des subventions reçues et que, au-delà d'un million de francs de subventions, existait une obligation de certification des comptes par un commissaire aux comptes. Il a indiqué que dans la région Rhône-Alpes, le nombre d'associations recevant une subvention d'un montant supérieur à un million de francs s'élevait à 377 et que pour certaines communes, le total des subventions versées à ces structures pouvait atteindre 10 à 15 % des dépenses de fonctionnement de ces collectivités.

M. Jacques Belle a ensuite insisté sur les raisons du développement du recours à la forme associative par les collectivités locales, expliquant que cette formule permettait d'écarter l'application des règles contraignantes de la comptabilité publique, des marchés publics, de la maîtrise d'ouvrages publique, ainsi que celles de la fonction publique territoriale. A cet égard, il a précisé que, dans de nombreux cas, la déclaration de gestion de fait n'était pas prononcée dans la mesure où l'engagement d'un contrôle par une chambre régionale des comptes conduisait à l'adoption de mesures de redressement dès l'envoi de la lettre d'observations provisoires. Sur ce point, il a souligné que la procédure de gestion de fait ne constituait pas, pour les chambres régionales des comptes, une sanction, mais simplement une mise en oeuvre du principe essentiel de la séparation des ordonnateurs et des comptables.

Il a, par ailleurs, rappelé que le décret du 23 août 1995 comportait d'importantes garanties de procédure dans le cadre d'une gestion de fait et que ce texte s'apparentait en réalité à un véritable code de procédure en la matière. Il a aussi souligné que la démission d'office et l'inéligibilité n'était pas prononcées par les juridictions financières, mais résultaient automatiquement de la législation en vigueur. Ce sont, en effet, des articles du Code électoral et non du Code des juridictions financières qui tirent les conséquences de l'incompatibilité des fonctions d'ordonnateur et de comptable en matière d'inéligibilité des personnes déclarées comptables de fait. Il a souligné que les dispositions en vigueur découlaient de modifications législatives intervenues en 1991, et il a ajouté que si celles-ci étaient jugées par trop rigoureuses, il était envisageable d'aménager les délais. Il a noté qu'il était possible de prévoir que tout ordonnateur déclaré comptable de fait, à titre définitif, se trouve automatiquement suspendu de sa fonction d'ordonnateur jusqu'à l'apurement final de sa gestion. Il a enfin indiqué qu'une telle disposition pourrait venir simplement compléter l'article L 231-3 du Code des juridictions financières.

M. Jacques Oudin, rapporteur , a insisté sur l'explication du recours croissant des collectivités locales aux structures associatives indiquant que si, parfois, il pouvait exister une volonté de détournement, il s'agissait, en général, d'une tentative de réponse à la multiplication des fonctions conférées aux collectivités locales et à la nécessité d'alléger des règles contraignantes susceptibles de lui faire obstacle à certaines actions. Il a noté qu'une partie de ces difficultés avaient été résolues dans le domaine du tourisme par la loi de 1992, mais que ce problème se posait avec acuité dans le domaine des associations sportives et culturelles.

En réponse à M. Jacques Oudin , le président de la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes a rappelé qu'il était nécessaire de maintenir le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables et que les facilités de gestion offertes par la structure associative constituaient un moyen de détourner un certain nombre de règles d'ordre public. Il a cependant admis la difficulté que rencontraient parfois les collectivités locales pour le recrutement de collaborateurs de haut niveau, dans le cadre du statut de la fonction publique territoriale.

Sur ce point, il a souligné qu'un effort de transparence des situations respectives de la fonction publique de l'Etat et de la fonction publique territoriale devait être conduit afin que le principe de parité entre ces deux ensembles soit effectivement respecté.

M. Philippe de Bourgoing a, pour sa part, souhaité faire état de la situation d'une petite commune du département du Calvados soumise à un "conflit de jurisprudences" entre les observations de la chambre régionale des comptes et un jugement du tribunal administratif.

ANNEXE N° IV

L'OBJET ET LA FORME DES OBSERVATIONS DE GESTION

DES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES


( Texte de référence élaboré sous l'égide de la Cour des comptes
à la suite des réflexions d'un groupe de travail)










1 Les deux premières missions d'information sur la décentralisation avaient pour président, M. Daniel Hoeffel et pour rapporteur, M. Christian Poncelet, devenu depuis lors, président de la commission des finances : leurs travaux ont abouti à la publication de deux rapports (n° 490 Sénat) du 12 juillet 1983 et (n° 177 Sénat) du 19 décembre 1984.

Quant à la troisième mission d'information qui a conclu ses travaux par la publication, le 27 mars 1991, d'un rapport (n° 248 Sénat), elle avait pour président et pour rapporteur, deux sénateurs qui deviendront, entre mars 1993 et mai 1995, membres du Gouvernement de M. Edouard Balladur à des postes stratégiques pour les collectivités locales : M. Charles Pasqua comme ministre de l'Intérieur et M. Daniel Hoeffel en qualité de ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur, chargé des collectivités territoriales et de l'aménagement du territoire.

2 C'est ainsi que l'année dernière, la commission des lois a constitué, en son sein, un groupe de travail sur la décentralisation présidé par M. Jean-Paul Delevoye, par ailleurs président de l'Association des maires de France, et dont le rapporteur était M. Daniel Hoeffel : le groupe de travail a remis son rapport le 5 mars 1997 (n° 239 Sénat).

3 Sur ce point, voir les craintes exprimées par M. Jean-Pierre Balligand, député et président de l'Institut de la décentralisation, lors du colloque organisé le 27 juin 1997, par la Cour des comptes, sur le thème : "Démocratie locale et chambres régionales des comptes". Compte rendu des débats, les éditions du Journal Officiel, p. 36.

4 Selon la "Correspondance économique" du 5 mars 1997 (p. 10 et 11) et le "Bulletin quotidien" du même jour (20 et 21), ces réfutations de la proposition de loi auraient figuré dans une "note confidentielle interne", adressée par M. le Premier président de la Cour des comptes aux présidents des chambres régionales des comptes.

5 Voir en annexe du présent rapport la liste et le compte-rendu de ces auditions.

6 Les actes des collectivités territoriales soumis à l'obligation de transmission sont les suivants :

- les délibérations des assemblées locales ;

- les décisions prises par délégation de l'assemblée délibérante ;

- les décisions réglementaires ou individuelles prises par le maire dans l'exercice de son pouvoir de police ou par le président du conseil général dans l'exercice de son pouvoir de police afférent à la gestion du domaine du département ;

- les actes à caractère réglementaire pris par les autorités communales, départementales ou régionales ;

- les conventions relatives aux marchés, aux emprunts et les conventions de concession ou d'affermage des services publics locaux à caractère industriel et commercial ;

- les décisions individuelles relatives à la nomination, à l'avancement de grade, à l'avancement d'échelon, et aux sanctions et au licenciement d'agents.

7 Sur ce point, voir l'ouvrage de M. Christian Descheemacker "La Cour des comptes", la Documentation française, p. 156 et 157.

8 Voir supra page 21.

9 Ces données, publiées dans un ouvrage intitulé "Les institutions régionales de contrôle externe des finances publiques : une étude comparative", EURORAI, 1997, concernent huit pays : l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne, la France, l'Irlande, l'Italie, le Royaume-Uni et la Confédération helvétique.

Ces éléments ont été complétés par une étude réalisée sous l'égide du Conseil de l'Europe qui porte sur l'ensemble des pays européens. Elle a été présentée par M. Alain Delcamp, président d'ARCOLE, lors du colloque organisé par la Cour des comptes le 27 juin 1997 et intitulé : "Démocratie locale et chambres régionales des comptes", les éditions du Journal Officiel, p. 19 à 21.

10 Source : article de MM. Pierre Varaine et Daniel Malingre, présidents de chambre régionale des comptes AJDA, 20 mars 1987

11 Revue française des finances publiques n o 43 de 1993 ; à l'époque, les auteurs étaient respectivement président de la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes et conseiller de chambre régionale des comptes.

12 A cet égard, M. Paul Girod, rapporteur du texte au nom de la commission des lois du Sénat, notait très justement qu'avant 1982, "le problème de l'indépendance du contrôle se trouvait d'autant plus posé que les comptables supérieurs du Trésor jouaient tout à la fois le rôle de supérieur hiérarchique du percepteur et de contrôleur de ce dernier" (Rapport de M. Paul Girod au nom de la commission des lois sur le projet de loi d'amélioration de la décentralisation n° 26 de la première session ordinaire de 1987-1988, page 47).

13 Extrait de l'instruction n° 89-64 T1 du 27 juin 1989 de la direction de la comptabilité publique.

14 Ces deux recours en réformation n'ayant pas le même objet, la liste des personnes qui peuvent les intenter diffère légèrement. selon le type de recours. Dans le premier cas, il s'agit des comptables, des représentants légaux des communes, des groupements de communes et des établissements publics ou, à leur défaut, des contribuables autorisés au titre de l'article L.2132-5 du CGCT ainsi que les représentants de l'Etat dans le département ou la région. Dans le second cas, cette liste comprend en outre le commissaire du Gouvernement près la chambre régionale des comptes, mais ne prévoit plus les contribuables.

15 Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale du 1er août 1981, 1ère séance du 31 juillet 1981, page 604.

16 Rapport n° 33 (1981-1982) présenté par M. Michel Giraud au nom de la commission des lois, pages 276 et 277.

17 La loi n° 98-135 du 7 mars 1998 relative au fonctionnement des conseils régionaux prévoit, pour les seules régions, d'une part, un report de cette date au 30 avril l'année de renouvellement, et d'autre part, institue une procédure d'adoption sans vote lorsque le budget régional n'a pas été adopté à la date limite fixée par le législateur.

18 Deuxième alinéa de l'article L.1612-2 du code général des collectivités territoriales.

19 Ces principes et cette procédure ont initialement été définis par l'article 8 de la loi du 2 mars 1982 précitée.

20 Le premier alinéa de l'article L 1612-15 du CGCT dispose que "ne sont obligatoires pour les collectivités territoriales que les dépenses nécessaires à l'acquittement des dettes exigibles et les dépenses pour lesquelles la loi l'a expressément décidé".

21 Enquête dont la synthèse a été publiée dans le n° 36 de la revue "Maires de France" du mois de février 1998.

22 Deux problèmes peuvent se poser : la définition de l'opportunité mais aussi le cadre de la régularité : si les textes ne sont pas précis, même la notion de régularité peut être difficile à délimiter.

23 La lettre d'observations provisoires ne fait que reproduire la note du magistrat-instructeur.

24 Encore faut-il que le contrôle de légalité et le contrôle financier s'appuient sur les mêmes textes et que ces textes soient suffisamment clairs pour qu'une interprétation homogène puisse en être donnée.

25 Voir infra page 114.

26 Cf rapport public de la Cour des Comptes de 1996, page 293.

27 Relèvent de l'apurement administratif les communes ou groupements de communes dont la population n'excède pas 2.000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte administratif est inférieur à 2 millions de francs, ainsi que de leurs établissements publics.

28 Rapport n° 26 (1987-1988) précité, page 83

29 Rapport n° 1128 (1987-1988)

30 Cf. l'extrait de l'instruction du 27 juin 1989 de la direction de la comptabilité relative à l'apurement administratif : "ce contrôle doit être principalement orienté vers la prévention . En d'autres termes, il doit viser, par le biais d'observations, la régularisation d'opérations erronées ou insuffisamment justifiées et de faible gravité et éviter la répétition de telles irrégularités."

31 Actuellement codifié à l'article L. 210-1 du code des juridictions financières qui dispose : "Il est créé dans chaque région une chambre régionale des comptes".

32 JO débats AN de la première séance du 11 septembre 1981, page 961.

33 Présidé par M. Jean-Paul Delevoye, et dont le rapporteur était M. Pierre Fauchon (n° 328, 1994-1995).

34 Présidé par M. Jean-Paul Delevoye, et dont le rapporteur était M. Daniel Hoeffel (n° 239, 1996-1997).

35 Voir en annexe p 181, l'audition de M. Jacques Blanc.

36 Circulaire n° 90 CD 2646 du 18 juin 1990, diffusée par l'instruction n° 90-78-MO du 10 juillet 1990 et modifiée par l'instruction n° 90-100-MO du 17 septembre 1990.

37 La gazette des communes, 2 juin 1997, page 6.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page