Rapport de l'OPECST n° 232 (1998-1999) de MM. Claude HURIET , sénateur et Alain CLAEYS, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scient. tech., déposé le 18 février 1999

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N° 1407

N° 232

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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

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Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale
le 18 février 1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 février 1999

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

RAPPORT

SUR

L'APPLICATION DE LA LOI N° 94-654 DU 29 JUILLET 1994
RELATIVE AU DON ET À L'UTILISATION DES ÉLÉMENTS ET
PRODUITS DU CORPS HUMAIN, À L'ASSISTANCE MÉDICALE
À LA PROCRÉATION ET AU DIAGNOSTIC PRÉNATAL
par

M. Alain CLAEYS, Député et M. Claude HURIET, Sénateur

__________

__________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

par M. Henri REVOL,

Vice-Président de l'Office.

Président de l'Office.

Bioéthique

TABLE DES MATIÈRES

Introduction *

Première partie : Observations générales *

I - La loi et les décrets d'application : lenteurs et retards *

1. Le bilan *

2. Les causes invoquées *

II - La loi et les principes : de quelques difficultés de mise en oeuvre *

1. Le consentement préalable *

2. L'intégrité de la personne *

3. La sécurité sanitaire *

III - La loi et les avancées scientifiques et techniques : souplesse et évolutivité *

IV - La loi et l'encadrement des activités d'assistance médicale à la procréation : des moyens de contrôle insuffisants *

Deuxième partie : Don et utilisation des éléments
et produits du corps humain *

I - Les objectifs visés par le législateur de 1994 *

1. Soumettre la transplantation à un encadrement juridique restaurant le climat
de confiance indispensable à son développement *

1.1. Une législation parcellaire et lacunaire *

1.2. Une conjoncture défavorable *

2. Mettre les activités de prélèvement et de transplantation à l'abri des pratiques
mercantiles *

3. Favoriser l'expression par les donneurs d'un consentement libre et éclairé *

4. Organiser les activités de prélèvement et de transplantation sur des bases rationnelles et objectives garantissant, notamment, l'égalité d'accès au don
des receveurs *

5. Garantir la sécurité sanitaire des transplantations *

II - Situation générale de la transplantation : données statistiques *

1. Greffes d'organes *

2. Greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH) *

3. Prélèvements et greffes de tissus *

3.1. Cornées *

3.2. Tissus *

III - Les prélèvements sur donneur vivant *

1. La loi et la pratique *

1.1. Un droit marqué par une orientation restrictive *

1.2. Une pratique très limitée qui correspond à la volonté du législateur *

1.2.1. La situation en France *

1.2.2. La situation dans les autres pays européens *

2. Adaptations et modifications envisageables *

2.1. Les évolutions et progrès techniques dans le domaine de la transplantation
avec donneur vivant *

2.1.1. La transplantation rénale : une pratique maîtrisée et couronnée de succès *

2.1.2. La transplantation hépatique : une pratique récente et peu développée *

2.1.3. La transplantation pulmonaire : une pratique encore inusitée en France *

2.1.4. La transplantation cardiaque en domino *

2.1.5. Les greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH) : les nouveaux
types de prélèvement *

2.2. L'origine du don : l'opportunité d'un élargissement des catégories de donneurs *

2.2.1. Pour quels motifs ? *

2.2.2. Selon quelles modalités ? *

2.3. Le consentement au don d'organe *

2.3.1. En cas de prélèvement sur une personne majeure et capable *

2.3.2. En cas de prélèvement de moelle sur un mineur *

2.3.3. Les situations non prévues par la loi *

2.4. Le consentement au don de tissus et cellules *

2.4.1. Remarques générales *

2.4.2. Le régime des résidus opératoires *

2.4.3. Le régime des prélèvements sur embryons et foetus morts *

IV - Les prélèvements sur personnes décédées *

1. L'organisation du consentement selon la loi de 1994 : une construction
juridique complexe traduisant une volonté de conciliation entre solidarité collective et volonté individuelle *

2. L'application de la loi : une mise en oeuvre tardive et certains effets critiqués *

2.1. Les prélèvements à visée thérapeutique : des résultats à ce jour difficilement mesurables *

2.1.1. Un impact psychologique limité, dans l'attente d'une information large
et méthodique du public *

2.1.2. La lente mise en place du registre national automatisé *

2.1.3. Le témoignage de la famille : les aménagements souhaitables *

2.2. Les prélèvements médico-scientifiques : la loi compromet-elle la pratique
des autopsies ? *

2.2.1. La lettre et l'esprit des textes *

2.2.2. Débat sur des dispositions contestées *

2.3. Les prélèvements post mortem de tissus et cellules : un encadrement qui reste
à préciser *

V - L'encadrement des activités de prélèvement et de transplantation *

1. Les conditions médicales du prélèvement : principes et pratiques *

1.1. Séparation des compétences et collaboration des équipes *

1.2. Anonymat et traçabilité *

2. L'autorisation des établissements : une mise en oeuvre encore partielle *

2.1. Les prélèvements et transplantations d'organes *

2.2. Les prélèvements, la conservation et l'utilisation de tissus et cellules *

3. La répartition et l'attribution des greffons : des règles clarifiées *

4. L'inscription des patients non résidents sur la liste d'attente *

5. Circulation transfrontière, éthique et sécurité sanitaire : la nécessaire harmonisation européenne *

VI - La loi face aux perspectives ouvertes par la recherche *

1. Les xénogreffes : une perspective encore incertaine dont les risques ne
peuvent être évalués avec certitude *

1.1. Une réalité expérimentale pour l'instant décevante *

1.2. Une communauté scientifique dans l'expectative face aux risques potentiels *

1.3. La nécessité d'un encadrement législatif *

2. La constitution de banques de cellules souches : une potentialité thérapeutique considérable dont le développement renvoie au problème de la recherche sur l'embryon *

Troisième partie : L'assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal *

I - Les objectifs visés par le législateur de 1994 *

1. Consacrer une approche médicalisée de la procréation à partir d'une
définition fondée sur les évolutions possibles des techniques *

2. Prendre en compte l'intérêt de l'enfant à naître plutôt que le droit à l'enfant *

3. Conférer un caractère subsidiaire à l'assistance médicale à la procréation
avec tiers donneur *

4. Soumettre les activités d'assistance médicale à la procréation à un
encadrement réglementaire strict *

5. Refuser toute réification de l'embryon en l'entourant d'un certain nombre
de protections sans aller toutefois jusqu'à lui conférer un véritable statut *

II - La fécondation in vitro en chiffres *

1. Fécondation in vitro " classique " *

2. La fécondation par micro-injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde
dans l'ovocyte (ICSI) *

III - Les techniques d'assistance médicale à la procréation : la loi et les pratiques *

1. Une définition très large au plan législatif mais incomplète au plan
réglementaire *

2. Une technique pré-fécondatoire qui appelle un véritable encadrement :
la stimulation ovarienne *

2.1. Définition et finalité *

2.2. Les inconvénients de la stimulation ovarienne *

2.3. Les solutions envisagées par diverses instances *

3. Les techniques de fécondation in vitro : le recours croissant aux
micro-injections *

3.1. De la FIV " classique " à l'ICSI : chronique d'un succès inattendu *

3.2. Les risques des micro-injections pour les enfants à naître : un débat qui renvoie
à celui, plus général, sur les méthodes de la procréation assistée *

3.2.1. Les risques de la technique *

3.2.2. Le débat sur la méthode *

4. Les techniques post-fécondatoires : le transfert multiple d'embryons et la
conservation des embryons surnuméraires *

4.1. La non-limitation du nombre d'embryons transférés et ses conséquences *

4.2. La conservation des embryons : de l'embryon " en attente " à l'embryon " orphelin " *

5. La loi face au développement des techniques de clonage *

5.1. Les récentes avancées scientifiques *

5.2. Réactions internationales et positions anglo-saxonnes *

5.3. Les barrières juridiques édifiées en 1994 sont-elles suffisantes ? *

IV - L'accès des couples à l'assistance médicale à la procréation *

1. Les conditions d'ordre médical *

1.1. Le diagnostic de l'infertilité *

1.2. La transmission d'une maladie d'une particulière gravité : le cas des couples
séro-différents *

2. Les conditions d'ordre social *

2.1. L'exigence d'une durée minimale de vie commune pour les couples
non mariés : mise en oeuvre et pertinence *

2.2. Un couple en âge de procréer : critère physique ou exigence sociale ? *

2.3. " Un couple vivant " : la relance du débat sur le transfert post mortem
d'embryon *

3. Le pouvoir de contrôle dévolu aux praticiens *

4. L'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur *

4.1. Le don de gamètes : pratique et contraintes *

4.1.1. La situation du don : insuffisance de l'offre et timidité de la promotion *

4.1.2. La détermination légale de la qualité de donneur : faire partie d'un
couple ayant procréé *

4.1.3. La gratuité du don *

4.1.4. L'interdiction du don " dirigé " et le problème de l'anonymat *

4.2. La mise en oeuvre de l'AMP avec tiers donneur *

4.2.1. Le caractère d'" ultime indication " de l'AMP avec tiers donneur (IAD) *

4.2.2. La limitation du nombre des naissances à partir des gamètes d'un seul
donneur *

4.2.3. L'application des règles de sécurité sanitaire *

V - L'embryon in vitro : ambiguïtés juridiques et attentes
scientifiques
*

1. L'embryon in vitro et la loi de 1994 *

1.1. L'embryon hors des catégories du droit en l'absence d'un statut explicite *

1.2. Un statut implicite déduit d'un certain nombre de règles protectrices *

1.3. L'embryon et la recherche : la difficile interprétation de l'article L 152-8
du Code de la santé publique *

1.4. Le diagnostic préimplantatoire sur l'embryon in vitro : une mise en pratique
retardée *

2. Le débat relatif à l'élargissement de la recherche sur l'embryon : positions françaises, européennes et étrangères *

2.1. Les positions françaises *

2.1.1. " Le respect de la vie dès son origine " *

2.1.2. " La personnification différée " *

2.1.3. Les orientations tracées par le Comité consultatif national d'éthique *

2.2. Positions étrangères, européennes et internationales : des approches très
diversifiées *

2.2.1. La diversité des approches étrangères *

2.2.2. La difficulté d'une position européenne commune *

2.2.3. L'absence d'une prise de position, même non contraignante, à l'échelon international *

3. Quelle alternative pour le législateur ? *

VI - Le diagnostic prénatal *

1. Consentement éclairé et conseil génétique *

2. Les établissements et laboratoires autorisés à pratiquer les examens de DPN *

VII - L'encadrement des activités d'assistance médicale à la
procréation
*

1. L'agrément des praticiens : spécialité, responsabilité et multidisciplinarité *

2. L'autorisation des établissements et laboratoires : des moyens d'évaluation
et de contrôle encore insuffisants *

Conclusion *

Examen du rapport par l'Office

Auditions

INTRODUCTION

L'article 21 de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, avait donné compétence à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pour procéder à une évaluation de son application avant que cette loi ne fasse l'objet d'un nouvel examen par le Parlement dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur.

Pour la première fois, l'Office se trouvait saisi par le législateur lui-même d'une mission d'évaluation. L'originalité de cette saisine par rapport aux conditions habituelles d'exercice de sa mission n'a pas été sans conséquences sur les modalités selon lesquelles a été conduite notre étude.

1) Le champ de l'évaluation

L'étude devait être centrée sur la loi n° 94-654. Cependant, la démarche globale adoptée par le législateur lui-même en 1994 et les évidentes complémentarités unissant le texte dont nous étions saisis et la loi n° 94-653 relative au respect du corps humain conduisaient à s'écarter d'une appréciation trop " sectorielle ". L'Office nous en ayant laissé la latitude, nous avons même jugé utile de consacrer, au-delà du bloc législatif de 1994, quelques auditions aux problèmes que pose aux chercheurs l'application de la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales.

Evaluer l'application de la loi consistait d'abord à apprécier ses conditions de mise en oeuvre, à relever les obstacles rencontrés et à vérifier l'adéquation des règles aux objectifs visés. Mais cela nous conduisait aussi à replacer les normes juridiques dans l'évolution des connaissances et des techniques afin de mesurer leur capacité d'adaptation à cette dernière et les risques éventuels d'obsolescence, puisque cette préoccupation fondait en grande partie la démarche adoptée par le législateur de 1994. L'ampleur des bouleversements scientifiques qui se sont produits depuis cinq ans montre que cette précaution était sage et incitera sans doute à pérenniser le principe d'une révision périodique dont le rythme reste à déterminer.

La loi devait être également replacée dans son environnement international. On peut souligner, sans faire preuve d'un esprit cocardier, que la construction législative engagée en 1988 et poursuivie en 1994 allait bien au delà des dispositions prises par d'autres pays et qu'elle a pu inspirer la rédaction de la Convention européenne sur les droits de l'homme et la biomédecine signée à Oviedo en 1996 et de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale des Nations-Unies en décembre 1998. Ces avancées très positives ne doivent pas conduire à ignorer la disparité des réponses qui peuvent être données d'un Etat à l'autre à des questions aussi essentielles que le clonage humain, la brevetabilité du génome, la recherche sur l'embryon ou l'utilisation des tests génétiques. La recherche n'a pas de frontières et le législateur ne peut se satisfaire d'un " splendide isolement " s'il veut conférer une réelle efficacité aux règles édictées à l'échelon national.

2) La méthode

L'objectif de notre étude n'était pas de préjuger les choix futurs du législateur mais d'éclairer la réflexion des commissions parlementaires qui prépareront l'examen en séance plénière du projet de loi présenté par le Gouvernement. C'est dire qu'on trouvera dans ce rapport plus d'interrogations que de réponses. Dans certains cas, des solutions ont pu être suggérées. Dans d'autres -notamment pour ce qui concerne la recherche sur l'embryon in vitro- nous nous en sommes tenus à une présentation des positions en présence et des différentes voies qui peuvent être empruntées. Aller plus loin eût été outrepasser notre rôle.

Nous nous sommes appuyés, pour mener à bien ce travail, sur deux sources d'information :

o l'avis des chercheurs, praticiens et " usagers " recueilli au cours des auditions qui ont été organisées de mai à décembre 1998. Bien que leur contenu ait été largement repris dans le corps du rapport, il nous a paru utile d'en faire figurer en annexe le compte rendu exhaustif ;

o la réflexion menée parallèlement par d'autres instances. Nous avons pu utilement nous référer au très riche rapport (" Réflexions sur le droit de la santé ") publié par le Conseil d'Etat en 1998, aux avis du Comité consultatif national d'éthique, de l'Académie de médecine et du Conseil national de l'ordre des médecins publiés en juin 1998, au rapport établi en 1997 par la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. L'approche européenne des problèmes nous a été facilitée par les différents avis qu'a émis de 1996 à 1998 le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies institué par la Commission européenne.

Nous tenons enfin à exprimer nos remerciements aux trois experts qui nous ont apporté le concours de leur compétence éclairée tout au long de ce travail : M. Claude GRISCELLI, directeur général de l'INSERM, le docteur Laurence ESTERLE, responsable du service des programmes de l'INSERM, et M. Jean-Pierre DUPRAT, professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV.

PREMIÈRE PARTIE : OBSERVATIONS GÉNÉRALES

On exposera ici, outre un bilan de l'application réglementaire de la loi, un certain nombre de remarques synthétisant des constatations développées dans les deux autres parties du rapport.

I. - LA LOI ET LES DÉCRETS D'APPLICATION : LENTEURS ET RETARDS

La parution tardive des textes réglementaires conditionnant l'application des lois constitue un mal récurrent sur lequel les parlementaires interpellent régulièrement le pouvoir exécutif et dont les spécialistes de la science administrative font volontiers un sujet d'étude. Il est vrai que le législateur contribue lui-même à l'entretenir en imposant trop systématiquement l'exigence d'un décret en Conseil d'Etat pour des dispositions qui se satisferaient d'une place moins élevée dans la hiérarchie des normes administratives.

Mais il convient de remarquer que ces effets dilatoires sont particulièrement préjudiciables lorsqu'ils s'appliquent à un texte dont la longévité a été volontairement réduite afin que son efficacité puisse être appréciée au terme de cinq années d'application et avant une remise sur le métier. Sur certains points, comme on le verra, tout véritable travail d'évaluation s'avère impossible, soit que la loi vienne tout juste d'être effectivement mise en oeuvre, soit qu'elle n'ait encore trouvé aucun commencement d'exécution. Cet inconvénient mérite d'être souligné compte tenu de la tendance de plus en plus fréquente, et dans son principe parfaitement justifiée, visant à soumettre les textes législatifs à des révisions périodiques lorsqu'ils s'appliquent à des matières scientifiques et techniques sujettes à des bouleversements rapides.

1. Le bilan

Les tableaux ci-après dressent l'état de la mise en application réglementaire pour chacun des chapitres de la loi 94-654 du 29 juillet 1994.

DON ET UTILISATION DES ÉLÉMENTS ET PRODUITS
DU CORPS HUMAIN

A - Textes publiés (par ordre chronologique)

Source législative
(loi 94-654 et articles correspondants du Code
de la santé publique)

Objet

Date de publication

Article 4, L 673-9-2°

Dotation de l'EFG

Décret n° 94-870 du 10/10/94

Article 2, L 665-16

Produits du corps humain auxquels ne s'appliquent pas les articles L 665-11 à L 665-15-1

Décret n° 95-904 du 04/08/95

Article 5, L 671-3 à
L 671-6

Prélèvements d'organes sur personnes vivantes

Décret n° 96-375 du 29/04/96

Article 4, L 673-8

Homologation des règles de répartition et d'attribution des greffons

Arrêté du 06/11/96

Article 5, L 671-7

Conditions d'établissement du constat de la mort

Décret n° 96-1041 du 02/12/96

Article 5, L 671-14

Conditions d'autorisation des établissements effectuant des prélèvements d'organes

Décret n° 97-306 du

Article 6, L 672-9

Conditions d'autorisation des établissements effectuant des prélèvements de tissus

01/04/97

Article 5, L 671-7,
alinéa 3

Fonctionnement et gestion du registre des refus de prélèvement d'organes post mortem

Décret n° 97-704 du 30/05/97

Article 2, L 665-15

Règles de sécurité sanitaire applicables au prélèvement et à la collecte de produits du corps humain à des fins thérapeutiques

Décret n° 97-928 du 09/10/97

B - Textes en attente

Source législative

Objet

Article 2, L 665-13

Modalités de remboursement des frais engagés par une personne qui se prête au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de ses produits

Article 2, L 665-15, alinéa 3

Conditions dans lesquelles s'exerce la vigilance concernant les éléments et produits du corps humain, les produits autres que les médicaments qui en dérivent ainsi que les dispositifs médicaux les incorporant

Article 5, L 671-15

Liste des organes qui peuvent être conservés

Article 6, L 672-6

Détermination des situations médicales dans lesquelles le prélèvement de tissus et de cellules et la collecte de produits sur une personne décédée sont autorisés

Article 6, L 672-10, alinéa 2

Conditions d'autorisation des établissements effectuant la transformation, la conservation, la distribution et la cession de tissus et cellules

Article 6, L 672-12

Règles financières et économiques applicables à la transformation, la distribution et la cession des tissus et cellules

Article 6, L 672-13

Détermination des activités de greffes de tissus et cellules requérant une haute technicité ou nécessitant des dispositions particulières dans l'intérêt de la santé publique

Article 6, L 672-14

Conditions et modalités de délivrance des autorisations de procéder à la transformation, distribution, cession et greffes de tissus et cellules

Article 7, L 666-8-4°

Conditions à remplir par les établissements ou organismes réalisant des préparations cellulaires à partir du prélèvement de cellules souches hématopoïétiques et de cellules somatiques mononucléées.

Cf., en outre, les décrets d'application des articles L 676-2, L 676-3 et L 676-6
relatifs aux thérapies génique et cellulaire, résultant de la loi n° 96-452
du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre social.

ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION (AMP)

A - Textes publiés (par ordre chronologique)

Source législative
(loi 94-654 et articles correspondants du Code
de la santé publique)

Objet

Date de publication

Article 8, L 152-3

Obligations relatives à la conservation des embryons

Décret n° 95-560 du 06/05/95

Article 8, L 152-9

Définition des actes cliniques et biologiques d'AMP

Décret n° 95-560 du 06/05/95

Article 8, L 152-10, alinéa 10

Règles de sécurité sanitaire relatives à l'AMP

Décret n° 95-560 du 06/05/95

Article 10, L 184-1, alinéa 4, et L 673-5, alinéa 2

Fonctionnement des organismes et établissements pratiquant les activités de recueil, traitement, conservation et cession de gamètes et obligations auxquelles ils sont tenus

Décret n° 95-560 du 06/05/95
Décret n° 96-993 du 12/11/96

Article 11, L 184-1 et L 673-5

Fonctionnement des établissements et laboratoires pratiquant l'AMP

Décret n° 95-558 du 06/05/95
Décret n° 96-993 du 12/11/96

Article 11, L 184-2

Etablissement et conservation des registres relatifs aux gamètes et embryons conservés par les établissements et laboratoires autorisés

Décret n° 95-560 du 06/05/95

Article 11, L 184-3, alinéa 5

Organisation et fonctionnement de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal

Décret n° 95-560 du 06/05/95

Article 8, L 152-8, alinéa 6

Conditions d'autorisation des études menées sur l'embryon

Décret n° 97-613 du 27/05/97

Article 14, L 162-17, alinéa 6

Autorisation des établissements pratiquant le diagnostic préimplantatoire

Décret n° 98-216 du 24/03/98

Article 11, L 184-2

Modalités de présentation du rapport annuel d'activité des établissements ou laboratoires autorisés à pratiquer l'AMP et le DPN

2 arrêtés du 10/02/98

B - Texte en attente

Source législative

Objet

Article 8, L 152-5,
alinéa 7

Modalités d'application de la procédure d'accueil d'embryon

DIAGNOSTIC PRÉNATAL (DPN)

Textes publiés (par ordre chronologique)

Source législative
(loi 94-654 et articles correspondants du Code
de la santé publique)

Objet

Date de publication

Article 12, L 162-16, alinéa 2

Conditions de réalisation des analyses de cytogénétique et de biologie en vue d'établir un DPN

Décret n° 95-559 du 06/05/95
Décret n° 97-579 du 28/05/97

Article 12, L 162-16, alinéa 4

Mission, rôle et conditions de création et d'agrément des centres de DPN pluridisciplinaires

Décret n° 97-578 du 28/05/97

(Textes en attente : néant)

MÉDECINE PRÉDICTIVE ET IDENTIFICATION GÉNÉTIQUE

Texte publié

Source législative
(loi 94-654 et articles correspondants du Code
de la santé publique)

Objet

Date de publication

Article 22, L 145-16

Agrément des personnes habilitées à procéder à des identifications par empreintes génétiques

Décret n° 97-109 du 06/02/97

(Textes en attente : néant)

Voir cependant le décret d'application de la loi n° 95-116 du 4 février 1995

qui doit préciser les conditions de prescription et de réalisation des tests.

COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE
(CCNE)

Texte publié

Source législative
(loi 94-654 et articles correspondants du Code
de la santé publique)

Objet

Date de publication

Article 23

Composition et fonctionnement du CCNE

Décret n° 97-555 du 29/05/97

(Textes en attente : néant)

Plusieurs constats s'imposent à la lecture de ces tableaux.

- S'agissant de la partie " greffes " de la loi , plusieurs décrets essentiels pour sa mise en oeuvre (autorisation des établissements, registre des refus, règles de sécurité sanitaire) ont subi un retard variant entre 32 et 39 mois. L'installation du registre des refus n'a été effective qu'au début de l'été 1998.

Restent par ailleurs en souffrance les dispositions relatives au remboursement des frais engagés par les donneurs et la réglementation applicable aux activités de greffe de tissus et cellules, d'une part, de conservation, transformation, distribution, cession, importation et exportation de tissus et cellules, d'autre part.

Il convient en outre de souligner le blocage qui affecte la mise en oeuvre des dispositions relatives aux thérapies géniques et cellulaires, primitivement renvoyées au pouvoir réglementaire par la loi de 1994 puis insérées dans la loi du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire. Plus de 32 mois après la promulgation de ce texte, les procédures d'autorisation des établissements ou organismes, d'autorisation des produits de thérapie génique et cellulaire et les protocoles d'essai des thérapies géniques sont toujours suspendus à la parution des décrets d'application.

- Dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation et du diagnostic prénatal , les retards ont été beaucoup moins sensibles pour ce qui touche à l'organisation et au fonctionnement des structures d'AMP, les difficultés venant ici davantage, comme on l'analysera plus loin, des conditions dans lesquelles ont été délivrés les autorisations et les agréments. Sur deux points essentiels, cependant, la loi n'a pu être mise en oeuvre que très tardivement :

o les conditions d' autorisation des études menées sur l'embryon ont été fixées par le décret du 27 mai 1997. Concrètement, comme a pu le souligner le professeur JOUANNET lors de son audition, un projet d'étude financé par la Délégation à la recherche clinique de l'AP-HP en 1996 a dû attendre, pour être soumis à l'agrément de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP), la parution du décret en mai 1997 puis celle, en avril 1998, d'un formulaire réglementaire sans qu'une décision ait pu être prise avant la fin novembre de la même année ;

o la pratique du diagnostic préimplantatoire ne débutera que dans le courant de l'année 1999 : le décret fixant les conditions d'autorisation des établissements n'a été publié que le 24 mars 1998 et l'évaluation des praticiens admis à le mettre en oeuvre pose des problèmes délicats tenant au faible nombre d'experts français en cette matière ;

o quant à la procédure d'accueil d'un embryon par un couple tiers , elle n'a pu recevoir, faute de texte, aucun commencement d'application. Sujette, dans son principe même, à de nombreuses critiques, sera-t-elle reconsidérée avant même d'avoir pu être mise à l'épreuve ?

- En ce qui concerne, enfin, les dispositions relatives à la médecine prédictive, à l'identification génétique et à la recherche génétique , le décret du 6 février 1997 a bien fixé les conditions d'agrément des personnes habilitées à pratiquer les tests, mais la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social a ensuite renvoyé les conditions de prescription et de réalisation des tests à un texte réglementaire qui n'est pas encore paru et toute évaluation de la loi est donc sur ce point impossible.

2. Les causes invoquées

La Direction générale de la santé souligne que les retards, parfois considérables, qui ont affecté la parution des textes d'application ne tiennent pas à des problèmes d'ordre éthique mais à des difficultés techniques, notamment pour la partie de la loi relative aux dons d'organes.

- Ces textes abordaient des champs nouveaux nécessitant le recours à une expertise médico-scientifique afin d'en garantir l'adéquation à la science et l'applicabilité. C'était notamment le cas pour les banques de tissus, activité mal connue impliquant une reconnaissance du terrain avec le concours de l'EFG et une inspection des services déconcentrés précédée d'une formation des personnels. L'expertise n'a pu être mise en oeuvre qu'après l'installation du Conseil médical et scientifique de l'EFG.

Pour certains textes, l'élaboration des règles de bonne pratique devait précéder la parution du décret d'application. Pour d'autres (constat de la mort, registre des refus, banques de tissus, thérapie cellulaire, médecine prédictive), une coordination devait s'établir entre plusieurs centres d'expertise.

- Certaines dispositions de la loi sont d'une particulière complexité :

o les modalités du consentement doivent être mises en oeuvre par des médecins qui n'ont pas une formation juridique ;

o les cellules à usage thérapeutique sont soumises à des régimes très diversifiés : cellules sanguines, cellules souches hématopoïétiques, cellules à autre destination que la thérapie cellulaire, thérapie cellulaire, thérapie génique, moelle osseuse.

- Certaines dispositions posent des problèmes d'interprétation : ainsi en va-t-il des règles touchant le consentement applicable aux prélèvements post mortem.

- L'abondance des textes d'application à élaborer (32 au total) contraste avec les moyens limités en personnel de la DGS (2 fonctionnaires du cadre A, effectif récemment porté à 3).

Il a donc fallu établir un ordre de priorités tenant compte de la mise en place des structures de conservation (soumises à l'agrément de la CNMBRDP), sachant par ailleurs que les textes existant dans le cadre de la législation antérieure permettaient dans certains cas de parer au risque de vide juridique.

On ajoutera à ces diverses explications les effets " en cascade " qu'a produits la perspective, jugée proche à partir d'une certaine date, de nouvelles dispositions législatives. Ainsi a-t-on retardé la mise au point des décrets relatifs à la vigilance d'une part, au régime des cellules d'autre part, jusqu'à l'adoption de la loi du 1 er juillet 1998 sur la sécurité sanitaire.

II. - LA LOI ET LES PRINCIPES : DE QUELQUES DIFFICULTÉS DE MISE EN oeUVRE

Si la méthode globale adoptée par le législateur en 1994 n'a pas conduit à instaurer une hiérarchie entre les lois n° 653 et 654, puisqu'un certain nombre de règles fondamentales se trouvent énoncées dans l'une et l'autre, la seconde n'en a pas moins eu pour fonction essentielle de traduire " techniquement " dans le Code de la santé publique les principes que la première avait inscrits dans le Code civil. La pratique a révélé un certain nombre de décalages résultant du contenu même de la loi ou de ses modalités d'application.

1. Le consentement préalable

- Tout en consacrant ce principe fondamental, la loi n° 654 y a apporté, pour des raisons pratiques, une atténuation en soumettant à la règle du consentement présumé la plupart des prélèvements d'organes sur personnes décédées. Cette présomption n'a véritablement de sens que si le public en est correctement informé. Or, les actions en ce domaine restent encore trop limitées.

- Le champ d'application de ce consentement présumé n'a pas été clairement précisé par la loi, dont les difficultés d'interprétation ont compliqué l'élaboration des textes d'application. Il sera sans doute nécessaire de distinguer plus nettement le régime des autopsies, celui des prélèvements à visée thérapeutique et celui des prélèvements à visée scientifique.

- Le principe du consentement n'a pas été formellement appliqué aux résidus opératoires ni, fait plus préoccupant encore, aux prélèvements sur embryons et foetus morts qui se trouvent ainsi placés à cet égard dans une sorte de " no man's land juridique ".

- Dans certains cas, le décret a dû pallier les omissions de la loi pour organiser une information complète du patient, préalable indispensable à un consentement éclairé : tel a été le cas pour la pratique du diagnostic prénatal.

- Comme le relève le rapport du Conseil d'Etat pour 1998, la jurisprudence a seule traité, de façon parfois discutable, certaines situations ignorées par le législateur : expérimentations sur un patient décédé, identification génétique post mortem.

2. L'intégrité de la personne

- Le point problématique d'application de ce principe concerne, évidemment, le sort réservé à l'embryon in vitro. Tout en entourant celui-ci d'un certain nombre de protections, la loi n'a pas été jusqu'à lui conférer un véritable statut et il existe aujourd'hui une tension non résolue entre le respect dû à ce " projet de personne " (selon la formule du professeur Axel KAHN) et les attentes de la recherche, elles-mêmes avivées par les nouvelles perspectives thérapeutiques que laisse entrevoir l'utilisation des cellules embryonnaires. C'est l'une des questions essentielles que devra aborder le législateur à l'occasion de la révision des dispositions concernant l'assistance médicale à la procréation, question d'autant plus difficile que pèsera sur le débat l'existence d'un nombre élevé d'embryons congelés et privés aujourd'hui de tout projet parental.

- L'attention portée à l'embryon in vitro a laissé, d'autre part, en arrière-plan le problème non moins préoccupant de la situation juridique du foetus, ignoré par la loi de 1994. Le Comité consultatif national d'éthique (avis du 25 juin 1998) souhaite que soient examinées les conséquences de cette lacune législative tant en matière d'autopsie et de recherche qu'au regard de la situation sociale, médicale et économique de la mère. On ajoutera qu'en l'état actuel du droit, la réanimation natale constitue pour le médecin une obligation stricte qui ne peut être levée en cas de risque de malformation grave ou de nécessité thérapeutique, contrairement aux dispositions applicables à l'interruption médicale de grossesse.

- Prohibant l'eugénisme positif qui vise à sélectionner des êtres conformes à des normes, la loi autorise l'eugénisme négatif destiné à éviter " les manifestations indésirables du vivant " . Le recours au diagnostic préimplantatoire entre bien dans cette préoccupation. Une contradiction est cependant créée par la loi elle-même entre les cas où il peut être pratiqué (risque de maladie génétique reconnue comme incurable au moment du diagnostic) et l'objectif thérapeutique qui lui est fixé (prévenir et traiter). La prévention ne conduit-elle pas nécessairement à l'élimination des embryons jugés " anormaux " ?

3. La sécurité sanitaire

- Dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation, de nombreux praticiens soulignent l'insuffisance des mesures appliquées et la nécessité d'une réglementation plus stricte concernant notamment les substances et préparations utilisées. On pourrait souhaiter, selon le professeur JOUANNET, une meilleure insertion de l'AMP dans l'organisation générale des soins utilisant des cellules d'origine humaine, qu'elles soient données ou non, et de la sécurité sanitaire .

- En matière de greffes, la pénurie actuelle de greffons conduit à des prélèvements d'organes ne présentant pas toutes les garanties sur le plan fonctionnel et sanitaire. Le décret du 9 octobre 1997 pris pour l'application de l'article L 665-15 du Code de la santé publique a d'ailleurs permis au médecin utilisateur de déroger à l'interdiction de la greffe en cas d'urgence vitale pour le malade. Les règles habituelles de sécurité sanitaire peuvent alors être mises en échec dans le cadre d'une sorte de bilan coûts-avantages de la transplantation particulièrement délicat à effectuer.

Cette notion de " bénéfice-risque " ne mériterait-elle pas d'être inscrite clairement dans la loi ? En tout état de cause, l'information du receveur sur les risques devrait être renforcée et les responsabilités des choix médicaux clairement définies.

III - LA LOI ET LES AVANCÉES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES : SOUPLESSE ET ÉVOLUTIVITÉ

- La définition des techniques d'assistance médicale à la procréation établie par l'article L 152-1 du Code de la santé publique était volontairement très large afin d'englober les méthodes qui se mettraient en place ultérieurement. Elle a ainsi permis à la pratique de l'ICSI (fécondation par injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde), encore expérimentale en 1994, de se développer si rapidement qu'elle représente aujourd'hui 40 % des fécondations in vitro réalisées annuellement. Cette souplesse favorise assurément l'essor des progrès thérapeutiques. Elle pose toutefois quelques problèmes touchant l'absence d'expérimentation préalable à la mise en oeuvre de techniques innovantes.

- Bien que l'inquiétante perspective du clonage humain à visée reproductive ne fût pas encore discernable en 1994, la loi l'avait, par avance, implicitement condamné en proscrivant toute pratique eugéniste tendant à transformer les gènes dans le but de modifier la descendance de la personne. Par delà l'interdiction explicite et solennelle qu'il pourrait néanmoins juger souhaitable de formuler, le législateur devra sans doute s'interroger sur les règles auxquelles il conviendra de soumettre le clonage cellulaire à but thérapeutique.

- Dans le domaine des greffes, certaines évolutions, certes moins fondamentales, n'ont pu, en revanche, être prises en compte par la législation et nécessiteraient quelques adaptations : ainsi en va-t-il de la greffe du coeur en domino et du prélèvement des cellules souches hématopoïétiques dans le sang périphérique.

De même, la mise en évidence récente du rôle limité que joue l'histocompatibilité dans la réussite de la greffe avec donneur vivant pourrait fournir un argument scientifique à l'élargissement du cercle des donneurs. Mais il ne s'agit là que de retouches ne remettant pas en cause l'économie générale des règles applicables à la transplantation.

Il conviendra, en outre, d'examiner l'opportunité d'un encadrement juridique des xénogreffes, qui sont encore dans une phase expérimentale et ont été assujetties à des exigences de sécurité sanitaire par la loi du 1 er juillet 1998.

IV - La loi et l'encadrement des activités d'assistance médicale à la procréation : des moyens de contrôle insuffisants

La mise en oeuvre des activités d'AMP repose sur un système d'agrément des praticiens et d'autorisation des établissements dans lequel les médecins inspecteurs des DDASS et la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP) jouent un rôle fondamental d'instruction des dossiers, préalablement à la décision prise par le ministre chargé de la Santé.

Le système actuel, qui ne donne pas à la CNMBRDP les moyens d'exercer efficacement sa mission, constitue, selon MM. François STASSE et Frédéric SALAT-BAROUX, " le modèle de ce qu'il ne faut pas faire " .

La Commission dresse elle-même, dans le premier rapport qu'elle a publié en 1997, un tableau éloquent des difficultés rencontrées dans l'examen des 926 dossiers de demandes d'autorisation qu'elle a dû examiner au cours de la seule année 1996. Ses avis s'appuient, en principe, sur les rapports établis par les médecins inspecteurs qui doivent par ailleurs l'assister pour le suivi et l'évaluation du fonctionnement des établissements et laboratoires autorisés. Or, ce soutien logistique est, à l'heure actuelle, notoirement insuffisant, tant quantitativement que qualitativement, les DDASS reconnaissant elles-mêmes l'insuffisante formation et la disponibilité limitée de leurs personnels pour accomplir ce type de tâche.

Il est, d'autre part, frappant qu'on puisse lire dans ce même rapport : " Après le travail considérable d'analyse de dossiers effectué, la commission souhaite que les sanctions pénales prévues par la loi soient appliquées quand il est constaté que des activités se poursuivent sans autorisation ." L'exercice des poursuites relève du ministère public qui doit compter, pour être informé, sur les contrôles des médecins inspecteurs et l'on retrouve ici les faiblesses du dispositif que nous venons d'évoquer.

Les sanctions édictées par le législateur nécessitent, pour être crédibles, un renforcement des moyens d'inspection et de contrôle permettant la constatation des infractions

DEUXIÈME PARTIE : DON ET UTILISATION DES ÉLÉMENTS ET PRODUITS DU CORPS HUMAIN

I. - LES OBJECTIFS VISÉS PAR LE LÉGISLATEUR DE 1994

1. Soumettre la transplantation à un encadrement juridique restaurant le climat de confiance indispensable à son développement

Au moment ou s'élaborent les lois dites de bioéthique, le législateur se trouve placé devant une situation paradoxale, caractérisée par l'émergence de deux phénomènes contradictoires. D'un côté, l'efficacité thérapeutique des greffes n'a cessé de s'affirmer grâce aux progrès des techniques et des traitements immunosuppresseurs. La transplantation a connu, de ce fait, un essor spectaculaire, passant de 685 greffes d'organes en 1980 à 3 512 en 1990. De l'autre, la poursuite de cette progression s'est trouvée freinée dans les années qui suivent par la raréfaction des greffons disponibles : de 1990 à 1994, les prélèvements régressent de 30 % pour les cornées et de 20 % pour les organes.

Les origines de cette situation ont été identifiées mais il convient d'y revenir rapidement pour éclairer la démarche du législateur. Les causes structurelles (insuffisances de la législation en vigueur) ont été aggravées par des facteurs conjoncturels.

1.1. Une législation parcellaire et lacunaire

- Le caractère parcellaire de cette législation résultait de la coexistence de deux textes : la loi Lafay de 1949, qui encadrait le don de cornées, avait posé l'exigence d'une démarche volontaire du donneur alors que la loi Caillavet de 1976 avait institué, pour le don d'organes, la règle du consentement présumé. Jouant sur ce dualisme à l'occasion de pluriprélèvements, certains praticiens avaient ainsi cru pouvoir se dispenser d'un consentement explicite, comme ce fut le cas en 1991 dans l'affaire d'Amiens. Juridiquement condamnables, ces pratiques avaient débouché sur des procès générateurs dans l'opinion d'un malaise que les hésitations des pouvoirs publics n'ont pas contribué à dissiper.

- Quant aux lacunes , elles tenaient à l'imprécision de la loi Caillavet dont le champ d'application, limité aux organes dans l'intention primitive de ses auteurs, avait pu être considéré comme s'étendant aux tissus et cellules puisque le texte ne visait que les " prélèvements " sans autre précision. Cette applicabilité incertaine laissait en fait le champ libre à des pratiques non encadrées telles que le prélèvement de tissus sur cadavres dans les dépôts mortuaires. De plus, la loi n'avait pas fixé le mode d'expression des refus, omission ultérieurement réparée par voie réglementaire. Enfin, les établissements assurant la transformation, la conservation et la distribution de tissus d'origine humaine n'étaient assujettis à aucune autorisation ni même à aucune obligation de déclaration et s'étaient, de ce fait, multipliés, souvent dans une grande confusion, parfois pour leur plus grand profit.

1.2. Une conjoncture défavorable

Les ambiguïtés d'une législation dont la portée était grevée de quelques imprécisions ont pu favoriser le développement dans l'opinion d'un sentiment de scepticisme sur les finalités réelles du don d'organes, voire d'une suspicion touchant les pratiques illicites qui pourraient entourer une activité médicale dont l'intérêt thérapeutique n'était pourtant pas contestable. Ce climat psychologique défavorable fut encore aggravé par le drame du sang contaminé, qui accrédita la prévalence des considérations économiques sur les impératifs de santé publique.

La loi n° 654, qui s'appuie sur les principes généraux inscrits dans le Code civil par la loi n° 653 et régit désormais l'ensemble des activités ayant recours à des éléments ou des produits du corps humain, a donc eu pour objet, par la mise en place d'un encadrement juridique approprié, de restaurer entre les praticiens de la transplantation et le corps social la relation de confiance sans laquelle les actions de promotion seraient impuissantes à mettre en jeu les mécanismes de solidarité. Selon la formule lapidaire de M. Christian BYK, " il fallait empêcher que les transplanteurs d'aujourd'hui soient associés aux voleurs de cadavres d'hier " .

A l'appui de cet objectif général, quatre objectifs particuliers devraient être atteints grâce à la nouvelle législation de la transplantation :

o mettre les activités de prélèvement et de greffe à l'abri des dérives mercantiles ;

o faciliter l'expression d'un consentement libre et éclairé des donneurs ;

o organiser les activités de transplantation sur des bases objectives garantissant, autant que faire se peut, l'égalité des receveurs ;

o assurer la sécurité sanitaire de ces activités.

2. Mettre les activités de prélèvement et de transplantation à l'abri des pratiques mercantiles

La tension croissante entre la demande et l'offre de greffons alimente précisément ce risque de mercantilisme. La loi n° 653 a inscrit dans l'article 16-1 du Code civil le principe de non-patrimonialité du corps humain, de ses éléments et de ses produits. Comme l'avait souligné, dans son rapport, le professeur MATTEI, la défense de ce principe " constitue l'un des aspects modernes de la mission civilisatrice de la France. Elle tente, par suite, de faire triompher cette idée contre le mercantilisme de la société industrielle. Il n'est pas dans la tradition française de considérer les parties du corps comme une marchandise. "

Il revenait à la loi n° 654 de donner, dans le Code de la santé publique, une traduction concrète à ce principe.

On rappellera ci-après l'essentiel de ces dispositions :

o l'interdiction de toute rétribution des donneurs, qui ne peuvent obtenir, le cas échéant, que le remboursement des frais engagés ;

o la limitation du don d'organes entre vifs, contrairement aux règles plus libérales qui prévalaient dans la législation antérieure, à un cercle familial étroit (parents, enfants, frère ou soeur, conjoint en cas d'urgence), la seule exception à cette exigence d'apparentement concernant la moelle osseuse sauf en cas de don entre mineurs ;

o l'interdiction de la publicité en faveur du don d'éléments ou de produits du corps humain au profit d'une personne ou d'un établissement déterminé, cette interdiction ne faisant pas obstacle à une information du public en faveur du don, réalisée sous la responsabilité exclusive du ministre chargé de la Santé ;

o le monopole attribué aux établissements publics de santé et aux organismes à but non lucratif pour l'exercice des activités de conservation et utilisation des tissus et cellules du corps humain ;

o l'anonymat applicable au prélèvement provenant d'une personne décédée, cette disposition visant, entre autres finalités, à contrecarrer l'établissement de relations pécuniaires entre les proches du donneur et le receveur ;

o l'interdiction de toute rémunération à l'acte pour les praticiens effectuant des prélèvements ou des greffes d'organes.

3. Favoriser l'expression par les donneurs d'un consentement libre et éclairé

Il n'y a pas eu ici rupture avec la législation antérieure mais volonté de mettre en place des règles plus contraignantes permettant de respecter la volonté des donneurs et d'en faciliter l'expression. Le problème ne se posait évidemment pas dans les mêmes termes pour les prélèvements in vivo et les dons post mortem qui sont, il faut le rappeler, à l'origine de 95 % des transplantations.

1) S'agissant du donneur vivant , l'exigence d'un consentement écrit devant le juge a été imposée quelle que soit la nature (régénérable ou non régénérable) de l'organe, et l'obligation d'une information préalable a été inscrite dans la loi.

2) S'agissant des prélèvements post mortem , le législateur n'a pas voulu, par pragmatisme, remettre en cause la présomption du consentement mais il en a limité les aspects les plus controversés en restreignant, d'une part, le champ d'application de la présomption et en élargissant, d'autre part, les modalités d'opposition.

- La présomption a été écartée dans deux situations :

o le prélèvement a une finalité exclusivement scientifique (hors investigation sur les causes du décès). Le défunt doit alors y avoir préalablement consenti, soit expressément, soit par le recueil du témoignage favorable de la famille. S'il était mineur, le consentement est exprimé par l'un des titulaires de l'autorité parentale ;

o le prélèvement en vue d'un don sur une personne décédée mineure ou incapable majeure nécessite désormais le consentement écrit et exprès de chacun des titulaires de l'autorité parentale.

- Les modalités d'expression du refus ont été facilitées : sans dire explicitement, comme la loi antérieure, que le refus peut être exprimé par tout moyen, le texte de 1994 a institué, pour en faciliter la connaissance, un registre automatisé sur lequel le refus peut être exprimé. Comme le soulignaient les travaux préparatoires, l'efficacité de ce registre dépend, dans une large mesure, non seulement de ses moyens techniques d'accès et de fonctionnement, mais surtout de l'information de la population qu'il incombe au Gouvernement d'organiser.

Par ailleurs, un rôle éminent demeure dévolu à la famille, dont le médecin doit s'efforcer de recueillir le témoignage lorsqu'il n'a pas eu directement connaissance de la volonté du défunt.

4. Organiser les activités de prélèvement et de transplantation sur des bases rationnelles et objectives garantissant, notamment, l'égalité d'accès au don des receveurs

La loi de 1994 s'appuie pour ce faire, en les complétant, sur des dispositions édictées par des textes antérieurs.

- L'établissement français des greffes, créé par la loi du 18 janvier 1994 pour mettre fin aux dysfonctionnements constatés notamment par un rapport de l'IGAS de 1992, succède, avec des moyens renforcés, à l'association France-Transplant. Il doit soumettre à homologation ministérielle les règles de répartition et d'attribution des greffons. Il est chargé de la gestion d'une liste nationale des patients en attente de greffe et de l'attribution des greffons disponibles aux personnes inscrites sur cette liste. A ce titre, il doit organiser une répartition rationnelle et arbitrer, non seulement entre les malades en attente de greffe, mais aussi entre les équipes médicales en concurrence pour développer l'activité de transplantation dans leurs services hospitaliers.

- Le régime d'autorisation des établissements a été organisé en fonction de deux objectifs :

o favoriser les prélèvements d'organes en en permettant la pratique dans tout établissement de santé, public ou privé, même à but lucratif ;

o consacrer le principe d'une planification sanitaire des transplantations d'organes en les soumettant au régime de droit commun mis en place par la loi hospitalière de 1991. Mais, afin d'éviter une spécialisation excessive, seuls des établissements autorisés à effectuer des prélèvements peuvent être autorisés à pratiquer des transplantations.

5. Garantir la sécurité sanitaire des transplantations

Le drame de la contamination des produits sanguins par le virus du Sida et, plus récemment, le développement de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez des enfants ayant subi un traitement à base d'hormones de croissance d'origine humaine illustrent l'importance des règles de sécurité sanitaire qui doivent s'imposer dans l'usage de produits d'origine humaine.

En ce domaine, le législateur de 1994 a posé des règles (tests de dépistage, vigilance) dont les modalités d'application devaient être précisées par décret. S'agissant des prélèvements de tissus ou cellules post mortem, il n'a pas cru devoir les interdire en dépit des risques de contamination difficiles à prévenir mais a confié, là encore, au pouvoir réglementaire le soin de fixer les situations médicales où ils pourraient être autorisés.

Complémentairement, la loi du 28 mai 1996 a renforcé les dispositions introduites en 1994 dans le Code de la santé publique en permettant, par arrêté, au ministre chargé de la Santé de restreindre, suspendre ou interdire la transformation, l'exportation, la cession ou l'utilisation d'un élément ou produit du corps humain.

II. - SITUATION GÉNÉRALE DE LA TRANSPLANTATION : DONNÉES STATISTIQUES

Les données analysées ci-après sont extraites du rapport 1997 du Conseil médical et scientifique de l'Etablissement français des greffes.

1. Greffes d'organes

Tableau 1 : Evolution des prélèvements

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Sujets en état de mort encéphalique

1 575

1 622

1 562

1 606

1 602

1 667

Sujets prélevés

960

978

876

889

889

881

%

60,9

60,2

56

55,3

55,4

55,4

Tableau 2 : Evolution de l'opposition au prélèvement chez les sujets en état de mort encéphalique recensés, chez lesquels aucun obstacle médical ou logistique n'a été observé

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Sujets en état de mort encéphalique

1 575

1 622

1 562

1 606

1 602

1 677

Opposition

381

412

451

484

479

525

%

28,4

29,6

34

35,2

35

37

Tableau 3 : Evolution des différents modes d'opposition (en %)

1993

1994

1995

1996

1997

Entourage

77,1

74,5

71,4

74,5

69,9

Défunt

19,2

22,3

24,6

21,5

27,6

Procureur

3,7

3,2

4,0

4,0

2,5

Observations :

o Le nombre de personnes en état de mort encéphalique  déclarées reste stable puisqu'il fluctue depuis cinq ans dans une fourchette de 4 %. Il représente 0,84 % des décès survenus dans les établissements publics de santé.

o Après un fléchissement sensible de 1992 à 1994, le pourcentage de sujets prélevés s'est stabilisé aux alentours de 55 % (tableau 1).

o Après une forte progression de 1991 à 1995 (de 15,7 à 35,2 %), le pourcentage des oppositions s'est également stabilisé : il touche un peu plus du tiers des sujets pour lesquels il n'existe aucun obstacle médical ou logistique au prélèvement (tableau 2). Dans les trois-quarts des cas, cette opposition émane de la famille (tableau 3). Il sera intéressant d'observer les incidences que pourra avoir sur ce point la mise en place du registre national des refus.

o Le taux moyen de prélèvement est actuellement de 15 par million d'habitants. Seules deux inter-régions (Ouest et Centre-Est-La Réunion) s'approchent des 20 prélèvements par million, objectif que l'EFG se fixe pour l'an 2000 et qu'il estime globalement satisfaisant pour répondre aux besoins des patients en attente de transplantation. La création ou le renforcement de réseaux de prélèvement au niveau inter-régional devrait rendre possible, selon l'EFG, le développement de l'activité de prélèvement au niveau de nombreux centres hospitaliers.

Tableau 4 : Nombre de patients inscrits en attente de greffes d'organes au 31 décembre de chaque année

1993

1994

1995

1996

1997

Coeur

391

353

282

259

245

Coeur-poumons

79

74

79

79

72

Poumons

120

128

106

99

112

Foie

371

336

304

238

239

Reins

4 475

4 434

4 059

4 112

4 401

Pancréas

64

77

89

107

126

TOTAL

5 500

5 402

4 919

4 894

5 195

Tableau 5 : Evolution du nombre de nouveaux patients inscrits chaque année en attente d'une greffe

1993

1994

1995

1996

1997

Coeur

704

594

582

550

515

Coeur-poumons

102

82

60

69

520

Poumons

199

153

131

129

120

Foie

888

801

852

751

772

Reins

2 423

2 105

2 231

2 282

2 276

Pancréas

62

69

100

77

98

TOTAL

4 383

3 804

3 956

3 858

3 833

Tableau 6 : Durée d'attente moyenne (en mois) en fonction du groupe sanguin des patients de moins de 16 ans inscrits à partir du 1er janvier 1992

Coeur

Coeur-poumons

Poumons

Foie

Reins

10,7

(9,9 - 11,5)

22,0

(19,4 - 24,6)

15,0

(13,6 - 16,4)

7,4

(6,9 - 7,9)

26,3

(25,8 - 26,8)

Observations :

L'évolution est globalement positive mais recouvre des situations inégales. La nette diminution des attentes de coeur et de foie contraste, en effet, avec le grave déficit du programme de transplantation rénale reflété par des durées d'attente deux à trois fois supérieures à celles qui sont constatées pour les autres types de greffes. Il faut toutefois noter qu'il existe, pour les greffes de rein, des moyens de suppléance tels que la dialyse. La plus ou moins grande rareté du groupe sanguin auquel appartient le receveur influe évidemment sur la durée d'attente.

Tableau 7 : Evolution du nombre de greffes pratiquées selon le type d'organe

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Coeur

632

559

526

429

408

397

366

Coeur-poumons

72

59

45

36

22

27

25

Poumons

122

110

113

95

81

69

65

Foie

697

673

662

646

646

626

620

Reins

1 972

1 749

1 781

1 644

1 644

1 638

1 690

Pancréas

77

70

53

55

55

48

63

Tableau 8 : Taux de survie après transplantation en % (période de greffe : 1992-1996)

Survie à 1 an

Survie à 3 ans

Survie à 5 ans

Coeur

72,9

67,4

Coeur-poumons

50,85

37,36

29,78

Poumons

55,53

39,42

28,49

Foie

76,7

71,5

Reins

96,2

93,8

Observations :

Stable pour les greffes hépatiques et rénales, le nombre des transplantations est en régression pour les greffes cardiaques, cardio-pulmonaires et pulmonaires (tableau 7). L'activité de transplantation pulmonaire représente 1,2 greffe par million d'habitants, chiffre nettement inférieur à l'activité des pays du nord de l'Europe (1,7/million pour la zone Eurotransplant, 2,6 pour les pays scandinaves, 2,7 pour la Grande-Bretagne). Selon l'EFG, " la modification des indications, la diminution du nombre des greffons de bonne qualité et l'apparition de problèmes logistiques au niveau de plusieurs équipes de greffe sont les explications habituellement avancées pour expliquer la persistance du faible nombre de ces types de greffes. " Il serait intéressant de connaître la part respective de ces différents facteurs. Il faut, d'autre part, souligner la situation spécifique de la greffe de reins où le taux de survie du greffon, d'une part, et du receveur, d'autre part, doivent être nettement dissociés en raison des ressources offertes par la dialyse.

Tableau 9 : Pourcentage de greffons provenant de donneurs vivants apparentés (DVA)

1994

1995

1996

1997

Total

621

646

626

620

Foie

DVA

5

10

11

19

%

0,8

1,54

1,75

3,03

Total

1 627

1 644

1 638

1 690

Reins

DVA

66

66

57

71

%

4,05

4,01

3,4

4,2

Observations :

Le pourcentage de greffons prélevés sur donneurs vivants apparentés, en légère progression pour les greffes hépatiques, reste stable pour les greffes rénales (autour de 4 %), ce qui représente 1 transplantation par million d'habitants. A titre de comparaison, ce rapport est de 6,1 pour la Suisse, 9,1 pour la Scandinavie et 13,3 pour les Etats-Unis.

2. Greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH)

On s'en tiendra ici aux données relatives aux greffes allogéniques tout en soulignant qu'elles ne représentent que le quart de l'activité de transplantation dans ce domaine : en 1996, sur un total de 3 042 malades, 2 379 ont bénéficié d'injections de cellules souches autologues et 663 ont reçu 685 allogreffes réalisées dans 35 centres.

Tableau 1 : Evolution du nombre d'allogreffes de CSH

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

Total

540

617

593

604

628

685

710

dont donneurs
non apparentés

52

60

89

110

130

134

156

%

9,6

9,7

15

18,2

20,9

18,7

22,2

Tableau 2 : Registre des patients en attente d'allogreffe non apparentée de CSH

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Inscriptions maintenues en cours d'année

152

173

221

196

242

221

Annulations d'inscription en cours d'année

325

316

301

355

265

278

Observations :

Plus de 20 % des allogreffes ont pu, en 1997, être réalisées en utilisant des donneurs non apparentés (tableau 1). Ceci confirme l'efficacité des fichiers de donneurs volontaires (4 millions dans le monde, 85 000 en France). 71 des 134 greffes réalisées en 1996 proviennent de donneurs des fichiers internationaux.

S'agissant de la liste d'attente, comme l'a souligné le professeur Jean-Pierre JOUET, cette notion est plus floue en matière de CSH qu'en matière de greffe d'organes " solides ". En effet, en théorie du moins, tout patient présentant une maladie maligne sensible à la chimiothérapie est susceptible, in fine, de bénéficier un jour d'une greffe de CSH. Il faudrait donc, en respectant la loi, inscrire un grand nombre de patients souffrant de maladies hématologiques et de tumeurs solides. En tout état de cause, la liste d'attente ne se justifie que pour les patients qui n'ont pas un donneur familial HLA identique et pour lesquels il faut donc s'assurer de l'égalité des chances.

Quant à l'origine des cellules injectées, elle se répartit comme suit en 1997 :

o moelle osseuse82,2 %

o sang périphérique14,4 %

o sang placentaire 2,9 %

o moelle osseuse + sang périphérique 0,5 %

L'importance croissante jouée par les prélèvements de cellules provenant du sang périphérique se confirme. Ce type de prélèvement nécessite l'administration préalable au donneur de facteurs de croissance, technique qui revêt encore un caractère expérimental.

3. Prélèvements et greffes de tissus

3.1. Cornées

Evolution des activités de prélèvement, d'importation et de greffe

entre 1991 et 1996

Prélèvement

Importation

Greffe

1991

3 774

221

3 843

1992

2 688

318

2 799

1993

2 383

350

2 607

1994

2 943

429

2 741

1995

3 073

365

2 678

1996

3 279

364

2 903

1997

3 591

764

3 210

Observations :

L'allogreffe de cornée, après une chute en 1992 et en 1993, suivie d'une certaine stabilité, est en augmentation depuis 1996. Le nombre de cornées prélevées est également en nette progression par rapport aux années 1992 et 1993. L'ensemble de ces activités est essentiellement concentré dans les établissements publics (94 % pour les prélèvements, 83 % pour les greffes). L'importation a fortement augmenté en 1997 ; elle est essentiellement le fait d'établissements privés (pour 92 %) qui n'ont sans doute accès ni au site de prélèvement ni au site de conservation.

L'activité de prélèvement et les importations ne permettent pas de faire face aux besoins actuels, et ce d'autant que l'exigence de critères de qualité fait écarter de la greffe un pourcentage non négligeable de prélèvements (26 % en 1995, 22 % en 1996, 32 % en 1997). L'estimation du nombre de patients en attente rapporté par les praticiens est de 8 303 en 1997. L'objectif de l'EFG est de ne plus avoir aucun patient en attente plus de quelques semaines d'ici l'an 2000.

3.2. Tissus

Volume d'activité de conservation de tissus humains

(nombre ou surface de greffons) en 1996 et 1997

1996

1997

prélevés

cédés

prélevés

importés

éliminés

cédés

conservés*

Cornées

2 650

1 835

3 196

89

954

2 189

96

Os massifs

330

220

254

9

33

162

266

Têtes fémorales

6 835

4 551

7 275

82

2 039

5 590

2 526

Tendons

9

10

17

2

0

9

28

Fascia

0

0

1

0

0

0

1

Osselets

22

10

2

0

0

0

2

Peau (cm²)

241 366

217 637

204 871

0

8 551

166 780

70 789

Valves cardiaques

647

188

598

0

276

268

393

Artères

463

220

495

22

140

362

494

Veines

4 792

560

3 144

0

2 355

559

232

* calcul au 31/12/1997

Observations :

Les têtes fémorales dominent nettement, du point de vue quantitatif, l'activité de prélèvement, de conservation et de greffe tissulaire. Les centres des établissements de santé sont plus souvent engagés dans la conservation d'un seul type de tissu, comparativement aux établissements de transfusion sanguine qui conservent souvent plusieurs types de tissus et prennent en charge une part importante de la conservation des artères, de la peau et des valves cardiaques. Les établissements de santé publics sont surtout engagés dans la conservation des cornées et des tissus osseux. Les centres de conservation privés sont engagés dans la conservation d'un seul type de tissus avec un volume d'activité important (têtes fémorales et veines).

III. - LES PRÉLÈVEMENTS SUR DONNEUR VIVANT

1. La loi et la pratique

1.1. Un droit marqué par une orientation restrictive

Rompant, pour les motifs précédemment évoqués, avec le libéralisme relatif du droit antérieur, le législateur de 1994 a conféré au don entre vifs un caractère subsidiaire par rapport à la transplantation avec donneur cadavérique. Ce principe de subsidiarité n'est pas expressément inscrit dans les textes à la différence de la Convention européenne sur les droits de l'homme et la bioéthique qui n'admet, en son article 19, le prélèvement sur donneur vivant que si " l'on ne dispose pas d'organe approprié d'une personne décédée ni de méthode thérapeutique alternative d'efficacité comparable " . Mais il faut noter que cette convention n'impose pas un apparentement entre donneur et receveur ni un intérêt thérapeutique direct. Dans la loi française, en revanche, la subsidiarité se déduit des limites très strictes assignées à la transplantation avec donneur vivant.

o Les catégories de sujets susceptibles de faire don d'un organe sont définies par la nature des liens de parenté qui les unissent au receveur. " L'apparentement génétique constitue ainsi le critère de référence pour autoriser le don d'organes entre vifs " (Dominique THOUVENIN). Il n'est que très secondairement tempéré par le critère affectif qui permet le don entre époux, en cas d'urgence seulement.

o La famille prise en considération est la famille " légitime ", à l'exclusion des concubins et des frères et soeurs consanguins et utérins.

o Aucun prélèvement n'est autorisé sur les sujets majeurs protégés ni sur les mineurs, réserve faite, pour ces derniers, du don de moelle osseuse entre frères et soeurs. Sur ce point, la loi française a rejoint ou précédé divers textes européens et internationaux relatifs aux transplantations d'organes humaines (résolution du 11 mai 1978 du Conseil de l'Europe, principes directeurs adoptés en 1991 par l'Organisation mondiale de la santé, Convention européenne sur les droits de l'homme et la bioéthique de novembre 1996).

Ainsi la loi s'est-elle efforcée, par un encadrement très strict, de concilier des intérêts contradictoires (prélèvement mutilant pour le donneur, intérêt thérapeutique pour le receveur).

1.2. Une pratique très limitée qui correspond à la volonté du législateur

Déjà peu usitée sous l'empire de la loi Caillavet, pourtant plus libérale, la greffe d'organes avec donneur vivant occupe aujourd'hui une place marginale dans l'activité générale de transplantation. La situation française contraste avec celle qui peut être observée dans plusieurs pays européens.

1.2.1. La situation en France

Comme le font apparaître les statistiques présentées dans le tableau général de la transplantation, la greffe avec donneur vivant représente moins de 4 % de la transplantation rénale et moins de 2 % de la transplantation hépatique.

Une grande disparité se manifeste d'un centre à l'autre : parmi les 39 unités de transplantation rénale répertoriées dans le rapport annuel de l'Etablissement français des greffes, 12 n'ont réalisé aucune transplantation rénale avec donneur vivant au cours des cinq dernières années et, parmi les 27 autres équipes, le pourcentage de ce type de greffe varie de 1 à 20 %.

Les données statistiques relatives aux liens de parenté révèlent que le groupe des donneurs vivants est constitué pour 53 % des parents, pour 43 % des frères et soeurs et pour 2 % des conjoints. Les parents représentent 90 % des donneurs pour les receveurs de moins de 20 ans et 15 % pour ceux de 20 à 40 ans. La fratrie constitue 10 % des donneurs pour les moins de 20 ans, 80 % pour ceux de 20 à 40 ans et 90 % pour ceux de plus de 40 ans, tranche d'âge pour laquelle 9 % des donneurs sont des conjoints.

1.2.2. La situation dans les autres pays européens

Plusieurs données peuvent être soulignées :

o La plus forte proportion de greffes rénales réalisées à partir de donneurs vivants s'observe dans les pays de l'Europe du Nord (Norvège 45 %, Suède 25 %, Danemark et Pays-Bas 15 %), suivis par la Suisse et le Royaume-Uni (entre 7 et 8 %).

o La relation entre le nombre élevé de greffes issues de sujets décédés et le faible nombre de transplantations rénales à partir de donneurs vivants n'est constatée qu'en Espagne et en Autriche. Partout ailleurs, aucune corrélation n'existe entre ces deux types de données comme le fait apparaître le tableau ci-dessous.

Nombre de prélèvements rénaux par million d'habitants

Donneurs vivants

Donneurs cadavériques

Norvège

16

26

Suède

14

24

Danemark

9

22

Suisse

8

26

Pays-Bas

6

27

Allemagne

4

23

Grande-Bretagne

3

26

France

1

27

2. Adaptations et modifications envisageables

Au fil des auditions, il est apparu que diverses retouches pourraient être apportées au régime juridique des transplantations avec donneur vivant :

o Il s'avère nécessaire d'adapter la loi à l'évolution des techniques qui n'avait pu être prise en compte au moment de son élaboration (greffes en domino, prélèvement de cellules souches hématopoïétiques).

o Il peut être souhaitable de remédier à certaines imperfections ou omissions qui créent des difficultés pratiques ou compromettent le respect du principe du consentement (régime des tissus et des résidus opératoires, organisation des prélèvements sur mineurs).

o En fonction de données médicales, psychologiques et sociales, il serait concevable, comme le préconisent diverses instances, d'élargir les catégories de donneurs sans remettre en cause le caractère subsidiaire du prélèvement sur donneur vivant.

Préalablement, et afin d'éclairer le débat, il n'est pas inutile de donner quelques indications sur l'état des pratiques et les progrès techniques dont elles ont pu bénéficier au cours de ces dernières années.

2.1. Les évolutions et progrès techniques dans le domaine de la transplantation avec donneur vivant

2.1.1. La transplantation rénale : une pratique maîtrisée et couronnée de succès

- Les résultats des greffes avec donneur vivant réalisées en France de 1985 à 1990 sont globalement meilleurs que ceux des greffes réalisées avec rein de cadavre, que l'on considère :

o la survie actuarielle des greffons qui est, à cinq ans, de 88 % pour des greffons HLA identiques et de 78 % pour des greffons HLA semi-identiques, contre 68 % pour des greffons cadavériques ;

o la survie des patients qui est, à cinq ans, voisine de 100 % pour les transplantations avec donneur vivant HLA identique ou non et de 85 % environ pour les greffes avec donneur cadavérique.

Fait important, des études récentes menées aux Etats-Unis font apparaître que des transplantations avec donneurs vivants génétiquement non apparentés fournissent des résultats supérieurs de plus de 20 % à ceux obtenus avec rein de cadavre, résultats qui démontrent que la qualité du greffon joue, dans la réussite de la greffe, un rôle prééminent par rapport à la compatibilité HLA.

- Le devenir à court et à long terme du donneur se caractérise par :

o un risque vital très faible, de l'ordre de 0,03 %, d'après des travaux réalisés aux Etats-Unis ;

o de rares complications nécessitant des soins intensifs (0,23 %) ;

o une espérance de vie et un pourcentage d'insuffisance rénale, d'hypertension artérielle et d'albuminurie équivalents dans une population de sujets uninéphrectomisés et dans la population générale, avec un recul de 45 ans.

2.1.2. La transplantation hépatique : une pratique récente et peu développée

Le premier succès a été publié en Australie en juillet 1989 et la pratique française n'a débuté qu'en 1992. Sur 90 centres européens de greffe hépatique, on ne dénombre que 11 centres ayant pratiqué au moins une transmission hépatique avec donneur vivant de décembre 1988 à février 1996.

A la différence des transplantations rénales, la technique de greffe de foie à partir d'un donneur vivant concerne, pour l'heure, quasi exclusivement les enfants pour des raisons de plus grande facilité du don parental, d'une part (plus de 90 % des donneurs sont des pères ou mères), de difficulté à prélever chez un vivant la grande masse de parenchyme hépatique nécessaire à un adulte, d'autre part.

Le prélèvement s'opère le plus souvent par lobectomie gauche (80 % des cas), subsidiairement par hépatectomie gauche (15 % des cas).

Pour le donneur, la mortalité est de 0,2 %, la morbidité de 12 %. On ne dispose pas, pour l'instant, d'informations sur d'éventuelles complications à long terme mais il semble que le risque d'insuffisance hépatique à distance soit réduit en raison de la capacité rapide de régénération du foie.

Pour le receveur, la comparaison des résultats avec ceux de la transplantation à partir de greffons cadavériques chez des receveurs comparables montre un taux de survie globale à un an un peu plus favorable. Ce type de prélèvement garantit par ailleurs des greffons de meilleure qualité et assurés d'une meilleure survie.

2.1.3. La transplantation pulmonaire : une pratique encore inusitée en France

Inaugurée aux Etats-Unis en 1990, la transplantation pulmonaire avec donneur vivant n'a pas encore été tentée en France. Il s'agit d'une greffe lobaire bilatérale, nécessitant des prélèvements sur deux donneurs pour un même receveur. Les résultats publiés par une équipe de Los Angeles concernent, pour la période 1993-1996, 38 transplantations intéressant 27 jeunes adultes (âge moyen : 25 ans) et 10 enfants (âge moyen : 13 ans) atteints, pour la plupart, de mucoviscidose et dont l'espérance de survie estimée est inférieure à quelques mois. 73 % des donneurs ont des liens familiaux.

Les résultats constatés sont équivalents à ceux de la transplantation pulmonaire dans son ensemble (survie actuarielle estimée, d'après le registre international, à 70 % à 1 an, 57 % à 3 ans, 45 % à 5 ans). " Les progrès espérés en transplantation pulmonaire, en rapport avec les nouveaux protocoles immunosuppresseurs et avec l'avantage apporté, en transplantation avec donneur vivant, par un meilleur appariement HLA entre donneur et receveur, devraient modifier le rapport risque sur bénéfice actuel et plaider ainsi en faveur du prélèvement chez les donneurs vivants. Cette option d'avenir pourrait être proposée comme une alternative intéressante à la transplantation pulmonaire cadavérique, en dehors des climats d'urgence, et de façon programmée. "

2.1.4. La transplantation cardiaque en domino

" Le principe de la transplantation cardiaque en domino consiste à récupérer le coeur sain d'un patient bénéficiant, pour une indication pulmonaire, d'une greffe cardio-pulmonaire avec donneur cadavérique, puis à greffer ce coeur sur un autre patient en attente de transplantation cardiaque. " Son principal champ d'application est la mucoviscidose. Le pronostic fonctionnel respiratoire et le pronostic vital des patients étant engagés très tôt, une greffe à un âge très jeune est nécessaire alors que leur coeur est encore parfaitement sain. La réussite de la transplantation pulmonaire exige par ailleurs des greffons d'excellente qualité et c'est la transplantation cardio-pulmonaire qui offre le plus de sécurité, pour des raisons infectieuses et de cicatrisation.

La technique du domino s'est développée en Europe depuis 1988 et la pratique en est encore réduite (92 transplantations en Grande-Bretagne de 1988 à 1994, 9 en France de 1992 à 1996). Elle est en infraction, dans leur lettre sinon dans leur esprit, avec les règles juridiques relatives à l'apparentement des donneurs et des receveurs, mais elle pose surtout problème, comme on le verra plus loin, pour l'application du principe du consentement .

Elle présente l'avantage de fournir un organe d'excellente qualité, contrairement aux greffons d'origine cadavérique qui ont subi les dommages de la décérébration, et de permettre des investigations complémentaires avant le prélèvement (bilan sérologique, typage HLA).

2.1.5. Les greffes de cellules souches hématopoïétiques (CSH) : les nouveaux types de prélèvement

Les greffes allogéniques de cellules souches hématopoïétiques, destinées au traitement de maladies hématologiques, étaient, jusqu'à une date récente, pratiquées à partir de prélèvements de moelle osseuse opérés, sous anesthésie générale, sur un donneur apparenté ou non apparenté (ce dernier cas représentant 21 % des allogreffes en 1996).

L'évolution des techniques a permis, postérieurement à l'adoption de la loi de 1994, de mettre en oeuvre deux nouveaux types de prélèvement.

o Le prélèvement de CSH à partir du sang périphérique nécessite l'administration préalable au donneur d'un facteur de croissance permettant la mobilisation des cellules dans le sang. Cette méthode présente, pour le receveur, l'avantage d'obtenir un plus grand nombre de CSH qu'avec un prélèvement de moelle, d'autoriser des manipulations du greffon et de provoquer une sortie d'aplasie plus rapide.

Pour le donneur, l'intérêt est celui d'un plus grand confort de prélèvement, sans anesthésie générale. Les conséquences et inconvénients sont ceux de l'injection d'un facteur de croissance responsable d'anomalies hématologiques transitoires (hyperleucocytose). " Le risque oncogène à long terme, très théorique, est certainement minimum voire négligeable en regard du risque de l'anesthésie générale évitée. "

Ce type de prélèvement, en progression constante, a alimenté 16 % des greffes de CSH en 1996.

o Les prélèvements opérés dans le sang placentaire , au moment de la naissance de l'enfant, permettent de créer moins de réactions immunitaires que les greffes de CSH médullaires ou sanguines. Mais le faible nombre de cellules recueillies réserve ce type de prélèvement à de très jeunes donneurs. Des banques de sang placentaire sont en voie de constitution, sous la double responsabilité de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes. En 1996, 1,5 % des greffes ont été pratiquées à partir de sang placentaire.

Ce bref panorama permet de formuler un certain nombre de constatations :

o Les progrès médicaux permettent aujourd'hui d'élargir les indications de transplantation à partir de donneur vivant à la greffe de foie, de poumon, voire de pancréas, mais, en dehors des greffes rénales, les résultats des autres transplantations sont encore grevés d'une manière générale d'un lourd taux d'échec.

o La qualité du greffon, supérieur en cas de prélèvement sur donneur vivant, constitue, pour la transplantation rénale, un facteur de succès plus déterminant que l'apparentement génétique.

o Certaines techniques de prélèvement développées depuis 1994 échappent, de facto, à l'encadrement juridique instauré par la loi.

2.2. L'origine du don : l'opportunité d'un élargissement des catégories de donneurs

2.2.1. Pour quels motifs ?

Le régime juridique instauré par la loi de 1994 se fonde principalement sur la proximité biologique : la limitation de la qualité de donneurs aux membres de la cellule familiale stricto sensu est justifiée en théorie par la plus grande compatibilité tissulaire existant entre ces individus génétiquement apparentés et par les plus grandes chances de succès de la greffe qui en découlent. Cependant, ce critère de l'apparentement biologique n'est pas appliqué dans toute sa rigueur puisque se trouvent exclus du don les frères et soeurs consanguins et utérins et que s'y trouvent en revanche inclus les enfants issus d'une adoption plénière. Il est par ailleurs tempéré, de façon limitée, par un critère affectif qui étend le don aux époux sous condition d'urgence.

Plusieurs arguments sont aujourd'hui invoqués pour élargir quelque peu le cercle des donneurs :

- En premier lieu, les travaux récemment menés aux Etats-Unis en matière de transplantation -et dont on a fait état précédemment- ont établi que l'histocompatibilité n'avait pas l'importance qu'on lui a longtemps attribuée dans la réussite de la greffe, ce qui rend médicalement possible un don d'organe par n'importe quel membre de la fratrie, ainsi que par des membres plus éloignés, voire par des sujets non apparentés.

- La limitation aux frères et soeurs du receveur en cas de prélèvement de moelle apparaît excessivement restrictive sachant qu'un cousin germain peut parfois être le seul donneur HLA identique pour un patient donné .

- La limitation des donneurs non apparentés aux époux et en cas d'urgence seulement a également été critiquée.

o La notion d'urgence est médicalement floue et n'est pas, en tout état de cause, applicable à la greffe de rein ; elle est susceptible d'une interprétation extensive si l'on prend en compte l'urgence " psychologique ". Au total, elle conduit à une pratique gouvernée par l'ambiguïté. " En effet, le concept d'urgence n'a pas d'existence légale en transplantation rénale et, d'autre part, la situation d'urgence, par nature multiparamétrique et donc subjective, est la situation la plus dangereuse qui soit pour réaliser une transplantation avec donneur vivant. "

o Le critère affectif sur lequel repose le don entre époux ne doit-il pas conduire à admettre les concubins au rang des donneurs ? Le législateur les avait écartés faute de pouvoir définir combien de temps le donneur doit avoir vécu maritalement avec le receveur. Mais il n'avait pas par ailleurs imposé aux époux une durée minimale de vie conjugale pour justifier un don d'organes. On aboutit alors, comme le relève le CCNE, à des situations paradoxales où un conjoint de fraîche date peut être admis au don alors que le compagnon ou la compagne de plusieurs années doit être écarté. On doit enfin noter qu'en d'autres domaines de l'éthique biomédicale, spécialement en matière d'assistance médicale à la procréation, la loi met sur le même plan époux et concubins.

La profession médicale semble majoritairement favorable à un assouplissement mesuré des règles en vigueur. Selon le professeur CHARPENTIER, il convient d'avancer avec prudence sur l'élargissement de la parenté. Certes, le critère de l'histocompatibilité n'a pas la valeur médicale qu'on lui avait conférée mais son objectivité en rend l'application incontestable. Assouplir les conditions du don expose à des pressions familiales qui conduiront à préférer le cousin moins histocompatible mais célibataire au frère chargé de famille .

De même, les professeurs HOUSSIN et DURAND considèrent que, dans la mesure où les greffes entre non-apparentés donnent de bons résultats, il convient de les permettre sur un mode très dérogatoire sans que cet assouplissement puisse avoir pour objectif de pallier les insuffisances des prélèvements post mortem .

2.2.2. Selon quelles modalités ?

- Pour les donneurs apparentés , un consensus semble se dessiner en faveur d'un élargissement, dans le cadre familial, de la catégorie des donneurs au-delà de la parenté du premier degré, même si des divergences se manifestent sur la portée de cet élargissement : grands-parents, oncles et tantes (en particulier en cas d'incompatibilité transfusionnelle empêchant les parents de donner un rein à leurs enfants). Les frères et soeurs consanguins et utérins pourraient être également assimilés aux frères et soeurs majeurs du receveur.

S'agissant des greffes de moelle où l'histocompatibilité demeure une exigence incontournable, l'Académie de médecine relève que des recherches de compatibilité HLA ont été parfois autorisées hors de France chez des cousins germains et ont ainsi parfois permis de pratiquer des greffes de moelle dans des conditions immunologiquement très satisfaisantes. " L'élargissement des recherches de donneurs potentiels apparentés, en particulier sous couvert de typage HLA, devrait donc être prévu dans l'article L 671-3. " Se poserait toutefois ici un problème de compatibilité, juridique cette fois, avec la Convention d'Oviedo qui a repris, sur ce point, les dispositions restrictives de la loi de 1994.

- Pour les donneurs non apparentés , la condition d'urgence imposée aux couples mariés devrait, en tout état de cause, être levée selon l'opinion dominante. Faut-il aller au-delà et, sans procéder à une énumération limitative difficilement envisageable en l'espèce, prendre en considération la notion de personnes " émotionnellement liées " ? Il conviendrait alors de vérifier, comme le souligne le CCNE, l'authenticité et la sincérité du désir de don, l'absence de commercialisation, ainsi que l'absence de pressions abusives sur le donneur .

Le modèle britannique est invoqué à ce propos : l'ULTRA (Unrelated Living Transplant Regulation Authority), constitué de onze membres, médecins et non-médecins, examine tous les cas de transplantation rénale avec donneur vivant non apparenté ; il a accordé 28 fois son autorisation sur 450 demandes déposées de 1991 à 1994.

En France, un système comparable pourrait être mis en place par l'instauration d'une procédure contradictoire où des médecins représentant le donneur entendraient l'équipe médicale de transplantation, la famille et le couple (Pr. CHARPENTIER). Le CCNE envisage la création d'un comité ad hoc dont la composition pourrait s'inspirer des comités d'experts chargés d'évaluer la situation des mineurs proposés comme donneurs dans le cadre des greffes de moelle osseuse. L'essentiel de son intervention serait de protéger le donneur contre toutes formes de pressions. A ce titre, il pourrait être chargé d'entendre tous les donneurs proposés, qu'ils soient apparentés ou non.

2.3. Le consentement au don d'organe

2.3.1. En cas de prélèvement sur une personne majeure et capable

- La qualité de l'information préalable délivrée au donneur est l'une des conditions essentielles d'un consentement libre et éclairé. L'article L 671-3 du Code de la santé publique impose bien cette information du donneur sur les risques qu'il encourt et sur les conséquences éventuelles du prélèvement, mais non sur les résultats escomptés de la greffe.

Cette lacune a été comblée par la voie réglementaire (article R 671-3-1 résultant du décret n° 96-375 du 29 avril 1996) mais il serait sans doute souhaitable que cette exigence figure dans la loi elle-même. L'information pourrait au demeurant être plus complète et porter également, pour les greffes de moelle entre donneurs non apparentés, sur les résultats effectifs du don.

Par ailleurs, il serait judicieux, par analogie avec les dispositions de la loi du 20 décembre 1988 relative aux recherches biomédicales, codifiées à l'article L 209-9 du Code de la Santé publique, de rassembler l'ensemble des informations destinées au donneur dans un document écrit qui faciliterait d'autre part le contrôle du respect, par les informateurs, des prescriptions législatives et réglementaires.

- Quant à l'expression du consentement , la forme solennelle que lui a donnée la loi par l'intervention du président du Tribunal de grande instance, confère au don une dimension symbolique dont l'opportunité est soulignée par les praticiens. Cependant, comme l'observe Mme le professeur THOUVENIN, cette mesure est affectée d'une carence qui réside dans l'absence de pouvoir de contrôle du magistrat quant à ce que représente ce prélèvement pour le donneur du point de vue de son intérêt. Ce magistrat n'a en effet le pouvoir que de s'assurer du respect des règles. Il est écrit de plus, dans le décret d'application, qu'il recueille le consentement, selon un vocabulaire de type médical, et non qu'il le reçoit.

La formalisation des modalités d'information dans un document écrit permettrait sans doute au juge de vérifier que la procédure imposée par les textes a été respectée dans sa lettre. Mais l'appréciation du fond, c'est-à-dire des données proprement médicales, est hors de sa compétence technique et l'on peut se demander s'il ne devrait pas être assisté, sur ce point, d'un expert indépendant.

Enfin, et par analogie là encore avec la loi du 20 décembre 1988 (article L 209-9 du Code de la santé publique), pourquoi ne pas préciser que le donneur, en révoquant son consentement comme il en a, à tout moment, la latitude, ne peut voir, de ce fait, sa responsabilité engagée ?

2.3.2. En cas de prélèvement de moelle sur un mineur

Dans cette hypothèse, l'article L 671-5 impose le consentement de chacun des titulaires de l'autorité parentale ou du représentant légal du mineur exprimé devant le président du Tribunal de grande instance. En cas d'urgence, le consentement est recueilli par tout moyen par le procureur de la République.

Ce type de prélèvement répondant le plus souvent à un besoin urgent, le recours au procureur ne risque-t-il pas de devenir la règle et d'interdire, compte tenu de la brièveté des délais, une intervention crédible du comité d'experts chargé de délivrer l'autorisation ? Ceci conduit le CCNE à préconiser l'établissement d'une liste limitative des urgences par commun accord entre les services greffeurs.

Un certain nombre de problèmes se pose à propos du fonctionnement du comité d'experts qui a pour mission d'autoriser le prélèvement.

- Le comité doit s'assurer que le mineur a été informé du prélèvement envisagé en vue d'exprimer sa volonté, s'il y est apte (article L 671-5). Le décret du 29 avril 1996 pris pour l'application de ces dispositions a précisé qu'il devait procéder à l'audition du mineur s'il est capable de discernement. Faute d'un critère objectif et incontestable, la mise en oeuvre de cette disposition relève d'une appréciation au cas par cas laissée à la discrétion des experts.

- Le comité apprécie la justification médicale de l'opération, les risques qu'elle peut entraîner ainsi que ses conséquences prévisibles sur le plan physique et psychologique (article L 671-6). Cette intervention sur le terrain médical, qui crée un risque de contradiction avec la position des prescripteurs, est critiquée par les praticiens qui souhaitent limiter sur ce point la compétence du comité. Au demeurant, dans la pratique, " le comité ne se substitue pas au service d'hématologie et au service préleveur pour évaluer le bien-fondé de l'indication de la greffe et du prélèvement. Il s'assure que la consultation d'anesthésie pour le donneur a bien eu lieu et qu'elle n'a pas fait apparaître de facteur de risque particulier. Il explique aux parents son rôle et reprend avec eux l'anamnèse et l'histoire récente : annonce du diagnostic, annonce de la nécessité d'une greffe, modalités de décision concernant l'enfant donneur, réactions de l'enfant donneur et des enfants de la fratrie non donneurs. "

- Le comité n'a pas à motiver un refus éventuel d'autorisation du prélèvement. Il s'agit là d'une décision grave qui ne peut se fonder que sur des arguments solidement justifiés. C'est pourquoi une opinion dominante se prononce en faveur de la motivation. Certains, cependant, opinent en sens contraire, eu égard aux pressions familiales qui peuvent s'exercer, compte tenu de l'enjeu, le plus souvent vital, pour le frère ou la soeur malade. L'obligation de motivation conduirait à rendre public le refus du mineur alors que celui-ci doit pouvoir l'exprimer sans se sentir immédiatement soumis à la réprobation de ses parents et de sa famille.

- Le double contrôle (magistrats et comité d'experts) entraîne des lourdeurs administratives génératrices de retards qui peuvent être préjudiciables au transplanté mais l'Académie de médecine, qui en fait l'observation, ne souhaite pas que soit remise en cause la garantie judiciaire " absolument nécessaire ".

2.3.3. Les situations non prévues par la loi

Deux pratiques médicales développées depuis l'adoption de la loi de 1994 (cf. supra) doivent être aujourd'hui prises en considération par le législateur au regard du respect du principe de consentement.

- Les coeurs greffés " en domino " sont, pour l'heure, assimilés aux résidus opératoires ou, pour reprendre les termes de l'article L 672-1, aux " tissus, cellules et produits humains prélevés lors d'interventions chirurgicales et utilisés ultérieurement " qui ne sont soumis à aucun autre consentement que celui exprimé par le patient avant l'intervention elle-même. La circulaire ministérielle qui règle, pour l'instant, ce problème a fondé l'assimilation sur le fait que la greffe en domino ne faisait pas courir de risque supplémentaire au donneur de coeur et ne justifiait donc pas une mesure supplémentaire de protection à son égard.

Quelles que soient les modifications qui pourraient être par ailleurs apportées aux règles touchant les résidus opératoires, il sera nécessaire d'inscrire dans la loi la notion d' " organe subsistant " et de la soumettre aux principes généraux du consentement, compte tenu, notamment, des importantes implications psychologiques que comporte pour le donneur ce type de transplantation.

- Les cellules souches hématopoïétiques peuvent désormais être prélevées directement, comme on l'a indiqué, dans le sang périphérique et le cordon ombilical. La loi n'ayant pu prévoir ce développement scientifique, ces nouveaux types de prélèvement peuvent donc être mis actuellement en oeuvre sans aucun consentement.

Il convient donc d'unifier le régime des cellules souches en les soumettant, soit à celui des cellules, soit à celui des organes. Compte tenu des urgences liées à la pratique des greffes de CSH allogéniques, la préférence de l'Etablissement français des greffes va à cette dernière solution, un cadre juridique spécifique devant cependant être dessiné au sein des organes pour ces catégories de prélèvements. On notera, par ailleurs, l'inadéquation de l'article L 672-5 qui, dans sa forme actuelle, interdit tout prélèvement de cellules sur les mineurs, excluant par là-même le don, par ces derniers, de cellules souches issues du sang périphérique.

Comme l'a observé le professeur VERNANT , le recueil des CSH d'origine sanguine soulève un autre problème lié à l'administration préalable au donneur d'un facteur de croissance (GCSF). Si l'utilisation de ces facteurs est légalement possible chez les patients dans le but de pratiquer une autogreffe de moelle, elle ne l'est pas de la même façon chez un donneur sain qui n'a pas de bénéfice direct à cette administration et qui devrait donc bénéficier sur ce point d'une information particulière.

2.4. Le consentement au don de tissus et cellules

2.4.1. Remarques générales

L'article L 665-11 qui pose le principe général du consentement préalable du donneur et de sa révocabilité à tout moment inclut, dans son champ d'application, les tissus, cellules et produits, sauf dérogation particulière. Cela étant, la loi, à la différence de ce qu'elle a prévu pour le don d'organes, n'impose aucune information du donneur sur les risques encourus, ni sur les conséquences éventuelles du prélèvement. Elle n'est pas plus exigeante sur l'expression du consentement, n'imposant ni l'intervention d'un juge, ni même un document écrit. Cette absence de précaution semble s'être expliquée par le fait qu'il s'agit ici d'une simple " récupération " de tissus et non d'un don, à proprement parler. On a pu cependant faire observer à cet égard que ces prélèvements ne sont pas nécessairement anodins. " Théoriquement, la loi n'interdit pas un prélèvement de cornée ou d'os du vivant de l'intéressé. On ne saurait prétendre qu'un " don " de cette nature ait des conséquences équivalentes à celles d'un prélèvement de quelques cellules. " La fixation d'un cadre plus précis incomberait donc au pouvoir réglementaire mais le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L 672-3 n'est pas, à ce jour, paru.

La loi française se trouve donc, sur ce point, en retrait par rapport à la Convention européenne de bioéthique dont l'article 19 prévoit un consentement écrit devant une instance officielle. De son côté, le Groupe européen d'éthique auprès de la Commission européenne, dans l'avis qu'il a adopté le 21 juillet 1998, estime que le consentement du donneur vivant doit se fonder sur des informations aussi précises et compréhensibles que possible pour le profane portant sur :

o les modalités du prélèvement ;

o les conditions et délais de conservation et de stockage éventuels des tissus ainsi que les conditions de l'enregistrement des données les concernant dans une banque de données, au regard des exigences de la protection de la vie privée et du secret médical ;

o l'utilisation envisagée des tissus (diagnostic, allogreffe ou autogreffe, fabrication de produits pharmaceutiques, recherche, production de lignées cellulaires pour usages divers...).

En fait, d'après le professeur HOUSSIN, le prélèvement de tissus sur un volontaire sain, bien que prévu par la loi, ne semble pas aujourd'hui traduit en pratique car il ne correspond pas à une nécessité médicale. " L'ensemble des tissus prélevés chez le donneur vivant le sont en tant que résidus opératoires (peau y compris). "

Se trouve dès lors posé avec une acuité particulière le problème du régime de consentement applicable à ces résidus.

2.4.2. Le régime des résidus opératoires

L'originalité de ces résidus  tient à trois éléments :

o ils sont recueillis à l'occasion d'un acte thérapeutique qui n'a aucun rapport avec la greffe pour laquelle ils doivent être utilisés ;

o ils sont reconnus comme étant désormais sans utilité pour le donneur ;

o ils sont, enfin, destinés à des greffes de tissus, certainement utiles, mais dont le caractère indispensable n'est pas toujours établi .

Si on laisse de côté les veines saphènes internes dont l'utilisation tend à être abandonnée, les résidus opératoires les plus utilisés sont les valves des coeurs explantés lors d'une greffe cardiaque et, surtout, les têtes fémorales recueillies à l'occasion des arthroplasties par prothèse totale de la hanche.

L'article L 672-1 du Code de la santé publique soumet ces prélèvements -auxquels avait été joint le placenta à l'initiative de l'Assemblée nationale- aux principes de non-publicité, d'anonymat, de gratuité et de sécurité sanitaire mais non à celui du consentement.

En pratique, beaucoup de chirurgiens, considérant que l'exploitation du résidu opératoire ne constitue en rien le prolongement normal de l'acte thérapeutique, font signer aux donneurs un consentement écrit mais ce texte semble insuffisant dans la mesure où il ne dégage pas suffisamment la responsabilité des donneurs et où l'absence de prétention à toute forme de rémunération n'est pas clairement signifiée.

L'obligation du consentement peut, d'autre part, être indirectement déduite des règles de bonne pratique fixées par un arrêté du 1er avril 1997 qui imposent au médecin préleveur d'informer le patient, avant l'intervention, du recueil envisagé et de la nécessité de pratiquer des examens sanguins permettant d'éliminer le risque de transmission de certaines maladies au receveur. En acceptant de s'y soumettre, le patient autorise par voie de conséquence l'utilisation de ces résidus.

Usages inégalement observés, procédures indirectes et semi-explicites : on peut considérer que la situation actuelle qui induit, dans certains hôpitaux, des comportements attentistes aboutissant à un blocage de l'activité de prélèvement  n'est pas satisfaisante et mériterait d'être clarifiée par l'inscription dans la loi du principe de consentement libre et éclairé, quels que soient l'origine du prélèvement et sa destination. On rejoint ici les constatations faites par le Groupe européen d'éthique qui relève l'absence fréquente de réglementation et souligne que l'information du donneur est d'autant plus nécessaire que les tests effectués pour vérifier la sécurité sanitaire des tissus ne peuvent être faits qu'avec le consentement de la personne concernée (avis du 21 juillet 1998).

2.4.3. Le régime des prélèvements sur embryons et foetus morts

Cette question, déjà posée sous l'empire de la loi Caillavet, n'a pas été davantage tranchée par le législateur de 1994 qui ne l'a même pas évoquée dans les travaux préparatoires.

La finalité de ces prélèvements, en dehors des visées diagnostiques qui ne posent pas de problème, peut être thérapeutique ou scientifique.

Sur le plan thérapeutique, la transplantation de cellules souches hépatiques embryonnaires a été réalisée pour traiter les déficits immunitaires héréditaires. Plus récemment, se sont développées des recherches sur l'intérêt des transplantations de cellules nerveuses embryonnaires pour le traitement de certaines maladies neurovégétatives : maladie de Parkinson, chorée de Huntington.

Dans le silence de la loi, certains juristes ont cru pouvoir considérer que le régime des résidus opératoires s'appliquait de plano aux prélèvements et à l'utilisation des tissus, cellules ou produits d'embryons ou de foetus humains morts des suites d'une intervention médicale et, notamment, d'une interruption volontaire de grossesse. Rien, dans les travaux préparatoires, ne permet de l'affirmer et ceux-ci autorisent même une argumentation inverse : en effet, si la notion de déchet opératoire a pu être jugée insuffisante pour inclure le placenta (celui-ci ayant été rajouté au cours de la navette), il est difficilement admissible qu'elle s'applique, sans disposition expresse, aux prélèvements sur foetus et embryons morts .

Quoi qu'il en soit, face à la carence de la loi, les professionnels se réfèrent, pour guider leur pratique, aux avis du Comité consultatif national d'éthique. S'exprimant pour la première fois sur cette question le 22 mai 1984, le CCNE a estimé souhaitable que soit reconnue à la mère une faculté de refus de prélèvement sur l'enfant après avortement, même en cas d'interruption volontaire de grossesse pour détresse. " Certains estiment qu'en décidant de la mort de l'embryon, la mère se prive de tout droit à son égard. Cette position paraît excessive. La faculté de refus doit être préservée car il s'agit de tissus humains. " Faculté de refus mais non expression obligatoire d'un consentement qui n'est exigé que pour un prélèvement sur cadavre. Or il n'est ni évident ni opportun, selon le CCNE, de considérer l'embryon mort comme le cadavre d'un enfant. Ces prélèvements devraient n'être opérés que sur des embryons et foetus dont la non-viabilité est certaine (c'est-à-dire avant la 22 ème semaine gestationnelle) et dont la mort a été préalablement constatée par arrêt de la circulation sanguine.

Ces orientations ont été confirmées dans l'avis du 13 décembre 1990 concernant l'autorisation de pratiquer des greffes intracérébrales de tissus mésencéphaliques d'embryons humains chez cinq malades parkinsoniens dans un but d'expérimentation thérapeutique. Il était précisé à cette occasion que le prélèvement de cellules d'embryons devrait suivre l'avis du 22 mai 1984 et, en particulier, les directives déontologiques et médicales.

Plus récemment encore (août 1998), a été autorisée par le CCNE une expérience, menée par des biologistes et des médecins du CEA, du CNRS et de l'INSERM, consistant, après expérimentation animale, à greffer des neurones foetaux dans le cerveau de six malades atteints de chorée de Huntington.

La multiplication vraisemblable de ces types de greffes à partir de prélèvements embryonnaires et foetaux nécessitera sans doute une intervention du législateur, les lacunes des textes ne pouvant être comblées par les seuls avis d'une instance consultative, si éminente qu'elle soit.

IV - LES PRÉLÈVEMENTS SUR PERSONNES DÉCÉDÉES

1. L'organisation du consentement selon la loi de 1994 : une construction juridique complexe traduisant une volonté de conciliation entre solidarité collective et volonté individuelle

La démarche du législateur s'est fondée, comme on l'a déjà indiqué, sur une double préoccupation : faire face à la pénurie d'organes -notamment dans le domaine de la transplantation hépatique où l'efficacité thérapeutique des greffes est avérée- et rétablir, entre médecins et donneurs potentiels, un lien de confiance qui passe par le respect des intentions du défunt, le corps ne pouvant être considéré comme un matériau dans lequel on puise à volonté.

La loi de 1994 n'a pas remis en cause la présomption de consentement, reflet d'une démarche utilitariste qui sous-tendait déjà le droit antérieur. On notera d'ailleurs que cette présomption ne constitue pas une spécificité française. D'autres législations la consacrent et elle est également présente dans les textes européens et internationaux qui traitent des prélèvements et transplantations d'organes (notamment résolutions du 11 mai 1978 du Conseil de l'Europe et du 13 mai 1991 de l'Assemblée de l'Organisation mondiale de la santé).

Cependant, le principe du consentement présumé trouve, dans la nouvelle législation, un champ d'application plus limité que dans la loi Caillavet où il couvrait les prélèvements d'organes effectués sur le cadavre de toute personne, quelle que fût sa condition de son vivant, excepté le cas d'un prélèvement sur mineur ou incapable en vue d'une greffe, pour lequel était requis le consentement du représentant légal. Quant au témoignage de la famille, son recueil, non prévu par la loi, n'avait été organisé que par une simple circulaire du 3 avril 1978.

La loi de 1994 exclut la présomption de consentement :

o lorsque l'intéressé a fait connaître son refus de son vivant : un rôle essentiel mais non exclusif est dévolu à cet effet au registre national automatisé. Il remplace le registre spécial dont la loi Caillavet avait prévu le dépôt dans chaque établissement hospitalier concerné et qui n'était que très rarement utilisé. A défaut d'une volonté exprimée par l'inscription sur ce registre (ou par tout autre moyen), le médecin " doit s'efforcer de recueillir le témoignage de la famille " ;

o lorsque le prélèvement en vue d'une greffe s'applique à une personne décédée qui était mineure ou majeure incapable : le consentement écrit et exprès de chacun des titulaires de l'autorité parentale ou du représentant légal est alors nécessaire ;

o lorsque le prélèvement a lieu à des fins exclusivement scientifiques : la loi distingue ici les autopsies cliniques (en vue de rechercher les causes de la mort) dont la famille est simplement informée, et les autopsies scientifiques pour lesquelles le consentement doit avoir été exprimé, soit directement par le défunt, soit par le témoignage de la famille qui peut donc jouer ici un rôle plus déterminant que pour les prélèvements à des fins thérapeutiques. On verra plus loin les critiques adressées par les anatomopathologistes à cette distinction qu'ils jugent artificielle et préjudiciable à la pratique des autopsies.

Fruit de compromis élaborés au cours des navettes et jusqu'au stade de la commission mixte paritaire, l'économie de la loi se ressent de cette gestation difficile et recèle même une apparente contradiction puisque les prélèvements à visée scientifique, soumis selon les deux premiers alinéas de l'article L 671-7 au régime du consentement présumé, se voient appliquer, pour certains d'entre eux, celui du consentement exprès par le premier alinéa de l'article L 671-9. Cette construction juridique hésitante n'a pas été sans créer quelques difficultés d'interprétation qui ont compliqué la mise au point des textes d'application.

2. L'application de la loi : une mise en oeuvre tardive et certains effets critiqués

2.1. Les prélèvements à visée thérapeutique : des résultats à ce jour difficilement mesurables

2.1.1. Un impact psychologique limité, dans l'attente d'une information large et méthodique du public

Du côté des responsables et praticiens de la transplantation, on estime que les nouvelles dispositions ont été bien accueillies, tant par les personnels médicaux que par l'opinion. Le professeur HOUSSIN considère que la loi a, sans aucun doute, contribué à rétablir la confiance du public et à lui donner une perception positive du don et de la greffe d'organes. Les personnels, sensibles dans un premier temps aux contraintes de l'encadrement de leurs activités, commencent maintenant à en ressentir le bénéfice.  Ces appréciations se retrouvent chez le professeur CHARPENTIER comme chez les praticiens entendus le 17 septembre 1998 à la Maternité régionale de Nancy.

Pour autant, ces réactions positives ne trouvent pas encore de traduction chiffrée dans les statistiques de la transplantation d'organes. Certes, comme le souligne M. HOUSSIN, on note, pour les cornées, une remontée des prélèvements au niveau antérieur à la crise et une stabilisation de la chute des dons d'organes en 1995-1996 . Mais les oppositions au prélèvement, qui étaient passées de 15 % en 1991 à 34 % en 1994 et à 35 % en 1995, se maintiennent à ce pourcentage en 1996.

Cela étant, l'opinion semble très majoritairement favorable au don d'organes à visées thérapeutiques. Selon une enquête menée en 1998 par le Centre régional juridique de l'Ouest auprès de 226 personnes, 87 % d'entre elles fournissaient sur ce point une réponse positive, mais 65 % estimaient être insuffisamment informées sur les besoins en greffons et l'utilisation qui en est faite et 77 % déclaraient ignorer la législation en vigueur. Le manque de transparence du milieu médical est souvent critiqué et le soupçon de trafic d'organes reste présent dans beaucoup d'esprits.

L'article L 665-12 interdit la publicité mais autorise l'information en faveur du don (distinction qui n'est pas toujours d'un maniement aisé) et en confie la responsabilité au ministre chargé de la Santé. L'EFG, qui doit en assurer la mise en oeuvre, a conçu une campagne d'éducation sanitaire sur le prélèvement et la greffe, articulée en fonction de trois types de public selon le calendrier suivant :

o secteur hospitalier1996

o professions médicales et paramédicales1997

o grand public1998

La mise en place du registre automatisé a conduit à reporter cette dernière étape en 1999, ce qui présente l'inconvénient, non négligeable en terme de communication, d'organiser l'information sur l'expression du refus avant la promotion du don.

Il serait en tout état de cause souhaitable que cette information du grand public associe le ministère de la Santé et celui de l'Education nationale qui pourrait faire prendre conscience aux Français, dès leur plus jeune âge, de l'importance et de la nécessité du don d'organes. Il est également indispensable qu'une synergie s'instaure ou se rétablisse avec les associations d'intérêt public, telles que France-Adot, qui accomplissent depuis de nombreuses années un important travail sur le terrain et disposent des réseaux indispensables à la réussite de toute action de promotion. Dans cette perspective, il pourrait s'avérer utile de leur confier le droit, non reconnu actuellement par la loi, de participer officiellement aux campagnes d'information.

2.1.2. La lente mise en place du registre national automatisé

- Le décret d'application de l'article L 671-7, alinéa 2, instituant le registre national automatisé a été publié le 30 mai 1997 , soit près de trois ans après la promulgation de la loi. Ce retard est dû, pour une large part, aux difficultés d'interprétation des articles L 671-7 et L 671-9 relatifs aux modes d'expression du consentement et, singulièrement, au contenu de la notion de prélèvement à des fins scientifiques qui semble soumis à deux régimes distincts selon que l'on se réfère à l'un ou l'autre de ces articles.

Le premier projet soumis au Conseil d'Etat avait limité l'expression du refus par inscription sur le registre aux prélèvements opérés à des fins thérapeutiques, excluant ainsi de ce mode d'expression les prélèvements opérés dans le but de rechercher les causes de la mort ainsi que les autres prélèvements à des fins scientifiques.

Tout en reconnaissant que les dispositions des articles L 671-7 et L 671-9 sont d'une interprétation difficile en raison des contradictions et des ambiguïtés qu'elles comportent, le Conseil d'Etat, s'appuyant sur les travaux préparatoires, a estimé que l'article L 671-9 devait être interprété comme impliquant que le refus de prélèvement ayant pour but la recherche des causes du décès peut être exprimé par une inscription sur le registre automatisé. Il a en outre considéré que, dès lors que les prélèvements à des fins scientifiques ne peuvent, selon le même article, être opérés sans le consentement du défunt, l'application cohérente de la loi conduisait à prévoir que l'absence de consentement à de tels prélèvements pouvait se manifester aussi de manière certaine, du vivant de l'intéressé, par l'inscription d'un refus sur le registre.

Conformément à ces observations, l'article 2 du décret dispose que toute personne majeure ou mineure, âgée de 13 ans au moins, peut s'inscrire sur le registre afin d'exprimer son refus d'un prélèvement sur son corps après son décès, soit à des fins thérapeutiques, soit pour rechercher les causes du décès, soit à des fins scientifiques, soit dans plusieurs de ces cas.

Il n'en demeure pas moins qu'une contradiction apparente subsiste entre la lettre de la loi, qui impose un consentement exprès pour les prélèvements à visée scientifique, et le décret, qui ouvre l'accès, dans ce cas, à un mode d'expression de refus qui ne devrait jouer que pour les prélèvements soumis à la présomption de consentement. A n'en pas douter, une remise en cohérence du règlement et de la loi passera nécessairement par une clarification de cette dernière. On verra plus loin qu'elle est par ailleurs souhaitée pour des motifs de fond.

- La mise en service du registre , installé à Marseille, s'est faite le 7 juillet 1998, par la distribution, dans les 22 000 officines pharmaceutiques, de 2 millions et demi de brochures fournissant tout à la fois des informations sur le don d'organes et de tissus, un formulaire d'inscription et une carte de donneur. L'EFG s'efforce ainsi de corriger la tonalité négative que revêtirait une campagne axée exclusivement sur l'expression d'un refus.

Au total, 11 millions de brochures seront diffusées dans l'année tant auprès des officines que des hôpitaux et des associations, ainsi que chez les médecins généralistes. Le coût de l'opération est de 7,5 millions de francs, somme qui comprend l'investissement informatique (2 MF), la saisie des données -on en prévoit 250 000- (1 MF), la réalisation des documents (3 MF) et leur routage (1,5 MF).

Les inscriptions ont été saisies à partir du 21 juillet et le registre est consultable par les praticiens depuis le 15 septembre. Trois mois après son ouverture, 15 000 refus avaient été enregistrés.

Il est évidemment impossible de porter dès à présent une appréciation sur le fonctionnement de ce dispositif et les incidences qu'il pourra avoir sur l'évolution des dons. Les enseignements qui peuvent être tirés des systèmes en vigueur dans d'autres pays européens doivent être interprétés avec prudence en raison, d'une part des données socioculturelles propres à chacun d'entre eux, d'autre part du fait que la plupart des registres mis en place permettent l'expression alternative d'une adhésion ou d'un refus : c'est le cas de la Hollande, de la Grande-Bretagne et de la Belgique. Dans ce dernier pays, cependant, on constate que seuls les partisans du refus, qui ne représentent que 1 à 2 % de la population, se sont manifestés, la Belgique présentant par ailleurs aujourd'hui, par application du consentement présumé, un excédent d'organes qu'elle met à la disposition des patients étrangers. Le Portugal qui a mis en place, en 1995, un registre qui, comme en France, ne recueille que les refus, a comptabilisé 36 000 inscriptions (soit 0,3 % de la population) alors que le taux de prélèvement y est de 20 par million d'habitants.

Avant même qu'une évaluation du système puisse être effectuée, des opinions s'expriment, soit pour en contester radicalement l'opportunité (c'est le cas de France-Adot qui le juge inutile, pénalisant, incomplet, voire inconstitutionnel), soit pour y apporter des aménagements : l'un d'entre eux pourrait consister, à l'instar des pratiques étrangères évoquées ci-dessus, à élargir le registre national afin de permettre à toute personne qui le désire d'exprimer son opinion, que celle-ci soit en faveur ou en défaveur des dons d'organes. Peut être invoqué ici le succès des fichiers de donneurs volontaires de moelle osseuse qui rassemblent 4 millions de personnes dans le monde dont 85 000 en France. Cette réforme aurait en outre l'avantage de satisfaire, à texte inchangé, l'exigence énoncée par l'article L 671-9 alinéa 1 qui impose, on l'a vu, pour tout prélèvement scientifique, que le donneur ait, de son vivant, exprimé directement son accord. Celui-ci n'en a pas actuellement la possibilité et la création d'un registre élargi permettrait de résoudre ce problème .

2.1.3. Le témoignage de la famille : les aménagements souhaitables

L'inscription au registre ne constituant qu'un mode d'expression parmi d'autres , il demeure fréquemment nécessaire de solliciter le témoignage de la famille qui s'apparente en fait, dans bon nombre de cas, à un véritable pouvoir de décision. Plusieurs remarques et suggestions ont été faites à propos de l'accomplissement de cette démarche :

o La notion de " famille ", très restrictive et qui exclut notamment le concubin, ne doit-elle pas être remplacée par celle de " proches " qui figurait à l'origine dans le projet de loi et avait été écartée au cours des travaux parlementaires faute d'un contenu juridique assez précis ? Si l'interprétation libérale suggérée à l'époque par les rapporteurs tend à prévaloir dans la pratique, mieux vaudrait mettre les termes de la loi en accord avec cette dernière.

o L'exigence d'une information préalable et complète de la famille sur la pratique des greffes, les besoins en organes, la restauration du corps, mériterait d'être formellement imposée.

o Mme le professeur THOUVENIN souligne la faible portée juridique de l'article L 671-7 enjoignant au médecin de " s'efforcer " de recueillir le témoignage de la famille. Elle juge souhaitable que la recherche du consentement associe aux médecins des représentants des associations qui se consacrent à la défense des droits des patients. Il manque, selon elle, dans le dispositif actuel, un médiateur chargé de représenter les donneurs .

2.2. Les prélèvements médico-scientifiques : la loi compromet-elle la pratique des autopsies ?

2.2.1. La lettre et l'esprit des textes

Les conditions laborieuses dans lesquelles fut mise au point la rédaction définitive des articles L 671-7 et L 671-9 du Code de la santé publique expliquent, si elles ne les justifient pas totalement, les obscurités qui en rendent malaisée l'interprétation littérale.

Alors que l'article L 671-7 semble soumettre les prélèvements à des fins scientifiques dans leur ensemble à la règle du consentement présumé, l'article L 671-9 distingue deux catégories auxquelles il applique un régime différencié :

o les prélèvements ayant pour but la recherche des causes du décès relèvent de la présomption de consentement. La famille est simplement " informée des prélèvements effectués " sans que le texte précise à quel moment doit se faire cette information ;

o la présomption est en revanche écartée pour les autres prélèvements à visée scientifique qui ne peuvent être pratiqués sans que le consentement du défunt ait été exprimé, soit directement, soit par le témoignage de la famille. Le texte n'entoure la manifestation de ce consentement d'aucun formalisme et l'on a vu par ailleurs qu'il ne peut être matérialisé par une inscription au registre national automatisé puisque ce dernier ne prend en compte que des refus.

Bien qu'elle soit quelque peu cryptée par cette formulation byzantine, l'intention du Parlement, telle qu'elle ressort des travaux préparatoires, n'en était pas moins claire : il s'est agi de rétablir entre les médecins et la famille la confiance affaiblie par des erreurs et des dérives constatées au cours des dernières années. Il convenait donc que les familles soient informées avant tout prélèvement destiné à rechercher les causes du décès et qu'elles puissent traduire, pour les autres types de prélèvement, la volonté du défunt si celle-ci ne s'est pas exprimée de son vivant.

Ces dispositions suscitent, chez les anatomopathologistes et les neuropathologistes, un certain nombre de critiques que le professeur GOT a exprimées dans un rapport remis en mars 1997 au secrétaire d'Etat à la Santé et qu'il a reprises à l'occasion de son audition du 30 septembre 1998.

2.2.2. Débat sur des dispositions contestées

Les critiques formulées peuvent être analysées en deux points :

o la loi ne tient pas compte de la réalité médico-sociale ;

o bien qu'imparfaitement appliquée, elle contribue à la régression d'une activité -l'autopsie- indispensable au progrès des connaissances médicales.

- Sur le premier point , le professeur GOT note tout d'abord que la loi se refuse à employer le terme d'autopsie pour ne parler que de prélèvements. Du fait de cette lacune, un médecin pourrait actuellement pratiquer une autopsie sans effectuer de prélèvement chez une personne ayant déclaré avant sa mort son opposition à toute atteinte à son cadavre. " Il est donc possible de respecter la lettre de la loi sans respecter l'intégrité du cadavre. "

D'autre part, la division des prélèvements scientifiques en deux catégories n'a pas de sens pour les professionnels. Il est presque toujours possible d'affirmer que les recherches paraissant purement scientifiques au premier abord vont contribuer à préciser les causes de l'affection qui a finalement entraîné la mort. " Une pathologie mortelle est un enchaînement d'événements mettant en jeu des séquences causales qui s'intriquent étroitement et permettent de soutenir, sans la moindre mauvaise foi, que l'on recherche la cause du décès tout en faisant de la recherche. "

La famille ne devrait fournir qu'un témoignage sur la volonté présumée du défunt, mais les travaux préparatoires lui confèrent un véritable pouvoir de décision appuyé sur la conviction qu'elle ne souhaitera pas s'opposer aux prélèvements dans l'immense majorité des cas. Or, tous les sondages menés dans les différents pays européens démentent ce pronostic, sauf en néonatalogie où le désir des parents de connaître les causes du décès reste prédominant.

- Sur le second point , le rapport GOT s'appuie sur une enquête auprès de la totalité des services d'anatomie pathologique pratiquant des autopsies médico-scientifiques.

S'agissant de l'application des nouvelles dispositions , cette enquête fait apparaître une très grande diversité des situations. Sur 121 centres qui ont précisé leurs pratiques en 1996 :

o 75 (62 %) ont respecté la loi : les médecins demandeurs avaient prévenu la famille que des prélèvements seraient pratiqués ou s'étaient engagés à le faire et les documents administratifs avaient été modifiés en ce sens. Ces établissements ont effectué 37,3 % des autopsies.

o 46 (38 %) ont continué à appliquer les dispositions de la loi de 1976, ne renonçant à faire l'autopsie que si la famille (ou le patient lors de l'hospitalisation) avait manifesté activement son opposition à sa réalisation, sans que cet avis soit sollicité. Ils ont réalisé 62,7 % des autopsies.

Le rapport note en outre que, " confrontés aux difficultés d'application de la loi et à ses ambiguïtés, certains pathologistes ont sollicité l'avis de leur tutelle, en particulier en écrivant à la Direction générale de la santé pour avoir des instructions précises sur les modalités de mise en oeuvre du texte et sur l'interprétation des dispositions paraissant contradictoires. Ils n'ont obtenu aucune réponse. "

M. GOT met en évidence une régression globale des autopsies -le total comptabilisé en 1996 (3 914) étant inférieur au nombre d'autopsies pratiquées en 1980 dans les services de l'Assistance publique/Hôpitaux de Paris (5 791). Sans l'imputer exclusivement à la loi de 1994, il observe que les hôpitaux qui l'appliquent strictement indiquent une réduction moyenne de 61 % et conclut : " Les médecins limitent progressivement leur recours aux autopsies, préférant ne pas les demander plutôt que d'avoir à les faire dans les conditions prévues par la loi. Le résultat est une diminution inquiétante des recours à cette forme de contrôle de qualité relevant de la sécurité sanitaire. "

La pratique des autopsies est indiscutablement en chute libre mais, comme le remarque le professeur LEMAIRE qui porte, en tant que chef d'un service de réanimation, un regard un peu différent sur la réforme de 1994, il s'agit d'un phénomène mondial dont les causes sont diverses .

o Phénomène mondial : les Etats-Unis, pris communément comme référence, ont vu passer le pourcentage des autopsies de 50 à 12 % en 50 ans et l'autopsie n'est plus, depuis 1970, un critère de qualité pour les établissements de soins américains. A l'hôpital Henri-Mondor, 15 % des décès étaient suivis d'une autopsie en 1992 ; cinq ans plus tard, alors que l'application de la loi n'était toujours pas effective dans cet établissement, le taux n'était plus " spontanément " que de 7 %.

o Causes diverses : " l'amélioration et la sophistication des techniques diagnostiques pre mortem (imagerie, endoscopie, biopsies, biologie) et aussi une modification majeure de l'activité médicale anatomopathologique, tournée désormais vers les techniques les plus modernes, la pratique des autopsies devenant alors, pourquoi ne pas l'écrire, singulièrement démotivante [...] Cette évolution a déjà eu une conséquence importante : la reconversion des laboratoires d'anatomopathologie, dont l'activité, absolument essentielle au fonctionnement de nos hôpitaux aujourd'hui, est maintenant tournée quasi exclusivement vers l'analyse morphologique et biologique des prélèvements effectués sur les patients vivants (biopsies, examen des pièces opératoires, cytologie). "

Pour ce qui concerne la neuropathologie, réanimateurs, anatomopathologistes et cliniciens s'accordent, en tout état de cause, sur un point : l'autopsie traditionnelle conserve une réelle utilité pour le diagnostic de certaines affections neurodégénératives (maladie d'Alzheimer, maladie de Parkinson), inflammatoires (sclérose en plaques) ou transmissibles (maladie de Creutzfeldt-Jakob). Le recueil des prélèvements post mortem a un rôle de veille sanitaire, comme on le voit aujourd'hui pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il permet de contrôler la qualité du diagnostic et, enfin, d'effectuer des recherches (notamment sur les causes de la maladie d'Alzheimer ou le mécanisme de la sclérose en plaques).

Il sera donc nécessaire, sans remettre en cause les principes de transparence et de liberté du consentement qui ont guidé le législateur en 1994, d'introduire plus de cohérence et de clarté dans le dispositif juridique en séparant clairement l'autopsie, dont les finalités sont très spécifiques, des prélèvements à fin thérapeutique. Lors de son audition, le professeur GOT a proposé de permettre à tout individu majeur d'exprimer sa volonté sur le fichier national, d'une part pour des prélèvements à visée thérapeutique, d'autre part pour des prélèvements à visée médico-scientifique, dans des conditions assurant la stricte confidentialité de l'information. Les ressources de l'informatique permettent, selon lui, la mise en place et la gestion d'un tel fichier. Le débat est ouvert. Il appartiendra au Parlement de trancher.

2.3. Les prélèvements post mortem de tissus et cellules : un encadrement qui reste à préciser

L'article L 672-6, alinéa 1, renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les situations médicales et les conditions dans lesquelles le prélèvement de tissus et cellules et la collecte de produits du corps humain sur une personne décédée sont autorisés.

Ce texte n'est pas encore paru mais l'on peut s'interroger sur la portée limitée que semble lui assigner la Direction générale de la santé. Il s'agirait, selon cette interprétation, d'établir la liste des tissus pouvant être prélevés à coeur arrêté. Aux termes du décret du 24 mai 1994 et d'un arrêté du même jour maintenus temporairement en vigueur sur ce point par le décret du 9 octobre 1997 relatif à la sécurité sanitaire, cette liste comprend la cornée, l'os cortical et la peau. Certaines demandes, émanant notamment du Conseil de l'ordre, visent à y adjoindre les os, les tubes vasculaires, les valves cardiaques, les tendons et les nerfs. Si le texte prévu par l'article L 672-6 n'a pour objet que de mettre cette liste à jour, on pourrait considérer que l'urgence de sa parution était un peu moins pressante et admettre, avec la Direction générale de la santé, que l'exigence en cette matière d'un décret en Conseil d'Etat est sans doute excessive.

Cependant, la finalité réglementaire doit être sensiblement plus large si l'on se réfère aux travaux préparatoires et, en particulier, aux considérations exprimées par le rapporteur MATTEI qui furent à l'origine de la rédaction de cet article. M. MATTEI avait mis en évidence les risques de contamination auxquels exposait la greffe de tissus faute d'un contrôle, par définition impossible, trois mois après la période de séroconversion. Il rappelait à ce propos les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob à la suite de l'utilisation d'hormone de croissance prélevée sur des cadavres . Tout à fait acceptable en matière de transplantation d'organes, lorsque le pronostic vital est réservé, ce risque ne peut être pris pour une greffe de tissus qui ne le met pas en jeu.

" De façon générale ", ajoutait le rapporteur, " il est vivement souhaitable de favoriser la recherche et l'utilisation de matériaux de synthèse plutôt que de généraliser, par facilité, l'utilisation de tissus humains. " On notera d'ailleurs que ce secteur des biomatériaux est en pleine expansion. Un rapport d'une intercommission de l'INSERM l'estimait en avril 1996 à 3 milliards de francs, soit 0,5 % des dépenses de santé. On pose désormais " en routine " 80 000 hanches artificielles et environ 30 000 prothèses de genou chaque année.

Dès lors, il semble bien conforme à l'attente du législateur que des précisions soient apportées par le texte d'application sur les types de prélèvement autorisés -qu'ils soient opérés à coeur battant ou à coeur arrêté- eu égard aux risques potentiels et aux ressources alternatives offertes par les matériaux de substitution.

Sur deux points, en revanche, les décrets sont venus aligner les tissus sur les organes alors que la loi ne le prévoyait pas expressément. Il s'agit :

o du principe de séparation entre les médecins qui établissent le constat de la mort et ceux qui pratiquent le prélèvement (décret n° 96-1041 du 2 décembre 1996) ;

o de l'obligation d'assurer la restauration décente du corps (décret n° 97-306 du 1er avril 1997 et arrêté du même jour homologuant les règles de bonne pratique).

L'importance de ces règles ne justifierait-elle pas qu'elles soient réintroduites dans le corps même de la loi ?

V - L'ENCADREMENT DES ACTIVITÉS DE PRÉLÈVEMENT ET DE TRANSPLANTATION

1. Les conditions médicales du prélèvement : principes et pratiques

Certaines des règles fixées par la loi dans l'intérêt des donneurs et des receveurs sont approuvées sans réserve par les praticiens mais peuvent parfois créer des difficultés lorsqu'elles sont appliquées de façon excessivement stricte.

1.1. Séparation des compétences et collaboration des équipes

L'article L 671-10 a établi une séparation entre les médecins qui établissent le constat de la mort et ceux qui effectuent les prélèvements et les transplantations, les uns et les autres devant faire partie d'unités fonctionnelles ou de services distincts. Les praticiens ne contestent pas l'opportunité de ce principe qui garantit l'indépendance du diagnostic et la protection du donneur. Ils réaffirment par ailleurs leur opposition à toute séparation entre prélèvement et greffe car l'acte de prélèvement est le premier temps de la transplantation et la qualité de cette dernière est tributaire des efforts faits pour améliorer les techniques chirurgicales de prélèvement. Mais ils observent que l'application de la règle de séparation va souvent au-delà de l'intention du législateur et conduit à des cloisonnements -partiellement atténués par les coordonnateurs- qui s'opposent à la constitution d'équipes regroupant tous les personnels expérimentés d'un même hôpital qui unissent leurs efforts pour développer le prélèvement d'organes .

1.2. Anonymat et traçabilité

Le principe de l'anonymat entre donneur et receveur est posé par l'article L 665-14 qui permet toutefois d'y déroger en cas de nécessité thérapeutique. Il semble être interprété dans certaines régions de façon très extensive ; les préleveurs et transplanteurs qui souhaitent obtenir certaines informations urgentes sur les greffons et les donneurs (pour parer, par exemple, à des risques infectieux) sont, de ce fait, contraints d'emprunter des procédures longues et complexes transitant par l'EFG qui ne facilitent pas l'établissement de la traçabilité. La préservation de l'anonymat ne doit pas conduire à un déficit de l'information dès lors que des procédures internes permettent de séparer les données utiles au plan médical. Aussi est-il proposé d'appliquer le principe du " secret médical partagé " .

2. L'autorisation des établissements : une mise en oeuvre encore partielle

La mise en application de la loi est très variable selon que l'on considère les activités relatives aux organes ou celles qui concernent les tissus et cellules pour lesquelles de nombreux décrets font encore défaut.

2.1. Les prélèvements et transplantations d'organes

Les activités de prélèvement ne sont pas soumises à planification sanitaire et peuvent être exercées dans tout établissement de santé public ou privé, même à but lucratif. Sur ce point, la parution tardive du décret n° 97-306 du 1er avril 1997 n'a pas créé de solution de continuité, l'article 19 de la loi ayant permis, à titre transitoire, aux établissements précédemment agréés de poursuivre leur activité jusqu'à la décision de l'autorité administrative sur leur demande d'autorisation. Une première série de 222 demandes d'autorisation a été enregistrée au 31 mars 1998 alors que 195 autres au total étaient antérieurement autorisés. 161 centres ont demandé une autorisation pour les prélèvements d'organes et de tissus, 54 pour le seul prélèvement de tissus. Ces autorisations concernent les 29 centres hospitalo-universitaires, les 2 centres hospitaliers régionaux et 117 des 572 centres hospitaliers. Elles visent plus de 13 établissements de santé privés participant au service hospitalier, 11 établissements militaires et 16 établissements de santé privés.

Quant aux établissements habilités à effectuer des transplantations, ils sont soumis au droit commun des autorisations hospitalières avec deux limites imposées par la loi (être autorisé à pratiquer des prélèvements et assurer des activités d'enseignement médical et de recherche). L'arrêté du 31 juillet 1992 en avait fixé le nombre à 40 pour la greffe de rein, 26 pour la greffe de foie et 28 pour la moelle osseuse. Ils ont disposé d'un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi pour déposer, en fonction de ces nouvelles conditions, une demande d'autorisation.

2.2. Les prélèvements, la conservation et l'utilisation de tissus et cellules

Sur ce point, de nombreuses dispositions réglementaires restent encore en suspens.

- S'agissant des prélèvements de tissus à des fins thérapeutiques , les conditions d'autorisation ont été fixées par le décret précité du 1er avril 1997. Encore convient-il d'observer que ce texte ne traite pas, comme il le fait par ailleurs pour les organes, des prélèvements sur personnes vivantes, alors que les articles L 672-7 et L 672-9 du Code de la santé publique, dont il découle, ne limitent nullement le régime d'autorisation dont ils fixent les principes aux seuls prélèvements effectués sur personnes décédées. Par ailleurs, le régime des cellules n'y est pas abordé .

- La loi reste inappliquée faute de textes réglementaires dans plusieurs domaines :

o les activités de greffe de tissus et de cellules : il s'agit des articles L 672-13 (pour les dérogations au monopole des établissements de santé accordées aux activités requérant une haute technicité ou nécessitant des dispositions particulières dans l'intérêt de la santé publique) et L 672-14 (relatif aux conditions techniques, sanitaires ou médicales et, en tant que de besoin, financières, auxquelles sont subordonnées les autorisations) ;

o les activités de conservation, transformation, distribution, cession, importation et exportation de tissus et cellules : sont ici concernés les articles L 672-10 (fonctionnement des banques de tissus et conditions dans lesquelles elles peuvent être gérées par des organismes privés à but lucratif) et L 672-12 (pour la fixation des règles, notamment financières et économiques, auxquelles sont subordonnées ces activités).

La Direction générale de la santé invoque plusieurs considérations pour expliquer ces retards :

o la nécessité, pour les cellules, d'élaborer un texte d'harmonisation entre différents régimes, actuellement préparé par la Direction des hôpitaux  ;

o les difficultés que pose la définition des activités de haute technicité, investissement et innovation ne coïncidant pas nécessairement ;

o les problèmes que soulève la fixation de tarifs pour la définition des règles financières et économiques.

Force est donc de constater qu'aucune évaluation ne peut être faite de la législation dans un domaine ayant d'importantes implications médicales, économiques et sanitaires.

3. La répartition et l'attribution des greffons : des règles clarifiées

L'élaboration des règles de répartition et d'attribution des greffons incombe à l'Etablissement français des greffes, qui les soumet pour homologation au ministre chargé de la Santé (article L 673-8). Des dispositions transitoires avaient été, dans un premier temps, établies par un arrêté du 6 novembre 1995.

Une commission nationale de consultation publique a été chargée par le secrétaire d'Etat à la Santé de mener une réflexion approfondie sur les règles de répartition et d'attribution des organes prélevés sur personnes décédées, sur les principes à respecter et les objectifs à atteindre dans le domaine des greffes et de présenter des propositions et recommandations en vue d'améliorer les règles existantes. Le rapport remis en juillet 1996 a proposé une clarification des critères (par l'élaboration de critères spécifiques pour les différents types d'organes, par l'harmonisation nationale des règles de priorité et des exceptions), l'obligation de déclarer les critères médicaux utilisés pour l'inscription sur la liste nationale et une meilleure répartition géographique des organes.

L'arrêté du 6 novembre 1996, entré en vigueur le 1er février 1997, prend en compte un certain nombre de ces propositions. Il existe désormais des règles communes pour le coeur, le poumon, le foie, l'intestin, le rein et le pancréas, avec quatre échelons de répartition : local, inter-régional, national et international. Chaque greffon est successivement proposé aux quatre échelons et dans le même ordre. Par dérogation, une proposition prioritaire du greffon peut être faite successivement au bénéfice de ceux dont la vie est menacée à très court terme, à ceux pour lesquels la probabilité d'obtenir un greffon est très faible, et enfin aux enfants. Ces priorités et leur échelon de mise en oeuvre sont précisés par les règles spécifiques à chaque type de greffon.

4. L'inscription des patients non résidents sur la liste d'attente

L'inscription des étrangers non résidents sur la liste nationale est admise, comme auparavant, par l'article L 673-8 du Code de la santé publique.

L'arrêté du 24 novembre 1994 a introduit certaines limitations à ce type de demande : le ministre de la Santé du pays de l'intéressé doit attester que la greffe ne peut y être effectuée et le directeur de l'établissement de santé, ayant tout avis favorable, doit vérifier que la prise en charge financière de l'intéressé est assurée. Il n'est pas certain que ces dispositions soient conformes au règlement de l'Union européenne relatif à l'application du régime de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Dans son rapport déjà cité, la Commission de consultation sur les règles de répartition et d'attribution des organes estime que les non-résidents, par application du principe de non-discrimination, ne sauraient être exclus du bénéfice de la greffe sur le territoire français. Afin d'éviter que des équipes accroissent anormalement leur activité par l'inscription de non-résidents, elle suggère que l'EFG soit doté d'un pouvoir d'appréciation et de régulation.

Dans les faits, la commission note que, depuis le rapport de l'IGAS de 1992, " la situation est désormais revenue à de plus modestes proportions et ne présente plus de difficulté aiguë pour [ses] différents interlocuteurs qui se réfèrent au serment d'Hippocrate pour réfuter tout choix lié à la nationalité d'un malade avant de l'inscrire sur la liste d'attente " .

5. Circulation transfrontière, éthique et sécurité sanitaire : la nécessaire harmonisation européenne

Les dispositions réglementant l'importation et l'exportation d'organes, de tissus et de cellules n'entrent pas dans le champ de notre évaluation puisqu'elles résultent, pour l'essentiel, de la loi du 31 décembre 1992 modifiée et de la loi du 1er juillet 1998 relative au contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. On rappellera par ailleurs que la loi du 28 mai 1996 portant DMOSS avait permis, par arrêté, au ministre chargé de la Santé de restreindre, suspendre ou interdire la transformation, l'exportation, la cession ou l'utilisation d'un élément ou produit du corps humain (article L 165-15.1 du Code de la santé publique) .

Pour autant, quelle que soit l'efficacité intrinsèque de ce dispositif, la question d'une harmonisation des différentes législations européennes, voire d'une véritable réglementation européenne, en matière de greffes de tissus ne peut aujourd'hui être éludée.

Dans l'avis qu'il a publié le 21 juillet 1998, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne souligne que les prélèvements et la conservation de tissus ne sont réglementés que dans trois pays : la France, la Belgique et l'Espagne, et estime qu' " il n'est pas possible d'affirmer que la sécurité sanitaire des tissus est correctement assurée dans l'Union européenne " . Le GEE souligne le caractère éthique de l'impératif de sécurité sanitaire. A ce titre, il recommande d'élaborer des normes communautaires de qualité et de sécurité sanitaire des tissus humains. Il suggère, en outre, la création d'une structure européenne de sécurité sanitaire, en liaison avec l'Agence européenne du médicament. Cette proposition est complétée par celle d'un contrôle strict sur les activités des banques de tissus qui devraient être soumises à agrément dans tous les pays de l'Union européenne.

Les démarches françaises vont dans le même sens. Un mémorandum préparé en mai 1998 à destination de Bruxelles propose un certain nombre de règles communes avec des spécifications sur la sécurité, la traçabilité, les règles éthiques, les autorisations et les inspections par les Etats membres, les bases de données et les systèmes de vigilance. Ce texte propose aussi de distinguer les techniques " classiques " des techniques innovantes pour lesquelles une autorisation devrait être délivrée au niveau européen. Il suggère enfin la création d'une cellule d'expertise européenne qui aurait vocation à définir des normes, à donner des autorisations de procédés et de produits et à analyser les systèmes de vigilance.

VI - LA LOI FACE AUX PERSPECTIVES OUVERTES PAR LA RECHERCHE

Dans les années à venir, les progrès de la science permettront d'apporter des solutions neuves au problème que pose actuellement la pénurie d'organes. Certaines des techniques qui sont aujourd'hui en cours d'élaboration ne devraient pas mettre en question l'adéquation des règles juridiques à l'évolution des pratiques biomédicales et chirurgicales. Ainsi en va-t-il du développement, encore expérimental, du génie tissulaire qui permettra de reconstituer, à partir de cultures cellulaires, des vaisseaux sanguins, des ligaments, des tissus osseux, voire des organes menacés de destruction .

En revanche, deux voies qui sont aujourd'hui en cours d'exploration méritent sans doute que le législateur leur porte une attention particulière en raison des problèmes qu'elles sont susceptibles de poser, tant sur le plan éthique que sur celui de la sécurité sanitaire :

o la première est celle des xénogreffes , qui ont déjà fait l'objet de dispositions introduites dans la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme ;

o l'autre concerne la création de banques de cellules embryonnaires totipotentes (embryonic stem cells) au sujet desquelles le Comité consultatif national d'éthique a publié un avis (n° 53) en mars 1997, question qui renvoie à celle, plus générale, de la recherche sur l'embryon par ailleurs abordée dans une autre partie du rapport.

1. Les xénogreffes : une perspective encore incertaine dont les risques ne peuvent être évalués avec certitude

Les xénogreffes constituent l'une des solutions possibles à la pénurie relative d'organes. Mais, comme le note le docteur JUVEZ dans un rapport remis au secrétaire d'Etat à la Santé en septembre 1998, elles sont aussi susceptibles de " permettre le développement de nouvelles indications de thérapeutiques substitutives concernant de larges parties de la population (maladies récidivantes, cancers, stade terminal de maladies chroniques, personnes âgées, etc.) " .

1.1. Une réalité expérimentale pour l'instant décevante

Depuis la première xénogreffe de reins pratiquée sans succès à Lyon en 1905, de multiples tentatives encouragées notamment par le développement des immunosuppresseurs ont été tentées au cours de la seconde moitié de ce siècle mais aucune xénotransplantation d'organe n'a à ce jour survécu plus de quelques mois. Outre les receveurs de valves cardiaques, tissus xénogéniques non viables, on ne dénombre dans le monde que 179 personnes encore vivantes, ayant bénéficié d'une greffe de cellules ou de tissus xénogéniques viables .

Le problème essentiel réside dans les phénomènes de rejet suraigu que provoque l'implantation d'un greffon provenant d'une espèce différente.

Compte tenu de ce risque, la recherche s'est orientée vers la modification des caractéristiques du greffon dans l'animal donneur. La production de porcs transgéniques exprimant à la surface de certaines cellules des protéines humaines est en cours de développement. Ils pourraient fournir à l'homme des organes mieux tolérés que les greffons xénogéniques non modifiés. L'expérimentation animale pratiquée sur des primates à partir de greffes de coeur de porc génétiquement modifiés n'a permis jusqu'ici qu'une survie limitée à quelques mois.

1.2. Une communauté scientifique dans l'expectative face aux risques potentiels

Au-delà des risques classiques de transmission d'une maladie infectieuse, comparables à ceux d'une allogreffe, les scientifiques s'interrogent aujourd'hui sur l'éventuel franchissement de la barrière des espèces par un agent d'origine animale jusqu'alors inconnu, lequel pourrait ensuite se répandre par contagion dans l'espèce humaine tout entière. L'immunosuppression faciliterait la dissémination virale et l'adaptation des virus à leur nouvel hôte. L'introduction de gènes humains chez les porcs pourrait, de surcroît, entraîner une préadaptation des virus aux infections humaines.

La parade consistant à élever les animaux en milieu stérile élimine, certes, les risques d'infection par contaminants habituels mais non par des provirus et des rétrovirus intégrés au génome de l'animal et transmis à sa descendance. Pour reprendre la formule du docteur JUVEZ, il s'agit d'un " risque faible quant à sa probabilité mais potentiellement élevé quant à sa gravité " .

En octobre 1997, une équipe londonienne publiait l'identification d'une souche de rétrovirus de type C associés à des cellules rénales de porc et capables d'infecter in vitro des cellules humaines. Ces chercheurs ont, de plus, trouvé deux rétrovirus endogènes, latents chez le porc, dont les provirus sont susceptibles de se réactiver chez l'homme.

Cette publication a entraîné, au Royaume-Uni, l'introduction d'un moratoire d'au moins trois ans et la mise en place de la " Xenotransplantation Interim Regulatory Authority ", chargée de distribuer les autorisations d'études. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration est temporairement revenue sur sa décision d'autoriser des essais cliniques et une demande de moratoire sur toutes les formes de xénotransplantation a été exprimée par un groupe de praticiens auxquels s'est associé Fritz BACH, chercheur à la Harvard Medical School. En Suède et en Allemagne, les chercheurs se sont imposés un moratoire volontaire. Enfin, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté, le 30 septembre 1997, une recommandation visant la mise en place, dans chacun des Etats membres, d'un mécanisme pour l'enregistrement et la réglementation :

o de la recherche fondamentale et des études cliniques ;

o de la provenance et du traitement des animaux utilisés ;

o des programmes de xénotransplantation ;

o de la surveillance à long terme des receveurs et des animaux-ressources.

Le marché des xénogreffes est porteur, même s'il ne concerne qu'un nombre relativement faible de malades dans le monde. Les évaluations vont de 1,4 à 6 milliards de dollars d'ici à 2010 et la plupart des laboratoires s'appuient sur de puissantes firmes (Nextran et Alexian aux Etats-Unis ; Imutran au Royaume-Uni, racheté par Novartis qui s'apprête à investir plus d'un milliard de dollars dans ce domaine).

1.3. La nécessité d'un encadrement législatif

" En cas de succès de la technique, l'actuel système centralisé de collecte, d'allocation et de distribution des organes humains qui existe dans la plupart des pays développés serait remplacé par un système commercial, basé sur les forces du marché, qu'il conviendrait évidemment d'encadrer par la loi. "

En France où, malgré ses antécédents historiques, la recherche sur les xénogreffes est restée relativement modeste, sans engagements financiers spécifiques, un comité pour les xénotransplantations a été créé à l'EFG et une intercommission de l'INSERM chargée de réfléchir sur les risques a préconisé un certain nombre d'axes de recherches, notamment sur le risque infectieux.

Surtout, des dispositions ont été introduites récemment dans la loi du 1er juillet 1998 sur la sécurité sanitaire. Aux termes du nouvel article L 209-18.3 du Code de la santé publique :

o les recherches cliniques portant sur l'utilisation thérapeutique des organes, tissus ou cellules d'origine animale sont soumises à autorisation du ministre chargé de la Santé après avis de l'Agence française de sécurité sanitaire et de l'EFG ;

o des règles de bonne pratique doivent être préparées par l'Agence, après avis de l'EFG. Elles concernent les activités de prélèvement, conservation, transformation, transport et utilisation de ces produits, l'élevage des animaux, les conditions sanitaires auxquelles ils devront répondre et les règles d'identification permettant d'assurer la traçabilité des produits obtenus.

Ainsi la France est-elle pour l'heure le seul des pays où se poursuivent des recherches à avoir posé, sous l'angle de la sécurité sanitaire, les bases d'une réglementation. Il conviendra d'examiner, au moment de la révision de la loi de 1994, si d'autres dispositions d'ordre juridique ou éthique s'avèrent nécessaires. Cependant, comme en bien d'autres matières touchant à la bioéthique, l'efficacité des normes internes restera limitée si une coopération internationale concernant les protocoles d'essai clinique et de surveillance épidémiologique ne s'instaure pas très rapidement.

2. La constitution de banques de cellules souches : une potentialité thérapeutique considérable dont le développement renvoie au problème de la recherche sur l'embryon

Début novembre 1998, l'hebdomadaire " Science " de Washington annonçait que les docteurs James THOMSON et Jeffrey JONES, de l'Université du Wisconsin, avaient réussi à cultiver cinq lignées de cellules souches humaines à partir d'embryons " frais " ou congelés fournis par le département de procréation médicalement assistée de l'université. Grâce à un traitement approprié, les chercheurs ont amené les cellules ES (embryonic stem), indifférenciées au départ, à se transformer en cellules cartilagineuses, osseuses, musculaires, nerveuses et intestinales. Parallèlement, John GEARHART, de l'Université Johns Hopkins à Baltimore, est parvenu au même résultat en développant une méthode légèrement différente qui fait appel à des foetus avortés de 5 à 9 semaines. La recherche sur l'embryon étant interdite aux Etats-Unis à tout chercheur percevant des fonds fédéraux, ces études ont pu être menées à bien dans un environnement universitaire grâce à la firme californienne Geron Menlo Park, qui vient de déposer un brevet mondial pour ces deux techniques.

Les possibilités thérapeutiques ainsi ouvertes -et les enjeux économiques qui y sont associés- sont considérables. Ronald Mc KAY, chef du laboratoire au National Institute of Neurological Disorders and Stroke (institut américain spécialisé dans la recherche sur les troubles neurologiques), estime qu'à long terme, la culture des cellules ES devrait avoir des répercussions décisives sur la biologie des greffes. A l'en croire, la transplantation n'en serait qu'au stade " chasseur-cueilleur ". La phase de " sédentarisation agricole " consistera à créer des banques de cellules bien caractérisées, soumises à des contrôles de qualité très stricts. D'après les premières données de l'expérimentation animale, les cellules ES pourraient être manipulées de façon à être acceptées par le système immunitaire et à générer des tissus tolérés par tous les receveurs.

Alors que ces recherches étaient encore cantonnées au domaine de l'expérimentation animale, le Comité consultatif national d'éthique a rendu le 11 mars 1997 un avis (n° 53) " sur la constitution de collections de cellules embryonnaires humaines et leur utilisation à des fins thérapeutiques et scientifiques " . Rappelant que la loi interdit " l'établissement de lignées de cellules ES à partir de blastocystes humains obtenus par fécondation in vitro et cultivés ex vivo " , il ajoute que " compte tenu des importantes perspectives dans les recherches thérapeutiques, des dispositions nouvelles prises dans le cadre de la révision de la loi devraient permettre de modifier cette interdiction " .

On n'analysera pas ici plus en détail les conditions dont le CCNE assortit cette éventuelle libéralisation, cette question étant par ailleurs abordée dans la partie du rapport consacrée à l'assistance médicale à la procréation. Bornons-nous à constater qu'il s'agit là d'un des points centraux sur lesquels le législateur devra exercer sa réflexion.

TROISIÈME PARTIE : L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION ET LE DIAGNOSTIC PRÉNATAL

Avant d'analyser, à la lumière des données statistiques et des auditions auxquelles il a été procédé, les conditions dans lesquelles l'assistance médicale à la procréation s'est développée et a évolué dans le cadre que lui avait fixé le législateur, il convient de rappeler, ici encore, les objectifs assignés aux règles qui ont été édictées en 1994.

I - LES OBJECTIFS VISÉS PAR LE LÉGISLATEUR DE 1994

1. Consacrer une approche médicalisée de la procréation à partir d'une définition fondée sur les évolutions possibles des techniques

L'article L 152-1 du Code de la santé publique vise " toutes pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel " . Cette définition très large permet d'englober non seulement les pratiques existantes lors de l'élaboration de la loi, mais encore les techniques nouvelles qui seraient amenées à se développer ultérieurement. Elle laisse donc une large part d'initiative aux praticiens, ce qui n'a pas été sans poser quelques problèmes, comme on le verra plus loin, en ce qui concerne l'absence de recherche préalable à l'application clinique dans le domaine des micro-injections.

2. Prendre en compte l'intérêt de l'enfant à naître plutôt que le droit à l'enfant

L'article L 152-2 a posé à cet égard un certain nombre de conditions à la mise en oeuvre de l'assistance médicale à la procréation :

o conditions d'ordre médical : remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement constaté ou éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité ;

o conditions d'ordre social : l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentants préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination.

Ces conditions excluent la satisfaction de demandes de pure convenance personnelle, celles des personnes seules notamment ou bien encore de couples homosexuels. Elles écartent également toute possibilité de procréation post mortem. Les choix ainsi faits par le législateur " reposent sur la conviction qu'il faut donner à l'enfant à naître le plus de chances d'épanouissement possibles en le plaçant nécessairement dans le cadre d'un couple traditionnel et consentant " .

3. Conférer un caractère subsidiaire à l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

Selon l'article L 152-6 du Code de la santé publique, l'AMP avec tiers donneur ne peut être pratiquée que comme ultime indication lorsque la procréation médicalement assistée à l'intérieur du couple ne peut aboutir.

La volonté du Sénat, qui est à l'origine de cette disposition, était d'en limiter le plus possible l'emploi compte tenu des problèmes psychologiques que ce type de don risque de créer, tant chez l'enfant ainsi conçu que chez les couples qui en seraient les bénéficiaires.

Sans remettre en cause une pratique éprouvée, la loi a par ailleurs fixé les modalités selon lesquelles un don de gamètes en vue d'une AMP peut être réalisé et elle a subordonné l'utilisation de ces gamètes à un certain nombre de conditions qui s'inspirent, pour l'essentiel, des règles éthiques et déontologiques mises en place par les CECOS (centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain) depuis de nombreuses années (gratuité, consentement, anonymat, sécurité sanitaire) et formalisées dans la charte qu'ils ont adoptée.

4. Soumettre les activités d'assistance médicale à la procréation à un encadrement réglementaire strict

La nécessité de cet encadrement avait été soulignée dès 1984 par le Comité consultatif national d'éthique mais il n'avait été qu'imparfaitement assuré par les textes réglementaires édictés avant 1994. Organisé sur la base d'une distinction entre activités cliniques et biologiques, cet encadrement se traduit par :

o un agrément des praticiens, subordonné à des conditions de qualification propres à la nature de l'activité exercée ;

o une autorisation des activités pratiquées dans des établissements et laboratoires satisfaisant à des conditions de personnel, de locaux ainsi qu'à certaines obligations de nature à garantir le respect des principes posés par la loi. Des exigences particulières ont été imposées aux établissements sans but lucratif qui sont seuls habilités à pratiquer des activités de recueil, traitement, conservation et cession de gamètes issus d'un don.

Un rôle essentiel a été dévolu, dans ce dispositif, à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal (CNMBRDP) qui est chargée, d'une part de donner un avis sur les demandes d'autorisation, d'autre part de participer au suivi et à l'évaluation du fonctionnement des établissements et laboratoires autorisés. Cette instance doit remettre chaque année au ministre chargé de la Santé un rapport portant sur l'évolution de la médecine et de la biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal . Sa composition a été élargie en 1994 afin d'y faire siéger, outre des praticiens désignés sur proposition de leurs organisations représentatives, des personnalités choisies en raison de leur compétence dans les domaines de la procréation, de l'obstétrique, du diagnostic prénatal, du conseil génétique et du droit de la filiation, et des représentants des administrations et des ordres professionnels ainsi qu'un représentant des associations familiales.

5. Refuser toute réification de l'embryon en l'entourant d'un certain nombre de protections sans aller toutefois jusqu'à lui conférer un véritable statut

Le législateur n'a pas voulu se prononcer sur la nature de l'embryon, " personne humaine potentielle " selon le Comité consultatif national d'éthique, mais s'est efforcé de tenir la balance égale entre l'exigence spiritualiste tendant à le considérer comme un être humain et la vision pragmatique ouvrant la voie à la recherche, sous certaines conditions strictement limitées.

On a ainsi cru pouvoir discerner, dans le dessin en creux de la loi, un " quasi-statut de l'embryon "  dont les éléments tiendraient aux finalités assignées à sa conception in vitro qui ne peuvent être que celles définies à l'article L 152-2 du Code de la santé publique, à l'exclusion de toutes fins de recherche ou d'expérimentation. Mais on a, par ailleurs, relevé que la loi était porteuse d'ambiguïtés, voire de contradictions, tenant au fait que :

o des études à finalité médicale et ne portant pas atteinte à l'embryon pouvaient être menées avec le consentement du couple ;

o les embryons abandonnés et conçus avant l'entrée en vigueur de la loi pouvaient être détruits dans un délai de cinq ans. " Il existe une ambiguïté, voire un paradoxe, dans le quasi-statut ainsi défini lorsqu'il interdit des recherches sur des embryons dont il autorise la destruction. De même, comment parvenir à résoudre le problème éthique des embryons surnuméraires, si cette interdiction de la recherche bloque la mise au point des techniques permettant de limiter la production embryonnaire aux stricts besoins de la procréation médicalement assistée ? "

On touche là, bien évidemment, à l'une des questions fondamentales qui se reposeront à l'occasion de la révision. Sans prétendre y apporter une réponse catégorique, on versera au dossier, dans un des développements de cette partie du rapport, les opinions et suggestions qui ont pu être recueillies au cours de notre travail d'évaluation.

II - LA FÉCONDATION IN VITRO EN CHIFFRES

Les chiffres présentés et analysés ci-après sont extraits des données comptabilisées par l'association FIVNAT. Celles qui concernent l'année 1997 sont encore partielles et ne reposent, pour certaines d'entre elles, que sur des estimations.

Tableau 1 : Evolution générale (base de données FIVNAT)

1993

1994

1995

1996

1997

Total

Nombre de centres

90

90

91

92

92

Nombre de ponctions

24 666

27 048

31 391

32 490

36 069

151 664

FIV

23 821

24 753

22 043

20 947

22 510 *

114 074

Micro-injections (ICSI)

346

2 008

6 398

11 402

13 465 *

33 619

GIFT

351

197

158

108

77 *

891

ZIFT

97

52

35

22

7 *

213

Autre

51

35

12

5

0 *

103

Non spécifié

0

3

14

5

0 *

22

Transfert d'embryons congelés

2 606

2 296

4 092

4 799

6 258

20 051

Grossesses cliniques

3 094

4 256

4 380

6 294

-

18 024

* Estimations

Observations :

Sur une base de recensement qui n'a que très faiblement varié au cours des quatre dernières années (90 centres en 1993, 92 en 1997), on relève les évolutions suivantes :

o la progression forte et régulière du nombre de ponctions ovariennes, qui passe de 24 666 en 1993 à 36 069 en 1997 (+ 46,2 %) ;

o une tendance à la stagnation, voire à la régression, de la fécondation in vitro " classique " qui, malgré un léger redressement de 1996 à 1997 (+ 7,4 %), a diminué de 5,5 % depuis 1993 ;

o la croissance quasi exponentielle de l'ICSI (+ 3 791 % de 1993 à 1997), qui représente aujourd'hui plus de 37 % du total des prélèvements ovocytaires ;

o le déclin des autres techniques de fécondation assistée (GIFT et ZIFT), qui n'ont jamais connu en France un développement significatif ;

o le transfert de plus en plus important d'embryons congelés (6 258 en 1997 contre 2 606 en 1993, soit + 140,13 %).

1. Fécondation in vitro " classique "

Tableau 2 : Description de la population

Caractéristiques

1992

1994

1996

1997

Age des femmes

33,4

33,7

33,9

34,0

Age des hommes

35,2

35,6

35,7

35,8

Durée d'infécondité

5,7

5,3

5,0

4,9

Rang de la tentative

2,32

2,17

2,16

2,12

Ovocytes recueillis

8,6

8,6

8,5

8,4

Embryons obtenus

3,81

3,90

4,23

4,07

Taux de fécondation

50,5

46,6

50,3

49,3

Embryons transférés

2,7

2,6

2,5

2,4

Observations :

Le tableau n° 2 fait apparaître :

o l'élévation de l'âge moyen des deux membres du couple ;

o la baisse de la durée d'infécondité et du rang de la tentative ;

o la réduction régulière du nombre d'embryons transférés ;

o la progression en dents de scie du nombre d'embryons obtenus et du taux de fécondation.

Tableau 3 : Evolution du taux de succès (en %)

1992

1994

1996

1997

Transferts/ponction

79,3

78,6

80,3

79,9

Taux de grossesses :
- par ponction ovarienne
- par transfert d'embryon


18,4
27,3


19,5
24,9


20,4
25,6


20,9
26,3

Naissance d'au moins
un enfant normal

13,5

14,9

15,3

-

Tableau 4 : Répartition des transferts et des taux de grossesses cliniques selon l'année et le nombre d'embryons transférés (en %)

Embryons

1992

1994

1996

1997

1

Transferts

16,4

16,3

15,8

17,0

Grossesses

8,8

10,1

10,4

11,5

2

Transferts

23,4

25,7

29,1

33,9

Grossesses

20,1

23,6

26,1

26,9

3

Transferts

37,9

39,9

41,4

40,2

Grossesses

28,4

30,1

30,3

31,6

4

Transferts

17,7

14,3

12,0

8,0

Grossesses

29,0

29,2

28,1

26,0

= 5

Transferts

4,7

3,8

1,7

0,9

Grossesses

28,9

27,7

25,1

34,2

Observations :

Alors que le taux global de succès n'a cessé d'augmenter (tableau n° 3), on note une diminution de plus en plus sensible des transferts de 4 embryons et plus qui sont passés de 22,4 % en 1992 à 8,9 % en 1997. Les centres privilégient toujours les transferts de 3 embryons qui obtiennent le taux de grossesses le plus élevé (31,6 %), mais on note par ailleurs une sensible progression des transferts de 2 embryons qui représentent désormais 33 % du total et dont le taux de grossesses est passé en cinq ans de 20,1 à 26,9 %. Comme le note FIVNAT, cette évolution est le reflet probable de la stratégie des centres qui réservent les transferts nombreux aux patientes de moins bon pronostic et pratiquent de plus en plus le transfert de 2 embryons par choix, en sélectionnant ceux qui ont les meilleures chances d'implantation.

S'agissant de l'évolution des grossesses multiples, les indications les plus récentes figurent dans le bilan FIVNAT de 1996 qui met en évidence une diminution nette, surtout des grossesses triples, même avant réduction embryonnaire, de 8,0 % en 1989 à 4,7 % en 1994, le pourcentage de réductions passant, dans la même période, de 3,4 % à 2,6 %. Au total, le taux de grossesses triples a atteint son niveau le plus bas depuis 1986. Le taux de grossesses gémellaires a lui-même diminué depuis 1992 de 25,6 % à 23,4 %. Ceci a eu comme conséquences de diminuer les taux de prématurité globale (de 32,1 % en 1989 à 26,9 % en 1994) et d'hypotrophie globale (de 41,5 % en 1988 à 24,2 % en 1994).

2. La fécondation par micro-injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde dans l'ovocyte (ICSI)

Tableau 5 : Bilan des ICSI

1992

1994

1996

1997

Ponctions

21 211

27 048

32 490

36 069

FIV

20 617

24 753

20 947

22 510 *

ICSI

83

2 008

11 402

13 465 *

* Estimations

Observations :

Comme on l'a déjà noté, la progression de l'ICSI a été spectaculaire et elle représente, en 1997, 37,7 % des fécondations in vitro. Parallèlement, la FIV classique a légèrement augmenté en 1997 mais demeure à un niveau inférieur à celui qu'elle avait atteint en 1994.

Il convient, par ailleurs, de remarquer que les femmes sont d'un an plus jeunes qu'en FIV conventionnelle et que les indications sont dominées par les stérilités masculines (82,4 % contre 35,4 % pour la FIV classique).

Tableau 6 : Aspects biologiques

Caractéristiques

1993

1994

1995

1996

Comparaison FIV 1996

Ovocytes recueillis

9,0

9,2

8,8

8,3

8,6

Embryons obtenus

2,69

2,61

3,94

4,23

4,14

Taux de fécondation (%)

31,0

31,0

47,6

54,5

49,2

Embryons transférés

2,25

2,43

2,66

2,53

Tableau 7 : Evolution des taux de succès (en %)

1993

1994

1995

1996

Comparaison FIV 1996

Transferts/ponction

71,6

75,5

89,2

91,0

80,3

Taux de grossesses :
- par ponction ovarienne
- par transfert d'embryon


13,4
18,8


15,4
20,4


21,5
24,1


24,8
27,1


20,4
25,6

Naissance d'au moins un enfant vivant

5,7

12,0

17,8

15,3

Observations :

Les résultats de l'ICSI sont en constante amélioration, tant en ce qui concerne le taux de fécondation (de 31 à 53 %) que le taux de transfert par ponction (de 71 à 92 %) et le taux de grossesses, par ponction (de 13,4 à 24,8 %) ou par transfert (de 18,8 à 27,1 %). Il est remarquable de noter que ces taux sont même devenus supérieurs à ceux de la FIV classique alors que les spermatozoïdes sont de moins bonne qualité. De plus, le nombre moyen d'embryons transférés est très voisin de celui de la FIV classique et 13,8 % seulement des transferts ont été réalisés avec plus de 3 embryons. En 1995, le taux de naissances par ponction était proche de 18 % contre 14,2 % pour la FIV classique. Outre l'élévation du taux de transfert par ponction, ces meilleurs résultats s'expliquent par le moindre nombre d'arrêts prématurés de grossesse après ICSI.

Le bilan FIVNAT 1997 note qu'il n'y a pas de différence notable entre FIV et ICSI en ce qui concerne les pathologies de la grossesse. En revanche, les taux de prématurité et d'hypotrophie sont plus bas qu'en FIV classique sur la série des grossesses issues des ponctions réalisées de 1993 à 1995. Enfin, le taux de malformations (2,5 % à la naissance, 3,2 % en incluant les interruptions médicales de grossesse) est voisin de celui observé habituellement en FIV. Cependant, ces résultats restent encore à confirmer sur de plus grandes séries .

III - LES TECHNIQUES D'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION : LA LOI ET LES PRATIQUES

1. Une définition très large au plan législatif mais incomplète au plan réglementaire

Selon l'article L 152-1 du Code de la santé publique, l'assistance médicale à la procréation " s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle, ainsi que de toute technique d'effet équivalent permettant la procréation en dehors du processus naturel " .

On a déjà souligné le caractère volontairement très large de cette définition qui a permis d'inclure dans le champ d'application de la loi les techniques développées depuis sa promulgation et, notamment, la fécondation in vitro par micro-injection (ICSI).

Pour beaucoup de praticiens cependant, le contenu purement technique de l'AMP ainsi définie ne rend pas pleinement compte d'une réalité où l'aspect relationnel tient une large place .

Quoi qu'il en soit, la liste des activités correspondant à la définition de l'article L 152-1 a été fixée comme suit par le décret du 6 mai 1995 (article R 152-9-1 du Code de la santé publique) :

1) activités cliniques :

o recueil par ponction d'ovocytes,

o recueil par ponction de spermatozoïdes,

o transfert des embryons en vue de leur implantation ;

2) activités biologiques :

o recueil et traitement du sperme en vue d'une assistance médicale à la procréation,

o traitement des ovocytes,

o fécondation in vitro sans micromanipulation,

o fécondation in vitro par micromanipulation,

o conservation des gamètes,

o conservation des embryons en vue de transfert.

Cette énumération appelle deux observations :

- Alors que l'insémination artificielle est expressément visée dans l'article L 152-1, elle ne figure pas dans la liste réglementaire et ne se trouve donc pas soumise aux conditions spécifiques édictées par la loi de 1994. Pour 64 % des praticiens interrogés par le CRJO, cette situation n'est pas satisfaisante : " même s'il s'agit d'un acte simple, certains soulignent qu'il peut nuire à la santé de la patiente s'il n'est pas réalisé dans des conditions sanitaires convenables et même se montrer préjudiciable à l'équilibre psychologique et affectif de l'enfant qui naîtra " .

- La stimulation ovarienne, qui peut être utilisée dans le cadre de la fécondation in vitro mais peut aussi constituer une méthode d'AMP dans le cadre de la procréation naturelle, n'est pas non plus visée par le décret. On lui consacrera un développement particulier avant d'examiner successivement les problèmes posés par le développement des micro-injections et la mise en oeuvre des techniques post-fécondation (transfert et cryoconservation des embryons).

2. Une technique pré-fécondatoire qui appelle un véritable encadrement : la stimulation ovarienne

2.1. Définition et finalité

La stimulation ovarienne a pour objet d'agir sur l'ovaire en vue d'obtenir, au cours d'un seul cycle d'ovulation, la maturation de plusieurs ovocytes. Elle suppose l'emploi de médicaments inducteurs d'ovulation (citrate de clomiphène, agonistes LHRH, HMG), l'ovulation étant elle-même artificiellement déclenchée par l'hormone " gonadotrophine chorionique " (HCG) .

Elle peut être employée soit pour favoriser la procréation naturelle, soit dans le cadre d'une fécondation in vitro. Dans cette seconde hypothèse, elle permet en effet :

o d'accroître les chances de grossesse en procédant au transfert de plusieurs embryons ;

o de réduire les prélèvements ovocytaires en conservant, par congélation, les embryons conçus en surnombre dans la perspective d'un transfert ultérieur.

2.2. Les inconvénients de la stimulation ovarienne

- Pour les femmes, le " forçage " médical de l'ovulation aggrave les risques d'affections iatrogènes : kystes ovariens avec parfois un syndrome grave d'hypovolémie. Des risques d'endométriose, de ménopause précoce, voire de cancer de l'ovaire chez la femme jeune ont pu également être suggérés.

- La stimulation ovarienne favorise les grossesses multiples, qui sont elles-mêmes un des facteurs importants de grande prématurité. Dans son rapport pour 1996, la CNMBRDP souligne que, " dans les vingt dernières années en France, l'augmentation des grossesses gémellaires a été de 25 % et celle des grossesses triples de 400 %. Le parallélisme du taux de grossesses multiples et de ventes de gonadostimulines est en outre parfaitement établi. Plus de 75 % des grossesses triples sont dues à ces traitements. "

De son côté, le rapport de l'INSERM " Grande prématurité, dépistage et prévention du risque " (1997) indique qu'un des facteurs importants de grande prématurité est constitué par les grossesses gémellaires et triples, qui entraînent un risque dix et cinquante fois plus élevé que les grossesses uniques. Parmi les grands prématurés qui naissent annuellement en France (environ 9 000), 1 450 environ proviennent de grossesses gémellaires et 240 de grossesses triples ou plus. La stimulation de l'ovulation est responsable respectivement de 460 (32 %) et de 180 (75 %) de ces prématurés. Au total, c'est donc un peu plus de 15 % des grands prématurés qui proviennent de grossesses multiples, dont presque 40 % (640) par l'intermédiaire des stimulations de l'ovulation .

Si la mise en oeuvre de ces thérapeutiques de la stérilité va en s'améliorant dans les centres de FIV agréés, grâce à l'encadrement des pratiques et à la compétence des médecins , il n'en va pas de même pour les prescriptions d'inducteurs d'ovulation hors FIV qui sont précisément en augmentation croissante et commencent à poser un véritable problème de santé publique. Bien que l'on ne dispose pas de données précises, on peut, par déduction du nombre d'inducteurs vendus, évaluer à 200 000 le nombre de cycles stimulés en France, hors FIV, ce qui correspond à 50 000 patientes. Ce chiffre doit être doublé si l'on prend en compte les prescriptions de citrate de clomiphène (dont 30 000 sont le fait de généralistes) .

Le rapport d'activité 1996 de la CNMBRDP fournit les raisons de cette situation :

o tous les médecins peuvent prescrire des inducteurs de l'ovulation ;

o la demande des couples pousse à la prescription dès que la moindre inquiétude sur la fécondité se fait jour ;

o il y a une convergence d'intérêts entre le médecin (qui vient en aide) et la patiente (qui se sent prise en charge) alors même qu'il n'y a ni maladie, ni nécessité de traitement.

2.3. Les solutions envisagées par diverses instances

Dès avril 1994, l'Ordre national des médecins recommandait un encadrement strict de ces pratiques. " Il ne faudrait pas " , soulignait-il, " que dans quelques années, on puisse être en présence d'un scandale semblable à celui de l'utilisation inconsidérée du distilbène et des conséquences désastreuses qui en ont résulté. "

La CNMBRDP, dans son rapport déjà cité, estime qu'une régulation s'impose pour éviter que des thérapeutiques onéreuses et inutiles provoquent des pathologies graves, voire définitives, et entraînent des réductions embryonnaires. Elle préconise un effort accru d'information des praticiens et des patientes et un contrôle de l'usage des inducteurs prescrits par un système déclaratif annuel adressé par les médecins à la CNMBRDP. Elle souhaite d'autre part étendre le contrôle de qualité qu'elle exerce dans le domaine de l'AMP à la prévention des grossesses multiples iatrogènes, provoquées par les inductions de l'ovulation hors protocoles d'AMP.

Le 13 février 1996, l'Académie nationale de médecine a également mis l'accent sur les risques très sérieux liés aux hyperstimulations ovariennes : syndromes divers dont les formes les plus graves peuvent nécessiter une hospitalisation, parfois en soins intensifs pour éviter une issue fatale ; embolies artérielles ou cérébrales, grossesses multiples. Elle recommande notamment une formation approfondie des médecins qui emploient des méthodes de stimulation ovarienne et des recherches à long terme sur l'avenir des femmes qui en ont été l'objet en raison des incertitudes sur les risques suggérés de cancer de l'ovaire ou du sein.

Quant au CCNE, il suggère, par une modification de l'article L 152-1, d'inclure explicitement la stimulation ovarienne dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, ce qui aurait, entre autres, pour effets d'imposer l'obligation d'un consentement écrit de la part du couple et de subordonner ces actes à des règles de sécurité sanitaire (avis du 25 juin 1998).

Qu'on y procède par la voie législative ou réglementaire, la soumission de ces actes médicaux pratiqués hors FIV à un encadrement plus rigoureux s'impose de toute évidence, même si la mise en oeuvre d'un contrôle s'avère difficile compte tenu du nombre de praticiens impliqués (8 000 gynécologues exerçant actuellement en France).

3. Les techniques de fécondation in vitro : le recours croissant aux micro-injections

Mieux qu'un long descriptif, quelques jalons chronologiques permettent de mesurer l'évolution spectaculaire qu'a connue en quelques années la fécondation in vitro :

o 1978 : naissance de Louise BROWN, premier enfant issu d'une FIV (Dr EDWARDS - Dr STEPTOE, Grande-Bretagne) ;

o 1982 : naissance d'Amandine, premier " bébé éprouvette " français (Dr TESTART - Dr FRYDMAN - Dr PAPIERNIK, Hôpital Antoine-Béclère de Clamart) ;

o 1992 : première naissance dans le monde d'un enfant après injection intracytoplasmique d'un spermatozoïde (ICSI) (Dr VAN STEITERGHEM - Dr PALERMO, Bruxelles) ;

o 1994 : première naissance en France d'un enfant conçu par ICSI (Dr THEBAULT - Dr TESARIK - Dr TESTART, Hôpital américain de Neuilly) ;

• 1997 : l'ICSI représente 38 % des FIV réalisées annuellement en France et l'on estime à plus de 3 000 le nombre d'enfants issus de ce type de fécondation.

En refusant d'enfermer les techniques de la procréation assistée dans une énumération limitative, le législateur de 1994 ouvrait la voie aux évolutions potentielles qui se dessinaient en ce domaine mais il ne pouvait prévoir qu'elles seraient aussi rapides ni discerner les conditions dans lesquelles allaient se développer ces innovations, hors de tout protocole de recherche et d'expérimentation préalable. C'est sur ce point surtout que l'émergence de l'ICSI est intéressante à analyser car elle fournit des enseignements valables pour l'assistance médicale à la procréation dans son ensemble, l'ICSI constituant, selon l'expression de Jacques TESTART, " le comble de l'AMP " .

3.1. De la FIV " classique " à l'ICSI : chronique d'un succès inattendu

Les circonstances " historiques " dans lesquelles s'est développée cette nouvelle technique, loin d'être purement anecdotiques, méritent d'être retracées car elles sont révélatrices des conditions dans lesquelles progressent les pratiques dans le domaine de l'AMP.

La fécondation in vitro traditionnelle -si l'on peut appliquer ce qualificatif à une pratique médicale vieille de vingt ans à peine- consiste dans la mise en contact, dans un milieu de culture approprié, des gamètes de l'homme et de la femme préalablement recueillis et préparés, pendant quarante-huit heures environ. Ce qui se produit dans l'éprouvette dépend en partie du hasard. Aussi utilise-t-on plusieurs ovocytes pour augmenter le rendement de la méthode. La fécondation est suivie d'un transfert de l'embryon in utero, au stade de quatre à huit cellules.

Cette méthode, aujourd'hui techniquement éprouvée, a été assortie de quelques variantes (ZIFT et transfert intratubaire d'embryons) qui s'en différencient essentiellement par le lieu où s'effectue le transfert (trompe et non pas utérus) et n'ont jamais connu en France un développement significatif. Très opérante pour pallier les stérilités féminines, la FIV est en revanche inadaptée aux cas de stérilité masculine sévère (oligozoospermies et asthénospermies)  dont la fréquence pourrait s'accroître selon des études récentes .

Pour parer à ce type d'infertilité, a été mise en oeuvre, dans un premier temps, la technique dénommée SUZI (subzonal insemination) consistant à injecter directement quelques spermatozoïdes sous la zone pellucide, au contact de la membrane de l'ovocyte. On peut ainsi effectuer une fécondation in vitro avec du sperme peu fécondant et éviter, en cas de succès, le recours à un tiers donneur. Mais le risque majeur que comporte cette méthode de fécondation assistée est celui de la polyspermie, c'est-à-dire la fécondation de l'ovule par plusieurs spermatozoïdes qui conduit à la conception d'un embryon non viable.

C'est à l'occasion d'une SUZI pratiquée au Centre de médecine de la reproduction de l'Université libre de Bruxelles qu'a été réalisée, accidentellement, la première ICSI : en tentant d'injecter des spermatozoïdes entre les deux membranes de l'ovule, le praticien a fait pénétrer un unique spermatozoïde dans le cytoplasme. Cette manipulation involontaire a conduit à une fécondation, puis à la naissance d'un enfant en 1992.

Compte tenu des taux de succès qu'elle a rapidement affichés, cette technique s'est répandue dans le monde entier comme une traînée de poudre. En France, après sa première réussite en 1994, l'ICSI a connu, comme on l'a déjà indiqué, une croissance quasi exponentielle en trois ans et tout donne à penser qu'elle est en passe de représenter prochainement plus de 50 % des fécondations in vitro.

Les pionniers de l'AMP ne s'en sont pas tenus là dans leur recherche des méthodes visant à combattre la stérilité masculine. En 1995, Jan TESARIK et Jacques TESTART annonçaient la naissance de deux enfants issus d'une technique de fécondation sans spermatozoïde baptisée ROSI (round spermatic injection) qui consiste à injecter dans l'ovule, non plus un spermatozoïde, mais une spermatide prélevée directement dans le testicule . Plus récemment (décembre 1997), Nikolaou SOFITIS, praticien de la FIV à l'Université de Yonago (Japon), faisait état de deux grossesses obtenues par SESI (secondary spermatocyte injection) où la fécondation se réaliserait à partir de spermatocytes de stade 2, prélevés dans la phase la plus précoce de la gamétogenèse.

Pour s'en tenir à l'ICSI, dont on peut considérer qu'elle est d'ores et déjà entrée dans une phase de routine, le débat reste ouvert sur ses conséquences touchant le développement des enfants conçus selon cette méthode. Ces incertitudes conduisent à s'interroger sur les conditions dans lesquelles se développe aujourd'hui la fécondation in vitro, la pratique du fait accompli ne pouvant être érigée en règle générale de conduite dans un domaine qui concerne très directement la protection de la personne.

3.2. Les risques des micro-injections pour les enfants à naître : un débat qui renvoie à celui, plus général, sur les méthodes de la procréation assistée

3.2.1. Les risques de la technique

La philosophie sous-jacente de tous les traitements d'infertilité par reproduction assistée " est fondée sur l'hypothèse de la qualité procréative d'un spermatozoïde (capacité à contribuer à la naissance d'une descendance normale) : elle n'est pas simplement corrélée aux caractéristiques du spermatozoïde fécondant sélectionné au cours de la fécondation naturelle. Il est donc supposé que le fait de court-circuiter une ou plusieurs étapes de processus de sélection naturelle ne met pas en danger la qualité du conceptus. "

L'élimination des étapes de sélection aboutit à une réduction du rapport numérique entre gamètes mâles et femelles dont le tableau ci-dessous, établi par Jacques TESTART , illustre le caractère spectaculaire :

Méthode de fécondation

Nombre d'ovocytes

Niveau d'insémination

Nombre de spermatozoïdes

Rapport sexuel

1

Vagin

200 000 000

Insémination artificielle

1 - 3

Col utérin

Cavité utérine

Trompe

10 000 000

5 000 000

1 000 000

Fécondation in vitro

5 - 20

Eprouvette ou boîte

Tube capillaire ou goutte

Sous la zone pellucide (SUZI)

Dans le cytoplasme (ICSI)

50 000

5 000

5

1

En permettant à des hommes dont les spermatozoïdes sont trop rares ou trop mal formés d'accéder néanmoins à la paternité, quels risques fait-on courir à leur descendance ?

Il a été constaté, chez les sujets présentant une oligoasthénotératospermie, un taux d'anomalies chromosomiques dix fois supérieur au reste de la population (6,5 % contre 0,6 %). Ces anomalies concernent le plus souvent les chromosomes sexuels. Le risque augmente avec le degré de l'atteinte spermatique, passant de 2,2 % pour un spermogramme normal à 5,1 % en cas d'oligospermie, 14,6 % en cas d'azoospermie et 20,3 % en cas d'azoospermie secrétoire. L'anomalie de la spermatogenèse existant chez ces pères infertiles semble être en rapport avec des délétions (amputations) des bras longs du chromosome Y ; on ne peut donc exclure un risque de transmission de cette infertilité à l'enfant. Mais, par delà ce premier risque non négligeable, rien ne permet d'affirmer avec certitude que ne puissent être transmises d'autres anomalies génétiques, encore non identifiables en l'état actuel des moyens de détection, et qui affecteraient des fonctions physiologiques générales.

Pour l'heure, les études publiées sur le développement des enfants nés après ICSI, ne peuvent, faute de recul suffisant, être considérées comme concluantes d'autant qu'elles divergent parfois dans leurs appréciations. Ainsi en va-t-il de deux études, l'une australienne, l'autre belge, publiées le 23 mai 1998, dans le même numéro de " Lancet ". En France, une étude multicentrique réalisée par les BLEFCO (biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'oeuf) portant sur 2 919 grossesses obtenues par ICSI confirme les résultats du groupe de Bruxelles : l'ICSI ne semble pas créer d'anomalies mais est évidemment susceptible de transmettre une anomalie parentale, en inventant par exemple " la stérilité héréditaire " . Par ailleurs, une étude de FIVNAT relative à l'évolution des grossesses ICSI sur la période 1994-1996 a été menée dans seize départements et a mis en évidence l'augmentation des risques d'anomalies gonosomiques, autosomiques et cardiologiques chez les enfants conçus par ICSI .

La conclusion est... qu'on ne peut conclure et ce d'autant moins, comme le souligne le professeur Charles THIBAULT , que " l'absence d'anomalies chez l'enfant ou l'adulte nés par ICSI n'est pas un argument valable. L'anomalie portée par le spermatozoïde reste généralement cachée tant que la fécondation n'a pas lieu avec un ovocyte porteur d'une mutation ou d'une délétion du même ou des mêmes gènes. En clair, si l'anomalie n'est pas exprimée chez l'enfant, rien n'indique qu'elle ne se révélera pas dans les générations suivantes, quand cet enfant ou un de ses descendants sera le partenaire d'une femme elle aussi porteuse des mêmes anomalies géniques ."

3.2.2. Le débat sur la méthode

Dès 1994, le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 42 sur l'évolution des pratiques d'AMP, avait recommandé la plus grande vigilance à propos de l'ICSI dont il relevait les dangers potentiels. Des efforts devaient être faits pour trouver un modèle animal et respecter les règles applicables à la recherche médicale. Les couples devaient être informés du caractère expérimental de la méthode. Les protocoles expérimentaux devaient être de nature à permettre une évaluation rigoureuse de celle-ci. L'ICSI ne devait pas être associée à d'autres techniques susceptibles de faciliter la pénétration dans l'ovocyte d'éléments étrangers.

Il est rien moins que sûr que ces recommandations aient guidé les pratiques suivies depuis quatre ans. Un fait significatif est mis en évidence par l'enquête menée par trois chercheurs français auprès des 48 CCPPRB  et à laquelle 36 comités ont répondu : bien que l'ICSI soit développée dans plus de vingt centres de PMA, trois d'entre eux seulement ont jugé nécessaire d'en référer à un CCPPRB sans que la loi leur en fasse obligation. Les comités, qui déplorent cette situation, estiment qu'ils devraient superviser l'ensemble des procédures et que ces dernières devraient avoir été précisées avant que les centres ne décident de mettre en oeuvre la technique. L'AMP montre ici sa singularité : une technique innovante et non évaluée est souvent considérée par ses utilisateurs comme une simple amélioration de celles déjà existantes et validées .

Ainsi se trouve posé, à propos de l'ICSI, le problème général des conditions dans lesquelles sont mises en oeuvre les techniques d'AMP. Deux conceptions de la recherche sont ici en présence :

- Pour les uns, il faut prendre en compte les bouleversements apportés par l'AMP au processus habituel de l'évolution des traitements médicaux (recherche fondamentale, expérimentation animale, application clinique). Dans l'AMP intervient en premier lieu l'identification des obstacles à l'efficacité thérapeutique, ce qui fait référence à la notion de rendement, voire de performance. Lorsqu'une expérimentation animale est ensuite mise en oeuvre, elle vise exclusivement à une mise au point technique et à une démonstration de faisabilité mais n'a pas les moyens d'apporter une démonstration d'innocuité : elle repose, pour une part, sur un empirisme éclairé et débouche rapidement sur une application clinique comportant des risques potentiels, d'où l'absolue nécessité d'une évaluation clinique exhaustive sur une certaine durée. La principale retombée de cette application clinique est qu'elle ouvre de nouvelles questions qui vont alimenter la recherche fondamentale. Ainsi l'application clinique précède la recherche, comme le démontre l'ICSI. Bernard SELE, président des BLEFCO, à qui nous empruntons cette analyse, en conclut : " Il faudrait se garder d'invoquer une soi-disant défaillance du pré-requis scientifique qui pourrait conduire à une attitude d'abstention dans la prise en charge de l'infertilité, masculine en particulier, alors que les réactions réellement à l'oeuvre sont d'inspiration idéologique. "

Autre justification apportée à cette démarche pragmatique par Jacques TESTART : " On ne peut pas négliger que les souffrances de nos contemporains peuvent parfois légitimer l'action avant que la science ne soit capable d'y apporter sa garantie. "

- A l'opposé se situe la position défendue par Bernard JEGOU, directeur du groupe d'étude de la reproduction chez le mâle à l'INSERM , pour qui l'ICSI a constitué " un coup d'état biologique " inscrit dans un contexte de banalisation incessante du risque, au regard de laquelle le travail du biologiste fondamental s'apparente à un combat d'arrière-garde face à des digues déjà rompues. Plusieurs lacunes doivent être mises selon lui en évidence dans la pratique de l'AMP :

o l'absence d'avis préalable à l'expérimentation humaine ;

o la quasi-absence, voire l'absence, d'expérimentation animale ;

o l'absence de délai entre l'annonce d'une percée dans l'expérimentation animale et sa transposition chez l'homme, qui se fait donc sans validation des résultats ;

o l'absence de " bonnes pratiques de laboratoire ".

Les arguments invoqués par les praticiens (durée limitée de la fertilité féminine, marge d'incertitude et coût de l'expérimentation animale, réussites antérieures et charge de la preuve incombant aux scientifiques en ce qui concerne le danger éventuel de leurs méthodes) ne sauraient faire oublier que " la technique doit être au service de la science " , que dans le domaine du médicament, ce sont des tragédies comme celle de la thalidomide qui ont imposé les modèles animaux et que l'industrie de la procréation assistée (cliniques, fabricants d'hormones) ne réinvestit aucun profit dans la recherche, à la différence de l'industrie pharmaceutique.

Bernard JEGOU observe en outre que le suivi des enfants ainsi conçus est éminemment subjectif puisque le monde de l'AMP est juge et partie et opère sur le mode déclaratoire, sans l'intervention de techniciens-inspecteurs spécialisés dans les essais cliniques. Même si elles doivent beaucoup à la conscience des praticiens de l'AMP, les évaluations actuelles sur les résultats de l'ICSI souffrent de diverses limites, dont un taux de perdus de vue important.

Ces constatations le conduisent à proposer la création dans ce domaine d'une instance de régulation à l'image de l'Agence du médicament afin de rompre le caractère trop autogéré de l'AMP, illustré notamment par la composition de la CNMBRDP . Il conviendrait aussi de développer la formation à la recherche, animale et humaine, des praticiens de l'AMP et de pratiquer une politique volontariste d'appel d'offres en faveur de la recherche biologique fondamentale et appliquée en reproduction.

Enfin, et cette suggestion rejoint les préoccupations exprimées par de nombreux praticiens, il conviendrait de mettre en place un suivi des enfants offrant toutes les garanties méthodologiques.

Dans l'avis qu'elle avait adopté le 13 février 1996, l'Académie de médecine estimait qu'une différenciation devait être faite entre les techniques d'AMP selon quelles sont éprouvées, en cours d'évaluation ou encore à l'état de recherche, afin de garantir la sécurité du patient et d'éviter un passage trop rapide de l'expérimentation à la pratique. Une information complète du couple sur les risques particuliers encourus et l'intervention d'un conseil génétique préconceptionnel lui paraissaient devoir s'imposer avant toute mise en oeuvre de l'ICSI. Plus de 73 % des praticiens interrogés par le Centre régional juridique de l'Ouest en 1997 adhèrent à ces recommandations, mais rien ne permet d'affirmer qu'elles ont été suivies d'effet. Quant au guide de bonnes pratiques, prévu par l'article R 184-1-11 du Code de la santé publique, qui doit préciser entre autres les indications particulières de la mise en oeuvre de l'ICSI, il n'a pas été à ce jour publié bien que son élaboration ait occupé un groupe de travail pluridisciplinaire de la CNMBRDP tout au long des années 1996 et 1997.

Il appartiendra au législateur de tirer les leçons de cet état de fait et de s'interroger sur les conditions dans lesquelles il convient de réguler les techniques d'AMP afin qu'elles respectent le principe général qui conditionne l'objectif visé aux moyens utilisés (efficacité, innocuité et qualité des procédures d'une part, conséquences éthiques d'autre part).

4. Les techniques post-fécondatoires : le transfert multiple d'embryons et la conservation des embryons surnuméraires

4.1. La non-limitation du nombre d'embryons transférés et ses conséquences

S'écartant des dispositions adoptées par d'autres pays européens , le législateur de 1994 n'a pas jugé opportun de limiter en nombre le transfert des embryons après la fécondation in vitro, laissant ainsi aux praticiens le soin de choisir, au cas par cas, la solution la plus adaptée compte tenu de la qualité des embryons, des connaissances acquises en matière de transfert, des risques de grossesses multiples, de la demande des couples et de l'âge de la femme.

On sait en effet que les chances d'implantation, qui ne sont que de 10 % pour un seul embryon transféré, passent à 15 % pour deux embryons et à 25 % pour quatre embryons et plus. Les risques afférents résident dans l'augmentation des grossesses multiples avec les conséquences qui en résultent (prématurité, élévation du taux de mortalité et de morbidité périnatale).

Face à ces risques, les praticiens peuvent être amenés à pratiquer des réductions embryonnaires sur la légalité desquelles le débat juridique reste ouvert : dans son avis n° 44, le Comité consultatif national d'éthique avait souligné que certaines de ces réductions embryonnaires se situaient " hors le champ de la loi " si l'on admettait qu'il s'agissait d'une forme d'interruption de grossesse. Si, au contraire, ajoutait-il, on considère que la grossesse n'est pas interrompue parce qu'elle continue pour des embryons préservés, " la réponse n'est actuellement contenue ni dans la loi, ni dans la jurisprudence " . Ce constat, formulé en 1991, demeure d'actualité. " La réduction embryonnaire a été oubliée par la loi du 29 juillet 1994. "

Cela étant, il convient de souligner que la pratique s'est orientée au fil des ans vers une réduction du nombre moyen d'embryons transférés. Selon les chiffres publiés par FIVNAT, les transferts de plus de quatre embryons sont passés de 16,8 à 8,2 % du total entre 1993 et 1997. Les transferts de deux embryons sont passés de 22,6 à 33,9 %, les transferts d'un et trois embryons demeurant stables dans une proportion respective de 16 et 40 %. Parallèlement, on constate, dans le cadre de la FIV, une diminution significative du taux des grossesses multiples (- 3,3 % pour les grossesses triples de 1989 à 1994, - 2,2 % pour les grossesses gémellaires de 1992 à 1996) et, corrélativement, du taux des réductions embryonnaires.

Les taux de réussite obtenus avec le transfert de deux embryons seront sans doute améliorés par la pratique de la coculture, qui permet de prolonger le développement in vitro des embryons pendant cinq jours jusqu'au stade de blastocyste, mais dont l'évaluation sanitaire reste encore à faire. Dans ces conditions, l'autorégulation liée au progrès des techniques conduit à penser qu'il n'est pas nécessaire sur ce point d'introduire dans la loi des dispositions contraignantes. Cependant, comme le souligne Jacques TESTART, " tant que le potentiel évolutif de chaque embryon restera inconnu, il sera nécessaire, pour maintenir les taux de succès, de transférer des embryons en excès. L'identification des embryons viables est donc un nouvel enjeu dont la mise en application recoupe l'identification des embryons " normaux ", même si les philosophies qui régissent l'une et l'autre sont différentes : en l'absence de marqueurs morphologiques ou biochimiques de la viabilité, celle-ci ne peut être partiellement appréciée que sur des critères génétiques et s'inscrit donc dans le cadre du diagnostic génétique préimplantatoire même si la loi de 1994 n'a pas encore accepté cet élargissement du DPI. " Comment ne pas souligner ici l'étroite imbrication des différentes problématiques dans laquelle s'inscrit la procréation médicalement assistée ?

4.2. La conservation des embryons : de l'embryon " en attente " à l'embryon " orphelin "

La loi de 1994 a autorisé la conservation des embryons. Comme l'a observé M. MATTEI, ce choix prenait en compte une situation de fait (l'existence, au moment de l'élaboration du texte, d'un grand nombre d'embryons congelés et abandonnés, évalué à plus de 2 000). D'autre part, le législateur y voyait une solution très provisoire dans la perspective, annoncée comme proche, d'une possible congélation des ovocytes . Sur ce point, les attentes ont été quelque peu déçues, la science n'ayant pas encore fourni une réponse satisfaisante à cette question . De ce fait, le problème des embryons surnuméraires reste entier en 1999. Deux types de situation doivent être ici distingués :

- S'agissant des embryons encore inscrits dans un projet parental, la question qui se pose est celle des effets de la cryoconservation en ce qui concerne, d'une part les chances d'implantation, d'autre part les effets sur l'enfant à naître. Sur le premier point, il est généralement admis que 30 % des embryons ne résistent pas à la congélation et que le taux d'implantation est dans cette hypothèse sensiblement inférieur à celui de l'embryon frais (5 à 10 % contre 15 %). Sur le second point, une étude suédoise récemment publiée (" Lancet " du 10 avril 1998) semble établir que les enfants nés après FIV et cryopréservation se développent normalement jusqu'à 18 mois et ne présentent aucune altération physique ou psychomotrice mais l'on ne dispose pas, actuellement, sur ce point d'un véritable suivi épidémiologique. Cela étant, il ne serait pas inutile, d'une part que les parents, maîtres de la décision selon la loi, bénéficient à ce sujet d'une information aussi complète que possible, d'autre part que les établissements assurant cette conservation fassent l'objet d'un agrément spécifique tenant compte des données sanitaires, éthiques et relationnelles propres à ce type d'activité .

- S'agissant des embryons " orphelins ", plusieurs interrogations restent en suspens :

o Quant à leur nombre, tout d'abord : aucune évaluation précise ne peut aujourd'hui être fournie, car il est malaisé d'établir une distinction entre les embryons définitivement abandonnés et ceux qui sont encore susceptibles d'être accueillis.

o D'autre part, quelle a été la pratique touchant les embryons conçus avant 1994 et dont la loi autorisait la destruction, sans préciser d'ailleurs à qui incombait la décision ? Autant d'incertitudes qui expliquent qu'un chiffre précis ne puisse être avancé dans l'attente d'un recensement dont le ministère de la Santé annonce les résultats pour 1999. Plusieurs des praticiens entendus  ont souligné le caractère préoccupant d'une situation où chaque centre est appelé à résoudre, au cas par cas, le problème posé par ces embryons abandonnés.

o On évoquera plus loin le débat que suscite, au regard de la recherche, l'existence de ces embryons surnuméraires. Bornons-nous à constater pour l'instant que l'une des alternatives offertes par la loi - l'accueil de l'embryon par un autre couple - n'a pu, faute de décret d'application, être utilisée. Plusieurs raisons ont pu être avancées pour expliquer cette carence du pouvoir réglementaire.

- La CNMBRDP, dans son rapport, souligne les difficultés tenant à la différence de régime établie entre les embryons fécondés avant et après l'entrée en vigueur de la loi, ainsi que les problèmes de sécurité sanitaire découlant de l'absence d'examen médical obligatoire pour l'insémination intraconjugale.

- Le professeur FRYDMAN a mis en évidence une discordance entre l'autorisation très strictement encadrée des établissements pratiquant le don de gamètes (article L 673-5 du Code de la Santé publique) et le libéralisme qui prévaut en matière de don d'embryons, celui-ci pouvant être pratiqué dans tous les centres de PMA détenant un stock d'embryons congelés (article L 152-5) . Ne conviendrait-il pas, dans ces conditions, de procéder à une harmonisation législative ?

Par delà ces problèmes techniques, le professeur MATTEI a mis en avant ce qu'il considère comme une difficulté de fond . Elle tient au mélange des genres opéré par la loi (d'un côté, la notion de don qui ne peut s'appliquer qu'à un objet, de l'autre, la procédure d'accueil qui se calque sur l'adoption). Comment assimiler à l'adoption une mise au monde qui a toute l'apparence d'une création naturelle et rend quasi impossible la révélation de la vérité à l'enfant ?

Ces dispositions seront-elles caduques avant même d'avoir été appliquées ? C'est là une des questions importantes qui se poseront au moment de la révision.

5. La loi face au développement des techniques de clonage

5.1. Les récentes avancées scientifiques

On rappellera ici brièvement les progrès accomplis depuis deux ans dans le domaine du clonage animal, que ce soit à partir de cellules adultes ou d'origine foetale, progrès qui ont suscité l'intérêt des chercheurs mais aussi l'inquiétude de la communauté internationale.

Le premier événement majeur a été constitué par la naissance le 23 février 1997 à l'Institut Roslin d'Edimbourg du clone d'une brebis adulte obtenu après 277 tentatives par transfert d'un noyau prélevé sur une glande mammaire. Cette réussite faisait suite aux premiers succès obtenus au début des années 1980, notamment par des chercheurs de l'INRA, dans le clonage d'ovins et de bovins à partir de la section d'embryons au premier stade de leur développement, puis par transfert d'un noyau prélevé sur une cellule foetale. Copie conforme de sa mère génétique, Dolly constitue le premier clone d'un mammifère adulte.

Soulignant l'importance de cette technique pour la duplication d'animaux transgéniques " humanisés ", les chercheurs écossais annonçaient ensuite, en juillet 1997, la création de Polly, première brebis clonée porteuse, au sein de son génome, d'un gène humain et susceptible de produire dans son lait une protéine thérapeutique. Deux veaux transgéniques clonés à partir d'une cellule foetale ont ensuite été produits en janvier 1998 dans un laboratoire du Massachusetts.

En mars 1998, Marguerite, première génisse obtenue en France à partir du clonage d'une cellule musculaire prélevée sur un foetus de 60 jours, était présentée par l'INRA au Salon de l'agriculture.

Tout récemment (décembre 1998), un groupe de chercheurs japonais reprenant la technique mise au point par l'Institut Roslin a réussi le clonage de huit veaux à partir de cellules provenant, soit du tissu ovarien, soit de l'oviducte d'un seul animal adulte. Les cellules ainsi clonées avaient été cultivées in vitro jusqu'au stade blastocyste et dix embryons avaient pu être implantés dans l'utérus de cinq vaches porteuses. Comme le remarque le professeur Axel KAHN, " si la mortalité observée dans cette expérience était maîtrisée -et même si elle devait rester à 50 %- l'extrême facilité du clonage animal et son taux de succès en feraient une grande méthode alternative à la procréation pour la sélection et la production d'embryons bovins " .

Le Groupe des conseillers pour l'éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne souligne d'autre part, dans son avis du 28 mai 1997, que le clonage animal est porteur d'utilisations potentielles extrêmement positives dans le domaine de la médecine et de la recherche médicale : amélioration des connaissances génétiques et physiologiques, réalisation de modèles de maladies humaines, production à un moindre coût de protéines (telles les protéines de lait utilisables à des fins thérapeutiques), constitution de banques d'organes ou de tissus servant à des xénogreffes.

Envisagées sous cet angle, les recherches et expérimentations en cours ne soulèvent bien évidemment aucune objection sous réserve que soient respectées un certain nombre de conditions éthiques touchant l'expérimentation animale . Plus inquiétante en revanche est la perspective que le perfectionnement sur le modèle animal des techniques de clonage reproductif ne conduise à l'expérimentation sur l'homme.

Un certain nombre d'instances internationales ont pris récemment position avec force contre cette éventualité. Mais ces proclamations ont, le plus souvent, un caractère symbolique et masquent les divergences d'approche qui se manifestent d'un bord à l'autre de l'Atlantique.

5.2. Réactions internationales et positions anglo-saxonnes

Après la naissance de Dolly, un certain nombre d'instances européennes et internationales ont condamné par anticipation le clonage humain à visée reproductive.

- Au plan européen tout d'abord , après la résolution adoptée le 12 mars 1997 par le Parlement européen et l'avis émis le 28 mai 1997 par le groupe des conseillers pour l'éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, un protocole additionnel à la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, portant interdiction du clonage d'êtres humains , a été adopté en novembre 1997 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe et signé le 12 janvier 1998 par 17 des 40 pays membres. Son article 1 er interdit " toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain, vivant ou mort " . Il est intéressant de souligner la distinction qu'établit à cette occasion le rapport explicatif entre " le clonage de cellules en tant que technique, l'utilisation des cellules embryonnaires dans les techniques de clonage et le clonage d'êtres humains au moyen, par exemple, des techniques de division embryonnaire ou de transfert de noyau " . Ce dernier -le clonage reproductif- est seul visé par le Protocole additionnel. S'agissant du clonage à visée thérapeutique faisant appel à des cellules embryonnaires, il devra être examiné dans le Protocole sur la protection de l'embryon. On voit ainsi que la séparation entre clonage reproductif condamné et clonage thérapeutique autorisé mérite d'être nuancée puisque ce dernier met en cause les finalités qui peuvent être assignées à l'utilisation des embryons.

La prohibition a une portée absolue, l'article 2 du Protocole précisant qu'aucune dérogation n'est autorisée au titre de l'article 26 de la Convention. Il s'agit, pour l'heure, du seul instrument juridique international contraignant interdisant le clonage d'êtres humains .

- Au plan international , l'Organisation mondiale de la santé a publié le 11 mars 1997 une déclaration condamnant le clonage au nom des principes fondamentaux régissant la procréation médicalement assistée, notamment le respect de la dignité de la personne humaine et la protection de la sécurité du matériel génétique humain.

D'autre part, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme de l'UNESCO , en date du 11 novembre 1997, énonce dans son article 11 que " des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d'êtres humains, ne doivent pas être permises " . Cette déclaration a été adoptée par la 53 ème assemblée générale des Nations-Unies, le 9 décembre 1998.

Par delà l'unanimité qui se manifeste dans ces proclamations (auxquelles on peut ajouter les positions prises par les membres du G8, à Denver, en juin 1997), il convient de mettre en évidence les positions moins catégoriques qui se sont exprimées sur ce problème aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne.

- Les positions anglo-saxonnes

Si le président CLINTON, réagissant aux déclarations extravagantes du physicien Richard SEED, a décidé, en mars 1997, d'interdire que des fonds fédéraux puissent être consacrés à des expériences sur le clonage humain, cette mesure, on le sait, n'interdit pas la poursuite de la recherche sur fonds privés, puissamment soutenue outre-Atlantique. Il est d'ailleurs significatif que le Sénat américain ait rejeté en février 1998 un projet de loi d'origine républicaine interdisant définitivement tout clonage humain. Seule la Californie a prohibé le clonage humain ainsi que la manipulation et le commerce d'embryons.

En Grande-Bretagne, où la Human Genetics Advisory Commission et la Human Fertilization and Embryology Authority avaient lancé l'an dernier une consultation sur le sujet, le rapport remis au Premier ministre en décembre 1998 propose de maintenir l'interdiction du clonage à visée reproductive et d'autoriser le clonage de tissus humains à des fins thérapeutiques , ce qui implique la création, pour cet usage spécifique, d'embryons qui n'auraient pas une vocation procréative. On voit se reposer ici la question de l'instrumentalisation de l'embryon qui divise, depuis de nombreuses années, la communauté scientifique européenne.

5.3. Les barrières juridiques édifiées en 1994 sont-elles suffisantes ?

Les lois bioéthiques n'interdisent pas explicitement le clonage pour la raison que cette technique ne semblait pas, à l'époque, applicable à l'homme.

Cela étant, prévoir cette interdiction n'est pas indispensable sur un plan strictement juridique. Comme le note le Conseil d'Etat dans son rapport public de 1998, " il ne fait guère de doute que l'article 16-4 du Code civil  contient déjà, dans sa rédaction actuelle, une interdiction de jure du clonage reproductif car celui-ci porte évidemment atteinte à l'intégrité de l'espèce humaine et constitue une transformation des gènes dans le but de modifier la descendance de la personne, toutes choses formellement prohibées " .

Dans l'avis qu'il a rendu à la demande du Président de la République (n° 54 du 22 avril 1997), le Comité consultatif national d'éthique fait une analyse similaire. Il estime en outre que les dispositions du Code de la santé publique relatives à l'assistance médicale à la procréation sont incompatibles avec des techniques de clonage qui, d'ailleurs, ne sauraient constituer une méthode " procréative " ; il en est de même des règles encadrant les études sur l'embryon et prohibant toute recherche et expérimentation.

Toutefois, à des fins pédagogiques, et compte tenu de l'absence, dans la loi, d'une disposition expresse sur ce point, le CCNE s'est montré favorable à une clarification des textes, certains de ses membres s'interrogeant néanmoins sur l'opportunité d'ajouter à la loi une nouvelle interdiction chaque fois qu'apparaîtrait une grave dérive de cet ordre.

Le débat est donc ouvert. Quelle que soit la solution que retiendra le législateur, il devra garder présente à l'esprit la portée limitée de la norme juridique interne face à un environnement international instable où les pressions économiques, sociales et culturelles ne se heurtent, pour l'heure, qu'à des barrières morales dépourvues de force contraignante.

Au surplus, la distinction commode et un peu rapide qui tend à s'établir entre le clonage reproductif -prohibé- et le clonage thérapeutique -admis- fait bon marché des problèmes éthiques que peut soulever ce dernier s'il conduit à une instrumentalisation de l'embryon, utilisé comme banque de cellules, hors de tout projet parental. La Grande-Bretagne, fidèle à son orientation pragmatique, pourrait s'ouvrir, on l'a vu, à cette possibilité. Sera-t-il possible, ici encore, dans le respect des principes posés par la Convention d'Oviedo, de parvenir à une attitude commune des différents pays européens ?

IV - L'ACCÈS DES COUPLES À L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

L'objet de l'assistance médicale à la procréation est, selon l'article L 152-2 alinéa 1 du Code de la santé publique, de répondre à la demande parentale d'un couple. Le législateur a subordonné sa mise en oeuvre à des conditions d'ordre médical, d'une part, d'ordre social, d'autre part.

1. Les conditions d'ordre médical

L'AMP a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Elle peut aussi avoir pour objet d'éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité.

1.1. Le diagnostic de l'infertilité

Quelques problèmes d'interprétation et d'application ont pu être soulevés à propos de l'infertilité et, tout d'abord, en ce qui concerne son caractère pathologique. L'infertilité normale due à la ménopause ne peut rentrer dans ce champ. Pourtant, l'évolution actuelle qui tend à substituer à la condition d'intérêt thérapeutique celle de " bien-être " du patient ne pourrait-elle aboutir à faire accepter une assistance médicale dans ces hypothèses ? Afin d'éviter que des solutions différentes ne soient adoptées dans des cas identiques, la profession médicale devrait ici s'organiser pour réfléchir sur l'interprétation de " l'infertilité médicalement diagnostiquée " et élaborer des règles de bonne conduite .

D'autre part, l'établissement d'un diagnostic médical mettant en évidence le caractère pathologique de l'infertilité suppose que celle-ci soit établie au moment de la demande d'AMP et laisse donc de côté l'hypothèse d'un traitement médical susceptible de compromettre la fertilité à plus ou moins long terme (traitements anticancéreux, par exemple). Pour faire face à ce type d'éventualité, les patients ont recours de plus en plus fréquemment à l'autoconservation de sperme dont les demandes se sont accrues de plus de 11 % entre 1996 et 1997 selon les statistiques des CECOS. Le professeur JOUANNET a souligné la nécessité d'une réglementation de cette pratique, actuellement ignorée par la loi . Pour la femme soumise à une thérapie stérilisante, cette ressource n'existe pas en l'état actuel des techniques qui ne permettent pas de congeler les ovocytes. Elle n'aurait donc d'autre solution que de recourir à la FIV mais la loi ne l'y autorise pas dans cette hypothèse. Le ferait-elle qu'il conviendrait encore de régler le sort de l'embryon conservé dans le cas où le risque de stérilité ne se réalise pas .

1.2. La transmission d'une maladie d'une particulière gravité : le cas des couples séro-différents

La notion de " maladie d'une particulière gravité " soulève, outre son interprétation par les praticiens, le problème connexe de la sélection des embryons transférables qui sera examiné par ailleurs à propos de la mise en oeuvre du diagnostic préimplantatoire régi par l'article L 162-17 du Code de la santé publique. Mais elle peut aussi être envisagée sous un angle particulier que n'avait pas prévu le législateur de 1994 : celui de la mise en oeuvre de l'AMP dans le cas d'un couple séro-différent .

Une enquête du docteur HAMAMAH  a fait apparaître que 3 à 13 % des praticiens acceptaient de prendre en AMP des couples dont l'un des partenaires est contaminé par le VIH. Certains médecins ont regretté à ce propos l'absence de directives législatives et réglementaires précises, d'autres, en revanche, estimant que ces choix relevaient de la responsabilité individuelle du praticien.

L'avis (n° 56) émis le 10 février 1998 par le Comité consultatif national d'éthique, conjointement avec le Conseil national du SIDA, se limite au seul cas des couples où l'homme est séropositif (et où il n'existe donc pas de risques directs pour l'enfant à naître). Evoquant les quatre possibilités aujourd'hui proposées aux couples en désir d'enfant (adoption, insémination artificielle avec donneur, rapports non protégés avec monitorage médical de l'ovulation, insémination intra-utérine de spermatozoïdes traités), le CCNE préconise, en premier lieu, l'assistance médicale avec tiers donneur mais juge acceptable, en second lieu, l'insémination intraconjugale de spermatozoïdes traités et contrôlés de l'homme séropositif (insémination effectuée dans les formes d'une recherche biomédicale sur l'homme en application de la loi du 20 décembre 1988 et après avis de la Commission nationale de médecine de la reproduction et du diagnostic prénatal).

Sans introduire des discriminations liées à l'état de santé des demandeurs, la loi devra-t-elle apporter des précisions sur ce point ? On peut penser, à tout le moins, qu'une concertation des praticiens conduisant à une harmonisation de leurs comportements devrait être organisée.

2. Les conditions d'ordre social

2.1. L'exigence d'une durée minimale de vie commune pour les couples non mariés : mise en oeuvre et pertinence

Cette condition est le fruit d'une transaction entre les deux assemblées, le Sénat souhaitant à l'origine l'imposer à l'ensemble des couples mariés ou non. En la restreignant aux concubins, on a voulu éviter qu'une personne mariée et stérile ne soit contrainte d'attendre deux ans pour tenter d'avoir un enfant. Les critiques qui sont aujourd'hui adressées à cette disposition portent, d'une part sur ses modalités de mise en oeuvre, d'autre part sur sa pertinence même :

- Sur le premier point, on a fait observer que les couples ne sont soumis à aucune exigence de preuve, mais doivent être simplement en mesure de l'apporter. Il est difficile d'imaginer les médecins appréciant les différentes preuves fournies par les concubins . L'enquête menée auprès des établissements d'AMP par le CRJO révèle d'ailleurs une grande diversité de pratiques (déclaration écrite, attestation de concubinage, simple déclaration orale). La loi ne précise pas, d'autre part, si le concubinage doit avoir été continu au cours de cette période. C'est donc au praticien qu'il appartient d'apprécier les conditions de vie et la stabilité de l'union dans le cadre de l'entretien préalable. Ni sa formation ni sa pratique ne le rendent apte à assumer une telle fonction.

- S'agissant de l'opportunité de cette condition, le professeur FRYDMAN a souligné qu'elle était inadaptée, en pratique, au cas de plus en plus fréquent des candidates à l'AMP âgées de 38 ans et plus qui voient s'affaiblir ainsi les chances d'une fécondation réussie . Sans supprimer ce délai, peut-être conviendrait-il d'en réduire la durée à un an.

2.2. Un couple en âge de procréer : critère physique ou exigence sociale ?

Alors que certaines législations étrangères (notamment la Hollande) fixent un âge déterminé, le législateur de 1994 a laissé cette notion à l'appréciation du médecin, l'application d'un critère physique (la survenance de la ménopause) apparaissant plus aisée dans le cas de la femme que dans celui de l'homme. Alors que l'âge des candidates à l'AMP tend à s'élever -la proportion des patientes de 40 ans et plus est passée de 12,1 % en 1993 à 13,7 % en 1996-, certains centres semblent imposer une limite d'âge entre 38 et 42 ans. Par ailleurs, la Sécurité sociale envisagerait de fixer à 42 ans l'âge limite au-delà duquel la femme bénéficiant d'une AMP ne sera pas remboursée, compte tenu du coût plus élevé, pour une chance de succès plus faible, du traitement d'hyperstimulation ovarienne applicable à la femme âgée. Cette solution " couperet " est contestée par les praticiens eu égard à la capacité biologique de procréation de certaines femmes au-delà de 42 ans.

Comme le note Mme LE MINTIER, " le caractère de cette condition (d'ordre physique ou d'ordre social) mériterait d'être précisée, du moins dans les débats parlementaires, à l'occasion de la révision de la loi du 29 juillet 1994, afin de dicter au médecin l'interprétation à retenir de cette exigence légale " .

2.3. " Un couple vivant " : la relance du débat sur le transfert post mortem d'embryon

Mettant fin aux hésitations de la jurisprudence dans des affaires touchant la restitution à une veuve du sperme congelé de son mari, le législateur de 1994, par la rédaction qu'il a donnée à l'article L 152-2 du Code de la santé publique, a englobé dans une prohibition générale l'insémination artificielle de la femme après le décès de son conjoint et le transfert post mortem d'embryons conçus in vitro du vivant du mari ou du concubin. La Cour de cassation en a fait une application rétroactive dans un arrêt du 9 janvier 1996 confirmant un arrêt du 18 avril 1994 de la Cour d'appel de Toulouse. On notera toutefois qu'elle a partiellement annulé la décision de cette juridiction en ce qu'elle avait ordonné la destruction des embryons congelés. Cette possibilité n'est en effet pas admise dans une telle hypothèse par la loi de 1994, qui n'offre comme seule issue aux embryons conservés que d'être accueillis par un autre couple (article L 152-4 alinéa 2).

Même si la loi de 1994 ne semble pas avoir connu d'autres applications que le cas d'espèce précité, le Parlement sera sans doute amené à réexaminer cette question et c'est la raison pour laquelle on l'aborde à nouveau dans le cadre de ce rapport qui n'a pas vocation à y apporter une réponse.

Un premier point mérite d'être souligné. Une nette divergence semble s'établir sur ce sujet entre le corps médical et les couples : l'enquête effectuée par la Revue du Praticien en mai 1998 fait apparaître que si les praticiens restent à 74 % favorables à la règle exprimée dans le rapport du Conseil d'Etat " De l'éthique au droit " ( " Deux parents, pas un de plus, pas un de moins. " ) , les couples sont, pour 69 % d'entre eux, favorables au transfert des embryons après le décès du mari.

Réaffirmant une position déjà exprimée en 1993, le Comité consultatif national d'éthique a, dans son avis du 25 juin 1998, établi une distinction entre insémination artificielle et transfert d'embryon post mortem. " Une femme " , écrit le CCNE, " devrait avoir le droit de réclamer les embryons congelés si elle désire poursuivre le projet parental " . Il conviendrait cependant d'imposer un délai de réflexion de trois mois à un an pour éviter les pressions conduisant à une décision trop précipitée.

Une opinion similaire a été émise par l'Académie de médecine, qui conteste la confusion opérée entre insémination et transfert d'embryons et considère comme anormal, aussi bien à l'égard de la mère que des embryons, de ne pas permettre l'achèvement du projet parental.

Le professeur FRYDMAN estime pour sa part qu'après un délai de six mois permettant l'accomplissement du travail de deuil, une commission pourrait statuer au cas par cas sur l'opportunité du transfert . Mme DELAISI de PARSEVAL, tout en soulignant le caractère inconcevable de la " ressource " offerte à la mère veuve (don de l'embryon à un autre couple), observe qu'il est paradoxal d'interdire le transfert post mortem et d'admettre par ailleurs l'insémination intraconjugale dans le cas d'un homme séropositif dont l'espérance de vie est incertaine en l'état actuel de la thérapeutique .

A l'inverse, le docteur HANUS, président de l'Association " Vivre son deuil ", conteste la position du CCNE et met en garde contre une solution qui ne prend pas en compte le deuil de la femme et l'avenir de son éventuel enfant. " Il y a toutes les raisons éthiques que la femme survivante soit protégée contre elle-même, au moins pendant le temps de son deuil, et il y a lieu aussi de faire valoir les droits de l'embryon-futur enfant de ne pas devenir à la fois un enfant sans père et un enfant de deuil. " Si le législateur jugeait préférable d'accorder à la veuve ce droit au transfert d'embryon, la sagesse commanderait l'imposition d'un délai d'un an et la mise en place des mêmes garanties psychologiques et sociales que dans le cas d'une adoption comportant, en particulier, un entretien avec le psychiatre permettant de mieux analyser les motivations de la future mère.

De son côté, le professeur MATTEI  juge inopportune une modification de la loi compte tenu des problèmes posés par les délais et conditions de mise en oeuvre, le cas éventuel du remariage de la mère et l'impossibilité d'établir une solution symétrique pour le père survivant. M. MICHAUD   met en évidence la difficulté juridique tenant à la règle des 300 jours au-delà desquels la présomption de paternité du père décédé instituée par le Code civil ne s'applique plus.

En tout état de cause, si le législateur opte pour le maintien de la règle en vigueur, il devra régler le sort de l'embryon qui n'aura pu bénéficier d'une procédure d'accueil et s'interroger sur la pertinence de cette dernière qui suscite, avant même qu'elle n'ait reçu un commencement d'application, de nombreuses réactions négatives.

3. Le pouvoir de contrôle dévolu aux praticiens

La loi de 1994 a conféré aux médecins le pouvoir de contrôler, d'une part l'existence et le maintien d'une communauté de vie au sein du couple demandeur, d'autre part l'opportunité d'une procréation au regard de l'intérêt de l'enfant à naître, qui constituent les conditions légales de mise en oeuvre de l'AMP. Ce pouvoir est partagé entre les membres de l'équipe pluridisciplinaire du centre et le praticien agréé responsable des actes cliniques et biologiques d'AMP (articles L 152-9 et L 152-10 du Code de la santé publique).

S'agissant de la réalité de la communauté de vie, on a pu juger concevable d'exiger de l'autorité médicale l'appréciation juridique de chaque élément de preuve apporté par les demandeurs. En l'absence de moyens objectivement probants dispensant d'une telle appréciation, le contrôle exercé ne peut être que superficiel .

Pour ce qui concerne, d'autre part, l'opportunité de l'AMP au regard de l'enfant à naître, l'appréciation des aspects psychologiques, familiaux et éducatifs n'est expressément prévue, par l'article L 152-5, que dans le cas d'accueil d'un embryon par un autre couple. En cas de procréation endogène, le médecin peut-il, en considération de ces motifs, imposer un délai de réflexion supplémentaire , voire opposer un refus au couple demandeur ? Les commentateurs sont partagés sur ce point, les uns estimant qu'une telle décision constituerait un abus de pouvoir, les autres l'admettant sur la base d'une clause de conscience implicite résultant de l'organisation générale de la profession médicale et de la déontologie. Ces divergences d'interprétation démontrent la nécessité d'une clarification sur la portée des dispositions législatives et, peut-être, l'opportunité d'un recours devant le juge judiciaire en cas de contestation de l'interprétation des conditions fixées par la loi.

On notera, pour conclure sur ce point, la réticence manifestée par une proportion non négligeable du corps médical à l'égard du rôle qui lui a été ainsi confié. Plus de la moitié des centres interrogés par le CRJO estime que cette mission de surveillance relève d'un contrôle administratif et qu'il appartient au médecin de soigner, non de vérifier l'existence du " permis de procréer ". Le professeur CZYBA affirme de son côté que la procédure préalable à la mise en oeuvre de l'AMP est peu respectée par les médecins, soit parce qu'ils la jugent trop lourde et hors de leur compétence, soit parce qu'ils ne la connaissent pas, cette ignorance étant également manifeste dans certaines DDASS . On conviendra qu'il y a là matière, sinon à modification de la loi, du moins à amélioration de ses conditions d'application.

4. L'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

La mise en oeuvre de l'AMP exogénique avec " apport par un tiers de spermatozoïdes ou d'ovocytes " (article L 673-1 du Code de la santé publique) est soumise à un encadrement très strict qui s'inspire directement des règles dont s'étaient dotés les CECOS avant l'intervention de la loi. Face à la pénurie qui affecte le don de gamètes, ceux-ci souhaitent qu'une promotion plus vigoureuse s'accompagne d'un assouplissement du régime ainsi établi, auquel il est reproché de ne pas tenir suffisamment compte des différences qui séparent le don de sperme et le don d'ovocytes.

4.1. Le don de gamètes : pratique et contraintes

4.1.1. La situation du don : insuffisance de l'offre et timidité de la promotion

La fédération des CECOS fait état, dans ses plus récents bilans, d'une chute générale des dons de gamètes. Cela étant, les incidences de cette situation doivent être nuancées selon qu'il s'agit de don de sperme ou de don d'ovocytes.

- Pour ce qui concerne les donneurs de sperme, leur nombre, évalué à 707 en 1981, est passé à 569 en 1994 et à 389 en 1996 mais les demandes ont parallèlement baissé, évoluant, pour un premier don, de 2 337 en 1994 à 1 615 en 1997, soit une réduction de 30,9 % . Sans doute faut-il voir là l'un des effets du recours croissant à l'ICSI, nouvelle réponse à l'infertilité masculine.

- Le don d'ovocytes connaît, en revanche, une situation beaucoup plus difficile. Les chiffres publiés par le Groupe d'étude pour le don d'ovocytes (GEDO) mettent en évidence une progression régulière de la demande (191 en 1994, 503 en 1997, soit + 163 %) alors que le nombre de donneurs au cours de cette même période a été de 822, chiffre largement insuffisant au regard des 1 360 demandes nouvelles comptabilisées. Il est par ailleurs intéressant de noter que, d'après l'enquête du GEDO, 93 % des donneurs font partie du cercle d'intimes des couples en attente d'un don, les autres étant, pour la plupart, des femmes déjà mères engagées dans un cycle de fécondation in vitro qui acceptent de donner des ovocytes surnuméraires. Les dons d'ovocytes spontanés restent donc exceptionnels .

L'information en faveur du don incombe au ministre chargé de la Santé en vertu de l'article L 665-12 du Code de la santé publique qui interdit par ailleurs toute publicité. Une première action lancée à l'automne 1998 a consisté dans l'édition de plaquettes d'information ( " Vous aimez la vie... Aidez à la donner. " ) et l'organisation, les 23 et 24 octobre, de journées portes ouvertes dans les 22 CECOS de France. S'exprimant au nom de ces derniers, le professeur JOUANNET a souligné les difficultés d'interprétation que soulève la distinction entre promotion et publicité, le caractère tardif et limité de la campagne ainsi engagée et l'opportunité d'une délégation de ces actions à des organismes représentatifs pratiquant le don sous le contrôle du ministère de la Santé .

Quelle que soit l'efficacité -aujourd'hui difficilement mesurable- de ce type d'opération, elle ne dispensera pas le législateur d'une réflexion sur l'incidence des contraintes dont il a entouré un mode d'assistance à la procréation auquel il avait souhaité, il est vrai, conférer un caractère subsidiaire.

4.1.2. La détermination légale de la qualité de donneur : faire partie d'un couple ayant procréé

Cette exigence posée par l'article L 673-2 a pour but de garantir la qualité de la motivation qui est à l'origine du don et d'éviter que celui-ci ne soit compris comme une manière d'engager une paternité ou une maternité par procuration .

Si les praticiens interrogés par le CRJO souscrivent globalement à cet objectif, ils portent une appréciation plus réservée sur la condition relative à la vie de couple qui introduit un système d'exclusion contestable à l'égard des personnes veuves, célibataires ou divorcées ayant déjà procréé. Au surplus, les moyens de vérification dont disposent les praticiens pour contrôler l'effectivité de cette condition sont loin de constituer des moyens de preuve irréfragables . Quant aux CECOS qui furent les premiers à instaurer la règle, ils estiment aujourd'hui que la notion de couple donneur se heurte à l'évolution de la société. La fréquence de plus en plus élevée de familles monoparentales diminue considérablement le nombre de donneurs potentiels. Aussi est-il proposé, comme l'a indiqué le professeur JOUANNET, de recourir à la notion de parentalité, plus large, plus adaptée à l'esprit de la loi et qui serait, de fait, déjà appliquée par les CECOS .

4.1.3. La gratuité du don

Si le principe général de non-patrimonialité du corps humain exclut, ici comme ailleurs, toute rémunération du donneur, l'article L 665-13 a cependant prévu un remboursement des frais engagés à l'occasion du don. Le décret qui devait en fixer les modalités n'est pas encore paru. Plus de 80 % des praticiens interrogés par le CRJO regrettent que le don ne soit plus remboursé par la Sécurité sociale et souhaiteraient notamment la mise en place d'un dispositif financier destiné à la prise en charge du coût élevé des dons d'ovocytes, eu égard à la nécessité d'encadrement médicalisé des donneuses. Il est fâcheux que le couple receveur ayant motivé une donneuse prenne lui-même ces frais en charge, comme cela semble être fréquemment le cas à l'heure actuelle .

4.1.4. L'interdiction du don " dirigé " et le problème de l'anonymat

Le principe général de l'anonymat du don inscrit dans le Code civil (article 16-8) et dans le Code de la santé publique (article L 165-14) s'applique au don de gamètes, assorti ici d'une disposition spécifique qui a pour objet d'interdire au couple receveur de désigner nominativement la personne dont il souhaite recevoir les gamètes (article L 673-7). Cette règle de l'anonymat, ou mise en oeuvre par le secret, ne peut être levée que pour permettre à un médecin d'accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique (article L 673-6).

Cette exigence a été justifiée " tantôt dans une vision utilitariste par le risque de pénurie des donneurs, tantôt dans une vision humaniste par la complexité des relations qui s'instaureraient au sein du groupe enfant, couple, donneur " .

Le débat sur le bien-fondé de ces dispositions est loin d'être clos et resurgira probablement lors de la révision de la loi. Les partisans de la levée de l'anonymat -issus principalement des rangs des psychologues et des psychiatres- estiment non éthique de priver un enfant de ses racines et de la dimension existentielle de sa venue au monde. Mme DELAISI de PARSEVAL souligne à ce propos que le débat français est faussé par une confusion entre la levée éventuelle de l'anonymat et l'établissement d'un lien de filiation . Il est vrai que " les données de l'ascendance sont susceptibles d'être de trois ordres et de couvrir le mode de conception, les données médicales ou génétiques utiles à l'enfant et, enfin, les données identifiantes et nominales, seules attentatoires au secret des origines " .

L'argument tiré de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1990 ratifiée par la France n'est pas absolument irréfutable puisqu'elle n'accorde à celui-ci le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux que " dans la mesure du possible " . On doit cependant relever que dans son rapport publié en 1998, la Commission d'enquête sur les droits de l'enfant créée à l'initiative du président FABIUS a considéré que le recueil d'informations relatives à la filiation " pourrait être mis en place pour l'accouchement sous X et l'abandon secret et serait ensuite, lorsque le législateur le jugera opportun, étendu aux naissances par PMA " .

S'agissant de l'aspect " utilitariste " de l'anonymat, la crainte exprimée était que sa levée n'entraîne un tarissement du nombre des donneurs comme cela s'est produit en Suède depuis qu'une loi du 20 décembre 1984 y a fait prévaloir le droit de l'enfant à connaître ses origines. Mme DELAISI de PARSEVAL note que " la suppression de l'anonymat obligatoire est, aujourd'hui, bien acceptée par les couples et a entraîné dans ce pays, après un temps de raréfaction, un regain de dons provenant d'une nouvelle population composée essentiellement de pères de famille plus âgés " .

En admettant même que l'anonymat favorise le don de spermatozoïdes, de nombreux observateurs et praticiens soulignent qu'il aboutit à un résultat opposé en ce qui concerne le don d'ovocytes, ce qui mettrait en question, sur ce point, l'application d'un régime indifférencié. Le professeur Bernard SÈLE note que la loi a confondu sperme et ovocytes dans le don de gamètes alors qu'il s'agit de démarches soumises à des contraintes très différentes : le recueil de sperme est un acte indolore tandis que le don d'ovocytes nécessite un traitement médical préliminaire et une intervention chirurgicale, donc une motivation particulière dont la manifestation est entravée par la règle de l'anonymat. Les raisons qui ont conduit à une telle obligation pour ce type de don devraient être réexaminées, faute de quoi la loi risque de ne jamais trouver sur ce point une réelle application .

Le docteur GOLFE, en revanche, a pour sa part constaté un très net désir d'anonymat de la part des donneuses. Toute remise en cause de ce principe risque de déclencher selon lui un réflexe de fuite, sauf dans le cas de parenté ou d'amitié très proche, mais ce type de don peut être psychologiquement ambigu, porteur de fantasmes d'inceste ou d'adultère et, à ce titre, préjudiciable à l'enfant à naître .

Les dispositions de l'article L 673-7 interdisant le don dirigé sont-elles, au demeurant, strictement appliquées ? Le professeur CZYBA a émis des doutes très nets à ce sujet . Mme RAMOGIDA souligne que dans de nombreux centres, les couples candidats sont incités à présenter une donneuse à défaut de laquelle le délai d'attente est beaucoup plus long . L'objectif d'égalité entre les couples receveurs, visé par le législateur, est ainsi remis en question. Dans d'autres cas, on sollicite les patientes engagées dans un programme de fécondation in vitro pour qu'elles fassent don d'un de leurs ovocytes mais les taux de réussite des transferts ne les incite pas à faire preuve d'altruisme.

Face à cette situation qui encourage le " tourisme procréatif " et contribue au développement d'une médecine de riches et d'une médecine de pauvres (Mme RAMOGIDA), certains plaident pour un assouplissement mesuré et encadré des dispositions en vigueur. Ainsi le professeur FRYDMAN, favorable au maintien du principe d'anonymat, estime-t-il que pour la minorité de couples (15 % environ) qui n'y sont pas favorables, on pourrait envisager, dans un ou deux centres, une pratique dérogeant à ce principe dans le cadre d'un protocole de recherche et d'évaluation. Jacques TESTART, plutôt partisan du don personnalisé, considère que les difficultés pour obtenir des ovocytes plutôt que des spermatozoïdes ne peuvent motiver des régimes différents pour le don de chacun des gamètes. " Obliger à l'anonymat seulement dans le cas du don de sperme reviendrait à cautionner le pilotage de l'éthique par le techniquement faisable. " Quant au Comité consultatif national d'éthique, il se demande si la loi ne protège pas davantage le couple donneur que l'enfant à naître et estime, tout en observant qu'aucun élément nouveau ne semble justifier la levée de l'anonymat, qu'un débat de société devrait pouvoir être engagé sur ce point .

4.2. La mise en oeuvre de l'AMP avec tiers donneur

4.2.1. Le caractère d'" ultime indication " de l'AMP avec tiers donneur (IAD)

Selon l'article L 152-6 du Code de la santé publique, l'AMP avec tiers donneur ne peut être pratiquée que comme " ultime indication " lorsque la procréation assistée à l'intérieur du couple ne peut aboutir. Cette restriction établissait clairement, dans l'esprit du législateur, le caractère subsidiaire de la procréation assistée avec donneur. Si certains estiment que la loi, tout en fournissant des consignes, laisse une marge d'appréciation au médecin qui doit pouvoir opter pour telle ou telle pratique au vu de la situation concrète rencontrée, beaucoup de praticiens considèrent en revanche que cette disposition emporte obligation de tenter l'AMP intraconjugale alors même qu'elle n'aurait aucune chance d'aboutir.

Le professeur JOUANNET souligne à ce propos que le praticien peut se trouver ainsi incité à l'acharnement thérapeutique et à l'utilisation de techniques dont l'innocuité n'est pas démontrée. A l'extrême, le recours au clonage pourrait trouver là une justification. De la même façon, dans le cas d'un couple séro-différent, on pourrait être amené à privilégier le traitement du sperme de l'homme séropositif (y compris sans pouvoir garantir une diminution du risque de transmission virale) plutôt que de recourir à l'IAD qui peut être choisie par certains couples . Aussi la fédération des CECOS souhaite-t-elle la suppression de l'article L 152-6 au motif que le recours à un tiers donneur doit être un choix librement consenti, fait en collaboration avec l'équipe pluridisciplinaire et tenant compte des raisons pour lesquelles l'AMP est indiquée. Il doit s'appuyer sur une information claire, complète et objective qui permette au couple d'apprécier les avantages, les inconvénients, les risques et les conséquences de chaque activité de procréation .

4.2.2. La limitation du nombre des naissances à partir des gamètes d'un seul donneur

Cette limitation édictée par l'article L 673-4 vise à réduire les risques de consanguinité. Elle est aujourd'hui critiquée par les CECOS au motif qu'elle ne tient pas compte :

o du risque calculé par les spécialistes de génétique des populations qui ont montré qu'il n'était statistiquement accru que pour un nombre beaucoup plus élevé d'enfants conçus par un même donneur ;

o du fait que plusieurs enfants peuvent naître d'un même donneur dans un même couple sans accroître le risque de consanguinité.

Aussi proposent-ils d'énoncer cette limitation en termes de familles ou de fratries. Jean-Loup CLEMENT, psychologue au CECOS de Lyon, fait cependant observer qu'il n'est pas sans inconvénient de favoriser ainsi l'établissement d'un lien biologique entre les enfants d'une même famille à partir d'un donneur précis alors que la paternité doit s'établir, par hypothèse, en dehors même de ce type de lien.

4.2.3. L'application des règles de sécurité sanitaire

Le décret du 12 novembre 1996 a fixé les règles de sécurité sanitaire applicables au recueil et à l'utilisation des gamètes humains provenant de dons en vue de la réalisation d'une AMP. Le praticien agréé est tenu de pratiquer des analyses visant à s'assurer que les donneurs ont des tests négatifs en matière de VIH, d'hépatite B et C, de syphilis et de cytomégalovirus. Doivent également être écartés les donneurs à risque potentiel de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Pour prévenir le risque de séroconversion, ces tests doivent être renouvelés au terme d'un délai de six mois, ce qui conduit à congeler l'embryon fécondé à l'aide de l'ovocyte qui a fait l'objet d'un don durant cette période de six mois. Ces précautions indispensables ne suscitent pas de réserves de la part des praticiens, même si elles conduisent à allonger la durée d'attente des couples et à réduire le taux de succès en raison des effets produits par la congélation.

Le professeur FRYDMAN, prenant en considération le fait que la congélation réduit les chances de grossesse sans apporter une amélioration significative de la sécurité sanitaire, estime cependant qu'il faudrait en informer le couple et lui laisser le choix entre cette méthode et un simple contrôle sur les ovocytes au moment de la fécondation .

On a pu d'autre part s'interroger sur la légalité même de ce décret, la loi n'autorisant pas la conception in vitro d'embryons avant que toutes les règles de sécurité sanitaire n'aient été respectées et n'envisageant pas la destruction d'embryons conçus après sa promulgation. Or le décret crée une situation nouvelle pouvant conduire précisément à une telle destruction pour raison sanitaire, et contrevient ainsi au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie auquel seule la loi peut formellement déroger .

V - L'EMBRYON IN VITRO : AMBIGUÏTÉS JURIDIQUES ET ATTENTES SCIENTIFIQUES

Comment favoriser la recherche indispensable au progrès médical tout en sauvegardant le principe du " respect de l'être humain dès le commencement de sa vie " ? Cette question, qui fut au centre des débats relatifs à la protection de l'embryon, lors de l'élaboration de la loi de 1994, se retrouvera posée à l'occasion de sa révision car elle n'a reçu, il y a cinq ans, qu'une réponse imparfaite dont bon nombre des personnalités que nous avons auditionnées ont critiqué l'insuffisante clarté. Soulignant l'ambiguïté du compromis auquel s'est arrêté le Parlement, MM. François STASSE et Frédéric SALAT-BAROUX ont pu y voir une " malfaçon législative " . Selon eux, la question aujourd'hui posée est de savoir s'il est préférable de se cantonner dans cette situation floue ou d'adopter une position plus nettement tranchée. C'est là un vrai problème de fond dès lors que l'on est sur la voie, dans les pays où l'expérimentation est autorisée, de découvertes fondamentales touchant la multiplication cellulaire qui trouveront des applications décisives, notamment en cancérologie .

Le législateur français peut-il ignorer cet environnement international et s'en tenir à un protectionnisme juridique, qui se révèle parfois illusoire ? La vocation de ce rapport n'est pas, sur ce point comme sur d'autres, de prendre position mais d'éclairer la réflexion en mettant en évidence les aspects de la loi qui posent problème et en rendant compte des critiques et suggestions qui nous ont été présentées par nos divers interlocuteurs.

1. L'embryon in vitro et la loi de 1994

1.1. L'embryon hors des catégories du droit en l'absence d'un statut explicite

Alors que le Conseil d'Etat, par deux arrêts du 21 décembre 1990, avait traité l'embryon humain comme une personne ayant droit à la vie au sens de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, les amendements allant dans le même sens ont été écartés lors des débats de 1994, afin d'éviter qu'une reconnaissance juridique aussi explicite ne conduise à une remise en cause de la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse. Faute d'une définition sur laquelle un accord semblerait difficile , l'embryon in vitro se trouve donc dépourvu d'une personnalité juridique sur la portée de laquelle on peut, il est vrai, s'interroger. " Plaider pour une personnalité juridique accrochée à un sujet de droit sans droit peut s'avérer dangereux car cela reviendrait à créer une catégorie de sous-personnes, de sous-sujets de droit. Ce serait le retour à une situation disparue depuis l'abolition de l'esclavage. "

Ne reconnaissant pas à l'embryon la qualité de sujet de droit, le législateur a néanmoins voulu assurer sa protection en énonçant, dans l'article 16 du Code civil, que " la loi [...] garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie " , affirmation qui reprend, sous une forme plus protectrice (" sa vie " et non " la vie "), le principe énoncé dans la loi de 1975. Mais la portée de cette règle a été sensiblement relativisée par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994. Répondant au grief fait aux dispositions de la loi qui autorisent la destruction des embryons conçus avant sa promulgation, le Conseil a posé que le législateur avait " estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie n'était pas applicable aux embryons fécondés in vitro " et jugé que le choix ainsi fait relevait du pouvoir d'appréciation du législateur.

Ainsi que le souligne un commentateur, le constat est que le législateur de 1994, en s'abstenant de préciser de façon explicite comment l'embryon humain doit être traité, n'a guère contribué à clarifier son statut. Il n'exclut nullement l'embryon, fût-il in vitro, du champ d'application du principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. Cependant, le Conseil constitutionnel lui reconnaît le pouvoir d'appliquer cette exclusion à l'embryon in vitro .

Dès lors, le statut de l'embryon se déduit indirectement des limites posées par la loi à son utilisation : " législation vide de symbole " pour un commentateur critique qui souligne que " la loi est limitée à un encadrement gestionnaire et utilitaire qui procède par renvoi massif au corps médical " , ou " quasi-statut " selon l'expression déjà citée de M. SALAT-BAROUX.

1.2. Un statut implicite déduit d'un certain nombre de règles protectrices

Les principaux éléments de ce statut sont rappelés par le Conseil d'Etat dans son rapport public de 1998 :

o un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les finalités d'une assistance médicale à la procréation telle que définie à l'article L 152-2 du Code de la santé publique (article L 152-3) ;

o un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielles (article L 152-7) ;

o un embryon ne peut être conçu in vitro à des fins d'étude, de recherche ou d'expérimentation ;

o toute expérimentation sur l'embryon est interdite (article L 152-8).

Deux dispositions viennent tempérer cette dernière interdiction :

o l'autorisation du diagnostic préimplantatoire, forme spécifique d'investigation sur l'embryon destinée à prévenir la survenance chez un enfant d'une maladie génétique d'une particulière gravité et pouvant conduire à la destruction de l'embryon (article L 162-17) ;

o la possibilité de mener à titre exceptionnel des études sur les embryons d'un couple avec son accord (article L 152-8 alinéa 3).

La portée de cette disposition et ses modalités d'application, précisées par le décret du 27 mai 1997, ont suscité nombre d'interrogations et de critiques dont il convient de rendre compte.

1.3. L'embryon et la recherche : la difficile interprétation de l'article L 152-8 du Code de la santé publique

Une première distinction a pu être établie par les commentateurs quant à la portée de cet article :

o les études et expérimentations sur l'embryon in utero relèvent de la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, la mère se trouvant, dans ce cas, directement impliquée ;

o les études conduites sur l'embryon in vitro sont régies par l'alinéa 3 de l'article L 152-8.

Ces études, menées après l'accord du couple, doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l'embryon. Elles ne peuvent être entreprises qu'après avis conforme de la CNMBRDP.

La position adoptée par le législateur se fonde donc sur une distinction entre l'expérimentation, interdite parce qu'elle peut porter atteinte à l'intégrité de l'embryon, et l'étude, notion dont le contenu n'est pas facile à cerner :

o S'agit-il d'une simple observation ? Son utilité risque d'être limitée pour les progrès de la médecine embryonnaire.

o S'agit-il d'une investigation ? Dans ce cas, le prélèvement de cellules qui en résulte peut porter atteinte à l'intégrité de l'embryon.

Le décret a précisé que portent atteinte à l'intégrité de l'embryon les études qui ont pour objet ou qui risquent d'avoir pour effet de modifier son patrimoine génétique ou d' altérer ses capacités de développement . Cette précision est dans la logique de la loi qui, contrairement à l'avis du CCNE du 15 décembre 1986, ne distingue pas entre embryons destinés à être transplantés et ceux pour lesquels la transplantation ne peut être envisagée. Notons à ce propos que dans l'avis qu'il a rendu public le 23 novembre 1998 sur les aspects éthiques de la recherche impliquant l'utilisation d'embryons humains, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne estime artificielle la distinction qui serait opérée entre les recherches impliquant la destruction de l'embryon et celles qui préserveraient l'embryon afin de conduire à la naissance d'un bébé. " En effet, en l'état actuel des connaissances et des techniques, l'implantation, dans l'utérus, d'un embryon ayant fait l'objet préalablement d'une recherche et qui est donc susceptible d'être endommagé, constituerait un risque éthiquement inacceptable " . A suivre cette analyse, la notion d'étude ne portant pas atteinte à l'embryon exclut donc tout acte invasif et ne correspond évidemment pas à l'attente des praticiens.

Quant à la finalité médicale des études, la définition qu'en donne le décret est double :

o présenter un avantage direct pour l'embryon concerné, notamment en vue d'accroître les chances de réussite de son implantation ;

o contribuer à l'amélioration des techniques d'AMP, notamment par le développement des connaissances sur la physiologie et la pathologie de la reproduction humaine.

Finalité thérapeutique pour les uns, visées cognitives pour les autres, là encore, les interprétations divergent sur le contenu de la loi et soulignent la nécessité d'une remise sur le métier pour mettre fin à ce que Mme NEIRINCK qualifie de " clair-obscur législatif ".

On citera pour conclure sur ce point le commentaire livré par le professeur Axel KAHN : le législateur a voulu rendre la recherche possible sans en banaliser l'objet. Ce compromis est générateur de redoutables incertitudes. La pire des situations, pour un biologiste, est que naisse de son action un enfant handicapé. Or la loi actuelle, en interdisant toute recherche sur l'embryon qui nuirait à son développement, conduit précisément à cette situation puisque la seule façon de respecter cette obligation est de laisser le développement se poursuivre quelles que soient les anomalies dont ce projet d'être humain est porteur .

Dernière contradiction de la loi, celle-ci protège l'intégrité de l'embryon dans le cadre de la recherche mais autorise par ailleurs la destruction, dans un délai de cinq ans, des embryons surnuméraires créés avant sa promulgation. On verra plus loin que certains en tirent argument pour que soit admise l'expérimentation sur ces embryons conservés et voués à la destruction. On se bornera à constater que le législateur se trouvera confronté, lors de la révision, à une situation inchangée sur le plan des principes et aggravée sur le plan pratique puisqu'il devra statuer sur le sort des milliers d'embryons conçus depuis la promulgation de la loi et abandonnés, la procédure d'accueil par un autre couple, seule possibilité alternative à leur disparition, n'ayant pas été jusqu'ici mise en oeuvre et ne pouvant, en tout état de cause, résoudre le devenir que d'un très petit nombre d'entre eux.

La publication tardive, en mai 1997, du décret d'application de l'article L 152-8 limite, sur ce point, la portée du travail d'évaluation. La CNMBRDP, dont l'avis conforme est requis préalablement à l'autorisation des études, a considéré que le texte s'appliquait aux recherches non invasives et aux embryons morts, à ceux dont le développement s'est arrêté ou que l'on peut qualifier de " non viables " . Six projets d'études lui avaient été soumis à la fin de l'année 1998. Un seul d'entre eux posait problème dans la mesure où il s'agissait d'une demande, en vue de la mise au point des techniques de diagnostic préimplantatoire, sur un embryon triploïde mais toujours en développement.

1.4. Le diagnostic préimplantatoire sur l'embryon in vitro : une mise en pratique retardée

Après en avoir envisagé l'interdiction, le législateur de 1994 n'avait autorisé le diagnostic préimplantatoire qu'à titre exceptionnel et en soumettant sa mise en oeuvre à des conditions très strictes fixées par l'article L 162-17 du Code de la santé publique :

o attestation, par un médecin exerçant dans un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire, que le couple risque de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité et reconnue comme incurable au moment du diagnostic ;

o identification préalable, chez l'un des parents, des anomalies responsables d'une telle maladie ;

o consentement écrit des deux membres du couple ;

o finalité du diagnostic orienté exclusivement vers la recherche de l'affection et les moyens de la prévenir et de la traiter.

Les commentateurs, et notamment M. Jean MICHAUD , n'ont pas manqué de souligner la contradiction existant entre les cas où le DPI peut être pratiqué et l'objectif curatif qui lui est assigné. N'est-on pas amené, dans ces conditions, à considérer que la prévention ne peut aboutir qu'à l'élimination des embryons considérés comme anormaux ?

Quant à sa mise en oeuvre, l'Académie nationale de médecine, dès 1995, a souligné les " ambiguïtés concernant les interprétations de la loi " : les équipes françaises désireuses de s'engager dans la voie du DPI revendiquaient en effet la possibilité d'effectuer des études préalables sur des embryons en vue d'augmenter la fiabilité de ce diagnostic et de vérifier son innocuité au regard du développement ultérieur de ces embryons. Mais ce rapport ne précisait pas si ces études préalables à la mise en oeuvre (plus routinière) du diagnostic préimplantatoire porteraient ou non atteinte aux embryons qui en seraient l'objet. La doctrine élaborée provisoirement par le CNMBRDPP a consisté, on l'a vu plus haut, à limiter les études invasives à des embryons non viables, donc insusceptibles d'un transfert.

Compte tenu de la parution très tardive du décret d'application (24 mars 1998), la mise en place des centres de DPI n'en est encore qu'au stade de l'agrément. En raison du faible nombre de DPI prévus (entre 150 et 400 par an), on s'orienterait vers un très petit nombre de structures associant des centres d'AMP et des laboratoires de génétique moléculaire. Se pose à cet égard le problème de la formation et de l'évaluation des praticiens, les experts en matière de prélèvement embryonnaire étant, actuellement, très peu nombreux dans notre pays.

En l'état actuel des textes, le DPI peut être mis en oeuvre, selon le professeur Marie-Louise BRIARD, dans deux types de situation  :

o celle d'un couple stérile contraint de faire appel à l'AMP et, par ailleurs, exposé à la naissance d'un enfant atteint d'une maladie génétique ;

o celle d'un couple fécond ne voulant pas renouveler un dépistage prénatal, qui devra alors se soumettre à une FIV avec un taux de succès limité.

L'intérêt du DPI est, dans les deux cas, de permettre le dépistage précoce de l'anomalie et d'éviter une interruption de grossesse.

Le professeur FRYDMAN a évoqué le diagnostic préconceptionnel, déjà pratiqué dans divers pays sur le globule polaire, cellule émise par l'ovocyte eu cours de la méiose. Cette pratique permettrait de contourner l'interdiction légale du DPI sur les embryons d'une femme exposée, en raison de son âge, au risque de trisomie 21. Il devrait donc être reconnu et encadré par la loi .

Se plaçant dans une vision plus prospective -et plus alarmante-, Jacques TESTART  a souligné le risque d'eugénisme, selon lui difficilement évitable, auquel expose le DPI. Employé aujourd'hui pour prévenir la transmission d'une anomalie génétique ou chromosomique, il pourrait être ultérieurement utilisé afin de détecter chez l'embryon, aussi précisément que chez l'adulte, les prédispositions génétiques à la survenance d'une maladie ou au développement d'une infirmité. Dans cette perspective, il sera tentant de créer, pour un couple donné, un nombre élevé d'embryons permettant de pratiquer la sélection aboutissant au " meilleur " embryon. Celui-ci pourrait alors être cloné en plusieurs exemplaires pour parer aux risques de transplantation infructueuse.

Pour Jacques TESTART, le législateur français arrive probablement trop tard pour enrayer une évolution qui bouleverse la notion même d'humanité et se trouve à un stade déjà plus avancé dans d'autres pays (Grande-Bretagne, Espagne). Des barrières peuvent néanmoins être posées en n'autorisant le DPI que sur une seule mutation génétique et sur les anomalies chromosomiques ayant de très graves conséquences. La recherche du sexe en tant que tel devrait être proscrite en tout état de cause.

2. Le débat relatif à l'élargissement de la recherche sur l'embryon : positions françaises, européennes et étrangères

Il ne nous appartient pas, dans le cadre de ce rapport d'évaluation, de trancher une question qui divise philosophes, chercheurs et praticiens. La diversité des opinions qui s'expriment en France à ce sujet se retrouve dans les solutions adoptées ou envisagées hors de nos frontières et complique l'élaboration d'une position commune, tant à l'échelon européen que dans un cadre international plus large (UNESCO, ONU).

On présentera les arguments qui alimentent un débat complexe sans sacrifier la clarté à l'exhaustivité afin de préparer la réflexion du Parlement qui devra nécessairement prendre position sur cette question controversée lors de la prochaine révision.

2.1. Les positions françaises

Une summa divisio peut être établie entre une approche stricte fondée sur le " respect de la vie dès son origine " et une approche qui s'appuie sur une " personnification différée " de l'embryon liée aux différentes étapes du développement biologique.

2.1.1. " Le respect de la vie dès son origine "

Cette conception a été développée par le professeur MATTEI lors de son audition. Selon lui, " on ne peut légiférer sans des références strictes et précises que l'embryon ne peut fournir puisqu'il n'est qu'un moment d'une vie. La vie elle-même peut, en revanche, être définie : elle commence à la fécondation et c'est très précisément la définition sur laquelle se fondait déjà la loi de 1975 relative à l'IVG " .

M. MATTEI réfute l'argument " opportuniste " tiré de l'existence d'embryons surnuméraires voués en tout état de cause à la destruction. Il rappelle que la conservation de ces embryons a été acceptée en 1994 pour tenir compte d'une situation de fait et dans la perspective, jugée proche à l'époque, de la congélation des ovocytes qui ne soulève pas les mêmes problèmes éthiques. Mais cette cryoconservation constitue un premier pas vers la réification de l'embryon et cette dérive serait accentuée de façon inacceptable par l'admission de la recherche dans cette hypothèse.

Il rejoint à cet égard l'opinion réservée émise sur l'avis n° 53 du CCNE : " L'attitude la plus respectueuse de l'humanité, mystérieusement mais réellement présente dans l'embryon, serait d'arrêter la congélation malheureusement entreprise. De même qu'il convient de savoir arrêter un acharnement médical disproportionné sur une personne en fin de vie, de même il convient de laisser mourir des embryons de leur mort naturelle si le couple qui en avait demandé la congélation ne souhaite plus les garder. " Mieux vaut, pour la dignité de l'embryon assimilé à la personne humaine, la mort " naturelle " résultant de l'arrêt de la conservation que l'instrumentalisation.

Dans la logique de cette conception, il n'est pas plus acceptable d'admettre la recherche sur les embryons " anormaux " et privés de viabilité que sur un malade incurable et voué à une mort prochaine.

2.1.2. " La personnification différée "

La distinction fondée sur le degré de développement de l'embryon a été, on le sait, utilisée par les Britanniques pour autoriser l'expérimentation pendant les quatorze premiers jours de l'embryogenèse. Elle s'appuie sur le fait que jusqu'à ce stade, le " préembryon " peut se diviser et donner naissance à deux individus ; il n'est donc pas un être, par essence et par définition unique.

Si le professeur Axel KAHN juge cette séparation artificielle et préfère parler d'une " dignité croissante " de l'embryon au fil de la multiplication cellulaire, plusieurs de nos interlocuteurs, sans adhérer à la solution britannique, ont néanmoins insisté sur l'utilité de certaines distinctions clarificatrices.

Jacques TESTART juge nécessaire de déterminer ce qui n'est pas encore un embryon et entre donc sans restriction dans le champ de la recherche, à savoir les gamètes et le zygote, stade d'interaction gamétique précédant la fusion des noyaux qui constitue le " moment zéro " du développement embryonnaire .

René FRYDMAN sépare deux réalités distinctes :

o celle de l'embryon " préimplantatoire " ou blastocyste, qui peut être cultivé in vitro jusqu'au 7 ème jour, période au cours de laquelle les cellules conservent un caractère totipotent et où diverses évolutions, allant de la division gémellaire à l'apparition d'une tumeur trophoblastique, peuvent se manifester ;

o celle de l'embryon proprement dit, qui correspond à l'établissement d'un lien avec la mère par l'implantation dans l'utérus .

Dans la phase préimplantatoire précédant la gastrulation, où il ne constitue, selon Jacques SAMARUT, qu'une " grappe de cellules " , l'embryon présente un intérêt primordial pour le chercheur. En effet, le modèle animal n'est pas ici transposable dans la mesure où le passage de la phase où l'embryon vit sur les réserves de l'ovocyte à celle où il se développe sur ses ressources propres ne se fait pas au même moment chez la souris et chez l'homme. Ce franchissement pourrait constituer le critère de partage entre recherche autorisée et recherche interdite. Les cellules indifférenciées -donc totipotentes- isolables dans ce premier état sont porteuses d'avancées thérapeutiques que l'on retrouvera décrites dans l'avis n° 53 du CCNE, analysé plus loin.

On voit donc ici la thèse de la personnification différée venir à l'appui de l'intérêt de la recherche.

Une fois posée cette distinction entre le blastocyste " désacralisé " et l'embryon " stricto sensu " qui devrait seul bénéficier de toutes les protections garanties à la personne humaine, peuvent être envisagées, selon les tenants de cette thèse, trois types de situation qui légitiment elles-mêmes des interventions médicales variables dans leur nature et leur finalité.

- Le cas des embryons non viables :

Les embryons qui sont jugés intransférables en raison des anomalies manifestes dont ils sont affectés sont, dans la pratique actuelle, immédiatement détruits. Ils représentent, selon le professeur JOUANNET, 20 % des embryons conçus in vitro. L'étude, s'apparentant ici à une autopsie à des fins scientifiques, doit pouvoir être pratiquée sans restrictions (points de vue concordants des professeurs JOUANNET, TESTART, FRYDMAN et SÈLE). C'est d'ailleurs, comme on l'a déjà indiqué, la ligne déjà suivie par le CNMBRDP qui a autorisé quatre demandes de ce type destinées au perfectionnement de la technique du DPI. L'Académie de médecine souhaite cependant que soient définis l'état de mort et celui de non-viabilité de l'embryon, légitimant son utilisation à des fins de recherche ou l'arrêt de sa conservation (avis du 23 juin 1998).

- Le cas de l'embryon abandonné :

Les partisans de la libéralisation des règles en vigueur sont unanimes pour proscrire la création d'embryons à des fins spécifiques de recherche . En revanche, soulignent-ils, il n'y a aucune raison de soustraire l'embryon à la recherche dès lors que le projet parental est abandonné, que les géniteurs ont donné leur accord et que l'alternative se réduit, soit à la destruction pure et simple de l'embryon, soit à une expérimentation préalable à cette destruction. René FRYDMAN estime qu'elle devrait être autorisée, sous réserve que la loi précise que les études à caractère invasif ne peuvent s'appliquer qu'à des embryons non transférés. Des couples consultés en 1986 sur le sort à donner à leur embryon abandonné se partageaient, en proportions égales, entre trois solutions : don à un autre couple, recherche et destruction . Quant à Jacques TESTART, il met l'accent sur les finalités de cette recherche qui devraient être soumises à une expertise éthique systématique, cette exigence lui apparaissant beaucoup plus fondamentale que la définition du matériel biologique susceptible d'être étudié. Cette expertise pourrait être confiée au CCNE ou à une instance équivalente mais non à la CNMBRDP qui, en l'état actuel de sa composition et de ses moyens, n'a pas vocation à remplir une telle mission.

- Le cas de l'embryon inscrit dans un projet parental :

On se trouve ici dans l'hypothèse des recherches à bénéfice individuel direct dont le DPI constitue d'ores et déjà l'une des applications. L'intégrité de l'embryon devant être respectée pour ne pas compromettre ses chances d'implantation, elles devraient porter principalement sur son environnement (la mise au point des milieux de culture). Le professeur FRYDMAN souligne cependant l'intérêt d'études invasives permettant de progresser dans la voie de la fécondation d'ovocytes soumis à congélation. Dans ce cas, l'étude pourrait être subordonnée :

o à une évaluation scientifique, confiée par exemple à l'INSERM, afin de vérifier la pertinence de l'étude ;

o à une évaluation éthique du CCNE garantissant la régularité de sa mise en oeuvre, en ce qui concerne notamment le recueil du consentement du couple concerné.

2.1.3. Les orientations tracées par le Comité consultatif national d'éthique

Dans l'avis n° 53 qu'il a émis le 11 mars 1997 " sur la constitution de collections de cellules embryonnaires humaines et leur utilisation à des fins thérapeutiques et scientifiques " et auquel il se réfère dans celui du 25 juin 1998 relatif à la révision des lois de bioéthique, le CCNE apporte une caution assez nette aux partisans de la recherche sur les embryons surnuméraires.

Cet infléchissement de la position du CCNE est motivé par les perspectives thérapeutiques que laissent entrevoir la constitution et l'utilisation de cellules souches embryonnaires (" Embryonic stem cells ") qui, cultivées ex vivo, peuvent conserver leur totipotence ou se différencier en cellules précurseurs des différents tissus somatiques, en fonction des artifices expérimentaux utilisés.

La création prochaine de ces lignées de cellules va ouvrir des champs d'application immenses, " un accroissement des connaissances sur les mécanismes de la différenciation cellulaire ou de la tumorisation " et " la création de larges quantités de cellules différenciées qui pourraient être utilisées comme greffes pour traiter différentes maladies, par exemple des maladies du sang, du système immunitaire, du système nerveux ou du muscle " . Le CCNE évoque incidemment à ce propos les problèmes éthiques que soulèverait le transfert des noyaux de ces cellules dans des ovocytes énucléés, ouvrant une possibilité de clonage déjà réalisé chez les mammifères domestiques.

" De telles cellules souches humaines, équivalentes à des cellules ES de souris, n'existent pas encore aujourd'hui mais plusieurs laboratoires dans le monde, hors de France, travaillent à leur établissement . De ce fait, le CCNE considère de sa mission de faire d'ores et déjà des recommandations sur les conditions de leur établissement et de leur utilisation éventuels. " Ces recommandations tiennent en six points :

o limiter l'utilisation à des fins de recherche aux seuls embryons congelés provenant de dons de couples qui, par écrit, auraient abandonné leur projet parental et décidé l'arrêt de la conservation ;

o exclure la conception d'embryons humains à des fins de recherche ;

o interdire le recueil, par lavage utérin, d'embryons conçus in vivo en vue d'établir des lignées cellulaires ;

o circonscrire l'utilisation des cellules souches embryonnaires à des activités de recherche fondamentale ou à des recherches thérapeutiques ;

o interdire toute utilisation des cellules ES dans le but de créer plusieurs embryons humains au génome identique ;

o proscrire le commerce des cellules en cause, qu'elles soient obtenues en France ou qu'elles proviennent de l'étranger.

Certains commentateurs n'ont pas manqué de souligner l'évolution que marquait cet avis dans la position du CCNE sur l'embryon comme " sujet-objet " de recherche. Dans l'avis du 15 décembre 1986, le comité prenait en considération une situation de fait plutôt regrettable -l'existence d'embryons surnuméraires- et admettait les recherches comme une nécessité acceptable si elles permettaient précisément de mettre au point des techniques évitant d'avoir à congeler ces embryons. Raisonnant aujourd'hui face à une législation préétablie, il constate dans son rapport préliminaire que " toute recherche sur la constitution de ces lignées cellulaires est impossible dans le cadre de l'article L 152-8 du Code de la santé publique puisqu'il faut obtenir des cellules d'un blastocyste éventuellement maintenu en culture ex vivo au-delà de la période d'implantation " . Cette constatation n'est pas reprise dans le corps même de l'avis mais influe sur sa portée. " En somme " , a pu écrire un commentateur, " en passant sous silence la question des cultures d'embryons, en ne mettant en évidence que les données concernant les ressources cellulaires, en demandant de légaliser la disponibilité de l'embryon pour des recherches étrangères au domaine de la fertilité et de la procréation, l'avis n° 53 produit -qu'il le veuille ou non- un effet de représentation de l'embryon comme simple agrégat cellulaire. "

En outre, la voie suggérée ne contribue pas à limiter le nombre des embryons congelés car, si la loi devait consacrer la position du comité, il serait encore plus utile de concevoir in vitro des embryons en surnombre pour qu'après épuisement du projet parental, il en restât quelques-uns disponibles pour la recherche .

2.2. Positions étrangères, européennes et internationales : des approches très diversifiées

2.2.1. La diversité des approches étrangères

Sans entrer dans une analyse détaillée pour laquelle on renverra à l'avis adopté, le 23 novembre 1998, par le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies, on peut considérer que les différentes législations s'ordonnent autour de deux grandes conceptions de l'embryon et, par conséquent, de la protection juridique dont il doit bénéficier :

o dans la première, l'embryon n'est pas un être humain et ne mérite donc qu'une protection limitée ;

o dans la seconde, l'embryon jouit du " statut moral " de tout être humain et doit donc bénéficier à ce titre d'une protection étendue.

- Se rattachent à la première conception les pays de common law (Angleterre, Etats-Unis, Australie, Canada) qui " suivent une démarche pragmatique dans laquelle l'embryon in vitro est traité pour l'essentiel comme une entité dont le sort dépend de la volonté des donneurs de gamètes dont l'embryon est issu. En outre, l'embryon est vu comme un organisme potentiellement utile pour la recherche médicale. Bien qu'aucun statut ne soit attribué à l'embryon, son sort ressemble donc plus à celui d'une chose, à traiter, certes, avec des égards spéciaux, qu'à celui d'une personne " .

Ainsi le Royaume-Uni (United Kingdom's Fertilization and Embryology Act, 1990) autorise-t-il la recherche et la création d'embryons à cet effet sous quatre conditions : elle doit être limitée au 14 ème jour de développement, autorisée par la HFEA (Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine), poursuivre des visées thérapeutiques et diagnostiques et ne pas aboutir au transfert des embryons étudiés .

Aux Etats-Unis, la création d'embryons pour la recherche est autorisée " à condition que la valeur de la recherche projetée soit indiscutable et qu'elle ne puisse être menée à bien autrement " , mais une loi de 1994 a interdit le financement de cette recherche sur fonds fédéraux. Les travaux qui ont abouti en 1998 à la culture de cellules souches pluripotentes à partir, soit d'embryons surnuméraires, soit de cellules germinales prélevées après interruption de grossesse sur un foetus, avaient été menés à bien grâce au soutien d'une firme privée. La communauté scientifique demandait ces derniers mois la modification de cette loi qui, selon Arthur CAPLAN, directeur du Centre de bioéthique de l'Université de Pennsylvanie, " ne fait qu'interdire dans le public ce qu'elle autorise dans le privé " . La réponse est venue, le 19 janvier 1999, du professeur Harold VARMUS, directeur des Instituts nationaux de santé (NIH), qui a annoncé l'affectation prochaine de crédits fédéraux à la recherche sur les cellules embryonnaires pluripotentes. Devant la Commission consultative d'éthique mise en place par le président CLINTON, le professeur VARMUS a fait valoir que ces cellules pluripotentes qui ont la capacité de se différencier, sous l'influence de facteurs biologiques et chimiques, en cellules appartenant aux trois types de tissus (endoderme, ectoderme, mésoderme) ne peuvent, à la différence des cellules totipotentes, développer un embryon conduisant à la naissance d'un être humain. La loi fédérale ne s'opposerait donc pas au financement public de ce type de recherche.

On notera par ailleurs qu'en Belgique, bien que ce pays n'appartienne pas à la sphère de la common law, un avant projet de loi envisage la création d'embryons utilisables par la recherche avec l'accord des donneurs lorsque l'objectif de cette recherche ne peut pas être atteint, " ni effectivement, ni scientifiquement " , par l'utilisation d'embryons surnuméraires.

- La seconde conception, très restrictive, voire prohibitive, à l'égard de la recherche inspire les législations norvégienne et allemande . La loi allemande du 13 décembre 1990 protège l'embryon dès sa conception. Elle interdit la constitution de banques d'embryons et rend obligatoire le transfert à l'utérus maternel de tous les embryons obtenus qui ne peuvent être plus de trois dans un même cycle. Sont également interdits explicitement la sélection du sexe, la fécondation post mortem, le clonage et la création de chimères et d'hybrides.

Dans ce contexte, alors que les groupes parlementaires CDU, CSU et FDP (120 signataires) avaient invité, au début de 1998, le gouvernement fédéral à signer la Convention européenne de bioéthique, dans la mesure où serait ainsi garantie une contribution active à l'amélioration des dispositions controversées, 160 députés ont adopté une motion intergroupes hostile à la ratification compte tenu, notamment, de l'imprécision des dispositions concernant la protection des embryons.

2.2.2. La difficulté d'une position européenne commune

- La Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine , adoptée en novembre 1996 et signée, pour l'heure, par 22 Etats sur 40, n'a pas abordé la question du statut de l'embryon. En l'absence d'un consensus concernant les recherches, elle a renvoyé aux Etats le soin de les réglementer. Son article 18 dispose simplement : " Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon ; la constitution d'embryons humains aux fins de recherche est interdite. " La non-interdiction de la recherche a conduit l'Allemagne et la Pologne à s'abstenir.

Ce texte doit en principe être complété par un protocole additionnel relatif à la protection de l'embryon. Plusieurs réunions exploratoires ont déjà été tenues mais on peut s'interroger sur les délais et les conditions dans lesquels une position commune pourrait être arrêtée.

- L'avis du Groupe européen d'éthique pour les sciences et les technologies humaines (23 novembre 1998)

Cet avis a été sollicité par la Commission européenne à la suite de l'amendement déposé par le Parlement européen (dans le cadre de l'adoption du 5 ème programme-cadre de recherche) qui tend à interdire tout financement communautaire de la recherche sur les embryons qui implique la destruction de ceux-ci. Il tient en deux points :

o l'attribution d'aides financières européennes en faveur des recherches menées dans les pays où elles sont autorisées (Danemark, Espagne, Royaume-Uni, Suède et, dans une certaine mesure, la France) ne doit pas être exclue eu égard " au respect du pluralisme des cultures et des approches éthiques en Europe, qui se traduit en particulier par une extrême diversité des réglementations nationales " ;

o ce financement doit être subordonné à " de strictes conditions juridiques et éthiques " . Les projets devront se conformer à l'ensemble des exigences requises par les réglementations nationales, aux principes éthiques fondamentaux communs à l'Europe (respect de la vie humaine dès son commencement et du consentement des femmes ou des couples géniteurs des embryons pouvant être utilisés en vue de recherche).

Les membres du GEE estiment, par ailleurs, urgent que les projets candidats à un financement communautaire fassent l'objet, au préalable, d'une appréciation systématique de nature non seulement scientifique mais éthique de la part d'experts indépendants.

2.2.3. L'absence d'une prise de position, même non contraignante, à l'échelon international

La déclaration sur le génome humain et les droits de l'homme adoptée le 9 décembre 1998 par l'Assemblée générale des Nations-Unies ne comporte aucune disposition touchant l'éthique de la recherche sur l'embryon humain.

" Nous savons tous que si nous avions voulu que la déclaration traite explicitement de ce sujet, nous ne serions parvenus à aucun accord et la déclaration n'aurait jamais vu le jour. La recherche sur l'embryon humain suscite des oppositions majeures parce qu'il s'agit très clairement d'un sujet fondamental, ontologique. On observe d'ailleurs qu'aucun consensus n'est possible au sein même de l'Union européenne. "

Cette conjoncture internationale n'incite guère à l'optimisme sur les chances, ici comme ailleurs, d'une harmonisation mondiale des points de vue.

3. Quelle alternative pour le législateur ?

Le compromis élaboré en 1994 est aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques. Sans revêtir dans le débat la robe de la défense, on observera que le Parlement, conscient de ces imperfections, s'était précisément fixé un nouveau rendez-vous pour réexaminer le problème après quelques années de mise à l'épreuve. L'application de la loi ayant été retardée pour des raisons qui ne sont pas purement fortuites, la pratique ne peut venir au secours de la réflexion qui doit néanmoins tenir compte des avancées scientifiques intervenues en ce domaine. Si, comme le soutient une opinion dominante, cette partie du texte doit être remaniée, deux options paraissent envisageables.

- La première consiste à refuser toute transaction avec le principe du respect de la vie dès son origine. Dans cette optique, la recherche, à condition qu'elle se conforme à l'ensemble des règles protectrices de la personne, peut s'appliquer aux gamètes. Aucune étude invasive et sans bénéfice direct pour l'enfant à naître ne saurait, en revanche, être menée sur un ovocyte fécondé.

On ne tranchera pas ici le point de savoir si l'expérimentation ainsi circonscrite pourrait s'étendre au zygote avant la fusion des noyaux. Il paraît clair, en tout état de cause, qu'elle exclurait les embryons morts ou non viables ainsi que les embryons abandonnés. La destruction de ces derniers devrait donc être explicitement prévue après accord des couples concernés. Pour parer au renouvellement d'une telle situation, il serait nécessaire, à l'instar de la législation allemande, de limiter strictement le nombre des embryons conçus in vitro quelles que soient, d'un cas à l'autre, les chances d'implantation des embryons transférés.

Cette solution est, en raison même de sa rigueur, d'une application assez aisée. Elle soulève, cependant, une question importante qu'elle laisse sans réponse : sera-t-il possible d'accepter, dans un avenir proche, le bénéfice des recherches menées hors de nos frontières selon des modalités que notre propre législation aura prohibées ?

- La seconde conduit à rechercher une traduction juridique de la " personnalité différée " qui permette de concilier, dans sa finalité, l'intérêt de la personne à naître et celui de la personne déjà née. La notion de bénéfice indirect admise par le Comité consultatif national d'éthique en 1986 ouvrait la voie en ce domaine et son avis de juin 1998 qui se réfère à l'utilité thérapeutique des cellules embryonnaires élargit encore la perspective. Dans cette hypothèse, une distinction, à laquelle le législateur de 1994 s'était refusé, doit être faite entre deux catégories d'embryons :

o ceux qui sont destinés à un projet parental ne doivent être l'objet que d'interventions pratiquées dans leur intérêt direct et insusceptibles de porter atteinte à leur développement. On retrouverait ici, sous réserve de quelques assouplissements très limités, le cadre protecteur tracé par la loi de 1994 ;

o ceux qui n'ont pas vocation à être transférés pourraient, jusqu'à un stade (7 ème ou 14 ème jour) qui reste à déterminer, faire l'objet d'expérimentations visant, soit à améliorer les techniques d'AMP, soit à mettre en oeuvre les cultures de cellules souches promises à un grand avenir thérapeutique. Toute création d'embryon à des fins exclusives de recherche demeurant proscrite, ces expérimentations et prélèvements ne pourraient s'appliquer qu'aux embryons surnuméraires existants, après accord de leurs géniteurs. Pour éviter de nouvelles dérives, le nombre des embryons fécondés in vitro dans le cadre d'un projet parental devrait être strictement contrôlé, voire limité par la loi elle-même.

Il serait par ailleurs nécessaire de permettre le jeu de la clause de conscience pour les médecins qui refuseraient de mener des recherches allant au delà de l'intérêt direct de l'enfant à naître.

Cette alternative esquissée à grands traits nous paraît résumer les choix qui s'offrent aujourd'hui au législateur. Cela dit, le progrès scientifique pourrait bien la frapper de caducité dans les années à venir.

S'agissant, tout d'abord, de l'assistance médicale à la procréation, une situation nouvelle sera créée par la mise au point, annoncée maintenant comme prochaine, des techniques de congélation des ovocytes ou des fragments ovariens qui résoudra, de facto, le délicat problème des embryons surnuméraires.

D'autre part, les récentes découvertes américaines ont abouti à l'établissement de lignées continues de cellules pluripotentes. Celles-ci, à la différence des cellules totipotentes, sont insusceptibles d'évoluer vers la constitution d'un être humain ; elles peuvent être obtenues à partir de prélèvements qui ne sont pas nécessairement d'origine embryonnaire. Ces découvertes peuvent conduire à une modification du cadre éthique dans lequel s'inscrira le développement de la thérapie cellulaire.

Face à ces perspectives, le réexamen périodique des normes législatives constitue une précaution que le Parlement sera sans doute amené à renouveler lors de la prochaine révision. Mais il ne devra pas, parallèlement, faire l'économie d'une réflexion sur l'indispensable harmonisation juridique à laquelle les pays développés et, principalement, les membres de l'Union européenne, devraient s'efforcer de parvenir en ces domaines. L'occasion lui en sera fournie notamment par la ratification de la Convention européenne de biomédecine signée à Oviedo en 1996.

VI - LE DIAGNOSTIC PRÉNATAL

Les dispositions consacrées par la loi de 1994 au diagnostic prénatal (DPN) tiennent pour l'essentiel en deux articles qui ont pour objet d'en préciser la finalité et d'en organiser la pratique. On rappellera brièvement la problématique dans laquelle s'inscrit cet acte médical.

Le DPN permet, à l'occasion du suivi des grossesses exposées à des risques particulièrement élevés d'anomalie foetale ou de maladie génétique, de confirmer ou d'écarter la présence de ces anomalies ou maladies au moyen de techniques invasives telles que l'amniocentèse (prélèvement de liquide amniotique), la choriocentèse (prélèvement de trophoblaste, préfiguration du placenta) ou l'analyse du sang foetal.

Les progrès des thérapies étant plus lents que ceux des techniques de DPN, celui-ci se trouve placé, selon l'expression de Frédéric SALAT-BAROUX , au coeur d'un " triangle tragique " en termes éthique et social : le DPN permet de détecter malformations et maladies ; l'égalité de chacun devant la médecine requiert le remboursement de ces examens ; faute de possibilité de traitement, le DPN ne peut conduire qu'à une interruption de grossesse pour motif thérapeutique.

Le caractère invasif du DPN et les risques auxquels il expose la mère et l'enfant à naître justifient que sa mise en oeuvre soit subordonnée à un certain nombre de conditions, que le Groupe des conseillers pour l'éthique de la biotechnologie de la Commission européenne a énumérées dans son avis du 20 février 1996 :

o le recours au DPN doit reposer sur le consentement libre et éclairé de la femme et du couple concerné. Aucun test ne doit être imposé par la loi ni par les services de santé publique ;

o un conseil génétique de qualité doit être fourni avant aussi bien qu'après le test ;

o le DPN suppose des services sociaux et médicaux de qualité, un personnel qualifié, des équipements appropriés et des techniques fiables.

Ces conditions se trouvaient déjà posées dans la rédaction que la loi de 1994 a donnée à l'article L 162-16 du Code de la santé publique, qu'est venu préciser le décret du 6 mai 1995.

1. Consentement éclairé et conseil génétique

Si l'article L 162-16 n'impose pas explicitement l'information de la femme enceinte sur les risques inhérents aux prélèvements et son consentement préalable, celui-ci pouvait cependant se déduire du principe d'inviolabilité du corps humain inscrit par la loi n° 653 dans l'article 16-3 du Code civil. Le décret a comblé cette lacune en organisant la consultation médicale de conseil génétique qui doit fournir cette information à la patiente et lui permettre d'évaluer, pour l'enfant à naître, le risque d'être atteint d'une maladie d'une particulière gravité compte tenu des antécédents familiaux ou des constatations médicales effectuées au cours de la grossesse.

- S'agissant de la consultation de conseil génétique , on ne doit pas sous-estimer les efforts qui restent à faire pour trouver des spécialistes en nombre suffisant. Le professeur MUNNICH  a souligné l'hétérogénéité des niveaux de compétence dans le domaine de la génétique qui crée des inégalités entre les centres et une injustice devant la maladie génétique. Le poids des spécialités traditionnelles entrave la mise en place de ces centres.

De son côté, le professeur GOOSSENS observe que les dispositions régissant le DPN restent marquées par une " vision historique de la génétique " , très liée à la pédiatrie, qui ne prend pas suffisamment en compte les bouleversements apportés par la génétique moléculaire et les techniques modernes d'investigation foetale (notamment d'imagerie) depuis le début des années 80. Le débat s'est retrouvé au stade de l'élaboration des décrets d'application, les obstétriciens et les échographistes insistant, face aux généticiens pédiatriques, sur la nécessité -qui n'a pas été admise- de resituer le DPN dans le contexte de la médecine foetale et de prendre en considération son caractère pluridisciplinaire. Si la consultation préalable de conseil génétique est assurément utile, elle devrait, pour le professeur GOOSSENS, être associée à celle du spécialiste de la pathologie en cause. De plus en plus de maladies ont une origine génétique reconnue : généticiens et spécialistes doivent donc travailler ensemble dans des consultations jointes .

- Echographie et DPN : le rôle que sont amenés à jouer, pour la mise en oeuvre du DPN, les examens échographiques habituellement pratiqués dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse ne va pas sans poser quelques problèmes au regard de l'application du principe de consentement éclairé.

Le professeur Marie-Louise BRIARD a en effet indiqué  que l'échographie pratiquée à douze semaines d'aménorrhée permet, par la mesure de l'épaisseur du pli nucal du foetus, de détecter un risque de trisomie 21 dont la confirmation sera recherchée par l'établissement d'un caryotype. 7 à 8 % d'anomalies chromosomiques sont ainsi diagnostiquées chez les sujets présentant une malformation à l'échographie. Or, comme l'a fait remarquer le professeur SCHWEITZER , les patientes perçoivent ces échographies comme une vérification de la bonne croissance foetale et non comme un dépistage systématique de malformations pour lequel leur consentement n'a pas été sollicité. Compte tenu du développement de ces pratiques, dont l'opportunité médicale n'est pas ici en cause, ne conviendrait-il pas de fixer précisément les modalités de l'information qui doit être dispensée avant leur mise en oeuvre ?

2. Les établissements et laboratoires autorisés à pratiquer les examens de DPN

Aux termes de la loi, les autorisations sont accordées pour cinq ans, après avis de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal et du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale. Les établissements déjà titulaires d'une autorisation devaient présenter une nouvelle demande dans les six mois suivant la publication des décrets.

403 dossiers ont été soumis, au cours de l'année 1996 à l'examen de la CNMBRDP ; ils ont donné lieu à 253 avis favorables et à 248 autorisations ministérielles se décomposant comme suit :

o biochimie34

o maladies infectieuses43

o cytogénétique72

o génétique moléculaire41

o hématologie3

o immunologie4

o marqueurs sériques maternels51

(cette activité étant soumise à indice de carte sanitaire)

Dans son premier rapport, la CNMBRDP souligne les conséquences de la politique de budget global des hôpitaux publics sur l'organisation de ces tests de DPN, particulièrement pour ceux soumis à carte sanitaire. Un nombre important de ces actes très spécialisés ne peut être réalisé que dans un très petit nombre de laboratoires du fait de l'expertise requise ; ces mêmes actes ne sont de qualité que si le volume d'activité est suffisant. Or ces laboratoires peuvent être contraints, pour des raisons budgétaires, de refuser des prélèvements extérieurs et de ne plus assurer les examens qui recouvrent, outre les DPN, toutes les études familiales nécessaires pour étayer les conseils génétiques.

Ces observations rejoignent celles du professeur MUNNICH soulignant que le système du budget global ne favorise pas les disciplines innovantes, ce qui aboutit à des disparités considérables d'une région à l'autre. Pour autant, il admet qu'on ne peut multiplier les centres de génétique car il y a un problème de masse critique (documentation, accès, équipement du laboratoire). La meilleure solution consiste donc à limiter le nombre des centres tout en organisant des consultations avancées.

Se pose enfin un problème que l'on retrouve d'une façon générale pour la mise en place et le fonctionnement des structures d'AMP : l'évaluation des établissements candidats à l'agrément impose une visite des sites et une expertise menée par des spécialistes, toutes choses qui, de l'avis du professeur GOOSSENS, sont impossibles actuellement.

La CNMBRDP reconnaît elle-même dans son rapport pour 1996 que " l'évaluation intermédiaire reste à construire avec des moyens limités " , mais pourra s'appuyer notamment sur les rapports d'activité des centres prévus par l'article L 184-2 du Code de la santé publique. Elle souligne d'autre part qu'aucun contrôle de qualité n'a été mis en oeuvre pour les activités biologiques de DPN, en particulier la cytogénétique. " Ceci [lui] semble préjudiciable pour les patients et prive la commission d'éléments de jugement importants pour rendre les avis qui lui sont demandés. L'expérience d'autres pays européens pourrait être mise à profit pour instaurer un tel contrôle en France ."

Ne serait-il pas nécessaire, comme le souhaite René FRYDMAN, d'établir un bilan détaillé du diagnostic prénatal, puisque cet acte médical est régulièrement pratiqué en France depuis 25 ans, en faisant apparaître le nombre de faux positifs (conduisant à un avortement injustifié) et de faux négatifs (aboutissant à la naissance d'un enfant handicapé) ?

Ce devrait être, entre autres, le rôle des centres pluridisciplinaires créés par l'article L 162-16 et sur lesquels aucune appréciation ne peut être portée car, en raison de la parution tardive du décret d'application (28 mai 1997), l'examen des dossiers d'agrément était toujours en cours à la CNMBRDP au moment de la rédaction de ce rapport.

VII - L'ENCADREMENT DES ACTIVITÉS D'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

La loi de 1994 distingue :

o l'agrément des praticiens responsables des activités cliniques et biologiques d'AMP (article L 152-9 du Code de la santé publique) ;

o l'autorisation des établissements ou laboratoires dans lesquels peuvent être exercées les activités d'AMP (articles L 184-1, L 184-2 et L 673-5).

Elle confère un rôle déterminant à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal qui, outre l'avis qu'elle doit donner sur ces demandes d'agrément et d'autorisation, participe au suivi et à l'évaluation du fonctionnement des établissements et laboratoires autorisés (article L 184-3).

1. L'agrément des praticiens : spécialité, responsabilité et multidisciplinarité

Cet agrément, donné par le ministre chargé de la Santé après avis de la CNMBRDP, correspond à une ou plusieurs des activités définies par le décret du 6 mai 1995, pris pour l'application de l'article L 152-9.

On rappellera ici au préalable que les actes d'insémination artificielle accomplis par des gynécologues de ville n'entrent pas dans cette définition des actes d'AMP et se trouvent, de ce fait, soustraits à tout contrôle. Cette situation mériterait sans doute un examen attentif et la prise, si besoin est, de mesures appropriées.

L'agrément est subordonné à des conditions de qualification propres à la nature de l'activité exercée qui peut être clinique (recueil de gamètes par ponction, transfert des embryons) ou biologique (recueil et traitement du sperme, traitement des ovocytes, FIV avec ou sans manipulation, conservation des gamètes, conservation des embryons).

L'article L 152-9 confère au praticien ainsi agréé la responsabilité des actes d'AMP effectués dans chaque établissement ou laboratoire autorisé à les pratiquer.

Ces dispositions ont soulevé un certain nombre de difficultés que la CNMBRDP a mises en évidence dans son premier rapport et que certains de nos interlocuteurs ont également soulignées.

- Les premières tiennent, non à la loi elle-même, mais à la séparation , introduite par son décret d'application, entre activités biologiques et cliniques , séparation qui témoigne, selon la CNMBRDP, d'une représentation dépassée de la biologie et de la clinique " en tout cas en ce qui concerne la médecine de la reproduction " . Allant dans le même sens, le docteur de MOUZON a souligné que cette séparation ne répond pas aux exigences de l'AMP qui impliquent une association étroite et permanente de ces deux activités et devraient conduire à la création de centres pluridisciplinaires . Cette exigence est d'ailleurs prise en compte par la loi elle-même qui prévoit, dans l'article L 152-10, que la mise en oeuvre de l'AMP doit être précédée d'entretiens particuliers des demandeurs avec " les membres de l'équipe médicale pluridisciplinaire du centre " .

Cette pluridisciplinarité, si nécessaire soit-elle, ne doit pas conduire, observe le professeur JOUANNET, à une dilution des responsabilités dans ces milieux où sont associés biologistes, médecins, généticiens, psychologues et personnels paramédicaux . Se pose, plus précisément, la question de la répartition des pouvoirs entre cliniciens et biologistes. La biologie de la reproduction -interventionnelle et thérapeutique- joue ici un rôle très différent de sa fonction habituelle d'analyse.

Dès lors, s'interroge le professeur SELE, n'y a-t-il pas un problème de cohérence entre la loi de 1994 et celle du 11 juillet 1975 qui n'envisage l'activité des biologistes que sous son aspect diagnostique ? En cas de contrariété de point de vue entre le clinicien et le biologiste, il n'y a pas actuellement d'arbitrage possible, le biologiste, considéré comme un exécutant, ne pouvant que s'incliner devant la position du clinicien qui est, légalement, le seul prescripteur.

Pour le professeur SELE, la coresponsabilité devrait entraîner la codécision et, par conséquent, l'attribution aux uns et aux autres d'un pouvoir propre de prescription permettant au biologiste d'intervenir sur le choix de la technique de fécondation. Le problème se posera d'ailleurs dans les mêmes termes en matière de thérapie génique et cellulaire. Il pourrait être résolu en s'inspirant des mesures édictées dans le domaine de la transfusion sanguine .

- La notion de " praticien agréé responsable " , introduite par l'article L 152-9, soulève des difficultés d'interprétation qui ont retenti sur la mise en application de ce texte.

Dès l'examen des premiers dossiers d'agrément, la CNMBRDP a, en effet, constaté que le terme de " responsabilité " avait été compris dans divers sens, certains centres, malgré une activité importante, ne désignant qu'un praticien alors que d'autres, notamment dans le secteur privé, en proposaient jusqu'à 25. L'agrément s'apparente dans ce cas à une habilitation individuelle et l'on est alors conduit à s'interroger sur le contenu de la responsabilité partagée entre un trop grand nombre de titulaires.

Dans l'interprétation adoptée par la Direction générale de la santé, le praticien agréé est un coordonnateur assumant la responsabilité collective d'une équipe dont chaque membre n'a pas nécessairement une compétence et une expérience justifiant un agrément. Mais la Caisse nationale d'assurance maladie refuse, quant à elle, de prendre en charge des actes accomplis par des praticiens non agréés en s'appuyant sur le Code de déontologie médicale qui impose un exercice personnel de la médecine et une responsabilité individuelle du praticien. Cette contrariété de textes ou, tout au moins, d'interprétations nécessiterait peut-être que figurent dans la loi elle-même des dispositions plus explicites sur les modalités et la portée de l'agrément.

Les praticiens des CECOS interrogés par le Centre régional juridique de l'Ouest souhaitent par ailleurs, dans leur très grande majorité, qu'un régime d'agrément spécifique soit institué pour la gestion du don de gamètes et, singulièrement, du don d'ovocytes qui s'accommode mal de la séparation appliquée de façon générale à l'AMP entre biologistes et cliniciens.

2. L'autorisation des établissements et laboratoires : des moyens d'évaluation et de contrôle encore insuffisants

L'autorisation d'exercice des activités cliniques et biologiques d'AMP est accordée aux établissements de santé et aux laboratoires d'analyses de biologie médicale par le ministre chargé de la Santé dans les conditions du droit commun de la législation hospitalière, après avis de la CNMBRDP et du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale institué par la loi du 31 juillet 1991. Les conditions de fonctionnement nécessaires à l'obtention de l'autorisation ont été précisées par le décret du 6 mai 1995. Des obligations particulières sont imposées aux organismes et établissements de santé sans but lucratif pratiquant des activités de recueil, traitement, conservation et cession de gamètes issus d'un don.

Ces autorisations sont accordées pour une durée de cinq ans et peuvent être retirées, à titre temporaire ou définitif, après avis de la CNMBRDP en cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles prévues dans l'autorisation.

Les établissements autorisés avant l'entrée en vigueur de la loi ont disposé d'un délai de six mois pour déposer une nouvelle demande.

La CNMBRDP s'appuie, pour délivrer ses avis, sur les rapports établis par les médecins inspecteurs de la santé publique rattachés aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS).

Indépendamment des 403 dossiers relatifs au diagnostic prénatal, évoqués par ailleurs, 523 demandes d'autorisation ont été examinées par la CNMBRDP au cours de l'année 1996. 442 avis favorables ont été délivrés, qui ont conduit à l'octroi de 435 autorisations (soit 83 % des demandes présentées). Elles se décomposent comme suit :

1) pour les activités cliniques

o ponction d'ovocytes et transferts d'embryons101

o ponctions d'ovocytes en vue d'un don23

o ponctions de spermatozoïdes en vue d'un don59

2) pour les activités biologiques

o recueil et traitement de sperme en vue d'un don105

o FIV sans micromanipulation90

o FIV avec micromanipulation (ICSI)57

La mise en application de la loi s'est heurtée sur ce point à un certain nombre de difficultés que la CNMBRDP a mises elle-même en évidence dans son rapport pour 1996 :

o mauvaise qualité des dossiers, présentés de façon incomplète, et insuffisance des vérifications préalables qui incombaient aux DDASS ;

o insuffisance des informations complémentaires fournies par les médecins inspecteurs de santé publique.

Sur ce point, les observations de la CNMBRDP concordent avec les constats très critiques recueillis au cours de nos auditions :

o les médecins inspecteurs sont en nombre insuffisant et accaparés par une multitude de tâches techniques. La DDASS de Paris, par exemple, ne compte qu'un emploi de médecin à temps plein pour 45 sites à contrôler  ;

o ils ne disposent pas d'une formation spécifique leur permettant d'effectuer une analyse critique des bilans d'activité des centres. En l'absence d'indicateurs fiables permettant d'éliminer les incidences de la " course aux résultats ", l'exactitude des résultats affichés ne peut donc être vérifiée alors que le public ne dispose en ce domaine, comme l'a souligné Jacques TESTART, d'aucune information sérieuse . La complexité du contrôle nécessiterait l'établissement d'un guide d'inspection. Un projet élaboré par la DDASS de Paris n'a pas été validé par la Direction générale de la santé. Le ministère de la Santé préconise une spécialisation et une mutualisation des moyens à l'échelon régional mais les ressources budgétaires font actuellement défaut pour y parvenir .

De ce fait, comme l'indique le docteur Marie-Claude DUMONT, les arguments réglementaires (formation des praticiens, organisation et fonctionnement des centres) sont rarement utilisés pour fonder un refus d'autorisation, qui s'appuie le plus souvent sur des considérations liées à la planification où à l'absence de personnels titulaires (dans les centres rattachés à des CHU) .

La CNMBRDP souligne elle-même l'insuffisance de ses moyens pour assurer le suivi et l'évaluation des centres autorisés, les rapports d'activité que les centres sont tenus d'établir annuellement (article L 184-2) devant être validés par des contrôles sur pièces et sur place. Son président, M. Jean MICHAUD, observe que cette faiblesse structurelle contraste avec l'importance des missions qui lui sont dévolues pour la mise en oeuvre des nouvelles techniques d'AMP, importance qui est appelée à s'accroître si les orientations tracées par l'avis n° 53 du CCNE en matière de recherche sur l'embryon sont consacrées par le droit positif .

Certains remettent en cause, malgré l'élargissement de son recrutement opéré par la loi, la structure trop cloisonnée et la composition trop corporatiste de la Commission .

S'exprimant au nom des CECOS, le professeur JOUANNET  a appelé de ses voeux la création d'un organisme comparable à la HFEA britannique (Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine). Conçue comme un office spécifique ou un sous-ensemble de l'Etablissement français des greffes, cette structure devrait disposer de l'autonomie et des moyens qui font défaut à la CNMBRDP :

o elle exercerait les missions actuellement dévolues à cette dernière pour l'agrément des établissements et des praticiens avec des moyens renforcés d'inspection et d'expertise ;

o elle évaluerait l'activité d'AMP, non pas seulement d'un point de vue quantitatif, mais sous l'angle des conséquences des actes accomplis, de la qualité des pratiques et de leurs répercussions sociales ;

o elle favoriserait et démocratiserait la réflexion dans le domaine de l'AMP, prenant modèle ici encore sur les consultations nationales organisées en Grande-Bretagne par la HFEA ;

o elle mènerait, en direction des personnes touchées par le problème de la stérilité mais aussi du grand public, des actions d'information sur l'évolution des connaissances et des pratiques, les causes et les effets de la stérilité, les conséquences des traitements ;

o elle élaborerait les règles de bonne pratique, développerait l'assurance qualité et organiserait la formation des praticiens.

Interface entre les pouvoirs publics, les professionnels, les usagers et la société tout entière, elle exercerait une fonction régulatrice dans le cadre des principes généraux fixés par le législateur.

Sans prendre parti sur les solutions qui pourraient être retenues, il nous apparaît, compte tenu de la convergence des observations recueillies, que le Parlement ne saurait faire l'économie, sur ce point, d'une étude attentive.

Comment ne pas s'interroger, d'autre part, sur l'absence quasi totale de poursuites pour infraction aux dispositions de la loi depuis son entrée en vigueur  ? Il serait exagérément optimiste d'en déduire que la sévérité des sanctions édictées a produit un effet totalement dissuasif, et certains de nos interlocuteurs sont d'un avis tout différent. Le professeur CZYBA a évoqué des " pratiques sauvages " consistant, par exemple, pour des fabricants à faire tester des milieux de fécondation et de culture par des biologistes contre rémunération . M. MICHAUD affirme également que des activités de recherche non autorisées se sont poursuivi et juge les sanctions pénales trop lourdes pour être effectivement infligées . Dans son rapport, la CNMBRDP estime que, faute même de plaintes, " des initiatives de poursuites pourraient émaner du Procureur de la République ; aussi serait-il opportun que, dans cette perspective, des contacts soient pris entre les autorités judiciaires et de la santé au niveau des administrations centrales et sur le plan local, en vue d'une application effective de la loi. Ce point est essentiel pour asseoir la crédibilité du système d'autorisation et des avis de la commission. "

Ce voeu, qui ne semble pas avoir jusqu'ici trouvé d'application concrète, traduit une situation préoccupante qui devra retenir l'attention du législateur au moment de la révision.

CONCLUSION

Au terme de ce travail d'évaluation, trois types de remarques nous paraissent pouvoir être présentés.

o La tonalité nécessairement critique des observations développées dans le corps de notre rapport ne saurait affecter le jugement positif qui peut être porté sur la loi, dans son ensemble : l'effort de clarification, de rationalisation et d'encadrement entrepris en 1994 a, sur beaucoup de points, porté ses fruits. Les difficultés d'application que nous avons relevées n'étaient pas toutes inévitables. Le législateur devra en tirer la leçon et tenir compte, dans son travail de révision, des souhaits exprimés par les professionnels sans sacrifier le respect des principes aux commodités de la pratique.

o Dans les domaines les plus sensibles qui touchent à la conciliation du respect de la vie et du développement de la recherche indispensable au progrès thérapeutique, le législateur n'avait pas pu, ou n'avait pas voulu, apporter de réponses définitives. De nouvelles solutions devront être recherchées, sachant qu'elles n'auront qu'un caractère provisoire, eu égard aux changements incessants qu'impose à la réflexion la progression continue de la science.

o Les problèmes que pose le développement de la biomédecine ne peuvent se satisfaire d'une approche purement nationale. Cette constatation, énoncée dans l'introduction du rapport, s'est vérifiée tout au long de notre étude. Dans le domaine des greffes comme dans celui de l'assistance médicale à la procréation, les exigences de la sécurité sanitaire et le développement de la recherche commandent une coopération entre Etats qui passe par une unification des principes et des pratiques.

Une fois posée cette affirmation, force est de constater que la réalité juridique est encore très en deçà de ces exigences.

La Convention européenne de biomédecine constitue, certes, un progrès non négligeable vers l'harmonisation des législations nationales adoptées par les Etats membres du Conseil de l'Europe mais les réserves dont certaines parties signataires assortiront leur adhésion ne résoudront pas les divergences qui subsistent en matière, notamment, de recherche sur l'embryon. De la même façon, la position nuancée et, en fin de compte, très respectueuse des particularismes nationaux qu'a récemment adoptée le Groupe européen d'éthique tend à accréditer la prévalence du principe de subsidiarité dans un domaine où l'intégration devrait être fortement encouragée par la création d'organismes communautaires inspirés, par exemple, de l'Agence européenne du médicament.

A l'échelon mondial, la situation est plus préoccupante encore puisque l'accord des Etats membres de l'ONU sur un texte purement proclamatoire -la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme- n'a pu être obtenu qu'au prix d'un silence sur l'expérimentation embryonnaire.

L'instauration d'une charte bioéthique mondiale dont le non-respect pourrait fonder un droit d'ingérence et le prononcé de sanctions par une juridiction internationale relève assurément, pour l'heure, de l'utopie. On nous pardonnera de céder un court instant à cette tentation dans la conclusion de ce rapport.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s'est réuni le mercredi 17 février 1999 pour examiner le rapport de MM. Alain CLAEYS, député, et Claude HURIET, sénateur.

M. Alain CLAEYS a indiqué que le travail d'évaluation se fondait d'une part sur les auditions des praticiens, d'autre part sur les divers rapports publiés par d'autres organismes publics. Le but n'était pas de fournir un jugement péremptoire sur une loi qui a pu servir de modèle à divers textes internationaux mais d'en apprécier l'application et de vérifier son adaptation à l'évolution des connaissances scientifiques.

Cette évaluation a été rendue difficile sur plusieurs points par le retard apporté à la publication des textes réglementaires. Pour certains problèmes, il a été possible de suggérer des solutions tenant compte des difficultés révélées par la pratique, notamment dans le domaine des transplantations d'organes, de tissus et de cellules.

En d'autres matières, le rapport n'a pu que s'en tenir à une présentation des thèses en présence et des voies alternatives qu'elles peuvent offrir au législateur : ainsi la recherche sur l'embryon pourra-t-elle être soumise à un régime différent selon que l'on se réfère au principe du respect de la vie dès son origine ou à la théorie de la personnification différée qui permet d'envisager des expérimentations à visée thérapeutique sur les cellules souches embryonnaires.

M. Alain CLAEYS a ensuite mis l'accent sur trois points qu'il juge essentiels :

o une meilleure information du public, s'agissant notamment des techniques comme l'ICSI qui ont été mises en oeuvre sans évaluation préalable ;

o l'insuffisance des moyens de contrôle sur le fonctionnement des établissements pratiquant l'assistance médicale à la procréation ;

o la nécessité d'un encadrement supranational de la recherche et de la pratique qui devrait exclure l'application du principe de subsidiarité et conduire, à terme, à l'instauration d'un droit d'ingérence en cas d'infraction aux principes fondamentaux auxquels doit se soumettre la biomédecine.

M. Claude HURIET a estimé que ce travail d'évaluation avait bénéficié de trois chances : l'intérêt même du sujet, la qualité des collaborations dont il avait bénéficié, le partage du rapport entre un médecin et un non-médecin. La difficulté a été de se limiter au seul champ d'étude tracé par la loi elle-même.

Dans le domaine des greffes, la loi a certainement contribué à rétablir la confiance du public même si ces effets psychologiques ne se traduisent pas encore dans les statistiques concernant le nombre des prélèvements et celui des oppositions.

D'autre part, l'évolution des techniques (notamment la greffe du coeur en domino) nécessitera sans doute quelques adaptations législatives.

Dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation, M. Claude HURIET a insisté plus particulièrement sur trois sujets :

o le développement de l'ICSI comme technique de fécondation in vitro ;

o la diminution corrélative de l'insémination artificielle avec donneur ;

o le problème du transfert post mortem de l'embryon, certaines opinions se manifestant en faveur d'une levée de l'interdiction édictée en 1994.

S'agissant de la recherche sur l'embryon, le débat actuel pourrait être dépassé en raison des découvertes récemment annoncées aux Etats-Unis touchant l'établissement de lignées cellulaires pluripotentes obtenues à partir de prélèvements foetaux.

M. Franck SÉRUSCLAT, sénateur, a regretté que le rapport ne fasse pas plus de place à la distinction entre le zygote et l'embryon proprement dit. Il a d'autre part souligné la portée nouvelle de la rédaction introduite par la loi de 1994 sur le respect de la vie dès son origine.

Mme Michèle RIVASI, députée, a demandé si le clonage se trouvait déjà interdit par la législation actuelle et si le contrôle exercé sur les laboratoires permettait bien de vérifier la conformité des pratiques aux dispositions législatives et réglementaires.

M. Claude BIRRAUX, député, a souligné la nécessité de normes précises dans le domaine du clonage comme dans celui des xénogreffes qui n'en sont encore qu'à une phase expérimentale.

M. Serge POIGNANT, député, a interrogé les rapporteurs sur les pratiques concernant la limitation du nombre d'embryons transférés.

M. Jean-Yves LE DEAUT, député, vice-président, a demandé s'il ne conviendrait pas de formuler des propositions précises sur le sort des embryons surnuméraires, le diagnostic préimplantatoire, la recherche embryonnaire et le transfert d'embryon post mortem.

M. Alain CLAEYS a fait observer que la vocation du rapport était de mettre les problèmes en évidence, non d'arbitrer sur les solutions les plus adaptées.

M. Claude HURIET a admis que la révision de la loi pouvait procéder d'une initiative parlementaire mais a jugé plus souhaitable le dépôt d'un projet.

Il a souligné que les progrès en cours de la génétique risquaient à terme de modifier la finalité du diagnostic préimplantatoire. Le principe d'une révision périodique des textes applicables en ces matières lui paraît, de ce fait, devoir être pérennisé.

A l'issue du débat, le rapport a été adopté à l'unanimité et sa publication autorisée.

AUDITIONS

Auditions du 28 mai 1998

1. M. CHRISTIAN BYK, MAGISTRAT, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DROIT, ETHIQUE ET SCIENCE

M. BYK distingue trois grandes périodes dans l'évolution de la bioéthique.

De 1965 à 1975, apparaissent les premiers appareils de dialyse rénale. La question qui se pose est alors de déterminer qui peut, en priorité, bénéficier de ces nouveaux traitements, compte tenu de l'écart entre l'offre et la demande.

Entre 1975 et 1988, les autorités publiques mettent en oeuvre une politique d'évaluation, aux Etats-Unis d'abord, puis en Europe (Danemark, France). Des commissions parlementaires se saisissent du sujet en Grande-Bretagne et en Espagne.

Depuis 1988, des normes législatives sont établies en Espagne (1988), en Grande-Bretagne (1990) puis en France.

L'ordre juridique n'offre pas tous les repères de clarté souhaitables en ce domaine. Un phénomène de désétatisation se manifeste dans les états fédéraux mais aussi dans des états unitaires où sont mises en oeuvre des politiques régionales (cas de l'Italie).

La bioéthique est marquée aujourd'hui par trois tendances :

o l'institutionnalisation avec le développement des comités d'éthique chargés de fixer les protocoles de recherche. On compte aujourd'hui une cinquantaine de comités consultatifs nationaux à travers le monde ;

o l'internationalisation avec l'élaboration de la Convention de biomédecine élaborée par le Conseil de l'Europe, puis de la Déclaration sur le génome humain adoptée par l'UNESCO. L'Union européenne développe, de son côté, sa propre logique ;

o la juridicisation avec la multiplication des textes à l'échelon national et international, ce qui pose le problème de la spécificité et de la cohérence du droit ainsi développé.

Il convient de souligner la part que les ordres professionnels ont prise dans l'élaboration des règles, tant dans le domaine du don d'organes que dans celui de la procréation assistée.

Les divergences existant d'un état à l'autre encouragent le " tourisme médical ", d'autant plus que la circulation intra-européenne est légale en ces domaines.

2. PROFESSEURS JEAN LANGLOIS ET MARC LERAT, MEMBRES DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS

Le CNO a constitué un groupe de travail commun avec l'Académie nationale de médecine. Sur les grands principes (gratuité, consentement, anonymat), aucune modification ne paraît souhaitable. Le principe d'une révision périodique devrait être reconduit.

Le problème du clonage n'a pas été traité par la loi : cette omission devra être réparée en prenant en compte tous les aspects du problème (clonage reproductif et clonage thérapeutique).

- Don et transplantation d'organes, tissus et cellules :

o la loi n'a pas distingué assez clairement les transplantations et les autopsies quant au régime de consentement qui leur est applicable ;

o la loi considère la moelle osseuse comme un organe mais ne tient pas compte des nouveaux modes de prélèvement des cellules hématopoïétiques dans le sang placentaire et le sang périphérique ;

o pour les donneurs vivants, les possibilités de prélèvement devraient être élargies aux ascendants et collatéraux. La notion d'urgence appliquée au don du conjoint n'a pas d'utilité pratique et devrait être supprimée ;

o le dépistage des maladies transmissibles devrait faire l'objet d'une coordination à l'échelon européen ;

o la loi devrait réglementer la pratique, récemment développée, de la greffe cardiaque " en domino ".

- Assistance médicale à la procréation :

o un statut de l'embryon humain, dont l'absence actuelle favorise les abus, devrait être établi ;

o la loi ne définit pas l'état de mort de l'embryon, ni les conditions dans lesquelles sa destruction peut être autorisée ;

o une position devrait être prise sur la possibilité d'utiliser les embryons surnuméraires à des fins de recherche ;

o le contrôle des centres d'AMP devrait être renforcé et les sanctions pénales appliquées en cas d'infraction aux dispositions de la loi.

Audition du 4 juin 1998

3- PROFESSEURS CLAUDE LAROCHE ET CLAUDE SUREAU, PRÉSIDENT ET MEMBRE DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE

1) Loi n° 94-653

- L'article 16-3 du Code civil, interprété restrictivement, conduit à condamner des pratiques obstétricales dont les indications thérapeutiques ne concernent que le foetus (césariennes, amniocentèses).

- L'article 16-4, 2 ème alinéa, interdisant les pratiques eugéniques ne distingue pas assez nettement l'aspect individuel et l'aspect collectif de ces pratiques.

2) Loi n° 94-654

- Dispositions relatives au don d'organes :

o les cellules souches hématopoïétiques recueillies dans le sang du donneur ou le sang placentaire devraient être prises en compte par la loi et assimilées à des organes comme la moelle osseuse ;

o l'élargissement des recherches de donneurs compatibles aux cousins germains devrait être autorisé ;

o la garantie judiciaire est nécessaire mais le double contrôle magistrat-comité d'experts est parfois trop lourd et facteur de retards pour les équipes de transplantation ;

o la notion d'apparentement devrait être dépassée en se référant à l'existence d'un lien affectif, tout en prévoyant un dispositif d'encadrement pour éviter les dérives ;

o toute confusion devrait être évitée entre les prélèvements thérapeutiques et les prélèvements pratiqués, au cours des autopsies, dans un but scientifique. L'inscription sur le registre national doit constituer le seul mode d'expression des refus et ne concerner que les prélèvements à but thérapeutique.

- Dispositions relatives à l'AMP :

o la recherche sur les processus de fécondation, de conservation et d'implantation de l'embryon conditionne le progrès thérapeutique. Elle doit donc être rendue possible, dans une finalité de bénéfice indirect, sur les embryons surnuméraires mais non sur des embryons conçus pour cet usage spécifique ;

o la vitalité de l'embryon doit être établie à partir de critères objectifs conditionnant sa soumission à une expérimentation, préalablement à sa destruction éventuelle ;

o l'insémination post mortem, interdite, ne doit pas être confondue avec le transfert d'un embryon après le décès du conjoint qui pourrait être admis dans certaines conditions ;

o la sécurité sanitaire de l'AMP doit être renforcée. La CNMBRDP doit disposer de moyens appropriés pour encadrer les activités des établissements, ce qui n'est pas actuellement le cas ;

o les investigations autorisées à l'égard de la famille d'accueil en cas de don d'embryon mettent en cause le respect du secret médical.

Auditions du 11 juin 1998

4- MM. FRANÇOIS STASSE, CONSEILLER D'ETAT, ET FRÉDÉRIC-SALAT-BAROUX, MAÎTRE DES REQUÊTES

Préparés par une réflexion approfondie (rapports BRAIBANT, MATTEI, LENOIR...), les textes de 1994 sont d'une qualité digne des grandes lois du XIX e siècle. Les principes posés (intégrité du corps, non-patrimonialité, intégrité de la personne et de l'espèce humaine) ne nécessitent pas de modification et peuvent s'adapter aux évolutions scientifiques (problème du clonage). Cette construction législative est d'autant plus remarquable qu'elle va bien au-delà des dispositions prises par d'autres pays développés. Aussi a-t-elle pu inspirer plusieurs conventions internationales (UNESCO, Conseil de l'Europe).

Il est cependant indispensable, dans le cadre de cette mission d'évaluation, de prendre l'avis des professionnels pour relever les dispositions qui entravent l'exercice de leur activité et les lacunes éventuelles (prélèvements d'organes, diagnostic préimplantatoire).

Il existe d'autre part un point central qui mérite un réexamen approfondi : c'est celui de la recherche sur l'embryon .

Le compromis auquel est parvenu le Parlement au terme de la navette est porteur d'ambiguïté. La distinction entre l'expérimentation prohibée et les études autorisées (mais très strictement encadrées par le décret d'application) est obscure. Ces études ne peuvent porter atteinte à l'intégrité de l'embryon mais la loi permet par ailleurs sa destruction.

Il y a de toute évidence une " malfaçon législative ". La question aujourd'hui posée est de savoir s'il est préférable de se cantonner dans cette situation floue qui a pu présenter, en son temps, des avantages " politiques " ou d'adopter une position claire. Une indication en ce sens a été donnée par le Comité national d'éthique dans son avis de 1997 sur la constitution de cellules souches embryonnaires. C'est là un vrai problème de fond dès lors qu'on est sur la voie, dans les pays où l'expérimentation est autorisée, de découvertes fondamentales touchant la multiplication cellulaire qui trouveront des applications décisives, notamment en cancérologie. L'intérêt thérapeutique de la personne " totale " confronté à la préservation éthique de la personne " potentielle ", tel est le véritable dilemme devant lequel se trouve placé le législateur.

La loi n'a pas voulu régler explicitement le sort des embryons surnuméraires créés après son entrée en vigueur. Mais la logique de destruction à laquelle aboutit inévitablement cette situation n'est-elle pas moins défendable que la fixation de protocoles de recherche très rigoureux sur ces embryons " orphelins ", encadrés par un dispositif de contrôle efficace et assortis de sanctions pénales ? A cet égard, le système actuel, qui ne donne pas à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et de diagnostic prénatal les moyens d'exercer efficacement sa mission, constitue le modèle de ce qu'il ne faut pas faire.

Tout dépend, en définitive, de la réponse que l'on apportera à une interrogation philosophique essentielle : l'embryon est-il, dès l'origine, assimilable à une personne humaine ? MM. STASSE et SALAT-BAROUX se réfèrent, sur ce point, à l'opinion négative du Professeur FRYDMAN (in " Dieu, la médecine et l'embryon ").

M. SALAT-BAROUX estime souhaitable que la réflexion de l'Office porte également sur certains points de la loi 94-653 et, notamment, sur la nouvelle rédaction donnée à l'article 16-11 du Code civil relatif à l'utilisation des empreintes génétiques pour l'établissement d'un lien de filiation. La Cour d'appel de Paris en a fourni une lecture surprenante s'agissant de l'identification d'une personne décédée, en donnant le pas au droit de connaître ses origines sur le principe de consentement. Il y a là une source de tension juridique que la loi devrait s'efforcer de réduire.

Il conviendrait d'autre part de revoir l'article 16-4 du Code civil issu de la même loi qui interdit les transformations des caractères génétiques de la personne humaine sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques. La possibilité de traitement devrait être également admise.

La position des deux intervenants se divise sur la question de l'insémination post mortem. Pour M. STASSE qui fut confronté à ce problème dans ses précédentes fonctions de directeur général de l'Assistance publique avant l'intervention de la loi, il n'appartient pas à la société d'apporter son concours à la naissance d'un enfant sans père qui ne peut résulter que des aléas du destin. M. SALAT-BAROUX estime, en revanche, qu'indépendamment de la réflexion plus générale qui peut se développer sur l'évolution de la notion de famille, il devrait être fait droit à la volonté d'une veuve qui souhaite accueillir un embryon conçu avant le décès de son époux.

5- M. AXEL KAHN, GÉNÉTICIEN, DIRECTEUR DE L'UNITÉ DE RECHERCHE EN PHYSIOLOGIE ET PATHOLOGIE GÉNÉTIQUES ET MOLÉCULAIRES À L'INSTITUT COCHIN DE GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE, MEMBRE DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE

A bien des égards, la loi votée en 1994 constitue un excellent compromis mais elle ne peut rester en l'état pour ce qui concerne la situation de l'embryon.

Le législateur a voulu rendre la recherche possible sans en banaliser l'objet. Ce compromis est générateur de redoutables incertitudes. La pire des situations, pour un biologiste, est que naisse de son action un enfant handicapé. Or la loi actuelle, en interdisant toute recherche sur l'embryon qui nuirait à son développement, conduit précisément à cette situation puisque la seule façon de respecter cette obligation est de laisser le développement se poursuivre quelles que soient les anomalies dont ce projet d'être humain est porteur.

L'embryon est humain mais ce n'est pas une personne et son devenir est grevé d'une grande incertitude. C'est un espoir, un projet de personne. Pour cette raison, et quelles que soient les techniques employées, elles ne doivent viser qu'à la création d'un être humain inscrit dans un projet parental. Cependant, si élevé que soit le niveau de dignité où on le place, il n'y a aucune raison de soustraire totalement l'embryon à la recherche, dès lors que le projet parental est abandonné, que les géniteurs ont donné leur accord et que l'alternative se réduit, soit à la destruction pure et simple de l'embryon, soit à une expérimentation préalable à cette destruction.

Les Britanniques ont " botté en touche " en autorisant l'expérimentation pendant les quatorze premiers jours du développement de l'embryon mais il s'agit là, pour le biologiste, d'une séparation artificielle et M. KAHN préfère qu'on ne recoure pas à cette solution de facilité tout en admettant qu'il y a, au fil de la multiplication cellulaire, une dignité croissante de l'embryon. Il serait néanmoins paradoxal que la période prénatale soit la seule où la recherche serait quasiment impossible.

Les perspectives ouvertes par cette recherche concernent, outre les techniques d'assistance médicale à la procréation proprement dites, l'expérimentation de nouveaux milieux de développement. Par ailleurs, la culture de cellules souches embryonnaires, qui n'a été réalisée jusqu'ici que sur des souris, ouvrirait de larges possibilités thérapeutiques compte tenu du caractère totipotent de ces cellules. M. KAHN est réservé sur la création de ces cellules par clonage mais souligne qu'en tout état de cause, il n'est possible à l'heure actuelle d'en obtenir que dans les pays où la recherche est plus libéralement autorisée.

Selon l'exégèse dominante, l'interdiction du clonage reproductif résulterait de l'article 16-4 du Code civil dans la rédaction que lui a donné la loi n° 94-653. Ce texte ne vise que les pratiques eugénistes mais la notion même de procréation n'est nulle part définie. Il conviendrait donc, pour plus de sécurité, de compléter en ce sens le Code de la santé publique.

En ce qui concerne le développement de la médecine prédictive sur la base des tests génétiques, la loi actuelle ne garantit pas une assurance tous-risques contre d'éventuelles dérives. Il sera de plus en plus facile, pour chaque individu, de connaître sa destinée biologique, sa prédisposition à certaines maladies, ses capacités intellectuelles ou physiques et d'en tirer parti pour assurer sa position sociale, comme l'illustre l'exemple récent des découvertes touchant les performances sportives. " L'idéal sportif est l'idéal du triomphe de l'inégalité biologique. "

Les " kits " individuels, déjà disponibles sur le marché américain, risquent de se répandre en Europe et il sera difficile d'édifier des barrières (Agence nationale ou européenne du médicament) pour limiter leur utilisation inconsidérée. Cependant, il serait intéressant d'analyser les législations des divers états américains qui ont, dans cette matière, un objectif éducatif.

En ce qui concerne l'ICSI dont l'innocuité semble se confirmer, il est frappant de constater qu'elle a été développée, en dépit de ses risques théoriques, sans expérimentation préalable contrairement aux règles fixées dans le code de Nuremberg et la déclaration d'Helsinki.

Auditions du 18 juin 1998

6- MME DOMINIQUE THOUVENIN, PROFESSEUR DE DROIT PRIVÉ À L'UNIVERSITÉ PARIS VII

Si l'étude de l'Office parlementaire doit être essentiellement centrée sur la loi n° 94-654, seule explicitement soumise à révision quinquennale, il faut néanmoins relier les trois textes qui constituent le corpus juridique de la bioéthique et couvrent trois champs très différenciés :

o l'intérêt de la personne (modification du Code civil par la loi n° 94-653),

o les pratiques médicales (modification du Code de la santé publique par la loi n° 94-654),

o la recherche et l'épidémiologie (modification de la loi informatique et libertés par la loi n° 94-548).

Les travaux préparatoires explicitent le principal enjeu : encadrer les nouvelles pratiques médicales consistant à intervenir sur un corps humain en vue d'un objectif thérapeutique qui lui est étranger. L'activité thérapeutique peut être définie comme la prise en charge d'un individu par un médecin : le receveur d'organe entre bien dans ce champ traditionnel mais non le donneur qui est utilisé dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. La même personne, hospitalisée à la suite d'un accident, peut d'ailleurs être placée successivement dans ces deux situations.

La loi a créé implicitement des intérêts contradictoires mais il n'existe dans les hôpitaux aucun système de représentation de ces différents intérêts permettant de distinguer clairement, au moment de l'hospitalisation :

o la finalité thérapeutique pour la personne,

o la finalité thérapeutique pour autrui,

o la finalité scientifique.

L'article 16-3 du Code civil ne fait pas ressortir l'intérêt thérapeutique pour autrui. L'article 672-4 du Code de la santé publique n'est pas plus explicite. Quant à l'article 672-1 relatif aux déchets opératoires, il est totalement incompréhensible. Dans une matière qui a une forte valeur symbolique, on se trouve face à des règles juridiques qui n'organisent pas clairement le régime du consentement. Il en résulte, dans certains hôpitaux, des comportements attentistes qui conduisent à un blocage de l'activité de prélèvement.

Mme THOUVENIN juge inapproprié le recours à la notion de " don " qui, outre la gratuité, impliquerait que le donneur soit connu et exprime son consentement alors que celui-ci peut être présumé en l'état actuel de la loi.

La rédaction du 671-7 qui enjoint au médecin de " s'efforcer " de recueillir le témoignage de la famille n'a pas grande valeur juridique. En tout état de cause, il serait souhaitable que la recherche du consentement associe aux médecins des représentants des associations qui se consacrent à la défense des droits des patients. Il manque, dans le dispositif actuel, un médiateur chargé de représenter l'intérêt des donneurs.

S'agissant de l'élargissement éventuel du cercle des donneurs vivants, Mme THOUVENIN souligne qu'il ne faut pas confondre la parenté biologique et les solidarités fondées sur un lien affectif fort qui permet de garantir le caractère désintéressé du don. L'évolution des pratiques sociales devrait conduire à admettre les concubins au nombre des donneurs potentiels.

En ce qui concerne le statut de l'embryon, la question ne doit pas être posée en terme de personnalité car il n'est pas nécessaire d'être un sujet de droit pour bénéficier d'une protection juridique. Ainsi le Code pénal punit-il les mauvais traitements infligés aux animaux.

7- M. JEAN MICHAUD, VICE-PRÉSIDENT DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE DE MÉDECINE ET DE BIOLOGIE DE LA REPRODUCTION ET DU DIAGNOSTIC PRÉNATAL

Compte tenu de la pénurie d'organes prélevables post mortem, il est souhaitable d'élargir les possibilités de prélèvement sur personnes vivantes à des parents plus éloignés (oncles et tantes, notamment). La condition d'urgence imposée pour les dons entre époux n'a pas lieu d'être s'agissant des greffes rénales qui constituent la très grande majorité des prélèvements pratiqués dans ce cas de figure. Par ailleurs, il n'est pas logique d'exclure les concubins de la liste des donneurs.

S'agissant de l'assistance médicale à la procréation, convient-il de maintenir l'enfant dans l'ignorance du mode de fécondation et de l'identité du géniteur, dans le cas d'une insémination artificielle avec donneur (IAD) ? On a invoqué, à l'appui d'une modification de la loi, la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France, qui confère à celui-ci le droit, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d'être élevé par eux. Mais le trouble que peut créer chez l'enfant la levée de l'anonymat va à l'encontre de la stabilité familiale et sociale. L'exemple suédois démontre en outre que le recrutement des donneurs risque de s'en trouver tari.

La formulation très large de l'article L 152-1 (" Toute technique d'effet équivalent ") a autorisé le recours à l'ICSI qui confère à l'assistance médicale une dimension nouvelle et dont les effets sur l'enfant ainsi conçu n'ont pas encore été évalués avec certitude.

L'interdiction du transfert de l'embryon après le décès du père, édictée par la jurisprudence et confirmée par la loi, s'appuie sur deux arguments : la règle des 300 jours et les difficultés que soulèverait la transposition de cette faculté à l'homme. Un système plus libéral prenant en considération la date à laquelle le décès est intervenu pourrait cependant être envisagé.

Le problème de la conservation des embryons surnuméraires ne se pose pas en Allemagne où une règle, rigoureusement appliquée, limite la production d'embryons au nombre strictement nécessaire à la mise en oeuvre de la procréation et exclut par là même toute possibilité de recherche. Trois solutions sont théoriquement envisageables :

o accueil de l'embryon " orphelin " par un autre couple ; c'est la voie choisie en 1994 mais l'article L 152-5 n'a encore fait l'objet d'aucun décret d'application ;

o recherche suivie de destruction ;

o destruction pure et simple (sur les modalités de laquelle la loi n'a pas tranché).

Est-il inconcevable de procéder à certaines recherches sur un embryon voué à disparaître, soit naturellement, soit par destruction volontaire ? On pourrait considérer ces recherches comme possibles avant la fusion des noyaux. A titre personnel, M. MICHAUD considère que l'embryon n'existe véritablement que lorsqu'il est implanté.

La convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la bioéthique signée à Oviedo en 1996 n'a pu, en l'absence de consensus, que renvoyer aux Etats le soin de réglementer la recherche tout en prohibant la constitution d'embryons à cette fin spécifique. La France a suspendu sa ratification dans l'attente des décisions qui pourraient être prises l'an prochain par le législateur.

La loi a édicté des sanctions pénales très lourdes, trop lourdes pour être vraisemblablement infligées. Alors que certaines équipes poursuivent leurs recherches, aucune poursuite n'a été engagée. M. MICHAUD aurait souhaité qu'en dehors même de toute action répressive, une réflexion concertée s'engage entre les parquets et les DDASS.

Si les nouvelles orientations tracées en cette matière par l'avis n° 53 du Comité national d'éthique trouvent une traduction dans le droit positif, elles conféreront un rôle décisif à la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. M. MICHAUD souligne que la faiblesse des moyens dont dispose actuellement cette instance ne lui permet pas d'assurer correctement sa mission en ce qui concerne la délivrance des agréments et autorisations aux praticiens et établissements pratiquant l'assistance médicale à la procréation.

M. MICHAUD estime qu'une certaine contradiction existe, à l'article L 162-17 relatif au diagnostic préimplantatoire, entre les cas où il peut être pratiqué (maladie reconnue comme incurable) et l'objectif curatif qui lui est assigné.

Il souligne enfin la nécessité de compléter l'article 16-11 du Code civil en ce qui concerne l'expression du consentement pour l'identification génétique d'une personne décédée.

Audition du 2 juillet 1998

8- PROFESSEUR THOMAS TURSZ, DIRECTEUR DE L'INSTITUT GUSTAVE-ROUSSY DE VILLEJUIF

La situation actuelle de la recherche thérapeutique est relativement bonne. Les problèmes qui se posent sont liés à la formation et au financement, plus qu'à la réglementation. La loi, en comblant un vide juridique, a doté la recherche d'un cadre qui en a amélioré la qualité. Cet encadrement n'a pas eu la rigidité redoutée et les progrès de la recherche clinique doivent beaucoup, depuis dix ans, à cette réforme.

Sur le plan financier, en revanche, la situation est moins bonne : les laboratoires pharmaceutiques accentuent leur mainmise sur la recherche thérapeutique, faute pour les hôpitaux et établissements de pouvoir développer leurs études sans l'aide d'un partenaire industriel.

Se pose le problème de la recherche d'une bonne pratique médicamenteuse, les essais conduits par les laboratoires poussant à la consommation de médicaments. Les chercheurs ont du mal à se situer dans cette stratégie industrielle.

On assiste d'autre part à un reflux de la thérapie génique, promue par les industriels, en raison des difficultés procédurières : trop d'avis redondants sont demandés à des commissions qui se réunissent très épisodiquement, ce qui conduit à la prise de décisions obsolètes. De surcroît, les dispositions de la loi du 28 mai 1996 relatives aux thérapies géniques et cellulaires n'ont pu, faute de décret, entrer en application. Le professeur TURSZ indique qu'il a déposé, en 1993, le premier dossier mondial relatif à l'utilisation d'adénovirus en cancérologie dont une étude a démontré la faisabilité.

Il manque, dans le dispositif légal, une agence publique de la recherche thérapeutique et clinique qui ferait contrepoids au secteur privé et coordonnerait les études. Encore faudrait-il qu'elle ne soit pas perçue comme un guichet supplémentaire.

Dans le domaine des thérapies cellulaires, les budgets hospitaliers ne permettent pas toujours le financement des recherches, ce qui oblige ici encore à lier des partenariats industriels. Par ailleurs, l'édiction de règles de bonnes pratiques est assurément nécessaire mais risque, si elle impose un niveau élevé de technicité, de limiter le nombre des établissements capables de les mettre en oeuvre.

Auditions du 16 septembre 1998

9- MM. DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR DE L'ETABLISSEMENT FRANÇAIS DES GREFFES (EFG), ET DOMINIQUE DURAND, PRÉSIDENT DU CONSEIL MÉDICAL ET SCIENTIFIQUE DE L'EFG

Appréciation générale

La loi du 29 juillet 1994 est intervenue dans une période de crise après l'affaire d'Amiens (1991), le problème posé dans certains centres par les patients non résidents et l'affaire du sang contaminé. Dans ce climat général, l'activité de prélèvement avait fortement diminué : - 30 % pour les cornées, - 20 % pour les organes de 1991 à 1994.

La loi a, sans aucun doute, contribué à rétablir la confiance du public et à lui donner une perception positive du don et de la greffe d'organes. Les personnels, sensibles dans un premier temps à la rigidité de l'encadrement de leurs activités, commencent maintenant à en ressentir les bénéfices. Les règles sanitaires édictées sont les plus élevées au monde. Peut-être faudra-t-il ultérieurement les assouplir légèrement pour trouver un juste équilibre et laisser toute sa place à la décision médicale.

Depuis 1994, on note, pour les cornées, une remontée des prélèvements au niveau antérieur à la crise, l'objectif étant de n'avoir plus aucun patient en attente plus de quelques semaines d'ici l'an 2000. Pour les organes, la chute a été stabilisée en 1995-1996. L'information faite auprès du public et la mise en place d'une organisation du prélèvement y ont été pour beaucoup. L'objectif est de passer de 15 à 20 prélèvements par million d'habitants en l'an 2000.

Parmi les textes d'application non encore parus, figure le décret relatif à la vigilance qui doit tenir compte des dispositions figurant dans la récente loi sur la sécurité sanitaire. Il faut souligner que, hormis les xénogreffes, les greffes n'exposent pas aux risques collectifs que l'on rencontre dans d'autres activités. Le problème est de définir le champ de la vigilance. Si la greffe augmente les risques de cancer ou les risques infectieux, ne s'agit-il pas du simple suivi de complications attendues ?

Il serait souhaitable de donner une base législative à la balance bénéfice-risque déjà prise en compte dans le décret du 9 octobre 1997 relatif à la sécurité sanitaire, qui permet de déroger aux règles qu'il fixe, en cas d'urgence vitale. Il s'agit de permettre au médecin d'exercer pleinement sa responsabilité et non de s'en exonérer.

Les grands principes posés (consentement, gratuité, anonymat) ne doivent pas être remis en question.

Manifestation du consentement

La mise en place récente du registre des refus a conduit à l'inscription, en un mois et demi, de 15 000 personnes qui s'opposent à toutes les finalités (don, recherche scientifique, autopsie clinique). Il convient d'homogénéiser le système du consentement sans faire un sort à part au prélèvement à des fins scientifiques. L'article L 671-9 devrait être modifié en ce sens.

Le registre ne doit pas être le moyen exclusif de manifestation de l'opposition. Le témoignage des familles devra continuer à être recherché, même s'il leur confère parfois un pouvoir que la loi ne leur avait pas explicitement attribué.

Les résidus opératoires doivent être soumis au même régime de consentement que les organes et tissus. C'est souvent déjà le cas en pratique.

Donneurs vivants

La loi a imposé un encadrement très strict qui doit être assez largement maintenu pour ne pas prêter le flanc aux soupçons de pratiques lucratives. Cela étant, la pratique est très en dessous du niveau d'encadrement (4 % seulement des greffes de reins). Dans la mesure où les greffes entre non-apparentés donnent de bons résultats, il convient de les permettre sur un mode très dérogatoire sans que cet assouplissement puisse avoir pour objectif de pallier les insuffisances de prélèvements post mortem. Cet élargissement ne doit être qu'une réponse à des demandes individuelles dont aucune raison éthique ne justifie le rejet. Il faut abandonner le recours à la notion d'urgence, actuellement imposée aux conjoints, et instituer un encadrement strict contrôlé par une commission d'experts sur le modèle anglo-saxon. Oncles, tantes, cousins et grands-parents pourraient ainsi être admis dans le cadre des donneurs.

S'agissant des cellules hématopoïétiques, il faut instaurer un régime unique quelle que soit leur origine (moelle, sang périphérique, placenta), ce régime pouvant être celui des organes, préférablement, ou celui des cellules.

Questions diverses

Xénogreffes : les dispositions inscrites dans la loi sur la sécurité sanitaire sont satisfaisantes.

Suivi de l'AMP : l'EFG pourrait se voir confier une compétence d'évaluation et d'information.

Consécration du don : cette qualification doit être assortie d'une reconnaissance qui peut prendre deux formes : suivi de proximité de la famille du donneur et manifestations symboliques.

10- PROFESSEUR JEAN-PIERRE JOUET, RESPONSABLE DE L'UNITÉ MOELLE ET CELLULES DE L'EFG

La loi de 1994, dans sa partie relative aux greffes de moelle, est appliquée sans aucun détournement. On relève cependant des difficultés liées à la pratique et à l'évolution scientifique.

Si la majorité des greffes de cellules souches hématopoïétiques continue à se faire à partir de prélèvements de moelle osseuse, on assiste à un développement des greffes à partir de sang périphérique et de sang placentaire. Ce dernier présente l'avantage de créer moins de réactions immunitaires et l'inconvénient de fournir un faible nombre de cellules ; il n'est donc utilisable que pour de très jeunes receveurs.

La loi n'avait pas pris en considération ces nouveaux types de prélèvements qui peuvent donc être mis actuellement en oeuvre sans aucun consentement. Il serait souhaitable d'unifier le régime des cellules souches en les soumettant soit au régime des organes (avec certaines adaptations) soit à celui des cellules.

S'agissant du prélèvement sur mineur, il n'est actuellement possible que sur un frère ou une soeur du receveur. Cette disposition est trop restrictive, sachant qu'un cousin germain peut parfois être le seul donneur HLA identique pour un patient donné.

S'agissant du recueil du consentement, il faut maintenir la compétence du président du Tribunal de grande instance mais il est préférable que le mineur ne soit mis en relation qu'avec le membre du comité d'experts désigné en raison de sa compétence dans le domaine de la psychologie. Il conviendrait par ailleurs, afin d'éviter des déplacements pénibles, que le TGI et le comité d'experts territorialement compétents puissent être, au choix, ceux du lieu de prélèvement ou du lieu de résidence du donneur.

Le sang placentaire doit, préalablement à son utilisation, faire l'objet d'une conservation. Des banques sont en voie de constitution sous la double responsabilité de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes.

11- AUDITIONS ORGANISÉES À LA MATERNITÉ RÉGIONALE DE NANCY, LE 17 SEPTEMBRE 1998

1. Dons d'organes, tissus et cellules

- Le docteur Francine JACOB souligne les effets très positifs que la loi a produits sur le public en renforçant l'encadrement et la sécurité des prélèvements. Les contraintes supplémentaires qui en résultent étaient sans doute nécessaires. Elles ont été parfois accentuées par les décrets d'application : ainsi, la signature concomitante du procès-verbal du constat de la mort et du certificat de décès ne permet plus au corps d'être transporté.

La prise en charge du retour du corps après transfert et décès sur le lieu de transplantation devrait être rendue obligatoire, même si elle est toujours effective en pratique.

La prise en compte de la balance bénéfice-risque pose des problèmes d'application, certains médecins n'acceptant pas d'accorder le prélèvement s'ils n'ont pas de certitude.

Lorsqu'à la suite d'un accident, les parents sont décédés en même temps que l'enfant, le prélèvement d'organes sur ce dernier ne peut être autorisé, par délégation, que par le juge de tutelle qui hésite à prendre cette responsabilité et intervient trop tard.

Le texte d'application relatif à la conservation des tissus n'est pas encore paru. Le CHU de Nancy finance une banque pour la conservation des os, des cornées et prochainement des vaisseaux.

La catégorie des donneurs vivants pourrait être élargie aux concubins et un suivi des donneurs devrait être organisé.

- Le professeur Danièle SOMMELET évoque le cas d'un mineur dont le cousin était HLA identique. Le prélèvement de moelle a dû être effectué en Suisse compte tenu des dispositions restrictives de la loi française. Ce type de situation se présente fréquemment dans les familles à forte consanguinité.

Il serait souhaitable que le pédiatre siégeant au comité d'experts soit spécialisé dans le domaine des greffes.

- Le professeur Jean-Pierre VILLEMOT critique les dispositions de l'article L 671-9 sur le consentement applicable aux autopsies. Le régime de ces prélèvements devrait être distinct de celui des organes destinés à une greffe.

Il serait utile d'instaurer pour les cornées, comme pour les autres types de tissus, des listes d'attente afin d'éviter que les établissements à but lucratif ne soient traités prioritairement. Dans ces mêmes établissements, l'utilisation publicitaire des résultats ne conduit-elle pas à sélectionner les receveurs en fonction des chances de succès plus qu'en considération des exigences thérapeutiques ?

- Le professeur Jacques HUBERT estime nécessaire un suivi des donneurs selon un protocole semblable à celui qui s'applique aux néphrectomisés " classiques ".

2. Assistance médicale à la procréation

- Le docteur Frédérique GUILLET-MAY considère que la recherche sur l'embryon est indispensable pour limiter les grossesses multiples et les réductions embryonnaires. Les modifications apportées à la loi doivent prendre en compte la souffrance des couples en attente d'enfant.

- Le docteur Frédérique BARBARINO formule plusieurs observations :

o Sur l'article L 152-2 : la notion de couple en âge de procréer permet les grossesses tardives avec don d'ovocyte ; le délai de deux ans est trop long pour la femme âgée et dont la stérilité est définitivement établie ; la preuve du statut marital contraint le praticien à sortir de son rôle purement médical.

o Sur l'article L 152-4 : en cas de décès d'un membre du couple, à quel moment doit intervenir la consultation du conjoint survivant sur l'accueil de l'embryon par un autre couple ?

o Sur l'article L 152-6 : la notion d'ultime indication impose le recours systématique à toutes les techniques de procréation assistée.

o Le don d'ovocytes est très fortement entravé par l'exigence de l'anonymat.

- Le professeur Hubert GERARD s'interroge sur les conditions dans lesquelles peut être pratiquée une autopsie des embryons qui ont arrêté leur développement ou qui, à l'évidence, ne le poursuivront pas. Il souligne le caractère scientifiquement flou de la distinction entre " bons " et " mauvais " embryons. Certains de ceux qui sont qualifiés de " mauvais " seraient susceptibles d'un développement alors que les " bons " embryons qui ont de meilleures chances d'implantation peuvent être porteurs d'anomalies non détectées. Les médecins se substituent, pour la fécondation et l'implantation, au processus naturel mais le laissent ensuite se dérouler sans s'être prémunis contre les risques d'anomalies. Ce n'est pas un comportement très responsable.

L'étude de l'embryon par autopsie devrait pouvoir être menée sur les embryons dont le développement a été arrêté, soit spontanément, soit par intervention médicale.

La loi ne donne pas de solutions :

o pour les études sur les gamètes,

o pour la destruction des embryons surnuméraires.

- Le docteur Alain MITON pose le problème du statut du foetus et déplore les retards qui affectent l'agrément des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal.

Auditions du 23 septembre 1998

12- PROFESSEUR BERNARD CHARPENTIER, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE TRANSPLANTATION, DOYEN DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE PARIS-SUD

Une journée de réflexion organisée par la Société française de transplantation et sept autres sociétés savantes s'est tenue la semaine dernière pour étudier les trois thèmes suivants :

o le prélèvement sur donneur vivant ;

o l'extension du prélèvement au donneur à coeur arrêté ;

o transplantation et aléa thérapeutique.

La synthèse de cette journée sera communiquée aux rapporteurs.

Praticien de la greffe rénale depuis 25 ans, le professeur Charpentier a pu mesurer les effets des législations successives sur la pratique médicale. Le cadre juridique posé par la loi de 1994 -et notamment la création de l'EFG- a été bien accepté par la profession. On peut simplement regretter les conditions un peu précipitées dans lesquelles ont été recueillis ses avis et la réunion dans un même débat de questions qui auraient gagné à être examinées séparément.

Dans la pratique, même si la loi ne trace une nette frontière qu'entre le constat de la mort d'une part, le prélèvement et la transplantation d'autre part, une séparation trop nette s'est instaurée entre les équipes chargées de ces deux dernières activités. La circulation de l'information transitant par l'EFG ne facilite pas l'établissement de la traçabilité. Ce cloisonnement est en partie pallié par l'existence des infirmières coordinatrices qui assurent l'accueil et l'information des familles.

L'opposition fréquente des familles a conduit à une diminution des prélèvements cadavériques et les greffons provenant de sujets trop âgés affectent les chances de succès durable des transplantations.

Quant aux transplants xénogéniques, y compris ceux provenant d'animaux transgéniques, ils n'ont pour l'instant qu'un avenir incertain.

Deux autres ressources sont exploitables :

o le prélèvement sur donneur vivant dont le régime pourrait faire l'objet de certains aménagements ;

o l'embryogenèse dont les perspectives sont très prometteuses ; déjà utilisée pour les greffes de peau, elle pourrait permettre dans un proche avenir la production, à partir de cellules souches, d'organes développés dans des animaux-relais. Il s'agirait alors d'un combiné " allo-xéno " n'exposant pas aux mêmes risques que les xénogreffes proprement dites (cas des cellules souches bronchiques fournissant des poumons provisoirement implantés dans des porcs).

Conditions de prélèvement sur donneur vivant

Les professionnels sont unanimement opposés à l'instauration du " reward and gift " (don contre récompense) usité aux Etats-Unis.

S'agissant de l'élargissement de la parenté, il convient d'avancer avec prudence. Certes, le critère de l'histocompatibilité n'a pas la valeur médicale qu'on a voulu lui conférer mais son objectivité en rend l'application incontestable. Assouplir les conditions du don expose à des pressions familiales qui conduiront à préférer le cousin moins histocompatible mais célibataire au frère chargé de famille.

S'agissant des époux, la condition d'urgence actuellement imposée est inapplicable pour les greffes de rein. Faut-il la faire disparaître sachant par ailleurs que, dans 70 % des cas, le don se fait de la femme vers l'homme ? On pourrait envisager des dérogations exceptionnelles après une procédure contradictoire où des médecins représentant le donneur entendraient l'équipe médicale de transplantation, la famille et le couple.

Quant aux donneurs n'entrant dans aucune de ces catégories mais " émotionnellement relatés " (couples homosexuels, amis très proches), il s'agit de situations peu fréquentes dont l'appréciation pourrait être laissée à l'EFG.

En tout état de cause, la prise en considération de ces cas très particuliers ne doit pas aboutir à une remise en cause des règles générales posées en 1994. Le passage devant le président du Tribunal de grande instance, par la dimension symbolique qu'il confère au don, est également une des dispositions très positives de la loi.

Prélèvement sur donneur à coeur arrêté

Ce prélèvement est techniquement possible pour le rein qui peut supporter un certain degré d'ischémie et permettrait une augmentation sensible des transplantations rénales. Mais les conditions actuelles de recueil du consentement imposent des délais qui rendent cette opération impraticable.

Aléa thérapeutique

A la différence d'un médicament, la qualité de l'organe obtenu par prélèvement cadavérique ne peut être rigoureusement contrôlée et garantie. Elle est fonction de l'âge et de l'état général du donneur qui peut être porteur -le cas s'est présenté- d'une affection virale indétectable dans les conditions de rapidité où s'effectue la transplantation. Celle-ci expose par ailleurs le receveur à des risques infectieux et cancéreux. L'ensemble de ces aléas devrait faire l'objet d'une information plus systématique avant l'intervention. On ne peut exclure, même si le cas ne s'est pas encore présenté, que la responsabilité des praticiens soit mise en cause par les familles devant le juge.

13- PROFESSEUR FRANÇOIS LEMAIRE, CHEF DU SERVICE DE RÉANIMATION MÉDICALE À L'HÔPITAL HENRI-MONDOR

Le professeur Lemaire souligne en préambule que son approche du problème de l'autopsie ne peut être totalement identique à celle des anatomopathologistes qui ne sont pas en contact direct avec les familles des défunts alors que cette confrontation est le lot permanent d'un service de réanimation.

La chute des autopsies est un phénomène incontestable (de 15 % à 5 % des décès de 1993 à 1997 dans les hôpitaux de l'AP-HP) mais c'est un phénomène mondial : les Etats-Unis, pris communément comme une référence, ont vu ce même pourcentage passer en 50 ans de 50 à 12 %. On ne peut donc en imputer en France la responsabilité exclusive à la législation de 1994.

Cette décroissance est liée au développement considérable des biopsies et des techniques d'imagerie (scanner, IRM, ...) qui permettent aujourd'hui, dans la très grande majorité des cas, de connaître avec précision la pathologie qui est cause du décès. Cette discipline, loin de se marginaliser (le service d'anatomopathologie d'Henri-Mondor regroupe le nombre le plus élevé de praticiens à temps plein), a multiplié des modes d'investigation qui sont utilisés du vivant des patients et concourent à l'établissement du diagnostic. Très sollicités, ces spécialistes, pour beaucoup d'entre eux, ont peu de goût pour l'autopsie compte tenu, notamment, des risques de contamination VIH auxquels elle expose. L'autopsie n'est plus, depuis 1970, un critère de qualité aux Etats-Unis pour les établissements de soins.

La loi de 1994 s'est inspirée de la nécessité de créer un climat de confiance fondé sur la transparence et la recherche du consentement. Il est inconcevable de revenir à la législation antérieure qui ne permettait pas une information satisfaisante des familles.

La loi a incontestablement changé les données de l'autopsie en imposant cette information. Elle n'a pas été immédiatement appliquée dans bon nombre d'hôpitaux où le chiffre des autopsies s'est maintenu pendant les trois premières années. La mise en place de formulaires types permettant de vérifier le respect des dispositions légales dans un certain nombre d'établissements de l'AP-HP a conduit à une réduction du nombre des autopsies (5 % en 1997).

L'autopsie conserve une réelle utilité, notamment en neurochirurgie (pour la détection de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, en particulier). Le pourcentage actuellement constaté correspond probablement à cette finalité. Sur 165 décès annuels à Henri-Mondor, 11 autopsies ont été demandées et 9 acceptées.

Les principes posés par la loi ne doivent donc pas être remis en cause, sauf à simplifier les différents régimes de consentement et à imposer plus explicitement l'information de la famille avant l'autopsie.

Auditions du 30 septembre 1998

14. PROFESSEUR CLAUDE GOT

La rédaction très imparfaite, voire contradictoire, des articles L 671-7 et L 671-9 provient de la longueur des débats et des compromis qu'il a fallu trouver in extremis en commission mixte paritaire pour lever les blocages qui s'étaient manifestés au cours de la navette entre les deux assemblées.

Mise à part l'affaire d'Amiens, la loi CAILLAVET n'avait créé dans le domaine des autopsies que des problèmes mineurs mais elle était entachée d'une certaine hypocrisie dans la mesure où elle n'organisait pas la manifestation du refus (lacune partiellement comblée au niveau des textes et circulaires d'application).

Le projet initial restait très proche de la loi CAILLAVET et ne présentait donc pas de difficultés particulières. Au fil des débats, s'y sont ajoutées :

o la consultation de la famille ;

o la distinction très contestable (et inopérante en pratique) entre autopsie clinique et autopsie scientifique ;

o l'information de la famille en cas d'autopsie clinique, sans que la loi précise à quel moment doit se faire cette information (les praticiens ont fait une interprétation correcte de cette disposition en assurant une information préalablement à l'autopsie).

Ce dispositif législatif n'a aucun équivalent dans d'autres pays développés. Il est vrai que les Etats-Unis imposent un accord explicite mais cette règle s'applique dans un contexte juridico-médical radicalement différent : l'autopsie est automatiquement pratiquée si le décès se produit 24 heures après l'admission dans un établissement hospitalier. D'autre part, les familles réclament une autopsie chaque fois -le phénomène est de plus en plus fréquent- qu'elles engagent une action en responsabilité devant les tribunaux.

La famille ne devrait fournir qu'un témoignage sur la volonté présumée du défunt. Mais les travaux préparatoires du Sénat lui confèrent un véritable pouvoir de décision appuyé sur la conviction qu'elle ne souhaitera pas s'opposer aux prélèvements dans l'immense majorité des cas. Or, tous les sondages menés dans les différents pays européens démentent ce pronostic, sauf en néonatalogie où le désir des parents de connaître le causes du décès reste prédominant. C'est d'ailleurs le seul domaine dans lequel le nombre des autopsies n'a pas diminué.

Dans les autres secteurs, en revanche, les chiffres ont chuté avec la mise en place d'un formulaire permettant d'appliquer strictement la loi. M. GOT indique que l'élaboration de ce formulaire s'est faite à l'initiative des hôpitaux de l'AP sans instruction précise du ministère de la Santé. On a assisté alors à la manifestation d'un phénomène d'autocensure, les médecins ne voulant pas que les familles puissent avoir connaissance d'un doute sur les causes exactes du décès.

A Ambroise-Paré où le nombre d'autopsies oscillait entre 80 et 100 par an, situation d'équilibre que l'on pouvait retrouver dans les autres hôpitaux universitaires, on est tombé à 3 autopsies pour la première année d'application effective de la loi.

Le développement des nouvelles techniques d'investigation (imagerie, biopsies) frapperait-il l'autopsie " classique " d'obsolescence ? Le professeur GOT ne le pense pas mais voit plutôt une des causes du déclin de cette pratique dans l'augmentation des problèmes médico-légaux, elle-même liée au champ croissant de l'intervention médicale. Les médecins appréhendent une mise en cause de leur responsabilité.

D'autre part, les anatomopathologistes préfèrent l'immunologie à cette activité qu'ils jugent datée, ingrate et peu rentable en termes de mesure de leur volume d'activité compte tenu de son caractère très chronophage.

Néanmoins, elle conserve un caractère irremplaçable pour assurer l'information des médecins sur des accidents inexpliqués et doit continuer à faire partie du contrôle de qualité.

Dans les faits, les hôpitaux dans lesquels elle continue à être pratiquée à un rythme soutenu sont ceux qui s'en tiennent à la loi CAILLAVET et n'appliquent pas les dispositions nouvelles. A droit inchangé, cette situation a peu de chances d'évoluer, les anatomopathologistes étant de moins en moins demandeurs d'autopsies pour les raisons indiquées précédemment.

Pour parer à cette situation, il faut que le fichier national puisse permettre à tout individu majeur d'exprimer sa volonté, d'une part, pour des prélèvements à des fins thérapeutiques, d'autre part, pour des prélèvements à des fins médico-scientifiques, dans des conditions assurant la stricte confidentialité de l'information. Les ressources de l'informatique permettent la mise en place et la gestion d'un tel fichier.

Il serait d'autre part souhaitable, pour une exacte application de la loi, qu'y figure la notion d'autopsie qui ne se confond pas avec celle de prélèvement, seule utilisée à l'heure actuelle.

15- M. CHRISTIAN LEFORT, PRÉSIDENT DE FRANCE-ADOT

La mise en place du registre national des refus (RNR) constitue une gabegie qu'on aurait pu éviter. L'étude de faisabilité réclamée par France-Adot depuis 1983 n'a pas été réalisée. On aurait cependant pu tirer la leçon de l'expérience belge, le fichier mis en place il y a dix ans ne recensant aujourd'hui que 1,7 % de la population (contre 2,3 à l'origine) qui s'est exprimé à 98 % de façon négative.

L'EFG, qui a succédé à France Transplant, se présente trop nettement comme le représentant de la haute administration. Il a voulu organiser la campagne d'information en trois étapes : secteur hospitalier (1996), professions médicales et paramédicales (1997) et grand public. Cette dernière étape n'aura lieu qu'en 1999, après le lancement du RNR. Mais l'EFG n'a pas de réseaux et refuse pourtant de s'appuyer sur le mouvement associatif auquel il n'apporte plus qu'un soutien financier très limité.

France-Adot, qui a vu ses ressources diminuer, souhaiterait obtenir le financement d'un organisme indépendant afin de ne pas dépendre de l'administration.

S'agissant de la loi de 1994, dont la révision périodique devrait être maintenue au-delà de 1999, il est anormal que le mineur ne puisse exprimer son accord à un prélèvement avant 18 ans alors qu'il peut s'inscrire dès 13 ans sur le registre des refus. D'autre part, le consentement d'un seul titulaire de l'autorité parentale serait suffisant.

M. LEFORT s'interroge enfin sur le régime juridique applicable aux étrangers résidant en France.

16- M. GÉRARD TORPIER, PRÉSIDENT DE TRANSHÉPATE

La loi est bien faite pour l'ensemble de ses dispositions relatives aux dons et greffes. Certaines observations peuvent néanmoins être faites sur son interprétation et ses applications.

L'article L 665-14 n'autorise la levée de l'anonymat du lien entre donneur et receveur que pour des raisons thérapeutiques. Ce principe ne doit pas empêcher la mise en oeuvre d'une certaine transparence entre les équipes de prélèvement et de greffe. D'autre part, les infirmières coordinatrices chargées d'assurer le lien avec la famille sont trop peu nombreuses et insuffisamment formées à cette fonction difficile.

Pour le prélèvement sur donneur décédé, il faut maintenir le principe du consentement présumé associé au registre des refus et maintenir la famille dans un rôle de témoignage. Le ministère de l'Education nationale devrait être associé aux campagnes d'information en faveur du don.

En ce qui concerne les prélèvements sur personne vivante, la notion d'urgence imposée au don entre époux n'a pas lieu d'être en matière de transplantation rénale. Quant au foie, il ne semble pas opportun d'élargir la pratique actuelle.

La pénurie actuelle de greffons conduit à des prélèvements d'organes ne présentant pas toutes les garanties sur le plan fonctionnel et sanitaire. L'information du receveur sur les risques doit donc être renforcée et les responsabilités des choix médicaux clairement définies.

Enfin, les réseaux de soins assurant le suivi des transplantés doivent faire l'objet d'une attention particulière.

Audition du 8 octobre 1998

17- PROFESSEUR MARIE-LOUISE BRIARD, ANCIEN DIRECTEUR DE RECHERCHE À L'INSERM, UNITÉ 393 HANDICAPS GÉNÉTIQUES DE L'ENFANT, HÔPITAL NECKER-ENFANTS MALADES

Madame BRIARD rappelle qu'elle a participé, dans les années 80, au sein de l'Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l'enfant, à l'organisation du diagnostic prénatal et à la détermination des tests biologiques susceptibles d'être pris en charge par les assurances sociales. Les dispositions législatives et réglementaires édictées depuis 1994 se sont inspirées très directement des principes qui avaient été précédemment mis en oeuvre.

Elle souligne la nécessité primordiale d'une information de la femme enceinte sur les risques inhérents aux prélèvements, afin qu'elle puisse donner un consentement éclairé. La loi étant muette sur ce point, cette lacune a été comblée par voie réglementaire.

Deux situations doivent être distinguées :

o celle des couples porteurs d'un risque génétique et pour lesquels des examens biologiques doivent être envisagés d'emblée pour détecter " une affection d'une particulière gravité " selon les termes de l'article L 162-16 ;

o celle où l'échographie conduit à suspecter une anomalie chez une femme ne présentant pas d'antécédents à risque.

L'échographie peut être aujourd'hui pratiquée de façon très précoce ; par la mesure de l'épaisseur du cou, elle peut annoncer une trisomie 21 dont la confirmation sera recherchée par l'établissement d'un caryotype. 7 à 8 % d'anomalies chromosomiques sont diagnostiquées chez les sujets présentant une malformation à l'échographie.

L'amniocentèse à des fins de caryotype est une méthode invasive qui ne peut donc être pratiquée systématiquement. Cependant, sa prescription pose un problème médico-légal, l'abstention du médecin pouvant être constitutive d'une faute.

Le risque de trisomie 21, qui est à 1,5 % entre 38 et 40 ans, s'approche de 3 % pour les femmes de 43 ans. 40 000 grossesses sont soumises annuellement à caryotype et permettent de déceler 900 trisomies qui conduisent à une interruption thérapeutique de grossesse dans la quasi-totalité des cas.

Les centres de diagnostic prénatal pluridisciplinaires sont appelés à jouer un rôle déterminant pour la fiabilité du diagnostic prénatal. Compte tenu de la parution tardive du décret d'application, l'examen des dossiers d'agrément par la CNMBRDP ne sera achevé qu'à la fin de l'année. Mme BRIARD souhaite que de tels centres puissent être créés dans des établissements privés offrant toutes garanties de compétence à condition d'y prévoir la gratuité de l'expertise.

Il conviendrait par ailleurs :

o de séparer nettement le diagnostic prénatal de l'AMP en créant dans le code de la santé publique un chapitre spécifique introduisant la notion de médecine foetale ;

o de ne pas restreindre au conseil génétique la consultation médicale préalable aux prélèvements qui doit être adaptée à la pathologie concernée.

S'agissant du diagnostic préimplantatoire, Mme BRIARD y voit un DPN ultra précoce. Deux types de situations peuvent être distingués :

o un couple stérile, contraint de faire appel à l'AMP, est par ailleurs exposé à avoir un enfant atteint d'une maladie génétique. Les grossesses multiples, fréquentes en cas d'AMP, accroissent les risques d'avoir un enfant atteint. L'intérêt du DPI est de permettre le dépistage précoce de l'anomalie et d'éviter une interruption de grossesse ;

o un couple fécond ne voulant pas renouveler un DPN et une interruption de grossesse souhaite recourir au DPI et doit se soumettre à une FIV avec un taux de succès limité.

Le DPI ne peut, en l'état actuel des textes, être utilisé pour détecter une anomalie génétique en cas de grossesse tardive.

Aucun laboratoire de DPI n'a encore été autorisé compte tenu de la publication très récente du texte réglementaire.

Auditions du 15 octobre 1998

1. Professeur René FRYDMAN, chef du service de gynécologie obstétrique à l'Hôpital Antoine-Béclère de Clamart

La loi de 1994, en ordonnant et en clarifiant les pratiques de procréation assistée, a fait disparaître les angoisses et les fantasmes que nourrissait l'opinion publique sur ce sujet. Il reste cependant une confusion entretenue par le recours à la dénomination unique d'embryon pour désigner deux réalités distinctes :

o celle de l'embryon préimplantatoire qui peut être cultivé in vitro jusqu'au 7ème jour, période au cours de laquelle les cellules conservent un caractère totipotent et où diverses évolutions, allant de la division gémellaire à l'apparition d'une tumeur trophoblastique, peuvent se manifester ;

o celle de l'embryon proprement dit qui correspond à l'établissement d'un lien avec la mère par l'implantation dans l'utérus.

A tout le moins, il conviendrait de préciser que l'interdiction de la recherche s'applique à l'embryon in vitro, ce qui ne lèvera pas la contradiction consistant à protéger cet embryon au nom du principe de la dignité humaine tout en autorisant, par ailleurs, sa destruction.

Sur les exigences imposées aux couples par l'article L 152-2 du Code de la Santé publique, deux observations peuvent être faites :

o la condition de deux ans de vie commune ne semble pas justifiée sur le plan moral et est inadaptée, en pratique, au cas de plus en plus fréquent des candidates à la procréation assistée âgées de 38 ans et plus ;

o en cas de décès du mari, on pourrait envisager, après un délai de six mois permettant le travail de deuil, de confier à une commission le soin de statuer cas par cas sur l'opportunité d'un transfert d'embryon.

Le don d'embryon à un autre couple peut être, aux termes de l'article L 152-5, organisé dans tous les centres de PMA détenant un stock d'embryons congelés alors que le don de gamètes ne peut être le fait que d'organismes et établissements soumis à des conditions d'autorisation très strictes fixées par l'article L 673-5. Il y a là une discordance qui nécessiterait une harmonisation de ces deux régimes et qui explique que le décret d'application relatif au don d'embryon n'ait pas été publié.

S'agissant des études sur l'embryon visées à l'article L 152-8, trois situations doivent être distinguées :

1. Celle où l'embryon, porteur d'une anomalie, est voué à la destruction ; l'étude, s'apparentant ici à une autopsie à fins scientifiques, doit pouvoir être pratiquée sans restrictions.

2. Celle où l'embryon, " normal " mais devenu surnuméraire par abandon du projet parental et absence d'un couple d'accueil, n'a d'autre alternative que la destruction pure et simple ou la destruction après étude. Celle-ci devrait pouvoir être autorisée, sous réserve que la loi précise que les études à caractère invasif ne peuvent s'appliquer qu'à des embryons non transférés. Des couples consultés en 1986 sur le sort à donner à leur embryon abandonné se partageaient en proportions égales entre trois solutions : don à un autre couple, destruction, recherche et destruction.

3. Celle où des études à visée cognitive, actuellement interdites, devraient pouvoir être menées sur l'embryon. La question se pose aujourd'hui pour la fécondation d'ovocytes qui ont été soumis à congélation, pratique déjà couronnée de succès en Pologne, Australie et Corée du Nord. Pour progresser dans cette voie, il faut, dans certaines situations, pouvoir mener des études invasives avant le transfert éventuel. De telles études seraient au préalable subordonnées :

o à une évaluation scientifique, qui pourrait être confiée à l'INSERM, afin de vérifier la nécessité de l'étude ;

o à une évaluation éthique du CCNE garantissant la régularité de sa mise en oeuvre (recueil du consentement, etc.)

Cette double évaluation aurait dû, déjà, être appliquée à l'ICSI.

La pratique de la stimulation ovarienne , actuellement développée en dehors de l'AMP, devrait être plus strictement contrôlée.

Le délai de cinq ans imposé à la conservation des embryons existants à la date de promulgation de la loi pourrait être assorti d'un sursis.

L' anonymat du don de gamètes doit être préservé. Toutefois, pour la minorité de couples (15 % environ) qui n'y sont pas favorables, on pourrait envisager, dans un ou deux centres, une pratique dérogeant à ce principe dans le cadre d'un protocole de recherche et d'évaluation.

L'article L 673-2 impose au donneur de faire partie d'un couple ayant procréé. Cette double exigence est tout à fait justifiée mais il ne paraît pas indispensable que la première soit encore satisfaite au moment où s'effectue le don.

En application du décret du 12 novembre 1996 qui fixe les règles de sécurité sanitaire applicables au don de gamètes, les embryons conçus avec les ovocytes soumis à ce contrôle doivent être congelés jusqu'à l'expiration du délai de six mois qui sépare les deux séries d'examens. Cette congélation réduit les chances de grossesse sans apporter une amélioration significative de la sécurité sanitaire. Il faudrait donc en informer le couple et lui laisser le choix entre cette méthode et un simple contrôle sur les ovocytes au moment de la fécondation.

Le diagnostic préimplantatoire , qui n'est pas encore entré en application, ne pourra être pratiqué que s'il existe chez l'un des parents une anomalie exposant l'enfant à un risque élevé de maladie génétique. Ne pourrait-on élargir l'indication à un risque éventuel, comme celui de la trisomie 21, auquel se trouve exposée la femme de 38 ans ? Le diagnostic préconceptionnel pratiqué sur le globule polaire permet de contourner les limites imposées au DPI. Il devrait, en tout état de cause, être reconnu et encadré par la loi. Pour éviter toute dérive eugénique, l'indication du DPI doit rester limitée à la prévention de maladies particulièrement graves, sans que celles-ci fassent pour autant l'objet d'une énumération limitative.

M. FRYDMAN est favorable à une proscription plus explicite du clonage , dont il rappelle qu'il aboutit à la création d'un être doté d'un seul patrimoine génétique. La récente expérience américaine consistant à transférer le noyau d'un ovocyte d'une femme stérile dans celui d'une donneuse fertile ne constitue nullement une étape nouvelle dans cette voie.

18- DOCTEUR BERNARD JEGOU, DIRECTEUR DU GROUPE D'ÉTUDE DE LA REPRODUCTION CHEZ LE MÂLE À L'INSERM

En sa qualité de chercheur, M. JEGOU se situe à l'interface entre activité clinique, recherche et industrie pharmaceutique. Compte tenu de sa spécialité, il a porté une attention particulière à l'AMP lorsqu'ont été tentées des expériences de fécondation par injection de spermatides. Il a découvert un monde fier, à juste titre, de sa pratique, sensible à la détresse des patients et, pour des raisons " culturelles " (formation, histoire de l'AMP...), souvent fermé sur lui-même et déconnecté de la recherche biologique et génétique la plus avancée dans le domaine de la reproduction et du développement. Il existe donc un décalage sensible entre le développement de la recherche et celui des techniques de l'AMP qui se ramènent à des gestes, certes spectaculaires, mais assez simples.

L'ICSI a constitué un " coup d'état biologique " qui s'inscrit dans un contexte de banalisation incessante du risque, au regard de laquelle le travail du biologiste fondamental s'apparente à un combat d'arrière-garde face à des digues déjà rompues.

Plusieurs lacunes doivent être soulignées à propos de la pratique de l'AMP :

o l'absence de publications véritablement scientifiques, dont les annonces faites dans les revues destinées au grand public ou les congrès ne peuvent tenir lieu ;

o l'absence d'avis préalable à l'expérimentation ;

o la quasi-absence, voire l'absence, d'expérimentation animale ;

o l'absence de délai entre l'annonce d'une percée dans l'expérimentation animale et sa transposition chez l'homme, qui se fait donc sans validation des résultats ;

o l'absence de " bonnes pratiques de laboratoire ".

Les praticiens de l'AMP invoquent pour leur défense la durée limitée de la fertilité féminine, la marge d'incertitude et le coût de l'expérimentation animale, les réussites antérieures et la charge de la preuve incombant aux scientifiques en ce qui concerne le danger éventuel de leurs pratiques. C'est oublier que la technique doit être au service de la science, que dans le domaine du médicament ce sont des tragédies comme celle de la thalidomide qui ont imposé les modèles animaux, et que l'industrie de la procréation assistée (cliniques, fabricants d'hormones...), à la différence de l'industrie pharmaceutique, ne réinvestit aucun profit dans la recherche.

Il faut également mettre en évidence :

o la mondialisation de l'AMP, qui génère un " tourisme " procréatif contournant les contraintes légales ;

o la subjectivité du suivi des enfants ainsi conçus, puisque le monde de l'AMP est juge et partie et opère sur le mode déclaratoire sans l'intervention de techniciens/inspecteurs spécialisés dans les essais cliniques. Même si elles doivent beaucoup à la conscience des praticiens de l'AMP, les évaluations actuelles sur les résultats de l'ICSI souffrent de diverses limites dont un taux de perdus de vue important.

M. JEGOU formule plusieurs propositions :

o rompre le caractère trop autogéré de l'AMP (illustré notamment par la composition de la CNMBRDP). Pourquoi ne pas créer dans ce domaine une instance type " Agence du médicament " ?

o développer la formation à la recherche, animale et humaine, des praticiens de l'AMP et pratiquer une politique volontariste d'appel d'offres en faveur de la recherche biologique fondamentale et appliquée en reproduction. Il convient de noter à ce propos les contraintes actuelles limitant gravement les possibilités de recherche sur les cellules testiculaires humaines (conséquence des règles de consentement relatives au prélèvement de tissus à des fins scientifiques) qui, paradoxalement, favorisent l'expérimentation humaine au détriment de la recherche cognitive et " en tube à essai ". Un exemple de cette situation est que les spermatides peuvent être injectées dans l'ovocyte humain alors qu'elles ne sont pas accessibles pour être étudiées isolées ;

o mettre en place un suivi des enfants offrant toutes les garanties méthodologiques.

19- DOCTEUR JACQUES DE MOUZON, INSERM U292, HÔPITAL DE BICÊTRE

S'agissant de l' organisation des activités d'AMP , la pluridisciplinarité est contrariée par la séparation des activités cliniques et biologiques. Cet inconvénient est particulièrement sensible pour l'insémination intraconjugale et contribue à accroître le taux d'échec.

La séparation des activités cliniques et biologiques ne répond pas aux exigences de l'AMP, qui impliquent une association étroite et permanente de ces deux activités et devraient conduire à la création de centres pluridisciplinaires.

Se pose par ailleurs le problème de la responsabilité ; chaque praticien assurant les actes d'AMP souhaite obtenir l'agrément prévu à l'article L 152-9. Plus les praticiens agréés sont nombreux et moins la notion de responsabilité a un sens.

Les moyens dont dispose la CNMBRDP pour assurer la surveillance des centres sont insuffisants face au développement des nouvelles techniques (l'ICSI qui représente désormais 40 % de l'activité des centres, la coculture sur tissus d'origine humaine ou animale, l'éclosion assistée). Ils ne permettent pas non plus d'assurer un suivi satisfaisant des enfants conçus par FIV et, plus particulièrement, des fécondations obtenues par ICSI.

Les premières évaluations font apparaître une légère augmentation des malformations, notamment cardiaques, et de certaines anomalies chromosomiques mais elles sont sujettes à caution compte tenu, dans le premier cas, du nombre trop limité de naissances sur lesquelles elles portent, dans le second, du biais introduit par une pratique du DPN plus systématique que dans les grossesses classiques.

La CNMBDRP ne peut assurer un contrôle sur place des déclarations faites par les centres. Les DDASS et les DRASS ne disposent pas de la compétence requise. Il serait intéressant de s'inspirer de l'exemple britannique, où une commission indépendante est dotée de véritables pouvoirs et d'un corps d'inspection spécialisée.

Faut-il, sur le modèle britannique et allemand, limiter dans la loi le nombre d'embryons transférés ? La question appelle une réponse nuancée car le risque de grossesses multiples est moins élevé chez la femme de plus de quarante ans alors que l'implantation de trois ou quatre embryons accroît dans ce cas les chances de succès.

La progression des stimulations ovariennes commence à poser un problème de santé publique. Bien que l'on ne dispose pas de données précises, on peut, par déduction du nombre d'inducteurs vendus, évaluer à 200 000 le nombre de cycles stimulés en France hors FIV, ce qui correspond à environ 50 000 patientes. Ce chiffre doit être doublé si l'on prend en compte les prescriptions de citrate de clomiphène (dont 30 000 sont le fait de généralistes). Parallèlement, l'augmentation des grossesses triples a été de 400 % dans les vingt dernières années.

Même si la prescription de ces inducteurs va devenir un acte réservé, la mise en oeuvre d'un contrôle s'avère difficile compte tenu du nombre de praticiens impliqués (8 000 gynécologues en France).

M. de MOUZON formule en conclusion trois observations :

o le don d'embryon devrait être encouragé ;

o le DPI doit être encadré mais demeure préférable en tout état de cause au DPN ou à l'interruption médicale de grossesse ;

o la sacralisation de l'embryon bloque actuellement toute possibilité de recherche.

Auditions du 22 octobre 1998

20. PROFESSEUR PIERRE JOUANNET, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES CECOS, DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE BIOLOGIE DE LA REPRODUCTION, HÔPITAL COCHIN

M. JOUANNET indique préalablement qu'il s'exprime au double titre de responsable d'un service d'AMP, concerné par toutes les dispositions de la loi se rapportant à cette activité, et de président de la Fédération des CECOS, auxquels s'appliquent spécifiquement les règles touchant la procréation par don et l'autoconservation des gamètes.

La mise en oeuvre d'une évaluation constitue l'un des nombreux aspects positifs d'une loi sur laquelle la profession manifeste des sentiments partagés.

Un certain nombre de points ne soulèvent aucune contestation :

o les grands principes visant à la protection de la personne et du corps humain. On pourrait souhaiter cependant une meilleure insertion de l'AMP dans l'organisation générale des soins utilisant des cellules d'origine humaine, qu'elles soient données ou non, et de la sécurité sanitaire ;

o l'encadrement juridique des pratiques ;

o l'identification et l'affirmation claires des responsabilités professionnelles.

M. JOUANNET estime que l'article L 152-2 du CSP qui réserve l'AMP à des indications médicales doit être maintenu pour le moment, même si cette exigence conduit au développement d'un " tourisme procréatif " pour des motifs de convenance, dont les conséquences ne pourront être ignorées longtemps.

Il existe, en revanche, des dispositions floues ou ambiguës :

o L'article L 152-6, qui fait de la procréation avec donneur une " ultime indication ", traduit sans doute une réticence du législateur à l'égard de cette solution. Le praticien peut se trouver ainsi incité à l'acharnement thérapeutique et à l'utilisation de techniques dont l'innocuité n'est pas démontrée. A l'extrême, le recours au clonage pourrait trouver là une justification. De la même façon, dans le cas d'un couple séro-différent, on pourrait être amené à privilégier le traitement du sperme de l'homme séropositif (y compris sans pouvoir garantir une diminution du risque de transmission virale) plutôt que de recourir à l'IAD qui peut être choisie par certains couples.

o L'autoconservation des gamètes n'a pas été traitée par la loi. Techniquement maîtrisée pour le sperme depuis les années 50 et utilisée par les CECOS depuis 1973, elle le sera très prochainement pour les ovules. Elle peut être employée dans deux situations :

o pour une utilisation à court terme dans le cadre d'une AMP ;

o pour parer à la survenance prévisible d'une stérilité (consécutive, par exemple, à une chimiothérapie). Dans ce cas, le sujet concerné peut être un célibataire, même mineur.

Les fragments ovariens pourraient, dans les prochaines années, offrir à cet égard de nouvelles perspectives lorsque se confirmera leur utilisation, déjà réussie chez l'animal, soit pour une FIV après maturation de l'ovocyte in vitro, soit pour une autogreffe permettant la reprise de la procréation in vivo. La congélation de ces fragments chez un sujet aujourd'hui très jeune lui permettrait de bénéficier ultérieurement de cette technique lorsqu'elle sera transposable à l'être humain.

La conservation de ces gamètes à long terme suscite des questions spécifiques. Cette activité devrait être identifiée dans la loi. Elle devrait être assurée selon une réglementation et avec un encadrement qui doivent être précisés.

o Enfin, certaines dispositions ne sont pas entrées en vigueur soit parce qu'elles étaient inapplicables, soit parce qu'une volonté de blocage liée à des pesanteurs administratives y a fait obstacle. Ainsi, un projet d'étude sur l'embryon financé par la Délégation à la recherche clinique de l'AP-HP en 1996 a dû attendre, pour être soumis à l'agrément de la CNMBRDP, la parution, en mai 1997, d'un décret d'application puis celle, en avril 1998, d'un formulaire réglementaire sans qu'une décision ait pu être prise à ce jour.

Plusieurs souhaits sont par ailleurs exprimés par les CECOS :

o L'article L 665-12 qui distingue la publicité, interdite, et l'information, autorisée, est d'une interprétation malaisée. Le ministère de la Santé, chargé de cette information, a tardé à la mettre en oeuvre puisque la première campagne ne s'ouvre que dans les prochains jours. Une délégation de ces actions à d'autres organismes serait sans doute souhaitable.

o Le régime de conservation des gamètes devrait distinguer l'utilisation immédiate et la conservation à long terme qui intéresse également les embryons en prenant en considération les données sanitaires, éthiques et relationnelles qui justifient un agrément spécifique.

o L'exigence pour le donneur de faire partie d'un couple ayant procréé posée par l'article L 673-2 devrait être remplacée par celle de la parentalité, plus large et plus adaptée à l'esprit de la loi (et, de fait, pratiquée par les CECOS).

o La limitation du nombre de naissances à l'origine desquelles peut se trouver un même donneur, fixée à cinq par l'article L 673-4, vise à réduire les risques de consanguinité. Ce risque n'existant pas à l'intérieur d'une même famille, il serait plus opérant d'énoncer cette limitation en termes de familles ou de fratries.

o La notion de centre pluridisciplinaire doit être conservée sans qu'elle conduise à une dilution des responsabilités dans un milieu où sont associés biologistes, médecins, généticiens, psychologues et personnels paramédicaux. Le rôle déterminant que joue ici la biologie -interventionnelle et thérapeutique- est très différent de sa fonction habituelle d'analyse. Elle nécessite une formation adaptée qui vient d'être mise en place avec la création, l'année dernière, d'un DESS de biologie de la reproduction.

o Le développement des pratiques d'AMP, sans que les recherches préalables aient été réalisées, semble encouragé par la loi dans son état actuel. Cette recherche devrait être replacée dans le droit commun avec quelques adaptations tenant compte de sa spécificité. Elle devrait, en tout état de cause, pouvoir être menée sans restriction sur les embryons qui sont jugés intransférables en raison des anomalies manifestes dont ils sont affectés (20 % des embryons conçus in vitro) et qui sont immédiatement détruits.

L'AMP devrait être dotée d'un organisme gestionnaire comparable à la HFEA britannique. Conçue comme un office spécifique ou un sous-ensemble de l'EFG, cette structure devrait disposer de l'autonomie et des moyens qui font défaut à la CNMBRDP :

o elle exercerait les missions actuellement dévolues à cette dernière pour l'agrément des établissements et des praticiens avec des moyens renforcés d'inspection et d'expertise ;

o elle évaluerait l'activité d'AMP, non pas seulement d'un point de vue quantitatif, mais sous l'angle des conséquences des actes accomplis, de la qualité des pratiques et de leurs répercussions sociales ;

o elle favoriserait et démocratiserait la réflexion dans le domaine de l'AMP, prenant modèle ici encore sur les consultations nationales organisées en Grande-Bretagne par la HFEA ;

o elle mènerait, en direction des personnes touchées par le problème de la stérilité mais aussi du grand public, des actions d'information sur l'évolution des connaissances et des pratiques, les causes et les effets de la stérilité, les conséquences des traitements ;

o elle élaborerait les règles de bonne pratique, développerait l'assurance qualité et organiserait la formation des praticiens.

Interface entre les pouvoirs publics, les professionnels, les usagers et la société tout entière, elle exercerait une fonction régulatrice dans le cadre des principes généraux fixés par le législateur.

21. DOCTEUR FRANÇOISE SHENFIELD, OBSTÉTRICIENNE À LA LONDON WOMEN'S CLINIC, MEMBRE DU CORPS DE CONTRÔLE DE LA HFEA (AUTORITÉ DE LA FÉCONDATION ET DE L'EMBRYOLOGIE HUMAINE)

Mme SHENFIELD souligne que l'édiction de textes législatifs très détaillés dans le domaine des dons d'organes et de la procréation médicalement assistée constitue un fait assez remarquable dans un pays où prévaut la " common law ".

L'encadrement juridique de la PMA résulte de la loi sur la fécondation et l'embryologie humaine de 1990 qui a créé un organisme public autonome : l'Autorité de la fécondation et de l'embryologie humaine (HFEA).

Composé de 21 membres dont la moitié seulement sont des médecins et des biologistes, cet organisme a compétence pour :

o agréer les activités de traitement, de stockage et de recherche ;

o assurer un suivi des établissements pratiquant ces activités ;

o exercer une fonction de conseil aux établissements, aux patients et aux donneurs ;

o faire connaître au public les services assurés en vertu d'un agrément ;

o organiser des consultations des citoyens sur l'évolution des pratiques de PMA et les règles qui les régissent (cryoconservation des embryons, prélèvement d'ovocytes sur foetus, rétribution des donneurs...).

La recherche sur l'embryon est admise jusqu'à l'apparition de la gouttière primitive, soit quatorze jours après la fécondation. Elle doit être limitée à des fins thérapeutiques ou diagnostiques (traitement de la stérilité, diagnostic, recherche sur fausses couches, contraception, méthode de détection d'anomalies génétiques). L'embryon ayant fait l'objet de manipulations pour la recherche ne peut être implanté ultérieurement. Chaque projet de recherche est agréé pour une durée de trois ans par la HFEA qui en assure le suivi.

Malgré l'existence d'un registre donnant la possibilité à un enfant majeur d'obtenir certaines informations, l'anonymat du don de gamètes reste le principe. Ce registre permet au requérant, sans connaître l'identité du donneur, d'être éclairé sur sa conception et de savoir s'il est issu ou non d'une PMA, notamment afin d'éviter certains risques de consanguinité en cas de mariage.

Le nombre d'embryons transférables est limité à trois et cette disposition est très strictement contrôlée.

Auditions du 29 octobre 1998

22. MME CHANTAL RAMOGIDA, DIRECTRICE EXÉCUTIVE DE L'ASSOCIATION " PAULINE ET ADRIEN "

o Exigence de deux ans de vie commune pour bénéficier de l'AMP (art. L. 152-2)

Ce délai de deux ans n'est pas adapté à l'évolution sociale qui conduit les femmes à envisager la procréation à un âge plus avancé qu'autrefois. Il serait donc souhaitable de le supprimer ou, au moins, de le réduire à un an.

o Congélation des embryons

Sur le modèle australien, il conviendrait d'instaurer un protocole permettant au couple de prendre clairement ses responsabilités en ce qui concerne le devenir de l'embryon à l'issue du délai de conservation prévu par la loi.

o Information des couples

Les statistiques de FIVNAT sur les taux de réussite de l'AMP ne font pas l'objet d'une diffusion publique et les couples en sont réduits à des informations présentées dans la presse sous une forme qui peut les induire en erreur sur les " performances " des centres d'AMP et les chances réelles de succès d'une FIVETE.

o Pratique du don d'ovocytes

- La loi ne favorise pas l'information permettant de développer ce type de don.

- Contrairement aux dispositions de l'article L. 673-7, les couples candidats sont incités à présenter une donneuse à défaut de laquelle le délai d'attente est beaucoup plus long.

- L'établissement de l'acte de consentement devant un juge compromet l'anonymat de la démarche et ne s'impose pas pour un don d'ovocytes puisque toute femme qui accouche est mère de fait.

- Les délais très longs imposés par la pénurie de donneuses (18 mois en moyenne) sont encore aggravés par les exigences de sécurité sanitaire qui imposent la congélation de l'embryon pendant six mois et réduisent les chances de succès de l'opération.

- Le don d'ovocytes n'est pas reconnu par la Sécurité sociale et le décret fixant les modalités de remboursement des frais n'a pas été publié. D'une façon générale, rien n'est fait pour valoriser les donneurs.

De ce fait, la loi encourage implicitement le tourisme procréatif et amène l'instauration d'une médecine de riches et d'une médecine de pauvres.

o Réimplantation post mortem

69 % des couples consultés par la Revue du Praticien se sont déclarés favorables à l'implantation de l'embryon après le décès du mari alors que le corps médical reste très réservé à cet égard. L'association partage l'avis du Comité national d'éthique tendant à autoriser, dans cette hypothèse, le transfert d'embryon après un certain délai permettant le travail de deuil.

o Don d'embryon

Il existe actuellement 10 000 embryons orphelins alors que le décret précisant les conditions du don n'a pas été publié. Conformément au souhait des couples, il serait souhaitable d'alléger la procédure en instituant un protocole type qui garantirait, sauf difficulté particulière, le contrôle judiciaire du consentement éclairé.

o Recherche sur l'embryon

Le principe d'une recherche sur l'embryon est très majoritairement admis par les couples qui sont conscients de son utilité pour l'amélioration des techniques d'AMP. Cette recherche doit être strictement encadrée, contrôlée et évaluée.

L'association préconise l'institution d'un carnet de traitement de l'infertilité mettant à la disposition du corps médical toutes les informations concernant les traitements antérieurs et permettant de connaître, sans création d'un fichier national, le nombre des embryons congelés. D'autre part, tous les gynécologues devraient transmettre au ministère de la Santé, comme les équipes d'AMP, un rapport d'activité afin que soient mieux contrôlées les inductions d'ovulation responsables d'un taux élevé de grossesses multiples.

23. PROFESSEUR JACQUES TESTART, DIRECTEUR DE L'UNITÉ U355 (MATURATION GAMÉTIQUE ET FÉCONDATION) DE L'INSERM

M. TESTART souligne, en préambule, la nécessaire clarification des compétences respectives du CCNE, de la CNMBRDP et des CCPPRB . Ainsi le CCNE, qui devrait être chargé des problèmes généraux touchant la bioéthique, a-t-il renvoyé à la CNMBRDP l'appréciation sur la pratique de l'ICSI. Plus discutable encore est la compétence exclusive de cette dernière sur la mise en oeuvre du diagnostic préimplantatoire qui a des implications dans le devenir même de l'humanité. Confier à une commission technique un pouvoir général d'appréciation sur un des domaines les plus sensibles de la recherche bioéthique ne constitue pas une solution souhaitable. Il est également fâcheux que renaissent ici et là des comités locaux d'éthique qui, parfois, sur la base de relations personnelles, se substituent sans aucun fondement légal au comité national.

S'agissant de la situation de l'embryon au regard de la recherche , question à laquelle la loi n'est pas parvenue à fournir une réponse précise, une première clarification pourrait être apportée par la détermination de ce qui n'est pas encore un embryon et entre donc sans restriction dans le champ de la recherche, à savoir les gamètes et le zygote, stade d'interaction gamétique précédant la fusion des noyaux.

Le zygote ne doit pas être confondu avec le " préembryon " sur lequel les Anglo-Saxons admettent l'expérimentation jusqu'à l'apparition, au quatorzième jour, de la ligne primitive, ébauche du système nerveux. M. TESTART note à ce propos qu'en renvoyant aux législations nationales la fixation des règles en matière de recherche, la Convention européenne de bioéthique laisse ainsi ouverte, en Grande-Bretagne, la possibilité du clonage.

S'agissant de l'embryon proprement dit, qui existe à partir de la fusion des noyaux, deux hypothèses peuvent être distinguées :

o les embryons grossièrement anormaux (triploïdes, par exemple) peuvent constituer des objets de recherche sans restriction particulière. Quatre demandes d'études de ce type ont obtenu l'accord de la CNMBRDP ;

o les embryons surnuméraires doivent également pouvoir entrer dans le champ de la recherche à condition qu'elle soit codifiée. Quant aux conséquences pour l'humanité, elles doivent être appréciées par le CCNE.

En réalité, le problème essentiel ne porte pas sur la définition du matériel biologique mais sur les finalités mêmes de la recherche, qui doivent être soumises à une expertise éthique systématique.

Quant au DPI , sa mise en oeuvre expose à un risque d'eugénisme difficilement évitable. Employé dans un premier temps pour prévenir la transmission d'une anomalie génétique ou chromosomique, il pourra être ultérieurement utilisé afin de détecter chez l'embryon, aussi précisément que chez l'adulte, les prédispositions à la survenance d'une maladie ou au développement d'une infirmité. Dans cette perspective, il sera tentant de créer, pour un couple donné, un nombre élevé d'embryons permettant de pratiquer la sélection aboutissant au " meilleur " embryon. Celui-ci pourra alors être cloné en plusieurs exemplaires pour parer aux risques de transplantation infructueuse.

Le législateur français arrive probablement trop tard pour enrayer une évolution qui bouleverse la notion même d'humanité et se trouve à un stade déjà plus avancé dans d'autres pays (Grande-Bretagne, Espagne). Des barrières peuvent néanmoins être posées en n'autorisant le diagnostic que sur une seule mutation génétique et sur les anomalies chromosomiques ayant de très graves conséquences. La recherche du sexe devrait être proscrite en tout état de cause.

A l'heure actuelle, les chercheurs français poursuivent leur activité en collaborant avec des laboratoires dans des régions du monde où la législation est moins contraignante (Italie, Espagne, Singapour, Egypte, Arabie saoudite).

M. TESTART évoque, pour conclure, un certain nombre de points particuliers :

o l'insuffisance des moyens de la CNMBRDP, qui ne peut exercer un véritable contrôle sur les centres agréés ni vérifier l'exactitude des résultats affichés alors que le public ne dispose en ce domaine d'aucune information sérieuse ;

o la conservation des embryons dont la destruction n'est pas autorisée et qui pose de sérieux problèmes aux centres d'AMP ;

o les excès de la stimulation ovarienne qui devrait faire l'objet, par les gynécologues, de comptes rendus d'activité ;

o les médiocres résultats des CECOS en matière d'insémination artificielle et les difficultés qu'entraîne l'anonymat pour le don d'ovocytes (M. TESTART étant plutôt partisan du don de gamètes personnalisé) ;

o l'insuffisante mise en oeuvre de la pluridisciplinarité dans l'organisation de l'AMP.

Auditions du 5 novembre 1998

24. PROFESSEUR MICHEL GOOSSENS, DIRECTEUR DE L'UNITÉ U 468 " GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE ET PHYSIOPATHOLOGIE " À L'HÔPITAL HENRI-MONDOR DE CRÉTEIL

Le professeur GOOSSENS précise qu'il est professeur de génétique, spécialiste du diagnostic moléculaire des maladies héréditaires, ancien membre de la CNMBRDP, et qu'il participe, au plan européen, à la mise en place de guides de bonnes pratiques en matière génétique.

Les dispositions de la loi relatives au diagnostic prénatal sont encore marquées par une vision historique de la génétique, très liée à la pédiatrie, qui ne prend pas suffisamment en compte les bouleversements apportés par la génétique moléculaire et les techniques modernes d'investigation foetale (notamment d'imagerie) depuis le début des années 80. Même si un consensus se crée progressivement, des divergences d'écoles sur la façon de concevoir cette discipline restent sensibles entre les tenants d'une génétique pédiatrique et ceux qui souhaitent développer une vision plus large, prenant en compte l'expertise des différentes spécialités.

Le débat s'est retrouvé au stade de l'élaboration des décrets d'application, les obstétriciens et les échographistes insistant, face aux généticiens pédiatriques, sur la nécessité -qui n'a pas été admise- de resituer le DPN dans le contexte de la médecine foetale et de prendre en considération son caractère pluridisciplinaire. Si la consultation préalable de conseil génétique est assurément utile, elle devrait être associée à celle du spécialiste de la pathologie en cause. De plus en plus de maladies ont une origine génétique. Il faut donc que généticiens et spécialistes travaillent ensemble dans des consultations jointes.

S'agissant des centres de DPN pluridisciplinaires, le professeur GOOSSENS s'interroge sur la portée du terme " établissements ". Pourra-t-il s'agir à Paris de l'AP-HP, d'un CHU ou d'un simple hôpital ? En tout état de cause, le travail en réseaux transhospitaliers doit s'imposer en Ile-de-France.

Se pose en outre le problème de la composition et des moyens de la CNMBRDP, sachant que ses avis feront autorité auprès du ministère de la Santé : l'évaluation des établissements candidats à l'agrément impose une visite des sites et une expertise menée par des spécialistes, toutes choses qui sont impossibles actuellement. De même, pour ce qui concerne le DPI, le praticien responsable doit justifier d'une expérience particulière dans le prélèvement embryonnaire appréciée par la CNMBRDP. Encore faudrait-il que cette appréciation soit faite par des experts ayant eux-mêmes l'expérience d'une pratique dans ce domaine, or ils sont très peu nombreux aujourd'hui car cette expérience (recherche à des fins médicales sur l'embryon humain) ne peut, pour respecter la loi, être obtenue qu'à l'étranger. Enfin, il convient de veiller à organiser les délibérations de la commission de sorte que ses membres n'apparaissent pas comme juges et parties.

L'organisation du DPN reste marquée par les orientations données à l'origine par l'Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l'enfant (AFDPHE). Il est anormal que des actions de santé publique aient pu être, et soient encore en partie (pour certains dépistages), conduites par une association privée.

Le troisième alinéa de l'article L. 162-17 relatif aux conditions auxquelles est subordonnée la mise en oeuvre du DPI (identification préalable et précise, chez l'un des parents, des anomalies susceptibles de provoquer chez l'enfant une grave maladie génétique) ne semble pas laisser ouvert, comme cela serait souhaitable, le choix entre le diagnostic direct (cas où l'on analyse précisément l'anomalie génotypique) et le diagnostic indirect à l'aide de marqueurs génétiques du gène anormal (cas où l'on ne peut analyser l'anomalie génotypique d'une affection héréditaire identifiée).

En ce qui concerne enfin la terminologie employée en matière de médecine prédictive, il serait préférable de réserver les vocables " identification " et " empreintes " au domaine judiciaire et de n'utiliser, en matière médicale, que celui de " caractéristiques génétiques ".

Le professeur GOOSSENS insiste, pour conclure, sur l'importance du contrôle de qualité qui doit être exercé sur les actes techniques de laboratoire ou d'imagerie grâce, notamment, à la tenue de registres de conservation des données. En cours d'évaluation au plan européen, l'assurance qualité en génétique moléculaire et chromosomique (qui nécessite quelques moyens financiers) n'est pas véritablement mise en oeuvre en France. Ce problème renvoie à celui, déjà évoqué, des moyens et de l'expertise de la CNMBRDP.

25. PROFESSEUR JEAN-CLAUDE CZYBA, CHEF DU SERVICE DE LA BIOLOGIE DE LA REPRODUCTION À L'HÔPITAL EDOUARD-HERRIOT DE LYON, MEMBRE DE LA CNMBRDP

Il est actuellement difficile d'apprécier la nature et la qualité de la formation des praticiens que la CNMBRDP doit agréer au titre de l'AMP puisqu'aucun diplôme spécifique n'existait jusqu'à une date récente. Cette lacune est en voie d'être comblée mais la commission devrait compter parmi ses membres un représentant de l'Université pour évaluer ces formations.

La protection qui entoure l'embryon paralyse toute étude, même sous forme d'autopsie. Par ailleurs, le problème de la durée de conservation des embryons reste en suspens. (Il existait, fin 1996, dans la région PACA, 4 à 5 000 embryons destinés à un projet parental ou abandonnés).

La procédure préalable à la mise en oeuvre de l'AMP est peu respectée par les médecins, soit parce qu'ils la jugent trop lourde et hors de leur compétence (vérification d'identité), soit parce qu'ils ne la connaissent pas, cette ignorance étant également manifeste dans certaines DDASS. Dans ces dernières, les médecins, accaparés par une multitude de tâches techniques, n'ont pas de formation en médecine de la reproduction, celle-ci se résumant pour beaucoup de couples à la pratique de la FIV.

Il est regrettable que l'insémination avec conjoint ne soit soumise à agrément que pour la partie biologique. De même, la stimulation ovarienne en dehors de l'AMP, qui est d'un coût très élevé et provoque un nombre croissant de grossesses gémellaires, ne fait l'objet d'aucun encadrement.

L'encadrement trop strict de la recherche conduit à des pratiques sauvages : ainsi en va-t-il pour les milieux de fécondation et de culture que les laboratoires font tester par des biologistes contre rémunération.

Les prescriptions de la loi touchant la gratuité et l'anonymat du don d'ovocytes sont fréquemment violées mais ne font l'objet d'aucune poursuite faute de plaintes émanant des particuliers ou des DDASS.

Bien que l'ICSI ait réduit de 30 % la demande d'insémination avec donneur, la chute des dons crée, dans ce domaine, une situation de pénurie qui devrait conduire à élever le plafond instauré par l'article L. 673-4 tout en substituant la notion de fratrie à celle d'enfant.

Une femme soumise à un traitement stérilisant n'a, en l'état actuel de la technique qui ne permet pas de congeler les ovocytes, d'autre solution que de recourir à la FIV. La loi ne l'y autorise pas dans cette hypothèse. Le ferait-elle qu'il conviendrait en outre de régler le sort de l'embryon conservé dans le cas où le risque de stérilité ne se réalise pas.

La loi ne permet pas à un chirurgien procédant à une investigation pour déceler une cause d'infertilité masculine de procéder à cette occasion à un prélèvement de spermatozoïdes en vue d'une fécondation in vitro.

Le professeur CZYBA souligne en conclusion qu'en dépit de ces diverses imperfections, la loi de 1994 a constitué un grand progrès dans un domaine où, jusqu'à sa mise en vigueur, n'importe qui faisait n'importe quoi.

Auditions du 19 novembre 1998

26. PROFESSEUR BERNARD SELE, CHEF DU SERVICE DE GÉNÉTIQUE AU CHU DE GRENOBLE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES BLEFCO (BIOLOGISTES DES LABORATOIRES D'ÉTUDE DE LA FÉCONDATION ET DE LA CONSERVATION DE L'oeUF)

M. SELE précise qu'il présentera, au nom des BLEFCO, les observations qui font l'objet d'un consensus parmi les adhérents à cette Fédération.

- Modalités d'exercice de la biologie de la reproduction

L'exercice de cette biologie très particulière en raison de son caractère interventionnel a été régulé par la loi qui reconnaît le partage de responsabilités entre cliniciens et biologistes. Ces derniers jugent ces dispositions très satisfaisantes. Elles constituent d'ailleurs une spécificité française : dans les pays anglo-saxons, la procréation assistée est entièrement placée entre les mains des cliniciens.

Se pose cependant un problème de cohérence entre la loi de 1994 et celle du 11 juillet 1975 qui n'envisage l'activité des biologistes que sous son aspect diagnostique. En cas de contrariété de point de vue entre le clinicien et le biologiste, il n'y a pas actuellement d'arbitrage possible, le biologiste, considéré comme un exécutant, ne pouvant que s'incliner devant la position du clinicien qui est, légalement, le seul prescripteur. Cette subordination est plus sensible dans le secteur libéral que dans le secteur public où biologistes et cliniciens sont rattachés à des services distincts et autonomes et où les antagonismes sont, de ce fait, plus marqués.

La coresponsabilité devrait entraîner la codécision et, par conséquent, l'attribution aux uns et aux autres d'un pouvoir propre de prescription permettant au biologiste d'intervenir sur le choix de la technique de fécondation. Le problème se posera d'ailleurs dans les mêmes termes en matière de thérapie génique et cellulaire. Il pourrait être résolu en s'inspirant des mesures édictées dans le domaine de la transfusion sanguine.

- Devenir de l'embryon

Le 30 juillet 1999 expirera le délai de conservation des embryons conçus après la promulgation de la loi. Ce problème des embryons surnuméraires continuera à se poser quels que soient les progrès des techniques. En effet, 50 % seulement des oeufs fécondés sont viables, qu'il s'agisse de procréation naturelle ou artificielle et cette donnée inéluctable imposera toujours la création d'un nombre d'embryons supérieur à ceux qui seront effectivement transférés pour faire face aux risques d'échec. Cette situation ne pourra être que partiellement corrigée par l'éventuelle congélation des ovocytes et par les cultures multiséquentielles jusqu'au stade de blastocyste qui améliorent les chances d'implantation. M. SELE note à ce propos que la réglementation allemande, qui limite à deux le nombre d'embryons transférables, n'élimine pas le problème des embryons surnuméraires, ceux-ci étant immédiatement détruits au lieu d'être conservés.

La réponse ne peut venir du don d'embryons qui ne correspond qu'à des situations rarissimes de double stérilité. Si aucune mesure n'est prise pour faciliter le don d'ovocytes -quasi inexistant à l'heure actuelle-, la solution pourrait être de le transformer en don d'embryon, sous réserve d'un assouplissement des justifications médicales imposées dans cette hypothèse.

- Don d'ovocytes

La loi a confondu sperme et ovocytes dans le don de gamètes alors qu'il s'agit de démarches soumises à des contraintes très différentes : le recueil de sperme est un acte indolore tandis que le don d'ovocyte nécessite une intervention chirurgicale, donc une motivation particulière dont la manifestation est entravée par la règle de l'anonymat. Les raisons qui ont conduit à imposer une telle obligation pour ce type de don devraient être réexaminées, faute de quoi la loi risque de ne jamais trouver sur ce point une réelle application.

- Recherches sur l'embryon

L'article L 152-8 utilise divers termes : études, recherche, expérimentation, et n'autorise que les études ayant une finalité médicale et ne portant pas atteinte à l'embryon. Dans le décret d'application du 27 mai 1997 apparaît, pour la première fois, l'interdiction de modifier le patrimoine génétique de l'embryon.

L'encadrement de la recherche pourrait s'organiser à partir de cette prohibition qui autoriserait, de façon tacite, les " mises au point techniques " permettant aux pratiques d'AMP de progresser, notamment dans le domaine du diagnostic préimplantatoire. Une distinction pourrait être opérée entre la recherche sur l'embryon viable qui concernerait son environnement (la mise au point des milieux de culture), et l'autopsie de l'embryon ayant arrêté son développement qui permettrait de perfectionner la technique du DPI.

27. MADAME HÉLÈNE KHODOSS, SOUS-DIRECTEUR DU SYSTÈME DE SANTÉ ET DE LA QUALITÉ DES SOINS À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA SANTÉ (ACCOMPAGNÉE DE PLUSIEURS COLLABORATRICES)

- Observations générales

Les retards qui ont affecté la publication d'un certain nombre de textes réglementaires ne tiennent pas à des problèmes d'ordre éthique mais à des difficultés techniques, notamment pour la partie de la loi relative aux dons d'organes.

o Ces textes abordaient des champs nouveaux nécessitant le recours à une expertise médico-scientifique afin d'en garantir l'adéquation à la science et l'applicabilité. C'était notamment le cas pour les banques de tissus, activité mal connue impliquant une reconnaissance du terrain avec le concours de l'EFG et une inspection des services déconcentrés précédée d'une formation des personnels. L'expertise n'a pu être mise en oeuvre qu'après l'installation du Conseil médical et scientifique de l'EFG.

Pour certains textes, l'élaboration des règles de bonne pratique devait précéder la parution du décret d'application. Pour d'autres (constat de la mort, registre des refus, banques de tissus, thérapie cellulaire, médecine prédictive), une coordination devait s'établir entre plusieurs centres d'expertise.

o Certaines dispositions de la loi sont d'une particulière complexité :

o les modalités du consentement doivent être mises en oeuvre par des médecins qui n'ont pas une formation juridique ;

o les cellules à usage thérapeutique sont soumises à des régimes très diversifiés : cellules sanguines, cellules souches hématopoïétiques, cellules à autre destination que la thérapie cellulaire, thérapie cellulaire, thérapie génique, moelle osseuse.

o Certaines dispositions posent des problèmes d'interprétation : ainsi en va-t-il des règles touchant le consentement des personnes décédées.

o L'abondance des textes d'application à élaborer (32 au total) contraste avec les moyens limités en personnel de la DGS (2 fonctionnaires du cadre A, effectif récemment porté à 3).

Il a donc fallu établir un ordre de priorités tenant compte de la mise en place des structures de conservation (soumises à l'agrément de la CNMBRDP), sachant par ailleurs que les textes existant dans le cadre de la législation antérieure permettaient dans certains cas de parer au risque de vide juridique.

- Textes d'application relatifs à l'AMP

o Article L 152-8 (études sur l'embryon) : le texte présente des imprécisions (" recherches " qui ne figure qu'au 1er alinéa, " porter atteinte "). Six projets d'étude sont en cours d'examen à la CNMBRDP. Un seul pose problème au regard de la loi (demande d'étude en vue du DPI sur un embryon triploïde mais toujours en développement).

Deux catégories d'études peuvent être envisagées :

o recherche sur l'environnement avec bénéfice direct pour l'implantation ;

o recherche invasive sur un embryon non destiné à l'implantation.

o Article L 162-17 (DPI) : le décret d'application était conditionné par le texte sur les centres pluridisciplinaires de DPN qui posait également problème (sens du mot " organismes " figurant dans l'article L 162-16). Six dossiers de DPI ont déjà été déposés.

o Accueil de l'embryon (article L 152-5) : le décret est étudié en liaison avec la chancellerie. Il pose cinq problèmes : cohérence avec l'article 9 sur la procédure de consentement, modalités de réception du consentement, sécurité sanitaire (l'embryon posant des problèmes inédits), conciliation entre anonymat et traçabilité, absence d'autorisation spécifique pour les établissements organisant l'accueil.

- Textes d'application relatifs aux greffes

Les publications tardives concernent :

o les conditions d'autorisation des établissements effectuant des prélèvements pour lesquels il existait un texte antérieur ;

o le registre des refus qui posait un problème interprétatif et pratique si l'on y incluait les prélèvements à fins d'autopsie. Le Conseil d'Etat a refusé la limitation aux prélèvements à des fins thérapeutiques ;

o la sécurité sanitaire déjà régie par deux décrets antérieurs à la loi mais qui étaient très restrictifs sur la définition de la balance bénéfice-risque et, par voie de conséquence, défavorables aux patients.

Les publications en attente concernent :

o les prélèvements de tissus et cellules sur personnes décédées (pratiqués à coeur arrêté) pour lesquels l'exigence d'un décret en Conseil d'Etat est sans doute excessive ;

o le remboursement des donneurs qui pose un problème particulier pour la prise en charge des dons d'ovocytes ;

o la vigilance pour laquelle existaient des difficultés de coordination avec d'autres domaines (pharmacovigilance, hémovigilance) avant la création de l'Agence de sécurité sanitaire par la loi du 1er juillet 1998 ;

o l'organisation des activités de greffe de tissus et de cellules requérant une haute technicité pour laquelle un texte concernant l'ensemble des cellules est préparé par la Direction des hôpitaux ;

o l'autorisation des établissements effectuant la conservation, la transformation, la distribution, la cession des tissus et cellules qui pose problème pour la définition des activités de haute technicité, investissement et innovation ne coïncidant pas nécessairement ;

o les règles financières et économiques, la fixation de tarifs soulevant des difficultés.

Enfin, l'application des dispositions de la loi du 28 mai 1996 portant DMOS posait des problèmes de frontières et de guichet simplifiés par la loi du 1er juillet 1998.

Auditions du 26 novembre 1998

28. PROFESSEUR ARNOLD MUNNICH, DIRECTEUR DE L'UNITÉ " HANDICAPS GÉNÉTIQUES DE L'ENFANT " DE L'INSERM, DIRECTEUR DU CENTRE DE GÉNÉTIQUE DE L'HÔPITAL NECKER-ENFANTS MALADES

Le professeur MUNNICH indique que le centre de génétique qu'il dirige à l'hôpital Necker assure un conseil et un suivi en matière génétique et constitue un point de rencontre entre chercheurs et médecins qui établit un lien entre recherche sur les gènes et application pratique : il accueille 5 000 patients par an et est orienté sur les seules maladies congénitales, à l'exclusion des maladies neurodégénératives de l'adulte. Ces affections ne sont pas en voie de disparition et l'accès aux centres d'expertise s'est développé sous l'influence de plusieurs facteurs : évolution du regard porté sur le handicap, espoir de guérison, hantise de la récidive.

La loi est bonne ; elle protège les patients et répond à la demande des praticiens. On peut simplement s'interroger, en ce qui concerne les dispositions touchant la génétique, sur le caractère un peu prématuré d'une révision quinquennale, un délai plus long permettant de mieux apprécier son adaptation à l'évolution scientifique.

S'agissant du diagnostic préimplantatoire, M. MUNNICH indique qu'il a déposé une demande de création de centre de consultation en binôme avec le professeur FRYDMAN. Il considère que la demande de DPI est légitime lorsqu'elle fait suite à des interruptions de grossesse à répétition et, plus encore, lorsque le recours à la FIV s'avère nécessaire, l'interruption de grossesse revêtant dans ce cas un caractère particulièrement dramatique.

En pratique, trois types de cas se présentent dans une proportion égale de 30 % :

o la consultation de DPI ne peut être mise en oeuvre faute d'une consultation préalable de génétique. Se pose à ce sujet la question du nombre insuffisant de centres de génétique ;

o la consultation, précédée d'une bonne indication, peut avoir lieu ;

o le demandeur renonce, en définitive, à consulter.

Deux à trois demandes sur dix relèvent effectivement du DPI.

Le dispositif législatif et réglementaire, tel qu'il est aujourd'hui en place, correspond aux besoins et n'a pas à être modifié mais il rencontre des difficultés d'application pour trois types de raisons :

o L'hétérogénéité des niveaux de compétence dans le domaine de la génétique crée des inégalités de qualité entre les centres et une injustice devant la maladie génétique. Le poids des spécialités traditionnelles entrave la mise en place de ces centres.

o Les centres de diagnostic pluridisciplinaires n'ont pas encore été créés, même si, comme à Necker, ils existent déjà en pratique.

o Le système du budget global ne favorise pas les disciplines innovantes, ce qui aboutit à des disparités considérables d'une région à l'autre. Pour autant, on ne peut multiplier les centres de génétique car il y a un problème de masse critique (documentation, accès, équipement du laboratoire). La meilleure solution consiste donc à limiter le nombre des centres tout en organisant des consultations avancées.

La loi française, très représentative du génie national, s'écarte sensiblement des règles anglo-saxonnes, beaucoup plus laxistes. Un état comparatif des différentes législations va faire prochainement l'objet d'un colloque organisé par la revue canadienne Clinical Genetics. Un débat devrait être suscité à l'échelon européen pour mieux faire connaître le point de vue français à la communauté internationale.

29. PROFESSEUR MICHEL TOURNAIRE, CHEF DU SERVICE DE GYNÉCOLOGIE OBSTÉTRIQUE À L'HÔPITAL SAINT-VINCENT-DE-PAUL

S'exprimant au nom du Collège national des gynécologues obstétriciens et de l'Association nationale pour l'étude de la stérilisation volontaire, le professeur TOURNAIRE indique que ce type de stérilisation crée des problèmes que la loi ne permet pas de résoudre dans sa rédaction actuelle :

o les compagnies d'assurance, considérant qu'elle n'a pas de base légale, ont tendance à refuser de couvrir les risques qu'elle peut engendrer ;

o alors que la CNAM serait sur le point d'en admettre la prise en charge, les caisses régionales exigent des praticiens le remboursement des actes de ligature des trompes.

Le manque de clarté crée ainsi une situation unique en Europe. Dès 1975, le Conseil de l'Europe avait recommandé que cet acte soit reconnu comme médical. Dans son avis du 3 avril 1996, le Comité consultatif national d'éthique n'a pas pris position sur son utilisation. En revanche, le Conseil de l'ordre a suggéré que le terme " thérapeutique " employé par l'article 16.3 du Code civil soit entendu dans son sens le plus large, incluant la visée préventive. Mais cette recommandation n'est pas prise en compte par les compagnies d'assurance qui ne souhaitent plus couvrir les gynécologues obstétriciens pour cette partie de leur activité.

La rédaction actuelle de l'article 16.3 pose également problème pour la chirurgie plastique et reconstitutive. Elle a été préférée à l'emploi du terme " médical " afin d'exclure plus sûrement la recherche du champ d'application du texte.

Ce type de stérilisation n'est plus aujourd'hui irréversible pour des patientes jeunes grâce à l'évolution des techniques (préservation des trompes, recours à la FIV). La portée de la loi devrait donc être étendue soit par un amendement, soit par une interprétation résultant des travaux préparatoires.

30. DOCTEUR FRANÇOIS CHAPUIS, DIRECTEUR DE L'UNITÉ DE MÉTHODOLOGIE EN RECHERCHE CLINIQUE AUX HOSPICES CIVILS DE LYON, PRÉSIDENT DE LA CONFÉRENCE NATIONALE DES CCPPRB

Un forum consacré à l'évaluation de la loi du 20 décembre 1988 se tiendra à Nancy à l'initiative de la Conférence en mai 1999.

Le docteur CHAPUIS tire de son expérience récente un constat sur l'hétérogénéité des CCPPRB, qu'il s'agisse de la composition, de la qualité, du mode de fonctionnement ou des modalités d'évaluation.

La loi pose sur deux points des problèmes de compréhension :

o L'un est celui de son champ exact d'application. Le docteur CHAPUIS cite deux exemples (réalisation d'un myélogramme en préinclusion dans des essais, administration d'eau sucrée à un groupe de femmes enceintes avant prise de sang pour une recherche sur le diabète gestationnel).

o L'autre concerne la définition du bénéfice thérapeutique en cas de maladie chronique. Ne conviendrait-il pas de prendre en compte le risque plutôt que le bénéfice ?

Les CCPPRB doivent-ils être considérés comme des organismes scientifiques, éthiques ou administratifs ?

o Scientifiquement, chaque membre d'un comité n'a pas la compétence d'un investigateur. Collectivement, la compétence du comité est en revanche supérieure.

o Les comités ont une responsabilité éthique en matière de recherche, mais non dans les autres domaines.

o Administrativement, on constate une volonté centralisatrice de la tutelle, qui se manifeste notamment par la requalification d'avis favorables.

Auditions du 3 décembre 1998

31. DOCTEUR ANNE CAMBON-THOMSEN ET M. JEAN-PAUL CAVERNI, DIRECTEURS DE RECHERCHE AU CNRS

Le docteur CAMBON-THOMSEN est responsable d'une équipe de recherche sur " Génétique en population, éthique et décision en santé publique " rattachée à une unité INSERM de Toulouse intitulée " Epidémiologie et analyse en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps ".

Ces recherches visent à retracer l'histoire des populations en utilisant les marqueurs génétiques. Elles portent sur des grands nombres, donc sur des sujets qui ne sont pas nécessairement porteurs de pathologies.

Les chercheurs sont satisfaits du cadre législatif instauré par la loi du 20 décembre 1988. Un problème se pose toutefois pour les recherches sans bénéfice individuel direct menées, pour l'essentiel, à partir de prélèvements sanguins :

o l'organisation des enquêtes n'est pas, dans bien des cas, conforme aux règles (prélèvement à domicile ou dans un laboratoire situé à proximité) ;

o les prélèvements sont conservés dans des " banques d'ADN " et peuvent être utilisés ultérieurement pour un autre axe de recherche. Or, les modalités de recueil du consentement ne prévoient pas cette hypothèse et ne précisent pas clairement la durée de la recherche pour laquelle le prélèvement est effectué ;

o l'activité de recherche est encadrée par un corpus législatif complexe (loi de 1988, lois du 29 juillet 1994). Il serait souhaitable qu'une seule instance traite l'ensemble des dossiers (présentation du protocole, protection des données nominatives) ;

o en cas d'interruption de la recherche, la conservation et l'utilisation ultérieure des collections, qui constituent une ressource scientifique considérable, n'est pas organisée.

M. CAVERNI, qui dirige à l'INSERM le centre de recherche en psychologie cognitive, indique que certaines dispositions de la loi imposent des contraintes qui contrarient la recherche dans les sciences du comportement sans qu'elles aient quelque rapport que ce soit avec la protection des personnes :

o un chercheur non médecin devrait pouvoir saisir un CCPPRB ;

o la visite médicale préalable ne devrait pas être obligatoire pour ce type de recherche, le CCPPRB pouvant cependant l'imposer s'il la juge nécessaire.

D'autre part, les CCPPRB devraient comporter, ès qualité, des chercheurs en sciences du comportement humain et non des cliniciens.

D'une façon générale, les recherches ne portant pas atteinte à l'intégrité du corps humain, non contraignantes et non invasives, devraient être placées hors du champ d'application de la loi, sous réserve de l'édiction d'un guide de conduite et de la soumission des projets à un comité d'éthique spécifique.

32. DOCTEURS ROLAND BERGER, PRÉSIDENT, ET JOSUÉ FEINGOLD, VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE GÉNÉTIQUE HUMAINE

La loi de 1988 a constitué un progrès important pour l'encadrement des essais thérapeutiques et un consensus général s'est fait sur l'exigence du consentement éclairé.

Les recherches génétiques sont sans bénéfice pour le sujet. L'application de la loi leur pose problème sur plusieurs points :

o les conditions relatives au lieu de prélèvement sont trop contraignantes lorsqu'il s'agit d'une simple prise de sang et leur application stricte vouerait beaucoup d'études à l'échec ;

o la durée de stockage des prélèvements dans des banques n'est pas précisée ;

o la possibilité pour un matériau de servir de témoin pour une autre étude n'est pas prévue par la loi ;

o les banques ont une finalité mixte (diagnostic et recherche). La formulation du consentement n'est pas assez précise pour tenir compte de cette dualité et ouvre la voie à des interprétations variables des CCPPRB ;

o l'application du secret médical soulève des difficultés lorsque la maladie génétique ne touche pas un seul individu mais une famille entière ;

o la multiplication des commissions compétentes impose un délai de 18 mois entre le dépôt d'un projet de recherche et son aboutissement. Il serait préférable de mettre en place une instance unique avec possibilité d'appel ;

o la loi ne favorise pas la génétique des populations qui est, par ailleurs, peu soutenue financièrement en raison de l'absence de toute retombée économique ;

o des comités d'éthique locaux se reconstituent pour régler des problèmes qui ne peuvent être traités par les CCPPRB (cas, par exemple, de l'identification incidente d'une maladie à l'occasion d'une recherche). Tout ne peut être réglé par ces comités et il conviendrait que soient édictés des guides de bonne conduite en matière génétique.

Auditions du 10 décembre 1998

33. MM. JACQUES SAMARUT, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE LA VIE AU CNRS, ROBERT NAQUET, PRÉSIDENT DU COMITÉ OPÉRATIONNEL POUR L'ÉTHIQUE DANS LES SCIENCES DE LA VIE DU CNRS, ET MME ODILE FICHOT, CHARGÉE DE MISSION ETHIQUE AU DÉPARTEMENT DES SCIENCES DE LA VIE, MEMBRE DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE

Le département des sciences de la vie regroupe 6 000 chercheurs dans 280 laboratoires associés aux universités et étudie la vie sous tous ses aspects depuis le génome jusqu'au comportement. Recherche fondamentale et recherche appliquée y sont étroitement associées.

M. SAMARUT estime souhaitable que les dispositions de la loi de 1994 relatives à l'embryon tiennent compte des avancées constatées ou prévisibles de la recherche en ce domaine.

Deux étapes doivent être distinguées dans l'évolution de l'embryon :

o une première phase où il ne constitue qu'une grappe de cellules ;

o une seconde phase où s'organise le développement vers le stade foetal.

C'est au premier stade de développement, précédant la gastrulation, que l'embryon intéresse les chercheurs. En effet, le modèle animal n'est pas ici transposable dans la mesure où le passage de la phase où l'embryon vit sur les réserves de l'ovocyte à celle où il se développe sur ses ressources propres ne se fait pas au même moment chez la souris et chez l'homme. Ce franchissement pourrait constituer le critère de partage entre recherche autorisée et recherche interdite. Les cellules totipotentes isolables dans ce premier état sont porteuses de deux types d'avancées thérapeutiques également décisives :

o isolées et cultivées, elles permettraient de produire des tissus de substitution offrant des garanties de tolérance très supérieures aux greffes classiques (neurones, cellules hépatiques, sang) ;

o elles offrent à la cancérologie un terrain d'étude particulièrement intéressant puisqu'elles constituent des cellules cancéreuses en sursis, à la frontière des cellules normales.

Elles pourraient être prélevées sur des embryons congelés privés de projet parental. Le recours au clonage ne garantirait pas un matériel biologique sûr, compte tenu de l'importance de l'empreinte parentale sur la fonctionnalité des gènes issus d'un double patrimoine.

Le maintien d'une interdiction touchant ce type de recherche conduirait à une situation embarrassante dès lors que de telles cellules seront produites à l'étranger, hypothèse dont la réalisation est proche compte tenu des progrès récemment accomplis en ce domaine aux Etats-Unis.

En ce qui concerne les biopsies post mortem, la loi a abouti à un blocage, les médecins ne voulant plus solliciter l'accord des familles pour des prélèvements à fins scientifiques et privant de ce fait les chercheurs de matériaux auxquels ils avaient précédemment accès sans la moindre difficulté.

S'agissant de la loi du 20 décembre 1988, son application pose plusieurs problèmes :

o la définition du champ d'application pour ce qui concerne les conditions de prélèvement de l'échantillon biologique à partir duquel la recherche est effectuée (" tube en plus " lors d'un acte thérapeutique, par exemple) ;

o l'obligation d'un investigateur médecin : il conviendrait de dissocier la direction scientifique et la surveillance médicale d'une recherche.

Il convient de remarquer, sur un plan général, qu'alors même que l'activité de recherche est reconnue par la loi, la rédaction des décrets issus de l'administration de la santé ne prend pas en compte ses besoins spécifiques et que l'édiction d'un Code de la recherche à côté de celui de la santé publique permettrait d'apporter les clarifications nécessaires.

34. MME ANNICK MOREL, DIRECTEUR DE LA DASS DE PARIS, ET LE DOCTEUR ANNICK BIGORRIE, CHEF DU SERVICE DE L'INSPECTION MÉDICALE

Les compétences des autorités déconcentrées touchant les établissements pratiquant l'AMP se situent à trois niveaux :

o avis sur l'autorisation de l'établissement ;

o visites de conformité ;

o visites de contrôle.

Au premier niveau, les DDASS se prononcent au vu d'un dossier qui fait apparaître les besoins, les normes techniques et la qualification du personnel. Il est bon que la décision finale soit prise à un échelon central en raison des problèmes d'expertise et des enjeux de terrain que soulève ce type d'autorisation. Pour ce qui concerne l'intervention de la CNMBRDP, elle se ressent sans aucun doute du caractère trop cloisonné de cet organisme, dont la composition devrait être élargie à un plus grand nombre de disciplines médico-scientifiques.

S'agissant du contrôle, compte tenu de sa complexité extrême, l'établissement d'un guide serait nécessaire. Un modèle proposé par la DASS de Paris n'a pas été officiellement validé.

Les médecins inspecteurs :

o ne sont pas en nombre suffisant (1 emploi de médecin à temps plein pour 45 sites à Paris) ;

o ne sont pas suffisamment formés. Le ministère de la Santé préconise une spécialisation et une mutualisation des moyens à l'échelon régional mais les moyens sont insuffisants.

Par ailleurs, une meilleure liaison devrait s'établir entre les agences, la DGS, l'EFG et les services déconcentrés.

35. DOCTEUR MARIE-CLAUDE DUMONT, MÉDECIN INSPECTEUR DE LA DDASS DES BOUCHES-DU-RHÔNE, MEMBRE DE LA CNMBRDP

Le docteur DUMONT souligne que la définition réglementaire des activités d'AMP ne permet pas de contrôler la pratique des gynécologues de ville.

S'agissant de la vérification, par les médecins, des conditions d'accès à l'AMP, il conviendrait d'imposer des règles plus précises touchant la vérification d'identité et la justification de vie commune. D'autre part, la loi ne permet pas aux praticiens d'opposer un refus s'ils l'estiment justifié, notamment pour des raisons d'ordre psychologique ou social.

En ce qui concerne le contrôle des activités d'AMP, il porte, dans la région PACA, sur 7 établissements autorisés. Plusieurs difficultés se rencontrent dans ce domaine :

o les médecins inspecteurs ne possèdent pas la formation adaptée à ce type de contrôle ;

o les arguments réglementaires (formation des praticiens, organisation et fonctionnement des centres) peuvent rarement être utilisés pour fonder un refus d'autorisation ;

o l'agrément multiple est inévitable dès lors que les conditions de compétence sont satisfaites mais cette multiplicité, liée à la spécialité, n'encourage pas la constitution d'équipes et ce d'autant plus que l'on n'agrée pas une équipe mais des activités, cliniques ou biologiques.

Les refus d'autorisation s'appuient davantage sur des considérations liées à la planification ou à l'absence de personnel titulaire (dans les centres rattachés à des CHU).

Des avis contradictoires sont parfois délivrés par la CNMBRDP d'une part, le Comité national de l'organisation sanitaire et sociale d'autre part, ce dernier prenant en compte les contraintes de la planification.

L'évaluation des établissements pose le problème :

o d'indicateurs fiables éliminant les incidences de la " course aux résultats " ;

o d'un corps d'inspection techniquement compétent et professionnellement neutre, alors que la CNMBRDP est affectée d'un certain corporatisme, encore trop sensible malgré les correctifs apportés à sa composition en 1994.

Auditions du 17 décembre 1998

36. M. ANDRÉ ALBERT, MAGISTRAT, DIRECTION DES AFFAIRES CIVILES

Les éléments d'évaluation dont dispose la Chancellerie ne peuvent procéder de l'application jurisprudentielle qui est actuellement très réduite, notamment au plan pénal. On peut citer l'arrêt de la Cour d'appel de Paris sur l'utilisation post mortem des empreintes génétiques pour l'établissement d'un lien de filiation et celui de la Cour de Lyon, frappé d'un pourvoi en cassation, sur l'application de la notion de personne humaine au foetus. Par ailleurs, une seule poursuite a été intentée pour autorisation irrégulière d'un établissement pratiquant des activités d'AMP.

Participant aux travaux de la CNMBRDP, M. ALBERT a pu y constater d'autre part la remontée d'un certain nombre de questions touchant notamment aux rôles respectifs du juge et de l'équipe médicale. Des actions de formation des magistrats à ces missions spécifiques sont organisées dans le cadre de l'Ecole nationale de la magistrature. Une mission de recherche " Droit et justice " créée à la Chancellerie a engagé, en liaison avec le Centre régional juridique de l'Ouest (Université de Rennes), une étude sur l'application des lois de bioéthique.

Pour l'instant, aucune position n'a été arrêtée, ni par le Gouvernement, ni par le Cabinet du garde des sceaux, sur la nature et l'étendue des modifications qui pourraient être apportées aux textes à l'occasion de la révision. Un groupe de travail interministériel Santé-Justice-Recherche devrait entamer une réflexion au début de l'année prochaine.

S'agissant de l'article L 152-5 du Code de la santé publique relatif à l'accueil de l'embryon par un autre couple, le projet de décret d'application ne posait pas de difficulté particulière au ministère de la Justice pour la partie concernant les pouvoirs d'investigation dévolus à l'autorité judiciaire. Il n'a donc aucune responsabilité dans le retard qui affecte la parution de ce texte.

La Convention européenne de bioéthique devait être initialement complétée par quatre protocoles additionnels relatifs, respectivement, à la transplantation d'organes et de tissus, à la recherche biomédicale, à la protection de l'embryon et à la génétique.

Ce programme a été bousculé par l'annonce des progrès expérimentaux dans le domaine du clonage qui ont conduit à l'adoption d'un protocole spécifique sur ce sujet précis.

Sur la transplantation d'organes et de tissus ainsi que sur la recherche biomédicale, les travaux du Comité directeur de bioéthique sont déjà très avancés et une première version de ces textes pourrait être déclassifiée dans le courant de l'hiver. Il faut noter qu'une très grande diversité de positions s'exprime sur la question des donneurs vivants, à l'égard de laquelle les pays de l'Europe du Nord adoptent un point de vue très libéral.

Plusieurs réunions exploratoires ont déjà été tenues sur le statut de l'embryon. Les travaux sur la génétique débuteront au printemps et risquent de mettre en lumière de très nettes divergences, certains états de l'Europe du Nord tentant déjà de faire prévaloir des dispositions que la France juge peu protectrices de la personne, telles que la communication obligatoire aux assureurs des tests prédictifs au-dessus d'un certain plafond de souscription.

37. MME GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL, PSYCHANALYSTE, CONSULTANTE À LA MATERNITÉ DE L'HÔPITAL SAINT-ANTOINE

Mme de PARSEVAL indique qu'elle travaille, depuis 1974, avec les CECOS sur le problème de la paternité dans le cadre de l'insémination artificielle avec donneur.

- Elle souligne tout d'abord la fragilité de la paternité consacrée par la loi de 1994 dans le domaine de l'AMP avec don, puisqu'elle a été rattachée à la filiation naturelle et non à la filiation adoptive établie par un jugement. Elle peut ainsi aboutir à des enfants très éloignés de leur père légitime, voire totalement privés de paternité.

L'Australie (état de Victoria) a instauré un système optionnel de don, anonyme ou non. En Suède, la suppression de l'anonymat obligatoire est, aujourd'hui, bien acceptée par les couples et a entraîné, après un temps de raréfaction, un regain de dons provenant d'une nouvelle population composée essentiellement de pères de famille plus âgés. En réalité, le débat français est faussé par une confusion entre la levée de l'anonymat et l'établissement d'un lien de filiation. Dans son état actuel, la loi ne facilite pas le dialogue parents-enfant en rattachant la filiation avec donneur à la filiation charnelle.

- Des dispositions spécifiques devraient être prévues pour le don d'ovocytes qui aboutit à la coexistence de trois maternités, génétique, utérine et sociale, les deux dernières étant assumées par la mère receveuse, tandis que la première est très facilement " métabolisable " par le psychisme du couple et révélable à l'enfant.

L'anonymat du don devrait pouvoir être levé à l'initiative conjointe du couple donneur et du couple receveur. D'autre part, l'interdiction du don au sein d'une même famille, qui contribue à la pénurie d'ovocytes aujourd'hui constatée, n'est pas nécessairement justifiée par l'intérêt des familles.

Quelle que soit la décision prise à l'égard de l'anonymat, le donneur devrait être reconnu à l'instar de ce qui se pratique pour le don de sang.

- L'interdiction du transfert d'embryon post mortem est en contradiction avec l'esprit de la loi puisque celle-ci est axée sur la demande parentale. Le devenir de l'enfant né orphelin n'est pas nécessairement hypothéqué, comme le démontre l'analyse des situations de ce type créées par la guerre de 14-18.

La " ressource " offerte à la mère veuve -don de l'embryon à un autre couple- est, en tout état de cause, inconcevable. Quant à l'enfant qui naîtrait d'un transfert post mortem, il ne serait pas privé de père et le souvenir de celui-ci resterait présent dans sa mémoire. Il est paradoxal d'interdire le transfert post mortem et d'admettre par ailleurs l'insémination intraconjugale dans le cas d'un homme séropositif dont l'espérance de vie est incertaine dans l'état actuel de la thérapeutique.

38. DOCTEUR BERNARD GOLFE, CHEF DU SERVICE DE PÉDOPSYCHIATRIE À L'HÔPITAL SAINT-VINCENT-DE-PAUL

Le docteur GOLFE précise qu'il est également psychanalyste et travaille en liaison avec le professeur JOUANNET au CECOS de Cochin.

Evoquant tout d'abord les dispositions législatives relatives à l'adoption, il fait état du découragement de nombreux couples face aux différents obstacles factuels (pénurie d'enfants adoptables en France) et au comportement des organismes d'accueil. Si certains parents sont, au moins en apparence, favorables au respect du droit à la connaissance des origines, beaucoup y voient, en réalité, un facteur de difficultés dans les rapports avec l'enfant. Ce droit ne doit pas être imposé sans certaines précautions psychologiques inscrites dans une démarche d'accompagnement.

S'agissant du don d'ovocytes, il a pu constater un très net désir d'anonymat de la part des donneuses, toute remise en cause de ce principe risquant de déclencher, selon lui, un réflexe de fuite, sauf dans le cas de parenté ou d'amitié très proche. Mais ce type de don peut être psychologiquement ambigu, porteur de fantasmes d'inceste ou d'adultère, et à ce titre préjudiciable à l'enfant à naître.

Dans le cadre du COPES, association qui offre une consultation aux parents en attente d'adoption, une enquête a été menée auprès de couples candidats à une insémination avec donneur : 75 % d'entre eux ne souhaitaient pas révéler les conditions de la conception à l'enfant ou à l'entourage familial. Un an après la naissance, ce pourcentage s'élève à 90 %.

39- AUDITION DU PROFESSEUR JEAN-FRANÇOIS MATTEI LES 25 NOVEMBRE ET 22 DÉCEMBRE 1998

Président de la sous-commission Santé du Conseil de l'Europe et membre du Comité directeur de bioéthique, le professeur MATTEI souligne l'importance, pour la révision de la loi, des travaux menés actuellement dans ce cadre européen. Il indique que l'OMS lui a confié la direction d'un rapport visant à définir les règles de bonnes pratiques à l'échelon international, afin de parer à l'influence du pragmatisme anglo-saxon. Il rappelle, d'autre part, que la convention sur le génome humain adoptée par l'ONU et la convention européenne de bioéthique se sont très largement inspirées des lois votées en 1994.

La première question qui se pose est de savoir si l'on peut réexaminer la seule loi explicitement soumise à révision sans aborder également celle qui touche à la protection de la personne, même si les juristes sont réservés sur une modification trop fréquente du Code civil. Le principal point de révision devrait concerner la médecine prédictive et les empreintes génétiques compte tenu des progrès de la science en ce domaine. Le professeur MATTEI a créé à cette fin, à l'Assemblée nationale, un groupe d'étude sur les techniques génétiques et leurs aspects éthiques.

La seconde question est celle du calendrier qui sera fixé pour cette révision. Il paraît difficile de faire l'économie d'une commission spéciale dans les deux assemblées et nécessaire de leur laisser un temps suffisant pour organiser des auditions.

Comment, en troisième lieu, organiser la révision ? Doit-elle être globale ou parcellaire, limitée à l'objet primitif de la loi ou étendue à d'autres sujets tels que la fin de vie, les soins palliatifs, la stérilisation des handicapés ?

Plusieurs problèmes se posent dans le domaine de la transplantation :

1) Le champ d'application du consentement présumé mérite d'être précisé :

o l'autopsie qui est le prolongement d'un acte médical doit être facilitée ;

o le prélèvement d'organes à visée thérapeutique pourra se développer grâce à la publicité donnée au registre automatisé, qui doit rester un mode d'expression du refus ;

o le prélèvement à but scientifique requiert un consentement explicite, compte tenu de sa finalité.

2) Le régime des prélèvements sur donneur vivant doit être modifié pour soumettre au principe de consentement les greffes en domino et les résidus opératoires. Mais l'élargissement des catégories de donneurs doit être envisagé avec prudence afin de protéger les donneurs contre les pressions affectives et financières.

D'une façon générale, il faut laisser une plus large marge d'appréciation aux médecins en encadrant leurs activités par un code de déontologie et des règles de bonnes pratiques. La loi, quant à elle, ne doit fixer que des principes généraux et des règles souples et évolutives.

En ce qui concerne l' assistance médicale à la procréation :

- L'encadrement des techniques est satisfaisant et il ne faut pas rechercher des définitions trop précises, même s'il a manqué, pour l'ICSI, une phase d'expérimentation préalable.

- Le clonage cellulaire ou tissulaire n'est pas condamnable. Seul le clonage reproductif doit être interdit. Il l'est déjà en droit puisqu'il ne correspond pas à la définition des techniques d'AMP établie par la loi et qu'il est par ailleurs contraire aux règles posées en matière de respect de la personne humaine. Néanmoins, une interdiction explicite et solennelle aurait valeur de symbole.

- Le consentement préalable devant un juge ou un notaire est généralement approuvé. Les médecins sont ainsi affranchis d'une responsabilité qui troublerait la sérénité de leur pratique. Si le notaire, conseiller habituel des familles, paraît l'interlocuteur le plus désigné, il faudrait supprimer les droits d'enregistrement sur les actes de ce type.

- S'agissant de la recherche sur l'embryon, les scientifiques soulignent le retard de la France par rapport à d'autres pays et invoquent la cherté des expérimentations sur l'animal. On ne peut s'en tenir à une conception aussi utilitaire car elle conduit à une instrumentalisation de la vie humaine inacceptable, même à son stade le plus précoce.

On ne peut légiférer sans des références strictes et précises que l'embryon ne peut fournir puisqu'il n'est qu'un moment d'une vie. La vie elle-même peut, en revanche, être définie : elle commence à la fécondation et c'est très précisément la définition sur laquelle se fondait déjà la loi relative à l'IVG.

S'il a été décidé, en 1994, d'ouvrir la possibilité du don d'embryon à un autre couple, c'est, d'une part, eu égard à la pénurie d'enfants adoptables (4 000 annuellement pour 14 000 couples candidats), d'autre part, pour offrir aux embryons privés de projet parental une chance d'accomplir ce qui était fondamentalement leur destinée, c'est-à-dire de vivre. Il aurait été inconcevable et inapplicable pratiquement de contraindre la mère biologique à accueillir un projet d'enfant dont elle ne voulait plus. Mais le mélange des genres opéré par la loi (d'un côté, la notion de don qui ne peut s'appliquer qu'à un objet, de l'autre, la procédure d'accueil qui se calque sur l'adoption) explique que ces dispositions n'aient pu être mises en application. Il n'est pas certain qu'elles doivent être maintenues car, par delà le problème conceptuel, existe une difficulté juridique : comment assimiler à l'adoption une mise au monde qui a toute l'apparence d'une procréation naturelle et rend quasi impossible la révélation de la vérité à l'enfant ?

- En ce qui concerne le transfert d'embryon post mortem, le professeur MATTEI estime que tous les arguments invoqués en faveur d'une levée de l'interdiction ne tiennent pas face aux problèmes inextricables que posent les délais et les conditions de mise en oeuvre, ainsi que la situation matrimoniale éventuelle de la mère. Quid, d'autre part, lorsque le survivant est le mari ?

- La congélation des embryons a été admise en 1994 pour tenir compte, en premier lieu, d'une situation de fait et, en second lieu, du caractère très temporaire que devait revêtir cette solution dans la perspective, supposée proche, de la congélation des ovocytes. Cela étant, la congélation encourage la réification de l'embryon et l'autorisation de procéder à des recherches sur les embryons congelés accentuerait cette dérive inacceptable. Comme l'a souligné le cardinal LUSTIGER, mieux vaut, pour la dignité de l'être humain, qu'on le laisse mourir plutôt que de l'instrumentaliser.

En matière de médecine prédictive , la loi n'a autorisé que son usage individuel à des fins médicales. Les assureurs avaient accepté un moratoire qui parvient à son terme et il va falloir arbitrer entre les considérations morales et la logique assurancielle qui repose sur une estimation du risque. Rien, de surcroît, n'interdit le recours à un test favorable pour bénéficier d'un tarif plus avantageux. Cette pratique est déjà admise, avec une certaine modulation, par la législation hollandaise.

Les empreintes génétiques peuvent désormais être relevées à partir de prélèvements infimes et à l'insu de l'intéressé. La question se pose des conditions d'accès à ces marqueurs génétiques, sachant notamment qu'un enfant sur huit n'est pas issu du père présumé. Le législateur doit-il favoriser la tendance croissante à la recherche de l'identité biologique corrélée à l'éclatement des structures familiales traditionnelles ? Si le jugement prononcé dans l'affaire MONTAND n'est pas choquant compte tenu des circonstances de l'espèce, la possibilité de recherches génétiques post mortem pour l'établissement d'une filiation doit néanmoins être strictement encadrée par le droit.

En matière de brevetabilité du génome , il convient de distinguer l'isolation d'un gène qui ne saurait être brevetable et les applications qui en découlent qui ne doivent pas tomber sous le coup de la même interdiction.

Pour conclure, le professeur MATTEI souligne l'insuffisance des moyens dont dispose la CNMBRDP pour exercer ses attributions d'agrément, de contrôle et d'évaluation. Sa composition ne lui permet pas de se prononcer en toute indépendance et son recrutement est en outre limité par l'absence de toute rémunération accordée à ses membres.

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS UTILISÉS

AMP

:

Assistance médicale à la procréation

AP-HP

:

Assistance publique-Hôpitaux de Paris

BLEFCO

:

Biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'oeuf

CCNE

:

Comité consultatif national d'éthique

CCPPRB

:

Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale

CECOS

:

Centres de conservation de l'oeuf et du sperme humains

CNMBRDP

:

Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal

CRJO

:

Centre régional juridique de l'Ouest

CSH

:

Cellules souches hématopoïétiques

DDASS

:

Directions départementales de l'action sanitaire et sociale

DPI

:

Diagnostic préimplantatoire

DPN

:

Diagnostic prénatal

EFG

:

Etablissement français des greffes

ES

:

Embryonic stem (cellule souche embryonnaire)

FIV

:

Fécondation in vitro

FIVETE

:

Fécondation in vitro et transfert d'embryon

GEE

:

Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies

GIFT

:

Gamete intra-fallopian transfer (procréation assistée par transfert de gamètes dans les trompes)

HFEA

:

Human Fertilization and Embryology Authority (organisme public d'encadrement de l'AMP en Grande-Bretagne)

IAC

:

Insémination artificielle avec sperme du conjoint

IAD

:

Insémination artificielle avec sperme d'un donneur

ICSI

:

Intra cytoplasmic sperm injection (fécondation in vitro par micro-injection d'un spermatozoïde)

IGAS

:

Inspection générale des affaires sociales

INRA

:

Institut national de la recherche agronomique

INSERM

:

Institut national de la santé et de la recherche médicale

PMA

:

Procréation médicalement assistée

SUZI

:

Subzonal insemination (fécondation par injection de spermatozoïdes sous la zone pellucide)

ZIFT

:

Zygote intra-fallopian transfer (procréation assistée par transfert dans les trompes d'un embryon fécondé in vitro)

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