AUDITION DE MLLE OLIVIA JEAN,
PRÉSIDENTE DE LA FIDL

(17 MARS 1999)

(Mlle Olivia JEAN n'a pas déféré
à la convocation de la commission d'enquête)

AUDITION DE M. CHRISTIAN SAUTTER,
SECRÉTAIRE D'ETAT AU BUDGET

(24 MARS 1999)

Présidence de M. Adrien GOUTEYRON, Président

Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Christian Sautter.

M. Adrien Gouteyron, président - Monsieur le ministre, vous ouvrez une série d'auditions importantes cet après-midi. Je suis heureux de vous accueillir. Vous connaissez les sujets de préoccupation de notre commission d'enquête.

Je vous propose de commencer par un propos introductif qui nous permettra de bien cibler les questions.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Merci, monsieur le Président, messieurs les Sénateurs, je suis à la fois honoré et heureux d'être auditionné par cette commission d'enquête du Sénat.

Je voulais vous remercier de cette occasion de poursuivre et d'approfondir le débat budgétaire que nous avons eu à l'automne dernier sur le budget de l'éducation nationale. Votre approche, qui consiste à évaluer les déterminants et les résultats d'une politique publique, rejoint celle du président de l'Assemblée nationale qui a souhaité que le Parlement joue un rôle accru en matière de contrôle budgétaire.

Vous avez déjà recueilli de très nombreuses informations auprès de fonctionnaires, de personnalités. Vous allez écouter après moi les ministres les plus directement en charge de l'éducation nationale. Je voudrais vous dire, de là où je suis, comme ministre chargé du budget, quelles sont les lignes de force du budget de l'éducation nationale et quelles sont les pistes sur lesquelles il est possible de s'engager pour améliorer la dépense publique. J'insisterai sur la gestion des personnels qui est au coeur de votre enquête.

Les lignes de force du budget de l'éducation nationale peuvent être placées dans un cadre européen ou occidental. La France se situe, en matière de dépenses d'éducation par rapport au P.I.B. (produit intérieur brut), dans la moyenne des pays de l'OCDE, tous enseignements confondus. Les dernières données de l'OCDE remontent à 1994. La dépense d'éducation était à 6,2 % du P.I.B. (produit intérieur brut) à comparer à une moyenne de 5,9 %. Mais il y a des différences selon les niveaux d'enseignement.

D'après ces comparaisons internationales sommaires, nous sommes dans la moyenne pour l'enseignement primaire, plutôt économes, c'est-à-dire que nous dépensons plutôt moins pour l'enseignement supérieur, même si les chiffres se rapprochent. Ce qui caractérise l'enseignement secondaire, d'après une comparaison internationale assez grossière, c'est qu'il est de 35 % environ plus coûteux que la moyenne des pays de l'Union européenne.

Les grands chiffres, vous les connaissez : la dépense intérieure d'éducation a atteint 592 milliards de francs en 1997. Cela représente un peu plus de 10.100 francs par habitant et 35.700 francs par élève ou étudiant. Si on se réfère à 1975, cette dépense progresse plus vite que la richesse nationale. En 22 ans, elle a été multipliée par 1,8, abstraction faite de la hausse des prix.

Dans cette dépense de l'éducation nationale, la dépense de personnels représente l'essentiel ; 94 % du budget de l'enseignement scolaire. En 1980, c'était "seulement" 87 %. Depuis, deux événements sont intervenus sur lesquels je passerai rapidement : d'une part, les lois de décentralisation de 1983 ont transféré la compétence de la construction, de la reconstruction, de l'extension, des grosses réparations et du fonctionnement des établissements scolaires à diverses collectivités locales.

Ce sont autant de dépenses en moins directement pour l'Etat, même s'il y a une compensation, aussi bien pour le fonctionnement que pour l'équipement, par la dotation globale de décentralisation ou par des dotations départementales d'équipement des collèges ou la dotation régionale d'équipement scolaire pour les lycées.

D'autre part, un certain nombre de dépenses d'accompagnement social sont montées en charge. Je rappellerai le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire remontant à l'été 1997, la création du fonds social des cantines et le retour de la gestion des bourses de collèges au sein des établissements scolaires.

L'important est de constater que le budget de l'éducation nationale est avant tout un budget de personnels.

Dans le budget 1999 que vous avez examiné, il y a coïncidence quasi parfaite entre la progression du budget de l'éducation nationale (4,3 %) et la progression de la masse salariale de l'éducation nationale (4,1 %).

Ce budget de personnels est étroitement conditionné par les règles posées en matière de fonction publique. Il y a 830.619 enseignants et 238.945 retraités, soit plus d'un million de personnes qui drainent un budget comprenant une première masse de 221 milliards de francs pour les salaires et les charges sociales des actifs, et une seconde masse de 58 milliards de francs pour les dépenses de pensions de retraites.

Ces dépenses sont influencées par trois déterminants généraux :

- l'évaluation du point de la fonction publique. Pour donner une illustration, 1 % d'augmentation du point représente 2,2 milliards de francs de dépenses supplémentaires sur les dépenses salariales hors pensions ;

- le glissement vieillesse technicité (GVT), qui, pour le budget 1999, représente une progression de 2,2 milliards de francs ;

- enfin, phénomène général, démographique : la montée en charge des pensions. Ces pensions des retraités de l'éducation nationale seront multipliées par 2 entre 1998, (53 milliards de francs), et l'année 2010, (108 milliards de francs.)

Il s'agit là des déterminants généraux de la fonction publique. Des mesures catégorielles, c'est-à-dire des plans de revalorisation de carrière des enseignants, ont été mises en oeuvre pour redonner aux enseignants la place que mérite la mission très importante qu'ils exercent.

Pour poser des ordres de grandeur, le coût des divers protocoles terme officiel des plans catégoriels peut être évalué à 30,6 milliards de francs sur la période de 1990 à 1999. C'est l'équivalent de 11 % de la masse salariale. Cette revalorisation représente en moyenne 33.600 francs par emploi d'enseignant.

Ces mesures catégorielles se succèdent depuis plusieurs années. Dans le budget 1999, trois d'entre elles sont importantes : la première est l'accélération de l'intégration des instituteurs dans le corps des professeurs d'école, accélérée pour s'achever en 2007 au lieu de 2011 ; la deuxième est l'amélioration de la pyramide des grades d'enseignants du second degré ; la troisième est l'extension et la refonte de la carte des zones d'éducation prioritaire (ZEP).

Les dépenses de personnels de l'éducation nationale ont une très forte inertie et sont, pour l'essentiel, programmées, soit par des mesures générales concernant la fonction publique, soit par des plans catégoriels qui s'étalent sur plusieurs années. Reste un instrument possible sur lequel il serait possible de jouer : celui des effectifs.

Je dépasse le constat pour voir quelles pourraient être les voies d'amélioration de la gestion du budget de l'éducation nationale, particulièrement concernant les effectifs.

S'agissant de l'éducation nationale, et comme pour toutes les politiques publiques, on peut se poser la question de savoir si les moyens sont adaptés aux objectifs visés. Dans les débats budgétaires, et a fortiori dans le prochain, j'insiste avec mes collègues, y compris de l'éducation nationale, pour qu'ils définissent, non seulement les moyens nécessaires pour poursuivre leur action, mais aussi les indicateurs de résultats à atteindre.

En termes de résultats, les bilans dressés régulièrement dans " l'état de l'école " montrent que, pour un niveau scolaire donné, ces résultats restent sensiblement constants. On peut donc constater un formidable progrès du niveau d'éducation dans notre pays, résultant pour l'essentiel de la prolongation de la scolarité, et donc d'une population accrue de collégiens et de lycéens qui poursuivent des études longues.

Le bilan est donc globalement bon malgré un certain nombre de taches d'ombre que vous connaissez : le constat, en 1997, qu'à l'entrée en 6 ème , un élève sur dix n'avait pas toutes les compétences de base en écriture, lecture et calcul et que, chaque année, 60.000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification.

Il y a donc eu un formidable progrès quantitatif des effectifs qui s'explique en partie par la démographie, mais aussi par cette volonté nationale d'allonger la scolarisation des enfants et des adolescents. Le budget de l'éducation nationale a suivi puisqu'il a progressé de 54 % en franc constant depuis l'année 1980.

Le défi de la quantité a été surmonté brillamment puisqu'il n'y a pas eu de baisse, niveau par niveau, mais il reste encore à améliorer la qualité, dont mon collègue Claude Allègre et ma collègue Ségolène Royal vous parleront en détail. D'autant que l'on demande à l'école, non seulement d'apprendre à lire, écrire et compter, mais qu'il y a des exigences en matière d'aménagement du territoire -auquel le Sénat est particulièrement sensible- en matière de prévention de la délinquance, d'insertion sociale des jeunes en difficulté, de prévention des exclusions. Les défis qualitatifs que l'école doit rencontrer sont donc multiples.

Afin de garder le plus de temps possible pour vos questions, j'énumère rapidement trois pistes pour essayer de progresser :

- mieux s'adapter aux évolutions démographiques ;

- améliorer la gestion ;

- procéder à des réformes pédagogiques.

Concernant la démographie, les tendances apparaissent clairement : en 2002, le système éducatif, dans son ensemble, tous niveaux confondus, accueillera 740.000 élèves, c'est-à-dire 100.000 de moins que ceux présents à la fin des années 60. Les générations se suivent, mais sont moins amples.

Pour le premier degré, enseignement public et privé confondus, le nombre d'élèves a baissé en métropole de 300.000 entre 1985 et 1997. La baisse devrait être de 220.000 élèves entre 1997 et 2001. Il y a donc une diminution des effectifs à scolariser. Dans le second degré, les spécialistes anticipent une baisse de 330.000 enfants ou adolescents à scolariser.

Jusqu'à présent, les gouvernements, quels qu'ils soient, n'ont pas voulu tirer de conséquences mécaniques de cette baisse des effectifs. Pourquoi ? Parce que le système éducatif est complexe. Pour en tenir compte, il y a bien d'autres considérations que la démographie : l'allongement de la scolarité ; l'entrée, presque systématique, de la scolarisation à deux ans en maternelle ; enfin, des considérations géographiques très importantes ont joué.

Si l'on trouve dans le premier degré un enseignant pour vingt élèves en zone urbaine, on en trouve un pour seize en zone rurale. En Lozère, département particulièrement touché par la démographie, on a un enseignant, un instituteur pour onze élèves. Il n'y a pas à porter de jugement moral sur ce point.

Certains peuvent trouver que l'adaptation est lente, d'autres, comme le sénateur Delong, dans son rapport de la commission des finances du Sénat sur le budget de 1999, se réjouissait que 400 classes, qui auraient dû être fermées, aient été maintenues.

Je ne veux pas prendre partie dans ce débat. C'est un choix éminemment politique qui appartient au Gouvernement et au Parlement. L'important, en termes de méthode, est que l'on sorte des discussions annuelles des budgets et des effectifs et que l'on adopte une vision pluriannuelle. C'est dans ce sens que je cherche à travailler avec mes deux collègues de l'éducation nationale. Il faut donc plus de cohérence dans le temps pour éviter les à-coups. Il faut aussi, en cours d'année -car on a besoin des enseignants à la rentrée de septembre-, avoir plus de cohérence entre les décisions budgétaires qui se font en année calendaire, les ouvertures de postes, la carte scolaire. Tout cela mérite d'être mieux géré, ne serait-ce que pour éviter des surnombres temporaires ; après les mesures d'urgences qui ont été prises, ils peuvent s'imposer par exemple en Seine-Saint-Denis, mais il faut essayer de les éviter.

Après cette approche pluriannuelle qui permet de mettre la gestion des effectifs en perspective, je voudrais souligner l'amélioration de la gestion du système éducatif et rendre hommage aux mesures prises par Claude Allègre et Ségolène Royal pour l'amélioration du fonctionnement de notre système éducatif : la déconcentration du mouvement national des enseignants, l'adaptation des structures du ministère, la réforme du remplacement et de la formation. Tout cela est très important, permet de gérer plus près du terrain et avec davantage d'économies et de moyens, les effectifs importants, mais pas infinis, que gère le ministère de l'éducation nationale.

Le dernier point est la question des réformes pédagogiques. Pourquoi un ministre en charge du budget se soucie-t-il de réformes pédagogiques ? Il peut le faire en tant que citoyen ou parent. Pourquoi en tant que ministre ? Parce qu'il y a un lien entre la multiplicité des filières, des options proposées, la faible polyvalence de notre système éducatif et le fait que notre enseignement secondaire coûte en moyenne 35 % de plus que chez nos voisins européens.

Il y a chez nous une sorte de paradoxe sur lequel vous vous êtes déjà penchés : une proportion relativement élevée d'élèves par classe avec 29 élèves par classe dans les lycées généraux et un taux d'encadrement très élevé avec, en métropole, un enseignant pour 11,8 élèves. D'une part, il y a beaucoup d'élèves dans chaque classe et d'autre part, il y a beaucoup d'enseignants par élève. La réponse tient à la très grande diversité des options offertes et dont certaines d'entre elles n'ont pas les effectifs suffisants pour mobiliser complètement les enseignants correspondants.

Pour conclure, je pense que la réforme des lycées présentée par Claude Allègre, « Un lycée pour le XXIe siècle », mettant l'accent sur le savoir de base, sur le soutien individualisé par petits groupes dès la seconde ou par des travaux personnels encadrés en première et en terminale, correspond à la fois aux besoins des élèves et à un appui particulier, une sorte de discrimination positive à l'égard des enfants qui ont le plus de difficultés ou qui, ayant des difficultés, n'ont pas la possibilité de se faire payer des "petits cours".

Cette réforme proposée par Claude Allègre va dans le sens d'une plus grande démocratisation et d'une meilleure égalité des chances au lycée. Elle peut contenir une certaine amorce de rationalisation de notre dispositif éducatif.

Dans l'enseignement du premier degré, les contraintes d'aménagement du territoire sont très fortes. Je sais que vous y êtes particulièrement sensibles. En conclusion, il est facile de souligner certains manques concernant l'éducation nationale. Certains peuvent avoir la tentation, non pas au sein du Gouvernement mais au sein de l'opinion publique, d'ajouter toujours des moyens supplémentaires pour remplir des missions nouvelles. C'est la voie du "dépenser plus" qui conduit à terme à une redondance, voire à un gaspillage de moyens.

La vraie réponse, qui est celle du Gouvernement et de l'ensemble des ministres, est de faire en sorte d'adapter le dispositif éducatif et de trouver le moyen de remplir les missions prioritaires en redéployant les moyens vers ces missions prioritaires. Nous avons la chance d'avoir des effectifs nombreux d'enseignants de grande qualité, très motivés. Il est de l'intérêt du pays, de l'intérêt des enseignants, de l'intérêt des élèves, de chercher à ce que ces personnels soient utilisés le mieux possible. La volonté de dépenser mieux rejoint une aspiration collective des contribuables, des parents d'élèves et des enseignants.

M. le Président - Dépenser mieux, c'est bien l'esprit dans lequel a été constituée notre commission d'enquête.

Je voudrais vous poser une question très générale. J'ai bien relevé les trois lignes d'actions que vous avez énumérées : s'adapter à la démographie, améliorer la gestion et réformer.

Dans votre esprit, monsieur le ministre, vous qui êtes responsable du budget, pensez-vous que l'on puisse réformer à moyens constants ? Après tout, la démographie évoluant substantiellement à la baisse, les marges dégagées doivent permettre de réformer.

Pensez-vous que pour réformer, il faut ajouter des moyens supplémentaires ou pensez-vous que l'on peut réformer tout en tenant compte, dans l'attribution des moyens par le Parlement au service de l'éducation nationale, de l'évolution démographique ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Vous posez la question essentielle. Peut-on réformer à moyens constants ? Ma réponse est oui. Pour ceux qui ont participé au débat budgétaire, pas seulement pour le budget de l'éducation nationale mais pour l'ensemble du budget de l'Etat, nous avons redéployé 30 milliards de francs de budgets moins prioritaires vers des budgets prioritaires.

A l'intérieur de chaque budget, il est possible de redéployer des moyens sans trop brusquer les choses. En matière de personnels, les départs à la retraite correspondent à 2 ou 3 % de la population des enseignants. Vous n'êtes pas systématiquement obligés de renouveler sur place les personnels qui partent à la retraite. En outre, les enseignants, comme tous les autres fonctionnaires, ont des aspirations à la mobilité. Il est donc possible de pourvoir des zones prioritaires ; cela a été le cas pour la Seine-Saint-Denis.

Dans un premier temps, il faut des surnombres, car les enseignants se déplacent au rythme des fins d'année scolaire, mais on va peu à peu ramener ces mouvements dans le mouvement normal. Il y a donc des possibilités de réformer à moyens constants.

Il est clair que, dans le cadre de l'éducation nationale, la politique du Gouvernement, qui a été de stabiliser les effectifs d'enseignants alors que le nombre d'enfants à scolariser diminuait, a été un choix délibéré. Il s'agissait non pas d'une faiblesse, mais d'une marque de volonté, celle d'améliorer la qualité de l'enseignement en milieu rural, dans les ZEP (zone d'éducation prioritaire), dont le champ a été étendu et dont les moyens ont été renforcés et, d'une façon générale, d'améliorer la qualité de l'enseignement sur l'ensemble du territoire.

Je crois donc que l'on peut réformer à moyens constants. Sans ouvrir de polémique, lorsque dans son budget alternatif, la majorité sénatoriale a souhaité couper dans les crédits de l'éducation nationale en pensant qu'il était possible d'assurer la même qualité de service public de l'éducation nationale avec moins de moyens en personnels, je dirai courtoisement que le Gouvernement -dont je fais partie- et la majorité qui le soutient dans le pays depuis juin 1997, n'étaient pas d'accord avec cette approche.

Le pays garde un souvenir cuisant des réductions d'effectifs d'enseignants entre 1993 et 1997. La stabilité des effectifs d'enseignants permet d'améliorer la qualité de l'éducation.

L'éducation, c'est très important. Je n'ai pas fait d'exposé liminaire sur l'importance de l'éducation. Elle est importante pour épanouir la personnalité, pour former les citoyens et préparer aux métiers de demain. On ne peut pas parler de guerre de l'intelligence entre les grands pays occidentaux et ne pas investir massivement dans l'éducation nationale. C'est ce que fait le Gouvernement.

M. le Président - Avant de passer la parole à mes collègues, je rappelle que nous sommes tous là pour poser des questions et non pas pour présenter nos positions respectives.

Monsieur le ministre, je pourrais vous répondre. Je me bornerai à une phrase : en réduisant certains crédits, le Sénat a pris une position indicative pour inciter le Gouvernement à mieux utiliser les crédits dont il dispose. C'est l'objet même de la commission d'enquête.

M. Francis Grignon, rapporteur - Monsieur le ministre, dans vos propos liminaires, vous avez indiqué que les dépenses de l'éducation nationale représentaient 6,2 % du PIB.

Avez-vous intégré toutes les dépenses d'éducation ? Les communes, les conseils généraux, etc. participent aussi bien en personnels qu'en dépenses. Avez-vous pris en compte la dépense globale nationale, au moins de l'argent public, sans parler des dépenses des familles, en direction de l'éducation ?

Vous avez introduit une notion de résultat dans vos approches pluriannuelles. Lorsque vous avez parlé d'objectifs, de moyens, de résultats, j'ai senti une logique d'entreprise dans vos approches. Envisagez-vous d'aller jusqu'aux sanctions, qu'elles soient positives ou négatives, pour compléter la logique du système ?

Dans les trois approches que vous avez présentées, vous avez parlé des réformes pédagogiques qui s'avèrent nécessaires. Or, tout au long de cette enquête, nous avons compris que dès qu'on changeait quelque chose, une heure de cours représentait 1.500 emplois en plus ou en moins, qu'il fallait cinq ans pour mettre en route ces emplois, qu'ensuite il fallait les assumer pendant 50 ans. De quelle réforme s'agit-il ? Il faut être prudent dans ce domaine.

Vous avez parlé de faible polyvalence. Pensez-vous que l'on pourrait réintroduire un corps de PEGC, qui donnerait plus de polyvalences, sachant que cela existe dans d'autres pays ? Exercez-vous un rôle dans le calibrage des concours ?

Pour en revenir à des aspects budgétaires, nous avons constaté des surnombres budgétaires sans que cela crée des difficultés en fin d'année. Les budgets laissent-ils des marges de manoeuvre pour faire face à ces surnombres et aux aléas ?

Enfin, sur les contrôles financiers, nous avons constaté qu'ils étaient faits de manière inégale selon les académies. Deux exemples : à Strasbourg, on peut appréhender chaque mois les surnombres ; à la Réunion, ce contrôle n'a pas encore commencé par manque de moyens. Trouvez-vous cela normal ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Les comparaisons de l'OCDE sont faites avec autant de scrupules que possible. Mais les pays ont des systèmes éducatifs et des financements différents. Le chiffre " franco-français " est de 7,3 % du PIB. Ce chiffre inclut aussi les dépenses des collectivités locales auxquelles vous avez fait allusion.

Par ailleurs -excusez-moi de vous contredire-, mais une démarche objectifs / moyens / résultats n'est pas celle d'une logique d'entreprise : c'est une démarche de bonne gestion. La logique d'entreprise privée serait une logique marchande où l'on vendrait des services avec des profits et des pertes. Je ne me place absolument pas, en ce qui concerne un service public aussi exemplaire que l'éducation nationale, dans cette optique. Ce service public ne vend rien et ne vendra rien, du moins en France. Dans certains pays, on achète de l'éducation ; chez nous, elle est payée par le contribuable et c'est un service offert, sinon gratuitement, du moins à un prix très faible.

Dans cette logique de bonne gestion, cette démarche objectifs / moyens / résultats peut être développée, tant dans l'utilisation des personnels que dans celle des bâtiments. Claude Allègre est très attaché au fait que les bâtiments universitaires ne soient pas fermés pendant les vacances d'été ; ces locaux pourraient être utilisés pour la formation permanente des salariés ou pour l'université du troisième âge. La volonté de bien utiliser les moyens, de mettre en relation des moyens et des résultats me paraît de bonne gestion.

Concernant la réforme, vous insistez sur l'inertie très grande : entre la décision de recruter un professeur et le moment où celui-ci est devant sa classe, il s'écoule un temps assez long. Ensuite, il est recruté avec les garanties du statut de la fonction publique, pour longtemps.

C'est pourquoi la démarche pluriannuelle que j'ai recommandée me semble intéressante : il faut essayer de raisonner en fonction de l'évolution des populations d'élèves, des missions de service public ; il faut essayer de prendre du recul.

Sur la polyvalence, je n'ai pas de commentaire particulier à faire. A ma connaissance, il n'y a pas de réforme statutaire qui soit en cours. Cela dit, notamment dans le premier degré et même dans les collèges, la spécialisation est peut-être forte, voire excessive ici ou là, mais je n'ai pas de commentaire à faire sur ce point.

Concernant les surnombres et les marges de manoeuvre, on peut évaluer -je ne dis pas chiffrer- les surnombres théoriques à la rentrée 1999 à 1050 enseignants dans le premier degré -350 remontent à 1997 et 1998 et 700 viennent de la rentrée précédente- et à 5.450 dans le second degré. Il y a là des à-coups que l'on devrait pouvoir éviter par une approche pluriannuelle. Cela dit, par rapport à des effectifs portant sur près d'un million de personnes et sur plus de 830.000 enseignants, ce volant ne me paraît pas excessif.

Un de mes prédécesseurs avait lancé le contrôle financier déconcentré pour que toutes les dépenses de l'éducation nationale ne soient pas contrôlées à Paris de façon centrale, mais plutôt sur le terrain. Ce contrôle financier déconcentré va peu à peu s'étendre aux emplois. On pourra alors répondre avec plus de précision à votre question. Le contrôle déconcentré des emplois de titulaires et autres sera, je l'espère, opérationnel fin 1999. Cet instrument de gestion fait actuellement défaut.

M. André Vallet, rapporteur adjoint - Monsieur le ministre, j'apprécie vos remarques sur votre vision pluriannuelle du budget de l'éducation nationale. Je suis de ceux qui pensent qu'une présentation des budgets avec cette vision sur plusieurs années serait intéressante.

Vous avez indiqué que vous vouliez sortir des discussions annuelles. Les partenaires sociaux vous permettront-ils de sortir des discussions annuelles ? Vous avez dit que votre point de vue était partagé par les autres ministres qui ont en charge l'éducation nationale. Avez-vous parlé de cette vision pluriannuelle avec vos collègues ministres, et avec les représentants des syndicats enseignants ?

Je reviens sur ce qu'a dit mon collègue Grignon concernant les dépenses d'éducation. J'ai été surpris tout à l'heure, car c'était en contradiction avec ce que j'ai entendu d'autres personnes auditionnées. Nous arrivons très difficilement à savoir les chiffres exacts concernant la participation de notre pays à ses dépenses d'éducation. Vous les chiffrez à 7,3 % du P.I.B. Si tel est le cas, nous serions l'un des pays d'Europe, pour ne pas dire le premier après la Finlande, à consacrer un effort aussi important pour l'éducation. Ai-je raison ? Contestez-vous mon appréciation ?

Sur les ZEP, avez-vous estimé ce qu'elles représentent comme surcoûts ? Si elles n'étaient pas prioritaires, elles coûteraient moins cher sans doute.

M. Claude Allègre a déclaré dimanche dernier qu'il revenait sur l'abaissement de la rémunération des heures supplémentaires.

M. le Président - Année !

M. André Vallet, rapporteur adjoint - Nous avons posé la question hier au ministère de l'éducation nationale ; deux chiffres quelque peu différents sont apparus. Les déclarations de M. Allègre ont-elles été chiffrées ? Sait-on ce que cela va coûter au budget de notre pays ?

D'autre part, la réforme des lycées, telle qu'elle est annoncée, a-t-elle été véritablement bien chiffrée ? Sait-on où l'on va et combien cela va coûter ?

Concernant le pourcentage des élèves qui ne savent ni lire ni écrire à l'entrée en sixième et les 60.000 jeunes qui sortent sans qualification du système éducatif, j'ai entendu d'autres chiffres. Les chiffres publiés par le ministère de la défense font état de 15 %, 18 %, voire même 20 % . A mon avis, la vérité se situe entre 10 et 20 %.

Vous avez évoqué votre position en tant que citoyen. Ne trouvez-vous pas excessif qu'un système éducatif qui coûte autant au pays puisse rejeter autant d'élèves ?

Enfin, j'aimerais que vous indiquiez le coût des emplois-jeunes et ce qu'il représente pour le budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - S'agissant de l'approche pluriannuelle, je crois qu'il faut introduire des éléments pluriannuels dans la gestion de l'éducation nationale. Cela ne veut pas dire que je serais partisan d'une loi de programmation éducative comme il existe une loi de programmation militaire. Mais sur un certain nombre d'actions peut-être pas sur l'ensemble de l'éducation nationale, il serait possible de passer une sorte de contrat en disant que sur telle action particulière, nous allons engager des moyens ayant telles caractéristiques pour atteindre tel ou tel résultat.

M. Xavier Darcos - A ma connaissance, la loi sur le nouveau contrat pour l'école, votée en 1995, contient des documents annexés qui programment des recrutements sur cinq ans. Elle a pour sous-titre : « Loi de programmation » .

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Cette précision est d'importance. Nous avons eu la chance en arrivant en juin 1997 de trouver beaucoup de lois de programmation : une loi de programmation dans le domaine militaire, que l'on exécute scrupuleusement, une dans le domaine de la justice, une dans le domaine de la culture, une dans le domaine de l'éducation. Je crois que trop de lois de programmation tuent la programmation. Il me semble en effet qu'il faut un minimum de souplesse dans la gestion de l'Etat.

Je reviens à ma remarque : une pluriannualité partielle sur des actions bien définies avec les objectifs, les moyens et les résultats, me paraît être une bonne démarche. Les partenaires sociaux seraient-ils favorables à une telle approche ? Tout dépend de l'action. Dans le cadre de la modernisation de l'Etat, Lionel Jospin pousse pour que nous ayons des parties pluriannuelles dans les budgets, mais pas dans tous les budgets, car sinon les assemblées n'auraient plus matière à débattre chaque année.

Les dépenses d'éducation sont dans la moyenne européenne, voire au-dessus de cette moyenne, sauf pour l'enseignement supérieur où l'on dépense moins. Je ne peux pas nous situer par rapport à la Finlande. Pour les lycées, nous dépensons plus. Au total, nous ne sommes pas mal placés. La collectivité nationale a fait un effort budgétaire depuis de longues années pour donner à ses enfants une bonne éducation.

Je peux vous donner un chiffre concernant le surcoût des ZEP. Dans le budget de 1999, les crédits indemnitaires pour les personnels travaillant en ZEP s'élèvent à 740 millions de francs. Je peux vous donner la décomposition ou le transmettre au secrétariat de votre commission.

Enfin, des efforts sont également faits sur les bâtiments, sachant que cela dépend au moins autant des collectivités locales. Cela ne comprend pas les contrats-jeunes. Ce sont des dépenses pures qui portent sur les enseignants.

M. le Président - Vous nous assurez aussi que cela ne comprend pas non plus le coût d'un meilleur encadrement des élèves dans les classes de ZEP. La somme que vous nous indiquez concerne les indemnités versées aux enseignants.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Absolument. Le fait qu'il y ait plus d'éducateurs pour cent élèves qu'ailleurs, n'est pas pris en compte. Je ne peux pas vous faire une évaluation exhaustive pour répondre à votre question.

Sur la réforme des heures supplémentaires année, cette réforme partait de l'idée que les heures supplémentaires étaient antérieurement payées sur une base de 43 semaines alors que l'année scolaire n'en comporte que 36. Une mesure s'est traduite par une réduction du nombre d'heures supplémentaires payées et une majoration du taux de ces heures supplémentaires de 6 %. Cela représente une économie nette de 774 millions de francs en année pleine qui a permis de financer partiellement les emplois-jeunes de l'éducation nationale.

Claude Allègre sera devant vous tout à l'heure. Il a parlé de rétablir le pouvoir d'achat des heures supplémentaires. Un dialogue est en cours ; il sera mieux placé que moi pour vous en parler.

M. le Président - Il nous intéresse de savoir si, avant cette annonce, vous avez été consulté ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Rassurez-vous, le Gouvernement travaille bien. Mes collaborateurs et ceux de Claude Allègre travaillent en permanence en réunion interministérielle sur tous les sujets. Il n'y a pas de décision inopinée.

M. le Président - Vous me confirmez ici qu'une réunion interministérielle a eu lieu avant que le ministre de l'éducation nationale n'ait fait cette annonce ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Sur l'éducation nationale, comme sur beaucoup d'autres sujets, je vous confirme qu'il y a en permanence des réunions interministérielles. Ce sujet a été abordé, comme bien d'autres sujets.

M. le Président - Des conférences téléphoniques.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Nous n'en sommes pas encore à la vidéoconférence.

Concernant les 10 % d'élèves qui ne savent pas lire, écrire, compter, je ne veux pas porter de jugement sur ce point. Il y a une responsabilité de l'éducation nationale, mais aussi des familles. Des enfants qui passent des heures et des heures devant la télévision ne sont pas entraînés à la lecture et à l'expression orale. Nous avons tous une petite responsabilité en la matière, mais les familles les plus fragiles ont-elles plus de responsabilités que d'autres...? Il faut donc apporter un soutien particulier aux familles en difficulté.

Deux coûts concernent les emplois-jeunes : les 80 % qui sont dans le budget général des mesures en faveur de l'emploi et les 20 % qui complètent ces 80 %, car les emplois-jeunes sont payés à 100 % par l'Etat. En 1999, c'est un coût de 1 100 millions de francs qui couvre les 20 % des emplois-jeunes de l'éducation nationale. Si vous le multipliez par 5, vous aurez le coût total pour la collectivité nationale des emplois-jeunes de l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint - Je reviens sur la possibilité de gérer à moyens constants. Votre réponse est oui. N'est-ce pas un voeu pieux ? Cela ne reste-t-il pas au niveau du discours ? J'en veux pour preuve la dernière décision du ministre qui va dans le sens inverse, d'autant plus que vous venez de nous dire que vous y étiez associé.

Quel est le coût global moyen d'un enseignant sur l'ensemble de sa carrière, c'est-à-dire lorsqu'il est en fonction et au moment de la retraite ? Nous avons une estimation de 10.000 surnombres ; si l'on multiplie sur l'ensemble d'une carrière, je pense que ce n'est pas neutre.

Concernant le contrôle des emplois qui se met en place, sans doute nécessaire pour ne pas dire indispensable, cela ne va-t-il pas rigidifier davantage un système qui manque déjà sérieusement de souplesse ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Sur les moyens constants, ce précepte que j'ai énoncé ne s'applique pas à toutes les décisions. Attendez que nous ayons l'occasion de débattre du budget pour l'an 2000 en ce qui concerne l'éducation nationale pour, peut-être, aborder le sujet dans son ensemble.

Je ne veux pas entrer dans l'idée du coût global d'un enseignant sur sa carrière ; c'est quasiment le coût global d'une automobile. J'aimerais que l'on parle de l'avantage global d'un enseignant sur toute sa carrière. Les enseignants ont un coût, comme tous les fonctionnaires, mais ils apportent en contrepartie un avantage qui ne peut, lui, être chiffré. Intellectuellement, je ne peux pas dire combien de milliers ou millions de francs représente un enseignant. La question, posée en-dehors de tout contexte, me paraît éluder le fait que les enseignants rapportent beaucoup à la collectivité nationale. Leur apport à la collectivité nationale est encore plus difficile à chiffrer.

Sur le contrôle des emplois, cela ne signifie pas du tout que l'on va rigidifier la gestion des emplois. Cela veut dire que le trésorier payeur général, qui a compétence sur une académie nos académies ont le bon goût de ne pas recouvrir les départements et les régions françaises pourra, avec l'inspecteur d'académie, suivre l'évolution des effectifs. Cela ne limitera en rien la capacité pour les autorités académiques de créer des emplois ou de mettre des emplois là où ils sont les plus nécessaires.

Pour répondre à votre question, je ne pense pas que la transparence soit source de rigidité ; elle est au contraire une source de bonne gestion à laquelle nous avons tous à gagner.

M. le Président - Avant de donner la parole à Mme Luc, nous avons besoin de creuser la question posée par M. Carle. Vous avez dit que vous ne pouviez pas estimer le coût d'un enseignant.

C'est difficile à faire, mais lorsque vous faites vos prévisions budgétaires, vous les faites à partir du coût moyen d'un enseignant, en calculant ce prix moyen à partir de l'indice le plus bas ou le plus haut et en tenant compte de la pyramide d'âge de chacun des corps.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Je suis capable, et nous le sommes tous, de prendre la masse salariale de l'éducation nationale et de diviser par le nombre d'enseignants pour obtenir le coût moyen par enseignant.

Mais la question de M. Carle allait plus loin : il ne voulait pas savoir ce que « coûte » un enseignant en 1999, mais quelle est la dépense totale faite sur toute sa carrière. Cela suppose que l'on imagine des profils de carrière. Votre question, qui est très intéressante, est techniquement très pointue, ce qui ne me surprend pas.

Mme Hélène Luc - Pour compléter la question sur les heures supplémentaires, M. Allègre a dit qu'il compenserait le pouvoir d'achat sur les heures supplémentaires. Cela veut-il dire que l'on calculera les augmentations de prix depuis qu'elles ont été supprimées et qu'on les remettra à hauteur ?

Ma seconde question s'adresse aussi bien au ministre de l'éducation nationale qu'à vous-même. Estimez-vous que l'éducation nationale dispose de moyens suffisants pour faire face à ses nouvelles missions ?

Personnellement, je n'ai pas voté le budget. Je me suis abstenue parce que je pensais qu'il n'y avait pas assez de crédits. Les événements me donnent plutôt raison.

J'ai des exemples où l'on ferme une classe dans une école parce qu'il manque deux élèves ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte. Je pense que ce n'est pas ainsi que l'on ira vers la qualité.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Sur les heures supplémentaires, vous pourrez interroger Claude Allègre qui sera bientôt présent ici même. Claude Allègre est en cours de débat avec les partenaires sociaux de l'éducation nationale sur cette question.

Pour un certain nombre d'enseignants, la réduction des heures supplémentaires est justifiée, puisqu'on peut difficilement verser des heures supplémentaires pour des semaines où il n'y a pas de travail. Il a pu y avoir une discontinuité de pouvoir d'achat pour un certain nombre d'enseignants. Claude Allègre débat actuellement avec les partenaires sociaux. Je ne peux pas vous en donner le résultat. Il n'est pas question de revenir sur l'ensemble de la mesure qui a été prise dans le cadre du budget 1999. Le débat n'étant pas terminé, je ne peux en dire plus aujourd'hui.

Peut-on garder la qualité de l'enseignement avec le budget actuel ? Je pense que oui. Si nous avions une logique comptable Claude Allègre, Ségolène Royale, le Premier ministre, tout le Gouvernement, refusent cette logique comptable nous aurions dû réduire les effectifs d'enseignants du premier degré afin de garder un nombre constant d'enseignants par élève, la diminution du nombre d'élèves étant patente.

Or, la décision inverse a été prise : stabiliser les effectifs d'enseignants du premier degré. Cela veut dire très mécaniquement qu'il y aura soit moins d'élèves par classe, soit plus d'enseignants pour 100 élèves. La difficulté est que tout le territoire national n'est pas semblable ; il y a des communes, des départements où le nombre d'enfants croît et où il faut mettre davantage d'enseignants, et des communes où le nombre d'élèves diminue, même si, grâce à cette volonté de stabiliser les effectifs dans leur ensemble, il est normal qu'il y ait quelques mouvements d'enseignants au niveau du département, de la région ou de la nation.

Entre la rentrée 1999, qui se fera à moyens constants d'enseignants, les rentrées de 1996 ou 1997, qui se faisaient avec des moyens en réduction, aucune comparaison n'est possible. Il peut y avoir des difficultés ponctuelles ici ou là. Les inspecteurs d'académies ont pour mission de discuter sur le terrain avec tous les intéressés. Les décisions doivent être expliquées. Nous avons le temps, d'ici la rentrée, de prendre de bonnes décisions et de les justifier.

M. le Président - Monsieur le ministre, je voudrais vous poser trois questions.

En regardant la rentrée dernière, de mémoire 3.300 postes ont été créés pour le second degré. Pouvez-vous nous dire si ces créations correspondent à l'application du principe que vous avez énoncé tout à l'heure en répondant en ma question : « On peut réformer à moyens constants » ? A quelle nécessité correspondent ces 3.300 postes ? Sous-question : s'agit-il de moyens « frais » ou compensés par des suppressions ici ou là ?

A la rentrée 1997, le ministre de l'éducation nationale a annoncé le maintien en fonction de quelque 27.000 maîtres auxiliaires je ne porte pas de jugement de valeur sur la mesure dont les effets budgétaires sont évidents. Avez-vous été consulté et qu'en pensez-vous ?

Un certain nombre d'enseignants, payés sur le budget de l'éducation nationale, ne sont pas devant une classe. Ils sont mis à disposition de tel ou tel organisme ou déchargés pour telle ou telle raison correspondant à des textes réglementaires.

Il est quelque peu frustrant pour le Parlement de ne pas en connaître le nombre exact et de ne pas avoir le point chaque année. Un document annexe au document budgétaire que nous examinons, pourrait-il faire apparaître ce nombre ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Dans le projet de loi de finances 1999, vous avez raison de dire que 3300 emplois de personnels ont été créés dans le second degré. J'y ajouterai 216 personnels ATOS et 400 emplois de personnels de santé. Dans ces 3300 personnels du second degré, il y a 3050 enseignants et 250 conseillers principaux d'éducation. Si on ajoute toutes ces créations de postes budgétaires, cela fait 3916 emplois budgétaires supplémentaires, gagés par la suppression d'autant de postes. L'éducation nationale a supprimé 3300 postes de maîtres d'internats et de surveillants d'externats qui sont payés sur des crédits. On a également supprimé un certain nombre d'autres enseignants.

Il peut donc y avoir des créations de postes d'enseignants "gagées" par des suppressions d'autres postes. Concernant les maîtres auxiliaires...

M. le Président - Je n'ai pas bien compris. Je ne se suis peut-être pas habitué aux manipulations budgétaires. Vous nous dites que ces 3300 postes ont été gagés par des suppressions de postes de maîtres d'internats, surveillants d'externats qu'il a bien fallu continuer de payer, et ce sur des crédits. Cela veut donc dire qu'ils ont quand même été payés. Par conséquent, il y a bien eu une dépense supplémentaire ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Vous ne vous trompez évidemment pas.

M. le Président - Toutes ces manipulations sont compliquées.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Ce ne sont pas des manipulations. Nous avons effectivement gardé un nombre constant de postes budgétaires. Nous avons jugé que les maîtres d'internats et les surveillants d'externats n'avaient pas vocation à occuper des postes permanents. Nous les avons payés sur les crédits de vacataires en quelque sorte.

M. le Président - Je n'ai pas cherché à porter de jugement. Je cherchais à comprendre le mécanisme.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - C'est à mon tour de ne pas avoir bien compris votre question sur les 27.000 maîtres auxiliaires de 1997.

M. le Président - Maintenus en fonction.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Est-ce avant ou après juin 1997 ou au budget 1997 ?

M. le Président - L'annonce a été faite à la rentrée 1997. Socialement, cette mesure est très importante. Comment cela se passe-t-il entre le ministre de l'éducation nationale qui annonce la mesure et le ministre responsable du budget ? Les effets budgétaires de cette mesure sont importants.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Je comprends mieux votre question. A notre arrivée en juin 1997, nous avons décidé de réemployer en 1997 les maîtres auxiliaires qui avaient été embauchés antérieurement pour une période courte. Cette décision a été prise parce qu'il s'agissait de personnels en situation de précarité et également parce que ces maîtres auxiliaires jouaient, pour la rentrée 1997, un rôle important. Je ne sais pas ce que Mme Hélène Luc en aurait pensé, mais on ne pouvait pas retirer d'un coup 27.000 maîtres auxiliaires. Nous les avons donc maintenus. Grâce à cela, la rentrée 1997 s'est bien passée ainsi que la rentrée 1998. J'espère, avec vous tous, que celle de 1999, dans nos campagnes, nos banlieues et nos villes, se passera bien également.

Ces maîtres auxiliaires ne restent pas maîtres auxiliaires éternellement. Ils se présentent à des concours de titularisation. Les meilleurs d'entre eux seront titularisés dans l'éducation nationale. Ils passent des concours sur des postes ouverts. Ils viennent ensuite se réinsérer dans l'éducation nationale sur des postes existants au fur et à mesure que les titulaires partent à la retraite.

Concernant les décharges d'enseignement, je n'ai pas de chiffres.

M. le Président - Il y a aussi les mises à disposition, etc. Je n'ai pas de chiffres non plus.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - J'ai entendu des chiffres, mais je ne veux pas les citer. Un certain nombre de directeurs d'écoles sont déchargés d'enseignement. C'est légitime, car dès que l'école a une certaine importance, il faut un responsable de l'école à plein temps. Mais certains enseignants sont également mis à disposition d'associations, de syndicats, d'autres administrations ou font de la coopération internationale. Je n'ai pas de liste exhaustive en la matière.

M. le Président - Vous paraîtrait-il possible, afin d'améliorer le travail du Parlement et sa connaissance du budget, qu'un document annexe fasse apparaître le nombre de ces emplois, ou le nombre de ces heures d'enseignement ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - J'ai le souvenir d'avoir vu le chiffre dans des documents budgétaires ou de la Cour des comptes. A priori, rien ne s'oppose à ce que cela figure en annexe d'un document budgétaire.

M. le Président - Je ne l'ai vu nulle part. Peut-être suis-je mal informé ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Si la chose est possible, on le fera.

M. Jean-Léonce Dupont, vice-président - On nous a dit, dans les divers entretiens que nous avons eus, qu'il n'y avait pas adéquation entre les emplois votés par le Parlement et la réalité.

On nous a dit également que les rectorats pouvaient décider de la création de certains postes en cours d'année, postes qui n'étaient pas budgétés ; cela donne lieu à certains arbitrages. Pouvez-vous nous parler de la façon dont se passent ces arbitrages et des montants ?

Concernant le problème du premier degré, vous nous dites qu'il ne faut pas tomber dans une approche comptable. Cela me paraît évident. Cela étant, nous irons difficilement avec des diminutions fortes d'élèves sans au moins une certaine adaptation du corps professoral. Cela passe-t-il par une évolution du statut ou du mode de fonctionnement des ressources humaines au sein de l'administration ?

Concernant le second degré, vous dites que nous dépensons 35 % en plus par rapport à la moyenne européenne. C'est un pourcentage important ; vous avez raisonné par rapport au 6,2. Si nous passons au 7,3 des collectivités locales et si nous y ajoutons les 80 % des emplois-jeunes, qui sont dans le budget général, j'imagine que nous allons vers un montant encore plus important.

Dans votre démarche « objectifs-moyens-résultats », comment concrètement, sans modifier le mode de fonctionnement des ressources humaines actuelles, pensez-vous pouvoir y arriver ?

Enfin, vous avez parlé de pluriannualité, vous avez indiqué que nous allions passer de 1998 à 2010 d'un montant de retraites de 53 milliards à 108 milliards. Pensez-vous, là encore, dans cette démarche objectifs / moyens / résultats que cela passe par un aménagement des conditions de départ en retraite des personnels de l'éducation nationale ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Sur la première question, il est un fait que l'on connaît mal les emplois vacants. De fait, il y a sur le terrain, je n'y ai peut-être pas assez insisté une distorsion entre les effectifs budgétaires et les effectifs réels. Cela résulte en partie du fait que l'année scolaire n'est pas l'année calendaire. Il est clair que l'on ne va pas attendre le 1 er janvier pour mettre des professeurs devant les classes.

J'ai poussé à ce que l'on ait une meilleure connaissance en la matière. Le contrôle financier déconcentré devrait permettre aux recteurs et aux inspecteurs d'académies de connaître la situation chez eux, et de faire une synthèse nationale qui n'existe pas.

Sur le premier degré, sur les éventuelles fermetures de classes, ce ne sont pas les enseignants qui résistent le plus. Parfois, ce sont les élus et les familles. Je ne suis pas un pédagogue professionnel, mais il y a un nombre d'élèves minima en deçà duquel la qualité de l'enseignement s'en ressent.

Par le simple jeu des mutations, des départs à la retraite, on pourrait fort bien, dans le premier degré, ajuster progressivement, et de façon très humaine, les effectifs d'enseignants aux effectifs d'élèves. Il faut placer cela dans une perspective plus large et non comptable. Il faut que l'inspecteur d'académie puisse parler avec les élus, avec les familles. Mais je ne pense pas que ce soient les enseignants eux-mêmes qui fassent systématiquement problème sur ce point.

J'ai dit que les lycées coûtaient en moyenne 35 % de plus que la moyenne européenne. Il faut se méfier de ces chiffres ; c'est peut-être parce qu'en France, le lycée va plus loin que dans d'autres pays. Il faudrait faire des comparaisons assez fines. Il est vrai que le système actuel, avec sa profusion de branches d'orientations, d'options, son grand panorama de baccalauréats, est coûteux. Est-ce bien ou mal ? C'est à chacun d'en décider. Cela dit, outre l'aspect budgétaire, la multiplication des options pose aussi une question qui dépasse de loin les questions budgétaires.

Sur les retraites, je vous ai indiqué un chiffre. Les retraites montrent que les enseignants sont une partie de la question des retraites de la fonction publique. Le commissaire au plan, M. Charpin, remet son rapport qui couvre l'ensemble des retraites du secteur privé et public. L'éducation nationale constitue un contingent particulièrement important des fonctionnaires. Il n'y a pas le problème particulier des retraités de l'éducation nationale, mais une question vaste qui est de maintenir les systèmes de retraites par répartition et de la fonction publique pour l'ensemble des fonctionnaires et des salariés du secteur privé. Telle est la réponse que je peux vous donner à ce stade.

M. Xavier Darcos - Nous avons fait une observation au cours de nos enquêtes. Dans les dernières années, quasi systématiquement, il y a eu presque tous les ans un plan de titularisation à moyen terme des auxiliaires, soit par intégration, soit par engagement de l'Etat.

A la dernière rentrée, les 27.000 maîtres auxiliaires ont reçu la promesse de rester dans le système, et non pas d'être titularisés dans tel ou tel corps. On leur a simplement dit qu'on les gardait. Dans le même temps, des concours pour les titulariser ont été mis en place (concours internes, concours réservés etc.).

Nous avons observé, au moment même où ce dispositif lourd se met en place, que des maîtres auxiliaires, que l'on appelle contractuels, sont recrutés, pour compenser parfois des enseignants absents dans certaines disciplines. Dans le même temps, d'autres enseignants, parce qu'ils sont en excédent, ne travaillent pas du tout. Nous avons également observé, dans de nombreux rectorats et établissements, des professeurs en surnombre.

Le ministre du budget peut sans aucun doute comprendre notre question et nous répondre : sur quels crédits sont payés ces personnes recrutées soit comme contractuels ex-maîtres auxiliaires soit en surnombre ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Les maîtres auxiliaires sont titularisés. Je peux vous donner les chiffres. Durant l'année calendaire 1997, 6.323 maîtres auxiliaires ont été titularisés, 5.524 en 1998, 5.159 en1999. A un rythme de 5 à 6.000, on devrait résorber rapidement un effectif de maîtres auxiliaires de 27.000.

Il peut y avoir ici ou là -c'est la transparence dont on parlait tout à l'heure- la tentation ou la pratique de recruter des contractuels. Je crois très sincèrement qu'il faut titulariser ces maîtres auxiliaires par concours. Je vous ai indiqué des chiffres qui marquent un rythme soutenu de titularisation. Il faut ensuite parvenir, par la concertation, à une gestion suffisamment souple des effectifs des enseignants pour qu'il y ait adéquation, même en cas d'ajustement. Le nombre d'élèves, de collégiens, de lycéens diminuant, nous devrions arriver à couvrir les moyens plus facilement que par le passé, sauf désaccord ponctuel.

Je ne peux que renouveler le souhait d'avoir une meilleure connaissance des effectifs de l'éducation nationale (effectifs de titulaires, postes vacants, contractuels) et que nous prenions un peu d'avance, un peu de recul, de façon qu'une gestion pluriannuelle évite ces évolutions en dents de scie que vous avez signalées.

M. Francis Grignon, rapporteur - Pour revenir sur le strict contrôle financier et budgétaire déconcentré, vous n'avez pas tout à fait répondu. Le système n'est pas avancé de la même manière sur l'ensemble du territoire, non pas au niveau des rectorats, mais au niveau des TPG. Vous avez dit que ce serait au clair fin 1999. Y mettez-vous les moyens pour faire avancer tout cela ?

J'irai plus loin : on s'aperçoit que le recteur embauche et que le TPG fait une simulation en novembre, voit si cela fonctionne. Dans le fond, ça marche. Ce n'est pas à ce rythme-là qu'on supprimera les surnombres. Y aura-t-il un jour un visa du TPG à l'embauche qui permettra de vérifier en amont qu'on ne crée pas des emplois qui ne sont pas prévus au budget ?

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat - Le contrôle financier déconcentré a été mis en place il y a quatre ou cinq ans et a d'abord porté sur ce qui était plus facile, à savoir les dépenses.

On a commencé par deux régions pilotes : Champagne-Ardennes et Aquitaine. Peu à peu, le contrôle financier déconcentré des dépenses, hors personnels, s'est mis en place. Le passage à l'étape personnels prend du temps. La décision de mettre en oeuvre le contrôle financier déconcentré des emplois de l'éducation nationale a été prise en janvier 1997. C'est une lourde machine qui suppose des moyens et qui suppose aussi une bonne volonté réciproque. Je vous annonce que je souhaite vivement que ce contrôle financier déconcentré des emplois de l'éducation nationale soit mis en place d'ici la fin de l'année 1999.

Quel est le but visé ? Alors que le système central porte sur des enveloppes de moyens budgétaires, il s'agit de descendre sur le terrain, avec un raisonnement en termes d'emplois fonctionnels on passe d'enveloppes à des emplois précis pour améliorer la comptabilité contradictoire entre le ministère dépensier qu'est l'éducation nationale et le représentant du ministère du budget, pour recentrer le visa préalable dont vous avez parlé en fonction des enjeux. Il est clair que l'on ne va pas demander le visa du TPG pour tout recrutement d'une personne sur une semaine. L'un d'entre vous a parlé de rigidité. Il faudra faire cela avec souplesse. Mais il peut se trouver que, ici ou là, des surnombres soient vraiment abusifs. Il y aura au minimum un dialogue.

Nous n'avons pas encore défini les modalités de ce visa préalable, mais nous allons dans la bonne direction. Aurons-nous tout bouclé d'ici la fin 1999 ? Je le souhaite, mais c'est ce qui est le plus difficile à faire en matière de contrôle financier. Tout le monde y travaille, et cette tâche qui aurait dû être entreprise depuis longtemps doit vraiment être menée à terme maintenant. Si votre commission peut aider à ce que cela progresse, ce sera une raison de plus de vous être reconnaissants.

M. le Président - Nous vous sommes reconnaissants de vous être prêté de bonne grâce à nos questions.