AUDITION DE MME SÉGOLÈNE ROYAL,
MINISTRE DÉLÉGUÉE CHARGÉE DE L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE

(24 MARS 1999)

Le président lit la note sur le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Ségolène Royal.

M. Adrien Gouteyron, président - Vous avez la parole pour un exposé avant que nous vous posions des questions

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée - Monsieur le président, madame et messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'occasion que vous me donnez de dire mon point de vue sur l'enquête que vous avez décidée de mener qui couvre un sujet très intéressant. L'ensemble des responsables des services, et donc des deniers publics sont amenés, à chaque fois qu'ils ont une décision à prendre, à se poser la question que vous avez décidé d'examiner : « Y a-t-il adéquation entre les moyens humains mis en oeuvre par le service public de l'éducation nationale et les objectifs pédagogiques ? » .

Je me limiterai à quelques éléments d'introduction pour laisser une place importante aux questions. La question sous-jacente est en fait de savoir s'il y a des gaspillages dans le système scolaire.

Le nombre d'élèves entre bien dans la vision budgétaire des choses. Dès qu'il y a arbitrage budgétaire, c'est le premier critère qui est avancé par les services qui ont la charge de la bonne utilisation des deniers publics. Cette baisse d'élèves touche le premier degré. Nous reviendrons sur la façon dont nous gérons ces moyens au niveau du premier degré lors des questions.

Le Gouvernement a fait le choix du maintien de ces moyens pour la troisième rentrée scolaire dont j'ai la charge. Je le constate sur le territoire. Il l'a fait en observant qu'un certain nombre de besoins n'étaient pas encore couverts. Mais ce maintien des moyens n'exclut pas la nécessité d'une réorganisation que nous avons engagée avec Claude Allègre dès 1997. Tout ce que le Sénat pourra nous dire sur ce sujet afin de nous aider à poursuivre cette réorganisation sera bienvenu.

La préoccupation de fond dans l'organisation des moyens et l'adéquation par rapport aux besoins scolaires non couverts constatés sur le territoire, est de savoir comment nous articulons les missions du système scolaire avec les programmes scolaires, les méthodes pédagogiques et la formation des enseignants.

C'est sans doute parce qu'il est difficile aujourd'hui de définir les objectifs et leur adéquation de ces quatre pôles sur lesquels repose le système scolaire que le système scolaire est en interrogation ; certains disent en crise.

Si la crise est salutaire par rapport à ces questions fondamentales qui interrogent la société entière et si nous pouvons sortir de ces interrogations en allant de l'avant, en mettant de la cohérence dans la définition des missions de l'école par rapport au contenu des programmes, à la définition des méthodes pédagogiques et à la formation des maîtres, nous ferons progresser le système scolaire.

Un exemple pour illustrer ce propos : aujourd'hui la mission de l'école reste toujours de transmettre des savoirs, mais nous savons que nous accueillons des élèves de plus en plus hétérogènes, de plus en plus diversifiés. La gestion de la diversité des élèves, tant au sein de la classe que de l'établissement scolaire, est une interrogation fondamentale dans le cadre de la bonne répartition des moyens et de la préparation de la carte scolaire du premier degré.

Je ressens la même question fondamentale au niveau du débat sur les collèges aujourd'hui, et en préparant les états généraux de la lecture et des langages qui auront lieu à Nantes au début du mois de mai. Je cite ces trois chantiers de fond car les questions soulevées se résument aux trois questions essentielles suivantes :

- Comment gère-t-on la diversité des élèves ? Comment l'école de la République apporte-t-elle à chacun, en fonction de ce qu'il est et de ce vers quoi on veut l'élever, tout en restant fidèle à sa mission de transmettre un savoir homogène, égal pour tous ? Quel équilibre retrouve-t-on ?

- Comment doit évoluer le métier par rapport à ce défi nouveau de plus en plus prégnant puisque l'école accueille de plus en plus tous  les élèves ? Elle a réussi ce défi de la massification.

- Comment aller de l'avant sur l'interdisciplinarité ?

Une prise de conscience très forte aujourd'hui explique sans doute une partie du malaise enseignant. Nous avons à faire l'interaction entre une matière et des élèves. Dans le monde que nous préparons, c'est l'interdisciplinarité qui doit aller de l'avant pour permettre aux élèves de se situer dans le monde dans lequel ils vivent, d'appréhender le futur, et surtout d'apprendre à apprendre toute la vie.

Je reviens aux questions plus techniques déjà évoquées : des évolutions démographiques réelles qui ne sont pas contestables. D'autres que moi vous l'ont dit. Plus de 200.000 élèves en moins depuis 1992-1993 dans le premier degré et moins 50.000 élèves dans le second degré. Des moyens d'enseignement qui se sont maintenus dans le premier degré et qui continuent d'augmenter dans le second, du fait notamment de la résorption des surnombres budgétaires et de la titularisation des maîtres auxiliaires.

Comment profiter de la baisse démographique pour mettre en oeuvre une politique qualitative afin de répondre aux besoins non couverts ?

Je relève plusieurs priorités qui me tiennent à coeur et que j'essaie de mettre en application sur le territoire au fur et à mesure des décisions prises :

- premièrement, la prise en compte de la grande difficulté scolaire liée aux difficultés sociales avec la relance de la politique d'éducation prioritaire et le développement nécessaire des emplois dans les secteurs médico-sociaux ;

- deuxièmement, les progrès à poursuivre dans l'accueil des enfants de moins de trois ans, la scolarisation en école maternelle. Nous savons aujourd'hui que c'est l'une des conditions fondamentales de la bonne maîtrise des langages, de la lutte devant l'échec scolaire de la lecture qui reste l'un des problèmes majeurs du système scolaire auquel il faut s'attaquer ;

- troisièmement, la baisse des effectifs recouvre des évolutions démographiques contrastées. Année après année, quand on essaie de redéployer des moyens, les choses sont de moins en moins "élastiques". Il faut donc tenir compte du rôle de l'école dans l'aménagement du territoire. On ne peut pas, bien évidemment, procéder de façon brutale dans la répartition de ces moyens.

Cela implique de nouvelles méthodes. Au-delà des chiffres, du dispositif arithmétique, le système scolaire accélérera sa progression s'il est conscient de la nécessité d'évoluer au niveau des méthodes.

Je prends un exemple, déjà évoqué devant votre commission : le problème du moratoire pour la fermeture des écoles à classe unique. Pour cette rentrée scolaire, nous allons fermer des classes uniques pour la première fois. Cela se fait sans bruit. C'est un travail que j'ai préparé depuis six mois, en partenariat, sur le territoire. Nous avons dit aux élus qu'il n'y a pas l'éducation nationale contre les élus, il y a les élèves.

A partir du moment où l'on sait que dans certaines classes uniques les élèves ne bénéficient pas d'une une certaine densité pédagogique, que les enseignants souffrent d'isolement et qu'il vaut mieux mettre les écoles en réseau en maintenant les moyens pédagogiques, en les mettant en commun entre plusieurs structures scolaires, on peut restructurer le système scolaire et donner un plus aux élèves.

On fait comprendre à l'éducation nationale, qui a longtemps considéré qu'elle était un monde clos, qui décidait toute seule, qu'elle a intérêt au partenariat. Ce n'est pas toujours évident. Cela ne se fait pas toujours facilement pour les restructurations. On lui fait comprendre également qu'elle a intérêt à investir en temps dans ce partenariat et à faire comprendre ses décisions. C'est ainsi que j'ai créé les comités locaux d'éducation qui fonctionnent plus ou moins bien, mais qui impulsent un nouvel état d'esprit. Chaque fois que je rencontre les inspecteurs d'académies ou de circonscriptions, je leur demande de discuter avec les partenaires de l'école. Je leur dis que cela leur facilitera le travail et qu'ensuite ils feront ainsi comprendre leurs difficultés de gestion.

Répondre à ces besoins nouveaux ne doit pas nous empêcher de procéder à une réorganisation profonde. Cette réorganisation est mise en oeuvre depuis 1997, mais on peut aller au-delà. Elle est fondée sur l'utilisation des moyens disponibles en fonction des priorités pédagogiques.

Je voudrais citer à ce titre la reconfiguration de la carte des ZEP qui est un exercice difficile. Je pense l'avoir acheminée dans de bonnes conditions. La carte des ZEP n'avait pas bougé depuis dix ans. Il a fallu procéder avec tact, le sens du dialogue, prendre son temps. Au total, 640 établissements scolaires sortent de ZEP et 1600 établissements entrent en zone d'éducation prioritaire. Par conséquent, c'est une restructuration non négligeable de cette carte.

Autre exemple de réorganisation, la gestion du remplacement dans lequel s'est beaucoup investi Claude Allègre qui y reviendra sans doute. Pour ma part, je citerai la carte scolaire du premier degré qui a été faite dans un souci de rééquilibrage, de transparence. J'en reviens au problème de méthode. J'ai mis sur la table les critères de répartition des moyens par académie, des critères démographiques, mais pas seulement. Ces critères démographiques ont été assouplis par des critères sociaux pour maintenir les encadrements là où les élèves en ont le plus besoin, par des critères d'aménagement du territoire. Les règles démographiques ont été également assouplies pour que, dans le réseau rural, on maintienne des structures scolaires viables et on encourage les écoles à se mettre en réseau.

Au total, j'ai veillé à ce que, dans tous les départements de France, le redéploiement des postes aboutisse à une amélioration de l'encadrement scolaire, même si cela se fait à la marge. Autrement dit, aucun endroit du territoire, au niveau départemental, ne subit un recul de l'encadrement scolaire, du nombre d'enseignants pour cent élèves. Il reste encore des inégalités entre les départements, nous les corrigeons progressivement. Nous ne pouvons pas le faire du jour au lendemain car cela serait trop douloureux pour certains.

Cette restructuration s'appuie aussi sur notre volonté de prévoir les évolutions pluriannuelles. Il est souvent difficile d'en convaincre le budget, mais nous arrivons quand même à mettre en place une gestion pluriannuelle en contractualisant avec les académies. Dans cet esprit de contractualisation qui correspond à une attente du territoire, les partenaires de l'école éprouvant le besoin de s'engager sur deux ou trois ans je pense à l'école rurale ou aux ZEP quant à l'évolution des moyens pour trouver une stabilisation, pour ne pas perturber le système scolaire chaque année par des redéploiements, les engagements de l'Etat s'accompagnent d'un engagement, en retour, de bien viser des objectifs pédagogiques en termes de réussite des élèves.

Je crois que l'on pourra améliorer les choses par une gestion des ressources humaines proches du terrain. C'est bien sûr toute la logique de la déconcentration, mais pas seulement.

Je termine en disant que l'on ne peut faire l'économie, dans une réflexion sur une bonne gestion des moyens, d'une interrogation profonde sur l'évolution de tous les métiers. On parle beaucoup de l'évolution du métier d'enseignant. Quelque chose d'essentiel se joue dans l'évolution de tous les corps intermédiaires.

L'éducation nationale a beaucoup de corps intermédiaires entre le ministère, la hiérarchie et l'enseignant qui est dans sa classe. Tout le monde doit redéfinir son métier et pas seulement l'enseignant qui remet en cause son métier tous les jours en étant confronté à ses élèves. Souvent, les innovations pédagogiques existent dans la classe et parfois, avec un certain décalage, au niveau des échelons intermédiaires, des inspecteurs pédagogiques régionaux, des animateurs divers, des responsables des réseaux que je rencontre actuellement sur la question du langage etc.

Toutes les professions de l'éducation nationale, notamment celles qui ont des charges d'inspection ou administratives, doivent comprendre que leur métier doit évoluer. Par exemple, les missions d'un inspecteur résident autant dans le fait d'inspecter et de noter que d'être un entraîneur d'hommes et de femmes, capable d'encourager, d'entraîner, de conseiller, d'innover, d'animer.

De même que, dans toutes les structures humaines, les métiers évoluent dans ce sens. Nous sommes aujourd'hui autant performants parce que nous avons une capacité à animer, à entraîner, à cristalliser les énergies, à tirer le meilleur de chacun. Dans l'éducation nationale également. J'observe encore certaines pesanteurs, mais nous devons avoir la capacité dans les mois et les années qui viennent à redéfinir le plus rapidement possible les missions qui sont attendues de chaque catégorie de personnels.

Pour terminer, je prends l'exemple des chefs d'établissement ; j'en ai réuni aujourd'hui une quinzaine dans le cadre des débats sur les collèges. Ils me disaient leur envie d'avoir du temps pour animer l'équipe pédagogique, de ne pas être dévorés par les charges administratives, de recevoir chaque année une lettre de mission ministérielle leur disant ce que nous attendons d'eux et le temps qu'ils doivent consacrer pour animer l'équipe pédagogique des enseignants afin d'identifier le projet du collège, les actions auprès des élèves en difficulté, la façon dont on tire tous les élèves vers le haut et pas seulement ceux en difficulté, l'organisation au niveau du collège, la répartition des moyens en fonction des parcours diversifiés ou des objectifs de chaque cycle.

Bref, chaque profession s'interroge sur ses missions. L'une de nos responsabilités est d'aider à la redéfinition de ces missions, car la bonne utilisation des moyens se calcule autant en termes quantitatifs qu'en termes d'utilisation du temps de chaque fonctionnaire, de chaque agent public qui est au service du plus beau service public du pays, il faut bien le dire.

M. Francis Grignon, rapporteur - Madame la ministre, vous avez posé trois questions fondamentales : quelle école, quel métier et comment répondre à l'interdisciplinarité qui s'impose à nous ?

Dans vos réponses, j'ai surtout soulevé des interrogations. J'aimerais que vous précisiez plus encore. Dès lors que le rôle de l'école ne se limite pas aux fondamentaux ni même à apprendre, mais qu'elle a en plus un rôle social d'encadrement, comment faire dans le primaire et dans le secondaire pour répondre à cela, sachant que dans le primaire, il y a déjà un potentiel de professeurs ? Va-t-on les former pour leur apprendre à mieux aborder les problèmes ?

Bien qu'ils soient habitués à avoir une approche plus globale, quels sont les moyens ou les changements progressifs de culture que vous allez mettre en oeuvre dans le primaire pour répondre à ces exigences ?

Dans le secondaire cela me paraît beaucoup plus difficile en raison de la spécialisation des personnes. Pour la transition entre le primaire et le secondaire, envisagez-vous des mesures ? Il est parfois difficile, pour des jeunes qui sortent de l'école primaire et qui ont eu un professeur d'école, un instituteur, de passer subitement devant plusieurs personnes.

Dans le secondaire, vous avez aussi parlé des chefs d'établissement. J'ai discuté avec beaucoup d'entre eux. Ils se plaignent de ne pas savoir gérer les extrêmes, tant en ce qui concerne les professeurs que les élèves. Pensez-vous leur donner des moyens je n'utiliserai pas le terme de management qui me paraît impropre d'agir encore mieux dans ces directions pour mieux gérer leur établissement ? Je ne pose pas de question en terme quantitatif. Nous avons les chiffres.

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Les questions que vous posez nécessiteraient un débat et touchent à la mission fondamentale du système scolaire.

Pour répondre à ces missions, il nous faut d'abord admettre, et faire admettre par les enseignants, que le métier évolue et qu'ils ont une certaine liberté de manoeuvre sur la gestion de leur temps. Ils en ont conscience en étant confrontés chaque jour à leurs élèves.

L'une des clefs de la réponse sur ces trois missions de l'école réside sans doute dans plus de liberté et plus d'autonomie aux établissements. Cela suppose que l'on en soit capable au niveau national, parce qu'il ne faut pas non plus une hétérogénéité totale sur le territoire. C'est ce que nous faisons à la fois dans le cadre de l'école du XXIe siècle et dans les divers chantiers ouverts. Par exemple, mes instructions sur l'utilisation des évaluations annuelles des élèves de CE² et des élèves de 6 ème déterminent assez strictement la façon dont les enseignants doivent s'y prendre pour utiliser ces évaluations et surtout apporter aux élèves une aide individuelle dans le repérage de leurs faiblesses.

C'est la première fois que l'on validait, dans le système scolaire, des pratiques pédagogiques qui existaient déjà depuis longtemps ; depuis toujours, les enseignants ont aidé les élèves de façon individuelle. Mais il y avait une sorte de mythe du groupe classe et une certaine réticence, sauf en zone d'éducation prioritaire où nous constatons beaucoup d'innovations pédagogiques, car on utilise tous les moyens quand on est confronté à la grande difficulté.

L'une de mes idées, que je mets en application, notamment dans le repérage de la difficulté des élèves, est de généraliser dans le système scolaire ce qui a été inventé, mis au point et réalisé dans les endroits les plus difficiles. Là, en effet, par la force des choses, on leur a laissé une grande liberté pédagogique. Si cela réussit là où c'est le plus difficile et que, par définition, on a laissé cette liberté, pourquoi ne réussirait-elle pas ailleurs ? Des élèves sont en difficulté même hors zone d'éducation prioritaire.

Il faut réaffirmer que le système scolaire, dès lors qu'il a vocation ce qui est un progrès formidable pour notre pays à accueillir tous les élèves, a aussi la légitimité d'apporter une aide individuelle aux élèves.

Je crois que cette mutation culturelle de l'école est en marche ; elle n'est plus contestée. Une valorisation du travail a déjà été faite dans les écoles. L'arrivée des aides-éducateurs, qui en est à ses débuts au niveau de l'évaluation, est un nouvel atout extraordinaire pour permettre, pendant que l'éducateur fait réviser la classe, à l'enseignant de dégager du temps pour les élèves les plus en difficulté. Je ne peux pas aborder toutes les réponses à la question que vous avez posée. Je m'en tiens aux points essentiels.

Quant à votre question, très importante, de l'articulation entre le primaire et le secondaire, je l'approfondis dans le cadre du chantier de la réflexion de la consultation sur les collèges et ce thème revient très fréquemment.

Les pistes sur lesquelles nous travaillons consistent à faire des échanges d'enseignants entre le CM² et la 6 e en repérant des réalisations de terrain qui marchent. Des élèves bien encadrés dans le premier degré, parce qu'ils n'ont qu'un adulte référant, se retrouvent déstabilisés en classe de 6 e parce qu'ils se retrouvent avec huit adultes en face d'eux. Quelques élèves, très bons en primaire, plongent au collège, ne serait-ce que parce qu'ils sont insuffisamment encadrés.

Des actions seront donc mises en place sur l'articulation entre les CM² et la 6 e , c'est-à-dire à la fois la venue du professeur de CM² au collège, y compris pour continuer à suivre certains élèves, et l'intervention des professeurs du collège en CM² pendant toute la durée de l'année scolaire à des rythmes variables ; cela dans le cadre de la mise en réseau des écoles. En particulier, dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP) que j'ai mis en place, l'une des actions les plus fréquentes est cet échange d'enseignants entre la 6 e et le CM². On peut donc bien le généraliser à l'ensemble du système scolaire.

Enfin l'une des idées qui me tient à coeur, et que je pense pouvoir réaliser, est la mise en place de tutorats. On sait que le professeur principal a une classe en charge. Le tutorat consisterait à avoir un adulte référant dans le collège pour les élèves qui le souhaitent, et pas seulement pour les élèves en difficulté. Des élèves fragiles qui ne sont pas forcément repérés en difficulté peuvent avoir besoin d'un adulte référant qui puisse dialoguer avec l'élève dès qu'il y a une difficulté : problème scolaire, personnel, de vie scolaire. chaque élève qui le souhaite aurait ainsi dans le collège un adulte référant, avec lequel il serait en phase.

M. le Président - Pour que les choses soient encore plus précises, à propos de la liaison collège-lycée vous en avez rappelé les raisons pédagogiques, très fortes d'ailleurs je voudrais rappeler les soucis de M. Claude Allègre concernant le remplacement des maîtres.

Je relie cette remarque au sujet que vous étiez en train de traiter en me posant la question suivante : pensez-vous que le périmètre je ne parle pas de polyvalence ni de bivalence des champs disciplinaires qu'ont à couvrir les enseignants de collège doit être le même que celui qu'ont à couvrir les enseignants de lycée ?

Pensez-vous que, dans les collèges, les professeurs peuvent avoir une "compétence" plus large que celle qu'ont les professeurs de lycée pour tenir compte de ce que sont les élèves et pour faciliter cette transition dont vous êtes en train de nous parler ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Ce sont des sujets un peu tabous ; vous connaissez le poids des disciplines. Le moment est sans doute mûr pour faire évoluer les choses et aller au-delà de l'interdisciplinarité, pour qu'un enseignant de collège ait deux, voire trois disciplines.

Cela dit, je crois que les choses doivent évoluer par étape. Si dans un premier temps, nous parvenons dans tous les collèges à faire des actions en interdisciplinarité, nous aurons déjà franchi un pas très important. D'ailleurs, les parcours diversifiés sont, de ce point de vue, une grande réussite. Plusieurs enseignants se mettent ensemble au service d'un même projet pour un groupe d'élèves. Ce travail en interdisciplinarité est extrêmement fructueux et préfigure ce que seront peut-être, dans plusieurs années, la formation, le profil et les compétences des enseignants.

Autrement dit, à brusquer les choses, nous bloquerions le dispositif ; en revanche, en utilisant la prise de conscience, aujourd'hui réelle, qu'il faut travailler ensemble et approfondir l'interdisciplinarité, nous pouvons déjà, au sein de la classe et des établissements scolaires, réformer les méthodes de travail en profondeur.

Si j'en ai la possibilité à l'issue du débat sur le collège, je voudrais donner aux collèges une certaine quantité d'heures utilisables en liberté par rapport à cette préoccupation d'interdisciplinarité en organisant différemment la journée, la semaine et l'organisation du temps des enseignants, comme cela se fait déjà dans certains collèges.

Par exemple, au lieu d'avoir le module traditionnel qui me semble parfois devoir être remis en cause de l'adulte face à la classe, avec la gestion des adolescents, de leurs pulsions, de leur activisme, de leur parole... Ils sont très gentils, mais il faut savoir les gérer. Quand on est parent avec un ou deux à gérer, ou quand on en a vingt-cinq, ce n'est plus le même métier aujourd'hui. Physiquement, les adolescents dépassent souvent l'enseignant en taille ; ils ont une tonicité extraordinaire, souvent interprétée comme de la violence alors que c'est leur corpulence et leur mode d'expression qui apparaissent aux adultes qui ne font pas partie de cette même génération comme des phénomènes de violence. Aujourd'hui, il y a une difficulté, presque physique, à se retrouver face à un groupe de grands adolescents.

L'idée du maître seul face à la classe doit sans doute évoluer. Je voudrais laisser la liberté aux établissements scolaires de regrouper des classes et d'avoir deux enseignants face à la classe. Ils peuvent rester deux heures avec des interruptions par petit groupe. Les aides-éducateurs peuvent faire du travail scolaire pendant que l'enseignant continue avec un autre groupe. Il vaut mieux avoir deux adultes référants pendant deux heures face aux groupes classes que des adultes qui se succèdent, mais avec une liberté d'organisation dans l'équipe pédagogique au sein de l'établissement afin de réfléchir à ces modes d'organisation et de gestion des élèves.

On en revient à la question essentielle : quel est le rôle d'un chef d'établissement par rapport à cette liberté nouvelle qui serait donnée aux collèges pour rassembler les enseignants, discuter sur la répartition des moyens horaires, sur la gestion des classes et sur la gestion de l'hétérogénéité des classes ?

C'est en donnant de la liberté au niveau de l'utilisation des moyens d'enseignement, du nombre d'heures que l'on attribue à un collège, que l'on arrivera à gérer l'hétérogénéité des classes sans reconstituer des filières de relégation.

M. Francis Grignon, rapporteur - Avez-vous simulé les moyens supplémentaires nécessaires ?

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée - Nous avons simulé des moyens supplémentaires nécessaires en heures supplémentaires. Nous sommes dans un contexte où nous ne créons plus d'emplois, surtout face à l'urgence de résorber les surnombres, d'affecter les auxiliaires sur des postes, etc. Nous avons simulé des moyens supplémentaires en termes de volume d'heures à donner aux établissements pour gérer cette liberté pédagogique.

Outre un travail interne dans le cadre des moyens existants, des modules d'heures supplémentaires seraient donnés pour mettre en place le tutorat, les parcours diversifiés, pour continuer à faire du travail par petits groupes, etc.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint - Face à la diversité des élèves ou des publics pour reprendre votre expression et face aux réalités du quotidien marquées par la violence et les problèmes d'insécurité, qui demandent sans doute des moyens importants ou adaptés, mais face aussi à la baisse des effectifs qui peut générer une économie en terme de moyens, la réponse peut-elle être apportée par un budget constant ou, une fois encore, aura-t-on recours à l'inflation budgétaire ? Je ne fais pas votre procès ou celui de ce Gouvernement, je le dis avec la même constance depuis trois ans. Peut-on aujourd'hui gérer à budget constant ?

Concernant la scolarisation des moins de trois ans, cette mesure est sans doute intéressante. Elle permet de compenser un certain nombre de handicaps culturels ou sociologiques, mais cette mesure a un coût. A-t-il été évalué au niveau de l'Etat en ce qui concerne les personnels et au niveau des moyens matériels ou immobiliers pour les collectivités locales ? Ne peut-on pas avoir une réponse qui pourrait être différenciée en fonction des situations géographiques ou sociologiques ?

Ma troisième question concerne la gestion des remplacements. Un certain nombre de mesures, tout à fait louables au plan de l'éthique je pense à la titularisation des maîtres auxiliaires ou à l'extinction du corps des PEGC ne vont-elles pas entraîner une rigidification de ces remplacements et donc un surcoût ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Sur la diversité des publics, la baisse des effectifs et la question de savoir si l'on peut réformer à moyens constants, il faut distinguer selon les types de personnels. On peut réformer à moyens constants, c'est-à-dire améliorer à moyens constants, puisqu'il y a une baisse des effectifs. Mais on ne le peut certainement pas en réduisant les moyens des personnels enseignants, précisément pour répondre à des besoins nouveaux, à la plus grande diversité des élèves dans les classes, qui nécessitent moins d'effectifs par classe, du travail individuel, du tutorat, etc.

Je crois que le moment n'est certainement pas venu de baisser la garde sur le plan de l'encadrement des élèves par les enseignants, à condition que l'on ait la capacité et la force d'attribuer les moyens en fonction des objectifs pédagogiques, d'évaluer ces moyens quant à leur utilisation, de fixer les objectifs établissement par établissement pour faire reculer l'échec scolaire.

En revanche, nous avons besoin de moyens supplémentaires, d'abord pour les personnels ATOS. Il y a là une grande misère par rapport au manque de ces personnels dans les établissements scolaires. Lorsqu'un établissement scolaire est bien entretenu, c'est aussi un élément de maintien de la citoyenneté, de la civilité, de l'encadrement des élèves. Il faudra y répondre avec l'interrogation qui consiste à savoir comment les collectivités locales peuvent contribuer à cet effort avec des contreparties. Mais comme elles ont la charge de l'entretien de l'immobilier, toute une réflexion est à ouvrir sur les personnels chargés de cet entretien.

J'ai vu des personnels ATOS qui faisaient des actions du tutorat, de l'éducation civique. Quand des élèves dégradaient du matériel, ils étaient encadrés par des personnels ATOS et réparaient les dégradations qu'ils avaient causées. J'ai visité un collège en Moselle extraordinaire ; c'était impeccable. Lorsque vous entrez dans un collège, vous voyez la qualité des personnels ATOS rien qu'en constatant la façon dont il est entretenu.

En outre, certains métiers se perdent. Toute une réflexion est à faire sur la disparition de certains métiers. Les gros collèges qui ont leur électricien, leur menuisier, peuvent en outre prendre des élèves en tutorat. Il y a quelque chose d'humainement fort dans ces établissement qui ont gardé de vrais métiers dont les personnels ont un rôle éducatif sur les élèves. Je crois qu'il y a là un chantier de réflexion à mener en partenariat avec les collectivités locales.

Le second besoin criant est celui des personnels médico-sociaux. J'ai besoin d'infirmières, d'assistantes sociales. Nous avons créé 1.000 postes en deux ans. Cela fait plusieurs années que l'on n'avait pas vu un tel effort, mais un médecin pour 7.000 élèves, ce n'est rien du tout ! Il y a une telle montée des problèmes médico-sociaux des élèves que si l'on ne gère pas bien là aussi il y a une réflexion à mener en partenariat, car ce n'est pas l'école toute seule qui peut porter la gravité de ces problèmes, si ces problèmes ne sont pas résolus, ils pèsent sur les enseignants. Si l'on veut dégager les enseignants de ces soucis afin qu'ils se concentrent sur la transmission du savoir, sur l'instruction et sur l'éducation, il faut vraiment régler les problèmes médico-sociaux.

Là, il y a sans doute des nouveaux partenariats à inventer. Je viens de demander une inspection générale conjointe à l'IGAEN et à l'IGAS, qui va m'être remise dans les prochains jours, pour voir comment rationaliser les choses. Nous avons les assistantes sociales des conseils généraux, les assistantes sociales scolaires. Parfois les enfants passent d'un médecin scolaire à un médecin de quartier, puis à une assistante sociale du conseil général pour ensuite revenir vers l'assistante sociale scolaire etc. Une harmonisation est à mettre en place.

Il y a des écarts entre les statuts. L'assistante du conseil général est mieux payée que celle du scolaire. En Seine-Saint-Denis, nous n'arrivons pas à combler les postes vacants d'infirmières et d'assistantes sociales, car elles ne sont pas suffisamment rémunérées par rapport à des professions équivalentes ailleurs. Un vrai travail de réflexion, d'articulation, de rationalisation est à faire. Mais il y a surtout un besoin de ces personnels, sachant qu'ils manquent cruellement et que dans les établissements scolaires où ils existent, l'ambiance n'est pas la même.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur adjoint - Vous n'avez pas répondu à ma question concernant la scolarisation des moins de trois ans.

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Le taux de scolarisation continue à progresser. C'est un objectif auquel je suis très attachée. Dans la préparation de la carte scolaire, j'ai veillé à tenir compte, dans l'attribution des moyens ou dans le retrait moindre des moyens de certains départements, du taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans. Il faut progresser. C'est une demande très forte des parents. Cela peut se faire de façon intelligente ; ce n'est pas l'école forcée à tout prix pour tous les enfants : cela reste facultatif.

En milieu rural, je souhaite que la qualité de la scolarisation en maternelle s'améliore. Les classes à niveaux multiples ne sont bénéfiques ni pour les élèves de maternelle, car c'est une vraie spécificité, ni pour les autres élèves, car voir arriver en cours d'année des tout petits de deux ans qui sont mélangés à des élèves déjà en processus d'acquisition des langages, ralentit certains élèves. C'est pourquoi j'ai donné l'autorisation, dans le cadre de la mise en place des réseaux d'écoles rurales, de placer des maîtres bivalents. Ils feraient le matin l'accueil en maternelle, la demi scolarisation étant suffisante pour les petits, et l'après-midi du soutien scolaire pour l'ensemble des élèves sur le réseau d'écoles.

Je souhaite que le partenariat s'approfondisse avec les collectivités locales pour faire des « classes passerelles », des choses douces entre l'accueil en crèche et l'accueil en école maternelle qui est une vraie école. Ce n'est pas une garderie gratuite.

Je laisserai Claude Allègre répondre à la question concernant la gestion des remplacements.

Mme Hélène Luc - Vous avez beaucoup parlé de la cohérence, de l'adéquation nécessaire, de la diversité des élèves ; c'est là que réside l'une des grandes difficultés que nous avons à résoudre. Dans Le Monde hier, un article très intéressant pose la question suivante : "Va-t-on continuer d'assumer, du point de vue pédagogique et financier, la massification pour la scolarisation des élèves, à laquelle nous sommes arrivés où un effort très important a été fait ou bien va-t-on recréer des filières et faire une sélection ?"

La question se pose en effet : on a beaucoup d'élèves très divers. Comment peut-on faire pour les mener à la réussite ?

Quand on examine le problème de près, je suis persuadée que les efforts doivent venir de tous les côtés, mais aussi du côté du Gouvernement pour donner encore plus de crédits. Je pense que cela va se faire, monsieur Allègre l'ayant annoncé, et j'en suis satisfaite.

Vous avez dit qu'il fallait mettre à profit la baisse démographique pour améliorer le niveau d'enseignement. Je ne comprends pas comment on peut appliquer cela. Concernant les fermetures de classes, dans le département du Val-de-Marne, 110 classes ferment, 55 ouvrent, soit un déficit de 45. On ferme une classe pour deux élèves de moins dans une école où il y a des enfants étrangers, des enfants de familles très modestes. Comment les parents peuvent-ils comprendre que l'on utilise ainsi l'évolution démographique ? On leur supprime une classe, ce qui fait baisser la moyenne générale. Cela signifie aussi des classes de près de 30 élèves ! Dans un quartier difficile, il n'est pas possible de conduire tous les élèves au taux de réussite qu'il faudrait pour qu'ils entrent dans de bonnes conditions au collège.

Pour les REP, ne pourrait-on pas avoir la volonté d'avoir des classes avec une moyenne de 25 élèves et la mettre en application ? Les professeurs des REP n'ont pas d'indemnité. Qu'au moins, on leur donne moins d'élèves !

Je voulais parler également des comités locaux d'éducation. Dans certains endroits, cela fonctionne, mais dans d'autres...

M. le Président - Revenons à notre commission d'enquête, madame.

Mme Hélène Luc - Tout cela est lié. Vous avez parlé de l'interdisciplinarité dans le collège ; cela me pose problème. Je pense que les élèves de CM² sont contents d'aller au collège parce qu'ils ont un professeur. En revanche, le professeur principal devrait jouer un rôle bien plus grand afin que les parents sentent réellement qu'un professeur a leur enfant à charge. Cela signifie qu'il devrait avoir plus de temps pour être professeur principal. C'est l'une des solutions.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée - Sur l'idée qu'il faut utiliser la baisse démographique pour l'amélioration qualitative, c'est le défi qui est posé aujourd'hui au système scolaire. Nous avons réussi cette démocratisation, cette massification. Nous sommes vraiment à un tournant. Il ne faut pas se tromper sur les choix faits et nous devons avoir la volonté farouche d'accueillir tous les élèves au collège.

Il y a deux réponses à cela : premièrement, pour lutter contre l'échec scolaire au collège, il faut commencer dès l'école maternelle. Les élèves en difficulté au collège pouvaient être repérés en maternelle. C'est dans un travail en profondeur et sur la durée qu'il faut agir. En particulier, ce seront les objectifs du travail en profondeur sur la maîtrise de la lecture et des langages. Je pense en effet que tout converge vers cela à un moment ou à un autre. Il faut donc bien redéfinir le rôle de chaque niveau d'enseignement par rapport à la réussite des élèves qui arrivent en 6 e .

M. le Président - Pourquoi n'a-t-on pas commencé par là ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Le collège avait été l'objet de multiples réformes. Aborder tout de suite la réforme du collège sans prendre le temps d'un bilan, cela aurait été mal perçu.

J'ai donc fait le bilan des réformes, des mesures de M. Bayrou. Certaines sont bonnes, d'autres n'ont pas été appliquées, d'autres sont moins bonnes. Me gardant bien de faire de l'idéologie sur le collège, mais en repérant très concrètement l'articulation entre les mesures, les problèmes nouveaux et ce qu'il convient de continuer à faire, il faut mettre le collège en perspective par rapport au premier degré, à l'école maternelle, à l'école primaire. Il faut savoir ce qui doit être fait avant pour que tous les élèves arrivant en 6 e sachent lire et s'exprimer correctement. C'est l'une des conditions fondamentales.

Que fait-on des élèves déjà au collège et en situation de grande fragilité sur l'acquisition des savoirs ? Il faut lutter contre la tentation de refaire des filières. Grâce à cette marge de manoeuvre en termes de moyens, on peut demander aux équipes pédagogiques ce plus en termes qualitatif, à savoir individualiser l'aide aux élèves.

Une des clefs de l'évolution du métier d'enseignant est une capacité à travailler en équipe, à sortir du cloisonnement des disciplines et que chaque enseignant se sente responsable de la transmission du savoir des autres enseignants, autrement dit de l'éducation au savoir-être et au savoir-faire, sans diminuer l'exigence de l'instruction et de la transmission du savoir.

Je suis assez optimiste. Cette mutation est en chemin ; il faut accompagner le corps enseignant à la réussir. Accompagner le corps enseignant, c'est aussi demander le même effort d'évolution à tous ceux qui contribuent au système scolaire et qui ne sont pas dans les classes.

Il faut aussi renforcer tous les dispositifs d'individualisation, de consolidation, les parcours diversifiés, les études dirigées. Ce sont de bonnes mesures que j'ai l'intention de renforcer. Il convient de renforcer aussi les dispositifs qui existent, dont on ne s'occupe jamais et qui pourtant répondent aux besoins de certains élèves. Je pense aux SEGPA dans les collèges, qu'il faut revaloriser et renforcer.

Enfin, il y a tout le travail sur l'orientation. On arrivera d'autant mieux à prendre en charge la diversité des élèves que l'on arrivera à faire des orientations positives vers les lycées professionnels. Tout se tient, mais le collège est au coeur du dispositif, car c'est là que la France accueille encore tous les élèves, tout le monde est mélangé. C'est le coeur de l'école de la République. C'est là également qu'émergent les problèmes les plus lourds : les problèmes de comportement que l'on ne voit pas encore dans le premier degré. C'est là que les adolescents définissent les adultes qu'ils seront demain.

Les valeurs, les points de repères que l'on arrive à leur donner au cours de ces quatre années vont les marquer toute leur vie et vont définir les comportements par la suite. Les élèves de 6 e et de 5 e sont encore malléables, on a encore une capacité d'éducation, une capacité à remettre les jeunes dans le droit chemin, à les recadrer, à dialoguer. Pour les 4 e et 3 e , ce n'est pas complètement perdu, mais c'est déjà plus dur.

Bref, nous avons un effort essentiel à faire sur la 6 e et la 5 e ; 4 e et 3 e , c'est le début de l'orientation. Il faut réussir des orientations positives quel que soit le choix qui est fait après la 3 e .C'est également là que se joue l'éducation du comportement et la base des savoirs qui serviront toute la vie. C'est au collège que cela se joue.

M. Jean-Léonce Dupont, vice-président - Je suis un peu déçu de votre propos. Vous aviez démarré sur une question intéressante. Vous avez dit de façon implicite : « La question que l'on peut se poser sur le thème d'étude de cette commission est : y a-t-il des gaspillages ? » . Je n'ai pas le sentiment que vous avez identifié d'éventuels gaspillages ; j'ai le sentiment que vous avez voulu légitimer le fait que, à un nombre d'effectifs donné, il fallait absolument trouver les moyens d'occuper l'ensemble de ces personnels sur des objectifs de qualité.

En vous posant une question par l'absurde, compte tenu d'une évolution démographique toujours à la baisse, jusqu'où faudrait-il aller pour que l'on puisse envisager le début d'un soupçon de commencement d'une adaptation des effectifs enseignants à l'évolution des effectifs des élèves du premier degré ?

N'avez-vous pas identifié des sources de gaspillages dans le secondaire, notamment par rapport au problème des options, les professeurs en surnombre, le recrutement ? Vous nous dites vouloir maintenir un niveau constant en redistribuant. Vous nous dites qu'il faut développer les personnels médico-sociaux et les personnels ATOS. En réalité, nous sommes à nouveau dans un système où la réponse est toujours plus quantitativement.

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Monsieur le sénateur, pour répondre à votre question, on ne peut pas disjoindre la question des moyens et celle des objectifs. Vous me décevez aussi, car vous n'êtes que dans l'inventaire des moyens par rapport aux effectifs.

La bonne problématique est de savoir quels sont les objectifs pédagogiques par rapport à ces moyens, et pas seulement le nombre d'élèves. Le nombre d'élèves compte. Aujourd'hui, lorsque j'essaie de pousser aux restructurations de la carte scolaire et que je dis que sept élèves par classe, ce n'est pas bon. On me répond enfin oui. Vingt-cinq élèves par classe est un bon groupe. En tête-à-tête les syndicats me le disent. Quand je vois les enseignants ou les parents qui manifestent parce que l'on passe les classes de 20 à 22 élèves, je leur dis car je suis souvent sur le terrain que ce n'est pas raisonnable. C'est la première fois qu'on le leur dit.

Le fait de passer de 20 à 22 élèves ne change pas la qualité pédagogique. C'est une partie de la réponse. Le toujours moins d'élèves par classe n'est pas un progrès pour le système scolaire. Il faut un groupe classe hétérogène, diversifié avec une émulation pour que les choses avancent.

Je pense par conséquent que 25 élèves par classe, c'est bien, c'est un bon groupe classe. Il peut y avoir plus d'élèves et avoir une très bonne classe. Certains enseignants peuvent "manager" des classes avec 40 élèves. Mais le profil moyen, ordinaire, compte tenu de la montée de la difficulté des élèves, est de 25 à 30 élèves par classe pour avoir un bon module classe.

J'insiste ensuite sur le fait que l'on ne peut pas baisser les moyens. Cela dit, je ne suis pas dans une logique où l'on n'aurait pas le courage de baisser. On ne répond pas à certains besoins pédagogiques.

Je n'ai pas évoqué un besoin, qui pourtant me tient particulièrement à coeur : l'accueil des enfants handicapés à l'école. La France est très en retard. Si demain on me dit de redéployer un certain pourcentage des moyens pédagogiques pour l'accueil des enfants handicapés, on pourrait faire trois fois plus que ce qui est fait aujourd'hui. Des milliers d'enfants sont en structure spécialisée alors qu'ils ont leur place dans le système scolaire ordinaire. Pas un seul collège ou lycée sur Paris n'accueille les enfants malentendants alors que certains collèges le font. On est dans une vraie pauvreté par rapport à l'accueil des enfants différents. C'est l'un des objectifs pédagogiques qui, aujourd'hui, n'est pas rempli.

M. Jean-Léonce Dupont, vice-président - Avez-vous identifié des gaspillages ? Lorsque je vous entends, je vois toujours des besoins, ce qui est évident. Je partage d'ailleurs en très large partie votre analyse. Y a-t-il une mauvaise utilisation des moyens, ici ou là ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Dès lors que l'on admet que l'on peut répondre à des besoins nouveaux sans créer de postes supplémentaires, mais en les utilisant mieux, on répond déjà à votre question. Il y a sans doute des utilisation optimales à rechercher par rapport aux moyens mis sur le territoire.

Je ne veux pas utiliser le mot "gaspillage" ; un enseignant travaille là où il est, là où on l'affecte. En revanche, le fait de dire qu'il y a des besoins pédagogiques nouveaux, qu'il y a beaucoup d'échecs scolaires et qu'il faut répondre à ces besoins nouveaux ou anciens en utilisant mieux les moyens, c'est déjà une réponse à votre question. Oui, on peut utiliser les moyens mieux qu'ils ne le sont aujourd'hui, non pas uniquement sur un critère arithmétique et démographique, mais par rapport à l'identification des besoins pédagogiques et à la mobilisation d'une équipe qui peut se faire sur le repérage de ces besoins pédagogiques et sur l'organisation, non seulement des moyens mais de l'utilisation du temps de chaque enseignant. Il y a là aussi beaucoup à faire sur l'organisation de la masse du temps de travail dans chaque école et établissement scolaire.

M. Gérard Braun - Je voudrais vous faire part de l'inquiétude d'un principal de collège qui voit le corps enseignant se diviser en deux catégories. Il y a les modernes et les anciens. Les élèves constatent que des professeurs s'impliquent dans les nouvelles technologies et que d'autres, parce qu'ils sont près de la retraite ou qui n'ont pas eu l'habitude de manoeuvrer ces nouvelles technologies, se refusent d'y entrer.

Ce principal me disait que c'était très inquiétant, qu'il y voyait une scission, et que celle-ci était constatée par les élèves. Il voit des élèves refuser d'aller avec certains professeurs. Envisagez-vous d'aider ces professeurs à acquérir par une formation nécessaire la maîtrise de ces nouvelles technologies ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - C'est une des préoccupations du ministère d'équiper chaque enseignant avec les nouvelles technologies pour en faire un outil de travail.

Le clivage entre les modernes et les anciens n'est pas celui-là. On peut être passionné par une nouvelle technologie, quel que soit son âge, ou avoir un blocage alors qu'on est très jeune. Il faut donc aider tout le monde à comprendre qu'aujourd'hui, ce qui est au coeur du métier, c'est la capacité de communiquer l'envie d'apprendre, l'envie de réussir, l'identification du besoin des élèves, l'aide individuelle, le déclic qui va aider l'élève à surmonter un certain nombre de blocages.

C'est ce que je ressens dans la demande de formation des enseignants : « On n'a pas appris au cours de notre formation, le CAPES ne nous apprend pas cela, on n'a pas appris à aider un élève qui a un blocage, qui a une difficulté. Comment repérer cette difficulté ? Quelle est la technique de communication par rapport à ces élèves pour continuer à leur donner envie d'apprendre, de progresser ? » . C'est vrai pour le métier d'enseignant, mais aussi pour tous les métiers de la société contemporaine.

L'un des grands chantiers qui est entre nos mains est cette capacité de formation. On n'a pas les formateurs de formateurs. Comme le métier évolue, les gens de terrain savent parce qu'ils ont expérimenté, échoué et surmonté. Le travail de formation se fait en interaction ; des gens se réunissent, parlent entre eux, théorisent des méthodes. L'urgence est de faire émerger des formateurs qui soient aptes à accompagner cette mutation en profondeur du métier, formation à laquelle tous les enseignants aspirent aujourd'hui.

M. le Président - Une dernière question. Bien utiliser les moyens, est-ce aussi mettre l'enseignant qui correspond le mieux aux besoins des élèves ? Pensez-vous que les mesures de déconcentration prises par le ministre vont le permettre et pourquoi ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Nous avons commencé à le faire, en particulier pour les chefs d'établissement, qui pour la première fois cette année, notamment dans les ZEP, ont été choisis sur profil. On a demandé aux recteurs, pour le recrutement des chefs d'établissement dans les quartiers difficiles, de recevoir individuellement les candidats pour une bonne adéquation entre le profil et la mission à remplir.

En ce qui concerne l'enseignant en tant que tel, c'est plus délicat. Les élèves sont les mêmes sur l'ensemble du territoire, sauf en zone d'éducation prioritaire où il y a une certaine marge de manoeuvre par rapport au choix des enseignants, même si la gestion normale du corps fait que, bien souvent, de très jeunes enseignants se trouvent en ZEP (zone d'éducation prioritaire) avec pas forcément la formation pour cela.

Mais les choses évoluent, s'améliorent. Une des revendications des chefs d'établissement est d'avoir la possibilité de choisir les membres de leur équipe. On n'en est pas encore là dans le système scolaire français. C'est l'une des questions qui est sur la table ; au moins pouvoir choisir ses collaborateurs dans l'équipe de direction pour avoir une certaine homogénéité de l'équipe. C'est un thème important sur lequel nous pourrions progresser.

M. le Président - Ce que vous venez de dire est important. Cela veut-il dire que le chef d'établissement pourrait choisir le conseiller principal d'éducation, son principal adjoint, si on est en collège ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Je suis favorable à ce qu'il puisse émettre un avis.

M. le Président - Est-ce actuellement en place ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Non, pas du tout. Or, je pense que l'homogénéité d'une équipe de direction est très importante.

M. le Président - Avez-vous l'intention d'avancer dans cette direction ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Tout à fait. C'est une des questions abordées dans le cadre du débat sur les collèges.

M. Xavier Darcos - C'est une excellente suggestion, mais que fera-t-on de ceux dont personne ne veut ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - On n'est pas dans le tout ou rien. Certains chefs d'établissement ne s'intéressent pas forcément à l'homogénéité de leurs équipes.

M. le Président - Préconisez-vous des mesures ou envisagez-vous des mesures pour le choix des chefs d'établissement et pour faire en sorte qu'il y en ait davantage de meilleure qualité, qu'il y ait plus de candidats ? Quelles sont vos intentions ?

Mme Ségolène Royal, ministre délé ;guée - Lors de la table ronde organisée avec le recteur Blanchet, toutes ces questions des directions d'établissements, celle-ci en particulier, ont été évoquées. Nous avons commencé à le faire pour le recrutement sur profil des chefs d'établissement en ZEP, puisque les recteurs ont reçu les candidats individuellement afin d'avoir des bons chefs d'établissement dans les endroits les plus difficiles.