N° 433

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 juin 1999

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur les lois de financement de la sécurité sociale ,

Par M. Charles DESCOURS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Paul Blanc, Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Claude Huriet, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Simon Loueckhote, Jacques Machet, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Sécurité sociale.

Mesdames, Messieurs,

En 1996, le Parlement s'est doté d'un nouvel instrument : les lois de financement de la sécurité sociale.

A la veille de l'examen du projet de loi de financement pour 2000, qui sera le quatrième exercice du genre depuis l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle et organique de 1996, votre commission des Affaires sociales a souhaité procéder, en quelque sorte, à un premier bilan.

Pour ce faire, elle a souhaité constituer un groupe de travail chargé, à la lumière de l'expérience acquise, d'analyser les points forts des lois de financement de la sécurité sociale mais également de réfléchir à une amélioration de leur présentation, de leur discussion et de leur suivi.

En procédant ainsi à une forme d'" audit " des lois de financement, c'est-à-dire des conditions dans lesquelles sont abordés les enjeux financiers et l'avenir de notre protection sociale, votre commission s'inscrit dans le droit fil des travaux de réflexion qui caractérisent les apports de notre Haute Assemblée au débat public.

Constitué le 27 janvier 1999, le groupe de travail a procédé, de février à avril dernier, à un important programme d'auditions dont les comptes rendus figurent en annexe du présent rapport.

Ces auditions ont largement contribué aux analyses et aux orientations retenues par le groupe de travail. Elles l'ont conforté dans une double conviction.

Les lois de financement de la sécurité sociale sont un acquis essentiel que l'on doit à la détermination du gouvernement de M. Alain Juppé et qui désormais fait l'objet d'un large consensus.

Mais elles sont également un instrument perfectible.

Deux conclusions résument les travaux conduits par votre commission : d'abord, la nécessité d'une meilleure articulation entre les lois de financement et, pour reprendre les termes de la loi organique, " les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale " ; ensuite une indispensable adaptation des calendriers, des procédures et des moyens à ce rendez-vous majeur qu'est le débat devant le Parlement consacré aux finances sociales.

" Rien n'est plus aride que le domaine des finances publiques ; rien ne mérite davantage l'attention " 1( * ) . S'il fallait retenir une ambition pour le présent rapport, ce serait probablement d'accélérer la prise de conscience, pour l'ensemble des intervenants, de toutes les implications que comporte cette nouvelle catégorie de loi que sont les lois de financement de la sécurité sociale.

Liste des membres du groupe de travail

sur les lois de financement de la sécurité sociale

MM. Charles DESCOURS (RPR - Isère)

François AUTAIN (SOC - Loire-Atlantique)

Mme Nicole BORVO (CRC - Paris)

MM. Bernard CAZEAU (SOC - Dordogne)

Claude DOMEIZEL (SOC - Alpes-de-Haute-Provence)

Francis GIRAUD (RPR - Bouches-du-Rhône)

Alain GOURNAC (RPR - Yvelines)

Claude HURIET (UC - Meurthe-et-Moselle)

André JOURDAIN (RPR - Jura)

Dominique LECLERC (RPR - Indre-et-Loire)

Jean-Louis LORRAIN (UC - Haut-Rhin)

Jacques MACHET (UC - Marne)

Alain VASSELLE (RPR - Oise)

I. LES LOIS DE FINANCEMENT : UN ACQUIS ESSENTIEL

A. UN PROGRÈS ESSENTIEL DANS LA MAÎTRISE DES ENJEUX FINANCIERS DE LA PROTECTION SOCIALE

Depuis quelque deux cents ans, le Parlement examine le budget de l'Etat. L'article 14 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 est la traduction juridique d'un principe politique qui, historiquement, a constitué un des premiers fondements des démocraties parlementaires : le libre consentement à l'impôt, exprimé par une assemblée émanant du peuple 2( * ) :

" Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. "

A l'inverse, notre système de sécurité sociale a été fondé en 1945 sur le principe de l'exercice d'une activité professionnelle et sur le concept " d'assurances sociales " ; en conséquence, le Parlement ne disposait pas de droit de regard sur les masses financières affectées, tant en recettes qu'en dépenses.

Mais la fiscalisation croissante des ressources de la sécurité sociale et la déconnexion entre le versement de prestations et l'exercice d'une activité professionnelle ont eu pour conséquence une " publicisation " des finances sociales.

La révision constitutionnelle du 22 février 1996 a posé les bases d'un édifice dont les constitutionnalistes et les historiens reconnaîtront le caractère majeur : l'intervention du Parlement en matière de finances sociales.

Cette intervention apparaissait depuis longtemps légitime.

1. Une intervention légitime du Parlement

a) Des masses financières supérieures au budget de l'Etat

Les dépenses et les recettes de la sécurité sociale atteignent un niveau supérieur à celles de l'Etat.

Comparaison de l'état A de la loi de finances
et des prévisions de recettes de la loi de financement en 1999

en milliards de francs

LFI 1999

LFSS 1999

Recettes fiscales

1.841,6

Cotisations effectives

1.062,9

Recettes non fiscales

183.3

Cotisations fictives

194,8

Prélèvements sur les recettes de l'Etat

- 271,2

Contributions publiques

63,8

Fonds de concours

 

Impôts et taxes affectés

438,7

 
 

Transferts reçus

5,2

 
 

Revenus des capitaux

1,4

 
 

Autres ressources

32,6

Total général

1.753,5

Total des recettes

1.799,5

Comptes 1997 des dépenses des assurances sociales

en milliards de francs

Régimes de la sécurité sociale

Régimes d'indemnisation du chômage

 

Régime général

Autres régimes

Total

 

Total

1.064,1

809,1

1.873,3

110,8

1.984,0

Source : Sesi-Compte de la protection sociale
Annexe G - PLFSS 1999, p 26

L'augmentation des prélèvements sociaux est une tendance lourde, qui explique l'essentiel de la progression des prélèvements obligatoires. En 1980, les prélèvements au profit de l'Etat représentaient 18,2 % du PIB, tandis que les prélèvements au profit de la sécurité sociale en représentaient 18,1 %. En 1997, ces deux chiffres étaient respectivement de 15,3 % et de 22,3 %.

Les prélèvements obligatoires des administrations publiques en France

 

1988

1994

1997

1998

1999

Prélèvements obligatoires/PIB (en %)

43,8

44,1

46,1

45,9

45,7

dont Etat

16,7

14,6

15,3

15,0

14,9

dont Sécurité sociale
(y compris CADES)

19,7

21,3

22,0

22,4

22,5

Source : Notes bleues de Bercy, 9 septembre 1998.

En 1998, la CSG est devenue la première imposition directe, avec un produit de 318,5 milliards de francs, contre 304 milliards de francs pour l'impôt sur le revenu. En 1999 3( * ) , l'écart serait plus important, en raison de l'assiette beaucoup plus dynamique de la CSG : 356 milliards pour la CSG, 315 milliards pour l'impôt sur le revenu.

Mais il ne suffit pas de considérer le montant atteint par les dépenses de sécurité sociale pour justifier l'intervention du législateur.

b) Les finances sociales, partie intégrante des finances publiques

Plusieurs facteurs expliquent la " publicisation " croissante des finances sociales.

- la généralisation de la sécurité sociale

Le système français de sécurité sociale est fondé, à l'origine, sur les principes bismarckiens : cotisations assises sur les salaires, répartition de la cotisation entre l'employeur et le salarié, instauration d'un plafond de cotisations. Les droits sociaux sont ainsi étroitement liés à l'exercice d'une activité professionnelle. La logique est celle de l'assurance.

L'histoire de la sécurité sociale depuis 1945 montre un glissement vers un système différent, celui de l'universalité (principes de Beveridge).

La création du fonds national de solidarité en 1956 permet d'assurer une prestation non contributive aux personnes âgées, le minimum vieillesse.

La loi du 4 juillet 1975 supprime, à compter de 1978, la condition d'activité professionnelle exigée pour le droit aux prestations familiales. De fait, cette condition faisait l'objet, depuis 1946, de multiples dérogations.

Le système de l'assurance volontaire (1967), puis de l'assurance personnelle (loi du 2 janvier 1978), assure une première étape de la généralisation de l'assurance maladie. Le projet de loi portant création de la couverture maladie universelle, en cours de discussion devant le Parlement, parachève cette généralisation, en déconnectant définitivement le droit à prestations de l'exercice d'une activité professionnelle.

- la fiscalisation des ressources de la sécurité sociale

Cette fiscalisation était manifeste dès avant les lois de financement, puisqu'en 1996 plus de 30 % des recettes étaient constituées d'impôts et taxes affectés, des cotisations fictives et des contributions publiques.

Les prévisions de recettes 1999 montrent que cette part s'élève désormais à 41 %.

Structure des recettes de la sécurité sociale
(au sens de la loi de financement)

(en milliards de francs)

 

Réal. 1996

%

LFSS 1997

%

LFSS 1998

%

LFSS 1999

%

Cotisations effectives

1.160,3

72,18

1.152,4

69,49

1.034,1

60,02

1.062,9

59,07

Cotisations fictives

175,9

10,94

181,9

10,97

186,9

10,85

194,8

10,83

Contributions publiques

61,0

3,79

63,9

3,85

62,0

3,60

63,8

3,55

Impôts et taxes affectés

170,3

10,59

223,6

13,48

403,0

23,39

438,7

24,38

Transferts reçus

4,5

0,28

4,7

0,28

4,6

0,27

5,2

0,29

Revenus des capitaux

2,1

0,13

1,8

0,11

1,3

0,08

1,4

0,08

Autres ressources

33,4

2,08

30,0

1,81

31,1

1,80

32,6

1,81

Total recettes

1.607,5

100

1.658,3

100,00

1.723,0

100,00

1.799,5

100,00

N.B . : les chiffres mentionnés pour 1997, 1998 et 1999 sont les prévisions de recettes fixées par la loi de financement.

- la prise de conscience du caractère non extensible des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques

La comparaison entre le poids des prélèvements obligatoires en France et dans les autres pays de l'Union européenne montre que notre pays se situe plutôt dans le peloton de tête : 46,3% du PIB en 1997 4( * ) , chiffre équivalant à celui de la Belgique, dépassé par les seuls Suède (54,1 %), Danemark (53,1 %) et Finlande (47,5 %) et supérieur de plus de trois points et demi à la moyenne de l'Union européenne (42,6 %).

Comme M. Didier Migaud l'exprime en tant que rapporteur du groupe de travail de l'Assemblée nationale consacré à l'efficacité de la dépense publique et au contrôle parlementaire (janvier 1999) : " Si une orientation d'ensemble des prélèvements fiscaux vers une fiscalité plus juste et plus efficace est nécessaire, il est exclu d'accroître davantage la pression fiscale globale " 5( * ) .

Les critères de convergence pour l'union économique et monétaire, définis par le Traité de Maastricht, ont rendu nécessaire l'établissement d'un compte des administrations publiques, regroupant les finances de l'Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales.

Le besoin de financement ou la capacité de financement de ce compte est rapporté au PIB.

Les engagements pris par la France dans le cadre du pacte de stabilité adopté au Conseil européen d'Amsterdam (juin 1997), puis du programme pluriannuel des finances publiques, montrent toute l'importance de la variable finances sociales. Le résultat de l'année 1998 aurait pu être meilleur que prévu sans un dérapage des dépenses d'assurance maladie, tandis que l'amélioration présentée pour les années qui viennent repose sur un excédent des finances sociales (0,15 % du PIB en 1999, 0,3 % du PIB en 2002).

c) L'échec du système de régulation issu des ordonnances de 1967

Les ordonnances Jeanneney de 1967 avait laissé aux partenaires sociaux le soin de veiller au rétablissement de l'équilibre des comptes sociaux. Le système n'a pas fonctionné en période de crise économique durable.

L'intervention du Parlement devenait d'autant plus nécessaire que " les partenaires sociaux refusaient de prendre leur responsabilité en matière d'équilibre financier des régimes " 6( * ) .

Le régime général connaît ainsi un déficit ininterrompu depuis 1989.

Solde du régime général 1989 - 1999

Dès lors, il apparaissait logique de déléguer les pouvoirs financiers au législateur.

2. Une préoccupation ancienne

La nécessité d'une intervention régulière des représentants de la Nation dans un domaine aussi essentiel que la protection sociale avait été ressentie depuis fort longtemps.

Avant l'institution des lois de financement, le Parlement n'était d'ailleurs pas totalement incompétent vis-à-vis des finances sociales :

- l'article 34 de la Constitution lui a réservé le pouvoir de déterminer, parmi les principes fondamentaux de la sécurité sociale, le régime financier des organismes de protection sociale. Les ressources et charges de ces organismes entrent dans le champ des dispositions de l'article 40 de la Constitution, selon une décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1961 7( * ) ;

- le même article 34 lui a donné le pouvoir de voter le taux et l'assiette des impositions de toutes natures, et donc de celles perçues au profit de la sécurité sociale ;

- la création du budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) lui a donné la faculté de voter l'intégralité des ressources et des charges d'un régime de protection sociale ;

- les lois de finances font apparaître les subventions de l'Etat aux régimes spéciaux, ou les remboursements d'exonérations de cotisations.

De plus, le Parlement disposait d'un certain nombre d'informations.

La loi du 24 décembre 1974 a créé l'obligation pour le Gouvernement de présenter chaque année au Parlement, à l'appui du projet de loi de finances, une annexe consacrée à l'effort social de la Nation.

La loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale a rendu le Parlement destinataire d'un ensemble complexe de rapports et de documents annexés.

Dans le rapport d'information d'avril 1994 8( * ) qu'il avait eu l'honneur de présenter au nom de la commission des Affaires sociales, votre rapporteur indiquait :

" Si les prérogatives actuelles du Parlement dans le domaine de la sécurité sociale ne sont pas négligeables, aucune ne lui permet actuellement d'avoir une vision d'ensemble de leurs implications, en particulier financières, sur notre système de protection sociale... A l'occasion de l'examen de textes législatifs, et en particulier les projets de loi portant diverses mesures d'ordre social, le Parlement est régulièrement conduit à se prononcer sur les dispositions influant directement sur le niveau de la protection sociale. Cependant, ces interventions sont parcellaires et il est très difficile d'en mesurer pleinement les conséquences, ainsi que de les relier à l'évolution globale des structures ou des comptes des régimes de sécurité sociale ".

Et notre excellent collègue M. Patrice Gélard développait dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle 9( * ) une métaphore particulièrement pertinente :

" Le législateur, en matière de sécurité sociale, est en quelque sorte dans la situation d'un architecte qui définirait le nombre et la forme des pièces d'un bâtiment, mais pas leurs dimensions respectives. Cet architecte ne serait donc pas à même d'apprécier dès le départ la superficie totale du bâtiment qu'il conçoit, ni son coût ".

La réforme constitutionnelle de 1996 avait été précédée de tentatives avortées, la plus célèbre étant la loi organique relative au contrôle du Parlement sur les finances des régimes obligatoires de sécurité sociale, adoptée définitivement par le Parlement le 8 décembre 1987, à l'initiative de Michel d'Ornano, alors président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale.

L'annulation de cette loi par le Conseil constitutionnel a fermé la possibilité d'une réforme par la voie organique. En effet, le Conseil 10( * ) a estimé que les dispositions de cette loi n'avaient pas " pour objet la détermination des matières qui sont du domaine de la loi " mais qu'elles étaient " afférentes à la procédure législative " . Elles échappaient ainsi " à la compétence ouverte à la loi organique par le septième alinéa de l'article 34 de la Constitution ".

Le passage par la voie constitutionnelle était devenu ainsi nécessaire.

3. Une réforme constitutionnelle nécessaire

La loi constitutionnelle du 22 février 1996 complète l'article 34 de la Constitution :

" Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ".

Par ailleurs, un nouvel article 47-1 décrit la procédure d'adoption des projets de loi de financement de la sécurité sociale, calquée très largement sur l'examen des projets de loi de finances.

Procédure suivie pour l'adoption des lois de financement

Art. 47-1- Le Parlement vote les projets de loi de financement de la Sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique.

Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l'article 45.

Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en oeuvre par ordonnance.

Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l'article 28.

La Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

La discussion du projet de loi constitutionnelle devant le Parlement a permis trois avancées majeures :

- les prévisions de recettes, en effet, ont été ajoutées aux " objectifs de dépenses " ; il aurait été difficile pour le Parlement, comme l'avait indiqué le président de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales d'alors, M. Bruno Bourg-Broc, de " voter un équilibre entre des dépenses... et des silences " ;

- de ce qui était à l'origine une loi d'équilibre votée chaque année, il a été décidé de créer une nouvelle catégorie de loi, " les " lois de financement, ouvrant ainsi la voie à d'éventuelles lois de financement rectificatives ;

- enfin, il a été prévu que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement. La formulation retenue, de préférence à celle de " mise en oeuvre ", se rapproche davantage -sans être tout à fait identique- de celle d'un contrôle de l'exécution, mission confiée à la Cour pour les lois de finances.

4. Une loi organique équilibrée

La loi organique du 22 juillet 1996 a précisé le contenu des lois de financement.

a) Les prévisions de recettes par catégorie

Le Parlement approuve les recettes de la sécurité sociale par catégorie, à travers les " prévisions de recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement " (article LO. 111-3 I 2° du code de la sécurité sociale).

Le détail de ces catégories n'est pas donné par la loi organique.

Depuis la première loi de financement, sept catégories de recettes sont proposées :

- Les cotisations sociales effectives comprennent tout à la fois les cotisations effectivement prélevées sur les différents types de revenus (salaires, revenus des entrepreneurs individuels, revenus de remplacement,...) ainsi que les cotisations prises en charge par l'Etat dans le cadre de sa politique de l'emploi pour alléger les charges des entreprises et permettre l'embauche de certaines catégories de chômeurs. Elles ne sont pas considérées comme une contribution de l'Etat au financement des caisses à qui ces cotisations sont dues. Les prises en charge de cotisations par les caisses de sécurité sociale concernent les praticiens et auxiliaires médicaux et s'ajoutent aux cotisations qu'ils paient directement.

- Les cotisations fictives correspondent au cas où l'employeur fournit directement des prestations sociales, sa contribution au financement de ces prestations étant ainsi appelée, conformément aux conventions de la comptabilité nationale. La mise en évidence de ces cotisations fictives permet de faire une analyse du financement de la sécurité sociale indépendamment de son organisation institutionnelle. Suivant cette définition, le financement de la protection sociale des fonctionnaires civils et militaires, des agents titulaires de la SNCF, de la RATP et de la Banque de France apparaît ainsi assuré tout à la fois par des cotisations effectives et fictives.

- Les contributions publiques sont des participations du budget de l'Etat à certains régimes de sécurité sociale pour leur permettre de combler un déficit ou pour financer certaines charges supplémentaires. Ces contributions recouvrent pour l'essentiel les subventions d'équilibre versées à certains régimes spéciaux, et des remboursements de prestations (allocations aux adultes handicapés, par exemple). Elles sont prélevées sur l'ensemble des recettes fiscales et ne constituent pas des recettes affectées.

- Par ailleurs, certains régimes bénéficient d'impôts ou de taxes qui leur sont affectés de façon durable.

- Les transferts entre régimes sont des transferts internes à la protection sociale. Ils peuvent exister non seulement entre les caisses de sécurité sociale mais aussi entre ces dernières et les autres administrations et les employeurs quand ils agissent en tant que gestionnaires d'un système de protection sociale. Ces transferts peuvent prendre les formes suivantes :

compensations : il s'agit de dispositifs assurant une solidarité financière totale ou partielle entre deux ou plusieurs régimes ;

prises en charge de cotisations, opérées par un régime au profit de ses bénéficiaires (il s'agit notamment des cotisations vieillesse des parents au foyer) ;

prises en charge par un régime de prestations versées par un autre régime pour le compte du premier.

- Enfin, les autres ressources recouvrent des recettes de nature très diverse, notamment les revenus des placements et les recours contre tiers. Elles comprennent également les remboursements effectués par les pays étrangers au titre des conventions internationales de sécurité sociale, ainsi que diverses opérations de régularisation.

b) Les objectifs de dépenses par branche

Le Parlement approuve désormais les dépenses de la sécurité sociale, à travers les " objectifs de dépenses par branche des régimes de plus de 20.000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ".

Ces dépenses correspondent aux opérations courantes des régimes, effectuées en métropole et dans les DOM. Elles recouvrent :

- les prestations sociales : il s'agit soit de prestations rendues obligatoires par la législation, soit de prestations extralégales (prestation d'action sanitaire et sociale), relevant de l'initiative de l'organisme gestionnaire ;

- les prestations de services sociaux , qui visent pour l'essentiel à abaisser le coût d'accès au système de soins de santé : il s'agit notamment de la prise en charge partielle des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux ;

- les frais de gestion engagés par les organismes de sécurité sociale ;

- les transferts entre régimes de protection sociale ;

- les frais financiers et les autres dépenses .

Par assimilation au régime général, quatre branches ont été retenues :

- la branche maladie-maternité-invalidité-décès ;

- la branche accidents du travail ;

- la branche vieillesse ;

- la branche famille.

Les comptes de la sécurité sociale, traditionnellement présentés toutes branches confondues, ont été éclatés pour satisfaire à cette décomposition en branches. Les règles comptables des organismes de sécurité sociale fluctuant d'un régime à l'autre, un certain nombre de conventions ont dû être adoptées :

- les dépenses de la branche famille sont pour l'essentiel celles de la CNAF, qui retrace déjà dans ses comptes l'ensemble des prestations légales servies par les différents organismes, ainsi que les charges annexes supportées par les organismes du régime général. Y sont ajoutés les frais de gestion administrative et d'action sociale de régimes agricoles pour la partie correspondant aux cotisations complémentaires familiales, ainsi que ceux du régime minier ;

- la branche des accidents du travail rassemble, outre les dépenses des fonds déjà existants (CNAMTS, salariés agricoles, Mines, FCAT, FCATA, Fonds d'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales) les dépenses effectuées directement par les régimes d'employeurs, en contrepartie de cotisations dites " fictives " ;

- la définition d'une branche maladie-maternité-invalidité-décès pose un problème particulier.

Le régime général et les régimes alignés sur celui-ci rattachent les risques invalidité et décès au risque maladie. Dans ces régimes, les prestations d'invalidité sont servies par la branche maladie jusqu'à ce que les bénéficiaires atteignent 60 ans. Les pensions de vieillesse se substituent ensuite à celles-ci. Il n'en va pas de même des régimes spéciaux les plus importants, dans lesquels une pension d'invalidité peut continuer à être servie jusqu'au décès de l'intéressé. Le parti retenu a été de rattacher dans ce cas à la branche maladie les dépenses d'invalidité afférentes à des bénéficiaires de droits directs âgés de moins de soixante ans.

La branche vieillesse rassemble les prestations d'assurance vieillesse correspondant à des droits directs ou dérivés, les prestations d'assurance veuvage, et les prestations d'invalidité servies à des bénéficiaires de droits directs âgés de plus de soixante ans, ou des bénéficiaires de droits dérivés. Ces conventions sont identiques à celles utilisées pour déterminer les transferts de compensation entre régimes.

La grande nouveauté des lois de financement est de consacrer implicitement la notion de " branche " pour l'ensemble des régimes de sécurité sociale, et non pour le seul régime général.

c) Un objectif particulier pour la branche assurance maladie : l'ONDAM

Le Parlement fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM).

L'Objectif national de dépenses de l'assurance maladie comprend :

- les dépenses de soins ambulatoires et d'hospitalisation des trois risques maladie, maternité et accidents du travail ;

- les dépenses correspondant aux prestations en espèces des deux risques maladie et accidents du travail (incapacité temporaire).

Outre les dépenses de gestion administrative et d'action sanitaire et sociale et de prévention ainsi que les frais financiers, ne sont exclues, en ce qui concerne les prestations, que les indemnités journalières maternité et les rentes d'accidents du travail.

L'ONDAM est décliné en quatre sous-enveloppes, dont l'une (les soins de ville) fait l'objet d'un avenant à la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la CNAMTS.

Cette enveloppe " soins de ville " est elle-même ensuite répartie entre les différents prescripteurs par les conventions signées entre les caisses d'assurance maladie et les professionnels de santé.

La déclinaison de l'ONDAM en quatre sous-enveloppes

L'ONDAM est réparti en quatre sous-enveloppes :

- le montant des soins de ville ;

- le montant des dépenses sanitaires d'hospitalisation publique ;

- le montant des dépenses médico-sociales ;

- le montant des dépenses sanitaires d'hospitalisation privée.

Les ordonnances n° 96-344, 96-345 et 96-346 du 24 avril 1996 relatives à l'organisation de la sécurité sociale, à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins et à la réforme de l'hospitalisation publique et privée ont précisé les conditions de la déclinaison de l'ONDAM.

Un avenant annuel à la convention d'objectifs et de gestion entre l'Etat et la CNAMTS détermine, " en fonction de l'objectif annuel d'évolution des dépenses d'assurance maladie voté par le Parlement, l'objectif prévisionnel d'évolution des dépenses de soins de ville (...) ainsi que les conditions et les modalités de sa mise en oeuvre " .

L'ordonnance n° 96-345 dispose que " chaque année, compte tenu de l'objectif prévisionnel d'évolution des soins de ville, une annexe à la ou aux conventions [entre les organismes d'assurance maladie et les médecins] fixe, pour les médecins généralistes d'une part, pour les médecins spécialistes d'autre part, l'objectif prévisionnel d'évolution des dépenses d'honoraires, de rémunérations, de frais accessoires et de prescription " .

L'ordonnance n° 96-346 portant réforme de l'hospitalisation publique et privée prévoit que " chaque année, les ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale, du budget et de l'économie déterminent, en fonction de l'objectif national d'évaluation des dépenses d'assurance maladie voté par le Parlement, l'objectif prévisionnel d'évolution des dépenses des établissements (...) et, corrélativement, le montant total annuel des dépenses hospitalières prises en compte pour le calcul de la dotation globale et des tarifs de prestations des établissements susvisés ".

Un mécanisme de même nature est prévu pour les cliniques privées.

Enfin, l'article 33 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 encadre l'évolution des dépenses du secteur médico-social.

d) Les plafonds d'avances de trésorerie

Enfin, le Parlement fixe, pour chacun des régimes obligatoires de base comptant plus de 20.000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ou des organismes ayant pour mission de concourir à leur financement qui peuvent légalement recourir à des ressources non permanentes, " les limites dans lesquelles ses besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ".

Cette formulation complexe recouvre la réalité suivante : chaque année, la loi de financement fixe le découvert maximum des régimes dont la situation justifie le recours à l'emprunt ; depuis la première loi de financement, le régime général, le régime des exploitants agricoles, la caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines, le Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat sont concernés. La Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) s'est ajoutée à cette liste depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.

e) Une information abondante

L'information soumise au Parlement est abondante, comme en témoignent les annexes prévues par la loi organique.

Les annexes de la loi de financement définies
par l'article LO. 111-4 - II du code de la sécurité sociale

L'annexe a) présente les données de la situation sanitaire et sociale de la population ;

L'annexe b) rend compte de la mise en oeuvre des dispositions des lois de financement de la sécurité sociale de l'exercice précédent ;

L'annexe c) décrit l'évolution prévisible, pour l'année en cours et l'année suivante, des recettes et des dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale comptant plus de 20.000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres et, le cas échéant, de leurs besoins de trésorerie en cours d'exercice, ainsi que les perspectives d'évolution de ces recettes et de ces dépenses pour les deux années postérieures ;

L'annexe d) décrit, pour l'année en cours et l'année suivante, par catégorie, les ressources des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ;

L'annexe e) fait apparaître, pour l'année en cours, les compensations financières entre régimes ;

L'annexe f) décrit, pour l'année en cours et l'année suivante, les comptes prévisionnels des organismes ayant pour mission de concourir au financement de ces mêmes régimes (FSV - CADES) et, s'il y a lieu, à l'apurement de la dette ;

Enfin, l'annexe g) retrace, pour les trois années précédentes, d'une part, les comptes de la protection sociale qui regroupent l'ensemble des prestations sociales et les moyens de leur financement en mettant en évidence leur place dans les équilibres généraux économiques et financiers, d'autre part, l'effort social de la Nation qui regroupe les prestations sociales et les charges qui en découlent pour l'Etat, les collectivités locales, les employeurs, les assurés et les contribuables.

Certaines de ces annexes (Effort social de la Nation) existaient déjà, en tant qu'annexes aux projets de loi de finances ou étaient prévues par la loi du 25 juillet 1994.

Ces annexes font partie intégrante du projet de loi de financement de même que les annexes prévues par l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 font partie du projet de loi de finances.

En conséquence, le dépôt de la dernière annexe fait courir le délai prévu par la Constitution à l'article 47-1.

f) Un domaine protégé

Si l'article 40 de la Constitution, relatif à l'irrecevabilité financière, s'applique dans des conditions de droit commun aux amendements déposés sur les projets de loi de financement 11( * ) , en revanche, le contenu même des lois de financement est protégé, de manière stricte, par le III de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Seules des lois de financement peuvent modifier les dispositions relatives aux prévisions de recettes, aux objectifs de dépenses, à l'ONDAM et aux plafonds d'avances de trésorerie.

Les dispositions introduites par voie d'amendement ne sont recevables que si elles ont un effet direct sur l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou si elles améliorent le contrôle sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Les règlements des deux assemblées ont adopté des dispositions similaires, mais qui ne se rejoignent pas tout à fait, pour assurer la protection du domaine " réservé " des lois de financement.

Les règles de recevabilité posées
par les règlements des deux assemblées


Art. L. 121-2 du règlement de l'Assemblée nationale
(introduit par la résolution n° 582 du 3 octobre 1996)

Les amendements contraires aux dispositions du III de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale sont déclarés irrecevables dans les conditions prévues aux articles 92 et 98 (NB - règles d'irrecevabilité financière) .

Art. 49 du règlement du Sénat
Alinéas 7 et 8
(introduit par la résolution n° 504 (1995-1996) du 3 octobre 1996)

7. - L'irrecevabilité des amendements tirée de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale peut être soulevée par le Gouvernement, la commission des affaires sociales, la commission saisie au fond ou tout sénateur. L'irrecevabilité est admise de droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la commission des affaires sociales. L'amendement est mis en discussion lorsque la commission des affaires sociales ne reconnaît pas l'irrecevabilité.

8. - Lorsque la commission des affaires sociales n'est pas en état de faire connaître immédiatement ses conclusions sur l'irrecevabilité de l'amendement, l'article en discussion est réservé. Quand la commission estime qu'il y a doute, son représentant peut demander à entendre les explications du Gouvernement et de l'auteur de l'amendement qui dispose de la parole pendant cinq minutes. Si le représentant de la commission estime que le doute subsiste, l'amendement et l'article correspondant sont réservés et renvoyés à la commission. Dans les cas prévus au présent alinéa, la commission doit faire connaître ses conclusions sur la recevabilité avant la fin du débat, autrement, l'irrecevabilité sera admise tacitement.

L'irrecevabilité s'applique à la fois :

- aux amendements sur les projets de loi de financement, afin d'éviter les " cavaliers " sociaux ;

- aux dispositions des projets et propositions de loi qui empiéteraient sur le domaine " exclusif " des lois de financement.

A l'Assemblée nationale, l'irrecevabilité est examinée par le bureau de la commission des finances, tandis que le Sénat prévoit une procédure spécifique, laissant à la commission des Affaires sociales le soin de se prononcer.

La méconnaissance de l'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale est naturellement un motif possible de recours devant le Conseil constitutionnel. Ce dernier 12( * ) a considéré que les dispositions de la loi organique avaient pour objet " de faire obstacle à ce que les conditions générales de l'équilibre financier, telles qu'elles résultent de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année, modifiée le cas échéant, par des lois de financement rectificatives ne soient compromises par des charges nouvelles résultant de l'application de textes législatifs ou réglementaires dont les incidences sur les conditions de cet équilibre, dans le cadre de l'année, n'auraient pu, au préalable, être appréciées et prises en compte par une des lois de financement susmentionnées ".

Le législateur peut modifier ainsi l'affectation des recettes de la sécurité sociale, à condition que les dispositions décidées n'entrent en vigueur qu'au cours de l'exercice suivant 13( * ) .

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