B. UNE RIGUEUR INSUFFISANTE DANS LA CONSTRUCTION DES COMPTES

Si le volet qualitatif des lois de financement est décevant, il serait réducteur de croire que le débat parlementaire se résume à " un débat de comptables " , d'autant plus que la question des comptes est loin d'être définitivement réglée.

1. Le retard de production des comptes de la sécurité sociale reste un handicap majeur

a) Une disponibilité qui reste préoccupante

L'accélération de la remise des comptes des organismes de sécurité sociale a été considérée, par toutes les personnes auditionnées par le groupe de travail, comme une priorité. Les résultats définitifs de l'année 1997 n'ont été connus, pour certains, qu'au début du mois de septembre, alors que la commission des comptes de la sécurité sociale s'est réunie le 22 septembre 1998.

La réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 31 mai 1999 n'a pas montré de progrès notables, restant consacrée à des résultats -toujours non définitifs- portant sur les seuls comptes 1998 du régime général.

La commission des comptes de la sécurité sociale

Cette commission est présidée par le ministre en charge de la sécurité sociale. Elle est composée de parlementaires, d'un membre du Conseil économique et social, d'un membre de la Cour des comptes, de représentants des organisations professionnelles, syndicales et sociales, de représentants des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale, des organismes mutualistes, des professionnels de santé et de personnalités qualifiées.

Deux textes majeurs fixent ses missions : le décret n° 87-441 du 23 juin 1987 et l'article 15 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994.

La commission analyse les comptes des régimes de sécurité sociale. Elle est assistée par un secrétaire général permanent qui assure l'organisation de ses travaux ainsi que l'établissement de ses rapports.

Deux réunions annuelles sont prévues :

- la première entre le 15 avril et le 15 juin, consacrée aux comptes du seul régime général ; il s'agit des comptes quasi définitifs pour l'année n-1 et d'une nouvelle estimation des comptes de l'année n ;

- la seconde entre le 15 septembre et le 15 octobre, consacrée aux comptes de l'ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale. Cette réunion permet de prendre connaissance des comptes définitifs de l'année n-1, d'affiner l'estimation des comptes de l'année n, et de présenter les comptes tendanciels de l'année n+1.

Tous les comptes sont établis par " les directions compétentes des ministères concernés " , c'est-à-dire la direction de la sécurité sociale. Les comptes fournis par les caisses de sécurité sociale sont ainsi " retraités ".

M. Alain Déniel a considéré devant le groupe de travail que la dissolution de l'Assemblée nationale avait été un " miracle " , car elle avait empêché la réunion de la commission des comptes du printemps 1997, qui n'aurait pu de toute façon avoir lieu pour des raisons techniques. Pour certains observateurs, le risque d'un défaut de réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du mois de septembre du fait d'une impossibilité technique ne peut être tout à fait écarté.

On observera, pour preuve d'une défaillance " technique " toujours possible, que la production des annexes au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 a été très tardive, et évoquée devant le Conseil constitutionnel.

Cette absence de disponibilité handicape le pilotage des finances sociales, en réduisant le temps d'analyse des comptes, tant au niveau de la commission des comptes qu'à celui de la Cour des comptes, chargée d'effectuer un bilan de l'application de la loi de financement.

b) La réforme des droits constatés n'a pas permis une accélération de la remise des comptes

L'application du principe de comptabilisation en droits constatés aux opérations des organismes de la sécurité sociale constitue pour la Cour des comptes " un progrès -dans la voie de la clarification des comptes de la sécurité sociale- dont il importe de souligner l'importance " 29( * ) .

Encaissements-décaissements et droits constatés :
les deux principes de comptabilisation

Une comptabilité en encaissements - décaissements consiste à n'enregistrer les opérations qu'à partir du moment où celles-ci sont recouvrées (cotisations) ou payées (prestations).

Pour résumer, une comptabilité en encaissements - décaissements est une comptabilité de trésorerie.

Une comptabilité en droits constatés consiste à rattacher à un exercice les dépenses et les recettes dès la naissance du fait générateur. En fin d'exercice, les opérations qui ont pris naissance dans l'année mais qui n'ont pas donné lieu à encaissement ou paiement sont rattachées à l'exercice comptable sous forme de produits à recevoir (créances), de provisions ou de charges à payer (dettes).

Pour résumer, une comptabilité en droits constatés est une comptabilité de créances et de dettes.

Avant la réforme, les comptes des caisses du régime général étaient en encaissements-décaissements. Néanmoins, elles utilisaient déjà, pour certaines opérations, la technique des droits constatés (exemple de certaines avances ou compensations de l'Etat).

En revanche, les régimes complémentaires et les compagnies d'assurance étaient déjà en droits constatés.

L'histoire de la réforme des droits constatés montre une certaine unanimité des acteurs ; de plus, les avantages d'une comptabilité en droits constatés sont bien réels.

En 1990, M. Claude Evin, alors ministre de la solidarité, a demandé à un groupe de travail interministériel, placé sous la responsabilité d'un expert comptable, M. Robert Mazars, d'étudier la comptabilité et les conditions de consolidation des comptes de la sécurité sociale. Le rapport Mazars -rendu public en décembre 1990 par M. René Teulade- a formulé un certain nombre de propositions, parmi lesquelles l'adoption du principe des droits constatés. A la suite du rapport Mazars, tant les rapports de la Cour des comptes, rendus chaque année au Parlement à la suite de la loi de 1994, que les rapports de la Commission des comptes de la sécurité sociale ont plaidé pour la mise en oeuvre rapide de cette réforme.

Un groupe de travail 30( * ) , associant les administrations de l'Etat et les représentants des caisses a été constitué en 1994. Le décret n° 96-448 du 23 mai 1996, a officialisé la comptabilisation en droits constatés dans les organismes du Régime général à compter du 1 er janvier 1996.

Puis, il a été décidé d'appliquer la réforme dans les autres régimes à partir du 1 er janvier 1997. Trois décrets du 18 mars 1997 ont étendu le principe des droits constatés aux organismes d'assurance maladie et maternité des travailleurs salariés des professions non agricoles, aux organisations d'assurance vieillesse de ces professions (ORGANIC, CANCAVA et CNAVPL notamment) et aux organismes tels que la Caisse mutuelle d'assurance maladie des cultes (CAMAC), la Caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes (CAMAVIC), la Caisse des français à l'étranger (CFE), la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN) ou la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANMSS). Enfin, un décret du 31 mai 1997 étend le principe au régime agricole.

La réforme des droits constatés est ainsi une réforme qui s'est poursuivie sur un certain nombre d'années, sous des ministres différents. Les avantages attendus sont, en effet, importants :

Les avantages attendus de la réforme des droits constatés

Le mécanisme des droits constatés en matière de sécurité sociale présente -pour la Cour des comptes- quatre avantages :

1) Un résultat indépendant des événements venant perturber le règlement des cotisations ou le paiement des prestations ;

2) Une étape importante vers l'harmonisation des comptabilités et des méthodes comptables de l'ensemble des régimes ;

3) Un cadre comptable similaire pour l'ensemble des régimes, les régimes complémentaires et les mutuelles ;

4) Une transparence financière entre les différents acteurs de la sécurité sociale, puisque les droits constatés font apparaître les créances et les dettes respectives de chacun.

La mise en oeuvre de la réforme elle-même ne semble pas poser de problèmes majeurs, contrairement aux craintes émises en 1994.

Ces craintes pouvaient se justifier. Un organisme de sécurité sociale n'est pas une entreprise privée. La définition d'un fait générateur -qui va de soi dans le cadre d'une activité lucrative- apparaît beaucoup plus complexe. La notion de résultat est beaucoup moins pertinente.

Grâce à l'opiniâtreté et au pragmatisme du groupe de travail, grâce aux efforts réalisés par les agents comptables, des réponses ont été apportées aux deux principales questions, à savoir la définition des faits générateurs et les modalités de rattachement à l'exercice.

Mais, comme le fait remarquer M. Philippe Nasse, secrétaire général de la commission des comptes, l'application des droits constatés devrait avoir pour effet automatique une accélération de la remise des comptes de la sécurité sociale, la période complémentaire étant désormais très réduite. Ce n'est malheureusement absolument pas le cas.

2. La fiabilité des comptes de la sécurité sociale demeure incertaine

a) L'absence de plan comptable unique des organismes de sécurité sociale

Contrairement aux comptes de l'Etat, qui reposent sur un réseau hiérarchisé et unique, les comptes de la sécurité sociale ne sont qu'une agrégation de comptes d'organismes locaux, placés sous la responsabilité de caisses nationales.

Il n'existe pas actuellement de plan comptable unique des organismes de sécurité sociale. Une mission interministérielle sur l'harmonisation des plans comptables des organismes de sécurité sociale a été mise en place en décembre 1998. Les travaux de cette mission, placée sous l'autorité de M. Alain Déniel, auditionné par le groupe de travail 31( * ) , semblent être en bonne voie, après un début poussif (sept mois se sont écoulés entre l'annonce de cette mission interministérielle et le début de ses travaux).

L'utilisation de comptes hétérogènes n'est qu'une des conséquences de cette absence de normalisation.

b) L'utilisation de comptes hétérogènes

Comme le note la Cour des comptes, la loi organique de 1996 n'a pas défini la notion de " branche ". Cette notion n'a été clairement identifiée que pour le seul régime général, par la loi du 25 juillet 1994 sur la sécurité sociale.

En l'absence de définition générale, le Gouvernement a adopté un certain nombre de conventions pour la ventilation des dépenses qui sont précisées à l'annexe c) du projet de loi.

Or, de nombreux régimes n'individualisent pas leurs dépenses de charges annexes par branche et l'annexe c) de la loi de financement n'apporte aucune précision sur la ventilation de ces charges qui ne correspondent pas à des prestations versées 32( * ) .

Par ailleurs, la Cour des comptes relève que le concept de dépenses utilisé par la loi organique ne recoupe pas exactement celui d'emplois retenu dans les comptes présentés à la Commission des comptes de la sécurité sociale, les différences résultant :

- du traitement des dépenses et des recettes des départements d'outre-mer dans les comptes de la sécurité sociale ;

- des doubles emplois qui apparaissent dans ces comptes de la sécurité sociale du fait des transferts internes aux régimes de base considérés et des dépenses qui constituent la contrepartie des cotisations prises en charge par les régimes de sécurité sociale ;

- de l'exclusion des régimes de base de moins de 20.000 cotisants ou bénéficiaires de droits propres.

Enfin, la direction de la sécurité sociale utilise deux cadres comptables pour les comptes présentés à la Commission des comptes de la sécurité sociale.

Le premier, utilisé pour le seul régime général, classe les comptes en " recettes " et en " dépenses ". La différence forme la variation du fonds de roulement .

Le second, utilisé pour les autres régimes, classe les comptes en " emplois " et en " ressources ". La différence forme le solde des opérations courantes .

Ce second cadre comptable est utilisé par les annexes du projet de loi de financement.

La question des transferts entre branches du régime général, par exemple, est traitée par la Cour des comptes dans son rapport 1997 33( * ) . On résumera ainsi le problème : comment traiter les transferts entre branches du régime général, alors même que la loi du 25 juillet 1994 a réaffirmé la gestion séparée des branches ? A l'heure actuelle, la convention retenue est la suivante : l'objectif de dépenses de la branche versante inclut les transferts versés aux autres branches, tandis que l'objectif de dépenses de la branche bénéficiaire est présenté net des transferts reçus des autres branches. La Cour des comptes a proposé une formule différente, consistant à conserver les transferts versés aux autres branches, mais à ne pas faire apparaître les transferts dans l'objectif de dépenses de la branche bénéficiaire. Un état des transferts entre branches serait souhaitable.

De manière générale, la Cour insiste dans son rapport 1998 sur le flou des notions de " branche ", de " régime ", de " risque ", de " caisse " ou de " fonds ". Cette critique est liée à l'organisation même des régimes de sécurité sociale, historiquement très complexe.

Les finances sociales diffèrent des finances de l'Etat sur un point essentiel : l'ordonnance organique de 1959 a posé le principe de l'universalité budgétaire, tandis que l'article L. 253-1 du code de la sécurité sociale affirme le principe de l'affectation des recettes de la sécurité sociale : " Les ressources recouvrées en exécution du présent code ne peuvent être affectées à une institution autre que celle au titre de laquelle elles sont perçues " .

Comme le note M. Rémi Pellet 34( * ) , " il est très important de savoir si les cotisations et contributions sociales sont affectées aux branches, aux régimes, aux fonds ou à toute autre entité comptable propre à la sécurité sociale " .

La notion de référence, consacrée par la loi organique de 1996, est celle de " régime ". La règle apparaît toutefois relative, en raison de l'existence de compensations inter-régimes et du partage du produit d'une même contribution sociale entre plusieurs régimes.

La définition d'un régime est également floue ; un régime peut être un ensemble de " couvertures sociales " ou de " branches " (le régime général) ou se réduire à la couverture d'un risque (régimes d'assurance maladie).

De ce point de vue, la complexité des règles fixées par le législateur et le pouvoir réglementaire dans le domaine des finances sociales, plus encore qu'ailleurs, pose problème.

c) La confusion du spontané et du normatif

Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale du mois de septembre, annexe implicite des lois de financement, élabore les comptes " tendanciels " 1999, en partant d'un certain nombre d'hypothèses (évolution de l'ONDAM, du plafond de la sécurité sociale, etc.).

Si ces hypothèses ne sont pas modifiées par le Gouvernement, elles vont être ainsi à la base des discussions législatives, alors même que le Parlement n'aura aucun moyen de les remettre en cause. Par exemple, l'évolution moyenne de 2,7 % du " plafond " de la sécurité sociale a été " arrêtée " par la commission des comptes de la sécurité sociale, qui a appliqué l'article D. 242-17 du code de la sécurité sociale.

La détermination de l'évolution de l'ONDAM par la commission des comptes, signalée par votre rapporteur lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, a été tout à fait étonnante pour deux raisons principales.

- les prévisions ont pris en compte des mesures gouvernementales, et notamment le plan Aubry assurance maladie de l'été 1998, à hauteur des effets souhaités par le Gouvernement ;

- les dépenses d'assurance maladie ont été calculées sur la base d'un ONDAM progressant de 2,6 %, ce qui est le chiffre retenu par le Gouvernement dans le projet de loi.

La définition d'un ONDAM tendanciel mérite certes discussion : doit-il être une simple reconduction de l'existant (ONDAM de l'année précédente) ou une prévision s'appuyant sur l'évolution spontanée des dépenses d'assurance maladie ?

De manière générale, le " tendanciel " , le " prévisionnel " et le " correctif " font l'objet d'une confusion importante. Ainsi, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a annoncé le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 lors de la commission des comptes de la sécurité sociale du 22 septembre 1998. Le dossier de presse est distribué à ce moment, et non lors de l'examen du projet en conseil des ministres, alors même que le contenu de l'avant-projet de loi n'est pas encore rendu public.

d) La modification du mode d'affectation des recettes

L'affectation des recettes entre les différentes branches du régime général et des organismes concourant à leur financement (FSV, CADES) s'effectuait avant 1998 au niveau central de l'ACOSS selon une méthode " statistico-comptable ".

Cette affectation est désormais réalisée selon le système RACINE qui ventile à la source -au niveau des URSSAF- les recettes de la sécurité sociale.

Ce système a permis de confirmer que la méthode jusqu'alors choisie était plus que défaillante, comme le montre le tableau ci-après :

Encaissements CGSS - URSSAF

Comparaison attributions Racine/attributions forfaitaires - Année 1998

 

Répartition comptable

RACINE

Attributions forfaitaires en trésorerie
(Ancienne répartition)

 
 

Montant (MDF)

%

Montant (MDF)

%

Ecart (MDF)

CNAMTS (mal. + CSG)

475,047

43,95

480,866

44,47

- 5,819

CNAMTS A.T.

39,665

3,67

39,732

3,67

- 0,067

CNAVTS

277,128

25,64

271,904

25,14

+ 5,224

CNAF

163,637

15,14

166,139

15,36

- 2,502

Total branches

955,477

 

958,641

 

- 3,164

FSV

46,881

4,34

47,648

4,40

- 0,767

CADES

17,809

1,65

17,792

1,65

+ 0,017

Rég. Oblig. Assur. mal.

21,428

1,98

20,891

1,93

+ 0,523

SOUS-TOTAL

1 041,594

96,37

1 044,972

96,63

- 3,377

Autres tiers

39,283

3,63

36,423

3,37

+ 2,860

TOTAL

1 080,877

100,0

1 081,394

100,0

- 0,517

Source : ACOSS

La variation entre les soldes présentés en loi de financement (octobre 1998) et ceux présentés en mai 1999 n'est pas seulement due au dérapage des dépenses d'assurance maladie :

Variation du fonds de roulement du régime général

en millions de francs

 

LFSS 1999

CCSS mai 1999

écarts

CNAMTS

- 105

- 12.288

- 12.176

CNAMTS AT

1.299

1.221

- 78

CNAVTS

- 3.868

3.586

7.454

CNAF

2.871

2.298

- 573

Ensemble

198

- 5.176

- 5.374

Source : DSS - 6 A

Il est aujourd'hui quasiment impossible de déterminer les modifications s'expliquant par la mise en place du système RACINE et les variations résultant à la fois de l'évolution de la situation macro-économique depuis septembre 1998 et de la hausse des dépenses d'assurance maladie.

Le système RACINE a toutefois permis une accélération très nette de la connaissance des recettes du régime général. En effet, les données finales de répartition des produits et des encaissements 1998 ont été communiquées aux caisses nationales et aux " tiers " (CADES, FSV) à la fin du mois de février 1999, celles relatives au recouvrement direct de l'ACOSS au début du mois de mars.

Lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale du 31 mai 1999, Mme Martine Aubry a annoncé la tenue d'une mission de l'IGAS, qui vient s'ajouter aux différents rapports produits par le cabinet Mazars, choisi par l'ACOSS pour l'aider dans la mise en oeuvre de ce nouveau système.

3. La lisibilité des dispositions financières est imparfaite

a) Des rapports complexes entre les régimes

La complexité des règles fixées par le législateur et le pouvoir réglementaire est, en matière de sécurité sociale, avérée depuis longtemps.

Elle brouille la compréhension des circuits de financement.

Le mécanisme de répartition de la CSG semble être un modèle de complexité jamais atteint auparavant.

Le principe de la répartition de la CSG entre les régimes d'assurance maladie

Extraits du rapport 1998 de la Cour des comptes, p. 79-83

Elle se fait en deux temps (art. L. 139-2) :

- la première répartition a pour objet de compenser exactement, pour chaque régime d'assurance maladie, la perte de ressources résultant de la diminution des taux de cotisation d'assurance maladie au 1 er janvier 1997 ;

(...)

L'article R. 139-1 en fixe le mode de calcul: " la répartition prévue au 1° de l'article L. 139-2 est effectuée au prorata et dans la limite de la perte des cotisations d'assurance maladie induite pour chacun des régimes, au cours de l'exercice considéré, par la diminution des taux de cotisation d'assurance maladie applicable aux revenus perçus ou versés à compter du 1 er janvier 1997. La perte des cotisations est égale au produit du montant correspondant aux cotisations effectivement encaissées au cours de l'exercice, rapportées aux taux de cotisation applicables pour chaque catégorie de cotisation, par la diminution de taux appliquée à chacune des catégories de cotisations au 1 er janvier 1997, en application de la substitution de contribution mentionnée à l'article L. 139-2. " .

- la seconde répartition est effectuée " au prorata des déficits comptables de l'exercice considéré ".

Ces répartitions posent des problèmes d'évaluation difficiles :

- pour la première, il faut estimer les pertes de recettes consécutives à la baisse de la cotisation maladie, ce qui suppose une bonne connaissance de l'assiette de chaque régime par catégorie de cotisants 35( * ) ;

- pour la seconde, il faut anticiper les déficits du régime général et de la CANAM.

Dans les deux cas, on a été contraint de mettre en place un système d'acomptes et de régularisations complexe et peu lisible.

Une simplification de ces mécanismes de répartition paraît souhaitable.

(...)

Les modalités de répartition définies par la loi de financement visent à compenser exactement les pertes de cotisations des régimes et à affecter le supplément de recettes à la CNAM (et la CANAM en 1997).

L'option retenue est que la substitution de CSG à des cotisations maladie, si elle assoit le financement de l'assurance maladie sur des bases plus justes et entraîne un gain de pouvoir d'achat pour les revenus du travail (baisse de taux associée à un élargissement de l'assiette), n'ait aucune incidence sur les ressources des régimes autres que le régime général : ils continueront de recevoir ce qu'ils auraient reçu si les cotisations étaient restées à leur niveau antérieur.

En substituant de la CSG à des cotisations maladie, on remplace des cotisations à base professionnelle (les recettes de chaque régime sont proportionnelles aux revenus des cotisants de ce régime) par un prélèvement global sur la quasi-totalité des revenus au sein duquel on ne peut évidemment plus distinguer ce qui provient de salariés du secteur privé, d'agents de la fonction publique, d'entreprises nationales, de professions indépendantes.

Cependant, on a souhaité reprofessionnaliser cette recette, en calculant ce qu'aurait été le produit des cotisations en l'absence de substitution. Ce choix conduit à des calculs compliqués qui devront désormais être répétés chaque année.

Une autre option aurait été de figer d'emblée la répartition entre régimes, comme on l'a fait pour le partage des droits sur les boissons entre le FSV et la branche maladie (dans les proportions 60-40) sans se préoccuper de compenser exactement le supplément de recettes apporté au FSV par l'élargissement de l'assiette de la CSG. Tous les régimes auraient alors bénéficié d'une assiette (celle de la CSG) progressant comme la richesse nationale (au lieu d'assiettes en déclin pour plusieurs régimes).

Ce faisant, on aurait évidemment modifié l'évolution des ressources des régimes par rapport à la situation antérieure de financement sur la base de cotisations. Les dynamiques des assiettes de la CSG et des cotisations allant à certains régimes sont en effet très différentes.

Cette seconde option aurait été beaucoup plus facile à gérer. Elle n'avait pas moins de signification que la première dans un contexte marqué par la multiplicité des transferts entre les régimes concernés et leur caractère souvent conventionnel.

L'existence de transferts entre régimes , liés notamment à la compensation, de transferts entre branches et l'affectation de recettes à plusieurs bénéficiaires compliquent la lisibilité des comptes de la sécurité sociale.

L'ensemble de ces mécanismes fausse la situation réelle des régimes de sécurité sociale et aboutit, par exemple, à une situation absurde où la CNRACL structurellement excédentaire est autorisée -ou quasiment contrainte- à emprunter par les lois de financement de la sécurité sociale pour 1998 et 1999.

L'existence de recettes affectées à plusieurs bénéficiaires rend la gestion de ces impositions coûteuses, comme l'a montré un rapport récent de l'Inspection Générale des Finances (avril 1999). En effet, il est nécessaire de prévoir des mécanismes de répartition, ainsi que des imputations comptables.

La répartition des droits sur les alcools, dits " droits 403 ", risque ainsi d'être affectée par le projet de loi portant création de la couverture maladie universelle :

Les droits 403 sur les alcools

Ces droits de consommation sur les alcools, dits " droits 403 ", du nom de l'article du code général des impôts les définissant, étaient affectés à l'origine au seul Fonds de solidarité vieillesse. Depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, ces droits sont répartis entre le FSV (60 %) et les régimes d'assurance maladie (40 %).

Il s'agit de l'ensemble des droits, à l'exception de ceux perçus dans les deux départements de la collectivité territoriale de Corse et du prélèvement effectué au profit du BAPSA (article 1615 bis du code général des impôts).

Les droits 403 devraient rapporter, en 1999, 4,2 milliards de francs aux régimes d'assurance maladie et 6,3 milliards de francs au FSV.

Le projet de loi portant création de la CMU complique le système :

- 55 % seraient affectés au FSV,

- 40 % aux régimes d'assurance maladie,

- 5 % au profit de la seule CNAMTS.

Or, la CNAMTS bénéficie déjà d'une cotisation sur les boissons alcooliques, instituée par l'article 26 de la loi n° 83-25 du 19 janvier 1983 (article L. 245-7 du code de la sécurité sociale). Le montant de la cotisation est actuellement fixé à 0,84 franc par décilitre ou par fraction de décilitre (article L. 245-9).

La CNAMTS bénéficierait ainsi de trois ressources distinctes :

- un peu plus de 84 % de 40 % des droits 403 ;

- 5 % des droits 403 ;

- le produit de la taxe sur les alcools.

Enfin, les droits de consommation sur les tabacs sont affectés à la fois au budget de l'Etat et à la CNAMTS :

La répartition des droits de consommation sur les tabacs

Ces droits sont ceux prévus à l'article 575 du code général des impôts. Le barème des droits, établi par l'article 575 A du même code, a été, en dernier lieu, modifié par l'article 33 de la loi de finances rectificative pour 1998 (loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998).

Ces droits sont affectés au budget de l'Etat, en dehors d'une part affectée à la CNAMTS, fixée à 6,39 % par la loi de finances pour 1997, puis à 9,1 % par la loi de finances pour 1998.

Seule la loi de finances, en vertu de l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, portant loi organique relative aux lois de finances, peut procéder à une telle affectation.

Pour 1999, la recette attendue par la CNAMTS est de l'ordre de 4,2 milliards de francs.

b) Des relations confuses entre l'Etat et la sécurité sociale

Les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale sont complexes 36( * ) . Elles ont tendance à l'être chaque année davantage. Cette question recouvre des aspects multiples :

L'Etat employeur

La question du contrôle de la cohérence entre les versements de cotisations de l'Etat et l'assiette salariale correspondante se pose. Le bilan des encaissements 1997 montre une progression de l'assiette salariale du secteur public de 1,4 %. Ce chiffre ne correspond pas à l'évolution de la masse salariale brute résultant de l'évolution des rémunérations et du glissement vieillesse technicité (GVT).

La Cour des comptes a confirmé que le calcul des cotisations patronales de l'Etat employeur était effectué sur la base d'une assiette minorée. Le décret n° 95-38 du 6 janvier 1995 limite l'assiette aux traitements soumis à retenue pour pensions (2 ème alinéa de l'article D. 712-38 du code de la sécurité sociale), alors que les articles L. 241-6 et L. 242-1 précisent la règle générale : l'assiette est constituée par la totalité des sommes versées aux salariés.

Même si elle n'est pas en mesure de chiffrer précisément le manque à gagner pour le régime général 37( * ) , elle l'a estimé de 10 à 15 milliards de francs par an 38( * ) .

Le contrôle apparaît difficile, les URSSAF n'ayant pas d'habilitation juridique pour effectuer le contrôle des versements de l'Etat employeur au régime général. C'est seulement depuis 1997 que la part patronale des cotisations maladie des fonctionnaires est versée aux URSSAF et non plus à l'ACOSS. Enfin, la loi du 25 juillet 1994 sur la sécurité sociale a donné mission à la Cour des comptes d'opérer le contrôle de déclaration de l'assiette des administrations centrales et services déconcentrés de l'Etat.

Cette situation est dénoncée depuis de nombreuses années -à juste titre- par les employeurs privés, qui -strictement encadrés par la réglementation- s'y conforment sous le contrôle exigeant des URSSAF.

Les exonérations de cotisations

Grâce aux travaux de la commission des comptes et de la Cour des comptes, on dispose désormais d'une bonne évaluation du montant des cotisations exonérées et non remboursées par l'Etat : 16,9 milliards de francs en 1998 , correspondant à des mesures prises avant la loi du 25 juillet 1994, c'est-à-dire avant que ne soit posé le principe de la compensation intégrale.

Ces exonérations concernent principalement les contrats emploi solidarité, les contrats emplois consolidés, l'embauche premier salarié et le temps partiel.

Elles sont en croissance malgré leur date déjà ancienne en raison d'une interprétation de la loi du 25 juillet 1994 très défavorable aux régimes de sécurité sociale et, pour tout dire, douteuse : en effet, ni les majorations d'exonérations décidées ultérieurement à la loi du 25 juillet 1994, ni les prorogations de dispositif ne sont compensées.

Exonérations de cotisations non compensées

en milliards de francs

1996

1997

1998 (prévisions)

1999 (prévisions)

15,0

16,8

16,9

17,3

source : CCSS, septembre 1998.

Le montant des exonérations de cotisations patronales compensées intégralement par l'Etat a connu une très vive augmentation à partir de 1996, année marquée par la fusion des deux dispositifs généraux d'allégement de charges sur les bas salaires -exonération de cotisations d'allocations familiales et ristourne dégressive-, par la montée en charge du contrat initiative emploi et par les premiers effets de la " loi Robien ".

Exonérations de cotisations prises en charge par l'Etat

Année

1995

1996

1997

1998

1999

Montant en millions de francs

29.531

53.216

66.492

65.525

61.402 39( * )

source : CCSS, septembre 1998.

Le versement de prestations pour le compte de l'Etat

Des prestations sont gérées et versées par le régime général pour le compte de l'Etat. Il s'agit principalement de la CNAF, qui a été jugée la mieux placée pour gérer ce type de prestations, pour des raisons de proximité. L'Etat rembourse ensuite la sécurité sociale.

Malheureusement, le plus souvent, l'Etat ne verse pas de participation aux frais de gestion. Le montant total des prestations versées pour le compte de l'Etat est de l'ordre de 91,8 milliards de francs. L'Etat participe à hauteur de 380 millions de francs (seule l'allocation de logement à caractère social fait l'objet d'une participation aux frais de gestion). Si l'Etat versait aux caisses un montant de 3 % pour participation aux frais de gestion de l'ensemble des prestations servies pour son compte, il devrait s'acquitter de 2,7 milliards de francs.

Prestations versées en 1999 par les régimes sociaux
pour le compte de l'Etat
(prévisions)

en milliards de francs

Minima sociaux

 

RMI

26,4

AAH

24,8

API

4,2

Allocation spéciale d'invalidité

1,6

Logement (APL, ALS, ALT)

 

Aides au logement FNH

16,6

Aides au logement FNAL

18,1

Aide au logement ALT

0,1

TOTAL

91,8

En sens inverse, l'Etat fait payer à l'ACOSS un taux de prélèvement pour frais d'assiette et de recouvrement opéré sur le produit des prélèvements sociaux sur les produits du patrimoine de 0,5 % 40( * ) .

A l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, les deux assemblées avaient d'ailleurs souhaité -à l'initiative de M. Alfred Recours, rapporteur pour les équilibres généraux à l'Assemblée nationale- supprimer cette " ponction ". La loi de finances rectificative pour 1998 a immédiatement rétabli cette disposition. L'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 n'est ainsi jamais entré en vigueur.

Les charges de trésorerie

La charge de trésorerie pesant sur le régime général -pour certaines prestations- est loin d'être neutre.

La majoration de l'allocation de rentrée scolaire est principalement à l'origine du décret n° 98-753 du 26 août 1998 41( * ) , qui a relevé le plafond des avances de trésorerie au régime général de 20 à 31 milliards de francs.

Des prestations liées aux fonds logement sont remboursées ex post par l'Etat. A l'inverse, le versement de prestations comme le revenu minimum d'insertion (RMI) et l'allocation aux adultes handicapés (AAH) font heureusement l'objet d'une mensualisation.

Les effets de trésorerie de la CSG ne sont pas négligeables ; la CSG sur patrimoine est recouvrée selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, par voie de rôle. Elle est reversée à l'ACOSS le 15 décembre de chaque année, à la différence de la CSG sur les placements (prélèvement libératoire), versée en plusieurs acomptes, mais le plus souvent en fin d'année.

La création par la loi de financement pour 1998 d'une contribution unique de 2 % affectée à la CNAVTS et à la CNAF, se substituant aux deux contributions de 1 % existantes, a également modifié le reversement de cette contribution, en l'alignant sur le système mis en place pour la CSG sur patrimoine ou sur placements.

Dans son rapport adressé au Parlement pour justifier un plafond des avances de trésorerie au régime général supérieur à celui fixé par la loi de financement pour 1998, le Gouvernement évoque lui-même cet argument, après ceux relatifs à la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et au dérapage des dépenses d'assurance maladie.

Le régime des fonctionnaires de l'Etat

L'Etat sert les prestations familiales pour les agents de droit public qu'il rémunère (art. D. 212-3 du code de la sécurité sociale).

Le taux de cotisation est inférieur au droit commun pour tenir compte du coût administratif du service et de l'action sociale exercée par l'Etat.

La comptabilité budgétaire de l'Etat ne décrit pas le régime des prestations familiales des agents de droit public de l'Etat. Elle cumule toutes les prestations, qu'elles soient servies en métropole ou dans les départements d'outre-mer. Le solde compensatoire métropole n'a pas de sens : ce n'est pas la différence entre les cotisations versées par l'Etat employeur et les prestations versées par l'Etat, remboursées par la CNAF.

Comme l'indiquait la Cour des comptes en juillet 1997 42( * ) : " Les comptes de l'Etat se présentent comme s'il avait en charge les prestations et versait une subvention au régime général, sous l'apparence d'un solde compensatoire. Ils traduisent là l'Etat puissance publique plus que l'Etat employeur. "

La question du Budget annexe des prestations sociales agricoles

Le BAPSA a été créé par l'article 58 de la loi de finances pour 1960 (n° 59-1454 du 26 décembre 1959). Il est régi par les articles 1003-1 à 1003-7 du code rural.

Le système des budgets annexes est un cadre juridique (art. 20 à 22 de l'ordonnance de 1959) créé pour les services de l'Etat producteurs de biens et services marchands. Un régime de sécurité sociale -financé par des prélèvements obligatoires, des transferts et des subventions diverses- correspond difficilement à cette définition.

L'institution des lois de financement aurait pu remettre en cause l'existence du BAPSA, qui n'est qu'un cadre comptable.

En raison de la structure démographique très défavorable du monde agricole, le régime des exploitants agricoles est l'un des régimes de sécurité sociale qui dépend le plus de la solidarité des autres régimes et du contribuable. Le BAPSA n'est pas un cas unique ; plusieurs régimes spéciaux bénéficient de subventions d'équilibre, sans faire pour autant l'objet d'un budget annexe : SNCF, marins, mineurs...

L'existence d'un budget annexe des prestations sociales agricoles donne au monde agricole l'assurance que ce budget annexe sera toujours équilibré, parce que le budget général assurera -en dernier ressort- cet équilibre. Il apparaît à l'analyse que le statut de budget annexe n'est pas -en lui-même- source d'équilibre systématique. L'exécution du BAPSA peut révéler un excédent ou un déficit (art. 1003-6 du code rural). Un fonds de roulement existe.

La lecture comparée du fascicule budgétaire (" bleu ") BAPSA et des comptes prévisionnels du régime des exploitants agricoles présentés en annexe du projet de loi de financement laisse apparaître une différence de présentation. Le BAPSA est, en effet, plus détaillé, notamment en ce qui concerne les recettes ; l'annexe de la loi de financement les regroupe par catégories, alors que le BAPSA permet d'identifier chacune des cotisations ou des impositions.

Pour 1998, le projet de BAPSA a été construit " à droit constant ", sans tenir compte de la poursuite du basculement des cotisations sociales maladie sur la CSG et de la mise sous condition de ressources des allocations familiales proposée par le projet de loi de financement.

Pour 1999, le projet de BAPSA n'était pas non plus cohérent avec le projet de loi de financement. D'une part, les mesures " famille " n'ont pas été prises en compte, en dehors du retour à l'universalité des allocations familiales. D'autre part, la part d'excédent de contribution sociale de solidarité sur les sociétés (C3S) affectée au BAPSA était de 600 millions de francs dans le bleu budgétaire et d'un milliard de francs dans le projet de loi de financement.

Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1998 comme lors de la discussion de la loi de finances pour 1999, un amendement de coordination a été nécessaire pour mettre en conformité la loi de finances avec la loi de financement.

c) Des frontières indécises entre lois de finances et lois de financement
(1) Une confusion entre recettes approuvées dans le cadre des lois de financement et recettes approuvées dans le cadre des lois de finances

Des " jeux de miroir " existent entre loi de finances et loi de financement, comme le montre l'exemple des droits 406 A, supprimés à la fois par la loi de finances pour 1999 et par la loi de financement pour 1999.

Outre qu'il est quelque peu absurde de demander deux fois au Parlement d'approuver la même disposition, cette recette était intégralement affectée à un " organisme concourant au financement de la sécurité sociale " , à savoir le FSV. Il aurait été infiniment plus logique de voir figurer cette disposition en loi de financement, même si l'administration à l'origine de cette suppression était la Direction Générale des Impôts 43( * ) .

Les administrations de l'Etat ne semblent pas avoir pris parfaitement conscience de l'existence des lois de financement, dont la raison d'être est pourtant bien de traiter les questions relatives aux dépenses et aux recettes intégralement affectées à la sécurité sociale.

Le régime fiscal des impositions et cotisations de la sécurité sociale est également en cause.

Le débat à l'Assemblée nationale sur la déductibilité du point de CSG maladie transféré par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 est, à cet égard, particulièrement intéressant 44( * ) .

L'inscription dans le projet de loi de financement de la déductibilité de la CSG aurait été considérée par le Conseil d'Etat comme un " cavalier social ".

Notre collègue M. Yves Fréville, alors député d'Ille-et-Vilaine, s'en étonnait : " Si nous voulons discuter de cotisations ou d'impôts affectés à la sécurité sociale (...) nous devrons bien, l'accessoire suivant le principal, définir le régime fiscal de ces cotisations et de ces déductions. La meilleure preuve est que, selon l'ordonnance organique sur les lois de finances, toute disposition fiscale peut figurer dans n'importe quelle loi. (...) Je souhaite très vivement que le Conseil constitutionnel, qui aura un jour à se prononcer, dise très clairement que cette interprétation prive le débat de son importance, dise que l'accessoire suit le principal et que nous pouvons discuter ici des conséquences fiscales de mesures qui concernent l'équilibre financier de la sécurité sociale "

(2) Une confusion entre prestations sociales et prestations gérées pour le compte de l'Etat

La gestion pour le compte de l'Etat de prestations (RMI, AAH) a pour conséquence, dans les comptes de la CNAF, des dépenses " compensées " par un remboursement de l'Etat.

Mais la distinction entre les prestations légales et les prestations gérées pour le compte de l'Etat semble délicate, puisque le RMI n'apparaît pas dans les comptes présentés en loi de financement, à la différence de l'AAH.

Certes, le RMI n'est pas une prestation de sécurité sociale, à l'inverse de l'AAH, mais le traitement des deux dépenses prises en charge in fine par les finances de l'Etat est différent. Comme le note l'enquête conjointe de l'Inspection Générale des Affaires Sociales et de l'Inspection des Finances de janvier 1999, l'AAH est " un minimum social de nature ambiguë " .

La structure des lois de financement dépend ainsi de choix dont la justification est peu évidente.

Le gonflement des masses financières peut être aléatoire comme le montre la majoration de l'allocation de rentrée scolaire. Cette décision prise en cours d'année entraîne une augmentation de l'objectif de dépenses de la branche famille et une augmentation à due concurrence des prévisions de recettes au titre du remboursement à la CNAF par l'Etat de cette prestation.

De sorte qu'analyser l'application des lois de financement revient à constater le gonflement des masses financières pour souligner ensuite qu'un tel gonflement n'a guère de signification.

d) L'absence surprenante de la dette sociale

Par ailleurs, la dette sociale est absente dans les lois de financement de la sécurité sociale. Comme le montre un observateur critique 45( * ) , cette " disparition " est fondée sur une interprétation du 2° de l'article LO. 111-3 selon lequel la loi de financement de la sécurité sociale " prévoit, par catégorie, les recettes des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement " .

Les annexes jointes au projet de loi semblent distinguer entre les organismes ayant pour mission de concourir au financement des régimes et ceux qui concourent à l'apurement de la dette. De fait, les comptes de la CADES sont présentés au sein de l'annexe f), mais les recettes et les dépenses ne figurent pas dans les articles de la loi de financement relatifs aux prévisions de recettes et aux objectifs de dépenses.

S'agissant des objectifs de dépenses par branche, il serait probablement difficile d'y faire figurer les comptes de la CADES, à moins de créer une ligne ad hoc. En revanche, concernant les recettes, il est tout à fait étonnant que la contribution pour le remboursement de la dette sociale, qui est présente sur toutes les fiches de paie, n'apparaisse pas dans la catégorie des recettes inscrites en loi de financement. Il reste que cette inscription au sein des recettes aurait pour effet d'accroître l'hétérogénéité du champ des dépenses et des recettes figurant en loi de financement.

De fait, le Conseil constitutionnel a reconnu, dans sa décision n° 97-393 DC sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, que les opérations de la CADES contribuait à l'équilibre financier du régime général de la sécurité sociale :

" Considérant que l'article contesté opère un nouveau transfert de dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale ; qu'en raison de l'ampleur de la dette ainsi transférée, cette mesure permettra d'alléger les frais financiers du régime général de la sécurité sociale et de réduire ses besoins de financement externes dans une proportion contribuant ainsi de façon significative à son équilibre financier " .

4. Le suivi de l'application est pour l'instant embryonnaire

Le suivi de l'application 46( * ) de la loi de financement de la sécurité sociale est, par nature, très récent. Il ne semble pas avoir fait de progrès majeurs depuis trois ans.

a) L'absence d'un tableau de bord des finances sociales

Il est pourtant essentiel, pour les pouvoirs publics, de disposer d'un tableau de bord des finances sociales, d'un instrument technique fiable , avant de procéder à des décisions politiques .

Le suivi infra-annuel des dépenses qui a suscité le plus de critiques, est paradoxalement celui qui est aujourd'hui le plus avancé. La CNAMTS diffuse des statistiques à 45 jours, regroupant les trois principaux régimes d'assurance maladie ; elle a désormais identifié la quasi-totalité des prescripteurs. Ces statistiques respectent les masses votées en lois de financement : objectifs de dépenses de la branche assurance maladie, ONDAM.

Le suivi infra-annuel des recettes reste, à l'inverse, embryonnaire. La mise en place du système RACINE ne date que de janvier 1998. Il est particulièrement difficile de disposer de chiffres sûrs sur l'accroissement des cotisations sociales, mois par mois. Pour l'année 1998, date de première application du système, les régimes de sécurité sociale et les organismes concourant à leur financement n'ont disposé des premiers chiffres qu'au mois d'octobre.

La commission des comptes de la sécurité sociale de printemps, consacrée au seul régime général, ne permet pas de disposer d'évaluations sur les objectifs de dépenses et sur les prévisions de recettes votés par le Parlement.

Elle procède, en revanche, à une actualisation des comptes des régimes de sécurité sociale en fonction des décisions prises lors de l'examen par le Parlement du projet de loi de financement. Ces décisions peuvent modifier sensiblement les chiffres présentés par les annexes des lois de financement. Dès lors, il apparaît curieux qu'il faille attendre six mois pour que cette évaluation soit rendue publique.

De manière générale, le fonctionnement des commissions des comptes ne semble pas s'être suffisamment adapté à la création des lois de financement. La commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 1998 ne comportait ainsi aucune évaluation sur la réalisation de l'ONDAM 1998.

Bien plus, l'annexe b) au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, censée retracer l'application des mesures de la loi de financement, ne comportait aucune évaluation des objectifs de dépenses, des prévisions de recettes et de l'ONDAM, qui sont pourtant des dispositions votées explicitement par le Parlement. Ce dernier se prononce sur la loi de financement de l'année n+1, sans disposer d'une évaluation révisée des chiffres de l'année n.

b) La multiplication des annexes aux projets de loi de financement

La production des annexes de la loi de financement est, pour l'administration de la sécurité sociale, une lourde charge. Il importe de vérifier si le contenu des différents fascicules est nécessaire au contrôle du Parlement, et suffisant pour apprécier les dispositions du projet de loi.

Le législateur n'a pas simplifié le contenu de l'annexe b) , puisque l'article 3 de la loi de financement pour 1997 n° 96-1160 du 27 décembre 1996 a demandé la remise de sept rapports supplémentaires :

- le bilan des contrôles médicaux effectués dans le secteur de l'hospitalisation ;

- l'état de la réforme de la nomenclature générale des actes professionnels ;

- l'exécution budgétaire de la loi de financement ;

- le bilan des expérimentations des " filières et réseaux de soins " ;

- la mise en oeuvre des références médicales opposables ;

- les restructurations hospitalières ;

- le bilan de l'exécution du programme de médicalisation des systèmes d'information ;

- le bilan des contrôles d'attributions des prestations familiales.

De surcroît, l'article 25 de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 -créant le fonds d'accompagnement social pour la modernisation des hôpitaux (FASMO)- dispose que " pour l'information du Parlement, le Gouvernement lui présentera, chaque année, pendant six ans, un rapport attaché à l'annexe visée au b du II de l'article LO. 111-4 du code de la sécurité sociale sur l'utilisation du fonds ".

La décision du Conseil constitutionnel n° 98-404 du 18 décembre 1998 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 est venue préciser le cadre dans lequel s'exercent les demandes supplémentaires des parlementaires. Pour le Conseil, " seule la loi organique peut déterminer les rapports qui doivent être annexés aux projets de loi de financement de la sécurité sociale " ; le I de l'article 28 de la loi déférée, demandant un rapport sur " l'état de la santé bucco-dentaire de la population " et joint à l'une des annexes au projet de loi de financement, est contraire à la Constitution, puisque " adopté au terme d'une procédure irrégulière " .

Cette décision peut se justifier par la volonté de limiter la multiplication vaine de documents n'ayant qu'un rapport anecdotique avec le financement de la sécurité sociale. Elle est toutefois sévère et fige le contenu des annexes, dont on peut d'ailleurs regretter qu'elles aient été aussi strictement définies dans la loi organique.

Rien n'empêche au demeurant le législateur de demander un rapport déposé au même moment que la date du dépôt du projet de loi, fixée par la loi organique (15 octobre au plus tard).

c) Les freins à la mission de la Cour des comptes

Le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale par la Cour des comptes, prévu par l'article 47 alinéa 1, a suscité beaucoup d'espoirs. Le rapport de la Cour pourrait permettre au Parlement de dépasser les imperfections du rapport de la commission des comptes et les imprécisions des annexes.

La Cour des comptes, la sécurité sociale et le Parlement

Deux innovations fondamentales ont tout d'abord été introduites par la loi du 25 juillet 1994 :

- l'article 6 (devenu article L. 111-6 du code des juridictions financières ) fait obligation à la Cour de rendre compte, dans son rapport annuel sur l'exécution du budget, de la manière dont l'Etat acquitte ses cotisations ou verse ses contributions au régime général de sécurité sociale.

- l'article 13 prévoyait la transmission d'un rapport annuel sur la sécurité sociale comprenant trois parties : une analyse des comptes de l'ensemble des organismes soumis au contrôle de la juridiction, une synthèse des avis des CODEC et les observations éventuelles de la Cour adressées aux autorités de tutelle.

A la suite de la révision constitutionnelle du 22 février 1996 et du dernier alinéa du nouvel article 47-1 de la constitution " La Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'application des lois de financement " , le nouvel article L.O. 132-3 du code des juridictions financières , introduit par la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996, a repris la rédaction de l'article 13 de la loi de 1994, en l'adaptant :

" Chaque année, la Cour des comptes établit un rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ce rapport présente, en outre, une analyse de l'ensemble des comptes des organismes de sécurité sociale soumis à son contrôle et fait une synthèse des rapports et avis émis par les organismes de contrôle placés sous sa surveillance. Ce rapport est remis au Parlement sitôt son arrêt par la Cour des comptes.

Les réponses faites aux observations de la Cour des comptes sont jointes au rapport. "


Par ailleurs, l'article L. 132-3-1 du code des juridictions financières dispose que " la Cour des comptes peut être saisie par la commission parlementaire compétente de toute question relative à l'application des lois de financement et procède, dans ce cadre et à la demande de cette commission, aux enquêtes sur les organismes soumis à son contrôle. "

" En l'absence d'informations pertinentes "
47( * ) , ce contrôle ne répond pas tout à fait aux attentes. La Cour a rendu son premier rapport, le 13 octobre 1998, portant sur l'application d'une loi de financement (celle de 1997). Seules les pages 47 à 96 de ce rapport par ailleurs très volumineux et très complet sont liées directement à la mission constitutionnelle de la Cour.

Ce contrôle de l'application des lois de financement reste, par ailleurs, fragmentaire ; la Cour des comptes s'est, par exemple, prudemment abstenue d'effectuer un bilan financier de l'effectivité des mesures de redressement annoncées en septembre 1996.

Le développement du rapport de la Cour des comptes
sur la sécurité sociale

Année

Nombre de pages

1996

467

1997

514

1998

1.047

Le reste du rapport comprend des informations très utiles, mais non directement liées au contrôle de l'application de la loi de financement.

5. La portée de l'ONDAM est encore ambiguë

L'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) est à l'évidence devenu l'acronyme central des lois de financement de la sécurité sociale.

Le débat se concentre sur l'évolution des prérogatives du Parlement ; or, la sanction d'un dépassement de l'ONDAM est aujourd'hui inexistante.

a) Le " brouillard " de la répartition entre enveloppes

La loi de financement de la sécurité sociale donne au Parlement le pouvoir de voter le montant de cet ONDAM, selon une précision tout à fait étonnante.

Les ONDAM 1997 - 1999

 

LFSS 1997

LFSS 1998

LFSS 1999

Montant (en milliards de francs)

600,2

613,8

629,9

Taux de variation

1,7 %

2,2 %

2,6 %

N.B. Montants indiqués par les lois de financement.

Depuis la première loi de financement de la sécurité sociale, certains parlementaires -et non des moindres- jugent l'instrument insuffisant et souhaitent que le Parlement se prononce sur la répartition des enveloppes.

M. Jean-Luc Préel, député UDF, a ainsi déposé le 25 février 1998 une proposition de loi organique, visant à élargir le contenu des lois de financement de la sécurité sociale 48( * ) , pour que les lois de financement fixent " le montant des contributions des régimes obligatoires de base au financement des établissements publics nationaux intervenant en matière de santé publique ".

Fort logiquement, M. Jean-Luc Préel s'expliquait ainsi le 30 octobre 1998 49( * ) : " Je regrette que nous ne votions pas la répartition de l'ONDAM entre les soins ambulatoires et l'hospitalisation. En effet, tous les professionnels que nous rencontrons s'imaginent que ce sont les députés qui déterminent l'enveloppe de chaque profession. Quel pouvoir avons-nous dans l'imaginaire de nos concitoyens ! En fait, il n'en est rien : nous ne votons même pas la répartition entre les soins ambulatoires et l'hospitalisation. "

Lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, à l'initiative de M. Evin, rapporteur pour l'assurance maladie et les accidents du travail et de MM. Préel, Foucher, Gengenwin et Bur, l'Assemblée nationale avait ajouté à l'article du projet de loi fixant l'ONDAM pour 1999 l'alinéa suivant :

" Avant la première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale par l'Assemblée nationale, le Parlement est informé de la répartition prévisionnelle de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie " .

Cette précision n'apportait pas de véritable révolution, la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale disposant de la répartition en quatre sous-enveloppes de l'ONDAM environ quinze jours avant le début de la séance publique. Le Gouvernement s'était toutefois opposé à cet amendement, arguant de sa non-compatibilité avec les dispositions de la loi organique.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, a constaté que la disposition introduite par l'Assemblée nationale empiétait  sur le domaine réservé par la Constitution à la loi organique et devait être dès lors " déclarée contraire à la Constitution comme ayant été adoptée au terme d'une procédure irrégulière " . Cette décision n'était pas tout à fait évidente ; le Parlement ne demandant pas à voter la répartition de l'ONDAM, mais à être informé. M. Claude Evin avait indiqué qu'il s'agissait d'un moyen de " tester le Conseil constitutionnel, qui (...) ne saurait s'opposer à une meilleure information du Parlement " 50( * ) .

Force est de constater que la situation n'est pas satisfaisante.

D'un côté, comme le note M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, " on imagine mal qu'en loi de finances initiale on demande au Parlement de voter l'ensemble du titre IV sans connaître les ventilations ministère par ministère. " .

De l'autre, la comparaison avec les crédits budgétaires inscrits en loi de finances ne vaut pas raison car elle fait peu de cas des responsabilités qui sont celles des partenaires sociaux dans la gestion de l'assurance maladie et de la nécessité de développer une politique conventionnelle.

Tout au plus, peut-on considérer qu'être informé solennellement de cette répartition sans pourtant la voter serait l'approuver implicitement, ce qui serait certainement la pire des solutions et constituerait un nouveau risque " d'instrumentalisation " du Parlement.

En outre, figer législativement la répartition de l'ONDAM entre prescripteurs est incompatible avec deux autres préoccupations : une certaine fongibilité des enveloppes, notamment à partir d'un coût par pathologie ; le souci d'aller vers une forme de régionalisation de la politique d'assurance maladie qui rend difficile la multiplication des répartitions selon plusieurs critères.

En réalité, la véritable question est celle du contenu de l'ONDAM en termes de santé publique.

Passée la constitution de l'agrégat comptable initial dans la loi de financement pour 1997, il importe de donner un sens à l'approbation par le Parlement de son évolution ultérieure.

Or, la fixation par les lois de financement pour 1998, puis 1999 d'un taux de progression de l'ONDAM repose davantage sur la reconduction de moyens, calculée de façon plus ou moins réaliste ou rigoureuse, que sur l'analyse des besoins que la collectivité est prête à satisfaire dans le domaine de la santé publique.

b) Une dérive auquel le Parlement assiste impuissant

Au-delà de ce débat sur l'évolution des pouvoirs du Parlement sur l'ONDAM, il convient d'insister sur un point majeur, relevé par le président de la CNAMTS : la sanction éventuelle d'un dépassement de l'ONDAM est, à l'heure actuelle, inexistante. L'ONDAM 1998 a été voté par les parlementaires à hauteur de 613 milliards de francs. Il sera supérieur à 622 milliards de francs. Aucune conséquence n'est tirée de ce dépassement, ce qui apparaît choquant. Il existe pourtant la possibilité de recourir à des lois de financement en cours d'année, baptisées -par une analogie probablement abusive avec les lois de finances- lois de financement rectificatives, mais qui permettraient de " rectifier le tir ".

Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre 1998 abordait une question plus technique, celle de la détermination des parts de chaque régime dans l'ONDAM.

Cette détermination apparaît nécessaire alors que l'on souhaite organiser un suivi statistique de la politique de maîtrise : " l'importance des questions précédemment soulevées plaide pour une procédure publiquement consensuelle de détermination des parts de chaque régime dans l'ensemble de l'ONDAM et pour que toutes les commissions des comptes soient des commissions tous régimes (...) afin que soit assurée une cohérence entre le plan de la maîtrise des dépenses qui est d'emblée tous régimes, et celui de la situation financière des organismes de sécurité sociale qui doit se conformer à l'existence de comptes individualisés par régime " 51( * ) .

Le rapport de mai 1999 de la commission des comptes de la sécurité sociale construit un ONDAM régime général en multipliant l'ONDAM tous régimes par la part que devrait représenter en 1999 le régime général dans l'ensemble des dépenses d'assurance maladie des régimes : " cette part estimée peut être en appliquant à la part estimée pour 1998 la dérive moyenne de 0,3 point de la part du régime général constatée au cours des dernières années " 52( * ) .

Améliorer la transparence des conditions de répartition de ces enveloppes entre professionnels de santé, entre régimes et entre régions, est certainement nécessaire.

La question du suivi de l'exécution de l'ONDAM demeure posée.

6. L'équilibre est abordé de manière fragmentaire

a) L'absence d'un équilibre global

La loi organique de juillet 1996 a, en quelque sorte, organisé une absence d'équilibre des lois de financement de la sécurité sociale : les objectifs de dépenses sont prévus par branche , et pour les seuls régimes de plus de 20.000 cotisants, les prévisions de recettes sont définies par catégorie sans recouvrir pour autant le même champ que les objectifs de dépenses, les plafonds d'avances de trésorerie concernent enfin les régimes .

Il n'y a donc pas d'article d'équilibre en loi de financement comme il peut en exister en loi de finances. Les données sur lesquelles se prononcent le Parlement ne permettent pas davantage de reconstituer un équilibre par branche.

Pourtant, l'article 34 de la constitution dispose que " les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses " .

Le Conseil constitutionnel a rendu, en décembre 1997, une décision où il se réfère à " l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale " pour justifier, " compte tenu des sommes en jeu " , la validation rétroactive de la BMAF (base mensuelle des allocations familiales) pour 1996 et les exercices ultérieurs.

Comme des commentateurs ont pu le noter, " on pourrait même s'interroger sur la constitutionnalité d'une loi de financement qui, à la différence des deux premières, entérinerait un déficit sans afficher un objectif clair de retour à l'équilibre accompagné de mesures sérieuses de redressement financier " 53( * ) .

b) Les comptes du régime général au centre du débat

De fait, cette absence d'un équilibre des lois de financement a conduit le Parlement à débattre du seul équilibre des comptes du régime général.

Les lois de financement proposent des mesures de redressement, portant sur le seul régime général, alors que les prévisions et les objectifs votés par les parlementaires concernent l'ensemble des régimes.

Le débat se concentre, en effet, sur le tableau présenté à l'annexe c) du projet de loi de financement et qui figure en bonne place dans le dossier de presse du projet de loi.

Ce tableau détaille l'impact des mesures proposées par le Gouvernement sur les comptes des branches du régime général, en partant des comptes tendanciels annoncés par la commission des comptes du mois de septembre, pour aboutir à des soldes prévisionnels " après loi de financement ".

Cette situation n'est guère satisfaisante car elle conduit le Parlement à se prononcer sur les comptes prévisionnels d'un régime de sécurité sociale géré par les partenaires sociaux, ce que souhaitait précisément éviter la loi organique. Le Parlement entérine de surcroît cet équilibre du régime général sans naturellement le voter explicitement.

Enfin, cette restriction du débat au seul régime général est fâcheuse pour deux raisons :

- ne parler que du déficit du régime général fait porter sur ce seul régime la responsabilité des dérapages ;

- en sens inverse, les effets du projet de loi de financement sur les autres régimes sont passés sous silence.

A titre d'exemple, le fait d'avoir attribué la deuxième répartition CSG et droits sur les alcools prioritairement à la CNAM, par la loi de financement pour 1998, a eu pour effet de diminuer son déficit ; en revanche, cette mesure a été défavorable à la CANAM. Les intérêts propres des non-salariés, échappant à la " norme " du régime général, sont souvent méconnus.

Il est important de rappeler que la loi du 25 juillet 1994, en affirmant le principe de séparation des branches, a affirmé l'objectif d'équilibre de chaque branche du seul régime général. Les contraintes d'équilibre sur la sécurité sociale sont aujourd'hui, à la fois dépourvues de sanction explicite par le Parlement, et en même temps multiples.

c) Un plafond d'avances de trésorerie non significatif

Le rapport 1998 de la Cour des comptes consacre un long développement à " l'ambiguïté " et aux " limites " de la notion de plafonds d'avance 54( * ) .

En effet, les besoins de trésorerie des régimes soumis à plafond ne reflètent pas seulement le solde de leurs recettes et de leurs dépenses (c'est-à-dire leur solde comptable), mais également les éventuels décalages de trésorerie auxquels ils sont soumis.

Plafonds d'avances de trésorerie 1997 - 1999

en milliards de francs

LFSS 1997

LFSS 1998

LFSS 1999

Régime général

66,0

20,0

24,0

Régime des exploitants agricoles

8,5

8,5

10,5

CNRACL

 

2,5

2,5

Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines

2,3

2,3

2,3

Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat

0,8

0,5

0,5

Or, l'article de la loi organique du 22 juillet 1996 était un moyen pour le Parlement d'exercer un contrôle, principalement sur les comptes du régime général, " l'objectif étant de contenir le déficit qui ne doit pas dépasser a priori celui inscrit dans les comptes du régime général annexés à la loi de financement " 55( * ) .

L'application des deux premières lois de financement s'est traduite par une modification des plafonds du régime général par voie réglementaire. Le relèvement du plafond d'avances du régime général opéré par le décret n° 98-753 du 26 août 1998 a été justifié essentiellement par la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et le dérapage des dépenses d'assurance maladie.

Le profil d'avances de trésorerie du régime général proposé en loi de financement initiale sera toujours faux à partir du moment où n'est pas prise en compte la majoration de l'allocation de rentrée scolaire décidée en cours d'année.

En outre, comme le montre le tableau ci-après, au sein même du régime général, le lien n'apparaît guère univoque entre le niveau du déficit et le plafond du recours à l'emprunt .

De sorte que le plafond des avances de trésorerie se révèle décevant comme instrument de contrôle des déficits.

Les avances de trésorerie et le solde du régime général 1997 - 1999

en milliards de francs

LFSS 1997

LFSS 1998

LFSS 1999

Plafond inscrit en loi de financement

66,0

20,0

24,0

Solde prévu du régime général

- 29,7

- 12,0

0,0

Solde du régime général (estimations)

- 33,7

- 17,0

- 5,2

Plafond après mesure réglementaire

80,0

31,0

 

les propositions de la commission des affaires sociales

" On ne change pas la société par décret " , avait mis en garde le sociologue Michel Crozier. A l'évidence, la sécurité sociale ne se réforme pas uniquement au moyen de textes juridiques.

" 1995, c'est hier " , comme l'a rappelé M. Jean-Marie Spaeth lors de son audition devant le groupe de travail. Pour preuve, la loi du 25 juillet 1994, véritable " loi matrice " annonçant la loi organique du 22 juillet 1996, n'a pas encore épuisé toutes ses richesses.

Aussi n'est-il pas étonnant que l'institution des lois de financement n'ait pas eu le temps de produire tous ses effets.

Mais avant que ces lois ne soient figées dans leur pratique, il importe que le Parlement puisse réfléchir aux ajustements et améliorations possibles de ce nouvel instrument. Tel était l'objet du groupe de travail constitué au sein de votre commission des Affaires sociales.

Il serait regrettable en effet de considérer que la loi organique du 22 juillet 1996 est d'ores et déjà un texte intangible, comme l'est devenue l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances 56( * ) .

Dès lors, une amélioration significative du contenu des lois de financement nécessite trois préalables , sur lesquels le Parlement doit se montrer particulièrement vigilant.

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