LE DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE POUR 2000 : des intentions aux faits

MARINI (Philippe), Rapporteur général

RAPPORT D'INFORMATION 437 (98-99) - COMMISSION DES FINANCES

Table des matières




N° 437

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 16 juin 1999

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le débat d'orientation budgétaire pour 2000 ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général.

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.


Finances publiques.

CHAPITRE PREMIER :

CROISSANCE, UN SCÉNARIO OPTIMISTE

Les perspectives de croissance pour l'an prochain sont contenues dans une fourchette allant de 2,5 % à 3 % en volume.

Ce scénario repose sur une croissance française relativement dynamique.

Sa réalisation est d'abord tributaire d'un environnement étranger qui resterait assez stable. Elle est également dépendante du maintien, voire de l'accentuation d'une orientation favorable des comportements des agents économiques français.

I. UNE CROISSANCE RELATIVEMENT DYNAMIQUE

Le scénario de croissance associé à la préparation du prochain budget apparaît relativement dynamique.

A. UNE FOURCHETTE LARGE POUR UNE CROISSANCE SOUTENUE...

La croissance en volume du produit intérieur brut (PIB) serait comprise dans une fourchette allant de 2,5 à 3 %.

En supposant une dérive des prix du PIB de l'ordre de 0,7 à 0,9 %, la croissance en valeur s'élèverait à une valeur comprise entre 3,2 et 3,9 %.

Une première remarque, de méthode, s'ensuit. La marge d'aléas de la prévision associée à la préparation de la loi de finances dépasse, au moins en apparence, " l'épaisseur du trait ". Le calibrage du budget supposant de se fonder sur une estimation plus fine, on ne voit pas l'utilité d'afficher dans le cadre d'un tel exercice une gamme des possibles aussi étendue. Autant un tel modus operandi peut se concevoir lorsqu'il s'agit de présenter un cadrage des finances publiques à moyen terme destiné à démontrer la soutenabilité de la politique budgétaire, comme c'est le cas dans la procédure européenne des programmes de stabilité, autant il ne se justifie pas lorsqu'on prépare une loi de finances, exercice qui réclame une précision suffisante.

La mise en exergue d'une telle marge d'incertitude - on rappelle que 0,7 point de croissance représente environ 0,35 point du PIB de solde public - relève peut-être d'une habilité de présentation mais ne contribue aucunement à la sincérité de la présentation des orientations budgétaires.

Sous ses réserves, on peut présenter le scénario de croissance à partir des données du tableau ci-après qui retiennent une progression de l'activité de 2,8 %.

Evolution des ressources et emplois de biens et services

(en milliards de francs et en indices)

 

1997

1998

1999

2000

 

Valeur aux prix courants

Indice de volume

Valeur aux prix n-1

Indice de prix

Valeur aux prix courants

Indice de volume

Valeur aux prix n-1

Indice de prix

Valeur aux prix courants

Indice de volume

Valeur aux prix n-1

Indice de prix

Valeur aux prix courants

Ressources

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Produit intérieur Brut

8.137,1

103,1

8.392,5

100,9

8.469,5

102,3

8.668,4

101,1

8.762,9

102,8

9.004,1

101,1

9.100,5

Importations

1.848,0

108,3

2.000,5

99,6

1.991,7

103,7

2.065,8

98,4

2.032,6

105,1

2.137,2

100,8

2.154,5

Total des ressources

9.985,1

104,1

10.393

100,7

10461,2

102,6

10734,2

100,6

10795,5

103,2

11141,3

101,0

11255,0

Emplois

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Consommation finale des ménages

4.857,3

103,6

5.030,2

100,7

5.063,9

102,7

5.203,1

100,5

5.231,2

103,0

5.390,5

100,9

5.441,7

Consommation finale des administrations

1.593,7

101,4

1.616,6

101,7

1.643,6

101,4

1.666,8

101,8

1.697,3

100,9

1.712,7

101,4

1.737,3

Formation brute de capital fixe

1.388,1

104,2

1.446,9

100,0

1.447,5

104,2

1.508,0

100,0

1.508,4

104,6

1.577,7

100,7

1.589,1

dont

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Société et EI

763,6

106,1

810,3

100,1

810,9

103,5

839,5

100,1

839,9

105,0

881,8

100,7

888,3

Ménages hors EI

362,2

100,6

364,3

100,0

364,3

105,5

384,5

100,0

384,5

105,0

403,7

100,7

406,6

Administrations publiques

230,1

103,4

237,9

100,0

237,9

104,2

247,8

100,0

247,8

103,2

255,7

100,7

257,5

Administrations privées

5,2

103,4

5,4

100,0

5,4

104,2

5,6

100,0

5,6

103,3

5,8

100,7

5,8

Institutions de crédit et assurance

27,0

107,6

29,1

100,0

29,1

105,5

30,7

100,0

30,7

99,9

30,6

100,7

30,8

Variations de stocks

- 22,5

 

- 9,4

 

- 9,4

 

- 22,1

 

- 22,1

 

- 13,3

 

- 13,3

Exportations

2.168,5

106,5

2.308,7

100,3

2.315,5

102,7

2.378,4

100,1

2.380,7

103,9

2.473,7

101,1

2.500,2

Total des emplois

9.985,1

104,1

10.393

100,7

10461,2

102,6

10734,2

100,6

10795,5

103,2

11141,3

101,0

11255,0

dont

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

demande totale hors stocks

10.007,6

103,9

10402,4

100,7

10470,6

102,7

10756,4

100,6

10817,7

103,1

11154,6

101,0

11268,3

demande intérieure totale

7.816,6

103,4

8.084,3

100,8

8.145,7

102,6

8.355,8

100,7

8.414,8

103,0

8.667,6

101,0

8.754,8

demande intérieure hors stocks

7.839,1

103,2

8.093,7

100,8

8.155,1

102,7

8.377,9

100,7

8.437,0

102,9

8.680,9

101,0

8.768,1

Le scénario de croissance retenu pour l'an prochain repose, on le voit, sur une demande intérieure dynamique, la contribution du commerce extérieur à la croissance étant, quant à elle, négative.

Contributions à la croissance du PIB

(taux de croissance annuel moyen en %)

 

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Contributions à la croissance du PIB
(aux prix de l'année précédente)

 
 
 
 
 
 

Consommation des ménages

0,9

1,1

0,4

2,1

1,6

1,8

Consommation des administrations

0,0

0,5

0,2

0,3

0,3

0,2

Formation brute de capital fixe totale

0,4

- 0,2

0,0

0,7

0,7

0,8

dont : Sociétés et EI

0,3

0,0

0,0

0,6

0,3

0,5

Variations de stocks

0,4

- 0,6

0,1

0,2

- 0,2

0,1

Commerce extérieur

0,3

0,5

1,4

- 0,2

- 0,1

- 0,1

dont : Exportations

1,3

1,3

3,1

1,7

0,7

1,1

Importations

- 1,0

- 0,7

- 1,7

- 1,9

- 0,9

- 1,2

PIB

2,0

1,3

2,2

3,1

2,3

2,8

La demande intérieure s'accroîtrait en effet de l'ordre de 3 %.

La demande des ménages qui en représente un peu plus des 2/3 serait soutenue. Le volume de leur consommation augmenterait de 3 % tandis que leurs investissements (environ 7 % de leur demande) progresseraient de 5 %.

La demande des entreprises serait encore plus dynamique. L'investissement des entreprises s'élèverait de 5 % en volume, tandis que leur politique de stocks s'accompagnant d'un moindre destockage, la contribution des variations des stocks à la croissance serait positive (à hauteur de 0,1 point de PIB).

Les investissements des administrations publiques qui concernent une masse de 255 milliards seraient bien orientés. Ils progresseraient de 3,2 % en volume.

Dans ce contexte de dynamisme de la demande intérieure, le solde des échanges extérieurs qui resterait largement excédentaire (+ 345,7 milliards de francs) contribuerait cependant de façon négative à la croissance. Mais, la contraction de l'excédent commercial suscitée par une croissance des importations (+ 5,9 %) plus rapide que celle des exportations (+ 5 %) serait assez limitée pour contenir l'impact négatif du commerce extérieur dans des marges étroites (-0,1 point de PIB).

B. ... ET PLUS ÉLEVÉE QU'À L'ÉTRANGER

1. La croissance française serait plus rapide que chez nos principaux partenaires

a) Un rapprochement des performances au sein de la zone euro

La croissance serait en France plus soutenue que la moyenne prévue dans la zone euro.

Croissance dans la zone euro

(en %)

 

1996

1997

1998

1999

2000

Zone euro

1,6

2,6

2,8

2,1

2,7

Allemagne

1,3

2,2

2,8

1,5

2,3

France

1,3

2,2

3,1

2,2-2,5

2,5-3,0

Italie

0,7

1,5

1,4

1,5

2,5

Espagne

2,4

3,5

3,8

3,4

3,4

Pays-Bas

3,1

3,7

3,5

2,4

2,6

Belgique

1,3

3,0

3,1

2,0

2,5

Source : Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Elle dépasserait assez nettement le rythme d'activité prévisible en Allemagne (+ 2,3 %).

Cependant, par rapport à l'année en cours, la convergence des taux de croissance des différents pays de la zone euro serait mieux assurée.

Cette perspective suppose une reprise rapide dans certaines grandes économies européennes comme l'Italie et surtout l'Allemagne.

Cet environnement immédiat plus porteur contribuerait à une orientation plus favorable de la demande adressée à la France qui se redresserait.

Évolution de la demande mondiale

(Taux de croissance annuel en %)

 

1999

2000

Demande adressée à la zone euro

4,2

5,2

Demande adressée à la France

3,9

5,4

Cette situation profiterait à son tour aux exportations et viendrait soutenir la croissance.

b) L'atterrissage en douceur des Etats-Unis

La croissance française excéderait franchement la croissance américaine. L'activité ne progresserait plus aux Etats-Unis que de 1,5 % l'an prochain.

Une inversion des moteurs de la croissance mondiale se produirait donc. En contraste avec la situation observée depuis 6 ans, l'Europe prendrait le relais, timide, des Etats-Unis.

Toutefois, le repli de l'activité américaine se ferait en bon ordre, la décélération de l'activité, certes assez nette, étant progressive et contenue. Cet atterrissage en douceur favoriserait le maintien de conditions monétaires détendues et d'un environnement sans inflation.

2. La croissance anticipée suppose une reprise dans la zone euro

Les anticipations de croissance pour l'ensemble de la zone euro reposent sur un scénario de reprise de l'activité par rapport au niveau atteint en 1999 puisque le taux de croissance passerait de 2,1 à 2,7 %.

Les prévisions pour la France supposent un même phénomène.

Les composantes de la croissance seraient plus dynamiques en moyenne qu'en 1999. Ce résultat proviendrait du maintien de la reprise attendue au second semestre de l'année en cours après le ralentissement observé depuis le second semestre 1998.

Du fait du profil d'activité attendu cette année, la croissance moyenne ne se situerait en 1999 que dans une fourchette allant de 2,2 à 2,5 %, soit un résultat moins favorable que celui associé à la loi de finances pour 1999 (2,7 %).

Compte tenu de la langueur de l'activité au premier trimestre 1999 avec une croissance de 1,4 % en rythme annuel, ce résultat moyen suppose une reprise dynamique en cours d'année, dont la prolongation permettrait d'anticiper une croissance globalement mieux orientée l'an prochain.

II. UNE CROISSANCE QUI REPOSE SUR DES PRÉSUPPOSÉS FAVORABLES

L'environnement économique sommairement décrit par la prévision du gouvernement fait ressortir un rythme de croissance à peu de choses près conforme au potentiel de l'économie française. Cela suppose qu'aucun choc ne vienne perturber la reprise attendue en cours d'année , c'est-à-dire que l'environnement international se stabilise et que les agents économiques français ne soient pas perturbés par des décisions de politique économique inadaptées.

A. LES ALÉAS TENANT À L'ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL

1. La sortie de crise des pays émergents...

L'année 1998 a été placée sous le signe de la crise des pays émergents qui s'est propagée à la Russie et à l'Amérique latine.

Cette crise n'a que peu affecté la zone euro, ses aspects défavorables sur le commerce mondial et donc sur les exportations de l'Europe étant probablement plus que compensés par les enchaînements financiers qui l'ont accompagnée.

Les données les plus récentes laissent entrevoir une assez forte reprise des économies asiatiques qui favoriserait le retour au dynamisme du Japon. Les pays d'Amérique latine moins touchés redémarreraient également.

2. ... présente des aléas et des risques à ne pas sous-estimer

Ces prévisions favorables reposent sur le maintien d'un solde extérieur favorable au dynamisme économique de ces pays et sur une nette reprise de la demande intérieure qui s'est effondrée en 1998 (- 28 % en Indonésie; - 20 % en Thaïlande...). Les conditions exigeantes de ce scénario sont également assez contradictoires : il faut en effet vaincre l'inflation tout en ne provoquant pas une appréciation trop forte des monnaies de nature à affecter l'équilibre commercial mais en regagnant la confiance des investisseurs internationaux, ce qui suppose a contrario une certaine stabilité des changes. A ces conditions s'ajoute la nécessité de résoudre les problèmes structurels mis à jour par la crise et de redresser des finances publiques très dégradées.

La correction de ces déséquilibres constitue une opération délicate, qui réclame du temps, et qui peut être coûteuse à court terme, les programmes de stabilisation budgétaire annoncés étant susceptibles de déprimer la croissance.

A supposer que ce scénario se réalise, ses effets pourraient être plus mitigés que ceux qu'on présente usuellement. Si le commerce mondial devait profiter d'une reprise dans les pays en développement, l'impact de ce regain des échanges internationaux serait modeste en Europe. Très favorable pour le Japon, il concernerait davantage les Etats-Unis dont le solde extérieur lourdement déficitaire se redresserait un peu.

Mais le " tempo " de la reprise apparaît crucial . Trop rapide et s'accompagnant d'une réallocation massive des flux mondiaux de l'épargne, il pourrait affecter les équilibres monétaires et financiers internationaux.

3. L'économie américaine pourrait rater son atterrissage en douceur

Une telle perspective pourrait s'accompagner d'une correction de l'activité américaine plus brutale qu'escompté.

La croissance américaine, continue et rapide depuis six ans, a été largement nourrie par des anticipations favorables concernant les volumes mais aussi les prix.

Cette dernière catégorie d'anticipations s'est appuyée sur la perspective conjointe d'une appréciation des actifs et d'une maîtrise de l'inflation.

Ces anticipations, qu'on peut qualifier " d'autoréalisatrices ", ont suscité des effets de richesse via l'appréciation des portefeuilles, et contenu les tensions inflationnistes à travers la modération des salaires.

Elles ont dynamisé l'économie américaine au prix de l'accumulation de déséquilibres encore en puissance. Le niveau de l'épargne intérieure est extrêmement faible, les Etats-Unis s'endettant auprès du reste du monde.

La croissance effective y dépasse le potentiel de croissance depuis 1997 ce qui est propice à des tensions salariales.

La décélération progressive de l'activité repose sur un enchaînement où aucun choc ne viendrait provoquer un brusque retournement des anticipations, ce qui, compte tenu des déséquilibres de la croissance américaine mais aussi de l'économie mondiale, constitue une prévision plutôt optimiste.

4. La reprise en Europe repose sur des conditions qui ne sont pas exemptes d'aléas

La zone euro a, dans l'ensemble, bien résisté au choc de demande résultant des crises de son environnement.

Elle a bénéficié d'un assouplissement des conditions financières et monétaires -détente des taux d'intérêt, appréciation du dollar- provoqué par l'adoption de la monnaie unique mais aussi par la réorientation des flux d'épargne, résultat des crises.

La perspective d'une décélération aux Etats-Unis, la dépréciation du dollar qui pourrait en résulter combinée avec une réduction des flux d'épargne vers l'Europe, atténueraient sa compétitivité et pourraient provoquer des tensions monétaires.

Celles-ci pourraient être accentuées par une certaine reprise de l'inflation inégalement maîtrisée chez les partenaires et mettraient à mal la combinaison des politiques économiques en Europe.

Inflation dans la zone euro

(en %)

 

1996

1997

1998

1999

2000

Zone euro

2,6

1,9

1,4

1,1

1,3

Zone euro : inflation sous-jacente

2,0

1,3

1,2

 
 

Allemagne

2,0

1,9

1,0

0,5

1,1

France

2,0

1,2

0,7

0,5

0,9

Italie

4,4

2,4

2,4

1,9

2,0

Espagne

3,4

2,5

2,0

1,6

1,7

Pays-Bas

1,6

2,0

2,1

2,1

2,2

Belgique

2,2

2,1

1,1

1,2

1,3

Les taux d'intérêt s'élèveraient alors que la stabilisation budgétaire n'est pas acquise.

B. LES INCERTITUDES INTÉRIEURES

Les aléas du scénario pour l'an 2000 concernent les différents compartiments de la demande intérieure sur le dynamisme desquels il est construit.

1. La situation des ménages : les effets douteux de la réduction du temps de travail

La reprise de la consommation des ménages (+ 3 % en moyenne en 2000 contre + 1 % au premier trimestre 1999 en moyenne annualisée) repose sur une forte croissance de leur revenu disponible brut de 3,2 %.

Ces gains de pouvoir d'achat viendraient du dynamisme de la masse salariale et des revenus de la propriété (intérêts, dividendes), que viendrait atténuer le bilan des relations entre les ménages et les administrations publiques.

Évolution en termes réels* du revenu disponible des ménages

(en moyenne annuelle en %)

Taux de croissance annuel

 

Contribution croissance du RDB

1995

1996

1997

1998

1999

2000

 

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2,2

0,9

1,6

3,1

2,9

3,2

Revenus d'activité

1,7

0,7

1,3

2,4

2,3

2,5

 

dont :

 

2,1

1,0

1,7

3,1

2,8

3,3

Salaires bruts

1,1

0,5

0,9

1,6

1,5

1,7

2,4

0,6

1,5

3,2

3,1

3,1

EBE des ménages (y compris EI)

0,6

0,1

0,4

0,8

0,8

0,8

 

Transferts nets

0,1

- 0,3

0,3

- 0,1

- 0,2

- 0,2

 

dont :

 
 
 
 
 
 

1,7

1,7

2,0

2,9

1,9

1,3

Prestations sociales

0,6

0,6

0,7

1,0

0,7

0,5

2,4

4,1

1,7

5,0

3,8

2,9

Impôts et cotisations

- 0,5

- 0,9

- 0,4

- 1,1

- 0,9

- 0,7

 

dont :

 

2,5

3,4

-3 ,5

- 20,2

1,2

3,0

Cotisations sociales

- 0,3

- 0,4

0,4

2,3

- 0,1

- 0,3

2,3

5,0

7,6

30,4

5,3

2,8

Impôts y compris CSG et RDS

- 0,2

- 0,5

- 0,8

- 3,4

- 0,8

- 0,4

11,5

1,0

8,1

8,3

7,1

9,3

Intérêts, dividendes et div. Nets

0,8

0,1

0,6

0,7

0,6

0,8

2,6

0,4

2,2

3,0

2,7

3,2

Revenu disponible brut

2,6

0,4

2,2

3,0

2,7

3,2

* calculé en utilisant le déflateur de la consommation des ménages dans les comptes aux prix de l'année précédente.

La progression de la masse salariale (+ 3,2 %) viendrait presque à parts égales de la croissance du salaire moyen par tête (+ 2,5 % en valeur et + 1,5 % en volume) et des effectifs employés (+ 2,1 % pour le nombre des emplois salariés).

Évolution du taux de salaire horaire et du salaire moyen par tête
(entreprises non financières non agricoles)

(en moyenne annuelle en %)

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Taux de salaire horaire en valeur

4,4

3,3

2,5

2,5

2,6

2,7

2,2

2,2

4,3

Salaire moyen par tête :

- en valeur

- en pouvoir d'achat

4,0

1,5

2,8

0,5

2,5

0,4

2,3

0,6

2,6

0,6

2,8

1,6

2,1

1,4

2,1

1,6

2,5

1,5

L'augmentation du salaire moyen par tête ne suivrait pas le très fort ressaut du taux de salaire horaire associé à la réduction légale du temps de travail, sous l'effet même d'une diminution de la durée effective du temps de travail.

Ces enchaînements débouchent sur un scénario très (trop ?) favorable. La hausse du taux de salaire horaire n'alourdit pas le coût salarial associé à chaque emploi. Les entreprises réduisent effectivement la durée du travail, ce qui a pour effet de contenir le renchérissement du salaire par tête et d'accroître le nombre des emplois.

Ce scénario repose sur un partage vertueux entre les salaires et les emplois au terme duquel, qui plus est, le taux de marge des entreprises est préservé. Les effets macro-économiques défavorables d'une croissance assez modeste du salaire par tête sont neutralisés par l'augmentation du volume des emplois.

Variations en moyenne annuelle

(En milliers d'emplois)

 

1998

1999

2000

Emploi salarié marchand

dont RTT

328

-

174

20

285

115

Emploi non marchand

87

113

117

Emploi non salarié

- 13

- 18

- 21

Emploi total hors contingent

402

269

381

Source : INSEE, Direction de la prévision

La suspension, observée en 1999, du phénomène d'enrichissement de la croissance en emplois prendrait fin sous l'impact de la réduction du temps de travail, qui créerait 115.000 emplois, soit beaucoup moins qu'escompté dans l'étude d'impact associée au projet de loi mais beaucoup plus qu'en 1999 (20.000 emplois).

Ces enchaînements supposent d'abord que les entreprises réduisent effectivement la durée du travail, contribuant ainsi à limiter l'alourdissement des charges salariales par tête qu'entraîne mécaniquement la réduction du temps de travail. Si tel ne devait pas être le cas, la demande de travail des entreprises serait réduite. La demande supplémentaire de travail attendue de la réduction du temps de travail s'exprimerait moins fortement. Le coût du travail étant accru, un arbitrage défavorable à l'emploi se produirait.

Les enchaînements envisagés par le gouvernement supposent également que les salariés acceptent de voir rognés leurs gains de pouvoir d'achat individuels.

Or, les conditions de cette acceptation n'apparaissent pas entièrement réunies.

Le nombre des intérimaires a plus que doublé en deux ans.


 

Mars 1994

Mars 1995

Mars 1996

Mars 1997

Mars 1998

Population active occupée (milliers)

Ensemble

22.022

22.344

22.482

22.430

22.705

Hommes

12.396

12.561

12.611

12.552

12.661

Femmes

9.626

9.793

9.881

9.878

10.064

Population d'actifs occupés à temps partiel (en %)

Ensemble

14,7

16,5

15,6

16,6

17,1

Hommes

4,5

5,0

6,2

5,4

5,6

Femmes

27,8

28,8

29,6

30,9

31,0

Statut des emplois (milliers)

Non salariés

3.057

3.005

2.902

2.864

2.802

Salariés

18.965

19.339

19.561

19.586

19.904

dont :

-Intérimaires

-CDD

-Apprentis

-Contrats aidés

210

614

185

395

267

752

194

442

273

290

219

451

330

849

234

417

413

906

257

405

Durée habituelle de travail des salariés (heures par semaine)

Temps complet

39,9

39,9

39,8

39,9

39,7

Temps partiel

22,4

22,6

22,7

22,6

22,9

Cette situation qui a accompagné l'augmentation du nombre des emplois dont il faut se féliciter engendre d'un autre côté l'insatisfaction d'un grand nombre des salariés comme en témoigne le tableau ci-dessous.

Taux de sous-emploi parmi les emplois à temps partiel

(en %)

 

Mars 1994

Mars 1995

Mars 1996

Mars 1997

Mars 1998

Ensemble

37,4

37,5

38,2

39,5

38,5

Hommes

47,5

51,0

50,9

51,6

51,5

Femmes

35,3

34,9

35,3

36,8

35,6

Près de 40 % des salariés à temps partiel s'estiment déjà en situation de sous-emploi.

Le panorama de l'emploi n'oppose donc pas seulement les chômeurs aux personnes employées. Il offre une gradation plus subtile avec au moins trois strates : le chômage, le sous-emploi et le plein emploi.

Dans ces conditions, la réduction du temps de travail n'offre pas de perspectives satisfaisantes.

Il est donc urgent d'apporter au marché du travail les réformes nécessaires .

Le scénario du gouvernement suppose enfin que la part de la valeur ajoutée des entreprises consacrée à la masse salariale ne soit pas augmentée.

Des résultats moins favorables en matière d'emploi que ceux escomptés viendraient atténuer l'optimisme des ménages. A ce sujet, il est troublant d'observer un décalage entre les " enquêtes ménages " de l'INSEE plutôt favorables et les " enquêtes entreprises " plutôt mal orientées, décalage qui, dans le passé, s'est résolu par un retournement de la confiance des ménages.

2. La situation des entreprises

La réduction du temps de travail crée un risque important de dégradation des conditions du partage de la valeur ajoutée au détriment des capacités financières des entreprises.

En outre, l'augmentation de la pression fiscale sur les entreprises, importante depuis 1997, se poursuivrait, dégradant un peu plus un taux d'autofinancement revenu de 120,6 % au troisième trimestre 1997 à 104,9 % aujourd'hui.

A ce risque s'ajoute un aléa monétaire, un durcissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne pouvant intervenir si l'inflation devait se réveiller.

Une telle conjonction serait défavorable à l'investissement des entreprises qui pourrait en outre être affecté par une demande moins dynamique que prévu.

Les récentes enquêtes de conjoncture sont, sur ce point, quelque peu déconcertantes, les anticipations des chefs d'entreprise se dégradant alors même que leur comportement d'investissement semble se redresser.

Ces signaux contradictoires ne sont que la démonstration de la volatilité des comportements d'investissement des entreprises qui, sur la période récente, sont restés dans l'ensemble très peu dynamiques.

CHAPITRE II :

DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES
DÉLIBÉRÉMENT ÉLEVÉS

Bien qu'il s'en défende, le gouvernement a choisi d'augmenter les recettes de l'Etat et de la sécurité sociale par le maintien d'une pression élevée sur le contribuable.

La baisse des prélèvements, sans cesse promise, est en réalité constamment différée.

I. LA FORTE PROGRESSION DES RECETTES DU BUDGET GÉNÉRAL EN 1998 ET 1999

A. LES RECETTES BUDGÉTAIRES EN 1998


 

1998

1997

%

Recettes fiscales brutes

1.769,3

1.682,2

5,2%

Remboursements et dégrèvements

-316,9

-265,6

19,3%

Recettes fiscales nettes

1.452,3

1.416,6

2,5%

Recettes non fiscales

157,7

156,9

0,5%

Prélèvements sur recettes

-254,4

-252,8

0,6%

au profit des collectivités locales

-162,8

-164,9

-1,3%

au profit de l'Union européenne

-91,6

-87,8

4,3%

Total des recettes nettes

1.355,6

1.320,7

2,6%

Fonds de concours

65,0

64,5

0,8%

Total recettes nettes du budget général

1.420,6

1.385,2

2,6%

Source : Cour des comptes

Les recettes nettes du budget général se sont élevées à 1.420,6 milliards de francs en 1998, soit une progression de 2,6 %, moins forte toutefois que celle enregistrée en 1997 (+3 %), qui avait subi les effets de la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier (MUFF) du 10 novembre 1997.

La croissance d'ensemble des recettes est imputable presque intégralement, comme en 1997, à la progression des recettes fiscales nettes des remboursements et dégrèvements d'impôts (+ 2,5 %) alors que les recettes non fiscales, les fonds de concours et les prélèvements sur recettes sont relativement stables, avec des progressions inférieures à 1 %.

Cependant, le chiffre de progression des recettes budgétaires cache une situation bien particulière : les recettes brutes du budget général ont en effet progressé de 5,3 % en 1998, mais cette progression très importante a été réduite de moitié par l'ampleur des dégrèvements et remboursements d'impôts (+19,3 %).

1. L'évolution des principales recettes fiscales

Les recettes fiscales en 1998

 

1998

1997

%

Impôts directs

664,7

626,7

+6,1

dont impôt sur le revenu

304,0

293,4

+3,6

impôt sur les sociétés

226,0

202,0

+12,0

impôt net sur les sociétés

184,7

172,2

+7,3

impôt de solidarité sur la fortune

11,1

10,1

+9,9

impôts indirects

1.104,6

1.055,5

+4,7

dont TVA

807,5

755,4

+6,9

TVA nette

641,9

626,1

+2,5

TIPP

153,9

150,7

+2,1

recettes fiscales brutes

1.769,3

1.682,2

+5,2

Dégrèvements et remboursements d'impôts

-316,9

-265,6

+19,3

Recettes fiscales nettes

1.452,4

1.416,6

+2,5

Sources : Cour des comptes et rapport de présentation du compte général de l'administration des finances 1998

Après la diminution de 1997, l'impôt sur le revenu recommence à progresser (+ 3,6 %) en 1998, pour atteindre 304 milliards de francs, soit près de 10 milliards de francs de produit supplémentaire par rapport à la loi de finances initiale. Alors que les allégements intervenus en 1997 avaient eu un effet non négligeable sur l'impôt sur le revenu, qui n'a progressé que de 2,8% en 4 ans (1994-1998), l'année 1998 marque donc la reprise, à un rythme soutenu de l'augmentation du produit de cet impôt.

Le produit net de l'impôt sur les sociétés enregistre une augmentation encore très importante (+ 7,3 %), à 184,7 milliards de francs, après le " bond " de 1997 (+ 20,3 %). La moindre progression par rapport à 1997 s'explique à la fois par l'impact moins sensible de la loi " MUFF " et par l'importance des remboursements (41,3 milliards de francs, soit + 38,6 %).

Les impôts indirects progressent globalement de 4,7 %, soit davantage qu'en 1997 (+ 3,8 %).

Alors que les encaissements de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) brute progressent très fortement en 1998 (+ 6,9 %), l'importance exceptionnelle des remboursements (+ 28,1 %) réduit la progression de la TVA nette à 2,5 %, soit une progression nettement inférieure à la moyenne annuelle de la TVA nette sur 1994-1998. Le produit de la TVA s'élève, en définitive à 641,9 milliards de francs, soit seulement 5 milliards de plus que les prévisions de la loi de finances initiale, et 9 milliards de francs de moins que les évaluations de la loi de finances rectificative.

La taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) progresse de 2,1 % pour atteindre 153,9 milliards de francs.

2. Une évolution des recettes fiscales inexplicable ?

Dès l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 1998, votre rapporteur s'était interrogé sur la faiblesse des réévaluations de recettes pour 1998, se demandant si les estimations révisées ne présentaient pas une sous-évaluation de plus-values de recettes fiscales, pourtant visibles en cours d'année.

Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie arguait alors de " modifications techniques et calendaires " . Il invoquait également l'effet de la loi " MUFF " sur l'impôt sur les sociétés. S'agissant de la TVA, il expliquait que le dynamisme observé au cours des premiers mois de l'année 1998, s'agissant des encaissements bruts, devrait être tempéré par des remboursements et dégrèvements d'impôts importants en fin d'année, ajoutant que la baisse notable des importations de marchandises en provenance des pays tiers, constatée depuis le recouvrement de septembre, devait avoir des incidences importantes en fin d'année.

Votre rapporteur général estimait ces explications " largement insuffisantes pour expliquer que les recettes fiscales nettes ne progresseraient, en définitive, que de 11 milliards de francs par rapport à la loi de finances pour 1998 " . Il ajoutait " l'évolution attendue en matière de TVA paraît improbable ".

Deux explications lui semblaient alors envisageables : ou l'estimation était effectivement sous-évaluée, ou le ralentissement de la croissance fin 1998 était tel que les encaissements de TVA se ralentiraient considérablement.

Au vu des résultats de l'exécution 1998, il apparaît que les recettes fiscales nettes ont progressé encore moins qu'envisagé par rapport aux prévisions de la loi de finances rectificative (1.452,3 milliards de francs contre 1.459,1 milliards de francs), en raison de l'ampleur inattendue des remboursements et dégrèvements d'impôts, concernant particulièrement la taxe sur la valeur ajoutée.

Votre rapporteur note qu'il est très difficile de justifier l'ampleur de ces remboursements.

Dans son rapport préliminaire sur l'exécution de la loi de finances pour 1998, la Cour des comptes, observant que les remboursements de TVA (165,6 milliards de francs) ont progressé de 28% (36,3 milliards de francs) reconnaît l'absence d'explications plausibles: " il est difficile d'expliquer une telle augmentation ".

En regardant plus précisément l'évolution infra-annuelle de l'exécution de la loi de finances, force est de constater que les remboursements de TVA ont été particulièrement élevés en début d'année et surtout lors des quatre derniers mois de l'année (57 milliards de francs contre 39 milliards de francs en 1997).

La justification de ce surcroît de remboursements par l'ampleur des exportations ne tient pas, puisque celles-ci ont augmenté de 6,5% en 1998, soit moitié moins qu'en 1997 (+13%), et que ce chiffre n'est pas très éloigné des prévisions associées à la loi de finances initiale (5,7%).

De même, " la reprise des investissements " aurait joué un rôle dans les remboursements de TVA, mais le rapport sur l'économie nationale et l'évolution des finances publiques (mai 1999) note sobrement que " le ralentissement de l'investissement des entreprises est resté modéré au second semestre 1998 : il a continué à progresser à un rythme annualisé de l'ordre de 4% ", ce qui n'est pas précisément le constat d'une envolée des investissements en 1998.

En revanche, les effets de reports d'une année sur l'autre semblent plus plausibles à votre rapporteur.

Comme le note la Cour des comptes " on peut enfin penser que des reports ont été effectués en 1997 sur 1998, et qu'à l'inverse, les remboursements ont été accélérés en fin d'année 1998 ".

Si les grèves survenues à la fin de 1997 dans les centres informatiques de la direction générale des impôts peuvent être invoquées, elles ne sauraient fournir évidemment un élément de justification suffisant, au moins pour " l'accélération " des remboursements fin 1998.

Votre rapporteur regrette donc que les seuls effets de " reports " ou " d'accélérations " puissent sensiblement modifier le résultat d'exécution de la loi de finances pour 1998.

En effet, comme le note la Cour des comptes, l'ampleur de l'augmentation des remboursements et dégrèvements d'impôts " exerce à la fois un effet important sur la progression globale des recettes nettes et sur le résultat final de l'exécution du budget de 1998 ".

L'accélération des remboursements et dégrèvements d'impôts a eu deux conséquences très différentes :

- tout d'abord, elle a minoré les recettes fiscales nettes et donc le poids des prélèvements obligatoires de l'Etat : cette conséquence n'est pas anodine lorsque l'on constate que les prélèvements obligatoires ont été absolument " stables " en 1998 ;

- en second lieu, elle a majoré les charges du budget général (les remboursements et dégrèvements sont comptabilisés dans la catégorie des dépenses en atténuation de recettes, et non dans la catégorie des recettes budgétaires), et par conséquent minoré la réduction du déficit.

En conclusion, la moindre progression des recettes budgétaires nettes a très légèrement réduit l'ampleur de la réduction des déficits (qui ont été ramenés à 2,9% du PIB) mais a surtout permis de constater une légère diminution des prélèvements de l'Etat, compensant strictement l'augmentation des prélèvements sociaux et permettant ainsi d'afficher une stabilité des prélèvements obligatoires. De surcroît, les " accélérations " des remboursements fin 1998 permettent au gouvernement de disposer de marges de manoeuvre supplémentaires pour 1999.

B. UNE PROGRESSION SENSIBLE DES RECETTES FISCALES DÉBUT 1999

A la fin avril 1999, les recettes nettes du budget général atteignent 494,5 MdF, soit une progression de 9,7 % par rapport au niveau observé l'année dernière à la même date . Cette progression très sensible tiendrait en grande partie au premier acompte d'impôt sur les sociétés. " Des phénomènes calendaires continuent donc à majorer temporairement le niveau actuel des recettes " explique le communiqué de presse du gouvernement.

Cette explication est un peu courte. Les " phénomènes calendaires " paraissent insuffisants à expliquer une telle progression et la majoration de recettes devrait être appelée à avoir plus qu'un caractère " temporaire ".

En effet, la progression s'explique en partie par le dynamisme de l'impôt sur les sociétés : en avril 1999, son rendement est supérieur de 37,6% à avril 1998. Cette situation résulte des bons résultats enregistrés par les entreprises en 1998 et du maintien d'un taux majoré de 10 %.

Votre rapporteur regrette que, comme pour les derniers mois de l'an passé, les explications du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie quant à l'évolution des recettes fiscales soient aussi peu convaincantes. Toutes ces justifications semblent n'avoir qu'un objectif : démontrer que malgré les très bonnes rentrées fiscales en cours d'année (+9,6% en avril), les recettes ne seront pas si élevées que prévues en fin d'année et que les prélèvements obligatoires n'augmenteront pas en 1999.

Niveau à la fin avril

Variation

en milliards de francs

1998

LFI 1999

1998

1999

LFI 1999/ 1998

avril 99/ avril 98

Recettes fiscales nettes

1452,3

1534,9

480,1

526,0

5,7%

9,6%

Impôt sur le revenu

304,0

322,8

96,5

103,6

6,2%

7,4%

Impôt sur les sociétés - net

184,7

199,3

59,3

81,6

7,9%

37,6%

Taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP)

153,9

160,1

47,1

52,2

4,0%

10,8%

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - nette

641,9

673,1

225,6

233,4

4,9%

3,5%

Autres recettes fiscales - nettes

167,8

179,6

51,6

55,2

7,0%

7,0%

Recettes non fiscales (hors FSC)

157,7

183,3

46,2

47,6

16,2%

3,0%

Prélèvements sur recettes

-254,4

-271,3

-92,9

-90,7

6,6%

-2,4%

Recettes du budget général (hors fonds de concours)

1355,6

1446,9

433,4

482,9

6,7%

11,4%

Fonds de concours

65,0

--

17,2

11,6

--

-32,6%

Recettes du budget général (y compris fonds de concours)

1420,6

--

450,6

494,5

--

9,7%

valeur en euros (milliards)

216,6

--

68,7

75,4

--

"

(*) prélèvements au profit des collectivités territoriales et des communautés européennes.

II. LE CHOIX DE NE PAS DIMINUER LES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

A. UNE VOLONTÉ PRÉTENDUE MAIS DÉMENTIE PAR LES FAITS

Le programme pluriannuel de finances publiques pour 1999-2002, transmis par le gouvernement français à la Commission européenne, énonçait trois objectifs :

- assurer le financement des priorités du gouvernement tout en fixant, en volume, le niveau de dépenses souhaitable pour l'ensemble des administrations,

- réduire les prélèvements obligatoires " pour favoriser l'emploi et la croissance ",

- et enfin, assurer une baisse graduelle du besoin de financement des administrations.

La réduction des prélèvements obligatoires était donc annoncée en décembre 1998, avec des chiffres précis : " le deuxième objectif est la poursuite de la baisse des prélèvements obligatoires entamée depuis 1997 : le taux des prélèvements obligatoires qui a culminé à 46,1% en 1997 baisserait de plus d'un point au cours de la présente législature pour atteindre 44,9% en 2002 dans le cas où la croissance serait de 3% (45,2% dans le cas où la croissance ne serait que de 2,5% par an d'ici 2002) ".

Le tableau récapitulant l'évolution des finances publiques depuis 1993 montrait effectivement une diminution des prélèvements obligatoires à compter de 1997, diminution équivalant à 0,4 point de PIB sur deux ans (1997-1999). Par ailleurs, sans préciser les étapes de la diminution de 2000 à 2002, la fourchette de 44,9 % à 45,2 % de prélèvements obligatoires en 2002 était retenue.

Votre commission estime légitime de se demander si cette annonce, pourtant récente, est toujours d'actualité. Deux éléments permettent en effet d'en douter.

Le premier élément qui permet de s'interroger sérieusement sur la volonté du gouvernement d'engager une diminution des prélèvements obligatoires est l'absence totale de résultats en ce sens depuis juin 1997.

La première décision prise par le gouvernement fut, en effet, de faire adopter la loi " MUFF ", qui alourdit les prélèvements fiscaux de 23 milliards de francs dès 1997, soit 0,28 point de PIB. Il apparaît donc que, hors effet des mesures d'alourdissement de la pression fiscale décidées en cours d'année, le taux de prélèvements obligatoires aurait déjà pu atteindre 45,8 % du PIB en 1997 (au lieu de 46,1 %), alors que cet objectif est désormais repoussé à l'an 2000, au mieux.

Il est donc inexact de laisser croire que le gouvernement aurait stabilisé les prélèvements obligatoires depuis 1997 : il les a augmentés, et les a ensuite maintenus à un niveau jamais atteint.

Malgré l'absence de toute mesure réelle, le gouvernement ne s'est pas montré avare de discours sur les prélèvements, puisque la présentation des lois de finances pour 1998 et 1999 lui a donné l'occasion d'annoncer des diminutions successives.

Votre commission a évidemment pris acte de ces déclarations, appuyées par des chiffres délivrés par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Elle n'a pas instruit de procès d'intentions. Elle juge aujourd'hui les faits.

Les explications du gouvernement sur cette absence de résultat sont très peu convaincantes : au motif que l'inflation a été moins élevée que prévu (0,7 % en moyenne en 1998 contre 1,4 % envisagé), la croissance du PIB en valeur aura été moins forte : " Le résultat devrait être une stabilisation du taux des prélèvements obligatoires en 1998, et non la légère baisse qui était envisagée. En 1999, un phénomène similaire devrait se produire ".

Le gouvernement ne semble plus croire qu'à une stabilisation des prélèvements obligatoires, dans le contexte pourtant très favorable d'une croissance retrouvée.

B. UN OBJECTIF EN RÉALITÉ ABANDONNÉ

Le deuxième élément de perplexité pour votre commission résulte donc de la nouvelle stratégie du gouvernement, qui semblerait désormais s'accommoder d'une " stabilisation " des prélèvements obligatoires.

En effet, dans le document présentant les comptes prévisionnels de la Nation pour 1999 et les principales hypothèques économiques pour 2000, publié en avril dernier, l'objectif est nettement moins ambitieux que celui annoncé dans le programme pluriannuel des finances publiques " (...) le taux de prélèvements obligatoires devrait être stabilisé. Il commencerait même à décroître d'ici 2000 pour s'établir entre 45,7 et 46,0 points de PIB, compte tenu des mesures fiscales déjà engagées ".

L'évolution des prélèvements obligatoires 1997-2002


 
 

1997

1998

1999

2000

2002

Taux de prélèvements

Chiffres donnés dans le programme de stabilité (décembre 1998)

46,1

45,9

45,7

-

44,9-45,2

obligatoires (points de PIB)

Chiffres des comptes prévisionnels de la Nation (avril 1999)

46,1

46,1

46,1

45,7-46,0

-

D'après cette rectification, effectuée à peine 4 mois après l'élaboration du programme de stabilité, la diminution des prélèvements obligatoires est différée de deux ans au minimum. L'objectif déjà très modeste du programme de stabilité, compte tenu des hypothèses de croissance retenues (de 2,5 % à 3 %) est déjà abandonné.

Un effort de 0,9 à 1,2 point de PIB devrait en effet être réalisé, à compter de l'an 2000, pour atteindre seulement la " fourchette " de prélèvements retenue pour 2002.

L'abandon de toute volonté de diminution des prélèvements est confirmé dans le rapport que le gouvernement a déposé pour le présent débat d'orientation budgétaire : il ne déclare plus que " viser " la réduction du poids des prélèvements obligatoires.

Les mesures déjà adoptées lui semblent pleinement satisfaisantes, alors même qu'elles n'ont pas permis d'abaisser le niveau des prélèvements : " en 2000, la poursuite des réformes amorcées en loi de finances pour 1999 contribuera à l'objectif de réduction des prélèvements ". Aucune mesure concrète n'est annoncée, et les réformes fiscales en faveur des ménages sont très hypothétiques puisqu'elles ne seront mises en oeuvre que " si les prévisions de croissance et de recettes de l'Etat réalisées à l'été mettent en évidence des marges de manoeuvre... ".

Le signe le plus spectaculaire du renoncement du gouvernement est le projet de création d'une " écotaxe " pour financer les réductions des charges pesant sur le travail. Une politique de réduction des prélèvements ne peut en effet consister à remplacer un impôt par d'autres.

En conclusion, comme le souligne avec fatalisme la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1998 " la hausse des recettes fiscales devrait continuer à jouer un rôle déterminant dans la réduction du déficit au cours des prochaines années ".

III. LES PRIORITÉS DE VOTRE COMMISSION : LIBÉRER L'INITIATIVE POUR FAVORISER L'EMPLOI

Votre commission des finances considère qu'il convient de s'engager résolument dans la voie de la réduction des prélèvements obligatoires. Se rapprocher rapidement de la moyenne européenne (43 % du PIB), puis descendre à 40 % sont des objectifs réalistes si la croissance attendue par le gouvernement est au rendez-vous.

A. RÉFORMER L'IMPÔT SUR LE REVENU

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie reconnaît la nécessité d'une réforme de l'impôt sur le revenu. En septembre dernier, notamment , il déclarait sur France Inter, " Dans les années qui viennent, il faut que la réflexion soit non seulement avancée mais que l'action soit mise en oeuvre. Il y a une mise à plat [ ] qui est certainement nécessaire et il me semble que c'est un chantier auquel il faut qu'aujourd'hui les parlementaires, notamment, s'attaquent et réfléchissent ".

Mais c'est en vain que l'on chercherait dans les documents soumis au Parlement des allusions à la question de la réforme de l'impôt sur le revenu et la moindre trace de cette préoccupation pourtant, semble-t-il, encouragée par le Premier Ministre, lorsqu'il affirme que " notre fiscalité souffre autant de sa structure déséquilibrée que de son niveau excessif ".

Du fait de cet immobilisme, notre système d'imposition du revenu constitue un frein à l'initiative et donc à la croissance d'autant plus pénalisant que l'on s'inscrit dans une Europe où, à l'heure de l'Euro, le facteur travail est de plus en plus mobile.

Peut-on indéfiniment maintenir des taux pour les tranches les plus hautes sensiblement plus élevés que dans les autres pays ?

Peut-on indéfiniment laisser persister une progressivité de fait très forte à l'entrée du barème qui crée une véritable " trappe à chômage " ?

Bref, peut-on différer encore cette remise à plat de l'impôt sur le revenu ? Il est temps de regarder autour de nous et de se demander s'il ne faut pas se mettre au " diapason de l'Europe ".

1. Une progressivité excessive par rapport au reste de l'Europe

L'impôt sur le revenu français est très concentré. Il pèse essentiellement sur les hauts et très hauts revenus : en 1997, les 5 % de contribuables situés en haut de l'échelle des rémunérations recevaient 22 % du revenu et payaient 50 % de l'impôt ; les 50 % du bas de l'échelle recevaient 18,6 % du revenu et payaient 2,8 % de l'impôt.

Le taux marginal le plus élevé, qui est de 54 % au-delà de 293.600 francs, est considérable même s'il doit être replacé dans le contexte général de notre fiscalité, et en particulier des abattements de 10 et 20 %, dont bénéficient les salariés, qui jouent jusqu'à près de 780.000 francs pour un célibataire et le double pour un couple.

Certes, le taux moyen est nettement inférieur, même à ce niveau de revenu, puisqu'il atteint 31 % pour un célibataire disposant de 800.000 francs de revenus. S'il est d'ailleurs encore plus élevé chez les Belges, les Hollandais ou les Danois, il se situe nettement au-dessus de celui des pays anglo-saxons vers lesquels les cadres ont le plus facilement tendance à s'expatrier.

Comme le souligne le rapport de M. de La Martinière, rédigé en 1996, " les contribuables à revenu élevé sont surtout sensibles à leur taux marginal d'imposition. L'important, pour un cadre supérieur, c'est le revenu supplémentaire qu'il peut tirer de ses efforts. S'il juge que la pression fiscale est confiscatoire, il est tenté de réduire son offre de travail ou bien, ce qui est de plus en plus le cas, de se délocaliser à l'étranger " .

2. Une " trappe à chômage "

L'excessive progressivité à l'entrée du barème, déjà soulignée dans les rapports de MM. Ducamin et La Martinière, a été également mise en évidence par les travaux de François Bourguignon de l'École des hautes études, dans un rapport remis l'an dernier au premier Ministre dans le cadre du Conseil d'analyse économique. Les effets de seuil des prestations sociales sous condition de ressources et de l'impôt sur le revenu conduisent à des situations dans lesquelles le supplément de revenu est absorbé par la baisse des prestations d'assistance et l'augmentation des impôts. Ils peuvent atteindre 100 % dans le passage du RMI à l'emploi et connaissent des ressauts injustifiés dans les tranches les plus basses du barème.

En Europe et même dans les pays où sont au pouvoir des partis sociaux-démocrates, les gouvernements mettent l'accent sur la baisse de l'impôt sur le revenu. Le Royaume-Uni vient de décider d'un nouvel allégement au profit des classes moyennes et ne taxe qu'à 40 % les plus hauts revenus. L'Allemagne de son côté vient de voter une réforme fiscale ramenant le taux d'imposition maximum de 53 % à 48,5 % en 2002.

3. L'actualité d'une réforme d'ensemble

Face à la persistance de ces problèmes de structure, votre commission ne peut que rappeler les propositions faites lors de l'examen du précédent budget et qui restent mutatis mutandis , toujours d'actualité.

Pour les cadres et les revenus élevés il faudra bien abaisser le taux marginal, sachant que chaque point de baisse du taux marginal supérieur d'imposition représente, en raison de la faible taille de la population concernée, à peine 750 millions de francs. La commission des finances reprenant de plan de 1996, proposait d'abaisser le taux maximal à 47 %, sans oublier les revenus moins importants puisque la mesure faisait partie d'un ensemble comportant une élévation de la tranche dite à taux zéro assortie d'un abaissement du barème compris entre 2,5 et 5 points.

L'une des pistes pourrait consister à intégrer dans le barème l'abattement de 20 %, dont bénéficient les salariés, même si cela pose un problème d'égalité avec les non-salariés, pour qui les possibilités de dissimulation sont plus grandes. Une autre piste consisterait à remettre progressivement en cause la déductibilité de la CSG, ce qui permettrait d'affecter à une baisse du barème de l'impôt 9 milliards de francs par points déductibles, ce qui offre une marge de manoeuvre globale de 45 milliards de francs.

Par ailleurs, et l'on retrouve aussi un des éléments du dispositif du plan du Gouvernement de M. Juppé, on pourrait aussi s'efforcer de lutter contre cette progressivité excessive à l'entrée du barème. Afin que cette " trappe à pauvreté " ne se transforme pas en " trappe à chômage " , le gouvernement a déjà autorisé un cumul partiel entre le RMI et l'emploi. Pour amplifier cette correction, il conviendrait comme l'a demandé la commission de supprimer le mécanisme de la décote dont le montant est de 3.300 francs.

L'évolution du produit de l'impôt sur le revenu pour les quatre premiers mois de l'année - soit 103,6 milliards de francs - fait apparaître des recettes particulièrement importantes, supérieures de plus de 7 milliards de francs à celle de la même période de 1997 et de quelque centaines de millions au précédent record de 1996.

La conjoncture permet d'envisager une réforme indispensable si l'on veut redonner aux Français la volonté d'entreprendre .

B. S'ENGAGER POUR LA RÉDUCTION DU TAUX DE TVA SUR LES SERVICES A FORTE INTENSITÉ DE MAIN D'OEUVRE

Le droit communautaire autorise les Etats à appliquer un taux normal de droit commun qui ne peut être inférieur à 15 %. Ils ont également la possibilité, sans que cela ne soit une obligation, d'appliquer un ou deux taux réduits à une liste de biens et services limitativement énumérés.

En mars 1999 a été transmise au Sénat une proposition de directive (n° E 1236) visant à appliquer à titre expérimental un taux réduit aux services à forte intensité de main-d'oeuvre et cela afin de lutter contre le chômage et le travail au noir. Son application effective relève de la seule responsabilité des Etats mais les intentions du gouvernement apparaissent toujours floues.

Deux incertitudes existent: les " marges de manoeuvre " budgétaires dont il dispose et qu'il serait prêt à y consacrer, ainsi que la nature des services concernés par ce taux réduit : le logement, la restauration, les services d'aide à la personne, les travaux à domicile, etc...

Quatre préconisations peuvent être énoncées dans ce cadre.

Votre commission souhaite tout d'abord la mise en oeuvre de mesures lisibles et claires à destination des particuliers, sans effet d'annonce ni dispositif homéopathique.

Elle entend par ailleurs offrir un champ d'expérimentation potentiel le plus large possible ne devant pas, par exemple, exclure a priori le secteur de la restauration.

En outre, elle préconise que cette mesure s'inscrive dans un véritable mouvement de diminution des prélèvements obligatoires. Ces baisses ciblées ne doivent pas être compensées par la suppression de dispositifs fiscaux favorables aux ménages ou la création de nouvelles taxes sur les entreprises.

Enfin, elle demande au gouvernement d'agir dans la transparence. Il doit dissiper ainsi le flou actuel, informer la représentation nationale et faire que cette directive s'applique dès le projet de loi de finances pour 2000.

C. RÉDUIRE VRAIMENT LES CHARGES PESANT SUR LE TRAVAIL

L'exception française en matière d'emploi se traduit actuellement de deux façons :

- d'une part , un taux de chômage de 11,4% qui malgré une baisse récente, est toujours l'un des plus élevés des grands pays industrialisés ;

- d'autre part, un coût du travail peu qualifié qui reste supérieur à celui de nos principaux partenaires.



A ce titre, votre commission a toujours préconisé des mesures pérennes d'allégement des charges sur les bas salaires 1( * ) qui permettent de créer de véritables emplois productifs au sein de l'économie marchande, à la différence des emplois-jeunes ou des 35 heures.

Or le gouvernement après avoir longtemps critiqué cette position semble avoir changé d'avis notamment au vu des piètres résultats enregistrés par les 35 heures ou des conclusions du rapport remis l'été dernier au Premier ministre par le professeur Malinvaud . Aussi dans son rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire le gouvernement indique que, son " objectif est de réduire le coût du travail non qualifié et de favoriser ainsi la création d'emplois ".

Il a ainsi présenté un projet de réforme des cotisations sociales patronales dont les contours sont cependant flous et le mode de financement toujours incertain.

Il s'agit en principe d'étendre le champ de la ristourne dégressive actuelle en portant son plafond de 1,3 à 1,8 SMIC mais en réservant le bénéfice de cette extension aux seules entreprises ayant opté pour les 35 heures.

Le surcoût de cette réforme par rapport au dispositif actuel qui représente 43 milliards de francs d'allégements est chiffré, à terme, à 25 milliards de francs par le gouvernement. Il serait financé par la création de deux nouvelles impositions pesant sur les entreprises : d'une part une taxe mise en place à partir de l'actuelle TGAP et qui serait directement affectée aux comptes sociaux ; d'autre part, une contribution sociale sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 50 millions de francs de chiffre d'affaires.

Cette réforme mise en place dans la précipitation, dont le gouvernement affirme qu'elle n'accroîtra pas globalement les prélèvements pesant déjà sur les entreprises, entraînera de très importants transferts de charges aux dépens de celles qui devront s'acquitter ces deux nouvelles taxes. Par ailleurs outre les effets de seuil ainsi créés, elle consiste à faire financer des dépenses pérennes à forte inertie par des recettes éminemment fluctuantes au risque de créer un " effet de ciseaux " en cas de retournement de la conjoncture.

Elle devra par ailleurs se combiner, selon des modalités non précisées avec la mise en place de la " seconde loi " sur les 35 heures d'un coût global estimé en année pleine à 40 milliards de francs . Cette loi serait entièrement autofinancée selon le gouvernement par " les retours attendus pour les finances publiques ", que ce soit en terme de cotisations sociales, de gains d'indemnisation des personnes initialement sans emploi ou de surcroît d'imposition ! Une telle présentation est pour le moins sommaire et rapide...

Eu égard à l'ampleur des sommes en jeu, à leur impact tant sur les entreprises que sur l'équilibre des comptes sociaux, votre commission ne peut se contenter des informations contenues dans le rapport préparatoire au présent débat d'orientation budgétaire.

En effet, elle est inévitablement conduite à se poser les questions suivantes : comment s'opérera le basculement entre l'actuelle TGAP et la future " écotaxe " ? Quels en seront le rendement et l'affectation ? A-t-on des données précises sur le nombre et la répartition des entreprises qui verront ainsi leurs prélèvement s'accroître ? Que sera le coût total de l'aide structurelle versée au titre de la " seconde loi " sur les 35 heures ? On évoque en effet un montant de 40 milliards de francs, or dans la présentation qui est faite par le gouvernement cette aide est intégrée au sein de l'abattement supplémentaire de cotisations patronales dont le coût est, lui, estimé à 25 milliards de francs !

Baisser les charges sur le travail ne peut consister à augmenter certains impôts sur les entreprises pour en réduire d'autres : c'est une impasse qui n'aboutira à aucun résultat.

Votre commission maintient donc qu'il est nécessaire d'alléger franchement les charges sur les bas salaires conformément à la proposition de loi " Poncelet " adoptée en juin 1998, sans réserver ce dispositif aux entreprises ayant réduit le temps, ni le financer par de nouveaux impôts, mais par un réel effort de déploiement des dépenses publiques.

CHAPITRE III :

DES DÉPENSES DE L'ETAT MAL MAITRISÉES

Avoir raison trop tôt est-il un grand tort ?

Votre commission des finances a depuis plusieurs années une conviction forte : compte tenu de l'état des finances publiques de la France, il convient impérativement d'encadrer la progression de la dépense publique en la stabilisant en volume c'est à dire en francs constants 2( * ) .

Il ne suffit donc pas en ce domaine de se contenter d'une simple " maîtrise " aux contours flous et imprécis susceptible de toutes les interprétations et appréciations, ainsi que le gouvernement a longtemps semblé le préconiser.

Votre commission des finances ne peut donc a priori que se réjouir de son changement d'attitude en ce domaine lorsqu'il affirme dans son programme pluriannuel vouloir " assurer le financement des priorités du gouvernement en fixant en francs constants le niveau des dépenses publiques pour l'ensemble des administrations ".

Cette volonté de stabiliser les dépenses publiques en volume, votre commission l'affiche en effet depuis longtemps. Elle est cependant conduite à douter de la volonté réelle et de la capacité du gouvernement à rester dans les limites de l'épure ainsi affichée.

Source : Cour des comptes

I. DES DÉPENSES NON STABILISÉES APRÈS 1997

A. UNE MAÎTRISE EN TROMPE L'oeIL POUR 1998

En 1997, les dépenses du budget général (hors remboursements et dégrèvements) ont augmenté moins vite que les prix du PIB (0,8 % contre 1,1 %). La stabilisation des dépenses de l'Etat est donc un objectif réalisable. Dans son rapport préliminaire sur l'exécution du budget pour 1998, la Cour des comptes a amplement souligné cet état de fait en regrettant que, " l'année 1998 marque une inflexion à la hausse des dépenses du budget général après la diminution en francs constants réalisée en 1997 ".

1. Une non maîtrise dénoncée par votre commission

Lors de la présentation de la loi de finances initiale pour 1998, le gouvernement avait en effet choisi de stabiliser le solde budgétaire au prix d'un accroissement des prélèvements et non d'un maîtrise des dépenses.

Ainsi que votre commission l'avait alors démontré, les charges réelles de l'Etat devaient s'accroître en 1998 plus vite que l'inflation alors même que la présentation faite par le gouvernement laissait entendre un financement des actions nouvelles opéré par redéploiement budgétaire.

2. Une progression d'ensemble effectivement supérieure à celle de l'inflation

Malgré les affirmations du gouvernement, les résultats d'exécution pour 1998 font état d'un accroissement des dépenses du budget général de 3,6 %, cette augmentation étant ramenée à 1,1% hors remboursements et dégrèvements.

Cela permet à la Cour des comptes de relever que, " contrairement à 1997, les dépenses ont augmenté en volume en 1998 (+0,4 % hors remboursements et dégrèvements). Or la loi de finances initiale prévoyait la stabilisation des dépenses du budget général en francs constants ".

3. La charge de la dette et les dépenses de personnel encore en hausse

S'agissant des dépenses relatives à la dette publique " l'effet prix " n'a pu intégralement compenser " l'effet volume ". Ainsi, l'augmentation des charges de la dette stricto sensu a été de 2,1 % en 1998 ce qui représente 252,6 milliards de francs, contre une progression de 2 % en 1996 et de 0,4 % en 1997. En effet, la progression de l'encours de la dette brute de l'Etat a été particulièrement sensible. Elle est passée de 3.933,12 milliards à 4.252,72 milliards de francs au 31 décembre 1998 en augmentation de 320 milliards de francs soit 8,1 % contre 6,8 % en 1997. A contrario , les taux d'intérêt à moyen et long terme baissaient significativement en s'établissant respectivement à 4,07 % et 4,73 % contre 4,36 % et 5,66 % en 1997.

La progression des dépenses civiles de rémunérations figurant aux trois premières parties du titre III a été plus rapide en 1998 qu'en 1997 avec une hausse de 3,1 % contre 2,8 % en 1997 3( * ) . Ce phénomène est en outre tout particulièrement notable pour deux catégories de dépenses : celles concernant les pensions qui augmentent de 4,1 % et les charges sociales qui sont en hausse de 3,9 % contre 2,3 % pour les rémunérations d'activité stricto sensu .

4. La diminution des dépenses d'intervention et d'équipement

Les dépenses d'intervention du titre IV connaissent une diminution de 4,3 milliards de francs soit 0,9 % qui recouvre néanmoins des évolutions divergentes. Si la stabilisation ( + 0,4 % ) des interventions en faveur de l'emploi correspond notamment à la diminution de 3,8 % des aides destinées à l'insertion des publics en difficulté 4( * ) celle-ci a été compensée par la forte augmentation des crédits consacrés à l'action sociale, qui est de 7,4 % pour le RMI et de 4,6 % pour l'AAH.

Les dépenses civiles en capital du budget général ont poursuivi en 1998 leur mouvement de baisse (- 2,1 % ) même si celle-ci s'opère à un rythme plus faible qu'en 1997 (-8,3 %). Par ailleurs, l'appréciation de l'effort global d'investissement de l'Etat doit également intégrer la part des dépenses financées par les comptes spéciaux du trésor.

Les dépenses militaires diminuent au total de 2,1 % soit 3,8 milliards de francs de crédits en moins. Cette baisse est encore plus marquée pour les dépenses en capital. Les objectifs fixés par la loi de programmation militaire 1997-2002 ne sont pas respectés et les dépenses du titre V sont ainsi inférieures de près de 22 milliards de francs, soit 25 %, à ce qui était prévu.

B. UNE AUGMENTATION DÉLIBÉRÉE EN 1999

1. Un objectif politique : un point de progression en volume

Le gouvernement avait fait de l'accroissement de la dépense publique en volume un objectif politique en affichant un taux de progression de 1 point pour la seule année 1999, ce qui correspondait à une augmentation des dépenses du budget général de 36,9 milliards de francs compte tenu d'une prévision d'inflation de 1,3 %. Une telle progression en volume devait servir à financer les priorités affichées par le gouvernement: " l'emploi, la justice sociale et l'amélioration de la vie quotidienne ".

2. 36,9 milliards de francs de dépenses supplémentaires

La progression de la dépenses en 1999 se décompose comme suit :

20,9 milliards de francs résultant mécaniquement de la hausse des prix estimée en moyenne annuelle hors tabac par le gouvernement à 1,3 %. Votre commission avait alors tenu à relever que l'augmentation des prix serait en 1999 probablement inférieure à ce chiffre, ce qui permettait au gouvernement de minorer la progression en volume des dépenses de l'Etat ;

16 milliards de francs correspondant à la croissance des dépenses en volume voulue par le gouvernement afin de financer ses priorités 5( * ) .

3. Les premiers résultats de l'exécution pour 1999

La situation du budget de l'Etat au 30 avril 1999 fait état de dépenses au titre du budget général s'élevant à 595 milliards de francs soit un niveau supérieur de 2,6 % à celui observé à la fin du mois d'avril 1998 (580,2 milliards de francs). Cette progression est de 2,8 % pour les dépenses civiles ordinaires et de 2,2 % pour les dépenses civiles en capital.

Dans la mesure où il s'avère que la hausse des prix initialement prévue à 1,3 % pourrait être de 0,5 à 0,7 % en 1999, la croissance en volume des dépenses de l'Etat risque d'en être d'autant accrue. Il sera donc nécessaire que le gouvernement procède à un " gel de crédits " que l'on peut chiffrer à environ 10 milliards de francs, afin de pouvoir respecter cet objectif de croissance en volume de 1 point. Il lui appartiendra d'en préciser les modalités et les montants concernés afin d'en informer complètement la représentation nationale. Il évoque en effet dans le rapport sur le présent débat d'orientation budgétaire une " procédure novatrice ", celle des contrats de gestion, qui aurait permis de constituer une réserve " utilisée en fonction de l'évolution de la prévision d'inflation ". Des précisions complémentaires sont à l'évidence indispensables.

C'est dans ce même contexte que doivent s'apprécier les déclarations du ministre de la Défense estimant le coût pour 1999 de l'intervention de la France au Kosovo à un montant compris entre 3,5 et 4 milliards de francs.

II. UNE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE 2000-2002 INCERTAINE

Le 15 mars 1999, les ministres européens des finances réunis à Bruxelles pour examiner les différentes programmations pluriannuelles ont estimé que la diminution des déficits publics français devait être obtenue " par le biais d'une réduction des dépenses publiques dont le niveau en France est très élevé ".

A. DES OBJECTIFS A TROIS ANS

1. Une hausse cumulée de 1 point en volume sur trois ans

Le programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002 présenté en décembre 1998 par le gouvernement a pour objectif de mettre en oeuvre " une stratégie pour la croissance et l'emploi ". A ce titre il préconise de fixer un objectif de dépenses en termes réels pour l'ensemble des administrations publiques : " pour les dépenses de l'Etat la progression cumulée sera limitée à 1 % en volume sur trois années soit en moyenne 0,3 % par an ".

2. L'objectif zéro en 2000 : 17,2 milliards de dépenses supplémentaires hors dette

Les ambitions du gouvernement s'agissant de la première année d'application de ce programme pluriannuel restent ambiguës . Le premier ministre affiche un objectif de " progression zéro " en volume dans ses lettres de cadrage, mais estime par ailleurs que l'allégement de la charge de la dette dégagera une marge de 0,3 point en volume qui sera affectée aux autres dépenses. Il profite donc d'économies de constatation et ne s'attaque pas aux composantes les plus rigides de la dépense publique .

Cela signifie que les dépenses du budget général, hors dette, connaîtraient en 2000 une progression en valeur de près de 17,2 milliards de francs compte tenu d'une inflation fixée à 0,9 %. Une telle inflexion semble confirmer les craintes exprimées par la Commission européenne quant à la capacité et à la volonté du gouvernement français de s'en tenir à l'objectif fixé 6( * ) .

3. Des résultats insuffisants par rapport aux autres pays européens

Le niveau en France des dépenses publiques restera très élevé par rapport à celui de nos principaux partenaires et cela, même au terme de la période de programmation pluriannuelle 2000-2002. Il est donc à craindre que l'objectif de progression limitée des dépenses de l'Etat et, partant, des dépenses publiques présenté par le gouvernement reste insuffisant. En effet, au terme de cette période la France sera, la Suède exceptée, le pays de l'Union européenne connaissant le poids de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé .

B. DES PRIORITÉS COUTEUSES ET DIFFICILES À FINANCER

Le gouvernement estime que le financement de ses principales priorités a surtout pesé sur 1999 et que, " une fois cette marche d'escalier franchie " leur financement pourra se faire dans le cadre de la progression de un point en volume sur trois ans des dépenses de l'Etat.

Or, ainsi que votre commission l'avait déjà souligné, des risques sérieux de dérive budgétaire existent à l'avenir compte tenu du coût fortement progressif des priorités gouvernementales. Par ailleurs, il convient de relever que celles-ci qui n'ont toujours pas été présentées de façon précise et détaillée.

1. 38,3 milliards de dépenses supplémentaires pour les seules interventions sociales et les rémunérations publiques



Les emplois-jeunes

+ 13,6 milliards de francs

coût en LFI 1999 : 15,9 milliards de francs ;

coût estimé en 2000 (350.000 emplois-jeunes fin 2000 7( * ) ) : 29,5 milliards de francs.

L'exclusion

+ 4 milliards de francs

coût 1999 : 5,4 milliards de francs ;

coût 2000 : 9,4 milliards de francs.

Les 35 heures

?

. crédits LFI 1999 : 3,7 milliards de francs ;

crédits LFI 2000 : ?. ( 8 milliards de francs à terme pour l'Etat en année pleine)

La CMU

+ 1,7 milliard de francs

coût supplémentaire pour l'Etat la première année : 1,7 milliard de francs ;

le financement n'est pas prévu au-delà.

L'accord salarial de février 1998 pour la fonction publique d'Etat

+ 8,5 milliards de francs

coût en 1999 : 14,8 milliards de francs ;

coût en 2000 : 23,3 milliards de francs.

Mesures catégorielles dans la fonction publique (estimations)

+ 5 milliards de francs

Les pensions de la fonction publique

+ 5,5 milliards de francs

coût 1999 (estimations) : 183 milliards de francs ;

coût 2000 (estimations) : 188,5 milliards de francs.

Au total

+ 38,3 milliards de francs

Le surcoût en 2000 des seules priorités du gouvernement en matière de dépenses d'intervention sociale ou de rémunérations publiques peut ainsi être estimé au minimum à près de 38,3 milliards de francs.

Or le gouvernement fixe la progression d'ensemble des dépenses budgétaires de l'Etat à 14,6 milliards de francs. Près de 25 milliards de francs de dépenses ne seraient ainsi pas financées.


Cette crainte est partagée par la Commission européenne qui estimait le 16 février 1999 " que le programme français n'offre pas de marge de sécurité suffisante pour supporter le coût financier de nouvelles mesures de politique économique ou d'évolutions imprévues ".

2. Des risques accrus de dérive

Par ailleurs le gouvernement se trouve déjà confronté à d'autres priorités ou chantiers qui pourraient se révéler coûteux et à ce titre délicats à financer. Outre la volonté affichée d'accroître les crédits du ministère de l'environnement de 15 % en 2000 ou le financement de l'aide sociale étudiante 8( * ) , le gouvernement avait déclaré faire de la rénovation des grands services publics l'un des grands chantiers de la législature sans toutefois en préciser le coût réel pour les finances publiques...

En outre votre commission est conduite à s'interroger sur le mode de financement des mesures envisagées en matière d'allégement de charges sur les bas salaires ainsi que sur le coût budgétaire, la pertinence et la viabilité de la " seconde loi " prévue pour les 35 heures. Elle ne peut en effet se contenter du flou des intentions affichées en ce domaine par le gouvernement et des approximations contenues dans le rapport présenté pour le présent débat d'orientation budgétaire.

Le prélèvement sur recettes au profit du budget communautaire devrait s'alourdir sensiblement en 2000

L'avant-projet de budget des Communautés européennes pour l'an 2000 qui est le premier à s'inscrire dans le cadre des nouvelles perspectives financières 2000-2006 voit la Commission proposer une augmentation des crédits de paiement de 4,7 %.

Cette augmentation dont l'importance vient pour l'essentiel de la nécessité de solder les engagements de la programmation d'Edimbourg en matière d'actions structurelles (+ 4,9 % d'accroissement des crédits de paiement) pourrait être amplifiée lors de la suite de la procédure budgétaire.

Le Parlement européen traditionnellement dépensier a gagné de nouvelles compétences. Les suites du conflit du Kosovo ne sont pas intégrées dans l'avant-projet de budget.

Mais, en soi la progression des crédits européens proposée par la Commission est déjà lourde de conséquences sur le niveau de la contribution française au budget européen.

On rappelle qu'elle avait été évaluée dans la loi de finances pour 1999 à 95 milliards de francs soit à un niveau inférieur de l'ordre de 3 milliards au niveau implicite résultant des évaluations des charges appelées en France. Cette correction a été motivée par la perspective pourtant peu évidente d'un report de solde de l'exécution 1998 qui viendrait diminuer l'appel à contribution auprès des Etats membres.

L'exécution du budget européen s'étant améliorée au moins du point de vue du taux de consommation des crédits, il est peu probable qu'une telle facilité vienne réduire notre contribution pour l'an prochain.

Toutes choses égales par ailleurs, celle-ci pourrait donc s'élever à quelque 102,6 milliards de francs.

Elle pourrait s'aggraver du fait des décisions du Conseil de Berlin sur la compensation britannique, qui alourdira notre contribution et sur le plafonnement des ressources propres traditionnelles qui augmentera mécaniquement la contribution assise sur le PIB.

A ce sujet, les perspectives économiques retenues par le gouvernement avec une croissance qui pourrait être supérieure à la moyenne européenne auraient pour traduction un alourdissement de la part de la France dans le financement du budget européen, source d'augmentation spontanée de notre contribution.

C. UNE RIGIDIFICATION CROISSANTE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE

Le gouvernement bénéficiera en 2000 d'économies de constatation résultant notamment de la moindre progression, voire de la diminution de la charge nette de la dette sans pour autant s'attaquer aux composantes structurelles les plus rigides de la dépense qui sont marquées par une très forte inertie.

1. Le renforcement du poids des dépenses de fonctionnement : plus de 90 % des dépenses de l'Etat

L'examen de l'évolution des principaux postes de dépenses du budget général traduit depuis plusieurs années le renforcement du poids des dépenses de fonctionnement aux dépens des dépenses d'investissement conformément à un " effet de ciseaux ". Ces dernières représentent moins de 10 % de l'ensemble des dépenses du budget général pour 1999.

Non seulement, la politique menée par le gouvernement ne contrarie pas ce mouvement, mais elle semble au contraire l'amplifier rendant le budget de l'Etat plus vulnérable à un retournement de conjoncture.

A ce titre il convient d'analyser avec prudence les prévisions faites pour 1999 et conduisant à envisager un accroissement de 3,10 % des dépenses en capital. Compte tenu d'une diminution des investissements civils de 0,3 % cette progression est due à une augmentation de 6,2 % des dépenses militaires destinée, en principe, à rattraper le retard pris par rapport à la loi de programmation militaire 9( * ) . Or l'expérience de la gestion 1998 montre que l'accroissement des dépenses de fonctionnement militaire est très régulièrement financé par la contraction des crédits d'équipement 10( * ) .

2. Les deux tiers des charges de l'Etat concentrées sur trois postes budgétaires

Ainsi que le souligne à nouveau la Cour des comptes dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances pour 1998 : " en ce qui concerne les dépenses on relève leur rigidité croissante. Les dépenses les plus flexibles ont déjà été fortement réduites, en particulier les dépenses en capital et celles de fonctionnement matériel ". Aussi note-t-elle que l'une des caractéristiques de l'évolution budgétaire récente est " la rigidité des dépenses budgétaires, dont le simple ralentissement s'effectue avec difficulté ".

En 1999 65,6 % des dépenses du budget général étaient concentrés sur les trois postes de dépenses suivants : fonction publique (675 milliards de francs soit 41,6 %) ; dette publique nette (237 milliards de francs soit 14,6 %) 11( * ) et interventions en faveur de l'emploi (153 milliards de francs soit 9,4 %) 12( * ) . Rapportées aux recettes fiscales nettes de l'Etat leur poids relatif est ainsi passé de 57 % en 1990 à 88 % en 1998 .

Part des recettes fiscales nettes consacrées aux charges de la dette, aux dépenses de fonction publique et aux interventions pour l'emploi.



(Source : Ministère de l'économie)

Par ailleurs, une hiérarchie très caractéristique se crée au sein des dépenses de fonctionnement, où le coût des pensions et des charges sociales évolue plus rapidement que celui des rémunérations d'activité.

Or, ainsi que le note le rapport du gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, ce type de dépense ne présente aucune marge d'économie à court terme. Il importe donc d'ancrer dans la durée la politique de réduction des effectifs de la fonction publique préconisée par votre commission . Une telle politique est en effet non seulement possible mais également indispensable.

Ne peut-on vraiment pas réduire les effectifs de la fonction publique ?

Il est indispensable d'agir sur l'une des composantes les plus rigides de la dépense publique : les rémunérations publiques. Premier poste de dépenses avec 675 milliards de francs en 1999 soit 42 % du budget général, elles connaissent depuis de nombreuses années une progression supérieure à celle de l'ensemble du budget. Par ailleurs tout nouveau recrutement constitue une charge budgétaire qui s'étendra sur prés de 60 années.

Il n'existe paradoxalement pas d'indicateur fiable permettant d'apprécier la situation réelle des effectifs employées par l'Etat

Dans un référé de juillet 1998 adressé à la ministre de l'emploi concernant la gestion de ses services déconcentrés, la Cour des comptes relevait que " la description des effectifs qui figure en loi de finances initiale, seule information dont dispose la représentation nationale en la matière, ne correspond pas à la réalité ". Il faut donc impérativement améliorer la gestion prévisionnelle des effectifs employés par l'Etat.

Des gisements de productivité importants existent

Cela vient encore récemment d'être démontré par le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la gestion des effectifs enseignants (" la 31 eme académie " ou le " surcalibrage " des concours) ou les conclusions du rapport Roché sur l'application des 35 heures dans la fonction publique. En outre, la " loi de mutabilité " du service public, qui consiste à adapter en permanence celui-ci aux nouvelles réalités, ne s'oppose pas à de telles réductions.

Des expériences ont déjà été pratiquées en ce sens

En 1997, les effectifs civils totaux ont été diminués de 0,4 % soit 6.456 emplois sans que cela ne nuise au bon fonctionnement des services publics et permis un économie de 0,8 milliard de francs en 1997 et 1,1 milliard de francs en 1998. En 1999 les effectifs du ministère de l'économie diminueront de 0,4 % soit 695 emplois en raison d'efforts de rationalisation, de mesures de simplification fiscale et de la réorganisation de ces services.

Une piste: ne pas remplacer dans les dix ans à venir 5 % des départs à la retraite


Dans les 10 ans à venir, la moitié des fonctionnaires civils partiront en retraite soit en moyenne prés de 85.000 personnes par an . En ne remplaçant pas 5 % des départs à la retraite, ce qui est totalement compatible avec le maintien du bon fonctionnement des services publics, on pourrait ainsi diminuer les effectifs de 4.250 emplois par an. Cela représenterait chaque année une diminution de moins de 0,3 % des effectifs totaux actuels.

CHAPITRE IV :

L'ÉQUILIBRE DES FINANCES PUBLIQUES : LA VOIE DE " L'EXCEPTION FRANÇAISE " EST UNE IMPASSE

L'amélioration des équilibres de nos finances publiques est réel. Depuis 1994, le déficit des administrations publiques se réduit, et le gouvernement prévoit de poursuivre cette amélioration à l'horizon du programme de stabilité de la France en 2002. Ce déficit passerait ainsi de 5,75 % du PIB en 1994 à 0,8 % au minimum ou 1,2 % au maximum en 2002.

Toutefois, le gouvernement français à choisi une voie originale dans le monde industrialisé : celle d'un étatisme accru. En flux, il maintient un niveau élevé de prélèvements et de dépenses. En stock, il préfère ne pas réduire la dette brute et constituer des réserves gérées par les administrations publiques.

Ce choix traduit une philosophie différente de celle de votre commission sur le rôle de l'Etat dans l'économie. Mais ce n'est pas le plus important : ce choix ne permet pas de résoudre durablement les difficultés financières de la France, qui sont à venir. C'est pourquoi il est critiqué de toute part, et révèle la vanité de " l'exception française ".

I. LES FONDEMENTS DE L'ASSAINISSEMENT FINANCIER À LA FRANÇAISE : BONNE CONJONCTURE ET NIVEAU ÉLEVÉ DE PRÉLÈVEMENTS

A. LES OBJECTIFS D'ÉQUILIBRE DES FINANCES PUBLIQUES POUR 2000 ET À MOYEN TERME

Les objectifs du gouvernement à moyen terme se lisent dans le tableau suivant :

Besoin/capacité de financement des administrations publiques

(% PIB)

 
 
 
 

Hypothèse prudente (4)

Hypothèse favorable (5)

 

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2000

2001

2002

Etat

- 3,3

- 3,0

- 2,7

- 2,5

- 2,2

- 2,0

-

-

-

ODAC (1)

+ 0,7

+ 0,15

+ 0,1

+ 0,2

+ 0,2

+ 0,2

-

-

 

APUL (2)

+ 0,2

+ 0,15

+ 0,15

+ 0,1

+ 0,2

+ 0,3

-

-

-

ASSO (3)

- 0,6

- 0,2

+ 0,15

+ 0,2

+ 0,2

+ 0,3

-

-

-

Total

- 3,0

- 2,9

- 2,3

- 2,0

- 1,6

- 1,2

- 1,7

- 1,2

- 0,8

(1) Organismes divers d'administration centrale

(2) Administrations publiques locales

(3) Administrations de sécurité sociale

(4) Croissance du PIB = 2,5 % par an

(5) Croissance du PIB = 3,0
% par an. Le gouvernement ne décompose pas par secteur car il y aurait, dans cette hypothèse, des baisses de prélèvements obligatoires différenciées.

On peut observer que les hypothèses de solde associées au débat d'orientation budgétaire pour l'exercice 2000 sont exactement les mêmes que celles ayant fait l'objet du programme de stabilité de la France, transmis à la Commission européenne en décembre 1998.

Ces objectifs témoignent de la volonté du gouvernement de continuer à réduire les déficits publics. La dette publique, qui atteindrait 58,5 % du PIB en 1999, pourrait se stabiliser à ce niveau en 2000.

B. UN RÉÉQUILIBRAGE FONDÉ SUR LA BONNE CONJONCTURE ET L'ACCROISSEMENT DES PRÉLÈVEMENTS, SANS ACTION SUR LES DÉPENSES

Le programme de stabilité de la France est fondé sur une hypothèse de croissance soutenue à moyen terme : entre 2,5 % et 3 % par an de 2000 à 2002. Une telle croissance est souhaitable, et sans doute possible, mais elle est loin d'être garantie.

Or, depuis 1997 le gouvernement fonde toute sa politique d'assainissement financier sur la conjoncture économique, en maintenant un niveau des prélèvements obligatoires très élevé, susceptible d'augmenter fortement les recettes publiques. Il n'infléchira pas cette politique en 2000, ni de façon sensible à l'horizon 2002.

Évolution du déficit et poids des dépenses et recettes
des administrations publiques

(en points de PIB)

 

1997

1998

1999

2000

Dépenses publiques

55,4

54,4

53,9

52,8-53,2

Recettes des administrations publiques

52,4

51,5

51,6

51,0-51,3

Taux de prélèvements obligatoires

46,1

46,1

46,1

45,7-46,0

Déficit public

- 3,0

- 2,9

- 2,3

- 1,7/-2,0

Source : Direction de la Prévision

En effet, sur le front des dépenses publiques, le gouvernement ne fait pas d'effort : il bénéficie de l'allégement de la charge de la dette liée à la baisse des taux d'intérêt et, transitoirement, du creux démographique affectant les dépenses de retraites.

1. Une politique de facilité pour l'Etat...

Cette politique de facilité est manifeste s'agissant des finances de l'Etat. Bien que le programme de stabilité prévoie une progression très modérée des dépenses publiques (+ 1 % en termes réels sur trois ans), c'est bien sur la conjoncture que le gouvernement s'appuie pour résorber le déficit budgétaire.

Ainsi en 1998, les recettes fiscales nettes de l'Etat ont progressé de 2,5 %, profitant de la bonne conjoncture, pour s'élever à 1.452,3 milliards de francs. Les dépenses ont progressé de 27,3 milliards de francs, soit + 1,4 %. Mais cette faible progression est essentiellement liée au ralentissement de la charge de la dette, résultant de la baisse des taux d'intérêt intervenue à partir de 1995. L'INSEE révèle ainsi que la réduction du poids des dépenses de l'Etat dans le PIB (de 24,3 % en 1997 à 23,7 % en 1998) s'est faite grâce à l'allégement de la charge de la dette, tandis que les autres dépenses ont continué à s'alourdir.

Sur les quatre premiers mois de 1999, l'exécution du budget se déroule sur le même profil : le rééquilibrage se fait grâce à une vive progression des recettes et à la baisse du coût de la dette, tandis que les autres dépenses continuent de progresser sensiblement, mais à un rythme moins rapide que les recettes.

Exécution à fin avril 1999

(en milliards de francs)

 

Fin avril 1998

Fin avril 1999

Evolution

Recettes du budget général

450,6

494,5

+ 9,7 %

Charges brutes de la dette

120,9

119,4

- 1,2 %

Autres dépenses

459,3

475,6

+ 3,5 %

Solde du budget général

- 129,6

- 100,5

 

Source : Direction du budget

2. ... qui est vraie de l'ensemble des finances publiques...

Comme votre commission l'a fait remarquer à l'occasion du débat relatif à la loi de finances pour 1999, le gouvernement s'appuie largement sur les excédents des administrations publiques autres que l'Etat pour assurer le redressement d'ensemble de l'équilibre des finances publiques.

Il table en particulier sur un excédent des comptes sociaux, alors même que les hypothèses des dépenses associées sont les plus fortes pour les administrations de sécurité sociale : + 4,6 % de 2000 à 2002, contre + 1 % pour l'Etat. Dans ces conditions, il lui sera bien difficile de réduire les prélèvements 13( * ) .

Or, s'agissant des comptes sociaux, mais aussi des dépenses de retraites de l'Etat, les finances publiques de la France sont actuellement dans " l'oeil du cyclone ", grâce à l'arrivée de classes creuses à l'âge de la retraite . Dans la période qui s'ouvre jusque vers 2005, nos comptes publics vont connaître une amélioration transitoire, qui précédera les effets dévastateurs de départs en retraite massifs.



Source : OCDE

L'amélioration de nos finances publiques est donc bien transitoire et conjoncturelle.

3. ... et que le gouvernement est contraint lui-même de reconnaître

Sans trop le faire savoir, le gouvernement est contraint lui-même de reconnaître que sa politique des déficits publics se fonde sur le maintien d'un niveau élevé de prélèvements que la bonne conjoncture transforme en recettes abondantes, tandis qu'il n'agit pas réellement sur les dépenses.

En effet, s'il n'a pas révisé ses objectifs de déficit public depuis la publication du programme de stabilité, le gouvernement a dû concéder qu'il avait atteint ces objectifs à des niveaux d'intervention publique plus élevés.


 

1997

1998

1999

Ecart déc98/mai99

Dépenses publiques (% PIB)

 
 
 
 

programme triennal (déc. 98)

55,4 %

54,3 %

53,5 %

 

rapport DOB (mai 99)

55,4 %

54,4 %

53,9 %

+ 0,4 point

Prélèvements obligatoires (% PIB)

 
 
 
 

programme triennal (déc. 98)

46,1 %

45,9 %

45,7 %

 

rapport DOB (mai 99)

46,1 %

46,1 %

46,1 %

+ 0,4 point

Déficit public (% PIB)

3,0 %

2,9 %

2,3 %

 

II. DETTE PUBLIQUE ET FONDS DE RÉSERVE POUR LES RETRAITES : LE CHOIX DE L'ÉTATISME ET DE L'INCERTITUDE

Faute d'action volontaire et efficace sur la dépense publique, le gouvernement ne met pas les finances publiques de la France en position d'affronter les chocs de l'avenir. Alors que la dette publique de nos partenaires européens commence à se réduire, celle de la France n'est que stabilisée, et encore de façon précaire. Plutôt que de la réduire, le gouvernement préfère d'ailleurs créer un fonds de réserve pour financer les retraites par répartition.

A. LA DETTE PUBLIQUE N'EST PAS STABILISÉE DURABLEMENT

Pour la première fois depuis 1980, le poids de la dette publique dans le PIB devrait se stabiliser. Mais, il faut apporter deux tempéraments à ce bon résultat.

D'une part, la France est en retard d'un an sur la plupart de ses partenaires de l'Union européenne dans ce processus . A l'issue de son programme de stabilité (2002), elle aurait une des réductions de dette publique parmi les plus faibles de l'Union. Sa situation deviendra alors comparable à celle d'autres pays aujourd'hui moins bien placés qu'elle, et elle rétrograderait de la 4 ème place (1997) à la 7 ème place (2002) de l'Union pour ce ratio.

D'autre part, en l'absence des réformes nécessaires, il est permis de craindre que la dette ne pourra être durablement stabilisée.

1. Les déficits publics : un facteur persistant d'aggravation de la dette

L'Etat a atteint l'équilibre primaire 14( * ) en 1999, et devrait dégager un léger excédent en 2000.

Le programme triennal de stabilité fait état d'un excédent primaire croissant pour l'ensemble des administrations publiques.

 

1998

1999

2000 (1)

2001 (1)

2002 (1)

Solde primaire des administrations publiques (% PIB)

0,6

1,1

1,3/1,5

1,5/1,9

1,8/2,2

(1) Les deux objectifs correspondent respectivement à une hypothèse de croissance de 2,5 % ou de 3 %.

Dans ces conditions, la dette brute des administrations publiques devrait, au pire, rester stable dans la période 1998/2002 (à 52,3 % du PIB), au mieux, régresser de 58,2 % à 55,6 % du PIB.

La réduction du poids de la dette publique est toutefois obérée par la persistance d'un déficit structurel élevé pour l'ensemble des administrations publiques.

Le solde structurel des administrations publiques met en balance des recettes et des dépenses permanentes, hors de l'influence de la conjoncture. L'existence d'un déficit structurel témoigne de ce que l'Etat vit constamment " au-dessus de ses moyens ", car ses dépenses excèdent structurellement ses recettes.

La persistance du déficit structurel

(% PIB)

1997

1998

1999

2000

2001

2002

- 2,2

- 2,1

- 1,6

- 1,4

- 1,1

- 0,8

Source : direction de la prévision

Faute d'entreprendre les réformes nécessaires, le gouvernement ne réduit plus le déficit structurel que très lentement. Votre commission observe d'ailleurs que les prévisions du gouvernement en la matière sont plus optimistes que celles de l'OCDE (voir infra III)

Or, cette attitude est doublement dangereuse :

- d'une part, compte tenu de la situation très provisoirement favorable des départs en retraite, le déficit structurel va s'améliorer de lui-même, dans les quelques années qui viennent, avant de se dégrader à nouveau très fortement ;

- d'autre part, les déficits structurels sont la source majeure de l'endettement sur moyenne période, les déficits conjoncturels ayant tendance à se compenser avec les excédents conjoncturels.

D'un point de vue qualitatif, votre rapporteur général observe que le gouvernement continue d'emprunter pour financer des dépenses courantes. S'il continue à se réduire, le déficit de fonctionnement de l'Etat atteint néanmoins 68 milliards de francs. Il est intéressant d'ailleurs de noter que le gouvernement, qui avait lors du débat budgétaire contesté la pertinence de cette donnée, en fait désormais état de façon officielle 15( * ) .

2. Le " hors bilan " non provisionné

La précaire stabilisation de la dette proposée par le gouvernement ne permettra pas de faire face aux chocs de l'avenir.

Il faut en effet ajouter à la dette actuelle les engagements " hors bilan " de l'Etat. Certains sont conditionnels : les garanties accordées aux établissements publics, aux crédits à l'exportation, à certaines formes d'épargne etc... Mais d'autres sont certains : les structures de défaisance (Crédit Lyonnais, Comptoir des entrepreneurs), les primes d'épargne-logement, ou les charges de remboursement de la dette de réseau privé en France 16( * ) . Surtout, ce sont les engagements en assurance-vieillesse et en assurance-maladie liés au vieillissement de la population

La direction de la comptabilité publique évalue à 314 milliards de francs au 31 décembre 1998 la dette garantie par l'Etat, mais ce chiffre est sous-estimé car il n'inclut pas toute la dette garantie implicitement.

D'après l'OCDE, les pensions de la période 1994/2070 ne sont pas financées à hauteur de 100 % du PIB de 1994. Pour l'ensemble du prochain siècle, on peut évaluer l'impasse financière des retraites à une somme comprise entre 50 % et 300 % du PIB de 1998.

L'explosion programmée des retraites publiques

Ainsi que votre commission l'a souligné à de nombreuses reprises, les charges de pension sont amenées à progresser dans les années à venir dans des proportions considérables. Il est donc nécessaire que soient prises rapidement les mesures nécessaires pour faire face au choc démographique des années à venir, c'est à dire réformer les régimes de retraite, en particulier les régimes publics. Le rapport du Commissariat général au Plan sur l'avenir du système français des retraites en avait estimé le surcoût, s'agissant des seuls fonctionnaires de l'Etat, entre 123 et 130 milliards de francs en 2020 et de 240 à 263 milliards de francs à l'horizon 2040.



Par ailleurs, selon certaines estimations obtenues par votre rapporteur général la dette implicite de l'ensemble du système de retraite français s'élèverait pour la période comprise entre 1998 et 2100 entre 50 et 300 points de PIB. Il ne s'agit pas là bien évidemment de prévisions exactes mais d'indications destinées à donner un ordre de grandeur quant à l'ampleur des besoins futurs de financement.

Il est dès aujourd'hui indispensable d'incorporer cette dette certaine à la dette publique, pour prendre la mesure des réformes à entreprendre et auxquelles le gouvernement renonce.

B. LA CRÉATION DU FONDS DE RÉSERVE POUR LES RETRAITES : UNE FAUSSE SOLUTION BUREAUCRATIQUE

Le gouvernement a décidé de créer, par la loi de financement pour la sécurité sociale de 1999, un fonds de réserve rattaché au fonds de solidarité vieillesse, destiné à recevoir les éventuels excédents des comptes sociaux, les recettes de privatisation et le produit de la mutualisation des caisses d'épargne.

D'après la direction de la prévision, les actifs de ce fonds pourraient représenter de 0,7 % à 1,5 % du PIB à l'horizon 2002, loin des enjeux financiers précédemment cités 17( * ) .

D'un point de vue économique, les réserves de ce fonds viennent s'imputer sur les engagements futurs des administrations publiques, ce qui est strictement équivalent à un désendettement de ces mêmes administrations. Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'a lui-même reconnu au Sénat lors du débat sur le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière.

La différence importante est que le gouvernement fait le choix d'une bureaucratisation accrue de l'économie. Ce choix a le mérite de la cohérence, car il est en conformité avec celui du maintien d'une pression fiscale élevée pour réduire les déficits publics, au détriment d'une action sur les dépenses.

III. " L'EXCEPTION FRANÇAISE " : UNE MÉTHODE REJETÉE PARTOUT, ET PAR PRESQUE TOUS

Que votre commission, tout en constatant l'amélioration des déficits publics, soit hostile à la méthode retenue par le gouvernement, n'est pas une information d'un intérêt remarquable.

C'est pourquoi il est utile, pour appuyer cette opinion, de montrer combien elle est partagée. Il est bien sûr possible que le gouvernement français ait raison contre tous. Il est probable que non.

A. LES MISES EN GARDE SUR LA PRÉCARITÉ DE LA SITUATION FRANÇAISE

Dans sa monographie récente portant sur la France, l' OCDE critique le choix d'un ajustement budgétaire passant par un surcroît d'intervention publique.

" Nonobstant la réduction tendancielle du déficit demeurent plusieurs problèmes de fond, décrits dans l'Étude précédente et soulignés dans l'audit susmentionné. Le taux de prélèvements obligatoires n'a cessé d'augmenter de 1992 à 1997, pour atteindre un pic de 46,1 % (45,3 % si les allégements de cotisations sociales sont déduits au lieu d'être comptabilisés comme des subventions). Même si de telles comparaisons internationales sont par nature fragiles, ce taux est supérieur d'environ 3 points à la moyenne européenne et 8 points à la moyenne OCDE, alors même que l'intégration économique et monétaire réduit les obstacles à la mobilité des facteurs et facilite l'arbitrage fiscal.

Le poids de la dépense publique dans le PIB a diminué de 0,3 point en 1997 passant à 55,4 % (contre un maximum historique de 56,1 % en 1993). Néanmoins, il demeure lui aussi largement supérieur aux moyennes constatées en Europe ou plus généralement dans les pays de l'OCDE. Dans ces conditions, la question de l'efficience des services de l'Etat ne saurait être éludée
".

Les travaux de l'OCDE permettent par ailleurs de constater que le déficit structurel des administrations publiques est plus élevé en France que dans toute l'Union européenne, à égalité avec la Grèce en 1999.

Déficit structurel des administrations publiques : la France dernière de l'euro-11

(En % du PIB)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Euro-11

4,8

4,6

4,5

3,4

1,9

2,1

1,8

1,7

Irlande

2,4

1,7

2,2

0,4

- 0,9

- 2,1

- 3,4

- 4,6

Luxembourg

-

-

-

- 3,0

- 2,9

- 2,2

- 2,2

- 2,1

Finlande

2,1

2,2

2,4

1,7

1,3

0,7

- 0,3

- 0,9

Pays-Bas

2,6

3,4

3,2

1,4

0,7

1,8

1,6

0,8

Belgique

6,2

4,3

3,5

2,3

1,6

1,2

1,2

1,2

Espagne

6,0

5,2

6,2

3,3

1,6

1,6

1,4

1,2

Portugal

5,6

5,2

4,9

2,5

1,9

2,2

1,9

1,8

Autriche

4,2

5,0

4,7

3,2

1,3

2,0

1,9

1,9

Italie

8,6

8,6

7,7

6,3

2,2

2,1

1,9

1,9

Allemagne

3,3

2,7

3,1

2,9

2,1

2,3

2,0

2,0

France

4,8

5,2

4,4

3,4

2,3

2,6

2,2

2,0

Hors euro-11

Danemark

0,9

1,6

1,9

0,9

0,3

- 0,5

- 2,2

- 2,8

Suède

8,1

7,8

6,4

2,5

- 0,4

- 1,4

- 1,3

- 1,7

Royaume-Uni

6,2

6,1

5,2

4,6

2,6

0,9

0,1

0,1

Grèce

13,0

9,1

9,6

6,7

3,5

2,2

2,2

2,5

Source : OCDE - (Un signe - signifie un excédent)

Dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances en 1998, la Cour des Comptes , présidée par M. Pierre Joxe, constate que l'essentiel de la réduction des déficits publics provient d'un surcroît de recettes, malgré un niveau déjà très élevé de prélèvements obligatoires, tandis que les dépenses sont de plus en plus rigides. La Cour déplore ainsi la difficulté croissante à laquelle le gouvernement se heurtera pour réduire les déficits publics.

La Banque centrale européenne déplore que l'ensemble des pays de l'Euro-11 aient différé les programmes d'assainissement budgétaire. Elle observe notamment en 1998 que " l'Allemagne et la France, pourtant proches de leur potentiel de production, ont connu des déséquilibres trop proches de la valeur de référence de 3 % du PIB retenue pour les déficits au plus fort d'un ralentissement économique ". Et elle ajoute : " La stratégie envisagée pour l'avenir n'est pas de nature à apporter les apaisements nécessaires ". La France n'a pas l'excuse de la réunification.

La Commission européenne met particulièrement la France en garde contre l'insuffisance de marge qu'elle se donne pour éviter de replonger dans les déficits publics excessifs.

B. LA PRÉFÉRENCE PARTAGÉE POUR LA RÉDUCTION DES DÉPENSES PUBLIQUES

Les grandes institutions internationales et européennes, ainsi que la Cour des comptes, mettent toutes l'accent sur la nécessité de réduire les dépenses publiques pour réduire les déficits et préparer les chocs démographiques.

Mais il est intéressant de noter que cet avis est partagée par des alliés du gouvernement actuel.

Le Chancelier Gerhard Schroeder et le Premier ministre Tony Blair ont récemment pris position dans leur manifeste " Europe : une troisième voie " en faveur d'une réduction de la sphère publique :

" In the past, social democrats have all too often been associated with the view that the best way to promote employment and growth is to increase government borrowing in order to finance higher government spending. We do not rule out government deficits- during a cyclical downturn it makes sense to let the automatic stabilisers work. And borrowing to finance higher government investment, in strict accordance with the Golden Rule, can play a key role in strengthening the supply side of the economy.

However, deficit spending cannot be used to overcome structural weaknesses in the economy that are a barrier to faster grownth and higher employment. " 18( * )


Le gouvernement français persiste lui dans sa politique solitaire de relance de l'emploi par un surcroît de dépenses (35 heures, emplois-jeunes, fonction publique).

Il n'est cependant pas jusqu'au président de l'Assemblée nationale et ancien premier ministre M. Laurent Fabius qui ne dise que l'assainissement des finances publiques doit passer par une baisse des dépenses :

" Aujourd'hui, les prélèvements obligatoires atteignent un niveau record : 46 % du PIB, soit quatre points au-dessus de la moyenne de l'Union européenne. Comment moins prélever ?

En enrayant la progression de la dépense budgétaire
. " 19( * )

Puissent donc les propos tenus par le ministre de l'Economie à l'issue du séminaire gouvernemental de préparation du budget 2000 d'avril dernier se réaliser : " La gauche, ce n'est pas obligatoirement plus de dépenses publiques et de dette " !

Ainsi, et ainsi seulement le " goût du risque " et la " revalorisation du rôle du créateur " l'emporteront sur la rente, comme le souhaitait, lui-même encore récemment le ministre de l'Economie.

CHAPITRE V :

LES FINANCES LOCALES A LA RESCOUSSE
DU GOUVERNEMENT

Les collectivités locales contribuent positivement au solde budgétaire de la France depuis 1996. Leur excédent s'est consolidé en 1997 pour atteindre 22,7 milliards de francs, soit 0,22% du PIB. Les estimations pour 1998 et 1999 s'établissent à 0,15%.

Pour les années à venir, le programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002, transmis par le gouvernement français à la Commission européenne, envisage la reconduction de soldes excédentaires, compris entre 1,3 et 1,5% du PIB pour 2000, 1,5 et 1,9% pour 2001 et 1,8 et 2,2% en 2002.

Le constat renouvelé d'un excédent comptable permet de mettre définitivement fin aux doutes concernant les capacités de gestionnaires des collectivités locales. Cependant, il ne doit pas conduire à considérer celles-ci comme la variable d'ajustement du déficit de l'Etat. Ainsi, il est regrettable que le gouvernement n'ait pas su résister à cette tentation, comme en témoigne la réforme de la taxe professionnelle opérée par la loi de finances pour 1999, qui aura pour conséquences une réduction probable des recettes des collectivités locales et une augmentation certaine des recettes du budget de l'Etat.

De manière générale, les orientations du gouvernement actuel en matière de finances locales remettent en cause la stratégie poursuivie ces dernières années par les collectivités locales, qui a permis de réduire le poids de l'endettement afin de retrouver des marges de manoeuvre financières pour relancer leurs investissements. En effet, les collectivités locales doivent maintenant faire face à des charges de fonctionnement nouvelles, tandis que l'évolution de la structure des concours financiers de l'Etat ne récompense pas leurs efforts pour limiter la pression fiscale .

I. LA PROGRESSION "TOUJOURS PLUS VIVE" DES CHARGES

L'amélioration de la situation financière des collectivités locales depuis 1996 est largement due à la maîtrise de leurs dépenses. Les élus locaux ont fait des efforts de maîtrise des dépenses courantes et ont préféré différer la réalisation de certains investissements afin d'accélérer le désendettement. Il en est résulté une diminution de leurs dépenses d'investissement, dont le niveau actuel est inférieur à celui de 1993.

Cette situation est appelée à évoluer. La maîtrise des dépenses courantes est compromise par les décisions du gouvernement en matière de rémunérations tandis que les dépenses d'investissements augmenteront inéluctablement en raison des besoins et des normes de plus en plus strictes. C'est pourquoi, de l'aveu même du gouvernement 20( * ) , les années à venir seront marquées par une " progression toujours plus vive " des dépenses des collectivités locales.

Une constante : les transferts de charges non compensés

L'article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que " tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'Etat et les collectivités territoriales est accompagné du transfert concomitant par l'Etat aux communes, aux départements et aux régions des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences ".

Pourtant, chaque année, des dispositions législatives confèrent des compétences aux collectivités locales sans toujours procéder au transfert symétrique de nouvelles ressources.

Par exemple, le projet de loi relatif à l'accueil des gens du voyage, actuellement en discussion au Parlement, prévoit, dans son article 6, que " des conventions passées entre le gestionnaire d'une aire d'accueil et le département déterminent les conditions dans lesquelles celui-ci participe aux dépenses de frais de fonctionnement des aires d'accueil prévues au schéma départemental sans que cette participation puisse excéder le quart des dépenses correspondantes ".

Compte tenu de la multiplication des transferts de charges non compensés, il apparaît plus que jamais nécessaire de faire vivre les dispositions, non appliquées, de l'article L. 1613-3 du CGCT selon lesquelles " la commission consultative [d'évaluation des charges] établit à l'intention du Parlement, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances de l'année, un bilan de l'évolution des charges transférées aux collectivités locales ".

A. L'ACCÉLÉRATION DES INVESTISSEMENTS

L'investissement des collectivités locales représente les trois quarts de l'investissement public en France et constitue une composante incontournable de l'effort d'équipement de notre pays.

Il convient donc de se réjouir de la confirmation du redémarrage vif de l'investissement local qui, selon le Crédit local de France 21( * ) aurait progressé de 7,2% en 1998, la tendance pour 1999 s'établissant à 5,1%.

La principale explication réside dans l'impossibilité pour les collectivités de différer plus longtemps les investissements de mise aux normes de leurs équipements. Selon une étude du Crédit local de France et du cabinet Arthur Andersen, 70% des investissements nécessaires dans ce domaine restent à réaliser, pour un coût de 90 à 100 milliards de francs.

La reprise de l'investissement s'inscrit dans une logique vertueuse puisque les collectivités locales ont massivement recours à l'autofinancement et délaissent les emprunts, marquant ainsi, selon le ministère de l'Intérieur, " une volonté manifeste de rompre avec la tendance passée de progression constante de l'endettement " 22( * ) .

Toutefois, cette dynamique pourrait être remise en cause par les décisions du gouvernement qui obligent les collectivités locales à accroître leurs dépenses de fonctionnement, qu'elles étaient pourtant parvenues à maîtriser.

B. LES CONSÉQUENCES DES ACCORDS SALARIAUX DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Le programme pluriannuel des finances publiques à l'horizon 2002 indique que, s'agissant des collectivités locales, " la progression des dépenses de personnel devrait être modérée " 23( * ) .

Ce point de vue est difficilement recevable puisque, au contraire, les modalités de l'accord salarial dans la fonction publique du 10 février 1998 pénalisent très fortement les budget locaux. Selon l'Observatoire des finances locales 24( * ) , le coût total de l'accord représentera 5,8% des frais de personnel payés par les communes, départements et régions sur l'exercice 1997.

Selon le rapport sur les rémunérations de la fonction publique annexé au projet de loi de finances pour 1999 (le " jaune " budgétaire), le surcoût de cet accord pour les collectivités locales est de 2,2 milliards de francs en 1998, 4,3 milliards de francs en 1999 et 3,5 milliards de francs en 2000. A titre de comparaison, en 1999, une année particulièrement faste compte tenu du taux de croissance élevé du PIB, la dotation globale de fonctionnement a augmenté de 3,4 milliards de francs par rapport à 1998.

(en milliards de francs)

Coût de l'accord salarial du 10/02/98 en 1999 par rapport à 1998

Augmentation de la DGF en 1999 par rapport à 1998

4,3

3,45

Pour 1998, l'INSEE 25( * ) estime que les rémunérations des agents des collectivités territoriales ont augmenté de 4,6%, sous l'effet conjugué de l'accord salarial et du recrutement des emplois-jeunes.

II. FISCALITÉ LOCALE : MAÎTRISE DES TAUX ET AMPUTATION DES BASES

A. L'ALOURDISSEMENT DE LA PRESSION FISCALE LOCALE : UNE IDÉE REÇUE

Au début de l'année 1999, une étude de la Caisse des dépôts et consignations, réalisée à partir d'un nombre limité de communes, annonçait que la pression fiscale locale, en proportion du revenu, avait augmenté de 40% entre 1992 et 1997.

Les données statistiques du ministère de l'Intérieur 26( * ) apportent un éclairage différent et témoignent du caractère vertueux de la politique fiscale des élus locaux. Il en ressort en effet une " forte limitation de la pression fiscale " et que " la progression de la fiscalité directe locale en 1997 et 1998 repose presque uniquement sur l'évolution des bases d'imposition ".

En outre, " depuis 1997, la volonté de maîtrise de la croissance des impôts locaux se traduit par une stabilisation de l'évolution des taux d'imposition : les taux moyens ne s'accroissent que de 0,8% en 1998, ce qui constitue la plus faible augmentation depuis plus de dix ans. Les premières indications dont on dispose sur l'année 1999 laissent présager une progression encore plus réduite des taux ".

B. LES INTENTIONS FLOUES DU GOUVERNEMENT

Le gouvernement n'a pas de doctrine claire en matière de fiscalité locale. Une tendance se dessine pourtant : un parti pris en faveur de la réduction de l'importance des ressources fiscales directes dans les ressources totales des collectivités locales.

Ainsi, lors de son audition au Sénat par la mission d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation, le 2 mars 1999, le ministre de l'Intérieur a estimé que " l'autonomie de la gestion locale n'avait pas nécessairement pour corollaire le recours à la fiscalité directe locale " et a constaté que " chez nos principaux partenaires en Europe, la part relative des ressources transférées par l'Etat, par rapport à celles résultant de la fiscalité propre, était plus importante qu'en France ".

Cette position est en contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle " les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour conséquence de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration " 27( * ) , mais elle fournit un éclairage intéressant sur l'esprit qui a présidé à la réforme de la taxe professionnelle, par la suppression de la part " salaires " de son assiette, dans la loi de finances pour 1999 28( * ) .

Lorsque le secrétaire d'Etat chargé du budget déclarait en 1998, devant le Comité des finances locales, que l'Etat était devenu " le premier contributeur à la fiscalité locale " et qu'il faudrait " remédier " à cette situation " insatisfaisante ", il était difficile de se douter que le gouvernement résoudrait en partie le problème un an plus tard en supprimant un sixième de l'assiette totale de la fiscalité directe locale.

En tout état de cause, si une réflexion sur les recettes des collectivités locales est nécessaire, notamment en raison du décalage croissant entre les produits votés par les exécutifs locaux et l'impôt acquitté par les contribuables, votre commission considère que le gouvernement doit clairement énoncer ses orientations afin d'éviter d'accroître les incohérences actuelles et d'empêcher que d'autres réformes ne se traduisent, comme celle de la taxe professionnelle, par une réduction des ressources des collectivités locales 29( * ) .

III. LE CONTRAT DE CROISSANCE ET DE SOLIDARITÉ : UNE GARANTIE ARTIFICIELLE

Depuis 1996 les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales sont régies, dans un cadre pluriannuel, selon le principe d'une " enveloppe normée " qui englobe l'ensemble des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales.

Un indice d'évolution du montant de l'enveloppe normée est déterminé pour trois ans. Inspiré de l'indice de progression de la dotation globale de fonctionnement (DGF), il est déterminé en fonction de l'évolution des prix à la consommation et du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB). Pour les années 1999 à 2001, la période couverte par le " contrat de croissance et de solidarité " conclu dans le cadre de la loi de finances pour 1999, l'enveloppe totale des concours de l'Etat doit progresser en fonction d'un indice comprenant les prix et 20% du taux de croissance du PIB en 1999, 25% en 2000 et 33% en 2001.

L'enveloppe normée a un inconvénient : elle implique le sacrifice d'une dotation, la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) qui joue le rôle de variable d'ajustement, les dotations composant l'enveloppe normée progressant plus vite que celle-ci 30( * ) . Mais elle a un avantage : elle permet la prévisibilité de l'évolution des ressources des collectivités locales.

Par conséquent, si les termes du contrat sont respectés, les collectivités locales peuvent se faire une idée de l'évolution de leurs recettes pendant trois ans.

A. LES MODALITÉS DE LA RÉGULARISATION DE LA DGF SONT CONTRAIRES AU PRINCIPE DE L'ENVELOPPE NORMÉE

La principale composante de l'enveloppe normée est la DGF, qui englobe à elle seule presque 70% des concours de l'Etat aux collectivités locales.

Le montant de la DGF au titre d'une année n est fixé par la loi de finances. Toutefois, depuis la loi de finances pour 1996, pour déterminer le montant en n+1 , le montant auquel est appliqué le taux de progression de la DGF n'est pas celui qui figure dans la loi de finances pour l'année n , mais un montant " recalé ", c'est à dire recalculé à partir des derniers chiffres connus de l'évolution des prix et du PIB.

Le " recalage " de la DGF de 1999 dans la loi de finances pour 2000 ne devrait pas être particulièrement préjudiciable aux collectivités locales. En effet, la DGF de 1999 a été calculée à partir d'une hypothèse d'évolution des prix en 1999 de 1,2% et de croissance du PIB en 1998 de 3,1 %. Or, si l'inflation constatée en 1999 n'est par définition pas encore connue, la croissance du PIB en 1998 a été supérieure aux prévisions et s'établit, selon l'INSEE, à 3,2%.

Si le recalage de la DGF de 1999 devrait être sans conséquence pour les ressources des collectivités locales en 2000, il n'en va pas de même de la " régularisation " dans la DGF de l'année 2000 du " trop perçu " par les collectivités au titre de l'année 1998.

En effet, depuis 1996, le comité des finances locales procède chaque année au mois de juillet à la " régularisation " de la DGF de l'antépénultième année, en la recalculant à partir des données définitives au titre de cette année-là. S'il s'avère que la DGF versée est supérieure au montant ainsi obtenu, la différence est retranchée de la DGF de l'année à venir. Ainsi, le montant de la DGF de l'an 2000 sera amputé d'une somme qui devrait s'établir aux alentours de 628 millions de francs, soit, à titre de comparaison, plus de la moitié du montant total de la dotation de solitarité urbaine (DSU) versé en 1999.

En effet, la loi de finances pour 1998 avait retenu une hypothèse d'augmentation des prix à la consommation de 1,3% et de croissance du PIB de 2,2%. Or, ces taux devraient s'élever à seulement 0,8 % pour l'inflation (hors tabac) et à 2 % pour la croissance du PIB.

La régularisation négative de la DGF 98 dans la DGF 2000

(en millions de francs)

Formule DGF 98

DGF 97 x (prix 98 + 50% PIB 97)

 

DGF dans la LFI 98

104.574 x ( 1,3 + 1,1) =

107.084

DGF 98 régularisée

104.574 x (0,8 + 1) =

106.456

Montant déduit de la DGF 2000

107.084 - 106.456 =

628

Le principe de la régularisation est satisfaisant intellectuellement même si, curieusement, il a été décidé de régulariser la DGF mais pas l'ensemble des dotations progressant en fonction du même indice qu'elle.

Mais la régularisation de la DGF devient absurde dans le cadre d'une enveloppe normée . En effet, le contrat de croissance et de solidarité, comme son prédécesseur le " pacte de stabilité ", reposent sur le principe de la garantie aux collectivités locales d'un certain taux de progression de l'ensemble des concours de l'Etat. Par conséquent, au sein de cette enveloppe fermée, si le montant d'une dotation est surestimé, c'est que le montant d'une autre dotation, la variable d'ajustement, a été sous-estimé d'autant.

Le gouvernement en était convenu et avait accepté, dans la loi de finances pour 1998, de " neutraliser ", dans des conditions toutefois contestables 31( * ) , la régularisation négative de la DGF de 1996 en majorant le montant de la dotation qui joue le rôle de variable d'ajustement de l'enveloppe normée, c'est-à-dire la DCTP.

Pour les années à venir, au cours desquelles la DGF augmentera moins qu'en 1999 puisque le programme pluriannuel des finances publiques prévoit une croissance du PIB limitée à 2,5%, il apparaît plus que jamais nécessaire que le gouvernement continue à jouer le jeu de l'enveloppe normée , et " neutralise " dans la DCTP les régularisations de la DGF.

B. LA RÉDUCTION DES RESSOURCES DES COMMUNES POUR FINANCER L'INTERCOMMUNALITÉ N'ÉTAIT PAS PRÉVUE PAR LE CONTRAT

L'absence de " neutralisation " de la régularisation négative de la DGF constituerait une entorse au contrat de croissance et de solidarité. Mais elle ne serait pas la première. Le contrat a déjà été malmené par le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

Le projet de loi prévoit en effet que la dotation globale de fonctionnement versée aux nouvelles communautés d'agglomération fait l'objet d'un financement extérieur à l'enveloppe globale de la DGF à hauteur de 500 millions de francs par an pendant cinq ans.

La nécessité d'un financement extérieur s'explique par le fait que la DGF est une enveloppe fermée. Ainsi, sans financement extérieur, les sommes nécessaires à la DGF des structures intercommunales auraient été prélevées sur les autres composantes de la DGF, la dotation de solidarité urbaine, la dotation de solidarité rurale ou la dotation forfaitaire des communes. Le financement extérieur permet donc en théorie d'éviter que le développement de l'intercommunalité ne pénalise les communes.

Malheureusement, l'étude d'impact du projet de loi prévoit que l'enveloppe de 500 millions de francs se révélera insuffisante dès 2001 et que, en 2004, le surcoût total des communautés d'agglomération s'établira à 2,5 milliards de francs 32( * ) . Il convient donc de trouver une autre source de financement. Le projet de loi prévoit que ce sera la DCTP.

Il apparaît donc que le gouvernement, outre l' incohérence qui consiste à utiliser une ressource communale (la DCTP) pour éviter de réduire une autre ressource communale (la DGF des communes), ne respecte pas la logique du contrat de croissance et de solidarité puisque, sans modifier le montant de l'enveloppe normée déterminée pour trois ans par la loi de finances pour 1999, il en élargit le nombre de bénéficiaires , au détriment des autres collectivités.

Ainsi, la démarche du gouvernement s'apparente à une " fuite en avant " : la DCTP absorbe le coût des ses projets non financés et, pour reprendre l'expression de notre collègue Michel Mercier, devient la " soupape de sécurité de la DGF ".

Votre commission des finances a proposé de limiter la possibilité de puiser dans la DCTP aux seules années du contrat de croissance et de solidarité. Ainsi, en 2001, l'ensemble des concours des concours de l'Etat aurait fait l'objet d'une renégociation globale. Le gouvernement a préféré maintenir son système jusqu'en 2004.

Or, cette année-là, le sort des 2,5 milliards de francs nécessaires au financement des communautés d'agglomération risque de passer inaperçu puisqu'il faudra au même moment intégrer dans la DGF, selon des modalités que le gouvernement n'a toujours pas précisées, la compensation aux collectivités locales de la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, soit une enveloppe de près de 60 milliards de francs.

Cet exemple est symptomatique d'une évolution de fond : l'opacité croissante du mode de répartition des concours de l'Etat, conjuguée à la transformation d'impôts locaux en dotations, alimente la mise en place préoccupante d'un rideau de fumée de plus en plus épais sur les ressources des collectivités locales.

CHAPITRE VI :

L'ILLUSION DE L'EXCÉDENT DES RÉGIMES SOCIAUX

Comme pour les prélèvements obligatoires, le gouvernement affiche de bonnes intentions pour demain en matière de finances sociales. Lorsque demain devient aujourd'hui, les bonnes intentions restent pour demain .

Lors du débat d'orientation budgétaire pour 1999, votre commission avait estimé qu'en matière de déficits sociaux, le pire était presque toujours sûr. Les faits semblent, hélas, lui avoir donné raison.

Dans le rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire, le gouvernement insiste sur la nécessité de coordonner la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale 33( * ) . On ne sait ce que recouvre cette autre bonne intention, mais les deux textes sont d'ores et déjà coordonnés.

Dans le domaine social comme dans le domaine budgétaire, en effet, le gouvernement s'appuie sur toujours plus de prélèvements pour financer toujours plus de dépenses.

I. D'UN DÉFICIT À L'AUTRE

Le gouvernement avait à l'automne 1997 annoncé son objectif de réduire le déficit du régime général de la Sécurité sociale pour 1998 à 12 milliards de francs et d'atteindre l'équilibre en 1999. Au lieu de cela, le déficit pour 1998 devrait approcher les 17 milliards de francs, et 1999 voir apparaître un déficit de plus de 5 milliards de francs, malgré une progression inégalée des recettes.

A. LA PERSISTANCE À HAUT NIVEAU DU DÉFICIT DE 1998

La réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale le 30 mai 1999 a établi que le déficit pour 1998 serait supérieur aux prévisions, principalement en raison de la hausse des dépenses d'assurance-maladie et des erreurs de prévisions de recettes.

Le solde déficitaire du régime général de Sécurité sociale devrait ainsi atteindre 17 milliards de francs pour 1998, soit 3,7 milliards de francs de plus que prévu. Ce déficit provient en quasi totalité de celui de l'assurance-maladie qui devrait atteindre 16,2 milliards de francs soit 7,7 milliards de francs de plus que les prévisions . A l'inverse, la branche vieillesse connaîtra un excédent de 5,4 milliards de francs contre un léger déficit attendu 34( * ) .

L'écart s'explique pour partie par des erreurs de prévisions des recettes. Non seulement celles-ci ont été inférieures au niveau prévu, mais leur répartition s'est révélée bien différente des attentes puisque la branche vieillesse a connu une hausse inattendue des siennes alors que la branche maladie voyait ses produits en retrait par rapport aux prévisions.

Il n'en reste pas moins que les recettes du régime général ont augmenté en 1998 de plus de 4,4 % et que, malgré cela, le déficit a persisté. Les dépenses ont en effet, dans le même temps, augmenté de 2,9% soit quatre fois plus que l'inflation et 0,3 point de plus qu'en 1997. Il est regrettable que la bonne tenue du contexte macro-économique en 1998 n'ait pas permis d'utiliser les recettes supplémentaires pour réduire davantage le déficit. Si les dépenses avaient maintenu leur rythme d'évolution de 1997, le déficit aurait été conforme aux prévisions. Les écarts ne viennent donc pas seulement d'une erreur de prévision des recettes mais aussi d'une augmentation trop forte des dépenses imputable pour l'essentiel à celles de l'assurance-maladie.

Variation de fonds de roulement du régime général

(en milliards de francs)

 

1998

1999

 

Prévision LFSS 1999

Prévision CCSS 1999

Ecart

Prévision LFSS 1999

Prévision CCSS 1999

Ecart

Maladie

- 8,5

- 16,2

- 7,7

+ 0,3

- 12,3

- 12

Accidents de travail

+ 1,7

+ 1,6

- 0,1

+ 1,9

+ 1,2

- 0,7

Vieillesse

- 5,5

- 0,2

+ 5,3

- 5,9

+ 3,6

+ 0,7

Famille

- 0,9

- 2,2

- 1,3

+ 4,0

+ 2,3

- 1,7

Total des branches

- 13,3

- 17

- 3,7

0,3

- 5,2

- 5,5

B. L'AMÉLIORATION TROMPEUSE DU DÉFICIT DE 1999

Le solde pour 1999 sera dégradé par rapport aux prévisions, en majeure partie en raison de la révision à la baisse des hypothèses macro-économiques. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, votre commission de finances avait pourtant éveillé l'attention sur la fragilité de ces hypothèses , qu'il s'agisse de la croissance économique, de l'inflation et de l'évolution de la masse salariale, chacun de ces indicateurs affichant des niveaux inférieurs à ceux initialement prévus.

Les écarts de prévision des hypothèses macro-économiques

(en %)

 

Prévision LFSS pour 1999

Prévision CCSS 1999

Taux de croissance

+ 2,7

+ 2,2/2,5

Inflation (dont tabac)

+ 1,3

+ 0,5

Masse salariale

+ 4,3

+ 3,4

S'agissant des dépenses, les prévisions s'appuient sur un taux de progression des dépenses maladie de 2,6 % par rapport aux dépenses effectives de 1998, alors que le premier trimestre de 1999 montre déjà une hausse de 3,8 %.

Le déficit prévu pour 1999 cache ainsi des situations très diverses entre les branches, puisque on constate une explosion du déficit de l'assurance-maladie (12,3 milliards de francs de prévu contre un retour à l'équilibre) et à l'inverse l'apparition d'un important excédent de l'assurance-vieillesse (3,6 milliards de francs contre un déficit attendu de 3,9 milliards de francs). Cette situation favorable de l'assurance-vieillesse tient à la poursuite de la hausse des recettes, supérieures de 6,6 milliards de francs par rapport aux prévisions, soit plus de 85 % de l'écart constaté.

Il convient néanmoins de constater que les dépenses du régime général pour 1999 devraient augmenter de 3,2 % soit un point de plus que le taux de croissance, 0,5 point de plus que la consommation des ménages et 6,5 fois plus que l'inflation ! Comme pour 1998, cette augmentation des dépenses viendra essentiellement de l'assurance-maladie.

Le régime général devrait donc à nouveau connaître un déficit malgré la bonne tenue de ses recettes. Cette persistance d'un solde négatif provient ainsi en quasi totalité de la dérive de l'assurance-maladie qui compromet à elle seule les prévisions d'excédents futurs de la Sécurité sociale.

II. À LA RECHERCHE DE L'EXCÉDENT DES RÉGIMES SOCIAUX

A. L'ASSURANCE-MALADIE À LA DÉRIVE

Le déficit de la Sécurité sociale est avant tout un déficit de l'assurance maladie qui vient lui-même avant tout d'une dérive des dépenses. L'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) est passé de + 1,7 % pour 1997 à + 2,6 % pour 1999 et approchera en réalité + 3,8 % !

La forte progression du déficit en 1998 par rapport aux prévisions a pour origine des recettes inférieures aux prévisions et un dépassement de l'ONDAM en 1998, avec ses répercussions sur celui pour 1999. En effet, " l'effet-base " jouant à plein, toute prévision de progression des dépenses est réduite à un objectif impossible à atteindre en raison de l'explosion des dépenses de référence. Pour assurer le respect de l'ONDAM déterminé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 (+ 2,6 %), il faudrait ainsi que les dépenses d'assurance-maladie n'augmentent effectivement que 1,1 % en 1999 puisque celles de 1998 ont connu une hausse imprévue de plus de 8 milliards de francs.

La dérive des dépenses atteint cependant au premier trimestre de 1999 un rythme de + 3,8 % par rapport au premier trimestre de 1998. Tous les postes de soins de ville sont concernés par cette hausse. Comme le constate l'avant-propos du rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale de mai 1999 : " il paraît probable que nous sommes face à une reprise de fond de la dépense de santé, comme il s'en est souvent produit dans le passé, une fois dissipés les effets de plans de remise sous contrôle de ces dépenses ". Lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, votre commission avait déjà lancé cet avertissement.

Or les mécanismes de régulation prévus par loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ont tous disparu. Ils constituaient une clause de sauvegarde applicable aux dépenses générées par les médecins, que le Conseil constitutionnel a annulée. Il en résulte que la régulation des soins de ville est quasiment impossible à mettre en oeuvre.

Au total, le cumul de " l'effet-base " et de la disparition de tout mécanisme de régulation a pour conséquence que l'on peut fortement douter du respect même de la prévision d'un déficit de l'assurance-maladie à 12,2 milliards de francs pour 1999. La commission des comptes a prévu que le dépassement de l'ONDAM pour 1999 se limiterait à l'effet report de 1998. Ceci constitue une hypothèse fortement douteuse au regard de l'évolution des dépenses d'assurance-maladie depuis le début de l'année. Cette dérive persistante constitue aujourd'hui le véritable point noir des finances sociales.

B. L'ILLUSION DE L'EXCÉDENT

La Sécurité sociale devait être selon le gouvernement en excédent à partir de 1999 et ces excédents abonder, notamment, le fonds de réserve pour les retraites créé par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 35( * ) .

Dans son rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques, le gouvernement maintient pour 1999 une prévision d'apparition d'une capacité de financement des régimes sociaux s'élevant à 0,15 % du PIB, hypothèse inchangée depuis le débat d'orientation budgétaire pour 1999, malgré les mauvais résultats de l'assurance-maladie. Cette hypothèse se justifie ainsi selon lui : " les recettes du régime général devraient bénéficier des plus-values de recettes réalisées en 1998. Par ailleurs, le gain lié au basculement des cotisations maladie sur la CSG se trouve amplifié en 1999 par la montée en régime de l'élargissement de la CSG " .

Cependant, ces explications ne prennent en compte ni la révision à la baisse des plus-values de recettes pour 1998, ni la forte progression des dépenses d'assurance-maladie pour 1999. L'éventualité d'excédents des autres régimes sociaux obligatoires, régimes de base n'appartenant pas à la Sécurité sociale, assurance chômage, ne saurait laisser de côté l'urgence d'une maîtrise profonde et réelle des dépenses de l'assurance-maladie.

En effet, comment justifier que, comme le prévoit pourtant le principe de séparation des branches, les excédents de la branche famille ne reviennent pas à la politique familiale, que ceux de la branche vieillesse ne servent pas à préparer l'avenir des retraites, que ceux de l'Unedic ne servent pas à une réduction des cotisations chômage, mais que tous ces excédents soient utilisés au comblement de la dérive de l'assurance-maladie ?

De quel excédent s'agira-t-il ? Bien plus que le résultat d'un effort de maîtrise des dépenses sociales, il n'apparaîtrait que grâce à la politique traditionnelle de progression des prélèvements pour faire face à la poursuite de la hausse des dépenses actuelles et futures.

Toutes les mesures de redressement de la Sécurité sociale s'appuient sur une progression des recettes ou bien un transfert de la charge sur les générations futures. En effet, seule l'évolution à la hausse des recettes a permis la diminution des déficits puisque les dépenses continuaient à augmenter. Une telle politique ne vaut qu'en période d'activité favorable mais laisse augurer le pire pour l'avenir puisqu'elle n'engage pas de maîtrise des dépenses et s'appuie uniquement sur des bénéficies conjoncturels.

Le financement des déficits cumulés de la Sécurité sociale en 1998 et 1999, qui s'élèveront à près de 23 milliards de francs si les hypothèses du gouvernement se réalisaient, ne pourra alors se faire que par une structure de défaisance. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) verra donc son encours de dette augmenter, faisant ainsi peser la charge sur les générations futures.

Par ailleurs, le Gouvernement avait indiqué dans ses projections triennales de finances publiques pour 2000-2002 qu'il faudrait limiter l'augmentation de la dépenses de l'assurance maladie à 1 % par an. Le rythme pour 1999 est cependant de plus du double et tend à s'accélérer. De plus, quand les dépenses du budget de l'Etat augmentent de 1,5 % en 1999, celles du régime général de Sécurité sociale augmenteront de 3,2 % au moins ! Quand en 2000 les dépenses budgétaires devraient évoluer comme l'inflation ; les dépenses sociales, elles, suivront un rythme six fois supérieur !

Il paraît donc douteux que les années à venir voient apparaître, comme le prévoit pourtant le gouvernement, un excédent des régimes sociaux fondé sur une réelle maîtrise des dépenses qui seule, permet de préserver l'avenir.

Le coût de la seconde loi sur les 35 heures soit 40 milliards de francs serait supporté pour les 4/5 par la Sécurite sociale et l'UNEDIC

La loi du 13 juin 1998 a prévu deux types d'aides financières pour les entreprises réduisant la durée du travail à 35 heures.

Elle a tout d'abord mis en place un abattement de cotisations sociales pour les entreprises qui négocieront avant l'échéance légale, soit avant le 1 er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et le 1 er janvier 2002 pour les autres. Le coût brut de cette première aide est estimé à 7 milliards de francs pour 1999 et a déjà été mis pour moitié à la charge des régimes de sécurité sociale au titre " du recyclage des économies " qu'ils feront 36( * ) .

Après un bilan d'application de cette " première loi " il est prévu pour l'automne 1999 une " seconde loi " qui viendra notamment fixer les modalités de versement de l'aide structurelle à compter du 1 er janvier 2000 ou du 1 er janvier 2002. Celle-ci correspondra à une réduction annuelle de cotisations sociales patronales de 4.000 à 5.000 francs, soit un coût estimé à près de 40 milliards de francs en année pleine .

Dans le rapport déposé pour le Débat d'orientation budgétaire, le gouvernement estime, sans pour autant fournir d'éléments d'appréciation ou de chiffrage, que l'importance des retours pour les finances publiques permettra de financer intégralement le coût des 35 heures ! La clé implicite de répartition est la suivante : 50% des retours bénéficieraient à l'UNEDIC et 30% aux régimes sociaux. Le reliquat soit 20% bénéficierait à l'Etat sous la forme d'une augmentation induite des recettes fiscales.

Cela signifie que l'Etat n'entend participer au financement de cette " seconde loi " qu'à hauteur de 20% et qu'il escompte par ailleurs s'autofinancer grâce à un surcroît de recettes fiscales du même montant.

Nonobstant les dispositions de la loi Veil du 25 juillet 1994 qui dispose que tout allégement de charges sociales décidé par l'Etat doit être intégralement compensé par celui-ci, il veut également mettre à contribution les partenaires sociaux, et notamment l'UNEDIC, sans que ceux-ci aient pu se prononcer sur le fond du dispositif.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 juin 1999, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé à l' examen du rapport de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur le débat d'orientation budgétaire pour 2000.

Tout en se réjouissant de constater que le Gouvernement accepte, cette année encore, de se soumettre à la règle du débat d'orientation budgétaire, M. Philippe Marini, rapporteur général, a regretté que les objectifs annoncés soient flous et généraux, se réduisant à trois éléments : une baisse du déficit budgétaire de 20 milliards de francs, une progression des dépenses nulle en volume, une stabilisation des prélèvements obligatoires. Il a observé que le Gouvernement n'avait arrêté aucune priorité, ni en matière de dépenses, ni en matière fiscale.

Le rapporteur général a estimé que ces intentions vertueuses étaient en ligne avec le programme de stabilité de la France élaboré en décembre 1998, et qu'il était possible d'en partager les orientations, notamment la réduction des déficits publics à 1 % du produit intérieur brut (PIB), et la diminution de la dette publique en pourcentage du PIB (mais non en valeur absolue), sans pour autant savoir si des décisions concrètes permettraient de faire respecter ces objectifs.

Souhaitant ne pas livrer de procès d'intention, M. Philippe Marini, rapporteur général, a déclaré juger les faits, c'est-à-dire les résultats obtenus par le Gouvernement, par rapport aux intentions qu'il avait déjà affichées. Rappelant le débat d'orientation budgétaire pour 1999 et le programme de stabilité, qui comprenaient tous deux un objectif de réduction des prélèvements obligatoires et d'allégement des dépenses publiques, il a fait observer que ces annonces n'avaient eu, pour l'instant, aucun début d'application. Tout en prenant acte de la bonne conjoncture économique, qui a permis de réduire les déficits publics, et de la qualification pour l'euro, M. Philippe Marini, rapporteur général, a observé qu'aucun résultat n'avait été obtenu concernant les prélèvements et les dépenses, l'action réelle du Gouvernement ayant seulement consisté à tenter de relancer l'emploi par la dépense publique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a alors évoqué le cadrage macro-économique du débat d'orientation budgétaire. Rappelant que la commission des finances n'avait pas souhaité remettre en cause l'hypothèse de croissance économique associée au projet de loi de finances pour 1999 (2,7 %), il a néanmoins pu constater que le Gouvernement ne s'était pas privé, dès le mois de décembre 1998, d'infirmer sa propre prévision, le programme de stabilité ne retenant plus qu'une croissance de 2,4 % du PIB. Toutefois, il a observé que le Gouvernement ne remettait pas en cause son objectif de déficit public pour 1999 (2,3 % du PIB) même s'il était question, au début du mois de juin, d'une révision à la baisse, compte tenu du dynamisme des recettes fiscales (+ 9,3 % fin avril 1999).

Le rapporteur général a ensuite rappelé que, contrairement aux prévisions de croissance, la commission avait mis en doute l'inflation prévue pour 1999 (1,3 %), et que le Gouvernement avait effectivement procédé à une révision significative, à 0,5 %, révision susceptible d'affecter les recettes budgétaires.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a également rappelé que certains membres de la commission des finances avaient estimé que le Gouvernement opérerait alors des gels de crédits, ce que celui-ci avait alors démenti. Or, il a fait observer que des contrats de gestion avaient été conclus entre le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et les ministères dépensiers, ces contrats prévoyant, aux dires du ministère lui-même, " la constitution d'une réserve de crédits ", pour un montant total de quatorze milliards de francs.

Le rapporteur général a enfin indiqué que pour l'an 2000, le Gouvernement n'affichait plus des hypothèses de croissance nominale aussi ambitieuses que pour 1999 (de 3,4 % à 3,9 % en 2000, contre 4 % pour 1999), ce qui pourrait avoir des incidences à la baisse sur les recettes et, a contrario, un effet d'augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB, sans que l'objectif quant à la réduction des déficits soit, pour le moment, modifié.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé la question des prélèvements obligatoires.

Il a rappelé que depuis 1998, le Gouvernement promettait de diminuer ces prélèvements, faisant d'ailleurs le reproche au précédent gouvernement de les avoir augmentés et d'avoir ainsi " cassé la croissance ", alors même que la conjoncture économique et le programme de qualification pour l'euro étaient particulièrement contraignants.

Cependant, il a estimé que le Gouvernement ne semblait pas souhaiter réellement baisser les prélèvements obligatoires, pour deux raisons.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a d'abord rappelé l'absence totale de résultats depuis juin 1997. Il a d'ailleurs noté que si les impôts locaux n'avaient pas diminué depuis 1997 (de 7,2 % à 6,9 % du PIB), les prélèvements auraient continué à augmenter. Il a fait observer que la première mesure prise par le Gouvernement fut de faire adopter la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier à l'automne 1997, qui alourdit les prélèvements obligatoires de 0,28 point de PIB. Sans cette mesure, les prélèvements auraient atteint 45,8 % du PIB (au lieu de 46,1%). Il en a donc conclu que le Gouvernement n'avait pas stabilisé les prélèvements obligatoires depuis 1997, mais qu'il les avait augmentés et maintenus à un niveau jamais atteint.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite évoqué l'attitude récente du Gouvernement, consistant désormais à s'accommoder d'une " stabilisation " des prélèvements obligatoires. Reprenant les chiffres figurant dans le document présentant les comptes prévisionnels de la Nation pour 1999 et les principales hypothèses économiques pour 2000, publié au mois d'avril, le rapporteur général a fait observer que l'objectif de réduction des prélèvements obligatoires était repoussé à l'an 2000, rendant déjà caduques les objectifs du programme de stabilité pour 2002.

Enfin, le rapporteur général a mentionné deux signes spectaculaires du renoncement du Gouvernement à baisser les prélèvements obligatoires : la création d'une " écotaxe " pour financer les réductions de charges sur les bas salaires, et la création d'une contribution additionnelle sur les bénéfices des entreprises de plus de 50 millions de chiffre d'affaires, alors même que le produit de l'impôt sur les sociétés est en hausse de 38 % en avril 1999, par rapport à l'an passé. Il a rappelé la préférence du Sénat pour une réduction réelle des charges pesant sur le travail, et que la commission ne pouvait souscrire au remplacement d'un impôt par un autre.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé la question de la maîtrise des dépenses publiques.

Il a fait observer que depuis 1998, le Gouvernement ne parvenait à afficher des progressions raisonnables de la dépense publique que grâce à la baisse des taux d'intérêt, réduisant d'autant l'augmentation de la charge de la dette publique, le Gouvernement n'engrangeant ainsi que des économies de constatation, alors même que les postes de dépenses les plus importants, la fonction publique et les retraites, ne cessaient de croître.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué, sur la foi des lettres de cadrage du premier ministre, que le Gouvernement s'était fixé pour l'an 2000 l'objectif de ne pas augmenter les dépenses en francs constants, afin de respecter l'objectif ambitieux de croissance des dépenses de l'Etat limitée à 1 % en volume sur trois ans, issu du programme de stabilité. Cet objectif correspondrait à une augmentation des dépenses budgétaires de 14,6 milliards de francs en l'an 2000 (environ 17,2 milliards de francs pour les dépenses primaires, minorés par 2,6 milliards de francs d'allégement des charges de la dette).

Or, le rapporteur général, retraçant les différentes " priorités " du Gouvernement (emplois-jeunes, lutte contre les exclusions, réduction du temps de travail à 35 heures, couverture maladie universelle, accord salarial dans la fonction publique et mesures catégorielles, pensions de la fonction publique), en a estimé le surcoût à 38 milliards de francs dès l'an 2000, sans compter la deuxième loi sur l'application des trente-cinq heures, dont le coût en année pleine serait de 8 milliards de francs. Il en a conclu que près de 25 milliards de francs de dépenses ne seraient ainsi pas financés.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite abordé la question de l'équilibre des finances publiques, en stigmatisant l'impasse de " l'exception française ".

Tout en reconnaissant l'amélioration générale des déficits publics depuis 1994 (le déficit public passant de 5,75 % à 2,9 % en 1998, puis à 0,8 % ou 1,2 % du PIB en 2002), le rapporteur général a remarqué que cette amélioration s'était accompagnée d'un étatisme accru, avec le maintien d'un niveau élevé de dépenses et de prélèvements, et que cet étatisme était confirmé par le choix du Gouvernement de créer un fonds de réserve pour les retraites plutôt que de réduire la dette publique.

Or, il a fait remarquer que l'étatisme ne mettait pas la France à l'abri des difficultés, le pays continuant de souffrir d'un excès permanent de dépenses par rapport à ses recettes (le déficit structurel s'élève à 140 milliards de francs) et d'un déficit de fonctionnement de l'Etat (68 milliards de francs en 1999). La précaire stabilisation de la dette proposée par le Gouvernement ne permet pas de faire face aux chocs de l'avenir, alors même que dès 2005, la France sera au coeur du problème du financement des retraites. Il a rappelé à cette occasion que l'OCDE évaluait l'impasse financière des retraites d'ici à 2070 à environ 100 % du produit intérieur brut de 1994. Il a ajouté que le fonds de réserve pour les retraites, créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 et rattaché au fonds de solidarité vieillesse devrait recueillir des actifs représentant de 0,7 % à 1,5 % du PIB à l'horizon 2002 d'après la direction de la prévision, ce qui était très loin des sommes nécessaires.

En conclusion, le rapporteur général a indiqué que ses propos, reprenant les positions constantes de la commission des finances du Sénat, et consistant à mettre l'accent sur la diminution de la dépense publique et la réduction des déficits, afin de réduire les prélèvements et préparer les chocs démographiques, étaient partagés tant par les grandes institutions internationales que par la Cour des comptes, et même, par d'actuels soutiens du Gouvernement , tel le président de l'Assemblée nationale, Laurent Fabius, ayant écrit récemment : " Aujourd'hui, les prélèvements obligatoires atteignent un niveau record : 46 % du PIB, soit quatre points au-dessus de la moyenne européenne. Comment moins prélever ? - en enrayant la progression de la dépense budgétaire ".

La commission a ensuite entendu une communication complémentaire, sur la situation des dépenses sociales dans le cadre du débat d'orientation budgétaire, présentée par M. Jacques Oudin.

M. Jacques Oudin
a fait observer qu'en matière de finances sociales, force était de constater un accroissement des dépenses parallèlement à un accroissement des prélèvements et des déficits, pour un montant total de plus de 2.000 milliards de francs en recettes et dépenses.

Il a rappelé que les dépenses sociales, notamment les dépenses du régime général, continueraient à augmenter en 1999 à un rythme plus rapide (+ 3,2 %) que l'inflation (+ 0,5 %), les dépenses de l'Etat (+ 1,5 %), la croissance économique (+ 2,2/2,5 %) ou la consommation des ménages (+ 2,7 %).

Prenant l'exemple de l'assurance-maladie, il a fait observer que les prévisions de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (ONDAM), qui affichaient déjà une progression de la dépense, n'étaient pas respectées depuis 1998 : une progression de 2,4 % était prévue pour 1998, + 3,7 % seront réalisés, les chiffres pour 1999 étant respectivement de 2,6 % et 3,8 %. M. Jacques Oudin a cité l'avant-propos du rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de mai 1999 selon lequel il serait probable que la France soit en face d'une " reprise de fond " de la dépense de santé. Il a déploré que les mécanismes de régulation prévus par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 aient, dans le même temps, disparu, rendant impossible la régulation des soins de ville.

M. Jacques Oudin a alors dénoncé la dérive des prélèvements sociaux depuis 1997, les recettes ayant progressé de plus de 4 % par an depuis cette date, augmentant d'autant le poids de la pression sociale. Il a pris l'exemple du dernier prélévement décidé par le Gouvernement, la taxe de 1,75 % sur le chiffre d'affaires santé des mutuelles et sociétés d'assurances destinée à financer la couverture maladie universelle.

Malgré les fortes recettes, M. Jacques Oudin a constaté la persistance des déficits. Il a indiqué que le solde du régime général de sécurité sociale devrait atteindre 17 milliards de francs pour 1998, provenant pour 16,2 milliards de francs du déficit de l'assurance-maladie, alors que la branche vieillesse connaîtra un excédent de 5,4 milliards de francs. Il a donc fait observer que le déficit pour 1999 cachait des situations très diverses entre les branches. Il a rappelé qu'en 1996, le stock de déficit de la sécurité sociale avait été transféré à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), soit 137 milliards de francs puis 87 milliards de francs, qui devront être remboursés en 2014. Il a estimé que tout déficit actuel posait le problème de son transfert à la CADES entraînant soit le relèvement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) soit l'allongement de la durée de vie de la CADES, et donc l'effort sur les générations futures.

En conclusion, M. Jacques Oudin a estimé que, contrairement aux annonces du Gouvernement, il était douteux que les années à venir voient apparaître un excédent des régimes sociaux, sans réelle maîtrise de la dépense.

Un large de débat s'est alors ouvert.

En réponse à M. Alain Lambert, président, le rapporteur général a estimé qu'il serait effectivement judicieux d'évaluer les conséquences, pour nos finances publiques, d'un retournement de la conjoncture économique, comme cela eut lieu en 1992, après la période de croissance 1988-1991. Il a également approuvé la réflexion selon laquelle le raisonnement en niveau de dépenses, de recettes ou de dette par rapport au PIB était insuffisant, même si cette présentation permettait d'établir des comparaisons internationales. Il a observé que cette présentation donnait une certaine illusion de confort en période de croissance, alors même qu'un raisonnement en valeur absolue pourrait être préférable, comme le font d'ailleurs les Etats-Unis, qui ont un programme de réduction de leur dette de plus de 1 000 milliards de dollars sur dix ans, alors que la dette publique française, même stabilisée en proportion du PIB, continuerait d'augmenter fortement en valeur.

MM . Marc Massion et Bernard Angels ayant remarqué que le précédent Gouvernement avait beaucoup plus fortement augmenté les prélèvements obligatoires que l'actuel, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que la conjoncture était difficile et que la qualification pour l'euro l'exigeait. Il a estimé que le Gouvernement actuel était dans une situation qui lui permettrait de réduire les prélèvements, à condition toutefois de s'attaquer aux dépenses.

M. Bernard Angels a alors fait observer que la croissance économique était plus forte en France que chez ses partenaires, et que le Gouvernement pouvait se prévaloir de cette différence.

En réponse à M. Maurice Blin, le rapporteur général a confirmé que l'évolution des rentrées fiscales en 1999 permettait de s'interroger sur la nécessité de créer de nouveaux impôts sur les entreprises. Il a réaffirmé que l'effort de réduction de la charge de la dette était insuffisant, d'autant qu'il était obtenu grâce à la diminution des taux d'intérêt, la dette continuant de toute manière à progresser en valeur absolue (4.698 milliards de francs en 1998, 4.919 milliards de francs en 1999). S'agissant des investissements militaires, il a fait état d'une sous-consommation des crédits, alors même que ces crédits correspondent aux objectifs de la loi de programmation militaire. Enfin, concernant le financement des retraites, il a rappelé qu'à droit constant, l'impasse financière pour le prochain siècle se chiffrait en milliers de milliards de francs.

Enfin, en réponse à M. Jacques Oudin, le rapporteur général a confirmé que le rapport relaierait ses préoccupations en matière de finances sociales. Il a également dit qu'un développement serait consacré au poids croissant des charges de fonctionnement par rapport à l'investissement public.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte au rapporteur général de sa communication et décidé d'en publier les conclusions sous la forme d'un rapport d'information .



1 Le Sénat a ainsi adopté en juin 1998 une proposition de loi de M. Christian Poncelet, visant à étendre le champ de la ristourne dégressive fusionnée.

2 Ce constat était partagé par MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse qui dans leur audit des finances publiques de l'été 1997 indiquaient que " la maîtrise de la dépense publique est la condition sine qua non de l'assainissement durable des finances de l'Etat ".

3 Exprimée en francs constants l'augmentation globale est encore plus significative avec 0,8 point de progression contre 0,3 point en 1997.

4 Lors de la discussion du collectif budgétaire pour 1998, votre commission avait tenu à souligner que le gouvernement procédait à l'annulation de 7,5 milliards de francs de crédits destinés au sein du titre IV du budget de l'emploi à l'insertion des publics en difficulté. En effet, lors de la discussion de la loi de finances initiale pour 1998, la ministre de l'emploi s'était fortement émue et élevée contre la volonté du Sénat de réaliser un montant total d'économies de 6,2 milliards sur ce même titre ! Elle doutait même à l'époque de la possibilité de les réaliser effectivement, ce que les faits ont démenti...

5 Votre commission avait cependant souligné que les véritables priorités du gouvernement consistant en l'augmentation des dépenses d'intervention en matière d'emploi ou en la progression des rémunérations publiques conduisaient à majorer à elles seules les dépenses publiques de 36,8 milliards de francs.

6 Le 16 février 1999 , la Commission européenne estimait à propos de la France que: " Un contrôle rigoureux des dépenses publiques incluant éventuellement des actions correctives en cours d'année sera essentiel pour garantir que les objectifs budgétaires du programme seront bien respectés. Le succès de cette stratégie fondée sur un plafonnement des dépenses repose sur l'existence d'un mécanisme correcteur efficace capable de contenir immédiatement tout dérapage des dépenses qui serait détecté. Les autorités françaises reconnaissent la nécessité d'un tel mécanisme même s'il n'a pas encore été défini. Il devra pouvoir fonctionner dans le cadre du bouclage annuel du budget mais aussi si nécessaire en cours d'année ".

7 Le coût unitaire d'un emploi-jeune est de 93.800 francs par an. A cette somme il convient d'ajouter les sommes correspondant à la prise en charge par l'Etat des emplois-jeunes recrutés directement au sein du ministère de l'Education nationale (1 milliard de francs en 1999), du ministère de l'Intérieur au titre des adjoints de sécurité (500 millions de francs en 1999) ainsi que des mesures spécifiques à l'outre-mer (445 millions de francs en 1999).

8 Le ministre de l'éducation nationale évoquait ainsi le 7 avril 1999 un montant de 2,7 milliards de francs réparti sur quatre ans afin d'aider 30% des 1,7 million d'étudiants et de mettre en place des structures adaptées pour leur vie quotidienne.

9 Dans son rapport sur l'exécution du budget pour 1998, la Cour des comptes notait à propos des dépenses militaires que les objectifs de la loi de programmation 1997-2002 seront difficilement atteints compte tenu de l'importance du retard pris, notamment pour les dépenses en capital, dès le départ dans son exécution.

10 Une telle pratique, régulièrement déplorée par la Cour des comptes, a ainsi conduit le gouvernement à annuler le 21 août 1998 3,8 milliards de francs de crédits d'équipement militaire afin de financer une augmentation du même montant des crédits militaires de fonctionnement qui avaient été sous-estimés en loi de finances initiale.

11 On ne peut donc que regretter que la marge de manoeuvre budgétaire dégagée par la moindre progressions pour 2000 des dépenses au titre de la dette serve à financer la progression en volume des autres postes de dépenses.

12 A contrario les crédits consacrés aux ministères régaliens : la défense, les relations extérieures, la justice et la sécurité interne ne représentent que 8 % des dépenses totales de l'Etat.

13 Ces questions font l'objet de développements plus amples dans le chapitre VI du présent rapport : " L'illusion de l'excédent des régimes sociaux ".

14 Solde des recettes et dépenses hors charges de la dette.

15 L'évolution du déficit de fonctionnement, calculé depuis 1997, figure à la page 55 du rapport du gouvernement.

16 Le coût de cet ensemble représente respectivement 2 % du PIB, 2 % à 4 % du PIB (direction de la prévision) et une dizaine de milliards de francs par an.

17 Comme cela a été souligné lors des auditions publiques sur le financement des retraites menées le 1 er juin 1999 par votre commission, l'unité des comptes est au minimum la centaine de milliards de francs, si ce n'est le millier de milliards de francs !

18 " Par le passé, les sociaux démocrates ont trop souvent été associés à l'idée que la meilleure façon de promouvoir l'emploi et la croissance était d'accroître l'emprunt public pour financer davantage de dépenses publiques. Nous ne condamnons pas les déficits publics - en période de retournement conjoncturel, il est sensé de laisser les stabilisateurs automatiques fonctionner. Et emprunter pour financer davantage d'investissement public, dans le respect de la Règle d'Or [qui interdit de financer le fonctionnement par l'emprunt - note CF] - peut jouer un rôle-clé pour renforcer l'offre.

Cependant, les déficits ne peuvent réussir à résoudre les faiblesses structurelles de l'économie, qui sont un obstacle à l'accélération de la croissance et de l'emploi " (traduction commission des finances du Sénat).

19 Sociétal n° 24 - Mars 1999.

20 Programme pluriannuel de finances publiques à l'horizon 2002, page 8.

21 Note de conjoncture, février 1999.

22 Bulletin d'informations statistiques de la DGCL (BIS), n° 30, mai 1999.

23 Annexe III, page 4.

24 Les finances des collectivités locales en 1998, rapport présenté le 8 juillet 1998 par M. Joël Bourdin, sénateur, au nom de l'Observatoire des finances locales.

25 INSEE Première, n° 646, mai 1999.

26 BIS, n° 30, avril 1999.

27 Décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991.

28 L'évolution constatée en France semble s'inscrire à contre-courant des tendances observées dans les autres pays européens puisque, selon les résultats d'une enquête communiqués à la mission d'information du Sénat consacrée au bilan de la décentralisation par le cabinet Arthur Andersen, entendu le 15 juin 1999, " les exemples étrangers mettent en évidence qu'une réelle autonomie financière des collectivités est la pierre angulaire de toute décentralisation réussie ", comme en témoigne l'exemple italien caractérisé par un accroissement continu des ressources propres des collectivités locales.

29 Pour 1999, le taux de croissance prévisionnel de la DGF, sur lequel est indexée la compensation de la suppression de la part "salaires" de la taxe professionnelle, est de 2,78% et celui de la masse salariale est de 4,3%. La perte de recette est donc inéluctable.

30 Les dotations qui composent l'enveloppe normée sont indexées soit sur le taux de progression des investissements de l'Etat, soit sur les recettes fiscales nettes, soit sur l'indice de la DGF. Ce dernier prend en compte l'évolution des prix et 50% de la croissance du PIB tandis que, en 2000, l'indice de progression de l'enveloppe normée ne retiendra que 25% du taux de croissance du PIB.

31 Comme l'avait analysé notre collègue Michel Mercier dans son rapport spécial sur les crédits de la décentralisation dans la loi de finances pour 1998 (annexe n°30 au rapport général).

32 Cette estimation figure dans le rapport de notre collègue député Didier Chouat, n° 1355, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 27 janvier 1999, page 36.

33 Rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire ; juin 1999

page 28.

34 En raison de " l'oeil du cyclone " décrit au chapitre IV : " L'exception française est une impasse "

35 On se reportera pas ailleurs, sur cette question, au chapitre IV et notamment à ses développements sur " Dette publique et fonds de réserve : le choix de l'étatisme et de l'incertitude ".

36 Le coût net pour l'Etat n'est donc de 3,5 milliards de francs auxquels s'ajoutent 200 millions de francs d'aides au conseil en 1999.



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