II - L'EXPÉRIMENTATION ANIMALE DU CLONAGE REPRODUCTIF PAR TRANSFERT DE NOYAU

1. Les développements de la recherche

Plusieurs étapes significatives ont été franchies au cours de ces trois dernières années dans un climat de compétition fortement exacerbé par les enjeux économiques. Aussi convient-il d'accueillir avec prudence les annonces triomphalistes des laboratoires et de ne retenir que les informations auxquelles leur publication dans des revues de haut niveau scientifique confère une incontestable crédibilité. Ces précautions prises, deux types d'avancées semblent pouvoir être mis en évidence.

1.1. L'application du clonage reproductif à plusieurs espèces de mammifères

Les premiers résultats avaient été obtenus sur des ovins. Au cours de l'année 1998, ont été rapportés des clonages de souris, de veaux et de chèvres à partir de cellules foetales ou de cellules adultes. S'agissant des bovins et des caprins, animaux à forte production laitière, l'intérêt du clonage est associé, comme on le verra plus loin, à celui de la transgenèse permettant la production de protéines pharmaceutiques et médicales.

Les recherches sur le porc et le lapin ont été jusqu'ici infructueuses. Quant aux primates, deux clones de singes rhésus produits à partir de cellules embryonnaires sont nés en mars 1997 au Centre de primatologie de Beaverton (Oregon). En revanche, si ce même centre a pu obtenir des embryons clonés à partir de cellules somatiques, aucune grossesse n'a jusqu'ici été menée à terme après transfert in utero.

1.2. Le clonage à partir de cellules somatiques adultes

Plus la cellule donneuse de noyau est différenciée, plus sa « reprogrammation » est difficile et plus, par voie de conséquence, les chances de succès sont aléatoires. Rappelons que 277 tentatives infructueuses de transfert ont précédé la naissance de Dolly, premier clone d'un mammifère adulte.

Un premier progrès important a été réalisé en juillet 1998 6 par l'équipe du docteur YANAGIMACHI (Université de Hawaï) qui a produit 22 souris à partir de cellules du cumulus ovarien prélevées sur des animaux adultes. Cinquante souris supplémentaires et trois générations de « clones de clones » ont été obtenues après ce premier résultat.

Quelques mois plus tard 7 , une équipe japonaise (Université Kinki, Nakajami, Nara) créait 8 veaux à partir de cellules du tissu ovarien et de l'oviducte prélevées sur un animal adulte.

Plus récemment encore, ont été rapportés des résultats obtenus à partir de cellules prélevées sur des animaux mâles alors qu'il n'avait été fait usage jusqu'ici que de cellules rattachées au système reproductif de la femelle (glande mammaire, tissu ovarien, oviducte). L'équipe de Hawaï a ainsi créé un clone mâle de souris 8 . De son côté, une équipe américano-japonaise (Institut de Kagoshima et Université du Connecticut) a produit un veau à partir de fibroblastes provenant de l'oreille d'un taureau de 17 ans 9 . Cette dernière expérience présente un intérêt supplémentaire dans la mesure où les cellules utilisées ont été maintenues en culture durant une période prolongée, allant jusqu'à trois mois. Ainsi dispose-t-on d'assez de temps pour pratiquer sur le patrimoine génétique des interventions sophistiquées et obtenir des populations de cellules purifiées porteuses de toutes les modifications souhaitées (délétions homozygotes, mutations conditionnelles, transgène, etc.).

2. L'efficacité des résultats

2.1. Le rendement encore très faible de la méthode en termes de naissances

Mieux qu'un long commentaire, le tableau ci-après, établi d'après les expériences menées à l'INRA par l'unité de recherche du professeur Jean-Paul RENARD, illustre la faiblesse de ce rendement.

Noyaux provenant de

Nb d'oeufs reconstitués

Nb de blastocystes obtenus et transférés

Nb de vaches porteuses gestantes aux jours suivants
de la gestation

Naissances

21

35

90

A.T. 1

Muscle de foetus

658

27

9

5

4

2

2

Peau de foetus

370

31

17

7

6

2

4

Peau d'oreille de veau

890

85

42

28

12

6

6 2

1 avortement tardif

2 dont 1 mort-né, 2 morts à la naissance et 1 mort deux mois après la naissance

(d'après Y. HEYMAN, J.P. RENARD Anim. Reprod. Sc., 1996, 42, 427-436
et Y. HEYMAN et al., AETE, septembre 1999)

Comme l'a indiqué le professeur Charles THIBAULT 10 , le taux d'échec constaté avec des cellules provenant de tissus de foetus âgés ou d'adultes résulte d'une mortalité embryonnaire tardive qui ne se produit jamais dans des conditions normales de procréation. Cette donnée est actuellement constante et les quelques expériences qui ont pu l'infirmer sont encore trop exceptionnelles pour être significatives.

Globalement, souligne le professeur THIBAULT, on peut estimer que le rendement est de :

- 7 à 10 % avec des noyaux de blastocystes

- 2 % avec des cellules d'origine foetale

- = 1 % avec des cellules somatiques adultes.

Comment expliquer cette efficacité réduite ? Citons ici Ian WILMUT, créateur de la brebis Dolly :

« Au cours d'expériences de transfert nucléaire réalisées sur des grenouilles il y a presque 30 ans, à Cambridge, John GURDON a observé que le nombre des embryons qui survivent et qui deviennent des têtards diminue à mesure que les cellules donneuses sont prélevées à des stades de différenciation plus avancés. Nous avons obtenu les mêmes résultats avec des mammifères. D'après toutes les études de clonage décrites, une proportion notable d'embryons et de foetus meure : un à deux pour cent seulement d'embryons franchissent le cap de la naissance. De surcroît, la mortalité postnatale est importante.

« On ignore la cause de cette surmortalité, mais elle indique que l'on ne maîtrise pas parfaitement la reprogrammation génétique qui s'effectue avant la naissance des jeunes animaux viables. Il suffit qu'un seul gène s'exprime de façon inappropriée pour que l'embryon cesse de se développer, faute d'une protéine vitale. Or, une telle reprogrammation met probablement en jeu des milliers de gènes selon un scénario partiellement aléatoire. Diverses améliorations techniques pourraient réduire la mortalité. » 11

Le propos très prudent du savant écossais conduit à tempérer le caractère triomphaliste de certaines annonces dont la grande presse a pu se faire l'écho. Aucun progrès décisif ne sera sans doute acquis de façon irréversible tant que subsistera l'ignorance des chercheurs sur les mécanismes par lesquels le cytoplasme d'un ovocyte peut mettre en oeuvre la lecture complète et ordonnée du génome de l'oeuf fécondé ou de l'oeuf reconstitué.

2.2. Fragilité et anomalies affectant les animaux clonés à partir de cellules somatiques adultes

On ne dispose encore que d'informations limitées sur les pathologies du développement qui peuvent affecter les mammifères obtenus par clonage, les chercheurs faisant plus volontiers état de leurs succès que de leurs échecs. L'inaltérable bonne santé affichée depuis plus de trois ans par la brebis Dolly ne doit cependant pas dissimuler les problèmes susceptibles de se poser en ce domaine, au moins pour les gros animaux. C'est à une équipe française, financée sur fonds publics, que revient le mérite d'avoir fourni récemment sur ce point un certain nombre d'éclairages qui peuvent susciter quelques interrogations.

Dans une étude publiée par le Lancet du 1 er mai 1999, le laboratoire de biologie cellulaire et moléculaire, département de physiologie animale, de l'INRA a rapporté le cas d'un veau, né d'un clonage à partir d'une cellule adulte, qui, après six semaines de développement normal, a perdu ses globules rouges et ses lymphocytes et est mort au bout de dix jours d'anémie sévère. Les cellules utilisées comme sources de noyaux avaient été prélevées sur un animal lui-même issu d'un clonage embryonnaire ; le même protocole avait été utilisé pour obtenir cet animal sans que de tels problèmes apparaissent, ni d'ailleurs pour plus d'une centaine d'autres veaux obtenus dans ce laboratoire par la même technique de clonage embryonnaire. Les facteurs techniques liés à l'opération peuvent dont être écartés. En outre, l'animal donneur fait partie d'un clone de trois animaux dont la santé ne s'est pas altérée, ce qui permet de repousser l'hypothèse d'un problème lié à la constitution génétique de l'animal donneur.

L'autopsie n'a décelé aucune anomalie circulatoire mais un déficit global du système de production des cellules sanguines et, en particulier, des lymphocytes. Le thymus, organe clef du développement immunitaire, était de taille très réduite. Des constatations similaires avaient pu être faites sur Marguerite, premier veau cloné par l'INRA à partir d'une cellule d'un foetus de 60 jours, morte elle aussi d'une anémie sévère au bout de six semaines, en 1998.

Diverses autres anomalies ont pu être observées chez des animaux produits à l'INRA : taille trop élevée, anomalies cardiaques et respiratoires, oedème généralisé et épanchements liquidiens dans les cavités. Les chercheurs de Jouy-en-Josas mettent en cause des facteurs inhérents au clonage somatique, tels que le prélèvement aléatoire d'un noyau donneur porteur d'une mutation, ou un défaut de régulation au cours de la reprogrammation du noyau.

Jean-Paul RENARD souligne que la recherche des causes de ces pathologies nécessite le recueil de données épidémiologiques dont la collecte est difficile car de nombreux chercheurs travaillent pour des sociétés de biotechnologie privées qui ne commentent pas volontiers les décès de leurs clones.

Quel est l'âge réel des animaux clonés par transfert nucléaire ? Cette interrogation est née des constatations effectuées par les chercheurs de la firme PPL Therapeutics et leurs collaborateurs du Roslin Institute et publiées dans la revue Nature du 27 mai 1999. Elles portent sur la longueur des télomères, séquences de nucléotides situées à chaque extrémité des chromosomes. On sait que chaque division cellulaire - en dehors du tissu embryonnaire où agit la télomérase - est accompagnée d'un raccourcissement des télomères qui décroissent avec l'âge, jusqu'à atteindre une taille critique au delà de laquelle surviennent des anomalies de la division. Comparés à ceux d'animaux témoins du même âge, les télomères de Dolly et de deux autres brebis clonées se sont révélés plus courts (20 % environ dans le cas de Dolly).

L'explication la plus probable, selon les chercheurs, est que la longueur des télomères chez les animaux clonés reflète celle des noyaux transférés. En d'autres termes, le transfert du noyau d'une cellule adulte dans une cellule plus jeune ne remet pas « l'horloge biologique » des chromosomes à zéro. Pour autant, on ignore si l'âge physiologique des animaux nés par clonage est précisément reflété par la longueur de leurs télomères. Selon Axel KAHN, on ne peut affirmer que la télomérase constitue l'horloge biologique principale de la sénescence. La question mérite qu'on lui apporte une réponse précise dans l'éventuelle perspective, que l'on examinera plus loin, du recours au clonage dans le cadre de la thérapie cellulaire.

Au vu des informations que nous venons de rapporter, le constat que l'on peut établir est très nuancé : en dépit de progrès spectaculaires, le clonage par transfert nucléaire constitue à l'heure actuelle une technique aléatoire, de faible rendement et dont les résultats sont hypothéqués par des incertitudes qu'une pratique plus prolongée permettra seule de dissiper.

Malgré ce taux d'échec élevé et ces divers aléas, un certain nombre d'arguments militent en faveur d'une poursuite de la recherche sur les mammifères d'élevage et de laboratoire. Laissant de côté ceux qui se rattachent aux enjeux zootechniques de maîtrise de la reproduction, on évoquera ci-après l'intérêt du clonage animal reproductif pour la recherche fondamentale et les applications médicales et pharmaceutiques.

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