LES CONSÉQUENCES MÉDICALES DE LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES PLURIPOTENTES -

M. JOHN GEARHART - PROFESSEUR DE GYNÉCOLOGIE ET D'OBSTÉTRIQUE À L'UNIVERSITÉ JOHNS HOPKINS DE BALTIMORE

Dans le cadre de nos travaux sur les cellules souches, nous avons dû respecter les réglementations américaines qui obéissent à des considérations éthiques. Les conséquences psychologiques et économiques des maladies chroniques aiguës sont énormes. Dans notre pays, environ 128 millions de personnes souffrent de maladies chroniques aiguës (diabète, maladie de Parkinson, hémiplégie, immunodéficience, arthrite, etc.). Dans ces maladies, des cellules isolées, individuelles, sont atteintes, et non des organes. La séquence des événements fait que l'organe lui-même est atteint. Malgré les progrès dans la prévention, le diagnostic et le traitement de ces maladies, les victimes sont nombreuses en raison de l'insuffisance des thérapeutiques existantes. Etant donné l'incidence élevée de ces maladies, un grand nombre de personnes sont touchées. Il est fréquent que l'un de nos proches ou l'un de nos amis soit atteint par l'une de ces maladies.

Les recherches récentes en biologie ont permis d'isoler les cellules humaines souches. Ces cellules peuvent produire en laboratoire différents types cellulaires. Outre le fait que nous avons pu apporter de nouvelles informations sur la biologie de l'être humain, nous pensons que les cellules souches permettront d'aboutir à une thérapeutique. De quelles cellules souches s'agit-il ? Il existe différents types de cellules souches. Certaines sont connues et d'autres ne le sont peut-être pas. Depuis des années, les foetus humains ont été utilisés comme une source de tissus étudiés pour tenter de soigner certaines maladies chroniques aiguës. Nous savons que le foetus contient des cellules capables non seulement de se scinder mais aussi de se différencier en types cellulaires que l'on trouve généralement chez l'adulte. Il est normal que l'on tente de trouver différentes stratégies thérapeutiques pour soigner le diabète et d'autres maladies. Le problème qui se pose à nous est que le matériel n'est pas renouvelable. Dans les essais cliniques sur les infections de la moelle épinière, on peut utiliser sept ou huit tissus embryonnaires pour une seule moelle épinière. S'il existait une source renouvelable de cellules souches que l'on pouvait appliquer aux êtres humains, il ne serait pas nécessaire de se reporter constamment aux tissus des foetus pour ces thérapeutiques.

Récemment, des cellules souches ont été isolées à partir de tissus. C'est très intéressant. Vous savez sans doute que les cellules sanguines se renouvellent régulièrement, ce qui signifie que le corps a la possibilité, par le biais de la moelle osseuse, de reconstituer les cellules sanguines. Il n'est donc pas étonnant que la moelle osseuse soit la source des cellules souches. Ce qui l'est davantage c'est que ces cellules souches peuvent constituer d'autres éléments que les éléments sanguins. Elles sont aussi constitutives des cellules nerveuses. On a considéré pendant longtemps que les neurones du cerveau ne pouvaient pas se reconstituer. Nous savons aujourd'hui que le cerveau reproduit des neurones, mais en quantité insuffisante pour remplacer les cellules détruites dans une maladie comme la maladie d'Alzheimer. Toutefois, nous savons aujourd'hui que les neurones se reconstituent.

Certains tissus très importants, comme le muscle cardiaque, ne produisent pas de cellules souches. Le type de cellule souche le plus exceptionnel est la cellule embryonnaire. Deux laboratoires, cette année, ont pu isoler des cellules embryonnaires. Elles peuvent remplacer n'importe quel type de cellule dans le corps. Leur potentiel est illimité. Elles peuvent constituer plus de 200 types différents de tissus en laboratoires. Selon les chercheurs, les noms divergent. Ces cellules peuvent être appelées « cellules embryonnaires », « cellules germinales » ou « cellules pluripotentes ».

Les cellules souches embryonnaires, bien qu'elles aient le plus gros potentiel pour contribuer à des thérapeutiques pour les maladies chroniques aiguës, ont nourri un grand nombre de débats, religieux, politiques et éthiques. Mais les débats ne portent pas uniquement sur ce type de cellules souches. Un grand nombre des informations que nous avons sur les cellules pluripotentielles nous viennent des expériences menées sur les souris. Grâce aux extrapolations que nous faisons sur les cellules pluripotentielles de souris, nous pensons que si les cellules humaines ont le même potentiel, elles auront une importance extrême pour les thérapeutiques humaines. Ces cellules comportent trois propriétés qu'aucun autre type de cellule ne possède. Elles peuvent se répliquer de manière indéfinie. Elles sont auto-renouvelables en laboratoire. Par ailleurs, elles sont normales du point de vue génétique. Elles ne présentent pas de mutations, ni un nombre anormal de chromosomes. Enfin, elles ont la possibilité, en culture de laboratoire, de se différencier en un grand nombre de types de cellules (cellules nerveuses, de cartilage, sanguines, etc.). Il est important d'insister sur le fait que ces cellules ne peuvent pas former d'embryons ni d'organes. A ce stade, il s'agit uniquement de cellules et de tissus qui ne peuvent être cultivés qu'en milieu de laboratoire.

Nous avons prouvé que les cellules cultivées pouvaient être greffées sur la souris et fonctionner comme des greffons. On peut donc non seulement isoler et cultiver ces cellules, mais on peut aussi les réimplanter sur l'animal sous forme de greffons. Il existe deux sources pour ces cellules : les blastocystes (Université du Wisconsin) et les cellules germinales d'un foetus isolées après une fausse couche (Université Johns Hopkins de Baltimore). Dans les deux cas, les chercheurs ont suivi toutes les réglementations en vigueur sur le prélèvement et l'utilisation des cellules souches pluripotentielles. Peu à peu , des commentaires ont été exprimés sur l'identité ou l'équivalence des deux types de cellules, les cellules ES et les cellules EG. Si elles sont identiques, pourquoi ne pas utiliser simplement les cellules isolées sur le foetus ? Les cellules ES et les cellules EG partagent des propriétés communes mais également des différences. Nous avons encore besoin d'un peu de temps pour déterminer si elles peuvent se substituer les unes aux autres. En pratique, dans nos travaux de laboratoire, les cellules germinales embryonnaires sont plus difficiles à manipuler et à cultiver que les autres. Mais c'est là toute la connaissance que nous avons sur le sujet actuellement.

Après avoir dérivé les cellules souches pluripotentes, nous avons démontré que, comme chez la souris, ces cellules sont capables de produire un grand nombre de types de cellules. Je voudrais vous présenter des projections d'utilisation de ces cellules pour l'usage humain. Les cellules souches pourraient être utilisées pour certaines maladies. Après un infarctus du myocarde, une cicatrice très profonde subsiste sur le muscle cardiaque. Des expériences ont été réalisées sur ce muscle. Elles ont montré que si l'on pouvait introduire un greffon dans ce muscle, la cicatrice serait réduite. Dans le cas de la souris, les cellules souches embryonnaires cultivées qui sont utilisées pour le muscle cardiaque et transplantées sur le coeur d'une souris adulte fonctionnent comme le muscle cardiaque. Deux laboratoires ont effectué cette expérience, qui est très impressionnante. En ce qui concerne les affections motrices et les affections de la moelle épinière, il est clair que les cellules souches forment des neurones moteurs et peuvent se substituer à ceux qui sont atteints. Pour ce qui est de la sclérose en plaques, les cellules peuvent reconstituer la moelle. Des essais cliniques sont actuellement menés sur les commotions cérébrales, dues à l'hypoxie pour la plupart. Une cellule liée de manière très étroite à la cellule souche mais dérivée d'une tumeur a été introduite et greffée sur plusieurs patients qui avaient souffert de commotions cérébrales, sur la base d'études réalisées sur l'animal. Ces études ont montré que les cellules souches réduisent l'hypoxie et les dommages causés au cerveau.

Dans notre université, nous étudions les maladies des yeux et la dégénérescence maculaire, qui touche souvent les personnes âgées. Des remplacements de cellules sanguines sont également étudiés. Nous avons montré qu'il était possible de reconstituer entièrement les cellules après des traitements radiothérapiques chez les animaux. Ainsi, il existe de nombreux exemples d'utilisation de cellules souches chez les animaux qui pourraient être repris chez l'être humain.

Il est également possible d'envisager des manipulations tissulaires. Il s'agit de fabriquer des organes artificiels et de produire un substrat sur lequel on pourra implanter des cellules. Nous pensons que les cellules souches ont un rôle à jouer pour la manipulation tissulaire des organes fabriqués en laboratoire et greffés sur l'être humain. Les cellules souches ont prouvé qu'elles pouvaient produire les quatre types de muscles cardiaques existants et fonctionner. Pourquoi ne pas utiliser ces cellules pour les implanter sur le substrat tissulaire ou sur le muscle lisse des vaisseaux sanguins du coeur ?

S'agissant du rejet des greffons, il serait possible d'utiliser les cellules souches pour altérer les antigènes de surface de manière à réduire la fréquence des rejets. Il serait alors nécessaire de diminuer la prise de médicaments immunosuppresseurs. Les principales questions éthiques qui entourent la recherche sur les cellules souches dérivent de ces formes de thérapies envisageables. Je voudrais vous indiquer où nous en sommes, du point de vue de la loi, sur ces questions éthiques.

Nous avons débattu largement de ces questions au sein de différents groupes, le Groupe de transplantation du foetus humain et plus récemment la Commission nationale de bioéthique. Après de longues délibérations cette année, la Commission a conclu que la culture de cellules souches pouvait être compatible avec des principes éthiques et que la recherche devait pouvoir être financée. Le problème le plus crucial dans notre pays est celui du financement de la recherche par le gouvernement. Il n'y a pas d'interdiction au niveau fédéral, ni pour produire les tissus, ni pour les utiliser. Mais le financement pose problème. Les chercheurs ou les universités qui reçoivent des financements du gouvernement fédéral ne peuvent pas utiliser ces cellules. Il existe une prohibition du financement de ces travaux par l'Etat. Nous devons constituer un cadre de recherche nous permettant de travailler sur les cellules souches. La Commission a développé une politique de communication ayant pour but de démontrer que le développement des cellules souches a des fins thérapeutiques.

Les progrès scientifiques, spontanés ou planifiés, donnent lieu à des connaissances qui n'ont pas de valeur intrinsèque ou de valeur éthique. L'éthique entre en jeu lorsque les expériences portent sur des animaux ou des êtres humains, ou lorsque la connaissance scientifique s'applique à la technologie. En tant que scientifique, j'ai le devoir de présenter au public les implications sociales de mon travail et la manière dont la technologie utilisée dans le cadre de mes travaux pourrait être mise en application. Il ne m'appartient pas, ni à d'autres scientifiques, de prendre des décisions d'ordre éthique sur l'application des découvertes scientifiques. En revanche, je dois participer au processus de prise de décision. Je suis parmi vous aujourd'hui pour nourrir le débat et répondre à vos questions sur le domaine de la biologie, que je connais bien. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir fourni cette occasion de m'exprimer.

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