2. Les conditions de ce pilotage

a) Des critiques nombreuses

La Cour des comptes formule régulièrement des critiques relatives au déroulement des opérations de fin de gestion dans le cadre de la période complémentaire.

Ainsi, au cours de son audition, M. François LOGEROT a précisé : " Nous estimons que l'existence de cette journée complémentaire crée une zone d'incertitude, un risque d'opacité notamment plus particulièrement à l'égard du Parlement sur les conditions dans lesquelles se clôt l'exercice budgétaire . Pour autant, probablement ne faut-il pas empêcher un gouvernement de piloter un résultat, d'autant plus que dans le courant de l'exercice budgétaire il y a des éléments nouveaux. Mais nous pensons qu'il faudrait s'y prendre autrement ".

M. Dominique STRAUSS-KAHN, ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a pour sa part estimé qu'il y avait " là une réflexion à conduire " d'autant plus que lorsqu'il était en fonction la direction du budget et la direction générale de la comptabilité ont rendu leur rapport sur l'éventualité d'une suppression de la période complémentaire le 1 er juin 1999. Dans ce document, elles évoquent les raisons pour lesquelles le système actuel pourrait être amené à évoluer et notamment le fait que " la Cour des comptes s'interroge dans ses rapports annuels sur l'exécution budgétaire sur le bien fondé du rattachement à tel ou tel exercice des opérations passées durant la période complémentaire. La période complémentaire serait, selon cette vision, l'occasion de " piloter " le solde budgétaire afin de permettre au gouvernement d'atteindre un objectif fixé à l'avance. Il s'agirait donc d'une question de sincérité des comptes de l'Etat " . Le rapport relève en outre que la sincérité des comptes de l'Etat est un " sujet qui deviendra de plus en plus sensible aux observateurs internationaux ".

Pour améliorer la situation actuelle, M. Alain LAMASSOURE a considéré " qu'il y aurait matière à élaborer une sorte de code de bonne conduite de la fin de gestion ". M. Jean-Jacques FRANÇOIS est allé dans le même sens : " Pouvons-nous penser à un code de bonne conduite ? C'est une voie très prometteuse..... La transparence devient maintenant une banalité mais pour qu'elle devienne réellement une banalité, il faut qu'elle soit un sujet de consensus. Cela suppose que les décideurs, et notamment les hommes politiques que vous êtes, se mettent d'accord sur les chiffres pertinents ".

b) Des décisions politiques

M. Jean-Jacques FRANÇOIS a déclaré que les opérations de fin de gestion présentaient " une dimension d'opportunité très importante ". Cette opportunité, c'est l'autorité politique qui en juge.

Il ressort des documents recueillis par votre commission que, en fin d'exercice, le ministre, par l'intermédiaire de son cabinet, fixe des orientations en matière de pilotage du solde. Ainsi, dans une note conjointe du 17 décembre 1999 adressée au ministre, les directeurs du trésor et du budget demandent au ministre d'arbitrer entre deux options, la seconde ayant pour effet " de dégrader l'exécution budgétaire pour 1999 ". Le directeur du trésor préconise la première solution tandis que le directeur du budget " se prononce en faveur de la seconde solution conforme aux orientations évoquées par le cabinet du ministre ".

L'audition de M. Nicolas SARKOZY, ancien ministre du budget, a permis de constater que, dans le contexte de la fin d'exercice, l'objectif politique prime sur les considérations de forme : " Je dirais simplement qu'à partir du moment où le Parlement vote et où le Conseil constitutionnel valide, ce que dit la Cour des comptes m'intéresse, mais pas davantage. Il s'agit de savoir si nous sommes des politiques ou pas. (...) Lorsqu'on se retrouve à la tête d'un pays où la récession est de - 1,8 %, où le nombre de chômeurs augmente de 50.000 tous les mois et où il faut trouver des solutions, le politique doit les trouver. Elles ne se trouvent pas dans le manuel de la Cour des comptes , je le regrette, mais si vous voulez me demander par là s'il y a des malices, alors j'acquiesce. .... Une fois à l'établi, on essaie de trouver, comme n'importe quel chef d'entreprise ou comme n'importe quel maire, la bonne solution. Elle n'est pas toujours conforme à la théorie impeccable, mais ce n'est pas par volonté de mordre la ligne, c'était parce que des situations d'urgence parfois s'imposent ".

Le sentiment est conforté par M. Alain LAMASSOURE qui a également constaté que les pratiques budgétaires de fin de gestion " donnent lieu à des décisions qui sont fatalement forfaitaires pour ne pas dire arbitraires ".

c) Des décisions prises en toute fin d'année selon un formalisme limité

M. Dominique STRAUSS-KAHN a observé que " c'est dans les tous derniers jours que les décisions doivent être prises. Du coup, soyons clair, elles ne sont pas prises selon un formalisme aussi appuyé que d'autres décisions, tout simplement parce qu'il faut dans l'urgence décider d'affectations, notamment de la perception ou non de recettes non fiscales ".

M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC a confirmé la caractère largement informel de certaines décisions : " Y a-t-il une procédure en ce domaine [les dépenses fiscales de type remboursement] ? A ma connaissance, non. Il peut y avoir des instructions, mais je n'en suis pas destinataire. Pour les recettes non fiscales, il y a des décisions des ministres ". Une fois les décisions prises, il appartient, comme l'a indiqué M. Jean BASSÈRES, à la direction de la comptabilité publique, conjointement avec la direction du budget, de " fixer dans un cadre réglementaire les dates d'exécution des opérations de fin de gestion dans le cadre de la période complémentaire ".

Les documents obtenus par votre commission lors de ses contrôles sur place

Vos rapporteurs ont eu accès à certains des documents par lesquels les ministres donnent leurs instructions aux services s'agissant des opérations de fin de gestion. Les documents relatifs à l'exercice 1999 concernent les dotations en capital aux entreprises publiques et les instructions données au directeur général de la comptabilité publique.

L'échantillon consulté montre que les services ont reçu l'ordre d'imputer les recettes sur la gestion 2000, tandis que les dépenses étaient inscrites sur l'exercice 1999.

Les instructions données dans les cinq derniers jours de la période complémentaire de 1999 (du 24 au 28 janvier 2000, date à laquelle la paierie générale a arrêté les opérations) sont reproduites ci-dessous :

- 24 janvier (note de la secrétaire d'Etat au directeur général de la comptabilité publique et à l'agent comptable du trésor) : " Je vous demande de bien vouloir faire le nécessaire auprès de vos services pour que les reversements de fonds n'ayant pas donné lieu à rétablissements de crédits, et demeurant en solde de gestion 1999 aux comptes concernés, soient imputés en gestion 2000 du budget général " ;

- 26 janvier (note des ministres au directeur du trésor et au directeur du budget) : " il est décidé de ne pas procéder au prélèvement de 3 milliards de francs prévu en loi de finances rectificative 1999 " ; " Il sera versé à la COFACE 60 millions de francs (...) Ce paiement sera imputé sur l'exercice budgétaire 1999 " ; " Il est décidé de verser à la COFACE 354 millions de francs (...) Ce paiement devra intervenir avant le 28 janvier 2000 et sera imputé sur l'exercice 1999 "; " Il est décidé qu'aucun prélèvement sur ce compte [compte de gestion de Natexis Banque] n'interviendra en gestion 1999 " ;

- 27 janvier (note des ministres au directeur du budget et au directeur du trésor) : " Vous constituerez une provision supplémentaire sur le compte de gestion de Natexis Banque. (...) Cet abondement sera effectué en gestion 1999 " ;

- 28 janvier (note des ministres au directeur général de la comptabilité publique, à l'agent comptable du Trésor et au directeur du trésor) : " je vous demande de bien vouloir faire le nécessaire auprès de vos services pour que les montants suivants (...) soient imputés définitivement sur la gestion 2000 ". Il s'agit de remboursements en capital par la Bosnie, le Pérou, le Brésil, l'Inde, l'Indonésie et les Philippines ainsi que des versements en intérêt correspondants pour un total de 987,1 millions de francs ;

- 28 janvier (décision de M. Christian Sautter) : " Il est décidé de verser une dotation en capital à Charbonnages de France (...) L'ensemble de l'opération sera comptabilisé sur la gestion budgétaire 1999 le 28 janvier 2000 " ;

- 28 janvier (note du ministre au directeur général de la comptabilité publique, à l'agent comptable du trésor et au contrôleur financier auprès du ministre de la défense) : " je vous donne instruction de viser et de comptabiliser en gestion 1999 du budget général, dans la limite de 1 milliard de francs, les ordonnances émises ce jour sur le titre V du budget de la défense et destinées à approvisionner, en gestion 2000, les comptes de commerce militaires " ;

- 28 janvier (note des ministre au directeur général de la comptabilité publique et au directeur du Trésor) : " Nous vous demandons de bien vouloir faire le nécessaire auprès de vos services pour que la recette de 85.033.045,80 francs (...) correspondant à un dividende de la SEITA, soit définitivement imputée en gestion 2000 " ;

- 28 janvier (note du ministre au directeur général de la comptabilité publique, à l'agent comptable du trésor et au directeur du trésor) : " je vous demande de bien vouloir faire le nécessaire auprès de vos services pour que les remboursements effectués par l'AFD en janvier 2000 (...) soient régularisés sur la gestion budgétaire 2000 ".

La direction du trésor a également communiqué à votre commission les décisions ministérielles relatives aux dotations en capital aux entreprises publiques pour les années 1993 à 1998. Les dates figurant sur les exemplaires consultés montrent que, pour chacune de ces années, il n'a été procédé à aucune dotation en capital après le 31 décembre.

d) Les services du ministère soucieux du respect formel des règles juridiques

Les documents auxquels votre commission d'enquête a eu accès montrent que, dans la période de fin de gestion, les services alertent les ministres lorsque certaines des suggestions avancées dans le but d'atteindre l'objectif de solde s'écartent par trop de l'orthodoxie budgétaire et comptable.

Les notes reproduites ci-dessous, adressées au ministre à la fin de l'exercice 1999 soit par le directeur du budget, soit par le directeur du trésor, concernent des opérations qui n'ont pas forcément été réalisées. Leur production a pour but de mettre en évidence le souci constant pour les services des impôts du respect des règles juridiques et leur sensibilité aux remarques formulées non seulement par la Cour des comptes, mais aussi par les commissions des finances des deux Assemblées.

La prise en compte des remarques de la Cour des comptes
et des commissions des finances par les services de Bercy

Quelques exemples non exhaustifs attestent de ce souci des services :

- note du 17 décembre 1999 du directeur du budget et du directeur du trésor relative à l'affectation au compte d'affectation spéciale n° 902-24 de l'excédent de trésorerie de la Société de gestion de garantie et de participations (SGGP) : " cette décision devrait mettre un terme aux nombreuses interrogations et critiques dont la situation actuelle fait l'objet, tant de la part de la Cour des comptes que des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat " ;

- note du directeur du trésor du 7 janvier 2000 : " je renouvelle auprès du Ministre mes plus extrêmes réserves sur l'éventualité d'un non remboursement de l'avance accordée au FSR dans le seul but de dégrader l'exécution budgétaire pour 1999 . Une telle décision aurait, à mes yeux, de très graves inconvénients et risquerait de remettre en cause l'existence même du fonds de soutien des rentes :

- elle constituerait un détournement de l'autorisation budgétaire accordée par le Parlement en transformant une opération de trésorerie (avance du Trésor) en une dépense budgétaire apparente ;

- elle ne manquerait pas de susciter de vives critiques de la Cour des comptes. Au surplus, le non-remboursement par le FSR de l'avance du trésor constituerait également un détournement de procédure puisque le FSR est un démembrement de l'Etat. Le non-remboursement de l'avance n'aurait pour seul objet que de dégrader le déficit du budget de l'Etat et de fausser les comptes de l'Etat ;

- elle n'a aucune justification, et notamment ne pourrait pas être expliquée par le passage à l'an 2000, celui-ci s'étant déroulée sans difficulté majeure
" ;

- note du directeur du trésor du 3 décembre 1999 : " le report du versement de la CADES sur l'exercice 2000 serait contraire à l'ordonnance du 24 janvier 1996, qui dispose que " la caisse verse chaque année au budget général de l'Etat, de l'année 1996 à l'année 2008, une somme de 12,5 milliards de francs ". Un tel report ne manquerait pas de susciter des critiques fortes de la Cour des comptes, qui s'est, par le passé, particulièrement intéressée au traitement budgétaire de ce versement " ;

- note du 7 décembre 1999 du directeur du trésor relative aux prélèvements sur les fonds d'épargne : " Le Ministre m'avait demandé (...) de différer le prélèvement du solde. Or , (...) la responsabilité du non-prélèvement du solde (...) ne peut être assumée que par une instruction écrite du Ministre. A défaut, les fonctionnaires " coupables " seraient passibles de la Cour de discipline budgétaire et financière . (...) A défaut d'instruction écrite du ministre avant cette date, mes services seront contraints d'émettre le titre de recette complémentaire avant le 31 décembre 1999. " L'instruction écrite est finalement venue le 27 décembre 1999.

- note de prévision d'exécution du directeur du budget datée du 14 décembre 1999 : " Les mesures de pilotage conservées par le cabinet permettront vraisemblablement de respecter la norme de progression des dépenses hors UNEDIC. En cas de bonne surprise supplémentaire concernant les recettes fiscales, un retard de versement par la CADES de la dernière échéance de 5 milliards de francs de l'exercice 1999 permettrait de contenir l'amélioration du solde budgétaire, mais il ne manquerait pas d'être sévèrement critiqué par la Cour des comptes, puis par le Parlement, et risque d'être retraité en droits constatés par les comptables nationaux ".

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