M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Loridant pour explication de vote.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présentation du rapport de la commission mixte paritaire relative au projet de loi de modernisation des activités financières intervient dans un contexte pour le moins paradoxal.
En effet, la presse économique s'est fait l'écho, ces dernières semaines, d'une sensible détérioration des résultats des sociétés de bourse, avec une chute des résultats cumulés des entreprises du secteur de 1 256 millions de francs à 650 millions de francs et une relance de l'activité de marchés, caractérisée notamment par la hausse de 14 points de l'indice CAC 40 depuis le début de l'année.
Il importe de souligner que le Gouvernement souhaite donner une impulsion nouvelle au développement de l'activité de notre « industrie financière », comme l'illustre très clairement l'accélération subite imprimée au processus de cession de sociétés ou de parts de sociétés du secteur public.
Pendant que nous débattions en effet de ce projet de loi, étaient mises en oeuvre la privatisation de la société centrale des Assurances générales de France et la cession au privé de 6 p. 100 du capital de Renault, alors que la « sociétisation » à marche forcée de France Télécom devrait au total offrir un volume de transactions d'au moins 60 milliards de francs dans des délais relativement rapprochés.
Il est vrai qu'une des autres raisons de ce subit développement des opérations de privatisation trouve son origine dans la détérioration constatée des recettes fiscales de l'Etat, due au ralentissement de la conjoncture. Cette situation doit d'ailleurs nous interpeller sur le développement de l'activité de la place financière de Paris.
La plus grande partie des indicateurs économiques sont en effet plutôt préoccupants et ce ralentissement de l'économie réelle semble donc aller de pair avec une vigueur retrouvée pour l'économie financière, ce qui ne peut manquer de nous ramener à notre préoccupation essentielle.
Le développement de nos activités financières se réalisera-t-il au détriment de l'économie réelle, dans laquelle le mouvement des créations d'emploi est particulièrement ralenti et dans laquelle de nombreuses entreprises manifestent leur intention de procéder à des suppressions de postes de travail, alors même que M. le rapporteur indiquait que ce projet de loi était susceptible de favoriser la création de 25 000 à 30 000 emplois ?
De la même manière, l'ouverture d'un marché à terme portant sur le blé est-il véritablement de nature, en revenant sur le système instauré par le Front populaire en 1936, à assurer le maintien de l'emploi dans l'ensemble de la filière agroalimentaire, des producteurs de céréales au commerce de détail ?
De nouveaux reclassements s'effectueront sur la place financière de Paris, dans le droit-fil de la transposition de la directive relative aux services d'investissement.
La progression de l'activité de la place permettra-t-elle à l'ensemble des entreprises prestataires de services d'investissement de développer leur activité ou bien alors, une fois de plus, le principe de libre concurrence se traduira-t-il par la disparition d'un certain nombre d'acteurs et d'emplois ?
Il est d'ailleurs à craindre que les possibilités offertes par le texte en matière de délocalisation des opérations ne soient rapidement mises à profit alors que nous pouvons légitimement nous demander si, pour faire face à la concurrence, quelques entreprises d'investissement ne seront pas tentées de procéder à une surenchère dans la réduction des coûts d'exploitation, notamment en s'attaquant aux garanties collectives des salariés.
Le texte que nous avons voté se situe dans un contexte de guerre économique et financière. Le Gouvernement voudrait qu'il soit un texte de modification du financement de notre économie mais il se présente, en fait, comme le passage obligé d'un assujettissement encore plus prononcé de notre économie aux impératifs des marchés financiers.
Il ne contient en effet pas d'autre alternative que celle de l'extension de l'activité financière à des domaines dans lesquels elle demeurait jusqu'à présent marginale - je pense, par exemple, à l'émergence annoncée des fonds de pension - alors même qu'il nous faut plutôt envisager des circuits plus vertueux de financement de l'économie réelle.
Avant de conclure, je voudrais alerter M. le ministre ainsi que M. le rapporteur sur les premiers échos que nous rapportent certains professionnels. Le vote de ce projet de loi introduisant dans notre droit interne la directive sur les services d'investissement, rapproché du fait que la Grande-Bretagne ne ferait pas partie du bouquet de pays assujettis aux contraintes de l'euro, tout cela créerait des distorsions de concurrence en faveur de la Grande-Bretagne, qui mettraient en cause les principes mêmes de la directive.
Je n'ai pas pu analyser plus avant les effets annoncés de ce rapprochement, mais je voudrais, monsieur le ministre, que vous nous en explicitiez les conséquences.
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe communiste républicain et citoyen a bien l'intention d'émettre un vote négatif sur ce projet de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire et invite la Haute Assemblée à en faire autant.
M. Ivan Renar. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'issue de ce débat, je voudrais rappeler en quelques mots la position du groupe socialiste sur ce texte.
Il s'agit initialement de transposer la directive européenne du 10 mai 1996 sur les services d'investissement, directive qui crée un Marché unique européen des capitaux.
Nous regrettons la prédominance actuelle de l'approche financière dans la construction européenne, alors que, dans la mise en oeuvre de l'Europe des citoyens et de l'Europe sociale, la démarche est beaucoup plus lente, pour ne pas dire actuellement bloquée.
Cependant, nous aurions pu approuver une stricte transposition. Ce n'est pas le choix qui a été fait. Le Gouvernement a décidé de dépasser la stricte transposition pour modifier largement l'architecture de la place financière de Paris. C'est d'ailleurs ce qui explique la longueur de la navette, les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat tentant chacun de faire prévaloir leur point de vue. Mais la perspective reste la même, puisqu'il s'agit d'aller dans le sens d'un plus grand libéralisme dans le fonctionnement de notre économie, en suivant une inspiration anglo-saxonne.
Or nous pensons que cette voie n'est pas la bonne. Donner toute liberté aux marchés financiers, réduire le rôle régulateur de la puissance publique, remette en cause la logique publique d'intervention financière nous apparaissent comme des évolutions contraires aux besoins de stabilité et de sécurité indispensables à un financement optimal de l'économie.
Il est utile de rappeler que le développement de la sphère financière ne va plus du même pas que celui de la sphère réelle, car il est guidé par d'autres considérations. Sans aller plus loin sur cette question, je souligne de nouveau qu'elle est fondamentale. En effet, nous subissons chaque jour un peu plus les conséquences désastreuses de cette déconnexion qu'il faudra rapidement réduire.
Notre pays a donc besoin non pas d'une plus grande « financiarisation » de son économie, d'une soumission encore plus étroite à des marchés extrêmement volatils, mais d'un redémarrage de son économie réelle, de ses investissements et de ses emplois.
En conséquence, le groupe socialiste confirme son opposition à ce texte qui, loin de remédier aux dérives dangereuses de l'économie libérale, les accroît.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12 du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
M. Paul Loridant. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
M. Marc Massion. Le groupe socialiste également.

(Le projet de loi est adopté.)


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