M. le président. Nous abordons l'examen des amendements n°s 19 et 39, qui ont été précédemment réservés et qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 19, M. de Rohan, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 15, un article additionnel ainsi rédigé :
« A. - I. - Il est inséré dans le code général des impôts un article 238 bis HO ainsi rédigé :
« Art. 238 bis HO. - Les dispositions de l'article 238 bis HN sont applicables aux souscriptions réalisées entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2002 de parts de fonds de placement quirataire visés à l'article 2 de la loi n° 96-607 du 5 juillet 1996, agréés par le ministre chargé de la pêche, ayant pour objet exclusif la souscription de parts de copropriété de navires de pêche dans les conditions définies ci-après :
« a) le navire est livré au plus tard vingt-quatre mois après l'acquisition par le fonds de placement quirataire des parts de copropriété ;
« b) les parts du fonds de placement quirataire sont conservées par le souscripteur, qui prend un engagement en ce sens, jusqu'au 31 décembre de la quatrième année qui suit celle de leur souscription ;
« c) le navire est dès sa livraison armé à la pêche maritime professionnelle et exploité par la copropriété dans les conditions prévues par la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 ;
« d) l'artisan pêcheur ou la société de pêche artisanale qui gère la copropriété doit remplir les conditions de première installation prévues à l'article 44 nonies, et détient pendant la période fixée au b la moitié au moins des parts de la copropriété. Cette proportion est ramenée à un cinquième lorsque l'un des copropriétaires est un armement coopératif agréé par le ministre chargé de la pêche dans le cadre d'une accession progressive à la propriété dans le délai qui ne peut excéder 10 ans, et qu'il détient avec l'artisan pêcheur ou la société de pêche artisanale la moitié au moins des parts de copropriété. »
« II. - Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article, en particulier les critères et modalités de délivrance de l'agrément du fonds de placement quirataire, qui tiennent compte de l'intérêt économique et de la comptabilité des investissements avec les règles d'encadrement des flottes de pêche.
« B. - Dans le premier alinéa des articles 163 unvicies et 217 nonies du code général des impôts, les mots : "article 238 bis HN" sont remplacés par les mots : "articles 238 bis HN et 238 bis HO".
« C. - Les pertes de recettes éventuelles entraînées par l'application des dispositions des A et B ci-dessus sont compensées à due concurrence par l'augmentation des droits sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° 39, M. Darniche propose d'insérer, après l'article 8, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les dispositions de la loi n° 96-607 du 5 juillet 1996 relative à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce sont également applicables aux navires de pêche.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 19.
M. Josselin de Rohan, rapporteur. Cet amendement a pour objet de créer un mécanisme de fonds de placement quirataire agréé ayant pour objet exclusif l'acquisition minoritaire de parts de copropriété de navire avec un pêcheur artisan, ou une société de pêche artisanale au sens de la loi d'orientation, dans le cadre d'une première installation. Il tend ainsi à encourager les jeunes pêcheurs à s'installer en favorisant l'autofinancement par l'insertion d'un article 238 bis HO dans le code général des impôts.
Quant à la modification des articles 163 unvicies et 217 nonies du code général des impôts, elle est de nature rédactionnelle.
Le projet de loi d'orientation énonce les objectifs de la politique des pêches, parmi lesquels figure « le maintien et le renouvellement d'une flotte adaptée ». Cela suppose une politique active en faveur du renouvellement des outils et des hommes.
S'agissant des outils, le dispositif d'étalement des plus-values réinvesties devrait faciliter le renouvellement de la flotte des armements existants.
S'agissant des hommes, la modernisation du statut juridique, fiscal et social de l'entreprise de pêche artisanale devrait contribuer à rendre le métier plus attractif, mais rien n'est prévu pour soutenir l'autofinancement nécessaire à l'acquisition d'un navire, en particulier par de jeunes patrons.
Or les contraintes pour un investisseur sont considérables : le financement équilibré d'un chalutier de vingt mètres, neuf ou d'occasion, suppose un apport de 500 000 à 1 million de francs, ce qui est hors de portée pour un jeune professionnel.
Par ailleurs, les nouvelles modalités de plafonnement des aides imposées par l'Union européenne ont pour effet d'accroître de 30 % à 40 % les besoins d'autofinancement. La question de l'autofinancement des artisans pêcheurs s'établissant pour la première fois apparaît donc prioritaire pour assurer la relève professionnelle dans ce secteur.
Le dispositif proposé instaure une incitation fiscale pour la souscription de parts de fonds de placement quirataire spécialement agréés par le ministre chargé de la pêche, dans la limite d'une enveloppe annuelle déterminée en fonction du POP et des paramètres d'évolution de la ressource et des marchés.
M. le président. La parole est à M. Darniche, pour défendre l'amendement n° 39.
M. Philippe Darniche. Cet amendement va dans le sens de ce que vient d'exprimer M. le rapporteur. Il me semble intéressant de ne pas exclure du bénéfice du régime instauré par la loi relative à l'encouragement fiscal à la souscription de parts de copropriétés de navires, dite « loi sur les quirats », les navires de pêche.
La pêche industrielle française a un besoin urgent de capitaux frais pour ne pas mourir. Comme pour les navires de commerce, il est indispensable de stimuler la copropriété des navires de pêche par une fiscalité attractive et d'enrayer le déclin et le vieillissement de la flotte de pêche française en assurant le mieux possible son renouvellement.
La disposition que je propose est un peu différente de celle qui est suggérée par M. le rapporteur. Je souhaite que l'on en discute, étant entendu que je serai prêt à me rallier à l'amendement n° 19 après avoir entendu M. le ministre.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 39 ?
M. Josselin de Rohan, rapporteur. Je remercie M. Darniche du geste qu'il s'apprête à faire !
Tout d'abord, les professionnels ont choisi l'étalement des plus-values de préférence aux quirats. Nous savions que nous pouvions obtenir les deux à la fois ! Nous avons fait un choix, et il faut nous y tenir.
Qui plus est, le contexte budgétaire actuel nécessite évidemment que nous fassions des choix.
Etant, par définition, favorables à l'amendement de la commission, nous sommes défavorables à celui de M. Darniche.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 19 et 39 ?
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Si j'ai bien compris, les amendements n°s 19 et 39 n'en forment peut-être plus qu'un !
Comme vient de le rappeler M. le rapporteur, nous avons dû faire un choix. Mais nous avons respecté l'avis des professionnels de la pêche, qui se sont prononcés en faveur d'un étalement des plus-values.
Par l'amendement n° 19, la commission propose d'étendre partiellement au secteur de la pêche un régime inspiré de celui des quirats. Mais, monsieur le rapporteur, vous le savez bien, le Gouvernement ne peut pas accepter un tel dispositif sans recueillir préalablement l'avis de la Commission.
Je m'engage donc aujourd'hui, devant la Haute Assemblée, à notifier à la Commission cette demande, afin de recueillir son accord. Compte tenu de l'engagement que je viens de prendre devant vous, et qui sera immédiatement suivi d'effet, je vous serais reconnaissant, monsieur le rapporteur, de bien vouloir retirer l'amendement n° 19.
M. Josselin de Rohan, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Josselin de Rohan, rapporteur. Après avoir écouté avec beaucoup d'attention les propos de M. le ministre, je dirai que l'absence de dispositions spécifiques en faveur de l'installation des jeunes est la seule faiblesse de ce projet de loi. En effet, comme nous l'avons dit tout à l'heure, l'étalement des plus-values de cession intéresse des pêcheurs déjà installés, qui disposent d'un outil de travail ; mais rien n'est prévu pour le jeune qui doit acquérir un bateau coûtant plus d'un million de francs.
Nous voulons assurer le renouvellement des générations dans le secteur de la pêche, comme en agriculture. Il est donc indispensable, si l'on veut attirer des jeunes, de leur donner les moyens de faire face aux très lourdes échéances financières auxquelles ils seront confrontés.
Cela dit, je suis tout à fait sensible à l'argumentation développée par M. le ministre de l'agriculture. Pourquoi ? Parce que j'ai été de ceux qui ont milité avec ardeur pour l'établissement de quirats dans le domaine de la flotte de commerce. C'était pour nous le seul moyen d'obtenir que l'épargne soit investie dans ce secteur à risque, très « capitalistique » et dont la rentabilité n'est pas toujours prouvée.
Nous avons obtenu satisfaction après que le président de la République y eut mis toute son autorité, car certains départements ministériels étaient très peu favorables à cette disposition qualifiée aujourd'hui de « niche fiscale » ; or l'expression semble devenue tout à fait infamante.
Il est vrai qu'il a fallu obtenir de la Commission un feu vert préalable pour l'adoption de ces quirats dans le domaine de la flotte de commerce. Il est vrai aussi que, faute d'un telle autorisation, nous ne pourrions pas procéder plus avant et la disposition que nous voterions serait inopérante.
Il n'en demeure pas moins - les parlementaires que nous sommes, en tout cas ceux qui ont un mandat depuis un certain temps, le savent - que la Commission de Bruxelles n'est pas la seule à être fortement opposée à certaines innovations. D'autres « établissements » le sont aussi, en particulier l'un d'eux, qui est situé de l'autre côté de la Seine et qui manifeste peu d'enthousiasme pour les innovations, surtout lorsqu'elles sont qualifiées de « niches fiscales » !
Monsieur le ministre, comme nous avons constaté le soin avec lequel vous avez élaboré ce projet de loi et comme nous savons que vous êtes un homme de parole, nous vous faisons confiance pour obtenir de Bruxelles le feu vert que vous solliciterez. Toutefois, je me dois de vous dire que nous sommes des gens tenaces. Si, la bénédiction bruxelloise étant obtenue, celle de l'autre rive faisait défaut, ne doutez pas un instant qu'à l'occasion d'un projet de loi de finances ou de toute autre opportunité nous reviendrions à la charge !
En réponse à la bonne volonté dont vous faites preuve, monsieur le ministre, je retire donc cet amendement, mais en me réservant, personnellement, le droit de réintroduire les dispositions que je retire aujourd'hui si, telle soeur Anne, je ne voyais rien venir...
M. le président. L'amendement n° 19 est retiré.
Monsieur Darniche, l'amendement n° 39 est-il maintenu ?
M. Philippe Darniche. J'ai apprécié vivement toutes les précautions oratoires qu'a prises M. le rapporteur et je m'associe pleinement aux propos qu'il a tenus.
J'aurais souhaité, comme lui, qu'une disposition en faveur de l'investissement dans les navires de pêche puisse être retenue, et je regrette que M. le ministre n'ait pas aujourd'hui les moyens d'accepter une telle proposition.
Toutefois, j'ai entendu l'engagement qu'il a pris devant la Haute Assemblée. Je mets donc les mêmes conditions que M. le rapporteur au retrait de mon amendement, à savoir que, comme lui, je serai très vigilant pour qu'en cas d'accord de la Commission de Bruxelles nous puissions réétudier cette disposition à l'occasion de l'examen d'un autre texte.
M. le président. L'amendement n° 39 est retiré.

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