PROJET DE LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 1996

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 125, 1996-1997) de finances rectificative pour 1996, adopté par l'Assemblée nationale. [Rapport n° 148 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues nous sommes appelés, à cette heure un peu tardive - mais c'est aussi l'heure des braves - à examiner le projet de loi de finances rectificative pour 1996.
Ce projet de loi procède aux ajustements rendus nécessaires par l'évolution de la conjoncture et par la mise en oeuvre des mesures décidées en cours d'année.
En préambule, j'exprimerai le souhait que les collectifs de fin d'année, sans se tranformer en loi de règlement, puissent retracer avec plus d'exhaustivité les opérations budgétaires de l'Etat. Je pense en particulier au rattachement des fonds de concours.
Permettez-moi également de regretter - et j'ai dans l'esprit les concours alloués aux entreprises publiques - un certain manque de précision dans la présentation des crédits qui sont, certes, à caractère évaluatif, mais dont l'évaluation pourrait sans doute, à ce stade, être plus rigoureuse.
Le présent projet de loi préserve l'équilibre qui avait été défini par la loi de finances de 1996, malgré une évolution défavorable de la croissance économique par rapport aux prévisions initiales.
Celles-ci tablaient sur une croissance du PIB de 2,8 %, qui reflétait le consensus des instituts de prévision.
La croissance devrait être, à la fin de 1996, de l'ordre de 1,2 % - 1,3 %, en retrait donc de 1,5 point par rapport aux prévisions du budget économique de septembre 1995.
Décevante, en 1996 l'activité a de surcroît quelque chose de déconcertant.
Elle varie très fortement d'un trimestre sur l'autre et, surtout, contre toute attente, elle est tirée par la consommation des ménages.
Ce phénomène est rendu possible dans un contexte de quasi-stabilisation du revenu disponible des ménages par une baisse importante de leur taux d'épargne.
Je note que le maintien de ce taux d'épargne au niveau atteint en 1996 n'est pas assuré pour l'avenir si les motifs de constitution d'une épargne de précaution par les ménages devaient à nouveau accroître leur propension à épargner.
Je relève aussi que, malgré une amélioration sensible de leur situation financière, les entreprises devraient exercer une influence négative sur la croissance.
Le déstockage s'est poursuivi et l'investissement n'a pas repris.
Les dernières informations conjoncturelles sont cependant de nature à nous laisser espérer que ces influences négatives sont en train de s'atténuer. L'investissement paraît plus dynamique et l'ajustement des stocks devrait s'interrompre.
Les conséquences de la révision de la croissance doivent être bien comprises.
Cette révision a d'abord rendu plus ardue la réduction du déficit budgétaire en 1996 et, dans ces conditions, il est remarquable que l'objectif de déficit nominal soit tenu, même si la part du déficit dans le PIB est un peu supérieure à la cible.
Mais elle confirme que notre économie reste en dessous de la croissance qu'elle pourrait connaître, ce qui a des conséquences très défavorables sur l'emploi.
Aux termes de ce collectif, les recettes du budget général devraient s'accroître de 4,7 % par rapport à 1995 contre 4,1 % initialement prévus.
La pression fiscale de l'Etat s'accroît de 0,5 point de PIB par rapport à 1995. C'est moins que prévu puisque l'augmentation de la pression fiscale devait représenter près de 0,8 point de PIB. Mais le produit de cette augmentation de la pression fiscale représente la presque totalité de la réduction de la part du déficit budgétaire dans le PIB. Il y a certes une moins-value de recettes fiscales, de l'ordre de 19 milliards de francs. Comme cela a été annoncé au moment du débat d'orientation budgétaire, les recettes de TVA sont révisées à la baisse de 22,1 milliards de francs. Mais les autres recettes fiscales s'accroissent par rapport aux prévisions et, en particulier, le produit de l'impôt sur les sociétés.
Surtout, il nous faut nous rendre à l'évidence et observer que l'augmentation de deux points du taux normal de TVA à compter du 1er août 1995 se traduit en 1996 par 52 milliards de francs de recettes supplémentaires sans lesquels le déficit budgétaire serait supérieur à 339 milliards de francs.
Or 339 milliards de francs, ce serait le déficit de 1995 plus 16 milliards de francs, et ce serait un déficit de 4,06 % du PIB contre les 3,6 % prévisibles en cette fin d'année.
Les justifications apportées alors à cette hausse transitoire étaient pleinement pertinentes. J'ajoute que, contrairement à ce qui est couramment affirmé, il est inexact que la hausse de la TVA soit entièrement supportée par les ménages. Après un délai, l'évolution des rémunérations indexées sur les prix atténue grandement l'impact de la mesure sur les revenus des ménages et conduit les entreprises à en supporter les effets.
Est-ce à dire que nous devons accueillir avec enthousiasme ce type de mesures ? A l'évidence, non, et vous avez eu l'occasion, monsieur le ministre, de rappeler leur caractère provisoire.
Les moins-values de recettes fiscales sont compensées par une hausse de la contribution des recettes non fiscales de 21,6 milliards de francs.
Le supplément de recettes non fiscales provient des reversements de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, la COFACE, et d'un ensemble de prélèvements divers au rang desquels il faut relever un versement supplémentaire du fonds de réserve de l'épargne populaire de 2,2 milliards de francs.
Les moins-values fiscales, les suppléments de recettes non fiscales et, enfin, la révision à la baisse des prélèvements sur recettes, liée surtout au prélèvement au profit du budget européen à concurrence de 7,8 milliards de francs, permettent d'accroître les recettes du budget général de 7,6 milliards de francs par rapport aux prévisions.
Au total, la contribution de l'ensemble des recettes du budget général à la diminution du déficit public dans le PIB est de 0,29 point sur 0,56 point.
Le complément doit être trouvé, d'abord, dans les comptes spéciaux du Trésor, dont la charge nette est améliorée de 6,8 milliards de francs, grâce essentiellement à l'évolution du compte d'avances sur impositions locales, mais aussi dans l'évolution des dépenses.
De la loi de finances initiale au projet de loi de finances rectificative, l'évolution des charges nettes du budget se traduit par une très légère augmentation de 0,9 %.
Cette évolution résulte, d'une part, des mouvements de crédits inscrits dans le présent collectif et, d'autre part, des deux décrets d'avance et des deux arrêtés d'annulation pris aux mois d'avril et de septembre derniers.
Dans le présent projet de loi de finances rectificative, les ouvertures de crédits s'élèvent à 41,47 milliards de francs. Les plus importantes sont les suivantes : 4,94 milliards de francs pour les dotations en capital aux entreprises publiques - je reviendrai dans un instant sur cette question ; 4,7 milliards de francs pour les aides personnelles au logement, notamment pour l'allocation de logement spéciale ; 2 milliards de francs pour la fin du dispositif de prime à la reprise des véhicules anciens ; 1,2 milliard de francs pour la défense au titre des opérations extérieures ; 1,1 milliard de francs pour la contribution de l'Etat au financement des transports collectifs en Ile-de-France.
Les annulations associées à ces ouvertures s'élèvent à 25,35 milliards de francs.
Outre les remboursements et dégrèvements d'impôts, elles concernent principalement : la charge de la dette du fait de la baisse des taux d'intérêt à court terme, pour près de 5 milliards de francs ; une économie de constatation au budget du logement sur les dépenses relatives au réaménagement des PAP de 765 millions de francs ; enfin, l'annulation de 200 millions de francs sur les crédits du patrimoine monumental.
Les décrets d'avance et arrêtés d'annulation du 10 avril et du 26 septembre derniers ont procédé à des mouvements ayant pour résultat un accroissement des charges de 2,88 milliards de francs.
Au total, les dépenses de l'exercice 1996 s'élèveront à 1 617 milliards de francs, en augmentation de 0,9 % par rapport à la loi de finances initiale et de 2,2 % par rapport au budget de 1995. Autrement dit, la progression des dépenses est légèrement inférieure à celle du PIB, ce qui est un progrès remarquable par rapport aux exercices précédents.
En conséquence de ces variations de dépenses et de recettes, le déficit du budget pour 1996 s'accroît seulement de 179 millions de francs et atteint 288 milliards de francs.
Avant de conclure, je voudrais revenir brièvement sur un problème qui nous semble important et qui a retenu l'attention de l'Assemblée nationale : il s'agit des dotations en capital aux entreprises publiques.
Le projet de loi de finances, par divers moyens budgétaires, aboutit à porter à 36,1 milliards de francs l'ensemble de ces dotations.
Nous avons obtenu quelques informations que l'Assemblée nationale n'avait pas avant le débat en séance publique sur la répartition de ces dotations.
Il me semble toutefois que, compte tenu de l'importance des montants en jeu - 36 milliards de francs - qui représentent le dixième budget civil de l'Etat, soit plus que le budget de l'agriculture, plus que celui de la justice - je me réjouis de constater que le Président de la République se préoccupe de la justice de notre pays - plus encore que le budget de la recherche, plusieurs remarques s'imposent.
Tout d'abord, le flou qui entoure l'évaluation des dotations en capital au secteur public traduit un manque de vision stratégique de l'Etat actionnaire.
Ensuite, la commission des finances estime que l'imputation budgétaire de ces dotations manque de clarté : pourquoi certaines dotations sont-elles inscrites au budget des charges communes alors que d'autres proviennent des comptes d'affectation spéciale ?
Enfin, nous considérons que des incertitudes pèsent encore sur ces dotations : les recettes encaissées à ce jour, et nous sommes très proches de la fin de l'année, ne paraissent pas à la hauteur des besoins estimés - il pourrait manquer, nous semble-t-il, 4 milliards à 5 milliards de francs. Ainsi, les versements projetés au bénéfice de l'EPFR, la structure de défaisance du Crédit Lyonnais - notre collègue Yann Gaillard a spécialement attiré notre attention sur ce point - paraissent insuffisants pour commencer à provisionner les pertes en capital que cet établissement va devoir supporter.
Pourriez-vous nous apporter quelques réponses sur ce point, monsieur le ministre ? Le Parlement se sent un peu tenu à l'écart de cette ligne de dépenses.
En conclusion, je souhaite souligner le côté positif de la réduction du déficit budgétaire en 1996, alors que la croissance n'a pas été conforme aux prévisions. Cette réduction a été permise principalement par un accroissement des recettes, puisque les dépenses sont certes freinées mais non encore réduites en valeur absolue.
Le défi qui se présente désormais à nous est de stabiliser, voire de réduire ces dépenses en 1997, avant de les réduire encore plus au cours des prochaines années. Chacun mesure l'ambition d'un tel objectif, pourtant indispensable à l'avenir de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, pour faire gagner du temps au Sénat, je me propose de ne prendre la parole qu'à la fin de la discussion générale.
M. le président. Le Sénat vous en remercie, monsieur le ministre.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion des projets de loi de finances rectificative, pas plus que celle des textes portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, ne se prête guère aux grandes envolées et aux propos d'ordre trop général. La loi du genre est bien sûr de commenter ce qui figure dans le texte proposé, plutôt que de s'en évader pour se livrer à je ne sais quel vaste tour d'horizon. Je vais donc me tenir à l'épure.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Vos idées nous intéressent toujours !
M. Philippe Marini. Merci, monsieur le rapporteur général ! Au demeurant, les idées que j'exprimerai seront très proches, bien sûr, de celles qui figurent dans le rapport écrit.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Nous n'en doutons pas ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Mon intervention se limitera à la formulation de remarques portant sur quatre points.
J'observerai tout d'abord que ce projet de loi de finances rectificative illustre et met en valeur la maîtrise des finances publiques.
Cette maîtrise est réalisée, certes, grâce à une utilisation active des outils budgétaires tout au long de l'année, mais aussi grâce au recours à des arrêtés d'annulation.
Il faut en convenir, c'est bien l'utilisation conjoncturelle de cet outil que constitue l'amputation des crédits votés par le Parlement qui nous permet, qui vous permet, monsieur le ministre, en cours d'année, de suivre l'évolution de la conjoncture et, donc, celle des recettes de l'Etat.
Vous avez fait preuve, reconnaissons-le, de mobilité : vous vous êtes adapté à cette conjoncture. Les recettes s'étant, dans une certaine mesure, rétractées par rapport aux prévisions - les hypothèses économiques élaborées voilà un an n'ont pas été totalement vérifiées, c'est le moins que l'on puisse dire - vous avez utilisé l'arme des arrêtés d'annulation.
Il convient, tout en se gardant, bien sûr, de confondre loi de finances rectificative et loi de règlement, d'examiner le résultat et d'observer que l'exécution de cette loi de finances est conforme aux soldes qui avaient été annoncés à l'origine au Parlement.
Ma deuxième remarque a trait à la gestion de la dette publique et au poids de celle-ci.
Vous avez bénéficié, en 1996, des effets favorables de la politique économique qui a été conduite et qui s'est traduite par la décrue des taux d'intérêt. Cette décrue a mécaniquement permis à la charge de la dette publique de s'accroître moins qu'il n'était prévu dans la loi de finances initiale.
Cependant, malgré ce facteur favorable, dont l'effet représente 5 milliards de francs environ, la charge nette de la dette publique a augmenté en 1996 de près de 7 % par rapport à 1995, au lieu des 10 % prévus dans la loi de finances initiale.
Il est évident, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous ne pourrons pas nous « payer » chaque année un taux d'augmentation de la charge nette de la dette publique de 7 %. Mais nous savons bien à quelles contraintes nous sommes soumis et dans quelle urgente nécessité d'une politique de maîtrise persévérante et courageuse de la dépense publique nous nous trouvons.
Ma troisième remarque concerne la place importante que tiennent les entreprises publiques dans ce projet de loi de finances rectificative.
Nous sommes, à cet égard, fondés à nous interroger, monsieur le ministre, car, compte tenu des privatisations qui ont été réalisées - et c'est heureux - le secteur public qui demeure est en quelque sorte résiduel. Il s'agit des sociétés qui n'ont pas encore été privatisées et de structures que l'on a constituées pour permettre à l'Etat de porter le passif lié aux échecs qu'ont connus certaines de nos entreprises publiques.
Alain Lambert a évoqué l'EPFR, la structure de défaisance, du Crédit lyonnais. On peut citer également l'EPRD, qui remplit la même fonction concernant le Comptoir des entrepreneurs. Ces établissements publics ont pour objet de réaliser des actifs et donc de dégager des pertes qui vont, au fil des années, devoir être constatées dans nos lois de finances.
Quel est le poids des entreprises publiques ? Malgré un certain manque de lisibilité tenant à la dissémination des dépenses entre différents chapitres, le total des dépenses apparaît supérieur à 36 milliards de francs. Du côté des recettes, si je ne me trompe, les cessions de titres du secteur public auront représenté, en 1996, un peu moins de 23 milliards de francs, alors que la prévision était sensiblement supérieure. Aussi, en 1996, le poids du secteur public sur le budget de l'Etat est-il significatif. Les années précédentes, les recettes de privatisation étaient plus importantes ; il est même arrivé qu'elles excèdent les charges de gestion des entreprises publiques.
Les problèmes de lisibilité et de compréhension que la présentation de ces dépenses posent au Parlement ont été à juste titre soulignés par M. le rapporteur général. Mais il y a aussi un problème de fond.
En effet, nous sommes en droit de penser, en examinant certaines lignes, que les perspectives ne sont pas clairement tracées et que la vision stratégique fait, hélas ! défaut.
C'est en particulier le cas s'agissant de la politique comptable qui devra être conduite au regard des résultats des gestions hasardeuses du passé. Notre collègue M. Yann Gaillard, qui représente la commission des finances du Sénat au sein du conseil d'administration de l'EPFR, a appelé notre attention sur ce point. Nous ne savons pas exactement quelle politique comptable il convient de mener pour tenir compte des pertes en capital, pour anticiper ces pertes en capital. Et c'est évidemment une menace pour les futures lois de finances.
Certains esprits malicieux pourraient se dire que, si l'on comptabilisait les probables pertes à venir de l'EPFR comme on a comptabilisé celles du Crédit foncier de France au 31 décembre 1995, il y aurait probablement des provisions extrêmement lourdes à constater. Or elles n'ont pas pu l'être avec les méthodes qui ont été retenues et que l'on ne nous a d'ailleurs pas expliquées avec toute l'exhaustivité qui aurait été souhaitable.
Monsieur le ministre, tout cela constitue, certes, une réalité qui s'impose à vous, presque une fatalité. Elle n'est pas imputable à votre gestion : ce sont les gestions passées accumulées qui sont en cause. Il reste que les ordres de grandeur ne sont pas négligeables et qu'ils pèsent sensiblement sur les finances publiques à un moment où les marges de manoeuvres sont extrêmement réduites.
Ma dernière remarque, plus ponctuelle, relève du volet fiscal plutôt que du volet proprement budgétaire.
Je me demande, en particulier en étudiant l'article 14 bis, si l'on fait vraiment une bonne utilisation de l'outil législatif...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Quelle erreur !
M. Philippe Marini. ... et si l'on ne considère pas à tort que la loi est là pour tenir compte des comportements les plus tortueux, les plus pervers, afin de les pourchasser jusque dans les recoins les plus discrets, faisant subir du même coup à la généralité des contribuables des contraintes qui sont probablement en contradiction avec les objectifs initiaux de la législation.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Excellent !
M. Philippe Marini. C'est le problème que nous avons soulevé - M. le rapporteur général, notamment - à propos des rectifications que vous nous soumettez, monsieur le ministre, concernant le régime fiscal du plan d'épargne en actions.
Bien sûr, nous sommes très sensibles à ce que vous nous dites à la lumière des informations que vous tirez des contrôles fiscaux. Ce n'est certes pas dans cette assemblée qu'on serait susceptible d'avoir une approche indulgente à l'égard de comportements qui doivent, en toute logique, tomber sous le coup des procédures administratives et judiciaires existantes. Toutefois, nous nous demandons si, véritablement, nous faisons là une bonne utilisation de la loi et si nous ne nous mettons pas en contradiction avec nous-mêmes. En effet, si je ne m'abuse, c'est en 1995 que l'on a admis l'entrée dans les PEA des titres non cotés.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Exact !
M. Philippe Marini. On l'a fait dans le but de faciliter l'investissement en fonds propres dans les petites et moyennes entreprises.
Bien entendu, l'absence de cotation est un facteur assez perturbant au regard du principe même du plan d'épargne en actions. Dès lors, vous nous proposez une sorte de substitut de marché : un taux normatif de rémunération du capital, en l'espèce 10 % du prix de revient des titres non cotés dont il s'agit.
Cela soulève des questions, des objections, que nous aurons l'occasion de formuler au cours du débat.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Nous comptons sur vous !
M. Philippe Marini. Pourquoi montrer du doigt ces titres non cotés et apprécier leur rentabilité en fonction du prix de revient, alors que, pour tous les titres qui sont échangés sur un marché, la rentabilité s'apprécie par rapport à la valeur que, précisément, établit le marché ?
Nous y reviendrons certainement au cours de la discussion des articles, mais vous me permettrez, monsieur le ministre, d'exprimer dès à présent...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Des doutes ?...
M. Philippe Marini. ... des doutes, en effet, quant au bien-fondé de la méthode.
Vous savez que des amis fidèles sont aussi des amis vigilants et que l'on ne peut s'appuyer que sur ce qui résiste un peu.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il y a les amis nobles et ceux qui le sont moins !
M. Philippe Marini. Vous ne doutez donc pas que c'est dans un esprit de confiance et pour inciter le Gouvernement à tenir compte de nos observations que nous formulons ces remarques, étant entendu que, sur les objectifs que vous affichez dans ce projet de loi de finances rectificative en matière de maîtrise des dépenses publiques, et aussi eu égard aux résultats que vous avez déjà obtenus, le soutien le plus total et le plus amical du groupe du Rassemblement pour la République vous est acquis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. le rapporteur général applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative traduit parfaitement, avec un optimisme qui n'est pas celui, bien sûr, qu'a manifesté notre collègue voilà un instant, la politique économique et budgétaire suivie par le Gouvernement, une politique inadaptée et injuste ne répondant pas aux difficultés de notre pays et, de plus en plus, sans direction précise. Ce n'est pas la grande soirée télévisée qui a eu lieu voilà quelques jours qui le dément.
En conséquence, le groupe socialiste émettra - ainsi, ce sera clair tout de suite - un vote négatif sur ce projet de loi de finances rectificative pour 1996.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Oh !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Nous sommes surpris !
M. René Régnault. Le budget pour 1996 avait été présenté par le Gouvernement comme un budget de rigueur respectant le cheminement de la réduction des déficits publics pour satisfaire aux critères européens et remédiant à la situation budgétaire qualifiée de « calamiteuse » - ce n'est pas à mon groupe que vous sauriez le reprocher - laissée par M. Balladur.
Le déficit budgétaire devait donc être réduit de 10 %, soit 32 milliards de francs, par rapport à celui de 1995, grâce notamment à une faible hausse des dépenses.
Aujourd'hui, vous nous présentez ce collectif, monsieur le ministre, en vous targuant d'avoir rempli votre contrat : le déficit a été maintenu dans l'épure initiale. Cependant, à y regarder de plus près, ce résultat a été obtenu de manière artificielle et négative pour l'économie de notre pays.
Pour faire face aux pertes de recettes fiscales causées par une faible croissance, dont vous êtes malheureusement en grande partie responsable, et à l'augmentation importante des dépenses, vous avez dû recourir, malgré une baisse des taux d'intérêt bienvenue et une réduction des prélèvements pour l'Union européenne, elle aussi bienvenue, à de très forte annulations de crédits dans des secteurs d'avenir ou bien nécessaires à l'emploi, à la solidarité et à la cohésion sociale. Vous avez même procédé à des prélèvements massifs sur des organismes publics.
En effet, le premier constat qui s'impose, c'est l'existence de moins-values fiscales : 23 milliards de francs. Quoi de plus normal quand la croissance, initialement prévue à 2,8 % - et encore, vous parliez l'année dernière de prévision prudente - devrait atteindre au mieux 1,3 % ? J'y reviendrai, car c'est là le coeur de la question. Je signale simplement que ces mauvaises rentrées fiscales proviennent essentiellement de la TVA - moins 22,1 milliards de francs - et des autres impôts indirects, tandis que vous enregistrez une hausse du produit de l'impôt sur les sociétés : plus 12,4 milliards de francs.
Ces évolutions contrastées de la TVA et de l'impôt sur les bénéfices illustrent une nouvelle fois ce que nous ne cessons de vous répéter : notre économie est confrontée à un problème de demande et non à un problème d'offre ; si les entreprises n'investissent pas et licencient, c'est bien par manque de débouchés et de confiance, et non du fait d'une insuffisance de profits.
Le second constat concerne la hausse des dépenses : on a constaté 51,1 milliards de francs de dérapages - 45,6 milliards de francs sur le budget général et 5,5 milliards de francs sur les comptes spéciaux. Les décrets d'avance du 10 avril et du 26 septembre dernier ont permis au Gouvernement de dégager 17,1 milliards de francs de crédits budgétaires nouveaux et ce collectif prévoit 33,4 milliards de francs d'ouverture de crédits nets, dont 27,9 milliards de francs sur le budget général.
Face à ces deux constats - baisse des recettes et hausse des dépenses - pour tenir le déficit, vous multipliez les prélèvements massifs sur les organismes publics et les annulations de crédits.
Le collectif fait en effet état d'une majoration de 21,5 milliards de francs de recettes non fiscales : reversement d'excédents de la COFACE et de la Banque française du commerce extérieur, la BFCE, pour 9 milliards de francs, versement supplémentaire au titre du fonds de garantie géré par la Caisse des dépôts et consignations, prélèvements opérés par les articles 1er et 2 du projet de loi. Au total, malgré les moins-values fiscales, les ressources nettes du budget général ont ainsi augmenté de 7,6 milliards de francs, soit 0,6 %.
Cette politique, qui consiste à multiplier les prélèvements sur les trésoreries des organismes publics, n'est pas saine : d'abord, parce qu'il s'agit de recettes non renouvelables ; ensuite, car loin d'être des « trésoreries dormantes », les réserves constituées par ces organismes auraient pu et auraient dû être utiles au financement de diverses actions. Ainsi, la taxe dite « sur les grandes surfaces » alimente le financement de l'allocation de départ des commerçants et artisans âgés ; elle alimente aussi le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales, le FISAC. Depuis cette année, elle peut également alimenter l'établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, l'EPARECA, les régimes vieillesse de base des professions industrielles, commerciales et artisanales, l'aide aux stations-service rurales.
Est-on certain que les prestations du FISAC sont suffisantes ? Est-on certain que les nouvelles missions bénéficient des financements nécessaires quand on sait que le FISAC est loin de compenser les réductions drastiques de crédits budgétaires pour les aides directes à l'artisanat, aux PME et PMI, qui constituent pourtant l'un des rares secteurs à pouvoir afficher un solde net de créations d'emplois ?
Ainsi, pour des motifs de présentation budgétaire de court terme, vous mettez en péril des actions publiques essentielles à l'aménagement du territoire, à la création d'activités et aux services de proximité.
Cette remarque s'étend aux concours aux collectivités locales : 1996 est la première année d'application du pacte de stabilité, ou pacte de récession locale consacrant, figeant des enveloppes préalablement amputées indûment.
Du fait de la stagnation des dotations, les collectivités locales se sont retrouvées prises dans un effet de ciseaux entre des recettes malmenées et des dépenses qui augmentent et des transferts de l'Etat insuffisamment compensés, voire pas compensés du tout. En conséquence, les élus locaux ont dû recourir à de fortes hausses de la fiscalité locale directe - plus de 18 milliards de francs - et ont dû simultanément réduire une nouvelle fois leurs dépenses d'équipement.
L'année 1996 se solde par de très fortes annulations de crédits : 36,5 milliards de francs, soit plus de 2 % des dépenses initiales.
Cela me conduit à formuler deux remarques.
La première porte sur la forme : cette procédure consistant à remettre en cause pour des montants importants le vote du budget quelques semaines après son adoption n'est pas acceptable.
La seconde porte sur le fond : les gels de crédits, puis les annulations remettent en cause des actions dans des secteurs d'avenir. Ils amputent des crédits nécessaires à l'emploi, à la solidarité et à la cohésion sociale.
Par exemple, sur le budget de la défense, le solde des annulations de crédits sur l'exercice 1996 s'élève à 8,5 milliards de francs, soit presque 10 % des crédits budgétaires votés en loi de finances initiale.
Il est évident que, malgré les promesses du Gouvernement et les engagements du Président de la République, le budget du ministère de la défense est toujours considéré comme une variable d'ajustement de la régulation budgétaire. Or cette politique aura des conséquences graves sur l'organisation des armées, sur la disponibilité des forces, sur la situation des entreprises industrielles, avec des retombées néfastes pour l'emploi.
Les ponctions réalisées sur le budget de l'équipement militaire compromettent sérieusement le plan de charge des entreprises de l'armement. On obère ainsi le redressement de ces entreprises et on met en danger des milliers d'emplois.
Il serait préférable que le Gouvernement joue la carte de la sincérité budgétaire au lieu de faire voter des budgets-mirages, ce qui ne peut qu'accroître le déficit de confiance.
Je citerai un autre exemple en l'empruntant à l'analyse fort judicieuse de ma collègue Danièle Pourtaud ; chacun connaît l'intérêt qu'elle porte à la culture, notamment.
Dans le domaine de la culture, nous avons également assisté à une série d'annulations de crédits. Nous venons tout juste d'achever l'examen du budget pour 1997 et voilà que nous sommes appelés à revenir sur celui de 1996 qui a déjà fait l'objet, je le précisais voilà un instant, de contorsions et de transferts. Or nous allons de nouveau l'amputer.
Et j'imagine que, dans deux mois à peine, nous aurons l'occasion de commencer à dépecer un peu plus les maigres crédits prévus pour 1997, comme ce fut le cas en 1996.
Il faut bien admettre que le budget n'est plus qu'un vague reflet des crédits réellement affectés. J'aimerais rappeler à votre mémoire ce fameux gel de février 1996 : 1,2 milliard de francs avaient été gelés sur les 15,54 milliards de francs du budget de la culture prévus par la loi de finances initiale, soit près de 5 %.
Le gel de crédits, monsieur le ministre, n'est pas sans conséquence, d'abord parce qu'il crée des situations qui sont économiquement intenables pour de petites structures : certains théâtres vont rendre l'âme. Quant aux structures plus importantes - grands théâtres, musées ou opéras - celles-ci doivent contracter des emprunts qui leur coûtent jusqu'à 10 %, voire 15 %, de leurs subventions.
Mais venons-en à ce qui suit très généralement le gel de crédits, c'est-à-dire leur suppression. En effet, sur les 1,2 milliard de francs gelés au début du mois de février, vous avez finalement annulé 800 millions de francs. Les professionnels de la culture s'étaient alors mobilisés à l'endroit même où M. Jacques Chirac, Président de la République, leur avait promis le « 1 % », c'est-à-dire au théâtre des Bouffes du Nord. Devant leur réaction, vous aviez été contraints de reculer.
Dans ce collectif budgétaire, la culture subit une annulation des crédits à hauteur de 438 millions de francs. A cela s'ajoute l'annulation intervenue en septembre dernier de 221 millions de francs. Au total, les annulations pour 1996 représentent donc 660 millions de francs. Les crédits de la culture disponibles en 1996 ont baissé de près de 4 %, alors que les annulations prévues par le collectif budgétaire représentent 2 % des dotations initiales du budget de l'Etat.
La culture est donc, une fois de plus, particulièrement touchée.
Le patrimoine est de nouveau la cible des mesures prises par le collectif budgétaire.
La Délégation au développement et aux formations est une fois de plus particulièrement touchée : l'annulation des crédits représente près de 3 %.
Notons, par ailleurs, qu'une nouvelle pratique est apparue pour la première fois dans ce collectif budgétaire : on annule des crédits pour gagner l'ouverture d'autres crédits. Je veux parler de l'ouverture des crédits en faveur des dations en paiement d'oeuvres d'art. Ce sont 21 millions de francs qui sont annulés sur le chapitre 43-40 « spectacle et développement culturel », pour venir soutenir le système de la dation en paiement d'oeuvres d'art.
Aussi, les annulations que vous nous proposez aujourd'hui, dans ce contexte général de diminution du budget de la culture, ne font-elles que préfigurer l'hécatombe des crédits de la culture pour 1997.
La semaine dernière, monsieur le ministre, les professions de la culture se sont mobilisées pour défendre l'existence de la création vivante dans toutes sa richesse et sa diversité, ainsi que l'un de ses rouages essentiels aujourd'hui en France ; je fais allusion au système de l'indemnisation des « intermittents du spectacle ».
Ceux-ci sont descendus dans la rue ; ils ont occupé les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC. Leur mouvement est loin d'être terminé et il serait grand temps, monsieur le ministre, de prêter l'oreille à ceux qui grondent dans le monde de la culture, et d'ailleurs, plus généralement, dans la société. Là encore, c'est une bien mauvaise façon de préparer l'avenir !
Ces artifices et ces ponctions n'ont, en fait, qu'un seul objectif : cacher l'échec de votre gestion des finances publiques.
Depuis 1993, en dépit de la manne des privatisations - 140 milliards de francs - et des augmentations d'impôts sans précédent - 200 milliards de francs - les déficits publics sont toujours très élevés. Et cette législature aura vu une hausse de pratiquement 50 % du service de la dette !
Lorsque nous comparons nos résultats depuis 1993 avec ceux de nos partenaires économiques, un constat s'impose irréfutablement : nos résultats en termes de finances publiques sont de loin les plus mauvais.
Votre politique budgétaire aggrave la mauvaise santé de notre économie, mauvaise santé dont vous êtes, malheureusement, en grande partie responsable.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Oh !
M. René Régnault. Eh oui !
Notre pays est, en effet, en situation quasi récessionniste...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il est vrai que vous n'acceptez les héritages que sous bénéfice d'inventaire !
M. René Régnault. Cela ne marche plus ! Il n'y a plus personne pour vous croire, même pas vous ! L'héritage a bon dos, mais, depuis 1993, vous êtes au pouvoir ! Et vous y étiez peu de temps auparavant !
Je rappelais tout à l'heure qu'on avait qualifié la gestion qui avait précédé 1995 de « calamiteuse ». L'expression n'est pas de moi, je le souligne au passage !
Je disais donc que notre pays est en situation quasi récessionniste depuis l'arrivée de M. Chirac à la présidence de la République, avec un taux de croissance annuel de 1 % environ. M. le ministre de l'économie et des finances demeure, malgré tout - c'est l'une de ses qualités - envers et contre tout, optimiste puisqu'il a déclaré, au vu des résultats du troisième trimestre, que la croissance prenait de la consistance. Tout est dans la formulation et, comme diraient certains, l'essentiel, c'est d'y croire. Hélas ! sa conviction est peu partagée.
Malheureusement, ce résultat est en partie artificiel car il résulte, d'une part, d'un nombre de jours ouvrables favorable à l'activité et d'un pic de consommation généré par la fin de la « jupette » et, d'autre part, d'une bonne tenue de nos exportations du fait d'une reprise de la demande étrangère, ce qui ne doit pas être observé sans intérêt.
En conséquence, les conjoncturistes, comme l'INSEE, signalent qu'il n'y a toujours aucun signe tangible de reprise de l'activité ; ils tablent même sur un ralentissement de l'activité au cours des trois prochains mois et sur une croissance toujours et désespérément faible l'année prochaine.
Monsieur le rapporteur général, vous êtes vous-même peu optimiste, finalement.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ah bon ?
M. René Régnault. En appréciation générale, vous précisez que « notre évolution économique est déconcertante ». Mais, à vous lire - et je veux rendre hommage à la partie conjoncturelle de votre rapport, fort instructive, à la lecture de laquelle j'ai pris beaucoup d'intérêt - je ne trouve pas l'explication concordante.
Nous ne pouvons que faire le constat de la baisse du pouvoir d'achat de la majorité de nos compatriotes...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Là, vous ne me citez plus ; c'est votre propos !
M. René Régnault. C'est en effet mon propos, et vous avez raison de le souligner.
Nous ne pouvons que faire le constat, disais-je, de la baisse du pouvoir d'achat de la majorité de nos compatriotes - vous auriez pu le dire vous-même - celui-ci ne croissant que de 0,2 % en 1996 pour l'ensemble de la population. Conséquence logique : la demande demeure tendanciellement plate. L'INSEE prévoit une consommation très faible au premier semestre de 1997. D'où, autre conséquence logique, l'atonie de la demande qu'influencent négativement les perspectives de production, d'où absence de restockage et faible investissement.
Et cela, alors que nous constatons une importante appréciation du taux de marge des entreprises, ainsi que de leur taux d'épargne. Mais, et je vous cite, « les entreprises ont privilégié le choix, d'une part, d'accroître le volume de leurs acquisitions nettes d'actifs incorporels, d'autre part, d'améliorer leur capacité de financement ».
Tout cela converge, malheureusement, sur l'emploi avec la poursuite de l'accroissement du chômage. Depuis septembre 1995, le solde net est négatif. Au troisième trimestre, l'emploi salarié a même baissé de 0,1 %, soit 16 000 pertes nettes d'emplois sur les trois premiers trimestres de 1996. Rappelons que, vous aviez prévu, dans votre présentation du budget pour 1996, 300 000 créations nettes d'emplois. Là aussi, le déficit est considérable.
Et tout cela, comme le mentionne également fort justement M. le rapporteur, rend beaucoup plus difficile la réduction des déficits ; c'est évident. Autrement dit, il convient de changer non seulement de politique, mais aussi d'articulation entre les éléments qui la composent.
Les enchaînements sont donc malheureusement mécaniques. Et comme il faut dépasser le simple constat, monsieur le rapporteur, il convient de relier ces évolutions à la politique économique et budgétaire des gouvernements de MM. Balladur et Juppé. En faisant subir un choc fiscal par deux fois en quatre ans aux ménages, vous avez clairement cassé la croissance en amputant le pouvoir d'achat des Français, notamment des plus modestes, ce qui a aggravé le cercle vicieux que j'ai décrit : une consommation faible entraîne une atonie de la production et des investissements des entreprises, ce qui implique une hausse du chômage, une aggravation des déficits et une consommation faible.
Et comme il faut également en tirer des conséquences - sur ce point, on note un certain vide dans votre rapport - ces enchaînements conduisent à deux constats et à une conclusion.
Premier constat : la situation financière de nos entreprises n'est pas globalement un problème. Elles ont les disponibilités pour investir, embaucher et développer leur production.
Second constat : le problème, c'est la demande, et donc le pouvoir d'achat.
D'où la conclusion qui s'impose : il faut relancer la demande, et non poursuivre la multiplication des aides aux entreprises. Pourtant, vous faites le contraire.
Le rapport de notre excellent collègue Bernard Barbier, que l'on ne peut pourtant accuser d'avoir un faible pour les propositions socialistes,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Dieu l'en garde !
M. René Régnault. ... est clair à cet égard. Il met en évidence un problème macro-économique spécifique à la France : « Ce problème réside dans la faiblesse du revenu et de la consommation des ménages. » Et il explicite les conséquences : une croissance plus faible que chez nos partenaires, l'obligation d'un troisième choc fiscal pour rester dans le pacte de stabilité budgétaire européen qui vient d'être adopté à Dublin, 279 000 chômeurs de plus au minimum sur les trois années 1996 à 1998. Mes chers collègues, il est nécessaire de changer de politique. Or M. Chirac, qui doit bien s'apercevoir de ces enchaînements, semble pétrifié devant son échec. Sa prestation télévisée a fait apparaître ce grand vide. Incapable de reconnaître son fourvoiement et de proposer un nouveau cap, il a préféré rendre les Français responsables des mauvais résultats. Cette absence de cap est particulièrement grave, car cela accroît la désespérance de nos compatriotes. Mais cela montre que pour changer de politique il faudra changer de majorité. C'est ce à quoi les socialistes, à travers des propositions sérieuses, s'emploient, et ce à quoi les Français se préparent.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Lentement !
M. René Régnault. Non, ils s'y emploient raisonnablement et sérieusement. Les Français au fil des jours comparent, et il est désormais clair qu'il existe une vraie différence, et elle est très nette. On l'a vu lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1997. On le voit aussi dans la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1996. Il y a donc bien deux politiques possibles et c'est ce à quoi les Français sont invités à réfléchir.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il y a une politique concrète et un rêve !
M. René Régnault. D'ailleurs, jour après jour, ils portent un intérêt de plus en plus grand aux propositions formulées par les socialistes. C'est la raison pour laquelle ils se préparent au changement, à l'alternance.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il faut trouver le financement !
M. René Régnault. Absolument, et on prendra l'argent là où il existe !
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances rectificative est le document de fin de budget qui fait le point sur l'exécution de ce budget et apporte les modifications nécessaires aussi bien en recettes qu'en dépenses.
Sur la méthode, il n'y a rien à dire, mais s'agissant du fond on peut s'interroger sur l'importance des bouleversements proposés par le Gouvernement qui, en fait, induisent un autre budget, ce qui pose le problème de la validité du budget voté et du rôle de contrôle du Parlement.
Quatre séries de mesures figurent dans le présent projet de loi.
Une première série de mesures consiste en la levée de ressources nouvelles, décrites dans les premiers articles du projet de loi, fondées sur quelques prélèvements au profit de l'Etat et aux dépens d'organismes publics ou para-publics.
Une deuxième série de mesures porte sur les arrêtés d'annulation des crédits d'un montant particulièrement élevé - plus de 40 millions de francs - qui viennent corriger les données de la loi de finances initiale de 1996 et portent atteinte, quant au fond, aux pouvoirs réels de la représentation nationale en matière de détermination des engagements de l'Etat et de définition des priorités de la politique publique.
Une troisième série de mesures comprend, pour sa part, des mesures de levée de recettes d'ordre et de recettes non fiscales qui posent d'importantes questions en termes de logique d'intervention de l'Etat.
Ainsi en est-il des prélèvements opérés sur la COFACE, la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, et la Banque française du commerce extérieur, dont le montant gage très largement les annulations de dettes des pays les moins avancés prévues à l'article 23 du présent projet de loi.
La quatrième série de mesures porte sur un certain nombre de dispositions tendant à valider des décisions contestées en juridiction administrative contentieuse et à ouvrir quelques postes supplémentaires de dépense fiscale pour le moins sujets à caution.
Ces quatre types de mesures sont le témoignage d'une politique budgétaire qui s'essouffle devant les difficultés que constituent les critères de convergence européens.
A en croire l'exposé des motifs du projet de loi, tout cela vise, évidemment, à permettre à notre pays de se retrouver dans le peloton de tête de la monnaie unique.
En conclusion, l'exposé des motifs précise en effet : « Avec ce projet de collectif, le Gouvernement se donne les moyens de respecter les objectifs de redressement des finances publiques fixés dans la perspective de l'Union économique et monétaire. Le besoin de financement des administrations publiques devrait pouvoir être contenu à 4 % du PIB comme initialement prévu. Les objectifs de réduction du déficit des administrations publiques seraient ainsi respectés pour la deuxième année consécutive - 4,85 % du PIB en 1995 - illustrant le redressement vigoureux engagé depuis le printemps 1995. »
Une telle appréciation de la situation paraît pour le moins un peu audacieuse, comme je vais, au nom de mon groupe, m'efforcer de le démontrer.
Nous devons d'abord nous interroger sur l'évolution des recettes fiscales de l'Etat.
C'est un euphémisme de dire que les prévisions de croissance inscrites dans la loi de finances initiale de 1996 ont été largement surestimées et que cette situation a, entre autres conséquences, pour effet de corriger l'ensemble des recettes fiscales réelles de l'Etat.
Les moins-value fiscales sont particulièrement importantes puisqu'elles dépassent 20 milliards de francs, pour l'essentiel imputables à la chute des recettes nettes de taxe sur la valeur ajoutée, ce qui démontre de manière spectaculaire la validité de notre opposition à la majoration du taux normal de cette taxe.
Comme nous le dénoncions en juillet 1995 et comme le dénoncaient les plus sérieux instituts de conjoncture, cette évolution de la TVA a eu clairement un effet récessif puissant, qui est aujourd'hui payé par l'ensemble de la collectivité.
Deuxième évolution : celle de l'impôt sur le revenu qui ne ressort pas, dans les faits, d'une évolution du revenu des ménages et notamment des ménages salariés, mais découle plutôt d'une surimposition de certains contribuables, notamment les célibataires et les divorcés, du fait d'une modification des règles du quotient familial.
Il n'est pas exclu de penser que, de fait, le taux de pression fiscale sur les ménages aura finalement augmenté en 1996, ce qui s'est traduit en particulier dans l'évolution complexe de la consommation populaire.
Il est, par ailleurs, significatif de relever que les revenus financiers, qui demeurent largement sous-imposés, ne peuvent masquer la poursuite de leur accroissement relatif dans les ressources des ménages.
Ainsi, si le produit de l'impôt de bourse, qui ne porte que sur une partie des revenus du capital, continue de baisser, les prélèvements libératoires sur les revenus concernés s'accroissent de près de 3 milliards de francs, soit un écart de 20 % par rapport à la loi de finances initiale, et une progression plus importante que celle du rendement de l'impôt sur le revenu.
Les recettes non fiscales du budget connaissent une évolution spectaculaire, avec une hausse de plus de 21,5 milliards de francs.
Cette hausse est imputable au prélèvement de 7,1 milliards de francs sur la COFACE et de 1,2 milliard de francs sur la BFCE, et à d'autres mesures d'ajustement liées aux pensions et aux dotations des collectivités locales.
Il comprend aussi un prélèvement de 3,4 milliards de francs sur les ressources du fonds de rémunération de la garantie de l'Etat sur les livrets d'épargne populaire, prélèvement pour le moins anticipé sur le résultat du déblocage des sommes déposées sur ces livrets, que le projet de loi de finances pour 1997 permet.
Le niveau des recettes d'ordre demeure donc particulièrement élevé et traduit que les astuces comptables - dénoncées hier à l'encontre des gouvernements d'avant 1993 et que, pour notre part, nous n'approuvions pas - continuent d'être utilisées par le présent Gouvernement.
Nous avons déjà souligné qu'il vaudrait mieux utiliser ces fonds pour alléger les taux d'intérêt servis aux emprunteurs mobilisant les ressources du livret A, des plans d'épargne logement ou des plans d'épargne populaire, mesure qui aurait en particulier pour conséquence de faciliter l'allégement de la contrainte financière pesant sur certaines opérations de construction de logements, de réalisation d'équipements locaux ou d'infrastructures indispensables à la satisfaction des besoins collectifs.
On doit enfin noter que, conformément aux règles de définition de la participation de la France au budget communautaire, le versement du budget général au budget de l'Union est corrigé de 7,8 milliards de francs et que le ralentissement des investissements des collectivités locales corrige de 1 milliard de francs le montant des sommes engagées au titre du fonds de compensation pour la TVA.
Observons à ce propos que, là encore, le projet de loi de finances pour 1997 est frappé de caducité, puisque la participation de notre pays au budget communautaire est, en fait, majorée de 6,8 milliards de francs si l'on prend en compte le collectif pour 1996.
Je voudrais maintenant dire quelques mots du problème des dépenses publiques.
Le montant des sommes engagées à l'origine dans le budget général était, en effet, de 1 558 milliards de francs. Le collectif porte le montant des dépenses budgétées au régime général à environ 1 573 milliards de francs. Le montant des dépenses budgétées par le projet de loi de finances pour 1997 s'établit, pour sa part, à environ 1 582 milliards de francs. Dans les faits, cela signifie que le mouvement de progression attendu des dépenses est donc de quelque six dixièmes de point entre le collectif et le budget pour 1997.
En réalité, une fois de plus, les ouvertures de crédit du collectif viennent remettre en question les crédits votés lors de la discussion de la loi de finances initiale.
L'exemple du budget du logement le montre de façon spectaculaire.
Outre le glissement vers les comptes d'affectation spéciale d'une part des dépenses liées au financement du prêt Périssol et à la participation de l'Etat au fonds de solidarité logement, que nous avons dénoncée lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1997, le budget pour 1997 minore à dessein le montant des dépenses d'aides personnelles au logement et consacre la baisse des crédits d'aide à la construction et à la réhabilitation de logements.
Ainsi, il manque plus de 2 milliards de francs au budget de 1997 pour être simplement au niveau du montant corrigé des financements en faveur de l'aide personnalisée au logement et de l'allocation au logement, tel qu'il ressort du collectif.
Dans le même temps, les arrêtés d'annulation de crédit des 26 septembre et 13 novembre consacrent l'annulation de près de 2 milliards de francs en autorisations de programme pour les prêts locatifs aidés, les PLA, et les primes à l'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale, les PALULOS et de plus de 1,4 milliard de francs en crédits de paiement.
Qui va payer le prix de ces évaluations budgétaires ? Ce seront, d'une part, les familles et allocataires des aides personnelles au logement, victimes de contrôles de plus en plus tatillons, du gel du barème, de la suppression de la prise en compte des frais de garde d'enfants, toutes mesures d'ordre réglementaire mises à l'ordre du jour et, d'autre part, la caisse nationale d'allocations familiales, qui devra faire face à des charges de trésorerie liées à la baisse des concours de l'Etat.
Verrons-nous le collectif de 1997 corriger, comme la tradition le veut, le montant prévisionnel des crédits et le majorer pour l'ajuster aux besoins ?
Devrons-nous constater, lors d'opérations de réhabilitation ou de construction de logements sociaux, le désengagement de l'Etat, notamment dans le cadre des grandes opérations pluriannuelles de rénovation des grands ensembles locatifs sociaux ?
Que les choses soient dites, une bonne fois pour toutes : la baisse de la dotation PLA-PALULOS engendre un renchérissement des opérations de construction et de réhabilitation de logements sociaux, qui entraîne lui-même une hausse des loyers de sortie des opérations et une pression supplémentaire sur le niveau de prise en charge des loyers par les aides personnelles.
Cette politique de gribouille continue et pose une question de fond récurrente et valable pour bien des dépenses publiques : où doit intervenir la dépense publique ? En amont ou en aval ?
Cette évolution des dépenses publiques nous interpelle d'ailleurs sur bien d'autres aspects.
Les annulations de crédits que l'on nous propose d'avaliser posent, je l'ai dit, le problème du contrôle de la représentation parlementaire sur la politique budgétaire de la nation.
Nous sommes donc contraints de porter un regard particulier sur deux autres arrêtés d'annulation du 26 septembre et du 13 novembre 1996. Le premier de ces arrêtés porte sur plus de 10 milliards de francs de dépenses budgétaires, et le second sur plus de 30 milliards de francs.
Outre les ajustements habituels de dépenses de personnel liées aux vacances de postes budgétés ou au non-remplacement d'agents mis à la retraite, l'arrêté du 26 septembre 1996 entérine des réductions importantes de crédits du titre IV, concernant, par exemple, le ministère des affaires étrangères et de la coopération pour près de 300 millions de francs, le ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation pour les mêmes montants, le ministère de la jeunesse et des sports pour 50 millions de francs, les aides à la presse pour près de 200 millions de francs.
J'ai déjà parlé des mouvements opérés sur les crédits du titre VI du budget du ministère du logement, qui est le ministère le plus mis à contribution.
L'arrêté du 13 novembre 1996 porte, lui, sur des sommes particulièrement élevées : plus de 30 milliards de francs en prenant en compte les opérations des comptes d'affectation spéciale. Une part importante de ces annulations porte sur le budget des charges communes.
Si l'on peut se féliciter de la baisse du coût de la dette publique - plus de 9 milliards de francs - et constater que les moins-values fiscales ont mécaniquement un effet sur le niveau des dégrèvements et remboursements d'impôts - ici essentiellement la taxe sur la valeur ajoutée - on doit aussi relever de nouvelles coupes claires dans les dépenses publiques qui ne manquent pas de nous inquiéter, monsieur le ministre.
Ainsi, plus de 200 millions de francs de dépenses d'intervention et de crédits d'équipement sont-ils annulés pour la coopération.
Les mêmes dépenses du ministère de l'agriculture sont allégées de plus de 200 millions de francs, tandis que, par exemple, le budget de la culture est corrigé de près de 400 millions de francs en dépenses d'intervention et en crédits d'équipement. Sur ce poste, les réductions affectent l'aide au spectacle vivant et le financement de la rénovation du patrimoine monumental.
Je ne reviendrai sur les crédits du logement que pour constater que l'Etat se désengage totalement dans ce collectif de sa participation à l'ensemble des prêts d'accession à la propriété.
Il serait sans doute fastidieux de faire le bilan de toutes les coupes budgétaires opérées dans ce collectif, coupes qui traduisent en fait l'arbitraire de la logique comptable au détriment des fondements de la gestion publique, lesquels ne devraient être que la satisfaction des besoins collectifs que le marché est incapable de prendre en charge.
Ce projet de loi de finances rectificative traduit de mauvais choix et met clairement en porte à faux ce que nous venons à peine de voter dans le cadre de la loi de finances initiale. L'examen de ses dispositions réduit à leur juste mesure tant les caractères de la rénovation de la discussion budgétaire que l'opération poudre aux yeux du débat d'orientation du printemps.
Cet examen consacre l'assujettissement de notre pays aux contraintes imposées par les marchés, dans le cadre de l'Europe de Maastricht.
Il confirme que les choix budgétaires ont favorisé la récession, source de nouvelles difficultés pour les ménages modestes, les comptes publics et l'économie en général.
Il appelle clairement à une autre politique budgétaire et fiscale, une autre démarche de l'action gouvernementale, qui ne saurait d'ailleurs, à en croire le Président de la République lui-même, venir que d'un changement politique plus profond.
Il est temps pour le peuple de France qui travaille, qui lutte et qui souffre, de pouvoir atteindre plus vite, non pas les critères de convergence, mais une politique nouvelle de progrès et de justice sociale. Cette autre politique est possible ; elle est chaque jour revendiquée : dans les luttes des chauffeurs routiers, des conducteurs de bus, des intermittents du spectacle, des salariés de Thomson, des employés du Crédit foncier.
Elle est indispensable pour les millions de nos compatriotes qui sont privés d'emploi ou qui font la queue, depuis lundi dernier, aux restaurants du coeur.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen se font les porteurs de ces exigences fortes et voteront donc résolument contre le projet de loi de finances rectificative pour 1996. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cette heure relativement avancée, je limiterai mon propos à quelques réflexions.
J'entends bien que le projet de loi de finances rectificative pour 1996 confirme plutôt la loi de finances initiale et que vous maintenez à 288 milliards de francs, pour 1996, le solde budgétaire, ce qui représente 3,65 % du produit intérieur brut. Tout cela va dans un sens que nous approuvons, qui est celui de la réduction programmée du déficit de l'Etat.
Même si nous constatons qu'un certain nombre de recettes n'atteignent pas exactement le niveau que nous souhaiterions, l'objectif global est tout à fait acceptable : nous sommes bien sur le chemin de l'assainissement des comptes publics, car l'année 1996 voit l'équilibre général adopté voilà un an quasiment respecté.
Cependant, monsieur le ministre, force est quand même de constater que le solde du budget général est dégradé d'environ 7 milliards de francs. La réduction du solde des opérations temporaires ne trouve sa contrepartie directe que dans l'aggravation du déficit des opérations définitives.
Il y a là un point sur lequel on peut s'interroger. La loi de finances initiale n'est certes pas modifiée en profondeur, nonobstant des moins-values fiscales non négligeables. En effet, les moins-values de TVA restent un élément important, permanent et pesant dont nous connaissons la signification, et certaines plus-values fiscales dues à l'impôt sur les sociétés ou à la taxe intérieure sur les produits pétroliers demeurent encore hypothétiques.
Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur la compensation des moins-values de recettes fiscales par une hausse significative de la contribution des recettes non fiscales de 21,6 milliards de francs. En particulier, le présent projet de loi de finances rectificative prévoit 7,1 milliards de francs de prélèvement sur la COFACE, la compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur, en contrepartie des dotations que l'Etat a été contraint de faire à cette dernière avant 1993.
Or, mes chers collègues, la COFACE, tel Janus, a deux faces, deux aspects qu'il est évidemment facile, voire légitime de distinguer : d'une part, en tant que société privée d'assurance, elle a pour rôle de couvrir certains risques en matière d'échanges commerciaux internationaux ; d'autre part, elle a pour mission d'appuyer nos exportateurs.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, même si le fonctionnement juridique du retour à l'Etat de 7,1 milliards de francs peut s'expliquer - ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cela se produit, car, autant que je me le rappelle, des prélèvements du même ordre ont eu lieu au début des années quatre-vingt - on peut néanmoins s'interroger sur le fait que vous n'ayez pas eu une vision plus dynamique de l'ensemble de cette institution.
Au moment de la discussion du projet de loi de finances pour 1997, monsieur le ministre, je m'étais permis de vous dire que vous n'aviez pas l'air de croire à votre propre budget et que, si vous nous proposiez un certain nombre de mesures dont vous espériez des effets efficaces, vous n'en prévoyiez pas les retombées.
La COFACE est excédentaire d'au moins 7 milliards de francs. Vous en « pompez » une partie, moeurs qui s'apparentent à ce qui se passe depuis quelque temps avec la CNRACL, la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, et que certains mauvais esprits assimilent à un pompage permanent.
Mais je suis bien obligé de constater que la même COFACE, s'agissant de son second volet, à savoir l'appui aux exportateurs, se comporte de façon telle, probablement pour des raisons budgétaires - mais c'était peut-être le moment de se poser des questions - que nos exportateurs ne se sentent pas suffisamment soutenus.
Monsieur le ministre, une interpellation majeure se profile derrière ma constatation : la COFACE travaille avec des lenteurs, des prudences, des tarifications excessives, voire des refus opposés à ceux de nos exportateurs qui essaient de placer notre pays sur des marchés qui sont difficiles pour l'instant mais prometteurs à terme. Je pense en particulier...
M. Emmanuel Hamel. A l'Asie du Sud-Est !
M. Paul Girod. ... à toute l'Europe de l'Est.
Sur l'Asie du Sud-Est, monsieur Hamel, la COFACE se comporte dans des conditions assez strictes, mais à la limite acceptables. Mais tel n'est pas le cas sur l'Europe de l'Est. Je veux bien que, pour des motifs politiques, on se lance sur des commerces restaurés avec l'Iran - à cet égard, la COFACE n'a pas fini d'enregistrer des pertes ! - mais je pense que, face au géant allemand, nous aurions intérêt à faire en sorte que la COFACE se comporte autrement, qu'elle revienne sur ses lenteurs, sur ses tarifications excessives, qu'elle examine avec un peu plus de souplesse ses motifs de refus. En effet, nous sommes en train de laisser nos concurrents s'établir de manière solide - et, je le crains, définitive - sur des marchés dont nous aurions pu retirer à terme un certain nombre de satisfactions.
En réponse à une question de M. Georges Durand, député, M. Galland, ministre du commerce extérieur a dit récemment que 70 milliards de francs d'excédents commerciaux généraient au minimum 25 000 emplois de plus. A 180 000 francs du coût moyen du chômeur, cela économiserait déjà 4,5 milliards de francs.
Croyez-vous vraiment, monsieur le ministre, que, si nous avions réaffecté à la partie privée les 7 milliards de francs que vous reprenez à la COFACE, nous n'aurions pas été capables de générer 70 milliards de francs d'excédents commerciaux ?
M. Emmanuel Hamel. On a plus !
M. Paul Girod. Bien entendu ! Mais tout le monde se satisfait du solde positif de 70 milliards de francs que nous avions fin octobre. Excusez-moi, mes chers collègues, mais, pour ma part, je ne me satisfais pas de ce chiffre. J'ai tendance à penser que, si notre politique était un peu plus dynamique et si la COFACE était un peu plus efficace, on pourrait peut-être se dire qu'un excédent commercial de 70 milliards de francs, c'est peu, et qu'un solde de 140 milliards de francs serait mieux ; un certain nombre d'emplois seraient alors probablement restaurés par le biais d'exportations, même si certaines d'entre elles comportent des risques. Or, à la suite de la politique menée, ce sont toutes les exportations sur certaines destinations qui sont bloquées.
Monsieur le ministre, il y a sur ce point un élément sur lequel je souhaiterais que le Gouvernement réfléchisse davantage : je sais bien que le retour des 7,1 milliards de francs sont sur une autre partie de la caisse de la COFACE. Mais, encore une fois, il aurait mieux valu, à mon avis, s'interroger sur un réemploi autre que l'abondement du collectif. En effet, la COFACE n'a pas pour rôle de régler les problèmes de collectif !
On dit que trop d'impôt tue l'impôt. C'est vrai, mais je crains beaucoup, monsieur le ministre, que trop de précautions ne tuent dans l'oeuf ce qui est probablement une des rares dimensions qui pourrait offrir de l'espoir à nos compatriotes.
Encore une fois, ayez une politique plus dynamique ! Je vous ai demandé, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1997, d'oser, pas de doser ! Je crois que nous avions là une possibilité de le faire mais que, pour des raisons, je le crains, trop étroitement comptables, on n'ait pas pensé à le faire à temps.
Je préférerais, monsieur le ministre, 4,5 milliards de francs de moins sur le budget du chômage, 70 milliards de francs d'excédents en plus et 25 000 emplois sauvés avec une dynamique recréée, plutôt que l'équilibre strictement comptable d'un collectif budgétaire, si talentueusement établi soit-il.
M. Emmanuel Hamel. Un Drang nach Osten à la française !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux principaux orateurs, je voudrais remercier le président et le rapporteur général de votre commission des finances, et je tiens en particulier à féliciter ce dernier de l'excellent travail qu'une fois de plus il a fait.
Il y a quelques semaines, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 1997, le ministre de l'économie et des finances et moi-même avions indiqué au Sénat que le cap du redressement durable de nos finances publiques était maintenant clairement fixé. Ce projet de collectif en est une nouvelle illustration.
Oui, monsieur Régnault, ce budget traduit en effet la politique économique du Gouvernement.
M. Régnault a ironisé. Je crois que le représentant du groupe socialiste est mal placé pour le faire ! N'appartient-il pas à la majorité qui, à l'époque, a préparé et négocié le traité sur l'union monétaire européenne ? C'est en effet la délégation française, contrairement à ce que l'on dit parfois, qui a alors demandé que, parmi les critères d'éligibilité à l'union monétaire, figure le déficit public. Et ce critère a été fixé, à ce moment-là, à 3 %.
A l'époque, en 1991, le déficit public de la France était de 1,5 % du produit intérieur brut. Et, quand le parti socialiste a quitté le pouvoir, en 1993, il était de 6 % du PIB.
Nous revenons à 4 % cette année,...
M. René Régnault. Ce n'est pas vrai !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... mais il est naturellement plus difficile de remonter un col que de le descendre !
M. René Régnault. C'est trop gros pour qu'on puisse le croire !
M. Philippe Marini. C'est la vérité !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Avec cette politique budgétaire, nous arrivons à réduire progressivement les déficits.
Comme cela a été relevé par tous les orateurs, soit pour s'en féliciter - et je remercie à cet égard les orateurs des groupes de la majorité - soit pour le déplorer, nous arrivons à maintenir le déficit, au franc près, au niveau qui avait été voté par le Parlement, soit à 288 milliards de francs.
Dans ce collectif, comme cela a été dit par M. le rapporteur général, les dépenses supplémentaires s'élèvent, en montant net, à 3,3 milliards de francs. Ce solde recouvre des ouvertures nouvelles de crédits à hauteur de 23,2 milliards de francs, compensées pour un peu moins de 21 milliards de francs par l'élimination de charges.
Parmi les dépenses nouvelles figure le renforcement de notre secteur public. C'est un point sur lequel M. Lambert comme M. Marini ont souhaité obtenir des renseignements supplémentaires.
Nous proposons d'ajouter une dotation supplémentaire en capital de 4,9 milliards de francs, ce qui nous permettra d'affecter aux entreprises publiques près de 36 milliards de francs en 1996, 8,7 milliards de francs provenant de ressources budgétaires et le reste correspondant au produit de la cession de titres.
Depuis le début de l'année, 12 milliards de francs de dotations en capital ont été versées aux entreprises publiques, principalement au bénéfice d'Air France, de Giat-Industrie et de la Société marseillaise de crédit. Les 24 milliards de francs restants permettront à l'Etat de respecter les engagements qui ont été d'ores et déjà pris ou qui sont envisagés envers des entreprises telles que la Compagnie générale maritime, qui vient d'être privatisée et qui a été recapitalisée à hauteur de 500 millions de francs, Thomson, groupe pour lequel il est prévu une recapitalisation de 11 milliards de francs - même si les modalités et le calendrier de la privatisation ont été revus dans les conditions que vous savez - envers la Société française de production, à hauteur de 1,1 milliard de francs, ainsi qu'envers les structures de défaisance du Comptoir des entrepreneurs et du Crédit lyonnais, et pour le remboursement à la Caisse des dépôts de l'OPA qu'elle a lancée dans le cadre de l'opération du sauvetage du Crédit foncier de France.
Afin de pouvoir, le cas échéant, verser l'intégralité de ces sommes sur l'exercice budgétaire 1996, la proposition faite par le Gouvernement de déplafonner le montant des recettes de cession de titres affectés aux dotations en capital et avances d'actionnaires aux entreprises publiques constitue une absolue nécessité.
Nous pourrons, demain, en examinant l'article correspondant, apporter plus de précisions pour répondre aux questions qui ont été posées, notamment, par M. le rapporteur général.
En ce qui concerne par ailleurs les dépenses nouvelles proposées par le collectif, outre ces dotations supplémentaires aux entreprises publiques, nous tirons les conséquences du succès de la prime automobile et nous ouvrons un crédit supplémentaire - je le dis en particulier à Mme Beaudeau, qui s'est inquiétée à ce sujet - de 4,7 milliards de francs en faveur des aides personnelles au logement.
M. Emmanuel Hamel. Ce n'est pas rien !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Les autres majorations de crédits concernent des domaines que, malheureusement, nous ne pouvons pas éluder, qu'il s'agisse de la subvention d'équilibre à la SNCF ou à la RATP pour le réseau banlieue - 1,1 milliard de francs - ou des surcroîts de rémunérations résultant de la conduite d'opérations extérieures en matière de défense.
En ce qui concerne les allégements de charges qui permettent de financer ces dépenses supplémentaires, M. Lambert et M. Marini ont bien voulu relever les effets positifs de la baisse des taux d'intérêt et d'une gestion plus dynamique de la dette. C'est un point sur lequel votre commission des finances a toujours insisté à juste titre.
Cette baisse des taux d'intérêt nous aura permis, par rapport à la loi de finances initiale, de réduire notre facture de plus de 6,4 milliards de francs.
Par ailleurs, nous avons procédé à des annulations de crédits qui n'ont rien d'artificiel, monsieur Régnault - je ne vois pas pouquoi vous avez utilisé cet adjectif - et qui, naturellement, nous ont conduits à demander des efforts à tous les ministères, en particulier à réduire les dotations qui étaient manifestement sous-utilisées.
C'est le cas, notamment, du FISAC, et je renvoie à cet égard M. Régnault au rapport très riche et très documenté de la commission des finances : il y constatera qu'à la fin de cette année le FISAC aura 652 millions de francs de réserves.
C'est le cas aussi du ministère de la culture, et je voudrais dire à M. Régnault que, si nous avons été conduits à différer certains équipements après nombre d'années au cours desquelles le ministère de la culture s'était livré à de très gros et très prestigieux travaux - certains ont d'ailleurs été inaugurés aujourd'hui même - nous avons maintenu, et donc dégelé en cours d'année les crédits d'intervention.
Enfin, en ce qui concerne l'agriculture, Mme Beaudeau a regretté une annulation de 200 millions de francs de crédits. Vous aurez cependant observé que, en contrepartie, pour lutter contre les conséquences économiques de la crise de la « vache folle », nous vous proposons d'ouvrir 700 millions de francs de crédits sur l'agriculture.
M. René Régnault. Cela, c'est bien !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. En ce qui concerne les recettes, ce collectif permet d'enregistrer une amélioration globale de 3,2 milliards de francs, avec une évolution contrastée des recettes fiscales et non fiscales. Mais je n'insiste pas, puisque M. le rapporteur général en a donné le détail.
Je voudrais rassurer Mme Beaudeau et lui dire que les allégements de charges que nous enregistrons dans ce projet de collectif ne rendent pas du tout caduques nos prévisions pour 1997 pour ce qui concerne notre contribution à l'Union européenne.
S'agissant de la fiscalité du PEA, j'ai bien entendu ce qu'a indiqué M. Marini. Mais nous aurons l'occasion de poursuivre demain un débat que nous avions déjà engagé sur ce sujet important lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1997.
M. Paul Girod a évoqué longuement les problèmes de la COFACE.
Pour ma part, je me réjouis de voir que la COFACE, qui n'est plus publique mais privée, enregistre des excédents et est donc ainsi en mesure de rembourser au Trésor des provisions qui avaient été versées à une époque où un certain nombre de placements aventureux avaient été réalisés. Ces provisions ne sont plus nécessaires étant donné que les risques encourus n'ont pas été à la hauteur de ce qui avait été initialement prévu. Tant mieux, et tout le monde y gagne : le budget de l'Etat - qui le déplorerait ? - après avoir perdu des dizaines de milliards de francs pendant plusieurs années consécutives, mais aussi nos exportateurs.
A cet égard, je ne partage pas le sentiment de M. Paul Girod, qui estime que nos exportateurs ne sont pas suffisamment soutenus par la COFACE. Certes, vis-à-vis de certains pays d'Europe centrale et orientale, des améliorations peuvent sans doute être apportées, mais je constate simplement que les entreprises qui investissent, qui se créent et qui exportent sont celles qui demandent le moins d'aides à l'Etat. De plus, quand la COFACE garantissait à tout va et coûtait 10 milliards de francs par an à l'Etat, notre commerce extérieur était déficitaire, alors que, aujourd'hui que la COFACE est plus prudente et rapporte de l'argent à l'Etat, nos exportateurs remportent chaque année des records à l'exportation et notre commerce extérieur est largement excédentaire.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Paul Girod. Ils pourraient faire beaucoup mieux !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Faisons donc attention et gardons à l'esprit que les exportateurs qui passent plus de temps dans les antichambres ministérielles ou dans celles des institutions financières spécialisées ne sont pas forcément ceux qui réussissent le mieux. Ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui sont sur le terrain, auprès de leurs clients.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je voulais vous apporter. Pour le reste, je répondrai plus en détail à l'occasion de la discussion des articles.
Je remercie en tout cas à nouveau M. le rapporteur général et les orateurs des groupes de la majorité du soutien qu'ils apportent à la politique budgétaire que le Gouvernement aura menée en 1996 à travers ce collectif, comme de celles qu'ils lui ont déjà apporté pour le projet de loi de finances pour 1997. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Nous vous remercions de vos réponses, monsieur le ministre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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