LUTTE CONTRE LE TRAVAIL ILLÉGAL

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 152, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal [rapport n° 157 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons examiner à partir d'aujourd'hui le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal. Ce texte répond à une nécessité, car cette forme de délinquance particulièrement pernicieuse pour la société française est malheureusement en développement.
Je souhaite tout d'abord exprimer mes remerciements à MM. Souvet et Masson, rapporteurs respectivement de la commission des affaires économiques et de la commission des lois. Les travaux menés au sein de ces dernières nous permettront d'enrichir le texte, et nombre d'amendements déposés pourront notamment améliorer la rédaction du projet de loi. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles de ce projet de loi.
Mais, auparavant, je voudrais vous exposer les enjeux de la lutte contre le travail illégal, vous rappeler brièvement les principaux éléments de ce projet de loi, et, surtout, replacer ce dernier dans le cadre de la stratégie globale que nous conduisons, avec Jacques Barrot et l'ensemble du Gouvernement.
J'examinerai, en premier lieu, les enjeux de la lutte contre le travail illégal.
Je voudrais tout d'abord affirmer avec solennité que le Gouvernement entend faire de la lutte contre le travail illégal une priorité nationale. En effet - je sais que vous en êtes persuadés - le travail illégal joue contre l'emploi, contre les salariés, contre les entreprises, en un mot contre la collectivité nationale tout entière.
Le travail illégal exclut les salariés de leurs droits sociaux et les met en situation précaire. Conditions de travail déplorables, absence de couverture maladie, absence de retraite, tout se conjugue au détriment des salariés : qu'ils soient Français ou étrangers, ils sont toujours les premières victimes, parfois, hélas ! consentantes, par manque d'information.
Le travail illégal est également une source de concurrence déloyale pour les entreprises qui respectent leurs obligations. En effet, comment peut-on lutter à armes égales contre des concurrents qui échappent à leurs charges et aux dispositions qui protègent les salariés ?
Le travail illégal est, ensuite, la cause d'une évasion massive de recettes fiscales et sociales. Je ne me risquerai pas à quantifier devant vous un phénomène qui est, par nature, difficilement quantifiable.
Néanmoins, nous savons tous que la lutte contre le travail illégal est une composante importante de notre combat pour réduire les déficits.
Enfin, le travail illégal encourage, au moins de façon indirecte, l'immigration irrégulière sur le territoire national. Je pense en particulier à ces véritables filières d'introduction d'étrangers sans titre de séjour ni travail, qui existent dans notre pays, comme d'ailleurs dans les autres pays de l'Union européenne.
Je profite néanmoins de cette occasion pour réaffirmer qu'il ne faut pas confondre le travail illégal et l'immigration irrégulière. Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'emploi d'étrangers sans titre représente à ce jour moins de 10 % des infractions constatées.
Il faut aujourd'hui incontestablement renforcer nos moyens d'action. En effet, les efforts réalisés jusqu'à présent n'ont pas suffi à enrayer le phénomène que nous connaissons.
Il est vrai que beaucoup de progrès ont été faits depuis la création de l'infraction de travail clandestin voilà plus de cinquante ans.
Ainsi, le dispositif législatif s'est beaucoup enrichi, notamment dans les dix dernières années.
Le législateur a peu à peu étendu le champ de l'infraction.
Il a également prévu des peines de plus en plus sévères, en correctionnalisant notamment l'infraction et en introduisant de nombreuses peines complémentaires très lourdes.
Il a également introduit une disposition essentielle, la solidarité financière des donneurs d'ordre. Il a enfin étendu les pouvoirs des agents de contrôle.
Dans un autre ordre d'idées, la création d'une mission interministérielle en 1976, devenue ultérieurement la MILUTMO, rattachée au ministère du travail, a également eu un impact très positif, en sensibilisant des administrations peu habituées à rencontrer sur le terrain ce type d'infractions et en apportant son expertise technique aux différents corps de contrôle.
Ainsi, comme le souligne M. le rapporteur, le nombre d'infractions constatées a crû considérablement au cours des dernières années ; de même, le nombre de condamnations prononcées a progressé, comme d'ailleurs la sévérité des tribunaux : sur dix personnes condamnées pour travail illégal en 1993, quatre l'ont été à des peines d'emprisonnement.
Malgré tout, le dispositif existant que je viens de vous présenter très rapidement ne suffit plus, et il faut résolument aller au-delà, pour plusieurs raisons.
Première raison : le nombre d'infractions constatées par les services de contrôles n'est toujours pas à la hauteur du phénomène du travail illégal en France.
Pensez que seulement 18 870 infractions ont été constatées en 1994, soit, en moyenne, moins d'une infraction par jour ouvrable et par département français, alors qu'il y a 1,5 million d'établissements possédant des salariés et près de 14 millions de salariés.
Deuxième raison : les formes de travail illégal évoluent rapidement.
Les exemples de fraude organisée se multiplient. Ceux-ci mettent en jeu des relations entre sociétés mères et filiales, donneurs d'ordres et sous-traitants, sur le territoire national, voire à l'étranger.
Je pense au marchandage, aux réseaux d'introduction d'étrangers en vue de travail clandestin que j'évoquais à l'instant.
Nos instruments législatifs et notre dispositif administratif de lutte contre le travail illégal doivent donc évoluer pour mieux contrer ces nouvelles formes de fraude.
Troisième raison : les obstacles existants à l'action des corps de contrôle sur le terrain sont encore trop nombreux. Ces obstacles sont d'abord d'ordre juridique. Ainsi, il n'est pas aujourd'hui possible de mobiliser tous les corps de contrôle dans la lutte contre le travail illégal, car les règles de procédure qui s'appliquent à certains d'entre eux - je pense aux douaniers, aux agents des impôts, aux contrôleurs des transports terrestres ou aux fonctionnaires techniques de l'aviation civile, qui, d'ailleurs, n'ont pas échappé à la vigilance de la commission - leur interdisent de s'investir pleinement et de conduire tous les contrôles qu'ils pourraient et devraient engager.
C'est pourquoi, sur ce point comme sur d'autres encore, le projet de loi propose d'harmoniser très largement les compétences et les prérogatives des agents des différentes administrations.
J'en viens à la dernière raison, qui n'est pas la moindre : comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la première ambition du Gouvernement est de conduire une politique de développement de l'emploi. Or, le travail illégal est incontestablement destructeur d'emploi.s
Le projet de loi que nous vous proposons aujourd'hui est un projet qui se veut ambitieux.
Il doit se comprendre dans le cadre de notre politique d'enrichissement de la croissance en emplois, et c'est bien pour cette raison que ce sont le ministre du travail et le ministre délégué pour l'emploi qui vous le présentent. C'est également pourquoi le Premier ministre m'a demandé de piloter sa mise en oeuvre sur le terrain.
Je serai brève sur les dispositions du texte, car nous y reviendrons longuement à l'occasion de l'examen des articles et des amendements que vous avez déposés.
Ce texte s'inscrit évidemment dans la continuité de l'action du Gouvernement, mais il constitue également, par de nombreux aspects, une rupture par rapport à ce qui s'est fait jusqu'à présent. Il s'agit, comme l'a justement souligné M. le rapporteur, de clarifier et d'adapter la définition du délit, de mieux contrôler, de dissuader et d'informer.
S'agissant de la clarification et de l'adaptation de la définition du délit, le projet de loi vise à permettre de lutter contre le travail dissimulé, et ce, que l'employeur exerce une activité à but lucratif - c'est déjà le cas aujourd'hui - ou qu'il dissimule cette activité sous une apparence associative, ce qui est nouveau.
En ce qui concerne le contrôle, le projet de loi donne à tous les agents des nombreux corps de contrôle compétents - je les ai évoqués tout à l'heure - la mission de « rechercher » l'infraction de travail illégal et non plus uniquement de la « constater ». Au-delà de la question de vocabulaire, cette modification aura un effet concret : grâce à cela, les milliers d'agents des impôts et des douanes pourront désormais s'impliquer entièrement et activement dans la lutte contre le travail illégal, eux qui n'ont pu dresser, en 1994, que 233 procès-verbaux sur un total de 9 150, soit 2,5 % seulement.
Le projet de loi permet aussi aux agents de ces corps de se faire présenter les documents commerciaux, afin d'identifier les donneurs d'ordre. Il s'agit évidemment d'une mesure importante.
La mise en cause des donneurs d'ordre doit devenir l'un des axes majeurs de notre politique de lutte contre le travail illégal. Il est inacceptable, en effet, que les véritables bénéficiaires des fraudes, et souvent même leurs instigateurs, échappent à la répression. Il est donc parfaitement logique que les agents de contrôle puissent avoir accès à des documents commerciaux dès qu'une situation de travail illégal a été détectée.
Le projet de loi prévoit, en outre, la levée du secret professionnel qui existe entre les corps de contrôle et les différents organismes de protection sociale. Cette disposition permettra de supprimer certains freins à l'efficacité des contrôles, dont trop de fraudeurs profitaient, et d'améliorer ainsi le recouvrement des cotisations.
Pour ce qui est de la dissuasion, l'administration ne peut refuser, à l'heure actuelle, au seul motif de recours au travail illégal, d'accorder des aides à l'emploi ou à la formation professionnelle. Cela n'est incontestablement pas normal, et le projet de loi vise à autoriser désormais l'administration à refuser, le cas échéant, le bénéfice de ces aides aux personnes physiques ou morales qui ont fait l'objet d'un procès-verbal constatant des faits de travail illégal. C'est là aussi un outil de dissuasion très puissant.
En revanche - et, sur ce point, le Gouvernement est favorable à l'amendement présenté par la commission, comme je le dirai tout à l'heure - la suspension du bénéfice d'aides déjà accordées n'est pas souhaitable. En effet, cette mesure risquerait de pénaliser les salariés, et non pas ceux qui ont voulu frauder, et contrarierait le principe de non-cumul des peines.
Le projet de loi fait par ailleurs obligation aux candidats à un marché public et à ses sous-traitants de justifier qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation prononcée depuis moins de cinq ans pour une infraction à la législation sur le travail dissimulé ou pour l'emploi d'un étranger dépourvu d'autorisation de travail. Cette disposition contribuera également à la moralisation des procédures d'attribution des marchés publics.
Le projet de loi vise à ouvrir au bénéfice des salariés l'accès aux informations qui prouvent l'accomplissement, par leur employeur, des formalités déclaratives les concernant. Ainsi, les salariés pourront désormais faire procéder au rétablissement de leurs droits.
Afin de mieux signifier la réprobation entourant le délit de travail dissimulé et d'emploi d'étrangers dépourvus de titre de travail, le projet de loi vise à ajouter aux sanctions les réprimant la peine complémentaire d'interdiction des droits civiques et civils. Le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat, s'agissant de la possibilité d'interdire les droits de famille, disposition qui a été supprimée par l'Assemblée nationale.
Je voudrais évoquer également deux dispositions importantes qui ne figurent pas dans le texte qui vous est soumis et qui viennent le compléter.
La première est incluse dans la loi sur le commerce et l'artisanat, que vous avez adoptée récemment. Elle prévoit l'obligation, pour les auteurs de publicités ou de petites annonces comportant des offres de services, de faire apparaître clairement leurs références professionnelles. Cette mesure permettra de rendre le marché plus transparent et rendra la tâche un peu plus difficile aux fraudeurs.
La seconde disposition figure dans le projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, que vous allez bientôt examiner : l'instauration d'un droit d'entrée des officiers de police judiciaire sur les lieux de travail, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, est bien une mesure de lutte contre le travail dissimulé. Si elle figure dans le projet de loi présenté par Jean-Louis Debré, c'est pour des motifs juridiques, car elle modifie le code de procédure pénale et non le code du travail, comme l'essentiel des dispositions dont nous allons débattre.
Revenons maintenant à la stratégie du Gouvernement.
Les dispositions qui vous sont soumises, mesdames, messieurs les sénateurs, permettront de disposer d'instruments législatifs plus efficaces au service d'une stratégie d'ensemble.
Celle-ci comporte deux volets : la prévention doit être une priorité absolue et notre effort doit s'appuyer sur une mobilisation de tous les moyens de lutte contre le travail illégal.
La prévention doit être une priorité absolue, c'est-à-dire qu'avant de réprimer il faut prévenir, et d'abord informer les Français sur la perversité du travail illégal, les informer sur leurs droits ainsi que sur les risques qu'ils prennent en y recourant, même s'il est parfois tentant de faire repeindre sa cuisine par ce que l'on appelle un « ami ».
Nous devons aussi informer clairement les plus petites entreprises qui ont parfois recours au « coup de main » non déclaré parce que c'est plus rapide et qu'il n'y a pas de papiers à faire avant de développer la répression. Il ne s'agit pas, comme l'a justement souligné M. le rapporteur, de développer une législation trop inquisitoriale vis-à-vis des entreprises, qui ne nous ferait pas gagner en efficacité contre le travail illégal et aurait un effet néfaste sur le développement économique.
La prévention, par ailleurs, consiste d'abord à rendre le travail illégal moins tentateur pour ceux qui seraient prêts à y recourir.
Je sais que, comme beaucoup - et comme moi - vous regrettez que les réformes ne soient pas plus rapides. Cependant, nous avons fait incontestablement beaucoup de progrès dans les trois domaines qui jouent un rôle important dans la prévention du travail illégal : les simplifications administratives, les dispositifs d'exonération de charges sociales, la réforme fiscale.
Les simplifications administratives sont importantes sur le plan de la prévention, et il convient de les avoir présentes à l'esprit.
Il en est ainsi du chèque emploi-service, généralisé par la loi de janvier 1996 et qui permet de simplifier de manière drastique les formalités d'embauche et d'abaisser le coût des salariés pour les employeurs. Plus de 830 000 chéquiers ont été distribués et plus de 600 000 particuliers employeurs ont adhéré au système depuis sa création. En octobre 1996, 280 000 d'entre eux l'ont utilisé, ce qui correspond à 32 000 emplois en équivalent temps plein.
N'oublions pas le chèque saisonnier agricole, auquel, je le sais, un certain nombre d'entre vous sont particulièrement attachés, à juste titre.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué. Cette mesure facilitera l'embauche dans un secteur souvent frappé par le travail dissimulé. Nous allons, en outre, en transposer les principes aux extras de l'hôtellerie.
Quant à la déclaration unique d'embauche, elle remplace onze documents par un seul. Il faut savoir que 850 000 déclarations sont reçues chaque mois par les URSSAF !
Par ailleurs, le contrat unique d'apprentissage, disponible depuis le mois de juillet dernier, a permis de remplacer par une liasse de trois feuillets trois liasses de onze feuillets, et il offre l'avantage d'un interlocuteur unique.
Toujours dans l'ordre des simplifications, la déclaration unique de cotisations sociales, qui pourra être mise en oeuvre dès le mois de juin de manière expérimentale, sera généralisée très vraisemblablement dans le courant du second semestre, de manière progressive.
De même, le chèque « premier salarié », qui facilitera le travail des très petites entreprises, connaît actuellement la fin de sa première phase d'expérimentation. Le bilan que nous en tirerons sera, je pense, riche d'enseignements qui nous permettront de définir la suite à lui donner.
Enfin, la simplification du bulletin de salaire concerne 1,5 million d'employeurs. M. Turbot a remis en décembre dernier à M. Jacques Barrot les propositions de la commission qu'il préside ; elles seront, pour beaucoup, rapidement mises en oeuvre : notamment, depuis le 1er janvier 1997, le plafond de sécurité sociale est fixé pour toute l'année et non plus pour six mois.
Je tenais à vous rappeler ces différents éléments de simplification, qui doivent contribuer à prévenir le travail illégal.
J'en viens maintenant aux dispositifs d'exonérations de charges sociales patronales. En abaissant le coût du travail, ils diminuent, en effet, la tentation de frauder.
Amorcée en 1993, confirmée en septembre 1995, la réduction des charges patronales sur les bas salaires a été amplifiée, simplifiée et pérennisée. Depuis le 1er octobre 1996, cette réduction permet de diviser par deux les charges patronales au niveau du SMIC, et même par trois lorsqu'il s'agit de temps partiel. Ce dispositif concerne 4,5 millions de salariés, dont les trois quarts sont employés dans les petites et moyennes entreprises.
J'en arrive à la réforme fiscale.
La réduction de l'impôt sur le revenu - au terme de la réforme, un million de Français supplémentaires parmi les plus modestes ne paieront pas d'impôts - et la réduction de l'impôt pour travaux dans la résidence principale doivent aussi contribuer à réduire l'intérêt du travailillégal.
Je reste persuadé qu'il faut, en insistant sur la prévention, laisser se développer l'initiative de nos concitoyens et faire confiance à leur sens de la responsabilité.
Les simplifications administratives et la maîtrise des déficits et des prélèvements obligatoires encouragent l'initiative et favorisent le développement économique. Si l'on se donne la peine de bien les informer sur la nocivité du travail illégal et sur les simplifications qui sont mises en oeuvre aujourd'hui, les Français doivent pouvoir prendre leurs responsabilités.
Notre effort doit s'appuyer sur une mobilisation de tous les moyens de lutte contre le travail illégal.
Les dispositions que vous allez adopter seront mises en oeuvre dès la promulgation de la loi et cette mise en oeuvre s'organisera autour de trois idées-forces.
Première idée-force : il faut lutter en priorité contre les formes les plus scandaleuses de délinquance en matière de travail illégal telles que réseaux organisés ou montages juridiques complexes.
Deuxième idée-force : la lutte contre le travail illégal se fera avec les professions, qui y sont tout autant intéressées que les salariés, et non contre elles, bien entendu.
Troisième idée-force : tous les moyens à la disposition du Gouvernement seront mobilisés. Ce sera l'objet d'un dispositif interministériel, opérationnel dès le mois de février. Il permettra de combiner les compétences, notamment de l'inspection du travail, des services des douanes et des impôts, les moyens de police et de gendarmerie, et de mieux articuler la recherche, la constatation et la poursuite des infractions.
Le Premier ministre fixera les priorités de notre action dans le cadre du comité interministériel.
Pour les mettre en oeuvre, il a souhaité qu'un membre du Gouvernement pilote le dispositif afin de disposer de l'autorité politique indispensable. En conséquence, je présiderai, chaque mois, une commission réunissant le représentant du garde des sceaux et les responsables des corps de contrôle.
L'action de terrain sera conduite à deux niveaux.
Au plan national, un délégué interministériel se verra confier la responsabilité du dispositif de la coordination. Il veillera à la constante mobilisation des administrations et pourra donner toutes les instructions nécessaires aux préfets pour conduire des opérations de contrôle. Il disposera d'une équipe opérationnelle de haut niveau, qui pourra intervenir sur toutes les affaires complexes dépassant le cadre départemental, voire national.
Au niveau départemental, le préfet sera responsable de l'action administrative, en étroite coordination avec le procureur de la République. Il élaborera un plan d'action départemental, en y associant les représentants des professions.
C'est ainsi un dispositif d'ensemble, global et cohérent, qui vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs.
Il m'a paru essentiel de restituer les dispositions que nous examinons aujourd'hui dans leur cadre politique, économique et institutionnel afin que vous puissiez bien en appréhender les tenants et les aboutissants. Cette réforme législative ainsi que les dispositifs opérationnels qui suivront nous permettront, je le crois, d'être efficaces dans la lutte contre le travail illégal. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord prier le Sénat de bien vouloir excuser les répétitions qu'il trouvera dans mon propos après celui de Mme le ministre : elle a été à ce point exhaustive qu'il faut faire preuve de beaucoup d'imagination pour ne pas dire à nouveau ce qu'elle a excellemment développé.
Le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail clandestin a été examiné par l'Assemblée nationale les 11 et 12 décembre dernier.
De dix articles, le texte est passé à trente-deux. Il n'a cependant pas changé de nature, puisque la plupart des amendements relatifs à l'immigration clandestine ont été renvoyés au projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration, que nous examinerons prochainement.
Les ajouts de l'Assemblée nationale ont permis de clarifier un peu plus la notion de travail clandestin, d'ailleurs devenu travail « dissimulé », et de renforcer les moyens de lutte contre ce type de travail.
Je vous rappelle par ailleurs, mes chers collègues, que l'article 4 du présent projet de loi reprend une proposition de loi de nos collègues MM. Plasait et de Raincourt.
Ce projet de loi vient donc compléter un arsenal juridique abondant. Dix textes, depuis dix ans, ont été consacrés, partiellement ou totalement, à lutter contre le travail clandestin, car les raisons de lutter contre ce type de travail sont nombreuses.
Il y a d'abord, bien sûr, des raisons humaines : le travailleur employé clandestinement est d'abord une victime. Mal rémunéré et sans protection sociale, il connaît des conditions de travail souvent déplorables, voire dangereuses, la précarité et l'exclusion.
Ensuite, le travail dissimulé génère des distorsions de concurrence qui conduisent à fragiliser des secteurs entiers de l'économie avec, pour conséquence, la destruction de l'emploi et la montée du chômage.
Il y a aussi les pertes de recettes pour l'Etat et pour les organismes de protection sociale : c'est ainsi que l'on évoque le chiffre moyen de 130 milliards de francs de pertes de recettes, qu'il faut comparer avec le montant de nos déficits publics.
Enfin, la lutte contre le travail clandestin est un moyen de lutter contre l'immigration clandestine, non pas parce que les travailleurs clandestins seraient des étrangers en situation irrégulière - 10 % seulement relèvent de cette catégorie - mais parce que cela peut constituer un moyen de dissuader l'immigration clandestine en rendant moins attractive la perspective de trouver un emploi en France.
Toutefois, si l'on mesure assez bien les effets négatifs du travail clandestin, on constate aussi très vite que les moyens consacrés à la lutte contre celui-ci ne sont pas en rapport avec l'ampleur du phénomène : ainsi, en 1994, malgré une forte augmentation depuis 1992 - vous l'avez soulignée, madame le ministre - seules 18 877 infractions ont été relevées, à comparer avec le « chiffre d'affaires » de l'économie souterraine estimé - la fourchette est large - entre 80 et 270 milliards de francs.
L'insuffisante efficacité de cette lutte a plusieurs raisons, liées à la faiblesse des moyens humains, sans doute, mais aussi à l'inadaptation des moyens juridiques.
Cette inadaptation juridique tient d'abord aux règles de procédure qui s'imposent aux agents susceptibles de déceler des infractions et les empêchent de transmettre les informations recueillies ou de poursuivre leurs investigations en dehors de leur champ de compétence. Elle tient aussi à l'évolution des pratiques ; dès qu'un nouveau texte est adopté, les employeurs mal intentionnés s'adaptent et contournent l'obstacle : ainsi en est-il de la déclaration préalable à l'embauche, qui a entraîné une sous-déclaration du nombre d'heures travaillées.
La lutte contre le travail clandestin ou le travail dissimulé doit donc constituer une priorité ; elle est un complément indispensable du développement économique, de la politique de l'emploi et de la politique d'assainissement des déficits publics.
C'est tout le mérite du Gouvernement de s'y attaquer avec détermination et clarté, en évitant les amalgames qui ne pourraient que nuire à l'efficacité des dispositifs.
Le projet de loi vient donc compléter un arsenal juridique qui figure, pour l'essentiel, dans le code du travail et qui remonte à un décret-loi du 11 octobre 1940. Depuis cette date, tous les textes promulgués dans ce domaine ont eu pour effet d'étendre la population d'employeurs susceptible d'être mise en cause dans une procédure de travail clandestin, afin de responsabiliser davantage l'ensemble des acteurs économiques.
Je ne m'étendrai pas sur l'historique de la législation destinée à lutter contre le travail clandestin, que vous trouverez résumé dans mon rapport. Je me bornerai à souligner que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui s'inscrit directement dans la continuité de cette législation.
Le projet de loi s'articule autour de trois grandes orientations, que je résumerai en indiquant les principaux apports de l'Assemblée nationale et les principales positions de la commission.
La première de ces orientations vise à clarifier et à adapter la définition du délit de travail clandestin. Il est ainsi précisé que ce délit est caractérisé soit par la dissimulation d'activité, soit par la dissimulation de salarié.
Si les conditions de l'infraction de dissimulation d'activité ne sont pas nouvelles, en revanche, le délit de dissimulation d'emploi de salariés est désormais parfaitement défini par l'absence de l'une des formalités requises. Surtout, ce délit ne suppose plus une activité lucrative. Il sera ainsi possible de lutter contre la pratique de certains employeurs qui cachent leur véritable activité économique derrière des façades associatives.
L'Assemblée nationale a remplacé la notion de travail clandestin par celle de travail dissimulé afin, d'une part, de mettre l'accent sur la responsabilité de l'employeur, car celui qui commet le délit est toujours l'employeur, et d'autre part, d'éviter l'amalgame avec l'immigration clandestine. La commission partage ces analyses et propose de conserver cette notion de travail dissimulé.
En outre, pour lutter contre le recours indirect au travail clandestin et pour ne pas avoir de preuve difficile à établir, l'Assemblée nationale a supprimé le caractère intentionnel du recours d'un donneur d'ordre aux services d'une personne pratiquant elle-même le travail clandestin. Cette suppression, alors que le nouveau code pénal a posé le principe du caractère nécessairement intentionnel des délits, et après vingt-cinq ans d'usage, pourrait conduire à une interprétation ambiguë de la volonté du législateur. Il a donc semblé préférable à la commission de conserver la mention du caractère intentionnel.
Parmi les ajouts de l'Assemblée nationale, il faut aussi signaler la mention de la sous-évaluation des heures faites par le salarié comme éléments constitutifs du délit.
L'Assemblée nationale a aussi ramené à deux, en supprimant tout caractère cumulatif, les présomptions de dissimulation de salarié : il y a emploi dissimulé en l'absence de déclaration préalable à l'embauche ou en l'absence de bulletin de paye.
La deuxième grande série de dispositions a pour objet de renforcer les pouvoirs des agents de contrôle et d'améliorer la coordination de leurs actions.
Cette partie du texte vise à mettre fin à la relative impuissance de certains corps de contrôle, tels que la police, la gendarmerie et les douanes, lorsque leurs agents découvraient des indices de travail clandestin à l'occasion de leur mission principale.
Concrètement, tous les agents de contrôle pourront désormais non seulement constater les infractions au travail clandestin, mais également les rechercher. Tous pourront se faire communiquer les documents nécessaires à leurs investigations. Quant à leurs procès-verbaux, ils auront valeur probante jusqu'à preuve contraire. En fait, l'alignement se fait sur les pouvoirs de l'inspection du travail. Enfin, comme les autres agents, les agents des organismes de sécurité sociale et des impôts pourront entendre les salariés hors de l'entreprise, avec leur consentement. On rejoint là la préoccupation des auteurs de la proposition de loi, qui concerne exclusivement ce point et dont je reparlerai lors de l'examen des articles.
A cela s'ajoutent la levée du secret professionnel entre les différents corps de contrôle et avec les organismes de sécurité sociale, et l'habilitation des agents des douanes à contrôler l'emploi d'étrangers sans titre de travail, la levée du secret professionnel, les échanges d'informations relatives aux travailleurs étrangers. Il faudra cependant que tous ces corps que vous avez cités tout à l'heure, madame le ministre, apprennent à travailler ensemble et acceptent de travailler ensemble, ce qui n'est pas toujours le cas.
Enfin, les salariés pourront obtenir des agents de contrôle les informations relatives à leur situation au regard de la législation sur le travail dissimulé..
L'Assemblée nationale a développé assez nettement ce dispositif en en étendant le champ et l'objet, et en renforçant les moyens d'investigation.
C'est ainsi que les agents de contrôle auront désormais accès aux documents commerciaux et que la Cour des comptes se verra confier une mission annexe de lutte contre le travail clandestin dans la fonction publique. Très réservée sur ce dernier point, la commission des affaires sociales a laissé à la commission des lois le soin de se prononcer sur cette question, qui ne concerne pas le code du travail.
Les pouvoirs d'investigation des agents de contrôle des douanes et des impôts sont également étendus au délit de marchandage - vous l'avez dit tout à l'heure, madame le ministre - c'est-à-dire à la fourniture illégale de main-d'oeuvre, tandis que le secret professionnel est levé pour leur permettre de communiquer leurs informations aux autres corps de contrôle
Les juridictions seront, en outre, habilitées à communiquer aux caisses de sécurité sociale et de congés payés les informations nécessaires au recouvrement des cotisations éludées.
Sur tous ces points, la commission des affaires sociales n'a pas de remarque particulière à formuler, sachant qu'elle a laissé à la commission des lois le soin de se prononcer sur les nouveaux pouvoirs d'investigation confiés aux conseillers rapporteurs des conseils de prud'hommes.
J'en arrive au troisième volet du projet de loi, qui renforce les moyens visant à dissuader de recourir directement ou indirectement au travail clandestin ou dissimulé.
D'abord, le projet de loi ajoutait aux sanctions relatives au travail clandestin ou dissimulé et à l'emploi d'étrangers dépourvus de titre de travail la peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille. Sur ce point, l'Assemblée nationale a supprimé la mention des droits de famille, considérant que la famille n'avait rien à voir avec le travail clandestin. La commission est réservée sur cette analyse et proposera un amendement de rétablissement.
Ensuite, le projet ouvre la possibilité à l'administration de refuser pendant cinq ans aux personnes physiques ou morales qui auraient fait l'objet d'un procès-verbal constatant des faits de travail dissimulé l'accès aux aides à l'emploi ou à la formation professionnelle.
L'Assemblée nationale a étendu ces sanctions au délit de marchandage et a prévu que les aides déjà octroyées puissent être suspendues si un procès-verbal était dressé ultérieurement. La commission est réservée sur cette disposition, qui pourrait avoir notamment pour conséquence l'arrêt d'un contrat de qualification ou d'apprentissage ; elle en propose donc la suppression.
Enfin, un candidat à un marché public ainsi que ses éventuels sous-traitants devront faire la preuve qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée depuis moins de cinq ans, pour infraction à la législation sur le travail clandestin ou sur l'emploi d'un étranger sans autorisation de travail.
Le dispositif a été renforcé par l'Assemblée nationale sur deux points : la preuve de la non-condamnation a été étendue aux « contrats » passés par les collectivités publiques et ces dernières devront insérer une clause dans les contrats et marchés supérieurs à une somme fixée par décret en Conseil d'Etat leur permettant de s'assurer que le cocontractant n'a pas recours au travail illégal, et pas seulement dissimulé.
Cette disposition a cependant un inconvénient en ce sens qu'elle pourrait engager la responsabilité de la collectivité territoriale si un accident survenait ; on pourrait lui reprocher son manque de vigilance. Pour y remédier, tout en conservant le caractère préventif du dispostif, la commission proposera de supprimer la référence au travail illégal pour ne mentionner que le travail clandestin, l'emploi d'étrangers sans titre de travail et le marchandage.
Au titre du renforcement des mesures prévues par le projet de loi, l'Assemblée nationale a ajouté d'autres sanctions portant sur des dispositifs variés. Elle a voulu sanctionner plus durement et plus rapidement le non-respect de la déclaration préalable à l'embauche, en en faisant une sanction administrative automatique. Cela risque de poser des problèmes dans la mesure où un tiers des déclarations préalables à l'embauche ne sont pas faites dans les délais, non par volonté de fraude, mais par manque de temps ou par négligence. C'est la raison pour laquelle la commission proposera, en accord, d'ailleurs, avec la commission des lois, une autre procédure, celle de l'ordonnance pénale.
L'Assemblée nationale a également fait passer de un mois à six mois l'indemnité que l'employeur verse au salarié non déclaré dont il se sépare. Elle a institué une responsabilité solidaire de celui qui ne s'est pas assuré que son cocontractant n'employait pas d'étrangers sans titre de travail, délit sanctionné par une contribution spéciale due à l'office des migrations internationales. Elle a élargi le champ de la solidarité des bénéficiaires et intermédiaires, dans le cas de recours au travail clandestin ou lorsque toutes les vérifications prévues par la loi n'ont pas été faites, aux pénalités et majorations de cotisations ainsi qu'aux indemnités versées aux salariés.
Sur l'ensemble de ce dispositif, qu'elle propose au Sénat d'approuver, la commission ne présentera que des amendements rédactionnels.
En revanche, elle est très réservée sur une autre disposition, qui consiste à mettre à la charge des employeurs les frais d'éloignement des travailleurs étrangers sans autorisation de travail. Là encore, elle a laissé à la commission des lois le soin de se prononcer sur l'article en cause, car cette question est liée au texte sur l'immigration.
En conclusion, monsieur le président, mes chers collègues, il n'a pas semblé nécessaire à la commission d'aller au-delà de ce qu'avait fait l'Assemblée nationale, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, la commission n'est pas tellement sûre qu'une législation très détaillée soit particulièrement efficace, d'autant qu'une telle législation risquerait d'être trop inquisitoriale vis-à-vis des entreprises.
Mais, surtout, la lutte contre le travail clandestin ne repose pas uniquement sur la multiplication des textes législatifs ou réglementaires. Il faut commencer par appliquer les textes existants, recenser les informations, coordonner les actions : il existe déjà - vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame le ministre - la mission de liaison interministérielle pour la lutte contre le travail clandestin, l'emploi non déclaré et les trafics de main-d'oeuvre, la MILUTMO, les commissions départementales et les structures qui lui sont associées.
Ces moyens devraient être prochainement renforcés par la mise en place, par voie réglementaire, d'un nouveau dispositif de coordination interministérielle au plan national de lutte contre le travail illégal, qui comprendrait un comité interministériel pour la lutte contre le travail illégal, présidé par le Premier ministre, et une commission nationale de lutte contre le travail illégal, présidée par vous-même, madame le ministre.
Enfin, le dispositif devrait être complété par une délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal. Une commission de lutte contre le travail illégal sera également créée dans chaque département, ainsi qu'un comité opérationnel de lutte contre le travail illégal. L'ensemble de ces structures devrait permettre de mener des actions de grande ampleur, notamment pour démanteler les réseaux existants.
Le texte de loi et le dispositif réglementaire devraient donc permettre de renforcer efficacement la lutte contre le travail clandestin, le travail dissimulé ou d'autres formes de travail illégal.
La commission des affaires sociales tient toutefois à souligner qu'il y a un autre moyen de lutter contre le travail dissimulé : le prévenir. Là encore, vous vous y employez, madame le ministre.
Ces moyens de prévention sont la simplification des formalités administratives - elle est en bonne voie ; je pense au chèque emploi-service, à ses extensions envisagées et aux déclarations uniques - l'allégement des charges des employeurs - là encore, le processus est bien engagé - et aussi l'allégement du coût de certains services ou de certains contrats. L'abaissement de la TVA serait donc le bienvenu, de même que les déductions fiscales pour certains travaux, qui conforteraient certainement le secteur de l'artisanat. Il faut donc poursuivre dans cette voie, et c'est là que mon propos se distingue un peu du vôtre, madame le ministre.
Naturellement, vous l'avez compris, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous invite à adopter le présent projet de loi, sous réserve des quelques amendements qu'elle vous proposera demain et de ceux que présentera la commission des lois, qui a su opportunément compléter l'examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, je ne vais pas redire de manière forcément moins complète que ne l'ont fait il y a un instant Mme le ministre ou notre excellent rapporteur, M. Souvet, l'importance de ce texte et surtout la difficulté dans laquelle se trouve l'économie nationale face à ce phénomène du travail illégal. C'est un fléau social, on l'a souligné.
Le travail illégal, c'est la négation des dispositions concernant la protection sociale des travailleurs de ce pays.
Le travail illégal a un coût financier considérable. Pour 1 500 000 personnes illégalement employées, estime-t-on, ce coût atteindrait chaque année au moins 156 milliards de francs - c'est la moitié du déficit budgétaire - soit au titre des moins-values fiscales, soit au titre des moins-values sur les cotisations sociales.
Enfin, le travail illégal, c'est une source de distorsion de concurrence, dont pâtissent les employeurs respectueux de la législation.
Je ne reviens pas sur ces différents points.
Je ne rappellerai pas non plus ce que viennent de dire excellemment Mme le ministre et M. le rapporteur au fond sur ce qui est entrepris dans le texte, amendé par la commission des affaires sociales, et sur ce qui sera évoqué à l'occasion de l'examen de chacun des articles.
Il y a, à cet égard, une évolution inquiétante du travail clandestin, et M. Souvet a eu raison de le souligner : les dispositifs de lutte contre ce travail clandestin ne sont plus en rapport avec l'ampleur du phénomène.
Par ailleurs, s'il y a une évolution quantitative alarmante du travail clandestin, il y a aussi une évolution qualitative, qui est liée à la prépondérance acquise par le secteur tertiaire, et à laquelle il faut réfléchir. C'est un fait de société ; cette mutation incontournable, que nous vivons par ailleurs tous les jours, rend plus difficile encore le contrôle du travail clandestin.
Comment, par exemple, prévenir avec efficacité le recours au travail illégal à domicile, étant donné ce que chacun connaît du domicile, dont l'inviolabilité est un principe sacré, de valeur constitutionnelle ? C'est l'une des nombreuses questions qui se posent aujourd'hui au Sénat.
Le projet de loi apporte donc intelligemment, me semble-t-il, trois séries de réponses : étendre le champ d'application, améliorer le contrôle et la prévention, renforcer les sanctions.
Je n'entrerai pas pour l'heure dans le détail des amendements qui vous seront proposés ; nous les examinerons lors de la discussion des articles. Je dirai simplement que, en ce qui concerne la commission des lois, ces amendements sont d'ordre purement juridique.
D'abord, ils visent à assurer le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal, tels que la nécessité et la proportionnalité des peines ; ensuite, ils tendent à préserver les principes essentiels de notre procédure pénale ; enfin, ils tiennent compte des règles régissant notre procédure civile.
Comme vous le constaterez, madame le ministre, ces amendements ne remettent aucunement en cause l'architecture générale du projet de loi. Nous nous sommes contentés, comme nous en avions le mandat, de rester strictement dans le cadre des compétences de la commission des lois, pour déposer les amendements qui seront soumis demain à cette assemblée.
A ce stade du débat, je me permettrai, dans cette discussion générale, de présenter trois observations qui ne sont pas traduites par un amendement mais qui peuvent nourrir la réflexion de chacun. Ces observations ont d'ailleurs donné lieu ce matin, en commission des lois, à certains débats qui n'étaient pas sans intérêt.
La première observation concerne l'appellation même du texte.
La formulation « travail clandestin » était ce qu'elle était. Pour des raisons d'opportunité ou par un souci d'affichage, on croit devoir changer l'appellation de la loi, ce qui donne lieu à un certain nombre d'amendements, dix ou douze, que vous avez rappelés, cher Louis Souvet. Ce texte va donc s'appeler maintenant : « projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail dissimulé ».
L'appellation que nous avons sécrétée, que l'Assemblée nationale a sécrétée et que, si je comprends bien, la commission saisie au fond a confirmée est-elle meilleure que celle de « travail clandestin » ? Je n'en suis pas si sûr. Je ne sais pas si tous seront satisfaits de cette modification de forme. J'ai le sentiment que, parfois, quand on ne sait pas comment aborder un problème au fond, on change l'étiquette, on change le flacon, on change l'emballage, et l'on est satisfait de l'oeuvre accomplie !
Je me souviens d'un autre débat, le terme « inculpation » semblait quelque peu pénalisant : alors, on a utilisé les mots « mis en examen ». Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette ! (Sourires.) On procède un peu, je crois, de ce même état d'esprit ici, parce que l'on va parler de travail dissimulé et l'on dira donc que le travail dissimulé, c'est la dissimulation d'activité, la dissimulation de salariés. Un travail dissimulé qui dissimule ? Un travail dissimulé qui organise la dissimulation ?... (Nouveaux sourires.) Madame le ministre, voilà qui n'est pas parfaitement ajusté, surtout dans un pays qui, comme le nôtre, se réclame à la fois de Descartes et de Montesquieu !
Mais soit ! La commission des lois n'est pas saisie au fond et, par conséquent, nous suivrons, à cet égard, la commission des affaires sociales. Mais si l'on pouvait inventer autre chose que cet intitulé, si l'on pouvait, en définitive, en revenir à l'expression : « travail clandestin », dont on sait au moins ce qu'elle recouvre à coup sûr à la fois d'ambiguïtés, je vous l'accorde, mais aussi de réalités, nous ne porterions pas le deuil. C'est ma première observation.
Ma deuxième observation concerne l'immigration clandestine. Là, effectivement, un amalgame peut être fait dans cette affaire. Trop souvent, on considère que la lutte contre le travail clandestin - peut-être est-ce là où la connotation des mots qui cotoie dangereusement une appréciation me paraît injuste - c'est la lutte contre l'immigration clandestine. Il est inconstestable qu'un certain nombre de travailleurs clandestins sont des travailleurs qui sont venus clandestinement dans notre pays. Mais il n'y a pas que cela.
Précisément pour éviter cet amalgame, la commission des lois proposera de retirer du texte ce qui pourrait prêter à ambiguïté. Nous défendrons donc un amendement supprimant une disposition relative aux entreprises ayant employé des travailleurs d'origine étrangère qui ne sont pas régulièrement inscrits dans le dispositif normatif national ; cette sanction, si elle doit être prise, le sera mieux dans le cadre du texte sur l'immigration clandestine dont nous aurons à débattre dans trois semaines environ.
Ma troisième et dernière observation concerne le travail clandestin des agents publics, madame le ministre.
C'est un sujet, non pas tabou, mais c'est un sujet qu'on aborde toujours avec un certain nombre de précautions. Nombre d'entre nous sont maires et gèrent à ce titre des corps d'agents publics. Je ne cite pas les sapeurs-pompiers, ni les agents de police, ni d'autres corps encore, car ce serait peut-être les désigner directement alors qu'il y en a tant d'autres.
Il y a là, madame le ministre, un vrai problème. Il faut le dire et je me permets, à cet égard, d'interroger le Gouvernement. Je le fais, vous le voyez, dans le cadre de la discussion générale et non pas à l'occasion de la discussion d'amendements parce que c'est un sujet épineux, c'est un sujet qu'il faut manier avec précaution et psychologie.
Nous sommes tous conscients, madame le ministre, du fait que, du côté des salariés, on est davantage victime que contrevenant lorsque l'on est employé illégalement : absence du bénéfice des dispositifs de protection sociale, de la garantie d'un salaire minimum, de congés, de la sécurité des conditions de travail, etc. Cette absence de garanties est évidemment pénalisante pour celui qui s'engage dans ce processus.
Mais, disons-le honnêtement, sans langue de bois : parmi les personnes employées illégalement, toutes ne sont pas à la limite de l'indigence, et je pratique la litote en disant cela. Il en est, tout particulièrement dans le secteur public - l'un de nous l'a dit ce matin en commission avec force et je le redis après lui - qui disposent d'un emploi fixe et souvent bien rémunéré, et qui profitent du temps libre, souvent substantiel, qui leur est accordé par leur statut pour se livrer à de menus travaux rémunérés.
L'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 est précis : il exige des fonctionnaires qu'ils consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. La loi leur interdit, sauf dérogation prévue par décret en Conseil d'Etat, d'exercer à titre professionnel une activité lucrative.
L'article 6 du décret-loi du 29 octobre 1936 prévoit des sanctions disciplinaires et des retenues sur traitement à l'encontre des personnels civils et militaires qui ont méconnu la réglementation sur le cumul d'emplois et de rémunérations.
La commission des lois s'est demandée, ce matin, s'il ne fallait pas aller plus loin, par exemple en prévoyant une véritable sanction pénale.
Bien entendu, il faudrait tenir compte de certaines pratiques, de certaines tolérances, par exemple à l'égard des enseignants et peut-être d'autres personnels, mais, cela étant, ne serait-il pas possible d'envisager au moins une contravention pour cumul d'emplois ?
A tout le moins, ne serait-il pas souhaitable de prononcer effectivement les sanctions disciplinaires et financières d'ores et déjà prévues dans les textes mais qui ne sont jamais appliquées ?
Compte tenu de cette pratique courante - c'est vrai, il s'agit d'une pratique courante, chacun le sait - et de ses conséquences - combien de nos concitoyens disent : vous êtes vraiment des citoyens surprotégés, vous, les personnels de la fonction publique, puisque non seulement vous avez un statut garantissant votre emploi, non seulement vous avez un salaire, mais, de plus, vous pouvez vous permettre des entorses à la législation que nous ne pouvons pas risquer, nous, sans être poursuivis - la commission des lois m'a demandé, madame le ministre, de vous interroger sur les intentions du Gouvernement quant à la prévention du cumul d'emplois par les agents publics.
Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais me permettre d'ajouter dans ce débat général sans répéter ce qui a été excellemment dit mais en vous demandant une réflexion supplémentaire sur cet aspect un peu particulier, mais profondément irritant, que, comme nos concitoyens, nous constatons quotidiennement.
Après cette dernière réflexion, qui se situe peut-être un peu en marge de notre débat, je vous assure, madame le ministre, de l'avis favorable de la commission des lois sur ce projet de loi, qui sera demain examiné dans le détail ; les quelques amendements que j'ajouterai à la réflexion commune n'apporteront pas de modifications structurelles à l'ensemble d'un dispositif que nous ratifierons. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, beaucoup, sinon tout, a été dit et excellemment dit. Aussi, me contenterai-je, pour l'essentiel, de quelques redites avec mes propres mots en insistant sur les points qui me paraissent les plus importants et en formulant, madame le ministre, puisque la période est propre, trois voeux.
L'article L. 324-9 du code du travail définit le travail clandestin. C'est, dit-il « la dissimulation de tout ou partie de l'une des activités mentionnées à l'article L. 324-10, et exercée dans les conditions prévues par cet article ».
L'article L. 324-10, quant à lui, dans sa rédaction issue de la loi du 24 janvier 1987, dispose qu'« est réputé clandestin l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne physique ou morale qui se soustrait intentionnellement à l'une quelconque des obligations suivantes : requérir son immatriculation au répertoire des métiers ou au registre du commerce et des sociétés, lorsque celle-ci est obligatoire ; procéder aux déclarations exigées par les organismes de protection sociale et par l'administration fiscale ; en cas d'emploi salarié, effectuer au moins deux formalités prévues aux articles L. 343-3, L. 343-5 et L. 633 du code du travail - c'est-à-dire déclaration préalable d'embauche, inscription unique au registre unique du personnel, remise d'un bulletin de paye ou tenue d'un livre de paye. »
Si, d'un point de vue juridique, la notion de travail clandestin, telle que je viens d'en rappeler la définition légale, caractérise un type particulier d'infraction, son utilisation dans le langage courant fait référence à une multiplicité d'infractions très différentes par leur nature et qui dépassent la notion juridique stricto sensu .
Ces autres infractions, associées au travail clandestin peuvent être regroupées sous le terme générique de « travail illégal ».
La sémantique ayant une importance particulière en la matière, je salue la perspicacité de nos collègues députés qui, après un long débat, ont modifié l'intitulé du projet de loi afin de mieux prendre en compte l'ensemble des infractions dont il est questin.
Néanmoins, les formes de travail illégal peuvent être rassemblées dans deux catégories principales : le travail et l'emploi irréguliers, parmi lesquels se trouvent le travail clandestin, et les trafics de main-d'oeuvre.
S'agissant de la première catégorie, celle du travail et de l'emploi irréguliers, les manifestations en sont diverses et d'importance variable.
En effet, dans certains cas, le travail clandestin prend naissance dans l'exercice d'activités de production ou de commerce mineures. Mais elles se propagent sous la forme de « petits boulots ».
C'est l'exemple classique d'une personne qui aide ses proches, éventuellement à titre gratuit pendant son temps libre ou pendant une période de chômage. Progressivement, elle demande une rémunération et accroît le volume de ses prestations. Puis elle structure son activité par l'acquisition de matériel et organise la recherche de sa clientèle. L'aboutissement naturel de cette pratique est trop souvent le renoncement à avoir une activité déclarée ou à rechercher un emploi.
Dans d'autres cas, le travail clandestin procède d'une volonté - a priori - de créer une activité organisée de production et de service non déclarée. C'est l'exemple bien connu des ateliers clandestins, particulièrement répandus dans le textile ou la réparation automobile.
Plus insidieuses encore sont les nouvelles formes vers lesquelles évolue la pratique du travail clandestin, qu'il s'agisse des prestations directement reçues à domicile, du non-respect du but non lucratif de certaines associations, de la sous-traitance en cascade ou de la sous-déclaration du travail à temps partiel.
Par la similitude de leurs effets, on peut encore citer dans cette catégorie les cumuls d'emploi ou l'emploi non déclaré.
Tout aussi pernicieux sont les trafics de main-d'oeuvre, qu'il s'agisse des infractions spécifiques à la main-d'oeuvre étrangère, des infractions à la législation sur le travail temporaire, le prêt de main-d'oeuvre et le marchandage ou encore du faux travail indépendant et des fraudes liées aux entreprises domiciliées ou établies à l'étranger.
Quelles que soient les manifestations du travail illégal, ses conséquences économiques, sociales et humaines sont, je le crois, inacceptables.
En effet, le travail illégal représente de 3 % à 5 % du produit intérieur brut, c'est-à-dire entre 250 milliards et 400 milliards de francs. On estime que les pertes de recettes fiscales et sociales qui lui sont liées sont de l'ordre de 110 milliards à 180 milliards de francs : de 50 milliards à 75 milliards de francs perdus sur les cotisations sociales et de 60 milliards à 105 milliards de francs, soit entre le quart et le tiers du déficit du budget de l'Etat, perdus sur les recettes fiscales.
De plus, le travail illégal rompt l'égalité économique entre les entreprises. Comme chef d'entreprise, je suis particulièrement inquiet des atteintes permanentes portées à la loyauté de la concurrence. Souvent, de l'inquiétude à la colère il n'y a qu'un pas quand on songe que les impôts et les cotisations sociales payés par ceux dont le « tort » serait de respecter la loi sont d'autant plus élevés que d'autres n'en paient pas.
En outre, la banalisation de la pratique et le sentiment d'impunité qui entoure le travail illégal, et particulièrement le travail clandestin, sont le véritable terreau de son expansion. A cet égard, je voudrais souligner une conséquence très préoccupante du développement de ce phénomène : c'est le sentiment grandissant chez les consommateurs que les prix pratiqués par les entreprises qui travaillent régulièrement sont trop élevés. On ne saurait donc accepter plus longtemps le développement d'une économie parallèle sous peine de se résigner à voir une fracture économique s'ajouter à la fracture sociale.
Enfin, le coût humain est tout aussi inacceptable. Le travail clandestin engendre l'exclusion et la précarisation des personnes non déclarées. Dépourvues de la moindre protection sociale, elles sont les premières victimes de ces pratiques. Dans les ateliers clandestins, qui emploient seulement des immigrés clandestins, les rémunérations sont dérisoires et les droits élémentaires de la personne humaine sont bafoués.
C'est pour cela que le texte que vous nous présentez, madame le ministre, revêt une réelle importance. La lutte contre le travail illégal doit être classée parmi les priorités, tant à cause de l'ampleur que celui-ci a pris dans notre pays que des conséquences qu'il engendre. Je tiens donc à saluer la détermination du Gouvernement, particulièrement la vôtre, madame le ministre, à conduire une action efficace en ce domaine.
Largement inspiré des propositions du rapport de MM. Léonard et de Courson, ce projet de loi démontre, si besoin était, qu'un rapport parlementaire ne reste pas toujours lettre morte, et je vous en félicite !
Le présent projet de loi s'inscrit dans le prolongement de la législation relative au travail clandestin. Comme l'indiquait le rapporteur de la commission saisie au fond, notre collègue Louis Souvet - dont je salue le travail de qualité, accompli dans des délais bien trop courts - l'origine de cette législation remonte au décret-loi du 11 octobre 1940. Depuis plus d'une dizaine d'années, dix textes ont été consacrés, partiellement ou totalement, au renforcement de l'arsenal législatif destiné à lutter contre le travail clandestin.
Il n'empêche que, le travail clandestin s'adaptant aux règles en vigueur et l'ingéniosité de ceux qui s'y livrent ayant peu de limites, il convient de légiférer de nouveau, avec fermeté.
Tel est le sens de ce projet de loi, qui vise à clarifier des notions confuses, à renforcer les moyens juridiques pour mieux contrôler et à dissuader les éventuels contrevenants.
Au vu des faits, mieux définir la notion de travail clandestin devenait une priorité. C'est l'objet des articles 1er et 2 du texte.
Le délit de travail clandestin est désormais caractérisé soit par la dissimulation d'activité, soit par la dissimulation de salarié. Le remplacement de la notion de travail clandestin par celle de travail dissimulé permet de mettre l'accent sur la responsabilité de l'employeur et d'éviter tout amalgame avec l'immigration clandestine. En outre, le caractère lucratif de l'activité n'étant plus mentionné au nombre des éléments constitutifs de la dissimulation d'emploi de salariés, l'article 2 permet de réintroduire les associations parmi les employeurs susceptibles d'être poursuivis. Cette solution me paraît particulièrement bienvenue.
Enfin, je partage la position de la commission des affaires sociales quant à la rédaction du deuxième alinéa de l'article L. 324-9 du code de travail pour lequel l'adverbe « sciemment » doit être maintenu sous peine, notamment, de méconnaître le principe du caractère nécessairement intentionnel des délits posé par le nouveau code pénal. De même, je suis favorable à la suppression de l'article 1er bis relatif à la présomption du recours du donneur d'ordre au travail dissimulé tant l'automaticité qu'il pose serait, à l'évidence, lourde de conséquences.
Ensuite, il s'agit de renforcer les pouvoirs des agents de contrôle et d'améliorer la coordination de leurs actions.
On ne peut en effet plus durablement se satisfaire de l'impuissance de certaines catégories d'agents de contrôle confrontés à des indices de travail clandestin à l'occasion de leur mission principale.
C'est d'ailleurs l'impuissance de certains services qui m'avait conduit à déposer la proposition de loi jointe à l'examen du présent texte et pour laquelle je remercie ici mes collègues cosignataires et M. Fourcade, président de la commission des affaires sociales, qui a oeuvré pour qu'il en soit ainsi. Cette proposition de loi trouvant globalement satisfaction dans la rédaction de l'article 4, j'interviendrai lors de la discussion de cet article.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Bernard Plasait. Il est en effet essentiel que les agents de contrôle puissent non seulement constater les infractions au travail clandestin, mais également les rechercher, ainsi que se faire communiquer les documents nécessaires à leurs investigations.
Il est ainsi procédé à un alignement sur les pouvoirs de l'inspection du travail, ce qui contribuera à renforcer l'efficacité des services concernés, d'autant que la circulation de l'information entre les différents corps ou organes de contrôle, mais aussi avec les salariés, sera considérablement facilitée.
Tout aussi importantes que la répression sont la prévention et la dissuasion - cela a été souligné. C'est le troisième volet de ce projet de loi. Il faut en effet rendre le travail clandestin moins attractif et faire peser une lourde épée de Damoclès sur la tête de ceux qui seraient tentés de s'y livrer.
Ainsi, l'article 8 du projet de loi ajoute aux sanctions relatives au travail clandestin ou dissimulé et à l'emploi d'étrangers sans titre de travail la peine complémentaire de privation des droits civiques et civils, peine à laquelle il me paraît justifié d'ajouter la privation des droits dits « de famille » ; puisque ceux-ci concernant la tutelle et la curatelle, ils s'apparentent à une délégation de justice.
De même, la possibilité de refuser pendant cinq ans l'attribution des aides à l'emploi ou à la formation professionnelle en cas de verbalisation pour travail clandestin ou pour marchandage, ouverte par l'article 9, et l'obligation d'attester de la non-condamnation au titre du travail illégal pour les candidats à un marché public et les sous-traitants, posée par l'article 10, sont de nature dissuasive.
Par ailleurs, la prise en charge des frais d'éloignement par l'employeur d'un travailleur étranger dépourvu d'autorisation de travail relevant plus directement du projet de loi relatif à l'immigration que la Haute Assemblée examinera dans quelques jours, il me paraît opportun d'extraire cette disposition du présent texte.
En outre, quelques autres dispositions de ce texte viennent renforcer les sanctions existantes.
Ainsi, la sanction du non-respect de l'obligation de déclaration préalable à l'embauche sera renforcée par l'adoption de la procédure de l'ordonnance pénale proposée par la commission des affaires sociales de préférence à une sanction administrative automatique.
Tout aussi dissuasive sera l'indemnité de six mois de salaire que le travailleur clandestin devra verser au salarié non déclaré dont il se sépare.
Sans examiner avec exhaustivité l'ensemble des dispositions, il me paraît donc incontestable que ce texte constitue une réelle avancée que viendra couronner le nouveau dispositif de coordination interministérielle qui sera mis en place par voie réglementaire dans les prochaines semaines.
Cependant, madame le ministre, je conclurai par trois observations.
La première sera en forme de voeu puisqu'elle a trait aux moyens des services. En effet, nous savons tous qu'il ne suffit pas d'avoir de bonnes lois. Encore faut-il avoir les moyens de les appliquer, donc de les faire respecter.
Il ne s'agit pas dans mon esprit, bien évidemment, de la question récurrente des effectifs puisque, en la matière, plus de 90 000 agents sont habilités à constater des infractions de travail clandestin ou illégal ; il s'agit plutôt de leur formation, de leur implication, pour tout dire de leur motivation.
J'ai noté avec intérêt les observations de M. Léonard, qui relève dans son rapport l'inégale efficacité des commissions départementales de lutte contre le travail clandestin, l'emploi non déclaré et les trafics de main-d'oeuvre, instituées et organisées par les décrets des 25 juillet 1990 et du 30 octobre 1991.
Fort des statistiques fournies par la mission de liaison interministérielle pour la lutte contre le travail clandestin, l'emploi non déclaré et les trafics de main-d'oeuvre, la MILUTMO, sur la fréquence des réunions de ces commissions, notre collègue juge indispensable de mobiliser le corps préfectoral. Dans le droit-fil de l'importance accordée par le Président de la République au travail préfectoral dans le domaine de l'emploi, il suggère que l'action contre le travail illégal en soit un élément déterminant.
Mon voeu, madame le ministre, c'est donc que la nouvelle organisation interministérielle de lutte contre le travail illégal, par sa détermination et sa constance, permette une implication croissante de tous les agents concernés dans les départements, au plus près des réalités du terrain.
Ma deuxième observation concerne la prévention du travail illégal. Le Gouvernement s'y emploie. Cependant, il faut aller plus vite et plus loin. La simplification des formalités administratives, déjà engagée, y contribue. J'en veux pour preuve le succès souligné tout à l'heure du chèque emploi-service, qui rend le travail au noir domestique beaucoup moins attractif. L'économie rejoignant ici le social, je regrette qu'il n'ait pas été pour l'heure possible de revenir sur la hausse de deux points du taux de TVA décidée durant l'été 1995.
Les consommateurs considèrent en effet que le poids de l'impôt représentant plus de 20 % est excessif et difficilement supportable. C'est ainsi que se développent des comportements de fuite devant l'impôt et les pratiques de travail illégal.
Je crois vraiment que seul un grand mouvement de diminution des prélèvements obligatoires constituerait un levier très puissant pour supprimer une incitation au travail illégal et une « désincitation » au travail légal.
Enfin, ma dernière observation sera l'expression d'une crainte. Cette crainte, c'est celle d'une dérive qui tiendrait à se généraliser. En effet, d'après les services de contrôle, 60 % des entreprises clandestines sont dirigées par des personnes salariées par ailleurs qui dégagent suffisamment de temps libre pour exercer une activité complémentaire non salariée.
Le développement de l'aménagement du temps de travail paraît avoir facilité ces situations ; le mi-temps, les horaires atypiques permettent aux salariés de trouver du temps libre pour exercer une seconde activité. Or cette forme de travail, perçue comme un phénomène « naturel », représentant un coût marginal pour la société et susceptible d'arrondir les fins de mois de ceux qui s'y livrent, est trop souvent considérée avec indulgence.
C'est pourquoi, n'étant pas un farouche partisan de la réduction du temps de travail, j'attire votre attention, madame le ministre, sur ce remède qui serait pire que le mal et sur la nécessité de combattre les pratiques constatées, déjà trop fréquentes, sous peine d'en faire un nouveau sport national. Il faut, vous l'avez dit tout à l'heure dans votre propos liminaire, expliquer aux Français toute l'importance de ce combat afin qu'ils en aient pleinement conscience.
Madame le ministre, après la loi relative à la loyauté et à l'équilibre des relations commerciales et la loi sur le développement et la promotion du commerce et de l'artisanat adoptées par le Parlement au printemps dernier, ce projet de loi, que j'approuve, vient à point nommé pour encourager les « entreprenants » soucieux de la légalité et prévenir ainsi une fracture économique qui nous guette. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le premier texte qui nous est soumis cette année concerne un sujet important et difficile. Comme cela a été dit, le Parlement a déjà légiféré à de nombreuses reprises sur ce sujet, ce qui montre bien l'ampleur de la tâche qu'ont à accomplir les services publics chargés de réprimer le travail clandestin.
Je dois dire que le rapprochement entre le nombre des travailleurs clandestins, fixé à 1,4 million, et celui des infractions constatées, qui est de 20 000, me gêne un peu. Peut-être ferait-on mieux d'amoindrir la portée du phénomène car je ne suis pas sûr que ces chiffres correspondent à la réalité. Certains éléments auraient tendance à prouver que le phénomène n'atteint pas l'ampleur annoncée.
Bien entendu, madame le ministre, comme nombre de nos collègues l'ont relevé - on a pu le constater dans d'autres pays d'Europe - les complications administratives de tout ordre, l'aggravation de la fiscalité amènent inévitablement une économie souterraine.
Aussi, tout ce qui va dans le sens de la simplification administrative pour les entreprises et de la diminution de la taxation du travail entraîne systématiquement une régression du travail clandestin ou souterrain.
Il est certain que le développement de formules telles que le chèque emploi-service, au moins pour les emplois familiaux, est tout à fait positif. Auparavant, la plupart de ces emplois étaient clandestins. Pour une personne de quatre-vingts ans, les déclarations à l'URSSAF représentaient une telle difficulté qu'elle y renonçait ou avait recours à des intermédiaires coûteux ; je pense, notamment, à certaines associations spécialisées dans ce domaine.
Partant de la constatation de l'inefficacité de certains dispositifs, le projet de loi vise à assurer une meilleure coordination des services chargés du contrôle. Chaque service en effet préfère travailler dans son domaine : l'URSSAF n'aime pas dialoguer avec la justice, la police n'aime pas forcément dialoguer avec l'inspecteur du travail. Chaque service est attaché à ses spécificités. C'est le problème général de la difficulté à faire agir ensemble la police générale et les polices spéciales, et l'inspection du travail est une police spéciale en termes de droit administratif.
Les objectifs de votre projet de loi, madame le ministre, sont tout à fait louables.
Il commence par une définition du travail clandestin. Sur ce point, j'aurais aimé dire ce qu'a excellemment dit M. le rapporteur pour avis de la commission des lois s'agissant du travail clandestin et de la dissimulation.
Je ne sais pas si, sur le plan de la sémantique, l'expression « travail dissimulé » est préférable à celle de « travail clandestin », mais, ce qui est sûr, c'est qu'avant c'était clair ! Pour cette définition, il est fait référence à l'article L. 324-10 du code du travail, qui est précisé.
Pour ma part, je pense qu'il serait bon de fusionner les articles 1er et 2 au lieu de proposer une définition générale qui n'a plus de sens puisqu'y est utilisé le même concept de dissimulation que dans l'article suivant.
Compte tenu des conditions d'examen un peu rapides de ce texte, nous n'avons pas eu le temps d'approfondir ce point, mais la rédaction qui nous est soumise risque de ne pas être bien comprise par l'opinion publique.
L'opinion publique comprenait très bien l'idée de travail clandestin ou, plus simplement, de travail « au noir » ; mais, bien évidemment, nous ne pouvons pas faire figurer cette expression dans un texte de loi.
Quoi qu'il en soit, je pense que tout ce qui nous a été proposé initialement doit rencontrer l'adhésion de nos collègues ; je pense à la suppression de la mention du caractère lucratif de l'activité dans la définition du travail clandestin par dissimulation d'emploi de salariés, à la possibilité donnée au salarié d'avoir accès à la déclaration de son employeur - c'est indispensable par ce que, quelquefois, les salariés ne savent pas que leur emploi n'a pas été déclaré - à l'extension de la mission des services de contrôle à la recherche des infractions de travail clandestin, à la levée du secret professionnel et à la possibilité de refuser l'attribution des aides à l'emploi, à la formation professionnelle en cas de verbalisation - j'aurais préféré « en cas de condamnation », parce que le fait de dresser un procès-verbal ne signifie pas qu'une sanction sera prononcée - enfin à l'obligation d'attester de la non-condamnation au titre du travail illégal faite aux candidats à un marché public. Toutes ces mesures vont dans le bon sens.
Toutefois, et je reprends les propos de M. Paul Masson, ce projet de loi n'a pas d'autre objet que de lutter contre toute forme de travail clandestin. Nous savons bien que certains ont tendance à dire - ce n'est pas prouvé - que le travail clandestin est le fait d'étrangers en situation irrégulière. Certes, il existe des entreprises qui emploient ce type de travailleurs. Les services publics les pourchassent Le ministre de l'intérieur et celui des affaires sociales nous ont fait part de la découverte d'ateliers clandestins effectivement composés de véritables esclaves. Ceux-ci ne pouvaient se défendre n'étant pas en possession de papiers en règle. Ils étaient à la merci de leur employeur, qui était souvent d'ailleurs de leur propre nationalité, et les exploitait lamentablement. Nous aurons ultérieurement à examiner des dispositions tendant à améliorer la lutte contre l'immigration clandestine. Mais ne c'est pas notre propos aujourd'hui.
Quand on légifère, il faut veiller à préserver la cohérence du droit, notamment en matière pénale : ainsi, je pense que supprimer d'un trait de plume, sans réfléchir, la référence au caractère intentionnel de l'infraction détruirait totalement l'équilibre du droit pénal. Je rappelle que l'un des principes de base de notre droit pénal - sauf si la loi en dispose autrement - est le caractère intentionnel de l'infraction. Récemment, dans un certain nombre de textes, nous avons rétabli le mot « sciemment » pour bien affirmer ce caractère intentionnel. La suppression de ce mot serait donc tout à fait mal venue.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a ajouté au texte quelques éléments curieux, comme l'intervention des chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes. Je ne vois vraiment pas pourquoi - sauf très indirectement - la Cour des comptes interviendrait. Pourquoi pas le tribunal administratif, puisque des organes administratifs peuvent être concernés ? Bien entendu, si les magistrats de la Cour constatent des infractions, ils doivent renvoyer le cas devant les instances judiciaires de la même manière que le fonctionnaire est tenu de signaler toute infraction dont il a connaissance.
Voilà quelques points sur lesquels nous pourrons revenir pour redonner au texte toute sa cohérence.
Bien entendu, je ne reprendrai pas toutes les dispositions du texte, ce n'est pas le lieu dans la discussion générale ; ce n'est d'ailleurs pas nécessaire après votre intervention, madame le ministre, et les excellents rapports de MM. Souvet et Masson.
Il est vrai que le Parlement comme le Gouvernement, devant les difficultés qui se multiplient, ont tendance à multiplier les textes. Si la qualité d'un texte tient à sa longueur, on peut dire en l'occurrence que l'on a considérablement progressé puisque des douze articles que vous aviez proposés, madame le ministre, on est passé à trente-deux. Je ne suis pas sûr que cela contribue à la lisibilité et à l'efficacité du dispositif. En tout état de cause, à compliquer et à multiplier les procédures, on ne fait que multiplier les contentieux, nous le savons bien, alors que nous devons - c'est l'objectif qui nous a été assigné par le Président de la République - simplifier, rendre la loi plus lisible pour chacun, notamment pour ceux qui l'appliquent ; je pense aux magistrats. Chaque fois que l'on modifie les textes, on risque de rendre encore plus compliquées les procédures sans aboutir à une meilleure efficacité.
Au demeurant, le projet de loi - c'est un apport considérable - devrait aboutir à une meilleure coordination des services chargés des contrôles. Bien entendu, je déplore que les corps de contrôle du ministère du travail ne soient pas toujours en mesure, dans les grandes agglomérations, de faire face à l'ensemble de leurs missions.
Mais il s'agit là d'une réflexion générale sur le service public et ce n'est pas le moment de s'y engager.
En tout état de cause, je souhaite que ce projet de loi contribue à lutter efficacement contre le travail - j'accepte l'épithète - dissimulé en améliorant la prévention et la répression de ces comportements qui sont nuisibles sur les plans économique et social.
C'est dans cet espoir que le groupe de l'Union centriste votera ce texte, madame de ministre. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le travail clandestin témoigne de la détermination du Gouvernement à réprimer des pratiques qui sont à l'origine de graves désordres à la fois sociaux et économiques : précarisation des salariés, encouragement à l'immigration clandestine, concurrence déloyale pour les entreprises.
Ce projet de loi, comme nous l'ont montré en détail nos collègues Louis Souvet et Paul Masson dans leurs excellents rapports, vise à donner des infractions en cause une définition juridique plus précise, à conférer aux corps de contrôle les moyens de leur efficacité et à développer la prévention et la sanction du travail illégal.
Après l'Assemblée nationale, la commission des affaires sociales de notre assemblée a proposé qu'à l'expression de « travail clandestin » soit préférée celle de « travail dissimulé ». Je souscris, moi aussi, à cette substitution. Même si les deux termes ont des sens très voisins, il n'en reste pas moins que l'expression « travail clandestin » prête à confusion.
Je le rappelle, ce texte est destiné à renforcer le contrôle de la légalité de l'emploi des salariés quelle que soit leur nationalité, non à lutter contre l'immigration irrégulière ou l'immigration clandestine. Or le pas est vite franchi entre travail clandestin et immigration clandestine, ce qui n'est pas normal. Voilà pourquoi je soutiens la proposition de l'Assemblée nationale, qui est reprise par la commission des affaires sociales.
Un projet de loi relatif à la question de l'immigration nous sera présenté prochainement. Il est bon que ces deux textes se suivent, mais il est bon également qu'ils soient distincts. En effet, ce que nous recherchons aussi, me semble-t-il, en renforçant la lutte contre le travail dissimulé et contre l'immigration clandestine,...
M. Guy Fischer. Et voilà l'amalgame !
M. Alain Gournac. ... c'est l'intégration, en lui donnant des chances de réussir.
La France est une terre d'accueil pour ceux qui, étrangers, ont compris qu'on ne peut vivre sur son territoire sans vivre sous ses lois.
M. Robert Pagès. Dans quel débat sommes-nous ?
M. René-Pierre Signé. Vous vous trempez de sujet !
M. Alain Gournac. Elle doit être une terre d'écueils pour les réseaux qui organisent l'immigration clandestine et pour ceux qui, profitant d'une main-d'oeuvre à bas prix, ont recours à l'emploi dissimulé.
On voit bien que ce qui est également en jeu dans cette lutte contre le travail clandestin, c'est la sauvegarde de la protection sociale du travailleur.
On est, en effet, insensiblement arrivé, dans ce domaine, à une banalisation, qu'il s'agit d'enrayer avant qu'elle ne débouche sur une normalisation.
Le travail clandestin représente entre 3 % et 5 % du produit intérieur brut, soit, pour l'année 1996, de 250 milliards à 400 milliards de francs.
Quant aux pertes de recettes fiscales et sociales liées à ce travail illégal, elles sont de l'ordre de 110 milliards à 180 milliards de francs, dont 50 milliards à 75 milliards de francs au titre des cotisations sociales. Rapportés aux 45 milliards de francs de déficit de la sécurité sociale, de tels chiffres, j'allais dire : « nous laissent rêveur », mais non : nous obligent à agir de toute urgence parce que ce détournement de la loi, ce manque à gagner très important pour les caisses d'assurance et cette exploitation de l'homme par l'homme, qui n'a rien à envier à celle qu'a décrite et dénoncée Zola, sont inadmissibles.
Défendre notre système de protection sociale, c'est, certes, prendre la mesure des manques à gagner et y porter remède par des contrôles accrus et plus efficaces, mais c'est aussi protéger nos emplois légaux, notamment dans les secteurs de l'industrie et de l'artisanat. Or cela ne sera possible que si nous avons la ferme volonté de mettre un terme à ces pratiques illégales.
Les sanctions contre cette délinquance existent, mais l'augmentation du nombre des infractions relevées montre que les capacités d'intervention des corps de contrôle doivent être renforcées et les sanctions à l'encontre des employeurs rendues plus dissuasives.
Il est également urgent, madame le ministre, que les entreprises qui dissimulent leurs activités en les exerçant dans un cadre associatif puissent être sanctionnées. Le statut associatif ne peut, en effet, en aucun cas les dispenser de s'acquitter de leurs obligations fiscales et sociales.
L'élargissement et le renforcement du contrôle suppose que les officiers de police judiciaire soient autorisés par la loi à pénétrer dans l'enceinte des entreprises afin de contrôler le caractère légal de l'emploi. Il est bon que cette disposition figure dans ce projet de loi, de manière qu'il soit mis en évidence que ce contrôle s'exerce quelle que soit la nationalité du salarié. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Robert Pagès. On y revient !
M. Alain Gournac. Si le renforcement du contrôle et l'aggravation des sanctions encourues constituent des mesures répressives donnant une réelle portée à la loi, il est en outre nécessaire de mettre en place un certain nombre de mesures incitatives. Nous devons en effet considérer le travail dissimulé non seulement comme un mal qui mine notre société, comme un fléau qui l'atteint dans ses principes et dans son économie, mais également comme le symptôme de réelles difficultés pour les employeurs dans certains secteurs.
L'extension de l'utilisation du chèque emploi-service, en apportant une solution administrative simplifiée,...
M. René-Pierre Signé. C'est trop compliqué et ça ne marche pas !
M. Alain Gournac. ... permettrait de lutter efficacement contre l'embauche clandestine de personnes dans des secteurs comme ceux de la restauration et de l'agriculture, par exemple. Mais il existe d'autres applications possibles : je pense notamment à tous les emplois qui relèvent des activités saisonnières liées aux vacances, aux sports d'hiver, en particulier.
Dans ces secteurs, les tracasseries et les exigences tant réglementaires qu'administratives sont indéniablement à l'origine des détournements de la loi ; les taxes et les charges patronales, en grevant la capacité d'embauche des employeurs, sont aussi des freins à l'embauche légale.
Certes, ces raisons ne peuvent être mises sur le même plan. Néanmoins, elles interpellent le politique et doivent le conduire à imaginer des solutions incitatives.
Le politique doit aussi savoir anticiper, prévoir l'évolution de notre société. Il est clair que les emplois de proximité sont appelés à se développer de façon importante. Ne conviendrait-il pas, dès lors, par exemple, de créer, à titre expérimental, un institut des métiers qui ont trait à l'action sociale : emplois familiaux, emplois d'assistante maternelle, emplois relatifs à la dépendance des personnes âgées ou à l'accompagnement des personnes handicapées.
Cet institut serait à la fois un observatoire, un centre de ressources, où l'offre serait mise en réseau, et surtout un centre de formation délivrant un diplôme correspondant à une qualification aujourd'hui nécessaire pour prétendre assumer des responsabilités dans ce secteur.
En conclusion, j'apporte mon entier soutien aux dispositions de ce projet de loi. Elles vont dans le bon sens et traduisent parfaitement la volonté gouvernementale de lutter contre le travail clandestin et, de façon plus générale, contre l'illégalité. Si celle-ci est parfois explicable, elle n'est jamais tolérable.
La discussion sur les termes « travail clandestin » ou « travail dissimulé » avait pour objet de dissiper une confusion. Mais celle-ci trouve pour une part son origine dans la perception d'un phénomène commun aux réalités que nous avons distinguées. Le travail clandestin et l'immigration clandestine ne se recouvrent pas mais se recoupent, a-t-on dit avec raison.
M. René-Pierre Signé. Nous y voilà !
M. Alain Gournac. Permettez-moi d'ajouter qu'ils s'apparentent parce qu'ils s'enracinent dans un même mépris de la loi et, à terme, insidieusement, de ce qui fait l'essence de notre République.
M. René-Pierre Signé. Triste république !
M. Alain Gournac. J'approuve totalement ce projet de loi, madame le ministre, parce qu'il ouvre la voie tant à la fermeté contre les abus qu'à la compréhension des situations et parce qu'il sera suivi d'un projet de loi relatif à l'immigration. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. C'est de l'amalgame !
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
M. René-Pierre Signé. On va entendre autre chose ! (Sourires.)
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis ce soir, vidé de la substance du texte d'origine, ce qui explique peut-être sa pauvreté, prétend malgré tout régler un véritable problème de société, qu'on désigne habituellement, sans doute improprement, par l'expression de « travail clandestin ».
Ce débat aurait dû créer un consensus ; en tout cas, le groupe socialiste y était prêt. Il apparaît en effet que cette délinquance autour du travail dissimulé s'aggrave, avec les effets désastreux que l'INSEE et certains de nos collègues ont tenté d'évaluer : qu'il s'agisse des ressources fiscales et des comptes sociaux - là, les estimations sont nécessairement approximatives, mais on évoque un chiffre de 156 milliards de francs - qu'il s'agisse des ravages constatés chez les salariés victimes de ces pratiques illicites, qu'il s'agisse, enfin, des situations de concurrence déloyale auxquelles se trouvent ainsi confrontées les entreprises vertueuses, qui respectent la loi.
Nous étions prêts à compléter, accentuer, voire réorienter, avec la majorité actuelle, les mesures contenues dans les différents textes législatifs - il y en eut dix au cours de ces dernières années - que nous avions nous-mêmes fait adopter, en 1981, 1985 et surtout en 1991. Chacun s'accorde à reconnaître que ces textes ont fait la preuve de leur efficacité ; cependant, nous le reconnaissons volontiers, ils se révèlent aujourd'hui très largement insuffisants.
Nous sommes en effet conscients que l'évolution et la complexification de l'organisation du travail et des relations entre employeur et salariés expliquent, pour une large part, l'augmentation du travail illégal. Elles sont le résultat de la flexibilité, qui s'intensifie sans cesse, de la précarité des situations de travail, de la fragilisation de notre législation.
Vous escomptiez, de cette stratégie de flexibilité, madame le ministre, des retombées positives en termes de lutte contre le chômage et de création d'emplois. Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler les derniers chiffres enregistrés ni les prévisions du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts, le CSERC.
Madame le ministre, que nous proposez-vous pour remédier aux graves dysfonctionnements soulignés par vous-même et par les différents orateurs qui m'ont précédée à cette tribune ? Un texte pauvre, sans véritable portée, voire dangereux pour les salariés puisqu'il fait sauter le verrou de sécurité que représente pour eux la prédominance, en termes de contrôle, de l'inspection du travail, dont l'une des deux missions est celle, extrêmement importante, de la protection du travailleur.
M. Robert Pagès. Eh oui !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Madame le ministre, sur ce texte, nous devions ensemble faire preuve de courage pour lutter contre des gens malhonnêtes, fussent-ils des employeurs : courage dans la définition de sanctions suffisamment significatives pour être véritablement dissuasives ; courage et perspicacité dans un repérage et une mise à plat complets et exhaustifs de tous les modes de trafics d'activités et de personnels, non déclarés ou partiellement déclarés, tels que la sous-traitance en cascade, le télétravail et tout autre mode nouveau de travail dissimulé ; courage et détermination afin d'obtenir des budgets suffisants, nous permettant de mener à bien une telle action.
A qui fera-t-on croire, en effet, que des crédits revus à la baisse - ce qui va tout de même se traduire en 1997 par une diminution de soixante-douze fonctionnaires dans les effectifs du ministère du travail - démontrent une volonté d'efficacité et une détermination à mener une véritable action à l'encontre de profiteurs habiles ?
Il s'agit pourtant là d'une question d'une extrême importance, tant pour les milliers d'êtres humains qui sont privés de la plus élémentaire protection qu'au regard de la santé et de l'équilibre de notre économie.
J'en viens maintenant aux articles de ce projet de loi.
Il faut tout d'abord souligner que celui-ci a suscité bon nombre de commentaires et de discussions animées parmi nos collègues de l'Assemblée nationale, à cause d'une disposition qui, ironie du sort ! a été supprimée suite aux recommandations du Conseil d'Etat.
Mon propos n'est pas ici de relancer la discussion sur l'opportunité ou non d'autoriser les officiers de police judiciaire à pénétrer plus facilement dans les locaux professionnels afin d'y procéder à des vérifications d'identité sous couvert de lutte contre le travail clandestin, mais le Conseil d'Etat a parfaitement compris quel était l'objet premier de cette disposition : il a en effet estimé qu'un texte sur le travail clandestin ne pouvait fournir l'occasion de modifier le champ des compétences des agents du ministère de l'intérieur.
Je reste toutefois perplexe face à une contradiction tout aussi flagrante : que vient faire dans un texte sur l'immigration une disposition relative à l'habilitation de certains agents de l'Etat à rechercher, puis à constater une infraction qui constitue avant tout une violation de la législation du travail ?
Tout au long des débats, des parlementaires responsables ont souhaité éviter que ne se perpétue cet amalgame dangereux entre travail clandestin et travailleurs étrangers clandestins. Des discussions, peut-être un peu vaines, longues en tout cas, ont porté sur la recherche d'un vocable idéologiquement plus neutre et juridiquement mieux fondé, et c'est ainsi que nous avons abouti à l'expression hybride de « travail dissimulé ».
Mais en laissant à votre collègue, M. Debré, le soin de traiter cette question, vous entretenez, madame le ministre, cette confusion abusive.
Ce mélange des genres ne nous étonne d'ailleurs pas, car il correspond à une stratégie habilement orchestrée tendant à donner un « coup de projecteur » sur l'existence de réseaux d'immigration clandestine qui répondent à la demande d'employeurs, nouveaux négriers du xxe siècle - l'expression n'est pas de moi - et de donneurs d'ordre tout aussi coupables. Je parle ici de « coup de projecteur » au sens propre du terme, puisqu'il arrive que l'on convie la télévision à filmer ces opérations « coup de poing ».
En procédant ainsi, vous prenez le risque de conforter l'idée fausse selon laquelle la lutte contre l'immigration clandestine s'impose afin d'éradiquer le travail clandestin. Les chiffres, mêmes approximatifs, que vous avez évoqués tout à l'heure, madame le ministre, parlent pourtant d'eux-mêmes : entre 6 % et 10 % des infractions constatées concernent l'emploi d'étrangers sans titre de travail.
Ce n'est certainement pas une coïncidence si le dépôt de ce projet de loi fait suite à la création récente, au sein du ministère de l'intérieur, de l'OCRIIEEST...
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... l'Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre - dont la définition de la mission est fondée sur l'existence supposée d'un lien entre immigration clandestine et travail clandestin.
Or la lutte contre le travail illégal sous toutes ses formes ne se conçoit que par le biais d'une politique globale. Il y a consensus sur ce point, et nous souscrivons au souhait du Gouvernement d'en faire une priorité nationale.
Attardons-nous donc sur le texte finalement présenté aux parlementaires, qui repose, nous dit-on, sur trois grands axes : une définition mieux adaptée de l'infraction, une meilleure coordination de l'action des nombreux acteurs de la lutte contre le travail clandestin et un renforcement des sanctions.
Le travail clandestin se manifeste par la dissimulation d'activités ou de salariés, cette dissimulation se caractérisant par l'omission de formalités légales dont je ne reprendrai pas ici l'énumération.
La principale innovation du texte réside dans la possibilité d'atteindre - j'ai envie de dire « enfin » - les structures associatives qui peuvent - on sait bien que c'est fréquemment le cas - se rendre coupables de dissimulation de salariés. Je souligne toutefois que la question délicate des associations intermédiaires reste posée.
Face à cette priorité nationale, le Gouvernement tente de relever le défi suivant : mobiliser un maximum d'agents de l'Etat sans augmenter les effectifs, notamment ceux des services de l'inspection du travail, lesquels sont chargés de faire respecter la législation. Pour cela, il étend à la marge les compétences des agents des transports terrestres et de la douane. C'est une décision qui reste bien en deçà, nous semble-t-il, de l'ambition affichée dans les discours.
Plus fondamentalement, je me demande s'il ne faut pas déceler ici l'accélération d'un mouvement qui tendrait à gommer la spécificité des rôles des fonctionnaires de l'administration du travail,...
M. Guy Fischer. Voilà !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... chargés de faire régner l'ordre public, mais aussi de garantir le respect des droits des salariés.
Par ailleurs, en ce qui concerne les moyens dont disposent les agents de contrôle, le projet de loi énumère les pièces que ceux-ci peuvent se faire communiquer au cours de leurs missions. Nous verrons que ne sont pas cités certains documents essentiels, tels que les pièces comptables qui permettraient d'identifier les donneurs d'ordre qui ont recours à des sociétés écrans ou d'établir, par exemple, des comparaisons entre le nombre de salariés déclarés et les rémunérations effectivement portées sur les bulletins de salaire.
S'agissant du volet relatif à la communication et à l'information, j'ai été choquée par les discussions qui se sont engagées, au sujet de ces articles, à propos de la nécessité de ne pas créer un climat inquisitorial autour des employeurs. J'ai également été choquée par les termes dans lesquels ont été évoquées les relations entre ceux-ci et les administrations de contrôle, mais aussi - et c'est sans doute plus grave - par les limites posées au droit à l'information des salariés.
Dans un souci apparemment louable de faciliter les recoupements d'informations entre les administrations, le texte qui nous est présenté tend à revenir sur une faculté importante laissée aux inspecteurs et aux contrôleurs du travail, à savoir le libre choix de communiquer ou non une information relative à une procédure en cours, souvent engagée à la suite du témoignage d'un employé. Certes, la convention n° 17 de l'Organisation internationale du travail prévoyait elle-même la possibilité, pour la législation nationale, de contourner cette règle déontologique. Toutefois, l'aménagement que vous suggérez, qui tend à rendre automatique cette communication, peut entraîner de graves conséquences pour les salariés.
A cet égard, il serait intéressant, madame le ministre, que vous nous indiquiez les raisons qui ont motivé une telle restriction apportée au libre arbitre des inspecteurs du travail pour ce qui concerne le travail clandestin, alors que l'expression « seront habilités » est conservée dans le texte de la disposition introduite par les députés socialistes et relative au marchandage et aux prêts de main-d'oeuvre illicites. Il s'agit pourtant là aussi d'infractions graves, voire plus fréquentes, mais plus difficiles à prouver, et il arrive même que les parquets renoncent à poursuivre, tant les procédures sont complexes et longues.
En ce qui concerne les sanctions, l'article 9 relatif à la suspension ou au refus des aides à l'emploi et à la formation professionnelle confirme une disposition de la loi de 1991, qui prévoyait déjà le remboursement des aides publiques en cas de condamnation pour recours au travail clandestin.
Il devrait également permettre de rectifier les orientations surprenantes proposées au début de l'année 1996, selon lesquelles il semblerait que l'on ne trouve pas opportun de lier aide publique et respect du code du travail.
Enfin, il est prévu une mesure spécifique concernant les marchés publics, afin que les collectivités s'assurent que leurs partenaires directs ou indirects n'ont pas été condamnés pour cette infraction. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce souci de moralisation, mais on peut toutefois s'étonner qu'il soit nécessaire de légiférer sur un point aussi élémentaire, a fortiori en matière de marchés publics, bien que quelques affaires récentes, notamment dans la région parisienne, nous démontrent que le manque de vigilance du maître d'ouvrage, voire sa complaisance, est tout aussi grave...
Madame le ministre, la mise en évidence des apports du Gouvernement à la législation actuelle souligne malheureusement la modestie de ceux-ci.
Il est certes de bon ton, dans certaines sphères, de se lamenter sur le nombre impressionnant des dispositions introduites progressivement dans le code du travail et sur la difficulté de les mettre en application. Nul doute que ce projet de loi ne pourra susciter un tel grief !
Compte tenu de la disparition des mesures clés relatives aux opérations de police judiciaire, le projet de loi apparaît squelettique. Il procède par légères retouches et ne s'attaque pas aux nouvelles modalités de travail dissimulé induites par les nouvelles formes d'aménagement du temps de travail, le télétravail et l'activité des artisans de fait, et la frontière de plus en plus floue entre travail intérimaire et marchandage complique encore les choses. Il s'agit pourtant de phénomènes qui se développent corrélativement à l'aggravation du chômage et de la précarité, et qu'il est très difficile d'identifier, donc de réprimer.
Certains aménagements proposés à l'Assemblée nationale ont toutefois permis d'améliorer le texte du Gouvernement dans trois directions, à partir de la définition des éléments constitutifs du travail clandestin, de la responsabilité des différents protagonistes dans la chaîne du travail clandestin et des droits des salariés victimes de cette infraction.
Remarquons avec regret que les recommandations émises par la commission des affaires sociales du Sénat constituent assez souvent une régression par rapport à ces quelques améliorations apportées par l'Assemblée nationale.
Ainsi, est présumé se livrer à un travail clandestin celui qui n'a pas accompli certaines formalités obligatoires. Je note avec satisfaction que nos deux assemblées ont souhaité faciliter la constitution de l'infraction dans l'hypotèse de la dissimulation d'emplois salariés : il est en effet proposé que l'absence de l'accomplissement d'une seule formalité suffise désormais à constater le travail clandestin, alors que le texte gouvernemental exigeait l'absence cumulée d'accomplissement de deux formalités. Malheureusement, cette apparente « bonne volonté » du législateur est à atténuer fortement, puisqu'en maintenant la notion d'intentionnalité dans cette disposition il permet aux employeurs d'invoquer un oubli ou un simple retard dans l'accomplissement des formalités, que les aller-retour entre le lieu de travail où interviennent les différents agents habilités à contrôler et le siège où se trouvent les différents registres permettent très souvent aux employeurs de « rattraper ».
Par ailleurs, la réécriture de l'article L. 324-10 du code du travail aboutit à une nouvelle définition du travail dissimulé, qui inclut désormais, sur proposition du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, la dissimulation des heures travaillées sur le bulletin de paie.
Mais le Sénat propose d'introduire une dérogation de taille à cette reconnaissance législative d'une jurisprudence de la Cour de cassation : il s'agit des conventions d'annualisation du temps de travail qui, selon notre rapporteur, peuvent donner lieu à des inscriptions fictives, dans la mesure où les bulletins de salaires ne transcrivent plus obligatoirement un nombre d'heures effectivement travaillées correspondant à un salaire dû. Nous reviendrons certainement sur ce point au cours du débat.
Par ailleurs, le projet de loi tend à compléter les mesures visant l'ensemble des protagonistes de la chaîne du travail clandestin.
Afin de faciliter la mise en cause et l'engagement de la responsabilité des donneurs d'ordre, qui sont en fait les véritables bénéficiaires du travail clandestin, les députés socialistes ont proposé de supprimer la mention « sciemment » dans l'article L. 349-9 du code du travail.
En effet, si la démonstration de l'intentionnalité des actes de celui qui recourt au travail clandestin ne soulève pas de difficultés insurmontables, en revanche les agents de contrôle rencontrent beaucoup plus d'obstacles pour apporter les preuves de cette intentionnalité pour ce qui concerne les donneurs d'ordre.
Or notre rapporteur nous suggère de revenir à la version initiale du texte, sous prétexte que le caractère intentionnel est constitutif du délit. Mais ne croyez-vous pas, mes chers collègues, que, dans ce cas, l'intention du donneur d'ordre se déduit inéluctablement du fait d'avoir, par exemple, passé des commandes à un fournisseur à des prix anormalement bas ?
Cette hypothèse existe d'ailleurs juridiquement : on parle en effet de délit à dol implicite. Il est notamment invoqué en matière de sécurité du travail, où le fait de ne pas avoir protégé une machine, par exemple, peut entraîner une inculpation.
Il ne suffit pas d'affirmer notre détermination à poursuivre les véritables responsables ; donnons les moyens aux agents de l'Etat qui remplissent cette mission dans des conditions difficiles de sanctionner ceux qui s'entendent parfaitement à utiliser les lacunes ou les imprécisions de la loi pour parvenir à leurs fins.
On peut également saluer la volonté d'impliquer « à titre préventif » les maîtres d'ouvrage, publics ou privés, dans la moralisation de la sous-traitance, leur absence de vigilance constituant en effet une présomption de responsabilité. On retrouve cette préoccupation à l'article 1er bis, visant l'agrément des sous-traitants dans le BTP, et à l'article 10 modifé pour les contrats passés par les collectivités publiques.
J'estime que ces dispositions préservent l'intérêt général, qui doit être au centre de toute lutte contre le travail clandestin, mais aussi l'intérêt du maître d'ouvrage qui, notamment dans le BTP, a beaucoup à perdre en recourant à des personnels peu ou pas qualifiés.
C'est pourquoi, une fois encore, je ne comprends pas les positions de notre rapporteur, qui sont devenues celles de la commission des affaires sociales, sur ces deux articles. La pratique démontre que l'agrément des sous-traitants est de plus en plus fréquent, qu'il offre des graranties réciproques. Quant à vos inquiétudes exprimées sur l'article 10, monsieur le rapporteur, votre argumentation n'est pas convaincante et j'y reviendrai ultérieurement.
Une amélioration a été également apportée sur le volet de la solidarité financière des maîtres d'ouvrage et donneurs d'ordre puisque, désormais, ils seront conjointement tenus de contribuer au paiement des pénalités et des majorations de cotisation obligatoires, et au paiement des indemnités dues aux salariés dissimulés en cas de rupture de la relation de travail.
Le projet de loi amendé par l'Assemblée nationale apporte quelques améliorations au point de vue des droits des employés, qui sont les véritables victimes du travail clandestin. L'indemnité versée en cas de ruptre de la relation de travail est portée à six mois de salaire, grâce à un amendement voté à l'unanimité par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, dans des termes qui, selon moi, demeurent encore beaucoup trop limités, le salarié peut obtenir les informations relatives à l'accomplissement ou non par son employeur des formalités requises au moment de son embauche. Pourquoi avoir limité le droit d'information à la seule déclaration préalable à l'embauche ou au registre unique du personnel ?
A l'Assemblée nationale, M. Salle a évoqué dans son rapport le risque de voir des salariés « trop curieux » ! Madame le ministre, vous semblez partager cet avis car, selon vous, certaines formalités, comme celles qui sont relatives à la fiscalité, ne regardent pas l'employé. Vous avez raison, mais ce n'est pas tant le contenu de ces formalités qui regarde l'employé que leur existence ou leur absence.
Nous déposerons des amendements afin de faire accéder l'ensemble des salariés à ce droit légitime de l'information sur la situation et l'identification de l'employeur direct, mais aussi sur l'identité des donneurs d'ordres. Cela me paraît être un droit élémentaire, indispensable, si ces derniers doivent faire valoir des droits.
Les autres amendements que nous soumettrons à l'approbation du Sénat doivent permettre de compléter les dispositions relatives à d'autres formes de travail illégal.
Ils visent les infractions de marchandage et de prêt de main-d'oeuvre illicite. Nous souhaitons que soient requalifiées les relations de travail où, sous couvert d'artisanat, de professions indépendantes, les personnes employées sont en fait subordonnées à celui qui leur fournit le travail ; les exemples fourmillent, qu'il s'agisse des routiers, des coursiers ou d'autres professions. Tous les jours, nous découvrons de nouveaux cas dramatiques d'absence de couverture sociale.
Nous avons également déposé des amendements tendant à améliorer les conditions dans lesquelles le corps d'inspecteurs et de contrôleurs du travail exécute sa mission. Ils concernent essentiellement les documents qu'ils peuvent se faire communiquer.
La proposition visant à interdire les aides publiques aux employeurs se rendant coupables de travail clandestin nous paraît fort judicieuse. C'est la raison pour laquelle nous vous proposerons, mes chers collègues, de conditionner l'octroi de ces aides à l'absence de condamnation pour des délits commis dans le cadre de la réglementation du travail. Je ne doute pas que vous partagerez notre souci de défendre le droit des salariés et notre préoccupation d'assurer une bonne utilisation des fonds publics.
Votre accord sur ces amendements conditionnera notre vote final. Pour nous, socialistes, il ne peut être question, je le réaffirme solennellement, de cautionner en quoi que ce soit le travail illégal, sous aucune de ses formes. Mais nous ne voulons pas nous en tenir à des discours ou à des déclarations d'intention. Nos propositions d'amendements sont de nature, me semble-t-il, à donner du corps au présent projet de loi, qui doit être mieux charpenté si nous voulons qu'il soit efficace. Le groupe socialiste se déterminera donc en fonction du débat qui va s'instaurer et des avancées qui en découleront. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, notre société est malade, malade d'une économie libérale qui n'en finit plus de produire ses effets dévastateurs. Le développement du travail illégal en est un exemple alarmant, qui révèle les profonds dysfonctionnements de notre système économique.
Les causes et les mécanismes qui alimentent le travail illégal sont connus. C'est d'abord la misère. La France compte plus de trois millions de chômeurs et plus de un million de RMIstes. Autant de personnes qui sont prêtes à travailler, même dans les pires conditions, pour survivre. C'est aussi, du côté patronal, la course au profit, la recherche de la rentabilité coûte que coûte, même si cela doit passer par le non-respect des obligations légales.
Le travail illégal cause de graves désordres économiques et sociaux. Il représente pour l'Etat et les organismes de protection sociale une perte de recettes qui s'élèverait à plus de 150 milliards de francs selon les estimations du rapport parlementaire sur les fraudes et les pratiques abusives. Il est une concurrence déloyale faite aux entreprises respectueuses de leurs obligations. Enfin, et surtout, il place les salariés, premières victimes de ces pratiques, dans une situation d'extrême précarité, ceux-ci échappant à toute législation sociale protectrice : ils n'ont droit à aucune couverture sociale, qu'il s'agisse de l'assurance maladie ou de l'assurance vieillesse ; ils travaillent dans des conditions déplorables, les normes de sécurité et d'hygiène n'étant que très rarement respectées, et cela pour un salaire généralement dérisoire. Pour le plus grand profit de l'employeur, ou plutôt des donneurs d'ordres, ils sont taillables et corvéables à merci.
Ce fléau social et économique, cette forme moderne d'esclavage qui ne cesse de se développer, ne saurait être tolérée et doit être efficacement combattue.
Face à cette situation, le Gouvernement déclare vouloir faire de la lutte contre le travail illégal une « priorité nationale ». Nous ne devrions que pouvoir acquiescer. Mais, hélas ! à examiner de près la politique préconisée, il semble que le Gouvernement fasse fausse route. Pour montrer sa détermination, il nous présente en effet une « stratégie globale » associant traitement économique en amont et traitement pénal en aval, c'est-à-dire le présent projet de loi.
Je dirai tout d'abord quelques mots de la situation économique dans laquelle celui-ci vient s'inscrire.
De quoi s'agit-il ? D'une politique qui vise à réduire le coût du travail par un système d'exonération des charges et de réduction des cotisations sociales, d'une politique de zones franches et de défiscalisation, d'une flexibilité accrue à travers l'augmentation du travail précaire, de la flexibilité, des projets d'annualisation du temps de travail. Nous en discuterons certainement de nouveau dans quelques semaines.
N'est-il pas paradoxal, pour le Gouvernement, de prétendre s'attaquer aux causes profondes du travail illégal, alors même que toute sa politique économique consiste, au contraire, à organiser une harmonisation vers le bas, à donner son aval à une précarisation accrue des conditions de travail ?
Non, je ne pense pas que ce soit cela s'attaquer aux causes profondes du travail illégal qui, comme je l'ai indiqué au début de mon propos, sont, d'une part, le chômage et la précarité et, d'autre part, la concurrence généralisée et la course effrénée aux gains de productivité.
Après ce rappel, j'en viens au projet de loi proprement dit.
La lutte contre le travail illégal a fait l'objet de nombreuses réformes au cours des dernières années, avec la présentation de dix textes. Des adaptations utiles ont été apportées : élargissement du champ de l'infraction, peines plus sévères, création de certaines peines complémentaires, ou encore début d'une mise en cause des donneurs d'ordres. Cependant, force est de constater que le phénomène n'a pas été enrayé, bien au contraire.
Aujourd'hui, le Gouvernement propose de nouvelles mesures afin de donner une impulsion décisive à cette lutte. Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, au principe d'une nouvelle réforme. Le dispositif existant, qui doit être appliqué, est loin d'être négligeable, mais certains points peuvent être améliorés, notamment en ce qui concerne les donneurs d'ordres et les maîtres d'ouvrage, principaux responsables et bénéficiaires de cette économie parallèle, qui restent encore trop souvent impunis.
Il faut reconnaître que certaines dispositions du projet de loi clarifient et améliorent la définition de travail dissimulé.
Ainsi en est-il de la distinction entre dissimulation d'activité et dissimulation de salarié. Ainsi en est-il aussi de l'élargissement du champ d'application du délit, qui fait de l'absence de déclaration préalable à l'embauche un élément constitutif du délit de travail dissimulé.
S'agissant, enfin, du dernier volet du texte, relatif aux sanctions, nous approuvons la peine complémentaire de privation des droits civiques et civils, la suppression des aides publiques à l'emploi et à la formation professionnelle, ainsi que la disposition obligeant un candidat à un marché public et ses éventuels sous-traitants à apporter la preuve qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation définitive pour infraction à la législation sur le travail illégal.
Mais cela suffit-il à justifier un nouveau projet de loi ? Notre réponse est : non, d'autant que ce texte se limite à une forme de travail illégal : le travail dissimulé, c'est-à-dire la dissimulation d'activité et d'emploi.
Pourquoi une telle restriction ? Certes, le travail dissimulé semble, selon les statistiques, être la forme la plus importante de travail illégal, puisqu'il représente 67 % des infractions relevées par les services de contrôle. Cependant, sur un tel sujet qui, par définition, ne peut être connu avec exactitude, la prudence est de rigueur. Les statistiques se fondent sur les infractions relevées, qui ne représentent qu'une petite partie de l'iceberg, et rien ne permet de dire que ce chiffre soit représentatif. Quand bien même il serait exact, faudrait-il pour autant négliger les 33 % restants ?
La fausse sous-traitance et les fraudes concernant l'ASSEDIC participent également au déséquilibre des comptes de la nation, au commerce déloyal et à la précarisation des salariés. Il est donc impératif de lutter aussi contre ces formes de travail illégal.
Comment pouvez-vous, madame le ministre, prétendre faire du travail illégal une priorité en omettant ces infractions ? Je souhaite obtenir une réponse de votre part.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la compétence et à la procédure, le projet de loi tend à harmoniser les pouvoirs des différents agents de contrôle en les alignant sur ceux de l'inspection du travail, portant ainsi atteinte au respect de la spécificité de ses compétences, à son indépendance par rapport à la police et à la gendarmerie, à sa mission de contrôle de l'ensemble de la législation sociale, à sa mission protectrice des droits des travailleurs, à ses moyens et à ses prérogatives.
Par ailleurs, le texte élargit la mission légale des corps de contrôle compétents en leur donnant, au-delà de leur mission traditionnelle, la mission de « rechercher ». Cette notion est pour le moins floue et elle permet toutes les interrogations sur l'utilisation qui pourra en être faite.
Nous touchons là à un paradoxe d'importance : avant de modifier la législation, ne conviendrait-il pas de se donner les moyens d'appliquer pleinement les dispositions en vigueur ?
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Guy Fischer. Comment se fait-il que la majorité des procès-verbaux de constat d'irrégularité soient, pour la plupart, classés sans suite ? Comment expliquer qu'on ne remonte que très rarement jusqu'aux commanditaires lors du démantèlement d'un atelier clandestin ? Les sanctions existantes sont déjà rarement appliquées. Qu'est-ce qui garantit que les nouvelles sanctions le seront ?
Le problème semble donc bien dépasser la seule adéquation des règles juridiques.
Si l'efficacité de la lutte contre le travail illégal est insuffisante, c'est d'abord par manque de moyens humains, ce qui est largement confirmé par les inspecteurs et contrôleurs du travail que nous avons pu rencontrer.
Alors que le présent projet de loi comporte de nouvelles missions, il ne prévoit aucun renforcement des effectifs de l'inspection du travail, dont les agents ont pourtant vocation à être les principaux acteurs de la lutte contre le travail illégal. La loi de finances pour 1997 supprime même un certain nombre de postes.
Enfin, les voies choisies par le Gouvernement pour renforcer la lutte contre le travail illégal, loin d'être à la hauteur d'une priorité nationale, sous-tendent de plus des dérives inquiétantes.
L'esprit qui anime le Gouvernement et la majorité me fait sérieusement m'interroger. Permettez-moi, en effet, de vous faire part de mes vives inquiétudes quant aux dangereuses dérives que portent en germe certaines dispositions du texte, qui tendent à orienter le contrôle plus vers les salariés que vers les entreprises - bien que l'on s'en défende - plus vers la chasse aux travailleurs étrangers en situation irrégulière que vers la défense des droits des victimes du travail illégal.
Prenons l'exemple le plus révélateur et le plus intolérable : je parle, bien sûr, de la disposition sur les pouvoirs des officiers de police judiciaire.
A la suite de l'avis du Conseil d'Etat, cette mesure a été retirée de ce texte et introduite dans le projet de loi portant diverses mesures relatives à l'immigration, qui fera l'objet d'un prochain débat. N'est-ce pas implicitement reconnaître que ce sont les immigrés qui sont les cibles privilégiées de cette mesure ? Bien sûr, vous vous en défendez !
Pour faire « bonne mesure », nombre de parlementaires de la majorité aujourd'hui silencieux souhaiteraient la voir réintroduite dans le projet de loi relatif au travail illégal.
Pour la première fois, hors les grèves et certaines périodes noires de l'histoire, la police et la gendarmerie seront peut-être autorisées à entrer à l'intérieur des entreprises. Elles pourraient contrôler l'identité des salariés, vérifier leur inscription sur le registre du personnel et leur déclaration préalable à l'embauche. Cette intrusion des forces de l'ordre dans les lieux professionnels, en dehors des contrôles judiciaires normaux et alors même qu'aucun délit n'a été commis et qu'il s'agit d'une propriété privée, est extrêmement choquante.
Ce champ n'est pas le leur. Il y a là une grave confusion des rôles et une véritable atteinte aux libertés.
Ce droit revient et doit continuer à revenir aux seuls inspecteurs et contrôleurs du travail, sauf si une commission rogatoire a été délivrée par le juge ou en cas de flagrant délit. Les salariés ont toujours été considérés comme des victimes qu'il fallait protéger et non sanctionner. La recherche des infractions au droit du travail relève principalement du corps de l'inspection du travail. Remettre en cause ce point serait une erreur impardonnable.
M. Robert Pagès. Très juste !
M. Guy Fischer. Dès lors, il est permis de penser que l'irruption des forces de l'ordre dans les entreprises servirait essentiellement à renforcer la traque aux immigrés irréguliers. Je ne pense pas qu'on en soit là, mais il faut le dire aujourd'hui ! Les immigrés irréguliers sont, certes, en infraction avec les lois sur l'entrée et le séjour, mais ils ne sont en aucun cas auteurs du délit de travail dissimulé, dont ils sont des victimes au même titre que les autres salariés.
Une telle disposition, qui contribuerait à l'instauration d'un Etat policier, est aussi scandaleuse dans ce projet de loi que dans le projet de loi sur l'immigration. De plus, il confirme l'amalgame selon lequel l'immigration clandestine et le travail illégal sont une seule et même chose ; il alimente la xénophobie, en faisant croire que les immigrés sont responsables de la situation de l'emploi.
Tel est d'ailleurs l'esprit, à mon sens édifiant, madame le ministre, d'un tract récemment publié par l'une des composantes de la majorité gouvernementale, qui assimile clairement l'immigration clandestine et le travail illégal :
« Halte à l'immigration clandestine !
« Poursuivons sur la voie de la fermeté ! C'est en ce sens que le Gouvernement va présenter deux projets de loi, l'un contre l'immigration clandestine, l'autre afin de mieux lutter contre le travail clandestin. »
M. Robert Pagès. Amalgame !
M. Guy Fischer. La boucle est bouclée ! L'amalgame est dénoncé !
Cette confusion est, au demeurant, dénuée de tout fondement. En effet, les statistiques montrent que, en 1994, l'emploi d'étrangers sans titre de travail représentait 6 % des verbalisations pour travail dissimulé. Même si ces chiffres sont à considérer avec circonspection, il semble incontestable que le travail au noir touche majoritairement des Français.
Le texte se trompe donc de cible. Cela paraît d'autant plus flagrant que les dispositions visant à remonter jusqu'aux entrepreneurs donneurs d'ordre et maîtres d'ouvrage restent bien timides. Or l'efficacité de la lutte dépend de cette possibilité. Le constat se trouve d'ailleurs dans l'exposé des motifs du projet de loi, selon lequel « la mise en oeuvre des dispositions existantes sur ce point reste encore limitée ».
Mais que proposez-vous pour y remédier, pour permettre aux agents de contrôle de remonter l'écheveau souvent complexe des relations de sous-traitance ?
La communication des documents aux corps de contrôle est un élément essentiel, car c'est par ce droit qu'ils peuvent démêler les filières de sous-traitance. A cet égard, les propositions gouvernementales sont notoirement insuffisantes.
Ce droit a été à juste titre élargi aux documents commerciaux par un amendement déposé à l'Assemblée nationale par M. Rudy Salles, rapporteur. Cependant, il n'a pas été étendu aux documents comptables, qui sont pourtant des pièces essentielles pour remonter les filières financières souvent fort sophistiquées. Le Gouvernement préfère limiter ce droit à la communication, afin qu'il ne soit pas vécu comme un droit d'inquisition par les employeurs.
Les éléments positifs de ce projet de loi sont donc bien faibles, comparés aux effets néfastes de certaines mesures. La volonté du Gouvernement de lutter contre le travail illégal n'est guère convaincante.
Vous avez choisi de légiférer, soit ! Mais faites en sorte que ce texte soit non pas une énième réforme, un texte en trompe-l'oeil, mais un dispositif complet et adapté. Ce projet de loi est trop timide dès lors qu'il s'agit de s'attaquer aux donneurs d'ordre, aux intérêts économiques et à la partie du patronat qui couvre ces pratiques.
Par ailleurs, plusieurs amendements allant dans le bon sens ont été adoptés par l'Assemblée nationale : amende administrative en cas de non-respect de l'obligation de déclaration préalable à l'embauche, renversement de la charge de la preuve, élargissement du délit au cas où la rémunération figurant sur le bulletin de paie ne correspond qu'à une partie des heures travaillées, suppression du caractère intentionnel du recours d'un donneur d'ordre aux services d'une personne pratiquant le travail illégal. Hélas ! les amendements les plus intéressants risquent d'être supprimés, ceux-ci ayant été adoptés contre l'avis du Gouvernement et rejetés par la commission du Sénat.
Dans ces conditions, ce projet de loi ne peut nous satisfaire. Le véritable défi à relever nous semble être de maîtriser une dérive mondiale dans le domaine des lois régissant l'organisation du travail, et non d'y céder une fois de plus, ainsi que la majorité du Sénat l'a fait lors de l'adoption du projet de loi relatif à la consultation des salariés et à la négociation collective.
Si la lutte contre le travail illégal doit certes s'insérer dans un cadre plus large que la simple répression, ce n'est certainement pas dans celui qui est choisi par le Gouvernement.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, c'est avec beaucoup de satisfaction que j'interviens aujourd'hui à cette tribune, le dépôt, par le Gouvernement, du projet de loi soumis à notre examen répondant entièrement à une demande que j'avais formulée voilà presque un an.
En effet, en mars 1996, au cours d'une séance de questions orales sans débat, j'avais souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur les conséquences particulièrement néfastes du travail illégal, tant sur le plan économique ou social qu'en matière d'immigration clandestine.
J'avais, à cette époque, essentiellement axé mon propos sur la trop grande importance de l'emploi d'étrangers sans titre, signalant à cet effet qu'aucune politique de lutte contre l'immigration clandestine ne saurait aboutir tant qu'il ne serait pas mis fin aux agissements d'employeurs dénués de tout scrupule.
En effet, si je suis favorable à l'adoption de mesures permettant le retour dans leur pays d'étrangers séjournant en France en violation des dispositions législatives - nous aurons d'ailleurs l'occasion d'en débattre prochainement - je souhaite en premier lieu qu'il soit mis fin aux agissements d'individus qui, en toute impunité, attirent dans les filets des policiers et magistrats français ceux qui, confrontés à la misère quotidienne que leur pays connaît, cherchent meilleure fortune dans le nôtre.
En réponse à ma question orale du 19 mars dernier, vous m'aviez indiqué, madame le ministre, qu'un projet de loi était en cours d'élaboration. Aussi, je me félicite de constater que les travaux de votre ministère ont abouti, en permettant l'adoption d'un texte que j'espère plus approprié à la lutte contre le travail clandestin. En écho à plusieurs observations qui ont été formulées cet après-midi à cette tribune, je me permettrai de dire que ce projet de loi aurait pu s'intituler simplement : « Renforcement de la lutte contre l'emploi illégal ».
En dehors du caractère purement immoral que constitue l'emploi illégal de travailleurs, il faut insister, comme vous le faites, sur le fait que le travail clandestin a des conséquences désastreuses sur le plan économique.
Ces chiffres, que l'on trouve dans le rapport remis au Premier ministre par nos collègues de l'Assemblée nationale, MM. Charles de Courson et Gérard Léonard, m'ont stupéfié : les travailleurs clandestins, dont le nombre est estimé à 1,5 million, sont responsables d'une perte annuelle de 156 milliards de francs, soit 10 % du budget de l'Etat !
Alors que nous devons faire face à des difficultés financières au niveau national et qu'il est demandé à chacun d'apporter sa contribution à la réforme, une telle situation est inacceptable !
Madame le ministre, grâce au projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, les agents concernés par la lutte contre le travail illégal devraient être en mesure d'assurer au mieux les missions qui leur sont dévolues.
Ce projet de loi regroupe trois orientations majeures, que je m'efforcerai de développer dans l'ordre dans lequel elles ont été présentées lors de la réunion de la commission des affaires sociales.
Je ne reviendrai pas sur les problèmes purement juridiques liés à la définition du délit de travail dissimulé. Le compte rendu des débats de l'Assemblée nationale a permis à la commission des affaires sociales et à son rapporteur de tirer toutes les conséquences des différentes rédactions proposées ; c'est dans ces conditions qu'elle a présenté plusieurs amendements visant à ce qu'une formulation juridique adéquate soit adoptée.
Ainsi que M. le rapporteur le proposait, j'ai approuvé les amendements visant à la suppression du principe d'une présomption de travail clandestin en cas de non-agrément du sous-traitant par le maître d'ouvrage, dans la mesure où, pour combattre cette présomption, il conviendrait pour le maître d'ouvrage de bonne foi d'apporter des preuves négatives afin d'établir son honnêteté. Un tel système semble difficilement acceptable, d'autant plus que le texte concerné a des répercussions sur le plan pénal.
Toutefois, je souhaiterais que le cas de la sous-traitance ne soit pas complètement écarté de nos débats dans la mesure où ce mode de recrutement semble constituer un vecteur important du travail clandestin.
En effet, les entreprises opérant dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui regroupait à lui seul 27 % des infractions de travail illégal relevées en 1994, recourent de façon quasi systématique à la sous-traitance.
Au vu de ce chiffre, il n'est pas déraisonnable de penser que la sous-traitance favorise le travail illégal. Dès lors, s'il nous est imposible de faire peser une lourde présomption de culpabilité sur l'ensemble des maîtres d'ouvrage, il semble cependant nécessaire de trouver un système intermédiaire qui permettrait d'atteindre l'objectif que s'étaient fixé nos collègues de l'Assemblée nationale.
Madame le ministre, lors du débat intervenu au Palais-Bourbon, vous vous êtes prononcée, ainsi que la commission des affaires sociales, en faveur de l'amendement de M. Le Déaut, ce qui a conduit à l'adoption d'un article 1er bis. Pour les raisons que je vous ai exposées, je partage l'avis de la commission des affaires sociales quant à la nécessité de supprimer cet article, mais je souhaiterais vivement que le Gouvernement, en accord avec le Parlement, réfléchisse à d'éventuelles dispositions en ce sens.
Le système de l'obligation de déclaration préalable à l'embauche a permis, pour une grande part, de jeter les bases d'une lutte efficace contre le travail illégal. C'est la raison pour laquelle il faut poursuivre dans la voie de la répression en cas de non-respect de cette obligation.
La commission a émis quelques réserves quant aux modifications adoptées par l'Assemblée nationale et aurait préféré, en conséquence, une nouvelle rédaction. Quoi qu'il en soit, l'économie de la mesure n'en est pas fondamentalement modifiée, et c'est pourquoi j'y adhère pleinement.
Le deuxième volet du projet de loi soumis à notre examen a pour objectif de renforcer les pouvoirs des agents de contrôle et d'améliorer la coordination de leurs actions.
Je ne peux que me féliciter de ces mesures, car elles permettront de mettre fin à un système qui, en raison de la faiblesse des moyens qui lui étaient consacrés, assurait malgré lui une certaine impunité à des employeurs peu scrupuleux.
Comment prétendre, en effet, relever des infractions à la législation sur le travail en vue de les réprimer lorsque ni le nombre d'agents nécessaires ni leurs pouvoirs d'investigation ne sont suffisants ?
Aujourd'hui, en effet, seuls les inspecteurs et les contrôleurs du travail disposent du pouvoir de rechercher les infractions, sans qu'ils soient pour autant spécialisés dans ce type d'action.
De leur côté, douaniers ou officiers de police judiciaire ont des pouvoirs étendus de recherche des infractions ainsi que d'importants moyens pour y parvenir, mais ils ne peuvent en faire usage sans qu'une décision de justice ait été prononcée.
Dès lors, il est évident qu'il convient de donner à tous ces acteurs les mêmes prérogatives, en les étendant, d'ailleurs, pour certains. C'est la raison pour laquelle je me félicite de la présence, dans ce projet de loi, de l'article 4, qui semble pleinement répondre à cet objectif.
Je constate aussi avec satisfaction que nous ne nous cantonnons pas à cet accroissement des prérogatives des agents de contrôle, que le cadre dans lequel elles devront s'exercer a également fait l'objet d'une restructuration approfondie. Je veux parler ici de la coordination des différents services.
En effet, il est inconcevable que, dans un Etat moderne comme le nôtre - mon propos concerne la lutte contre le travail clandestin, mais il pourrait viser bien d'autres domaines - l'action des pouvoirs publics puisse être amoindrie par les pouvoirs publics eux-mêmes.
Je n'admets pas l'idée que, jusqu'alors, des poursuites aient pu être abandonnées ou sérieusement mises en cause du fait de l'absence d'échange d'informations entre les différents services concernés par la lutte contre le travail illégal.
En conséquence, l'article 6 du projet de loi, qui autorise la levée du secret professionnel entre les différents corps de contrôle et les organismes de protection sociale, me semble être l'indispensable accessoire des modifications qu'apporte l'article 4, que j'évoquais précédemment.
Pour en terminer avec le rôle des agents de contrôle, j'exprimerai toutefois une crainte quant aux effectifs. Je souhaite en effet, madame le ministre, avoir l'assurance que le nombre d'agents affectés à la recherche des infractions de travail illégal soit suffisant pour qu'il soit permis de mener à bien les nouvelles missions que ce texte leur confie. Si tel n'était pas le cas, je craindrais, en effet, que nos efforts de ce jour ne soient vains.
La troisième orientation du projet de loi dont nous débattons concerne la dissuasion.
Les mesures qui nous sont proposées à cette fin ont des incidences que je qualifierai d'« économiques ». En effet, il s'agit le plus souvent de prendre à l'encontre des employeurs sans scrupule des dispositions visant à les priver des aides à l'emploi ou à la formation professionnelle, ou à rejeter leur candidature dans le cas de marchés publics.
Parmi elles, l'une des plus efficaces est l'extension de la solidarité financière des donneurs d'ouvrage ou des maîtres d'ouvrage, prévue aux articles 6 quater et 6 quinquies. En effet, une telle disposition encouragera immanquablement ces derniers à faire preuve d'une certaine vigilance, permettant ainsi d'assurer une meilleure prévention du travail illégal.
Pour indispensables que soient ces mesures, elles ne doivent pourtant pas être considérées comme étant les seuls outils d'une répression efficace.
En effet, je souhaiterais, pour ma part, qu'il soit fait plus souvent application de l'article L. 362-3 du code du travail, aux termes duquel les personnes ayant recours au travail clandestin peuvent faire l'objet d'une peine allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 200 000 francs d'amende.
Dans le même esprit, vous me permettez de trouver quelque peu timide la portée de l'article 8 du projet de loi, relatif au prononcé de certaines peines complémentaires. Je me contenterai de rappeler les termes du rapport déposé à l'Assemblée nationale par notre collègue Gérard Léonard, au nom de la commission des lois : « Cette mesure a une portée davantage symbolique que pratique ou dissuasive. »
Malgré cela, je partage l'opinion selon laquelle cette disposition permettra de mettre l'accent sur le caractère incivique du travail illégal.
En effet, je conclurai l'ensemble de mon propos en rappelant, hélas ! que le travail clandestin, s'il concerne, il est vrai, bon nombre d'entreprises, ainsi que le texte proposé le souligne, concerne également nombre de nos concitoyens, qui, sans pour autant être des délinquants, participent activement à l'accentuation de ce phénomène.
Qui n'a pas rencontré autour de lui - on l'a dit cet après-midi - des personnes ayant recours aux services d'une femme de ménage que l'on paye « en liquide » ?
A travers ce seul exemple, nous sommes à même de prendre la mesure des difficultés qui nous attendent pour mettre fin à ces agissements qui, pris indépendamment les uns des autres, ne sont pas d'une nature exceptionnellement grave, mais qui, cumulés à l'échelon national, handicapent sérieusement notre économie ainsi que notre système de protection sociale.
Des efforts ont été déployés en ce domaine avec, par exemple, le développement des chèques emploi-service. Il faut poursuivre dans la voie de la responsabilisation des citoyens, car cette orientation constitue, à défaut d'une impossible répression, le seul chemin praticable.
Madame le ministre, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen et moi-même, convaincus que ce projet permettra d'enrayer le phénomène du travail illégal, vous apporterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je suis heureux de pouvoir débattre aujourd'hui d'un sujet aussi sensible et primordial que le travail illégal, et ce d'autant plus que j'ai déposé, voilà quelques mois, une proposition de loi sur ce même sujet.
Le travail illégal constitue une pratique dangereuse tant économiquement que socialement : d'abord, parce qu'elle contribue à créer une société parallèle définissant ses propres règles de fonctionnement ; ensuite, parce qu'elle accroît le coût de la redistribution sociale et augmente indirectement la pression fiscale qui s'exerce sur les entreprises et les salariés qui respectent la légalité, et, plus largement, sur la collectivité nationale tout entière.
Elle est aussi politiquement insupportable ; elle tend à priver le salarié de la reconnaissance de sa qualité et des droits qui y sont attachés - droit au salaire, à la formation, aux allocations chômage, etc.
Elle porte atteinte à la libre concurrence entre les entreprises, dans le domaine de l'artisanat notamment.
Elle contrarie, enfin, les prérogatives de l'Etat en matière de politique d'immigration et de soutien à l'emploi.
La lutte contre le travail clandestin se situe donc aujourd'hui à la conjonction de quatre priorités de notre pays : premièrement, la lutte pour l'emploi ; deuxièmement, la défense des entreprises contre toutes les formes de concurrence déloyale ; troisièmement, le rétablissement des équilibres financiers des organismes de protection sociale ; quatrièmement, enfin, une meilleure maîtrise des flux migratoires.
En outre, l'excellent rapport de MM. de Courson et Léonard procède à une estimation alarmante du coût du travail illégal pour la collectivité nationale.
Ainsi, il évalue à 156 milliards de francs au moins le coût fiscal et social du travail irrégulier, qui est la première cause de fraude sur les prélèvements obligatoires.
Face à un tel enjeu, il est primordial de renforcer et d'améliorer sans cesse notre arsenal législatif.
Le présent projet de loi constitue, de ce point de vue, une avancée significative.
Il s'inscrit dans le cadre d'une politique globale, alliant prévention et répression, menée depuis un an et demi par le Gouvernement.
Permettez-moi d'ailleurs, madame le ministre, de saluer dans son ensemble la politique économique et de l'emploi menée par le Gouvernement. Elle vise à favoriser l'activité et l'emploi déclarés grâce non seulement à une réduction du coût du travail et à un allégement de la fiscalité, mais aussi et surtout à une simplification des formalités administratives tant pour les entreprises, avec le plan PME, que pour les particuliers, avec le chèque emploi-service.
Il conviendrait également d'étendre la formule du chèque emploi-service au secteur de l'hôtellerie et de la restauration, très touché par l'emploi illégal de travailleurs occasionnels.
Le présent projet de loi, madame le ministre, vient renforcer significativement notre arsenal législatif grâce à trois séries de dispositions.
La première vise à clarifier et à apporter des adaptations nécessaires et attendues à la définition du travail clandestin ou dissimulé. J'avoue d'ailleurs préférer l'adjectif « clandestin » à celui de « dissimulé ». L'extension du délit de travail clandestin me semble être, sur ce point, une excellente mesure.
La deuxième tend à développer la prévention et la sanction du travail illégal grâce, entre autres, à l'introduction d'une peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille. Cette disposition témoigne de la volonté du Gouvernement de faire du travail illégal une priorité nationale.
Toutefois, pour aller plus loin dans cette voie, ne conviendrait-il pas, madame le ministre, de rendre plus dissuasives les peines et amendes existantes ? Je vous soumettrai un amendement allant dans ce sens.
Enfin, pour en terminer avec le problème de la sanction, je souhaite attirer votre attention sur la question de la culpabilité. En effet, le code du travail, tel qu'il est conçu, considère que seul l'employeur peut être reconnu coupable d'un délit de travail clandestin, alors que le travailleur n'en est que la victime.
Or, aujourd'hui, cette conception est dépassée, car certaines personnes - le fait est connu - ne souhaitent pas se faire déclarer, entre autres parce qu'elles ne possèdent pas de permis de travail ou parce qu'elles souhaitent continuer à percevoir les ASSEDIC. Ne conviendrait-il donc pas d'adapter notre législation pour tenir compte de ce type de situation ?
Le troisième axe du projet de loi vise à renforcer la mobilisation de l'ensemble des corps de contrôle grâce à une série de mesures appropriées.
Je citerai, au nombre de ces mesures, l'association des contrôleurs des transports terrestres aux actions de recherche et de constatation des infractions de travail clandestin.
Je citerai encore l'harmonisation des dispositions relatives à la force probante qui s'attache aux procès-verbaux dressés par les agents des différents corps de contrôle.
Je citerai, enfin, l'incitation à la transmission d'informations entre les différentes administrations et la levée du secret professionnel.
Une telle communication entre administrations est certes nécessaire, mais elle est actuellement très difficile, chaque administration fonctionnant de façon très verticale, très cloisonnée.
Cette inertie est regrettable, car certains services constituent de véritables mines de renseignements.
Enfin, en ce qui concerne la coordination des différents agents de contrôle, il me semble que la mesure proposée par l'article 10 du projet de loi sur l'immigration, qui prévoit que policiers et gendarmes pourront entrer librement dans les locaux professionnels ou les chantiers pour constater des faits de travail clandestin sous le contrôle de l'autorité judiciaire, constitue certes une avancée, mais qu'elle est perfectible.
Je soumettrai, à cet effet, un amendement qui reprend la proposition de loi que j'ai récemment déposée. Il vise à permettre la création, dans chaque département, sous la responsabilité directe du préfet, d'une structure spécialement chargée de lutter contre le travail clandestin.
Cette brigade de lutte contre le travail clandestin serait composée d'inspecteurs du travail, d'une part, de gendarmes et de policiers, d'autre part, qui appliqueraient conjointement les dispositions du code du travail, du code pénal et du code de procédure pénale.
Elle interviendrait sur simple demande afin de constater immédiatement l'infraction de travail clandestin ou dissimulé et d'engager les poursuites à l'encontre des contrevenants.
Cette formule alternative à celle que propose le Gouvernement permettrait, j'en suis convaincu, de parvenir à un certain consensus, et ce pour plusieurs raisons.
J'en évoque quelques-unes. Tout d'abord, la création d'une telle structure aurait l'immense avantage d'allier les compétences des inspecteurs du travail et des policiers et permettrait ainsi aux premiers de ne pas avoir le sentiment d'être privés d'une partie de leurs prérogatives, sentiment qu'ils ont exprimé à l'égard de la mesure introduite par le Gouvernement.
Ensuite, la disposition proposée s'inscrit dans le cadre du code du travail et non dans celui du code de procédure pénale, levant ainsi toute ambiguïté quant à l'opportunité d'une telle mesure dans un texte modifiant essentiellement le code du travail.
En outre, l'argument invoqué lors du débat à l'Assemblée nationale, selon lequel il ne faut pas faire d'amalgame entre travail clandestin et immigration clandestine, est peu convaincant.
Gardons-nous de toute hypocrisie : lutte contre le travail illégal et lutte contre l'immigration clandestine sont liées même si, comme chacun le sait, les immigrés en situation irrégulière ne représentent que 10 % des infractions.
En effet, il serait illusoire de penser pouvoir résoudre le problème de l'immigration clandestine sans agir sur l'effet d'appel produit par le travail clandestin. De plus, un chapitre entier du code du travail lui-même est consacré à la main-d'oeuvre étrangère.
Enfin, précisons que les contrôles d'identité qu'effectueraient les policiers s'adresseraient à tous les travailleurs et non exclusivement aux immigrés en situation irrégulière ; ni plus de droit aux uns, ni moins de droit aux autres. C'est précisément la raison pour laquelle introduire une telle disposition dans un texte sur l'immigration en réduit considérablement la portée et pourrait conduire à un amalgame, contrairement à l'effet souhaité.
Le troisième argument militant en faveur de mon amendement, c'est la souplesse et l'efficacité.
Une telle structure éviterait d'attendre la réquisition du procureur, réquisition qui ferait perdre un temps précieux aux policiers et aux gendarmes pour constater les infractions notamment pour démanteler les ateliers clandestins, qui sont, comme chacun le sait, très mobiles.
Enfin, dernier argument, la constitution de telles structures permettrait de compléter, à l'échelon local, le travail de coordination de la future commission nationale de lutte contre le travail clandestin.
Je conclurai mon intervention en attirant l'attention sur les dérives qu'entraîneraient certaines mesures proposées lors du débat à l'Assemblée nationale.
En effet, certains de nos collègues députés ont tenté de substituer au caractère intentionnel le critère matériel de recours au travail clandestin.
De telles dispositions seraient difficilement acceptables ; elles généreraient un sentiment généralisé de suspicion à l'égard des entreprises, qui auraient ainsi constamment à prouver leur bonne foi.
La lutte contre le travail clandestin ne doit pas se faire contre les entreprises mais avec elles et, surtout, pour elles. Ce n'est pas en les accablant qu'on les incitera à créer des emplois. C'est pourquoi je vous inviterai, lors de l'examen des articles, à supprimer un amendement adopté par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement.
Convaincu comme vous, madame le ministre, que la lutte contre le travail clansdestin doit être considérée comme une priorité nationale, je reste, avec mes collègues du groupe du RPR, favorable à ce projet de loi, en souhaitant que l'examen des articles nous permette encore d'en améliorer le contenu. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, étant le dernier orateur inscrit, je vous prie par avance de m'excuser pour certaines redites.
En dépit des nombreuses dispositions prises depuis un certain nombre d'années, il semblerait que le travail clandestin ne soit pas en régression. Il continue à représenter une part importante du marché du travail, avec tous les effets négatifs que cela entraîne : absence de couverture sociale, concurrence déloyale, cotisations sociales et rentrées fiscales inexistantes. Tout cela a déjà été dit.
Pour en réduire les conséquences désastreuses, vous nous proposez, madame le ministre, un nouveau texte aussi important que complexe.
Important, il l'est par l'objet qui lui est fixé : renforcer la lutte contre ce travail que l'Assemblée nationale a appelé, à juste raison, « dissimulé ». Il s'agit bien, en effet, de dissimulation, par exemple, lorsqu'une personne se présente comme artisan et qu'elle ne l'est pas, ou bien lorsqu'une entreprise ne déclare pas certains de ses employés.
Dans ces cas précis, les choses sont claires : lors de contrôles, elles sont facilement indentifiables donc sanctionnables. Elles le seront encore davantage avec la coordination de tous les intervenants en matière de recherche du travail dissimulé que prévoit votre projet de loi. C'est d'ailleurs certainement l'une des mesures les plus importantes qu'il contient avec l'extension aux associations du travail dissimulé.
Cependant, ce texte demeure, sur certains points, complexe, voire ambigu. En effet, comment partager les responsabilités entre celui qui commande et celui qui exécute en matière de dissimulation ? Celui qui commande et qui sait « sciemment » que celui qui exécute pratique du travail dissimulé n'est-il pas aussi coupable que lui ? C'est ce que prévoit d'ailleurs l'article L. 324-9 du code du travail. Mais cette disposition vise-t-elle également le particulier donneur d'ordres ?
Celui qui accepte, soit à l'intérieur d'une entreprise, soit pour un particulier, d'effectuer « sciemment » un travail dissimulé n'est-il pas, lui aussi, coupable ? Il ne faudrait donc surtout pas, par exemple, lui donner une prime sous forme d'indemnisation, comme le prévoit l'article 3 modifié par l'Assemblée nationale, s'il a accepté sciemment, voire demandé, à travailler sans être déclaré par l'employeur. Il faudrait, au contraire, pouvoir le sanctionner. Mais comment ? M. le rapporteur pour avis a évoqué tout à l'heure quelques pistes en ce domaine.
Si nous avançons dans la définition du travail dissimulé, grâce à M. Souvet, les choses sont moins claires en ce qui concerne la part de responsabilité de ceux qui pratiquent cette dissimulation. Est-ce une volonté de votre part, madame le ministre ? Avez-vous écarté délibérément le travail clandestin qui peut être pratiqué par des particuliers ? Certes, si chacun est très satisfait par l'article 10 du projet de loi initial qui permettra d'interdire aux fraudeurs l'accès aux marchés publics, on peut cependant s'interroger sur le deuxième alinéa introduit par l'Assemblée nationale. En effet, cet alinéa octroie un pouvoir de contrôle qui, à mon avis, outrepasse la mission des collectivités publiques et, surtout, qui risque de rendre responsables celles-ci dans le cas d'un contrôle défaillant. Quel est votre sentiment à cet égard ?
Par ailleurs, tout en admettant ce renforcement dans les moyens de lutte contre le travail dissimulé, je voudrais m'assurer, madame le ministre, qu'on ne tombe pas dans l'inquisition à l'égard des entreprises.
On répète sans cesse qu'il faut éviter les tracasseries à leur égard. Ne va-t-on pas ouvrir par ce texte des possibilités nouvelles de contrôles tatillons qui iraient à l'encontre de cette volonté ? Les contrôles envisagés seront-ils systématiques et envers n'importe quelle entreprise, ou seront-ils diligentés suivant des présomptions de délits ? Et à partir de quelle situation peut-il y avoir présomption ? Qui ne connaît des exemples d'artisans, de petites entreprises ou de petits restaurateurs qui, au moment d'un coup de « bourre » - cela arrive heureusement - font appel, parfois seulement pour quelques heures, à une personne pour assurer ce surcroît très momentané de travail ? Il y a bien alors « travail au noir ». Mais est-ce comparable au travail clandestin que nous voulons justement sanctionner ? Le coupable, dans ce cas, sera-t-il pénalisé de la même façon que celui qui en fait un usage courant ? Une procédure d'avertissement n'est-elle pas envisageable ?
Certes, il y a eu « sciemment » une dissimulation, mais est-ce une véritable volonté de tricher ? Je ne le crois pas.
Ne peut-on remédier à cet état de fait en envisageant - cela a d'ailleurs été demandé - pour des petites entreprises, la possibilité d'utiliser des chèques emploi-service comme pour les particuliers ? On en parle mais on ne voit rien venir. L'illégalité et ses conséquences demeurent. Avez-vous, madame le ministre, un projet de ce type en préparation ?
En conclusion, ce texte va certainement dans le bon sens. Cependant, j'espère que le débat permettra d'obtenir des précisions sur les personnes publiques ou privées visées par ce projet. Les entreprises sont-elles visées ? C'est évident. Les associations - c'est nouveau - le sont également. Concerne-t-il les particuliers qui veulent donner ou effectuer volontairement du travail dissimulé ? Cela est moins clair. Intéresse-t-il, indirectement, les collectivités publiques, dans le cadre de l'article 10 ?
Des précisions me paraissent également nécessaires sur le risque d'un alourdissement des tracasseries administratives à l'égard des entreprises, pour ne pas parler d'inquisition, sur la possibilité d'avertissement avant sanction, sur la recherche d'autres actions à engager, plus positives, plus actives, pour réduire le travail dissimulé. Je pense par exemple aux chèques emploi-service utilisables par de petites entreprises, à la simplification des formalités à l'embauche, sans parler de la baisse de la TVA dans certains secteurs d'activité.
Madame le ministre, vous avez par avance répondu à un certain nombre de ces questions. Grâce à vos réponses, le projet de loi que je jugeais essentiellement répressif laisse entrevoir des perspectives de solutions qui vont dans le sens que je souhaite. J'aimerais cependant qu'on aille au-delà dans cette recherche de solutions.
Dans l'attente de telles mesures, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'intention fondamentale de ce texte étant bonne mais encore perfectible avec l'adoption de quelques amendements, en particulier ceux qui seront proposés par la commission des affaires sociales, avec les membres de mon groupe, je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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