M. le président. La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et concerne à la fois la situation au Congo et la présence de la France en Afrique.
Monsieur le ministre, à la suite du conflit opposant l'ancien président Sassou Nguesso et le président Lissouba, la communauté française, tant à Brazzaville, en juin dernier, qu'à Pointe-Noire, voilà quelques jours, s'est trouvée pratiquement prise en otage au milieu des combats.
A Brazzaville, nos compatriotes ont assisté à des scènes insoutenables de viols, pillages, règlements de compte, et pratiquement tous les Français ont perdu la totalité de leurs biens.
Seule l'intervention de nos troupes, dans des conditions souvent extrêmement périlleuses, mais remarquablement efficaces, a évité à la grande majorité d'entre eux de subir des sévices physiques graves.
Cet embrasement rapide du Congo a mis en exergue la nécessité à la fois d'une parfaite évaluation des situations de crise et du maintien de procédures d'évacuation qui soient immédiatement opérationnelles.
A plusieurs reprises, après les tragiques événements du mois de juin, j'ai insisté sur la nécessité de maintenir nos soldats au Congo afin d'assurer la sécurité de nos concitoyens, notamment à Pointe-Noire, où circulait depuis le 26 août un tract appelant au meurtre des Français.
J'en cite la dernière phrase : « Il est du devoir de chaque Congolais et de chaque Congolaise de s'en prendre non pas aux installations qui nous reviennent, mais aux agents français, fauteurs de troubles, commanditaires des crimes de Sassou Nguesso. S'il faut les égorger comme des porcs, nous le ferons. »
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est de Lissouba, votre ami !
Mme Paulette Brisepierre. Après la chute de Pointe-Noire, à quelques regrettables exceptions près, les Français n'avaient jusqu'à maintenant pas subi d'agressions physiques trop graves. Mais une inquiétude justifiée s'est développée dans la communauté française, car il est plus que probable que, sans l'intervention de nos soldat basés au Gabon, nous aurions, la semaine dernière, assisté au pire dans certains points isolés du Congo.
A Pointe-Noire, où la situation s'est de nouveau dégradée cette nuit, des femmes et des enfants, traumatisés par les scènes qui se sont déroulées sous leurs yeux, sont confinés depuis plusieurs jours dans la très petite enceinte du consulat de France, dans des conditions sanitaires de plus en plus précaires. Trois médecins, dont un psychiatre et un pédiatre, ont été envoyés hier sur place. C'est une des excellentes initiatives de la direction des Français à l'étranger, à laquelle je tiens à rendre hommage pour son organisation, son efficacité et son sens humain.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Paulette Brisepierre. Toutefois, il serait souhaitable, pour ne pas dire indispensable, d'évacuer d'urgence les femmes et les enfants, au moins sur Libreville. Le consul de France est débordé ; il ne peut plus faire face à la situation de plus en plus tendue non seulement avec les autorités congolaises, mais également avec nos compatriotes. J'ai eu Pointe-Noire il y a une demi-heure ; je dois dire que la situation n'est pas très confortable en ce moment.
Devant l'incertitude qui règne aujourd'hui au Congo, et peut-être demain dans d'autres régions d'Afrique centrale, il nous faut être réalistes. Nous ne devons être ni exagérément pessimistes ni béatement optimistes, mais nous devons être lucides et responsables. Il ne faut pas tomber dans l'excès, à savoir rapatrier arbitrairement tous les Français - rien, reconnaissons-le, n'étant prévu pour leur retour en France -, ou les laisser sans la protection décente à laquelle ils ont droit, car n'oublions pas que la présence de nos compatriotes en Afrique est indispensable pour la pérennité de la France dans cette région du monde.
Cela dit, chacun doit être libre de décider de son destin : rester ou partir. Mais nous devons disposer des moyens nécessaires pour évacuer immédiatement ceux qui souhaitent partir ou ceux dont la situation l'exige, et pour assurer une protection efficace et digne de la France à ceux qui souhaitent rester.
Monsieur le ministre, mon interrogation et mon inquiétude concernent à la fois l'avenir des 120 000 Français qui vivent en Afrique et l'avenir de la France sur ce continent. Comment comptez-vous assurer la sécurité de nos compatriotes face à l'inconnue que représentent les multiples foyers de crises qui couvent sur le continent africain ? Et devant cette situation, momentanément explosive, ne pensez-vous pas que la décision du redéploiement des forces françaises en Afrique et la fermeture de certaines bases, comme celle de Bangui, au mois d'août, sont absolument prématurées ?
Quelle politique envisagez-vous pour que notre pays maintienne en Afrique les positions privilégiées qui sont les siennes, positions indispensables pour la grandeur et l'image de la France sur le plan international ? Le nombre et la valeur de nos compatriotes résidant hors de France ne sont pas étrangers à cette grandeur et à la défense de cette image. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Madame le sénateur, votre question m'incite à replacer dans un contexte plus général la situation au Congo et à Pointe-Noire, que vous venez d'évoquer.
Je ne peux que vous redire que, tout au long du déroulement de cette crise, la France a accordé, heure par heure, une extrême attention à la situation des Français présents dans ce pays, mais aussi dans les pays voisins, ainsi que, plus largement, à celle des étrangers établis au Congo.
Comme vous l'avez relevé vous-même, grâce au dévouement et à l'efficacité des agents diplomatiques et consulaires, dont j'ai déjà parlé, mais aussi des militaires, notamment ceux qui sont stationnés au Gabon, toute cette affaire, consternante de bout en bout, au premier chef pour les Congolais, a pu être suivie de façon telle que nous avons porté assistance, quand il le fallait, à tous ceux qui en ont eu besoin, et que nous avons pris les décisions d'évacuation, d'assistance et d'aide au moment, je crois, où cela était nécessaire, pour les Français mais aussi pour les étrangers, et aujourd'hui pour les Congolais.
Je crois donc que les éloges et les remerciements que vous avez adressés aux différentes administrations engagées dans cette action sous la direction du Gouvernement sont amplement mérités.
Je souhaite, par ailleurs, vous assurer que nous avons l'intention de rester engagés sur ce grand continent qu'est l'Afrique - nous avons réaffirmé cette volonté à différentes reprises - et que, bien entendu, de nombreux Français resteront dans ce pays pour y travailler ou y coopérer, et continueront à être des vecteurs du rayonnement de la France. Nous devons avoir une vision d'avenir sur cette question.
Ainsi, dans tous les pays dans lesquels, malheureusement, des situations de trouble peuvent se présenter, nous sommes en train de moderniser les équipements et les procédures de façon à permettre à nos ambassadeurs et à nos consuls de savoir exactement, à tout moment, où se trouvent les Français présents dans le pays pour pouvoir les prévenir, les rassurer, les regrouper et, s'il le faut, en coopération avec le ministère de la défense, les évacuer.
La modification de l'implantation militaire française en Afrique a été entamée il y a plusieurs mois ; l'actuel gouvernement poursuit ce processus dans la mesure où il se trouve en cohérence avec l'évolution vers la professionnalisation qui a été décidée.
Même si certaines implantations sont réduites, même si certaines zones sont fermées, notre présence et notre capacité d'intervention dans des cas de crise humanitaire ou autres, ainsi que notre capacité de stabilisation resteront les mêmes, avec des forces, certes, moins nombreuses, mais beaucoup plus mobiles et beaucoup plus efficaces. C'est l'un des aspects de l'évolution des forces armées.
Il faut en outre replacer la question dans un contexte plus large.
Nous avons intérêt pour l'avenir à faire en sorte que ces pays africains, qui sont nos amis, nos partenaires, et qui le resteront, soient de plus en plus capables de lever par eux-mêmes des forces d'interposition. Il était question, voilà quelques instants, d'un séminaire important qui s'est tenu à Dakar en présence du ministre de la défense et qui, à cet égard, est extrêmement encourageant. Il s'agit en effet de faire coopérer, au lieu de les laisser se concurrencer de façon stérile, plusieurs pays européens ou occidentaux avec tous les pays africains qui en font la demande, de façon que les armées de ces derniers acquièrent une capacité accrue par rapport au passé, capacité qui, manifestement, aujourd'hui est encore insuffisante pour leur permettre d'intervenir dans des actions de maintien de la paix.
Il s'agit en l'occurrence d'actions militaires très complexes, qui ne relèvent pas de la formation militaire habituelle. N'importe quelle armée n'est pas capable de les mener. Notre intérêt, c'est que les armées de ces pays africains soient capables de constituer l'ossature des forces de maintien de la paix, des forces d'intervention ou de contrôle des cessez-le-feu décidés dans le cadre de l'UEA et de l'ONU.
Voilà comment nous gérons à la fois les crises immédiates et les perspectives d'avenir dans un continent où nous resterons, pour la défense de nos intérêts mais également dans l'intérêt de l'Afrique. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)

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