M. le président. « Art. 6 bis. - Le 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les provisions pour indemnités de licenciement constituées en vue de faire face aux charges liées aux licenciements pour motif économique ne sont pas déductibles des résultats des exercices clos à compter du 15 octobre 1997. Les provisions pour indemnités de licenciement constituées à cet effet et inscrites au bilan à l'ouverture du premier exercice clos à compter du 15 octobre 1997 sont rapportées aux résultats imposables de cet exercice. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° I-8 est présenté par M. Lambert, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° I-153 est déposé par M. Gournac et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° I-8.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cet amendement a pour objet de supprimer un article qui a été introduit à l'Assemblée nationale et qui visait à supprimer la provision pour licenciement.
Cette proposition de suppression de l'article 6 émanant de notre commission des finances se justifie par deux raisons.
Tout d'abord, l'appel à contribution des entreprises a déjà bien fonctionné depuis quelques mois : nous avons doublé le taux de l'imposition des plus-values à long terme et augmenté le taux de l'impôt sur les sociétés, en nous réjouissant - mais c'est une malice de ma part, monsieur le secrétaire d'Etat, je le confesse par avance - d'avoir fait une augmentation que nous avons limitée dans le temps au motif que nous aurions, dans le passé, oublié de le faire ! Cela dit, nous avions la possibilité - si vous nous l'aviez proposé - de supprimer cette augmentation de l'impôt sur les sociétés.
Plus généralement, mes chers collègues, la provision pour indemnité de licenciement ne constitue pas du tout - donc, c'est de la politique - une dépense fiscale pour l'Etat, puisque toute provision dotée doit être rapportée au résultat comptable lorsque l'événement prévu ou anticipé se réalise.
On voit donc bien qu'il s'agit de délivrer un message politique. A qui s'adresse-t-il ? A des entreprises. Les entreprises françaises connaissent le comportement fiscal des différentes forces politiques de la France. Mais, si nous avons l'ambition d'accueillir des entreprises étrangères, et que nous affichons clairement par avance notre souci de les pénaliser dès lors qu'elles auront à ajuster leurs effectifs à ces marchés, alors nous sommes contre-productifs et nous allons à l'encontre de ce que nous souhaitons, c'est-à-dire faire de la France un site industriel, accueillant pour les entreprises, un site qui attire les investisseurs étrangers.
Nous faisons, en la circonstance, exactement le contraire de ce qu'il faut faire, et c'est pourquoi la commission des finances a cru bon de vous proposer de rejeter ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. Marini, pour présenter l'amendement n° I-153.
M. Philippe Marini. Notre collègue M. Gournac, porte-parole de notre groupe pour les questions relatives à l'emploi, a déposé un amendement identique à celui de la commission.
Nous considérons que la majorité de l'Assemblée nationale et le Gouvernement se trompent de cible en la matière et tentent de faire croire que certaines entreprises licencient pour des raisons fiscales.
Il est bien évident que mettre en oeuvre un plan social et envisager des licenciements est un drame pour les entreprises et qu'elles ne peuvent se résoudre à de tels drames que si des raisons économiques tout à fait dirimantes les y conduisent.
Le fait de supprimer la déductibilité fiscale des provisions pour restructuration, et donc pour licenciement, ne fera, à mon avis, qu'aggraver les difficultés financières d'entreprises qui connaissent déjà des difficultés économiques sur leur marché, ce qui les conduit précisément à envisager des licenciements.
Cette mesure me semble de nature à se retourner contre les objectifs que vous vous êtes fixés. Elle ne peut « qu'enfoncer » un peu plus des entreprises en difficulté. Voilà pourquoi nous la considérons comme particulièrement malheureuse, voire démagogique, monsieur le secrétaire d'Etat. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s I-8 et I-153 ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je répondrai à M. le rapporteur général et à M. Marini sans utiliser des qualificatifs qui, à mon avis, ne sont pas tout à fait en harmonie avec la majesté de cette Haute Assemblée.
M. Jean Chérioux. On n'a pas de leçon à recevoir !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Mais je ne donne aucune leçon. Je fais, monsieur le sénateur, un simple constat.
M. Philippe Marini. Vous persiflez peut-être ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. L'Assemblée nationale a voté, sur proposition de la commission des finances, l'interdiction de la déductibilité des provisions pour licenciement afin non pas de provoquer une plus-value fiscale, mais de supprimer un avantage de trésorerie accordé aux entreprises fiscalement bénéficiaires - car, évidemment, si elles ne le sont pas, elles n'ont pas à faire de telles provisions - qui réduisent leurs effectifs.
L'objet de cette mesure est, me semble-t-il, assez modeste, mais ce n'est pas à moi de me substituer à l'Assemblée nationale. Il n'est pas, contrairement peut-être à ce que certains souhaiteraient, d'empêcher ces entreprises bénéficiaires de liciencier ; il est simplement de faire en sorte que les entreprises qui doivent licencier ne tirent pas de cette situation des avantages de trésorerie. Il ne s'agit de rien de plus et il me semble que cette neutralité fiscale est la contrepartie normale, si je puis dire, pour reprendre l'expression de M. Marini, du drame social, qui n'est souhaité par personne, que constitue un licenciement.
Le Gouvernement considère que la neutralité fiscale en matière de licenciement est une préoccupation de bon aloi. C'est pourquoi j'invite la Haute Assemblée à rejeter ces deux amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s I-8 et I-153.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il ne faut décidément s'étonner de rien ; j'en veux pour preuve la discussion de l'article 6 bis et, plus précisément, des amendements tendant à en demander la suppression.
Mes chers collègues, je ne vous cacherai pas que nous sommes évidemment favorables au maintien de l'article 6 bis en ce qu'il correspond à l'une des positions maintes fois exprimée par le groupe des sénateurs communistes républicains et citoyens.
Notre droit fiscal est en effet doté de multiples dispositions surprenantes dont la moindre n'est pas de permettre que les entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs, dans ce que l'on appelle des « plans sociaux », jouissent de la possibilité de déduire les charges afférentes à ces plans sociaux au titre de l'impôt sur les sociétés !
Nos collègues du groupe du RPR trouvent choquant que l'on revienne sur la mesure.
Mais ce qui est choquant, mes chers collègues, outre la déductibilité fiscale des provisions pour licenciements, ce sont les conséquences de ces plans de licenciement sur l'emploi et sur la vie des salariés qui sont ainsi « déduits » des effectifs de l'entreprise concernée.
Ce qui est choquant, mes chers collègues, c'est que des entreprises qui font des profits procèdent à des licenciements massifs, reportant sur la collectivité le poids social de la mise au chômage de centaines, voire de milliers de salariés.
Ce qui est choquant, c'est que l'obsession du résultat financier conduise à mettre sur le carreau des salariés et à laisser à d'autres - les élus locaux par exemple - le soin d'éponger le déficit social de telles mesures.
Soyons sérieux, mes chers collègues, et allons jusqu'au bout !
Il y a dans notre pays deux types d'entreprises qui procèdent à des licenciements.
Les premières, ce sont les entreprises dont la situation financière est difficile, dont les résultats d'exploitation sont en baisse, ce qui peut les conduire au déficit pur et simple, sans imputation quelconque de provisions.
Ces entreprises n'ont pas vraiment besoin de la déductibilité des provisions pour licenciement pour présenter des résultats comptables ou fiscaux déficitaires et être exemptées de l'impôt sur les sociétés.
La mesure contenue dans l'article 6 bis ne change donc rien pour elles, si ce n'est que le volume du résultat déficitaire reportable est moins important et que la probabilité d'un impôt positif est plus rapide en cas de « retour à meilleure fortune ».
Il est vrai que notre législation fiscale fait aussi de l'impôt sur les sociétés une sorte de compte ouvert par chaque entreprise au Trésor public et qu'il est assez difficile aux contribuables de l'impôt sur le revenu que sont les Français de se rendre compte que le jeu du report en arrière des déficits peut rendre leur entreprise créditrice.
La deuxième catégorie est composée des entreprises réalisant des bénéfices et qui, en réalité, plutôt que de licencier, devraient investir et créer des emplois.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Eh oui !
Mme Odette Terrade. Elles font tout le contraire, obnubilées qu'elles sont par la perspective des gains de productivité, de la marge brute d'autofinancement et de la distribution de dividendes.
Cette priorité de la logique de la finance sur l'emploi a fait trop de victimes depuis un certain nombre d'années pour que nous ne soyons aujourd'hui dans l'obligation de dire : « assez ! »
Assez de ces entreprises florissantes qui laissent à la collectivité le poids social de leur gestion des hommes !
Assez de cette appréciation du travail comme un facteur de production sans cesse à réduire !
Les exemples ne manquent pas dans l'actualité récente de ces décisions de gestion condamnables tant sur le plan moral - je pense même qu'il s'agit là de l'une des motivations de l'amendement Emmanuelli - que sur le plan économique.
Il nous semble aujourd'hui anti-économique de sacrifier le travail et les salariés sur l'autel de la rentabilité à court terme.
Sans création d'emploi, sans salaires corrects, par de croissance et pas de débouchés !
Nous nous opposons donc, résolument, à la suppression de l'article 6 bis.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. Michel Sergent. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Je serai bref car nous souscrivons à bien des propos qui viennent d'être tenus.
Si les provisions sont indispensables, il faut reconnaître qu'elles sont parfois utilisées comme un outil d'optimisation fiscale dont la justification n'est plus fondée aujourd'hui. C'est le cas notamment de cette provision pour licenciement qui est particulièrement désastreuse sur le plan de la symbolique même. Sa suppression n'aura d'effet que sur la trésorerie des entreprises. C'est pourquoi nous ne voterons pas les deux amendements en discussion.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-8 et I-153, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 6 bis est supprimé.

Articles additionnels après l'article 6 bis