M. le président. Par amendement n° 62, MM. Dreyfus-Schmidt, Allouche, Authié, Badinter, Biarnès, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Chervy, Dussaut, Mme Pourtaud, MM. Quillot, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans tous les articles de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France où sont insérés les mots : "menace pour l'ordre public", sont ajoutés les mots "qui doit être dûment justifiée". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste n'a déposé que onze amendements. (Oh ! sur les travées du RPR.) Celui-ci est le premier.
L'ordonnance du 2 novembre 1945 disposait, une seule fois, qu'il ne pouvait être accordé un titre lorsqu'il y avait menace pour l'ordre public. Les diverses lois Pasqua et la loi Debré ont truffé l'ordonnance de cette disposition : « sauf menace pour l'ordre public », que l'on retrouve à toutes les lignes.
Mais qu'est-ce que l'ordre public ? Nous avons lu avec intérêt - je l'ai cité sans entrer dans le détail - l'article paru dans un grand quotidien de l'après-midi, le 3 octobre 1997, signé par l'un de vos conseillers, monsieur le ministre - d'ailleurs, l'un de nos concitoyens belfortains - M. Sami Naïr, qui écrivait : « On dit que tout le projet de loi repose sur la notion arbitraire de menace à l'ordre public, ce qui accroît la suspicion contre les étrangers. Il serait bon ici de distinguer entre menace simple et menace grave. »
Nous-mêmes avions proposé, lors de la discussion de la loi Debré, d'ajouter, comme le demandait déjà à l'époque avec beaucoup d'insistance M. Sami Naïr, l'adjectif « grave ».
Nous n'allons pas aujourd'hui jusque-là. Après tout, je comprends que, dès lors qu'il y a réellement menace à l'ordre public, l'Etat doit pouvoir éventuellement prendre des mesures.
Nous ne voudrions pas, toutefois, que cette notion d'ordre public soit la « tarte à la crème » qui permette à n'importe quelle administration ou à n'importe quel ministre de l'intérieur - nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous le soyez longtemps, mais l'éternité n'existe pas - de prendre des mesures à l'encontre de quelqu'un alors qu'il n'y aurait pas véritablement de menace à l'ordre public.
Monsieur le président, je rectifie cet amendement en remplaçant les mots : « qui doit être dûment justifiée » par les mots : « qui doit être justifiée par une disposition spécialement motivée. » Je m'en explique.
Ce matin, en commission, visiblement, nos interlocuteurs de la majorité sénatoriale ont cru que nous demandions que l'on ne puisse viser la menace pour l'ordre public que si elle est justifiée. Cela va de soi ! Ce que nous voulons, c'est que, dans l'acte administratif à intervenir, il soit précisé en quoi l'ordre public est menacé.
Je rappelle qu'en cas de menace grave à l'ordre public et en vertu de l'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 l'expulsion est dans tous les cas possible. Il ne s'agit donc pas de cela. Il s'agit de la menace pour l'ordre public qui a été évoquée pour accorder ou retirer tel ou tel titre de séjour.
Je pense qu'il serait bon que notre proposition fût adoptée, et le groupe socialiste vous demande de le soutenir, monsieur le ministre, car nous n'attendons pas de la majorité du Sénat qu'elle adopte cet amendement, pas plus que ceux que nous présenterons ultérieurement. J'ai eu l'occasion de le dire, c'est à vous que nous nous adressons, c'est le Gouvernement que nous voulons convaincre et, au-delà de vous, en dernier ressort, l'Assemblée nationale, qui aura le dernier mot en la matière.
Je le répète, pour que l'ordre public ne puisse pas servir de « tarte à la crème », comme c'est trop souvent le cas lorsque la droite est au pouvoir (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants),...
M. Dominique Braye. Et l'ordre public dans les banlieues ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... il serait bon d'insérer dans l'ordonnance de 1945, pour en renforcer l'équilibre,...
M. Dominique Braye. L'ordre public est menacé dans les banlieues !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... après les mots : « menace pour l'ordre public », les mots : « qui doit être justifiée par une disposition spécialement motivée ».
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 62 rectifié, tendant à insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans tous les articles de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France où sont insérés les mots : "menace pour l'ordre public", sont ajoutés les mots : "qui doit être justifié par une disposition spécialement motivée". »
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Qu'est-ce que l'ordre public ? Telle est la question que pose M. Dreyfus-Schmidt.
J'ai envie de lui répondre de s'adresser à M. le ministre. Il sait, lui, ce qu'est l'ordre public, le matin, le midi, le soir, la nuit, le dimanche et les jours fériés ! Tous les jours, il est sollicité par l'ordre public.
La meilleure définition de l'ordre public est, me semble-t-il, la garantie qui est donnée par le ministre de l'intérieur, qui assume effectivement le contrôle de l'ordre public, dans le respect des lois et règlements de la République.
Il y a dans votre propos, mon cher collègue, comme un sentiment - du moins, c'est l'impression qu'il donne - de désinvolture vis-à-vis de l'administration.
M. Michel Caldaguès. Absolument !
M. Paul Masson, rapporteur. « Tarte à la crème », dites-vous ? C'est une tarte à la crème de droite, si j'ai bien compris, parce que, du côté de la gauche, il n'y a jamais de tarte à la crème s'agissant de l'ordre public, bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La crème, c'est vous ! (Rires.)
M. Paul Masson, rapporteur. Le premier charter de reconduite a eu lieu du temps de Mme Cresson, que je sache. Mais peu importe, car ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Elevons le débat !
Vous avez dit : « N'importe quelle administration peut... ». Il n'y a pas n'importe quelle administration, monsieur Dreyfus-Schmidt. Il y a des administrations qui sont au service de la République, sous le contrôle de ministres de la République, eux-mêmes membres d'un Gouvernement qui est contrôlé par le Parlement de la République. Voilà la hiérarchie !
On ne peut pas imaginer, dans une République comme la nôtre, qu'il puisse y a voir des administrations qui se « baladent », pour faire n'importe quoi, fondant leur volonté de régenter sur une notion d'ordre public. C'est là un concept que, personnellement, je ne pourrai jamais comprendre. Il y a toujours des responsables.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il y a beaucoup d'abus de pouvoir !
M. Paul Masson, rapporteur. Une administration n'est jamais seule. Elle n'erre pas comme un OVNI dans l'espace intersidéral. Il y a une hiérarchie. Elle est surveillée, elle est contrôlée. Et si l'administration est fautive, elle l'est parce que le ministre ne sait pas à temps la retenir dans ses divagations.
S'agissant de l'ordre public et de l'ordonnance de 1945, je vous ferai remarquer comme toujours - nous avons déjà eu cet échange à plusieurs reprises - qu'il y a un contrôle juridictionnel constant de la notion d'ordre public. L'ordre public assuré par le ministre et son administration est sous le contrôle du juge.
A cet égard, le juge a toujours la capacité d'apprécier la notion de l'ordre public telle qu'elle est interprétée par l'administration. Le contrôle du juge devrait satisfaire votre souci que la notion d'ordre public ne soit pas utilisée n'importe comment par n'importe qui.
En outre, le contrôle du juge, que vous devez apprécier à sa juste valeur, a, à cet égard, un effet constant, réaffirmé - dois-je le dire ? - par le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 août 1993.
Par conséquent, je ne vois pas l'intérêt d'ajouter, comme vous le proposez dans votre amendement, une disposition qui conduit à motiver la mesure d'ordre public. Cela me paraîtrait à la fois contraire à la notion d'efficacité, contrôlée par le ministre, et contraire à la notion de justice, contrôlée par le juge.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pour faciliter le contrôle !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il faut d'abord bien distinguer la menace grave à l'ordre public de la menace à l'ordre public ou de la réserve d'ordre public.
Le principe d'ordre public a valeur constitutionnelle et fait partie de la jurisprudence du Conseil d'Etat depuis la Libération. D'ailleurs, un arrêt - l'arrêt Marcon de 1952, je crois - se réfère explicitement à la possibilité qu'a l'administration, la puissance publique, de prendre des mesures pour des raisons d'ordre public.
De ce point de vue s'en tenir à la menace grave pour l'ordre public, ce serait aligner la législation relative à l'admission et au séjour sur la législation relative à l'expulsion. C'est dire que toute mesure deviendrait extrêmement difficile. Pour expulser quelqu'un pour menace grave à l'ordre public, il faut quand même s'y prendre tôt le matin !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La notion de menace à l'ordre public est d'une nature différente. Elle permet, par exemple, de refuser un titre de séjour à un délinquant, ou bien à un imam intégriste dont les prêches viseraient, dans tel ou tel quartier, à inciter à la violence. (M. Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Cela peut arriver ; c'est d'ailleurs déjà arrivé ! (M. Pasqua approuve.)
J'ajoute que ces décisions sont toujours prises sous le contrôle de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, qu'elles relèvent naturellement du contrôle du juge et qu'il ne convient pas de faire planer systématiquement sur l'administration je ne sais quel soupçon.
L'administration, c'est moi ! C'est le ministère de l'intérieur ! J'accepte tout à fait d'être responsable, cela fait partie de ma charge ; je dois l'assumer, dans ce domaine comme dans d'autres !
Je considère que le ministre de l'intérieur doit aussi veiller sur la tranquillité des citoyens, qu'il doit prévenir les risques de terrorisme dans notre pays. Le ministre n'a pas le droit de se tromper sur des sujets aussi délicats ; en tout cas, il doit être extrêmement vigilant.
Voila pourquoi la notion d'ordre public doit être maintenue. Il convient certes de justifier sa mise en oeuvre ; mais, à cette fin, il y a le contrôle juridictionnel.
Je ne suis pas sûr que l'administration soit aussi encline à l'arbitraire que vous semblez le croire, monsieur le sénateur.
Les jurisprudences elles-mêmes sont quelquefois erratiques et doivent être unifiées. Comme vous le savez, telle jurisprudence a tendance à être laxiste et telle autre excessivement répressive. Il me semble dans ces conditions que les directives données par le ministère de l'intérieur par le biais de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, la DLPJ, sont souvent un meilleur garde-fou que des jurisprudences qui ne s'établissent qu'au fil du temps.
Je ne vois pas de raison de retenir cet amendement, qui, à mon avis, est plutôt source de confusion. Je demande au groupe socialiste de bien vouloir le retirer car il n'est pas utile et compliquerait inutilement la tâche du Gouvernement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 62 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole, pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je constate que personne ne demande la parole « contre » ! C'est de bon augure ! (Sourires.)
M. le rapporteur nous dit que l'administration agit sous le contrôle du Parlement...
M. Paul Masson, rapporteur. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... alors que j'attendais qu'il parle des tribunaux. Il a certes parlé du contrôle « judiciaire » ; ce n'est d'ailleurs pas le terme exact, puisqu'il s'agit non pas de l'autorité judiciaire, mais des tribunaux administratifs, bien sûr !
J'ajoute que nous ne sommes pas du tout animés par une méfiance généralisée à l'égard de l'administration ! Il n'en demeure pas moins que la notion d'ordre public, cette notion « tarte à la crème », ce n'est pas à propos de l'administration que nous l'employons le plus souvent, c'est pour combattre le motif légal et flou qui permet à un juge d'instruction de placer des prévenus en détentions provisoire.
Nous demandons que l'administration donne des précisions. En effet, en se référant à l'« ordre public », elle peut justifier tout et n'importe quoi.
Vous dites, monsieur le ministre : l'administration c'est moi ! Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, c'est vous... pour l'instant ! Et encore ! un ministre ne peut pas tout voir. On peut par ailleurs imaginer que certaine administration, quelque jour, n'ayant pas à se féliciter du concours qu'elle attendrait de tel ou tel, prenne je ne sais quelle mesure.
En tout cas, comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, l'administration est soumise au contrôle des tribunaux.
Nous demandons donc que, lorsqu'il y a non pas une menace grave, mais une simple menace, la décision administrative mentionne les motifs de cette décision, précise en quoi il y aurait menace à l'ordre public. Cela permettrait aux tribunaux d'exercer un contrôle plus efficace. C'est tout ce que nous demandons !
Monsieur le rapporteur, tous les administrés qui se voient appliquer une décision administrative qu'ils estiment injuste n'intentent pas un recours devant un tribunal administratif, puis une cour d'appel administrative, enfin le Conseil d'Etat !
Pourtant, selon vous, puisque l'administration exerce son pouvoir sous le contrôle des tribunaux, on peut la laisser faire puisqu'il existe toujours une possibilité de recours.
Au surplus, d'ici qu'un recours soit intenté, d'ici qu'une décision définitive soit rendue, une décision administrative fondée sur la menace à l'ordre public a amplement le temps d'être mise en oeuvre.
Cela arrive tous les jours ! Et si les tribunaux sont chargés d'apprécier les actes de l'administration lorsqu'ils sont appelés à exercer leur contrôle, ils sont loin d'approuver toujours l'administration.
Parfois, les tribunaux jugent que les actes administratifs qui leur sont déférés sont fondés ; parfois ils estiment qu'ils ne le sont pas. C'est leur rôle.
Si nous ne faisons de procès d'intention à personne, nous ne faisons pas non plus confiance absolue à qui que ce soit.
C'est pourquoi nous maintenons notre amendement.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Nous avons eu de longues discussions lors de l'examen de la loi Debré, et j'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point cette notion de menace à l'ordre public me paraissait à la fois floue et susceptible d'aboutir aux décisions les plus arbitraires.
Cette notion est floue quant à son contenu ; elle permet des interprétations élastiques et à géométrie variable.
J'ai d'ailleurs pu constater à quel point M. le rapporteur éprouvait des difficultés pour la définir. (Murmures sur les travées du RPR.)
Il s'est borné à dire : l'ordre public, c'est l'ordre public, et, pour plus de précision, voyez donc M. le ministre ! (Protestations sur les mêmes travées.)
Quant à M. le ministre, il dit : l'administration, c'est moi !
Sachez que, selon moi, il y a plus de distance entre un ministre et l'administration qu'entre Flaubert et Mme Bovary ! (Sourires.) Cela permet parfois à l'administration de prendre des décisions qui ne reflètent pas exactement la pensée ministérielle.
Par ailleurs, si c'est M. Chevènement qui nous dit : l'administration, c'est moi !, je suis plutôt rassurée, mais si c'est M. Debré qui le dit, j'éprouve hélas ! plus de réserves !
M. Charles Pasqua. Ce n'est pas convenable !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ce propos vous disqualifie, madame !
M. René-Georges Laurin. Ne dites pas cela, madame !
Mme Joëlle Dusseau. Me rapportant au débat que nous avons eu l'an dernier, je me rappelle très bien les arguments que nous avions avancés sur le renouvellement de la carte de séjour.
Soit l'étranger en situation régulière et en attente de renouvellement de sa carte de séjour a commis une faute, et l'on n'attend pas le renouvellement de la carte de séjour pour appliquer la loi.
Soit l'étranger n'a commis aucune faute, et il n'y a dès lors aucune raison, sur la base d'une menace floue et sans justification évidente, d'interdire le renouvellement de sa carte de séjour.
A titre personnel, je souhaite que l'on écarte du projet de loi des notions aussi visiblement floues et arbitraires. Je me rallierai donc à l'amendement présenté par le groupe socialiste. Il me paraît en effet un peu plus précis, ses auteurs demandant au minimum à l'administration de justifier ce qu'elle entend par menace pour l'ordre public.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il me semble que cet amendement va exactement dans le sens d'une règle maintenant admise dans la vie administrative française : la motivation des actes administratifs. Dans le même ordre d'idée, l'article 1er de ce projet de loi vise à obliger à motiver les refus de visas.
En l'occurrence, nous demandons qu'un fonctionnaire qui fait référence à la menace à l'ordre public motive sa décision. Je crois que c'est la sagesse. Bien sûr, monsieur le ministre, vous êtes l'administration, mais vous n'êtes pas l'administration à tous les guichets, dans toutes les préfectures et toutes les sous-préfectures. Or je suis bien placée pour savoir, en lisant mon courrier quotidien, à quel point la loi, les règlements, les circulaires sont « ignorés », dans tous les sens du mot : soit on ne les connaît pas au guichet et à l'échelon un peu supérieur, ou même nettement supérieur, soit on ne les respecte pas.
Sur un autre thème, les responsables du service de l'état civil à Nantes m'ont expliqué que, si les préfectures respectaient les textes, les services de l'état civil fonctionneraient sans problème, ce qui, de plus, permettrait à l'Etat de réaliser des économies. Pourtant, les préfectures ne respectent pas les textes dans ce domaine très simple qu'est la preuve de l'identité. (Protestations sur les travées du RPR.)
Tout ce que nous demandons, c'est que l'on tienne compte de la réalité non pas d'une administration idéale telle que nous voudrions qu'elle soit, mais de l'administration telle qu'elle est, avec des agents de guichet et des supérieurs hiérarchiques qui ne sont pas toujours très compétents, voire quelquefois pas particulièrement bienveillants... (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
Je le regrette, mais il existe des employés incompétents !
M. Dominique Braye. Merci pour les fonctionnaires !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous passons notre temps à leur rappeler qu'il y a des règlements, parce qu'ils ne les connaissent même pas ! (Protestations renouvelées sur les travées du RPR.)
C'est pourtant la réalité ! Nous consacrons à ces démarches une grande partie de notre temps alors que nous voudrions bien faire autre chose !
Tout ce que nous demandons, c'est qu'on oblige les fonctionnaires à réfléchir un peu avant d'en appeler à la notion de menace à l'ordre public et à ouvrir plus souvent leurs recueils de textes réglementaires et législatifs, pour y faire référence à bon escient et sans excès.
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Nous approuvons l'amendement de nos collègues socialistes. Nous avons d'ailleurs déposé pour notre part un amendement n° 82, qui reprend la même idée et qui évoque la notion de menace grave.
Tout à l'heure, M. le rapporteur nous a dit qu'il concevait mal le concept que défendait notre ami M. Dreyfus-Schmidt ; mais je crois que l'imagination de M. le rapporteur n'épuise pas toute la réalité, et l'on a bien vu, au cours de ces dernières années, que les abus ne manquaient pas et qu'il était nécessaire de préciser cette notion.
M. le ministre a fait référence à l'année 1952. Si ma mémoire est bonne, il s'agissait d'une période particulièrement troublée, et je n'en ferai pas le résumé historique. Mais je crois que notre époque voudrait que nous précisions cette notion, pour que nous n'aboutissions pas à des mesures absolument inacceptables.
M. René-Georges Laurin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Laurin.
M. René-Georges Laurin. Nous suivons, bien entendu, l'avis de M. le rapporteur s'agissant de cet amendement.
Mais j'interviens surtout parce que j'ai été étonné que, dans cette assemblée, qui a connu l'homme de valeur qu'était Michel Debré, à la mémoire duquel j'associe son fils, Jean-Louis Debré, ancien ministre de l'intérieur, il y ait quelqu'un pour oser sous-entendre qu'ils auraient pu ne pas être des républicains !
Je trouve cela tout à fait inadmissible, je tenais à le dire, parce que, jusqu'à ce jour, ici, on n'a jamais entendu des parlementaires mettre en cause le grand républicain qu'a été Michel Debré, pas plus que son fils, qui, à de multiples reprises, dans cet hémicycle, en tant que ministre de l'intérieur, a affirmé sa confiance en la République et son profond respect pour elle.
Mme Joëlle Dusseau. Je n'ai jamais parlé de Michel Debré !
M. René-Georges Laurin. Madame Dusseau, je trouve que vous faites du très mauvais travail. (Mme Joëlle Dusseau s'esclaffe.) Ah ! vous pouvez rire !
Madame Dusseau, qu'un jeune parlementaire comme vous,...
Mme Joëlle Dusseau. Je n'ai jamais dit qu'ils n'étaient pas républicains !
M. René-Georges Laurin. ... dise au ministre de l'intérieur, ce qui n'est pas non plus habituel...
Mme Joëlle Dusseau. C'est indigne !
M. René-Georges Laurin. ... que, peut-être, lui, serait républicain, mais que Michel Debré ne l'était pas, je trouve cela tout à fait inadmissible !
Mme Joëlle Dusseau. C'est ce que vous dites qui est inadmissible !
M. René-Georges Laurin. Je tenais à vous dire tout le mépris que m'inspirent vos propos ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. J'ai entendu beaucoup de choses sur l'ordre public qui m'étonnent passablement.
L'ordre public, on sait ce que c'est, on l'apprend dans les facultés de droit. On sait en particulier que s'il n'y a pas respect de la notion d'ordre public - sous le contrôle du juge, bien évidemment, on l'a dit - il n'y a plus d'administration possible, il n'y a plus de gouvernement possible.
Alors, je veux bien qu'on remette en cause la notion d'ordre public, qu'on exige que soient motivés tous les actes administratifs, mais, à ce moment-là, on ne pourra plus gouverner. Il faut donc y regarder à deux fois ! (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je partage l'avis du rapporteur de la commission des lois : il existe une jurisprudence massive et abondante pour évaluer cette notion de menace à l'ordre public, jurisprudence qui exige d'ailleurs une justification.
Je ne comprends donc pas l'objet de cet amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce qui va sans dire va mieux en le disant !
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Je viens d'écouter le débat qui a eu lieu sur cet amendement, et je suis très étonné de l'hésitation qu'il y a à faire préciser quelque chose d'imprécis.
Pour savoir s'il y a menace à l'ordre public, il faut en effet quelquefois attendre qu'elle s'applique, car on ne peut en apprécier les conséquences à l'apparence. Par conséquent, il convient qu'elle puisse être justifiée. Sinon, qu'est-ce que signifie une menace et à quoi l'apprécie-t-on tant qu'elle n'a pas un commencement de réalisation ?
Mme Joëlle Dusseau. Eh oui ! Par exemple, participer à une manifestation.
M. Franck Sérusclat. J'entendais dire tout à l'heure que certains discours peuvent être menaçants. Mais condamne-t-on d'entrée de jeu ceux qui tiennent de tels discours ? Comment Jaurès a-t-il été tué ? Précisément par des propos qui ont été tenus. Or, a-t-on arrêté ceux qui les ont tenus ?
Je considère que la demande que nous formulons avec cet amendement n° 62 rectifié est justifiée par la nature même des termes employés. Une menace, cela n'est pas suffisant ; il faut qu'elle soit justifiée.
M. Jean-Pierre Schosteck. Il faut sans doute des victimes !
M. Charles Pasqua. Je demande la parole pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le ministre avait regretté votre absence !
M. le président. La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua. M. le ministre de l'intérieur a tout à l'heure cité un exemple qui aurait dû éclairer nos collègues socialistes. Il a mentionné le cas - dont j'ai eu à connaître lorsque j'étais au ministère de l'intérieur - d'imams qui tenaient des propos non seulement contraires à l'ordre public, mais qui constituaient de véritables appels à l'émeute, contre la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans ce cas, ce sont des menaces graves !
Mme Joëlle Dusseau. Et il faut les arrêter immédiatement.
M. René-Georges Laurin. Taisez-vous, madame, vous n'avez plus le droit de parler !
M. Charles Pasqua. Que doit-on faire dans ces cas-là ? A partir de quel moment et de quels propos sommes-nous devant une menace grave à l'ordre public ? Il s'agit vraiment d'une chose qui doit être laissée à l'appréciation du ministre de l'intérieur. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 62 rectifié, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 63, MM. Dreyfus-Schmidt, Allouche, Authié, Badinter, Biarnès, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Chervy, Dussaut, Mme Pourtaud, MM. Quilliot, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 38. - La carte de résident mentionnée à l'article 15 est délivrée de plein droit à l'étranger qui n'a pas été autorisé à séjourner en France au titre du regroupement familial et qui justifie, par tous moyens, y avoir sa résidence habituelle depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans, à condition qu'il soit entrée en France avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 précitée et que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Rassurez-vous, monsieur le ministre, il se trouve que nos amendements viennent au début de la discussion, mais nous n'en avons déposé que onze et, par conséquent, le Sénat n'aura pas à nous entendre trop souvent ni trop longtemps !
M. René-Georges Laurin. Oh, joie !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avec cet amendement, nous demandons le rétablissement d'une disposition de ce que l'on a appelé les « lois Pasqua », particulièrement de la seconde, celle du 24 août 1993.
L'article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précise que : « La carte de résident mentionnée à l'article 15 est délivrée de plein droit à l'étranger qui n'a pas été autorisé à séjourner en France au titre de regroupement familial et qui justifie, par tous moyens, y avoir sa résidence habituelle depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans, à condition qu'il soit entré en France avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 précitée et que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public. »
Mme Joëlle Dusseau. Une menace grave !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un texte qui, je le répète, nous avait été proposé par notre collègue M. Pasqua lorsqu'il était ministre de l'intérieur et que le Sénat avait voté.
Et voilà que la loi Debré - mais il n'est pas trop tard pour essayer de convaincre non pas tant le Sénat, qui en était tout convaincu d'ailleurs, mais le Gouvernement et, au-delà, je l'ai dit, l'Assemblée nationale - voilà que la loi Debré, disais-je, a supprimé cette disposition au motif que l'article 12 bis ouvrait droit, pour ces intéressés-là, à une carte de séjour temporaire.
Ce n'est pas tout à fait exact, car l'article 12 bis vise « l'étranger mineur », alors que l'article 38 visait « l'étranger », qu'il soit mineur ou non. De plus, il lui accordait une carte de séjour de dix ans et non pas une carte temporaire.
A l'époque, nous avions demandé si la carte allait être retirée à ceux auxquels elle avait été donnée, et nous avions réclamé avec insistance - nous nous permettons de le faire encore - le rétablissement de cet article 38. Il ne s'agit que de respecter des droits acquis ou, plus exactement, des droits accordés par M. Pasqua. M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. La commission s'est retrouvée ce matin dans la situation qu'elle a connue sur ce sujet lors de l'examen de la loi d'avril 1997.
A l'époque, elle avait laissé son rapporteur interroger le ministre de l'intérieur pour savoir si l'article 38 de l'ordonnance de 1945 avait été supprimé par erreur ou intentionnellement dans la loi dite Pasqua.
Il est vrai que l'article 12 bis, comme M. Dreyfus-Schmidt l'a fait remarquer, ouvre droit non à une carte de résident, mais à une carte de séjour temporaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour les mineurs !
M. Paul Masson, rapporteur. Il est vrai aussi que l'article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précise que la carte de résident mentionnée à l'article 15 concernait les étrangers, mais ceux qui étaient en France depuis l'âge de dix ans, ce qui corrige quelque peu les propos que vous teniez à l'instant.
Ce matin, devant la commission des lois, il a été entendu que le rapporteur interrogerait à nouveau le ministre sur la position du Gouvernement à cet égard.
J'avais développé, lors de la séance du 13 mars 1997, les arguments que M. Dreyfus-Schmidt a rappelés tout à l'heure, et j'avais notamment dit qu'il n'y avait pas homothétie absolue entre la loi de 1993 et la loi de 1997. J'avais demandé à M. Debré ce qu'il pensait de cette distorsion : s'agissait-il d'une erreur ou d'un acte volontaire ?
« L'amendement socialiste » - avait-il alors répondu - « consiste à reporter le système de la loi de 1993 à 1999, et je suis contre parce que l'attribution d'un titre d'un an seulement » - c'est le dispositif de l'article 12 bis - « permet à l'administration d'examiner, au regard de la notion d'ordre public » - nous y sommes - « la conduite de ce mineur devenu majeur. Mais elle ne peut pas tenir compte de son passé pénal puisque, à dix-huit ans, le casier judiciaire est effacé et on ne peut en faire état.
« Or je veux que l'on puisse savoir comment ces jeunes majeurs vont se conduire au moment où ils deviennent majeurs : vont-ils troubler l'ordre public - vous savez que la délinquance des jeunes majeurs est importante - et vont-ils respecter la loi ou non ? Je ne veux pas qu'on puisse leur donner automatiquement et immédiatement un titre de dix ans. Ils auront donc un titre d'un an, renouvelable trois fois. Au terme de trois ans, s'ils n'ont pas troublé l'ordre public, à ce moment-là ils auront droit à un titre de séjour de dix ans. »
Par conséquent, selon le ministre de l'époque, ce n'est pas une erreur. Résulte bien d'une volonté gouvernementale le fait de substituer à un titre permanent de dix ans un titre temporaire qui permet de juger le comportement du mineur jusqu'à ce qu'il puisse, au terme de trois ans, revendiquer, comme la loi le permet, un titre de dix ans. Voilà où nous en sommes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Debré s'est trompé : il ne s'agit pas de mineurs !
M. Paul Masson, rapporteur. Par conséquent, je demande à entendre l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 63 de M. Dreyfus-Schmidt.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le rapporteur, je ne partage par le raisonnement de mon prédécesseur. Je considère en effet que la réserve d'ordre public s'applique à la délivrance de tout titre. Par conséquent, elle ne doit pas être introduite.
Il est cependant nécessaire, selon moi, de maintenir un sas avant l'octroi d'un titre de résident de plein droit de dix ans. C'est du moins la philosophie qui nous a guidés quand nous avons accepté à l'Assemblée nationale un amendement selon lequel, au bout de cinq ans, la carte de résident de dix ans est accordée de plein droit à un titulaire d'une carte de séjour temporaire, elle-même de plein droit.
S'agissant de la rédaction de ce qu'il est convenu d'appeler - incorrectement, puisque c'est devenu une loi de la République - la « loi Pasqua » du 24 août 1993, à laquelle se réfère M. Dreyfus-Schmidt, j'ai l'impression qu'il s'agissait d'une disposition transitoire visant à régler le problème des étrangers qui étaient entrés en France sous un régime législatif antérieur plus favorable, qui, à ce titre, étaient virtuellement éligibles à la carte de résident avant l'intervention de la loi dite Pasqua et qui se seraient retrouvés, du fait du changement de législation, privés d'accès à un titre de séjour.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce qui a fondé, me semble-t-il, la loi du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l'immigration, c'est l'idée que la disposition transitoire n'était plus nécessaire, qu'elle était désormais source de discrimination dans le traitement de situations identiques, hormis la date d'arrivée, et de complications supplémentaires dans les préfectures. Le souci était d'appliquer la même règle à tous, quelle que soit la date d'arrivée.
La disposition du projet de loi qui permet l'octroi d'une carte de séjour temporaire délivrée en application de l'article 12 bis et l'obtention au bout de cinq ans et de plein droit d'une carte de résident justifie que le régime transitoire ne soit pas rétabli, car il serait source de complications inutiles.
Cela dit, il s'agit d'un point qui m'avait largement échappé, mais qui n'a pas échappé à M. Dreyfus-Schmidt, dont le regard perçant (Rires sur plusieurs travées du RPR) a saisi ce léger glissement de la législation.
Je persiste à penser qu'il est plus simple de conserver le dispositif général, c'est-à-dire un sas : la carte de séjour temporaire, puis la carte de résident de dix ans.
Cela dit, je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Monsieur le rapporteur, la commission est-elle éclairée par les explications de M. le ministre ?
M. Paul Masson, rapporteur. Les arguments développés par l'actuel ministre de l'intérieur sont légèrement différents de ceux de son prédécesseur, ce que je conçois.
Sur le fond, j'ai bien compris que M. Chevènement souhaitait l'existence d'un sas permettant d'éviter la création d'un dispositif complémentaire, certes transitoire, mais dont les effets iraient en s'amenuisant.
Je ne vois pas pourquoi la commission serait plus royaliste que le roi. Aussi, sans demander à la commission de se réunir à nouveau, je crois pouvoir m'autoriser, compte tenu des propos de M. le ministre, à demander au Sénat de rejeter l'amendement n° 63.
M. René-Georges Laurin. Très bien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 63.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans ce sas où notre rapporteur s'enveloppe, je ne reconnais pas notre collègue Masson.
Je vais vous dire pourquoi, mes chers collègues.
Ce matin encore, en commission, M. le rapporteur nous a dit qu'il était de notre avis lors de la discussion de la loi Debré, à l'encontre du ministre de l'époque.
Sommes-nous insuffisants, pour ne pas arriver à convaincre ? Certes, la disposition en cause n'est pas primordiale, monsieur le ministre, vous avez raison.
Reprenons néanmoins ! Il ne s'agit pas de mineurs, monsieur le rapporteur. L'article 38, dans sa rédaction de 1993, dispose que « la carte de résident mentionnée à l'article 15 est délivrée de plein droit à l'étranger qui n'a pas été autorisé... ». Je le répète, il s'agit d'un étranger et non pas d'un étranger mineur.
A l'encontre de mon amendement vous rétorquez que, pour les mineurs, il faut un sas. Je vous réponds à mon tour que, pour les étrangers concernés, il n'y a plus de sas. La loi de 1993 leur a donné droit à une carte de dix ans.
Va-t-on la leur retirer ? Ce serait ridicule !
Par ailleurs, le bénéfice de cette disposition ne peut pas être étendu puisqu'elle ne s'applique qu'aux étrangers entrés en France avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 24 août 1993.
Si ce point ne mérite pas d'aussi grands développements, il crève les yeux qu'il est inique de retirer de tels droits acquis. C'est pourquoi nous regrettons très vivement la position prise subitement par M. le rapporteur : il s'est déclaré, en commission, ce matin même, favorable à l'amendement, mais il souhaitait entendre le ministre avant de se prononcer définitivement, et voilà que, le ministre s'en étant rapporté à la sagesse du Sénat, il n'est plus d'accord !
Décidément, monsieur le rapporteur, nous avons du mal à nous entendre !
En tout cas, j'espère que le Sénat, lui, nous aura entendus.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L'an dernier, quand nous avions débattu de ce point, notre attention avait été attirée, par des associations qui s'occupent de jeunes adultes en cours d'intégration en France, sur l'intérêt de maintenir le bénéfice de la carte de résident de dix ans à ces jeunes adultes majeurs entrés en France hors regroupement familial et qui se trouvaient en fait pénalisés par une faute imputable à leurs parents.
Ce ne sont pas eux qui ont décidé d'entrer en France hors procédure de regroupement familial, avant d'avoir atteint l'âge de dix ans. La décision a été prise par un père, parfois ignorant de la loi, parfois imprudent, ne sachant trop que faire pour rassembler sa famille.
Pour les associations qui s'occupent de ces jeunes, notamment les associations d'enseignants qui les ont eus comme élèves dans les lycées, toutes les mesures qui tendaient à fragiliser leur statut au regard du séjour étaient nuisibles à leur intégration. Mieux valait donc garder une disposition transitoire qui leur était plus favorable.
C'est pourquoi nous voterons pour le retour à cette disposition.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 63, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 64, MM. Dreyfus-Schmidt, Allouche, Authié, Badinter, Biarnès, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Chervy, Dussaut, Mme Pourtaud, MM. Quilliot, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sous réserve du dernier alinéa de l'article 25 et de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, nonobstant toute autre disposition contraire, aucun titre de séjour ne peut être retiré à un étranger inexpulsable en application des trois premiers alinéas de l'article 25 de l'ordonnance précitée. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste aimerait bien mettre un terme au phénomène connu sous le vocable des « sans-papiers ».
Je l'ai déjà dit, mais il n'est pas inutile de le répéter, le groupe socialiste, bien entendu, est unanime à dénoncer l'immigration clandestine et à apporter son soutien constant au Gouvernement pour la combattre.
Au demeurant, ceux que l'on a appelés les « sans-papiers » étaient des gens inexpulsables mais dont le titre de séjour avait été retiré, ce qui les empêchait de travailler et de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Ce sont ceux-là que l'on a trouvés dans l'église Saint-Bernard et dans les rues de Paris, soutenus par l'ensemble de la gauche, chacun s'en souvient.
M. Jean-Pierre Fourcade. Et par Mgr Gaillot !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'époque, M. Mazeaud s'était demandé à l'Assemblée nationale s'il ne serait pas possible de décider que l'on ne pourrait pas retirer un titre de séjour à celui qui est inexpusable.
Dans son rapport devant le Sénat, M. Masson - j'espère qu'il s'en souviendra - disait s'être posé la question de savoir - sans dire la réponse qu'il y avait apporté - si, en effet, la suggestion de M. Mazeaud n'était pas la plus sage.
Notre amendement tend seulement, monsieur le ministre - c'est à vous que je m'adresse, parce que la majorité du Sénat, bien entendu, ne nous suivra pas -, à insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Sous réserve du dernier alinéa de l'article 25 et de l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, nonobstant toute autre disposition contraire, aucun titre de séjour ne peut être retiré à un étranger inexpulsable en application des trois premiers alinéas de l'article 25 de l'ordonnance précitée. »
Il est bien entendu qu'en cas de menace grave à l'ordre public ou de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique il est tout à fait possible de retirer le titre de séjour et d'expulser quelque étranger que ce soit.
Ce matin, en commission des lois, on m'a objecté : « s'ils se prétendent inexpulsables et qu'ils ne le soient pas ? » Or il est clair qu'il s'agit, dans notre amendement, des étangers que l'administration elle-même reconnaît être inexpulsables en vertu de l'ordonnance. Il ne serait pas raisonnable de retirer le titre de séjour à ceux-là, car on risquerait fort, je le répète, de voir se reproduire des événements dont la France, vous-même, et nous aussi, nous serions bien passés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Je rappelle, une fois encore, que l'autorité administrative a la faculté de retirer un titre de séjour, et ce, bien entendu, sous le contrôle du juge.
Cette décision n'a pas un caractère automatique. L'administration doit apprécier les conditions dans lesquelles cette sanction doit être appliquée.
Vous dites, monsieur Dreyfus-Schmidt, qu'aucun titre de séjour ne peut être retiré à un étranger inexpulsable, c'est-à-dire que vous retirez à l'administration la possibilité d'intervenir en la matière par le jeu du pouvoir de sanction dont elle dispose en vertu des prérogatives habituelles qui sont les siennes en tant qu'autorité administrative.
A cet égard, il faut, me semble-t-il, s'en remettre à l'appréciation soit de l'administration, soit du juge, qui - je me réfère ici à une décision du Conseil constitutionnel - doit toujours considérer que les décisions prises par l'administration ne doivent pas être entachées d'une disproportion manifeste.
S'il y a disproportion manifeste - en l'espèce, ce serait le cas puisqu'un étranger non expulsable serait privé de titre de séjour - l'administration doit prendre en considération cette situation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Inscrivons-le dans la loi !
M. Paul Masson, rapporteur. Si elle ne le fait pas, le juge administratif, qui contrôle l'administration, doit lui rappeler les dispositions d'ordre général qui s'imposent en la matière.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, dans le cas que vous évoquez, il y a disproportion manifeste entre la mesure qui serait prise et la situation juridique de l'intéressé inexpulsable.
En conséquence, il ne me paraît pas nécessaire d'introduire dans la loi ce qui est de procédure habituelle et qui s'applique, d'ailleurs, dans un certain nombre de dispositifs juridiques.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 64.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est très ferme dans ce domaine.
Il a entendu mettre un terme à des situations inextricables, qui résultaient du fait que certains étrangers n'étaient pas expulsables, mais n'étaient pas non plus régularisables.
C'est un des objectifs principaux de ce projet de loi.
Ainsi, par le biais de la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », nous allons pouvoir éteindre le contentieux existant.
Il reste cependant deux cas de retrait du titre de séjour qui figureront encore dans l'ordonnance de 1945 : ils visent, d'une part, les étranger polygames - il est parfaitement possible de retirer sa carte de résident à un étranger polygame ou à son conjoint, d'après l'article 15 bis - d'autre part, l'employeur étranger employant des étrangers sans autorisation de travail, c'est-à-dire des clandestins.
Il n'existe pas d'autres cas justifiant le retrait d'un titre de séjour.
La portée de l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt est donc extrêmement limitée.
Par ailleurs, le Gouvernement n'entend pas donner une impression de tolérance à l'égard de la polygamie ou du travail clandestin, ce qui irait à l'encontre de sa volonté.
Il subsiste, c'est vrai, une réserve en cas de menace grave à l'ordre public, mais, là, nous en revenons à un débat que nous avons déjà eu.
Les mineurs, je le rappelle, sont protégés de manière absolue contre toute mesure d'éloignement et, en tout état de cause, ils ne peuvent se voir délivrer un titre de séjour qu'à l'âge de seize ans au plus tôt. Les autres catégories visées à l'article 25 peuvent être expulsées en cas d'urgence absolue ou de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique. Cette exception concerne un nombre limité de personnes. Elle s'applique, je le répète, en cas d'infraction très grave ; elle doit évidemment être maintenue.
J'adjure donc M. Dreyfus-Schmidt, qui a très bien compris qu'il pouvait avoir pleine confiance dans l'administration tant que j'étais ministre de l'intérieur, de laisser perdurer cette situation, qui doit le rassurer pleinement, et de ne rien faire pour affaiblir si peu que ce soit la position du Gouvernement en développant des arguments qui le mettraient en porte à faux avec l'opinion publique, laquelle condamne, à juste titre, aussi bien la polygamie que le travail clandestin. Comment pourrait-on raisonner autrement ?
Je prie donc M. Dreyfus-Schmidt de bien vouloir prendre en compte ces arguments et le sens réel de la politique du Gouvernement : régulariser les situations aberrantes qui existaient du fait d'une législation antérieure, d'une part, rester ferme sur un certain nombre de principes essentiels, d'autre part.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 64.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste a longuement débattu des amendements qu'il souhaitait déposer. Nous avons renoncé à certains alors qu'ils avaient des partisans. En revanche, nous n'avons pas imaginé que nous pourrions en retirer, sauf, bien sûr, si des raisons évidentes nous étaient opposées.
Nos amendements ont pour but d'essayer de convaincre le Gouvernement et, au-delà, l'Assemblée nationale.
En l'occurrence, nous sommes navrés de ne pas avoir convaincu le Gouvernement qui nous a opposé, un argument que nous comprenons, mais auquel, personnellement, je ne souscris pas.
La question n'est pas de savoir s'il faut donner ou ne pas donner tel ou tel sentiment à l'opinion publique, ni de savoir si l'on doit ou non tenir compte de celle-ci. Il s'agit de ne pas créer de situations injustes. Les mesures que nous décidons de prendre, c'est à nous qu'il appartient de les expliquer et de les faire admettre par l'opinion, laquelle ne demande d'ailleurs pas que l'on prive de son titre de séjour quelqu'un qui, aux termes de la loi, est inexpulsable.
Cela ne signifie évidemment pas, et nous le répéterons autant qu'il le faudra, que nous soyons partisans de la polygamie, qui, bien entendu, n'est visée dans l'ordonnance que dans la mesure où l'intéressé vit en France. Nous sommes même tout à fait d'accord pour faire de la polygamie un délit, y compris pour les étrangers vivant en France. S'agissant du travail clandestin, la loi Pasqua avait prévu qu'en règle générale ne pouvait être reconduit à la frontière ou explusé qu'un étranger établi en France régulièrement ayant été condamné à plus de cinq ans. En 1993, des exceptions ont été ajoutées : l'étranger régulier qui emploie un irrégulier peut se voir retiré son titre de séjour et être explusé s'il a été condamné à une peine de prison ferme, quelle qu'en soit la durée. Autrement dit, M. Pasqua et sa majorité avaient fait le nécessaire pour lutter contre le travail clandestin. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Charles Pasqua. Merci !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est bien pourquoi nous n'avons pas compris que M. Jean-Louis Debré fasse de la surenchère et rende incohérente l'ordonnance de 1945.
Nous y viendrons dans un instant puisque nous avons déposé des amendements sur ce point précis, même si vous venez en somme d'ores et déjà, de nous dire, monsieur le ministre, que nous ne vous avons pas convaincu.
Je m'explique donc : si, en matière d'emploi d'un irrégulier par un régulier, pour qu'il puisse y avoir expulsion, une condamnation ferme est nécessaire, quelle qu'en soit la durée, il faut attendre que les tribunaux se soient prononcés ; cela étant, dans un esprit de compromis, nous proposerons que le titre de séjour puisse, jusqu'à ce moment, être retiré provisoirement.
Mais cela ne saurait valoir si est en cause un étranger inexpulsable. Dans ce cas, si vous lui retirez son titre de séjour, il y a encore de beaux jours pour l'église Saint-Bernard, mais pas pour sa porte !
M. Jean-Pierre Schosteck. Il faut les rendre expulsables !
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je voudrais appuyer, si tant est qu'il en soit besoin, l'argumentation développée par M. Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le ministre, il y a quelques mois seulement, les Français ont découvert, à l'occasion d'une affaire regrettable, l'aspect kafkaïen, pour reprendre le terme que nous avons employé dans l'exposé des motifs, d'une situation, celle d'étrangers entrés régulièrement en France mais devenus des sans-papiers ou des clandestins tout en étant inexpulsables. Une telle situation, les Français ne l'avaient pas imaginée avant qu'elle se produise.
Nous savons tous que la loi de 1997 avait pour but, entre autres, de corriger les oublis ou plutôt les erreurs de la loi de 1993.
Votre argumentation, monsieur le ministre, a sa force, mais nous souhaitons vous alerter : nous risquons, demain, d'être confrontés à des cas que, là encore, nous n'avions pas imaginés. Le législateur ne peut prévoir tous les cas possibles.
Il n'est pas exclu que, demain, nous ayons encore une fois affaire à des personnes que nous ne pourrions pas expulser, en vertu des dispositions qui figurent dans nos textes, mais, qui se trouveraient néanmoins sans titre de séjour, sans papiers, sans domicile, sans autorisation de travailler, bref, sans rien !
Les Français, alors, ne comprendraient pas que, après avoir vécu l'affaire de l'église Saint-Bernard, sachant quelles situations a produites la loi Debré et alors qu'une circulaire ministérielle a été prise pour régulariser ceux qui sont en droit d'être régularisés en fonction de certains critères, une nouvelle loi dite « loi Chevènement » permette encore que de telles situations puissent être constatées.
Nul ne comprendrait l'irresponsabilité dont aurait fait preuve le Parlement en ne prenant pas ce risque en considération.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 64, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 65, MM. Dreyfus-Schmidt, Allouche, Authié, Badinter, Biarnès, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Chervy, Dussaut, Mme Pourtaud, MM. Quilliot, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'antépénultième alinéa de l'article 31 bis de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France est supprimé. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour cet amendement, comme pour celui qui tend au rétablissement de la commission du titre de séjour et de son rôle décisionnel, nous nous sommes inspirés de la réponse qui nous a été faite par le professeur Weil lors d'une réunion du groupe sénatorial des droits de l'homme qui s'est tenue ici même, sous la présidence et l'autorité de notre ami François Autain. S'agissant de la commission du titre de séjour et d'une demande d'asile déposée sous deux identités différentes - puisque c'est de cela qu'il est ici question -, le professeur Weil nous a dit qu'il était d'accord avec nous.
De quoi s'agit-il ?
La loi Debré a cherché à contourner la jurisprudence du Conseil d'Etat qui, dans plusieurs arrêts, avait précisé que, lorsqu'un demandeur d'asile avait donné une fausse identité dans une demande et sa véritable identité dans une autre demande, il s'agissait de savoir si la demande était fondée et non pas de la rejeter purement et simplement parce que, pour des raisons qui peuvent varier, il aurait dans un cas donné une fausse identité.
Lors de l'examen du projet qui est devenu la « loi Debré », le texte qui nous était venu de l'Assemblée nationale prévoyait que constituait un recours abusif aux procédures d'asile le fait de déposer des demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes et que de telles demandes devaient donc être automatiquement rejetées.
En vertu de scrupules qui l'honorent, le Sénat a introduit le mot « frauduleuse », de manière à ne plus imposer le rejet qu'en cas de « présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes ».
En vérité, tout cela est tout à fait inutile puisque la loi stipule depuis longtemps que « l'admission en France d'un demandeur d'asile ne peut être refusée que si la demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ».
Autrement dit, la loi est claire, nette, formelle : la demande d'asile peut être refusée si elle repose sur une fraude délibérée. On peut parfaitement se contenter de cela. Pourquoi compliquer les choses ?
Le but était, je l'ai dit, de contourner la jurisprudence du Conseil d'Etat. Finalement, le Sénat s'est arrêté en chemin, me semble-t-il. Mais, pour éviter toute discussion, le mieux est de laisser le Conseil d'Etat faire son métier en supprimant cette disposition de la « loi Debré ».
Je me permets d'insister, monsieur le ministre, auprès de vous : nous ne plaidons pas pour les demandeurs d'asile qui donnent plusieurs identités dans le but de tromper et d'obtenir ce qu'ils n'obtiendraient pas autrement ; nous sommes d'accord, dans ce cas, pour leur refuser l'asile.
M. Michel Caldaguès. Y a-t-il d'autres cas ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Conseil d'Etat a, dans des cas où deux demandes avaient été faites - sans doute par erreur et peut-être par quelqu'un d'autre que le demandeur d'asile - l'une sous un faux nom, l'autre sous un vrai nom, considéré que la seule question à résoudre était de savoir si, en définitive, le demandeur était fondé ou non à demander l'asile.
Or, avec le texte tel qu'il est, on risquerait de refuser l'asile à un étranger dont la demande serait fondée.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Le ministre l'a rappelé, l'amendement tend à supprimer une disposition que le Sénat avait introduite dans le projet de loi qui est devenu la loi de 1997, disposition suivant laquelle l'admission au séjour peut être refusée en cas de présentation frauduleuse de plusieurs demandes sous des identités différentes.
Si nous avons introduit cette disposition, monsieur Dreyfus-Schmidt, c'est précisément pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté dans la démarche que le Sénat proposait d'adopter.
Il est des cas, nous le savons bien, où l'utilisation d'identités différentes n'est pas frauduleuse : dans une certain nombre de pays, les états dits civils sont aléatoires et plusieurs identités sont utilisables de bonne foi.
Mais nous savons aussi que des individus utilisent ces ambiguïtés de l'état civil pour maquiller leur identité et induire en erreur ceux qui sont chargés d'apprécier s'il y a fraude ou non.
Pour bien montrer quelle interprétation nous souhaitions qu'il soit donné à la loi, s'agissant du point particulier des demandes présentées sous des identités différentes, nous avons précisé qu'il fallait que la démarche soit frauduleuse.
Je ne vois pas en quoi une telle mesure pourrait, comme on le prétend dans l'exposé des motifs de l'amendement, ouvrir « la porte à l'arbitraire ». Il me semble au contraire que cette disposition a pour objet de fermer la porte à l'arbitraire.
Vous dites, monsieur Dreyfus-Schmidt, que cela est déjà contenu dans le dispositif, mais ce dernier est très général et l'ambiguïté tenait notamment à l'utilisation de plusieurs états civils portant des noms différents.
Comme il s'agit d'un cas assez spécifique mais relativement fréquent, nous n'avions pas récusé la proposition gouvernementale, qui visait effectivement à préciser dans la loi l'interprétation d'une jurisprudence, mais nous l'avions « cantonnée » en introduisant, ce qui me paraît à la fois de bon aloi et utile, le mot « frauduleuse » dans le dispositif gouvernemental.
Dans ces conditions, je pense que l'amendement n° 65 devrait être soit retiré, soit rejeté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. On constate qu'environ 5 % des demandes d'asile déposées à la préfecture émanent d'étrangers qui ont déjà présenté une telle demande sous une autre identité.
Je rappelle que l'étranger doit d'abord se présenter à la préfecture, qui lui délivre une autorisation provisoire d'un mois afin de lui permettre d'effectuer les démarches auprès de l'OFFRA et lui remet le formulaire correspondant. L'intéressé remplit ce formulaire et l'adresse à l'OFFRA. Au vu du certificat de dépôt remis par cet office, la préfecture délivre un document temporaire de séjour de trois mois renouvelables, appelé « récépissé ».
L'article 31 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui sera transféré à l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952, autorise les préfets à ne pas délivrer, dans certains cas, ce récépissé, et à prendre un arrêté de reconduite, qui n'est toutefois en aucun cas exécuté avant que le rejet de la demande d'asile n'ait été prononcée par l'OFPRA, qui statue alors en urgence.
Faut-il supprimer la précision apportée par le Sénat en 1997 ? Je pense que les décisions de justice seront les mêmes avec ou sans cette précision, car le Sénat n'a fait que confirmer la jurisprudence selon laquelle un étranger qui présente une demande frauduleuse se voit généralement débouté.
Je reconnais donc qu'il s'agit d'une précision qui n'est pas très utile, et je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée quant à l'opportunité de sa suppression.
Je ne considère pas en effet que tout ce qu'ont fait M. Pasqua ou M. Debré est entaché d'un sceau diabolique. J'ai ainsi conservé certaines dispositions visant la polygamie introduites par M. Pasqua. Faut-il conserver celle dont nous débattons ? Sur ce point, je l'ai dit, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 65, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)

TITRE Ier


DISPOSITIONS MODIFIANT L'ORDONNANCE N° 45-2658 DU 2 NOVEMBRE 1945 RELATIVE AUX CONDITIONS D'ENTRÉE ET DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS EN FRANCE

Article 1er