M. le président. « Art. 34. _ Il est inséré, après l'article 724 du code de procédure pénale, un article 724-1 ainsi rédigé :
« Art. 724-1 . _ Les services pénitentiaires constituent et tiennent à jour pour chaque personne incarcérée un dossier individuel comprenant des informations de nature pénale et pénitentiaire.
« Les services pénitentiaires communiquent aux autorités administratives compétentes pour en connaître des informations relatives au lieu d'incarcération, à la situation pénale et à la date de libération d'un détenu, dès lors que ces informations sont nécessaires à l'exercice des attributions desdites autorités.
« Ils communiquent notamment aux services centraux ou déconcentrés du ministère de l'intérieur les informations de cette nature relatives aux étrangers détenus faisant ou devant faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire. »
Par amendement n° 41, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, cet article 34 est quelque peu spectaculaire. Il fait partie de la panoplie que le Gouvernement propose dans ce diptyque bien étudié qui consiste sinon a donner un coup de barre à gauche, un coup de barre à droite, du moins à proposer des mesures allant, d'un côté, dans le sens de l'assouplissement, de la simplification, de l'élargissement compréhensif, attentif, puis, d'un autre côté, dans le sens de la répression, du durcissement, de la fermeté accrue.
Monsieur le ministre, vous avez développé ce point de vue avec méthode, éloquence et continuité tout au long des séances du Sénat, comme vous l'aviez fait devant l'Assemblée nationale.
Cet article 34 est tout à fait spectaculaire, disais-je. Il vise en effet à assurer enfin une coordination entre l'administration pénitentiaire et les services chargés de l'éloignement du territoire des étrangers condamnés.
Comment, en effet, imaginer qu'une personne condamnée puis libérée sous astreinte puisse être lâchée dans la nature sans que les services chargés de l'éloignement ne soient informés ? Cette disposition relève du bon sens même, et nous ne pouvons qu'approuver le Gouvernement, son ministre de l'intérieur, de s'engager dans cette voie.
« Les services pénitentiaires constituent et tiennent à jour pour chaque personne incarcérée un dossier individuel comprenant des informations de nature pénale et pénitentiaire ». Comment est-il possible que l'administration pénitentiaire ne dispose pas d'ores et déjà de dossier personnel concernant chaque personne incarcérée ? Voilà qui serait quelque peu irréel dans un pays de droit comme la France, où nous sommes tellement soucieux de la protection de la personne.
« Les services pénitentiaires communiquent aux autorités administratives compétentes pour en connaître des informations relatives au lieu d'incarcération, à la situation pénale et à la date de libération d'un détenu, dès lors que ces informations sont nécessaires à l'exercice des attributions desdites autorités. » Le bon sens venant à l'appui de la lecture, on s'interroge : rien ne serait actuellement prévu, dans un pays comme le nôtre aussi féru de droit, aussi attentif à la législation, au droit écrit, pour assurer l'information des services extérieurs ?
J'ai demandé de vérifier auprès de la Chancellerie si des textes étaient déjà en vigueur. Nous nous sommes ainsi aperçus que toutes ces dispositions que M. le ministre nous propose de faire figurer dans la loi sont déjà dans le code de procédure pénale, mais dans sa partie relative aux décrets, je vous l'accorde. Les articles D. 155 et suivants du code de procédure pénale traitent de la constitution d'un dossier individuel, l'article D. 428 du même code étant consacré à la transmission des informations aux services qualifiés.
Quant au dernier alinéa de l'article 34 du projet de loi, il n'ajoute rien.
Diverses mesures tendent à favoriser ce rapprochement. Des expériences intéressantes sont d'ailleurs déjà en cours, notamment dans les prisons de la Santé et de Fresnes. Il ne semble donc pas que cet article 34 apporte quoi que ce soit de nouveau au dispositif en vigueur, sauf à considérer, mes chers collègues, que ces dispositions ne sont pas respectées par les administrations compétentes.
Une fois encore, monsieur le ministre, cela signifie que, placé devant le constat que l'administration ne fonctionne pas - hier, c'était à propos de la carte de séjour des chercheurs et des scientifiques - au lieu de mettre l'administration en face de ses responsabilités et de l'obliger à respecter les textes en vigueur, le Gouvernement préfère proposer une disposition complémentaire. Le Gouvernement avoue ainsi qu'il est impuissant à obliger l'administration à respecter les textes ou à corriger ses penchants ou son souci de personnaliser le débat. Il passe l'éponge et il ajoute une disposition nouvelle dans un texte nouveau.
Monsieur le ministre, je sais bien que, dans tout projet de loi, il y a la réalité et les fausses fenêtres. Avec cet article 34, nous sommes manifestement devant une fausse fenêtre. Votre égalité, votre balance, est exactement comme le pâté bien connu : un cheval, une alouette. En l'occurrence, nous sommes du côté de l'alouette et il n'y a pas grand-chose à plumer !
Selon moi, l'article 34 correspond très exactement au souci de montrer que l'on est ferme. Mais, le code de procédure pénale est tout à fait clair à cet égard ! Respectez simplement les dispositions actuelles sans chercher à démontrer que vous voulez combler un vide. En vérité, la disposition que vous proposez s'ajoute à ce qui existe déjà. Ainsi, le Gouvernement avoue qu'il ne peut pas faire respecter les dispositions existantes et que celles-ci ne lui suffisent pas pour conduire sa politique.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je suis, là encore, au regret de proposer un amendement de suppression. Vraiment, cet article 34 prouve, s'il en était besoin, que vous essayez de parvenir à un équilibre, qui est tout à fait sympathique, certes, mais qui ne peut tromper que ceux qui ne veulent pas prendre en compte les dispositions existantes, qu'on vous demande simplement de faire respecter, notamment par ceux qui sont chargés d'appliquer le code de procédure pénale en l'état. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. M. Masson, emporté par son élan, veut supprimer un article du projet de loi qui pourtant est bien utile.
En effet, contrairement à ses allégations, toutes les dispositions de l'article 34 ne figurent pas déjà dans l'article du code de procédure pénale qui se trouve dans la troisième partie « Décrets », c'est-à-dire la partie réglementaire.
De plus, l'article 34 a pour objet de définir limitativement le champ des autorités susceptibles de recevoir les informations en cause : les services des préfectures et de la police aux frontières, qui est chargée de l'éloignement des étrangers.
Il fait également obligation à l'administration pénitentiaire de communiquer les dossiers aux autorités administratives compétentes. Il donne donc à cette communication un caractère systématique, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
En effet, en 1996, plus de la moitié des étrangers qui étaient frappés d'une peine d'interdiction du territoire ont été libérés sans autre forme de procès et sans que l'on ait pris la précaution de vérifier que les dispositions étaient prises pour l'exécution de la mesure judiciaire d'interdiction du territoire.
Je suis parti de cette constatation, qui est le legs du gouvernement précédent, monsieur le rapporteur, et j'ai essayé de comprendre la raison pour laquelle ce système n'a pas fonctionné.
Il se trouve tout simplement que les mesures nécessaires n'ont pas été prises. Elles viennent de l'être puisque, dans huit maisons d'arrêt, un effort de coordination a été engagé par la création de cellules spécialisées : à Fresnes, à Fleury-Mérogis, à la Santé, à Bois-d'Arcy, à Villepinte, à Châteaudun, à Grasse et à Nice. Cela existait déjà, je dois le dire, à la santé et peut-être dans un autre centre de détention.
Il s'agit enfin d'une mesure qui sera encore plus facile à appliquer lorsque l'on aura mis en place une certaine informatisation, laquelle sera - vous êtes suffisamment experts dans les choses du droit pour le savoir - facilitée par l'inscription de cette mesure dans la loi et fera l'objet de moins d'objections que si nous en restions à des dispositions de nature réglementaire.
Vous voyez un cheval là où il y a une alouette, et une alouette là où il y a un cheval. Chacun voit midi à sa porte. C'est dans la nature humaine, particulièrement dans la nature parlementaire de l'homme. Il me semble que l'hémicycle se prête assez facilement à cette déformation des perceptions.
J'aimerais toutefois que mon argumentation vous rende plus sensibles à l'intérêt de cet article 34, qui n'a rien d'une alouette...
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 41, repoussé par le Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste vote contre.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 34 est supprimé.

Article 8