M. le président. « Art. 5. _ I. _ Le premier alinéa de l'article L. 212-5-1 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce seuil est fixé à quarante et une heures à compter du 1er janvier 1999. »
« I bis. _ Il est inséré, après le quatrième alinéa du même article, un alinéa ainsi rédigé :
« Le repos compensateur doit obligatoirement être pris dans un délai maximum de deux mois suivant l'ouverture du droit sous réserve des cas de report définis par décret. L'absence de demande de prise du repos par le salarié ne peut entraîner la perte de son droit au repos. Dans ce cas, l'employeur est tenu de lui demander de prendre effectivement ses repos dans un délai maximal d'un an. »
« I ter. _ Le huitième alinéa du même article est supprimé.
« II. _ Le deuxième alinéa de l'article 993 du code rural est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce seuil est fixé à quarante et une heures à compter du 1er janvier 1999. »
« III. _ Après la première phrase du quatrième alinéa du même article, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Cette moyenne est fixée à quarante et une heures à compter du 1er janvier 1999. »
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 5 du projet de loi modifie certaines dispositions relatives aux heures supplémentaires.
Dans la législation actuelle, le niveau des heures supplémentaires autorisées est en effet fixé à 130 heures annuelles et ouvre droit à un repos compensateur égal à la moitié du temps de travail effectué en complément, dès lors que sont dépassées les quarante-deux heures de travail sur une semaine donnée.
Le présent article nous invite à procéder à une réduction de ce seuil de déclenchement du repos compensateur en le réduisant d'une heure, ce qui le ramène à quarante et une heures.
Bien entendu, la majorité de la commission des affaires sociales nous propose de supprimer cet article, ce qui ne peut nous surprendre, étant donné sa grande réceptivité aux préoccupations de l'entreprise, telles qu'elles sont en tout cas traduites, on le sait, par les représentants du CNPF.
Cette question des heures supplémentaires est fondamentale dans le débat sur la durée du temps de travail.
On prétend en effet que l'exercice du droit aux heures supplémentaires est, d'une certaine façon, pleinement profitable aux salariés, puisqu'il se paie sous forme d'une majoration de la rémunération. Mais, dans la conception actuelle de la direction d'entreprise, ce système est surtout profitable à l'entreprise.
Combien d'entreprises, en effet, ont tiré parti du contingent annuel - qui n'est pas loin de constituer un véritable treizième mois de travail - pour organiser la production au plus près des flux de marchandises et de vente des produits qu'elles fabriquent ?
On arrive d'ailleurs à cette situation assez paradoxale d'une activité professionnelle des salariés de plus en plus cyclique, particulièrement perturbante pour la vie personnelle des salariés eux-mêmes, activité qui cumule à la fois des périodes de surchauffe, avec heures supplémentaires, y compris le dimanche ou les jours fériés, et des périodes de refroidissement -, pour garder la même image - avec repos compensateur mais, plus souvent, chômage technique.
Le développement de cette conception diachronique du travail n'a pas, nous l'avons vu, remis en question la progression de la productivité du travail, bien au contraire.
En revanche, il a contribué, d'une certaine façon, à accroître la pression sur les salariés en activité et a surtout ralenti le mouvement réel de création d'emplois dans notre pays. Je faisais allusion tout à l'heure à l'exemple de Moulinex.
N'est-ce pas M. le président de la commission des affaires sociales et M. le rapporteur qui indiquaient, la semaine dernière, lors de leur conférence de presse, que la croissance de notre économie en 1997, assez proche des 3 % en volume et supérieure à 4 points en valeur, n'avait pourtant conduit qu'à créer 1 % d'emplois supplémentaires dans le secteur marchand, ces emplois étant d'ailleurs, de notre point de vue, à considérer avec la plus grande attention, une bonne part bénéficiant des effets d'aubaine de la politique de l'emploi ?
Les heures supplémentaires sont donc, de manière incontestable, un puissant obstacle à la création effective d'emplois dans notre pays. Leur existence révèle l'une des contradictions fondamentales de notre système social, celle qui tend à opposer ceux qui travaillent mais sont manifestement insuffisamment payés de leurs efforts et ceux qui ne travaillent pas.
Des centaines de milliers d'emplois peuvent procéder d'une réduction sensible du niveau des heures supplémentaires ; un certain nombre d'entre eux peut donc découler de l'abaissement de seuil que nous propose cet article 5. Il va sans dire que, puisqu'il va dans le bon sens, nous l'aurions voté sans hésitation.
Nous nous opposerons donc sans équivoque à sa suppression.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Souvet, au nom de la commission.
L'amendement n° 16 est déposé par M. Marini.
Tous deux tendent à supprimer l'article 5.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6.
M. Louis Souvet, rapporteur. Avant de présenter cet amendement, je tiens à dire à M. Fischer - cela ne le surprendra pas - que le rapporteur n'est ni à l'écoute ni aux ordres de qui que ce soit.
Il devrait en prendre acte car il me connaît suffisamment pour le savoir.
M. Guy Fischer. J'ai dû mal m'exprimer, monsieur le rapporteur !
M. Louis Souvet, rapporteur. L'article 5 vise à abaisser le seuil de déclenchement du repos compensateur de la 42e heure à la 41e heure de travail hebdomadaire, pour les heures supplémentaires effectuées dans le cadre du contingent annuel réglementaire de 130 heures.
En abaissant d'une heure le seuil du déclenchement du repos compensateur et en prévoyant un délai maximum pour son exercice, cet article revient à durcir la réglemention du travail sur les heures supplémentaires. Il participe de l'esprit général du texte qui vise à se substituer aux partenaires sociaux dans la définition de l'organisation du travail.
La commission propose en conséquence un amendement de suppression de cet article.
M. le président. L'amendement n° 16 est-il soutenu ?...
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement est opposé à cet amendement qui, comme je l'ai dit dans la discussion générale, est très important dans la mesure où il montre aux entreprises dans quel sens nous souhaitons que la négociation aille.
Personne ne peut comprendre aujourd'hui qu'il y ait encore entre 200 millions et 400 millions d'heures supplémentaires dans notre pays, ce qui équivaut à un nombre d'emplois à temps plein situé entre 100 000 et 230 000.
Autant il est tout à fait normal que les entreprises aient recours aux heures supplémentaires de manière momentanée, pour faire face à une commande importante, pour installer un nouvel équipement, autant il paraît extrêmement difficile que des entreprises continuent, de manière permanente, à faire travailler des salariés 43 heures par semaine. Or aujourd'hui, 12 % des salariés travaillent 43 heures par semaine, alors que 3 millions de personnes sont inscrites à l'ANPE et que 5 millions sont à la recherche d'un emploi dans notre pays.
Par conséquent, nous souhaitons faire en sorte que les heures supplémentaires permanentes effectuées par les salariés diminuent. Tel est le signe qui est donné dans la loi et qui montre dans quel sens nous souhaitons que les négociations continuent de progresser.
Par ailleurs, la plupart des accords qui ont été signés fixent en matière d'heures supplémentaires des contraintes qui engagent les entreprises à se conformer à une durée du travail qui, normalement, doit avoisiner la durée légale, sous réserve, je le répète, d'un surcroît temporaire d'activité, ce qui est tout à fait normal, cas qui est pris en compte par la fixation du contingent de 130 heures supplémentaires.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Nous sommes tout à fait opposés à cet amendement qui vise à supprimer une disposition pourtant équilibrée du projet de loi. Il s'agit en effet de ramener le seuil de déclenchement du repos compensateur de 42 à 41 heures hebdomadaires dans le cadre de la législation actuelle.
On nous présente cet amendement comme l'effet de la volonté de laisser les partenaires sociaux négocier librement l'organisation du travail. S'il est un point sur lequel les partenaires sociaux dans l'entreprise ne sont jamais consultés, c'est précisément l'organisation des heures supplémentaires.
Dans nombre d'entreprises, ces heures sont imposées dans des proportions importantes, alors même que les partenaires sociaux demandent l'ouverture des négociations pour limiter l'usage abusif des heures supplémentaires et permettre en lieu et place l'embauche de jeunes et de demandeurs d'emploi.
J'ajoute que ces heures supplémentaires, souvent concentrées sur des périodes courtes, portent préjudice aux conditions de vie et à la santé des salariés. L'argument avancé ne correspond pas à la réalité que nous connaissons dans les entreprises, réalité que vous ne pouvez manquer de connaître vous aussi, mes chers collègues.
D'autre part, comme nous, vous disposez des données chiffrées sur les heures supplémentaires, Mme la ministre vient de nous les rappeler. Depuis plusieurs années, nous savons que leur limitation permettrait de créer plusieurs centaines de milliers d'emplois - 232 000 à temps plein - le chiffre variant selon qu'il s'agit d'emplois à temps plein ou à temps partiel, bien sûr.
En toute hypothèse, il est clair que le développement anarchique des heures supplémentaires est un obstacle majeur à l'emploi. Il convient donc d'en limiter l'usage au strict nécessaire.
Dans cette perspective, une mesure d'abaissement du seuil de déclenchement du repos compensateur est un premier pas. Dans les entreprises de moins de dix salariés, le déclenchement n'intervient que lorsque le contingent annuel est épuisé. Dans les entreprises de plus de dix salariés, le repos compensateur est limité à 50 % du temps de travail accompli lorsque l'on se situe dans le cadre du contingent annuel. La mesure que nous propose le Gouvernement n'est donc pas violemment coercitive et ne mettra pas l'organisation du travail dans les entreprises en péril.
En revanche, que pouvons-nous penser d'une entreprise qui réalise tant d'heures supplémentaires qu'elle atteint souvent le seuil de déclenchement ? Il est à craindre que son organisation interne ne soit pas optimale, mais soit plutôt marquée par l'archaïsme. Elle aura en réalité beaucoup à gagner à modifier cette organisation pour assurer plus de souplesse, des conditions de travail plus motivantes pour les salariés et, au total, une gestion plus efficace et productive.
Il est de l'intérêt de tous que soit améliorée l'organisation du travail. Cela passe par une limitation progressive mais résolue des heures supplémentaires comme nous le propose le Gouvernement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 est supprimé.

Articles additionnels après l'article 5