M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 227, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, pourquoi une telle question relative à une profession méconnue, qui subit tout à la fois les conséquences des restructurations multiples, du développement de la délinquance et de l'insécurité, mais aussi des contraintes nouvelles dues au passage à l'euro ?
La profession de convoyeur de fonds n'est pas préparée à ces évolution. Son absence de statut, sa dépendance vis-à-vis de plusieurs ministères en font une profession de plus en plus vulnérable.
J'avais posé ma question à M. le ministre de l'intérieur. C'est vous, monsieur le ministre de la défense, qui me répondrez, mais vos collègues chargés des transports ou du commerce auraient pu également le faire, car, suivant les circonstances et les moments, ils ont aussi l'occasion de s'intéresser aux questions relatives aux convoyeurs de fonds, notamment lors de l'élaboration des conventions collectives. C'est la première fois que le Sénat aura à connaître de la vie et des problèmes de ces 10 000 salariés aux revenus modestes, qui risquent leur vie chaque jour.
Démunis de statut, livrés à l'exploitation patronale, ils lancent aujourd'hui un appel au secours : il ne se passe guère de journée où nous n'apprenions une agression. J'en ai dénombré soixante-dix-sept - graves - en 1997, dont dix-neuf en Ile-de-France, soit 25 %. Trois de ces agressions ont été mortelles.
Cette situation va-t-elle se poursuivre ?
Les syndicats ne cessent de faire des propositions. Les organisations patronales, mais aussi les gouvernements qui se sont succédé, ne les écoutent pas.
Je vous rappelle que les deux grandes sociétés de transports de fonds sont la Brink's, qui détient 40 % du marché, et Ardial, dont la part de marché s'élève à 32 %. S'agissant de cette dernière, l'Etat est concerné, puisqu'elle est constituée de Transbank, c'est-à-dire du Crédit agricole, et de Sécuripost, c'est-à-dire de La Poste.
Monsieur le ministre, comment expliquez-vous que, l'insécurité croissant, le nombre de convoyeurs de fonds diminue ? Ils sont, en effet, passés de 19 000 en 1979, année des décrets définissant une réglementation - notamment pour les véhicules blindés et l'armement - à 10 000 aujourd'hui.
Peut-être conviendrait-il, monsieur le ministre, que vous examiniez d'un peu plus près les conditions dans lesquelles s'organise le marché, conditions qui ne semblent pas celles d'une libre concurrence.
Pour réorganiser cette profession et lui apporter les garanties nécessaires, que comptez-vous faire en faveur d'une seule convention collective unificatrice ? Actuellement, certains salariés dépendent de celle qui est applicable aux transports, d'autres de celle qui concerne le commerce.
Il faut redéfinir une convention unique, valable pour l'ensemble de la profession. Cette convention pourrait constituer le premier élément d'un statut.
Le deuxième élément de ce statut consiste à rejeter l'assimilation des activités de convoyeur à de simples activités commerciales dépendant, pour certains personnels, du droit commun, échappant à tout contrôle portant sur l'armement, la formation, l'apprentissage du tir, etc.
Le troisième élément porte sur la redéfinition d'une réglementation stricte, qui se substituerait à une déréglementation laxiste, insécuritaire. Cette réglementation devrait, à notre avis, repréciser le contrôle et le déchargement des fonds déposés. Convoyeurs et banques doivent, de façon contradictoire, estimer le montant des fonds déposés et enlevés, ce qui ne se fait plus actuellement et qui explique la multiplication des conflits.
Cette réglementation devrait également rejeter toute banalisation de la circulation fiduciaire. Le monde des truands s'adapte très vite aux nouvelles méthodes de gestion électronique et de maculation des billets.
Autorisé à titre expérimental, le système HDS AXYTRANS réduit de trois à un le nombre de convoyeurs, aboutissant au désarmement des convoyeurs et au surarmement des agresseurs. Les attaques se font de plus en plus nombreuses et meurtrières. Préserver fonds et personnels nécessite une protection armée, vous le comprendrez bien.
La convention collective unique que je vous propose - et que réclament les salariés par la voix de toutes leurs organisations syndicales - imposerait donc une formation nouvelle des personnels, une pratique des armes conduisant à la revalorisation d'une profession payée au SMIC. Le risque se paie !
Les sociétés actuelles doivent cesser de considérer une vie à vil prix. Les primes de sécurité doivent être instituées et revalorisées en même temps que la formation des personnels et les conditions de travail doivent être améliorées.
Le Gouvernement, monsieur le ministre, fait état de sa volonté de considérer la sécurité comme un problème important. En matière de circulation fiduciaire, il me paraît que c'est un problème fondamental et urgent. La vie des hommes n'est pas assimilable à une simple estimation de marchandises !
Ma question est simple, monsieur le ministre : quelles mesures le Gouvernement prévoit-il en faveur de l'élaboration d'un statut unique pour l'ensemble des convoyeurs de fonds ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Madame le sénateur, je réitère les excuses de mon collègue Jean-Pierre Chevènement, qui ne peut être présent ce matin dans cet hémicycle, mais qui a bien entendu préparé les éléments de réponse dont je vais vous donner connaissance.
Je vous remercie de cette question, qui attire notre attention sur une profession qui connaît des risques et des problèmes importants et dont le rôle est particulièrement nécessaire dans le fonctionnement de notre système financier.
Votre question, comme on pouvait l'attendre de votre part, est très documentée et part du concret.
La sécurité des transports de fonds est également une préoccupation majeure du ministre de l'intérieur, qui a pris diverses initiatives dans ce sens au cours des derniers mois. Ainsi, des facilités de circulation et de stationnement ont été discutées avec les autorités de police et des règles nouvelles d'armement ont été édictées.
Les conditions dans lesquelles doivent s'effectuer les transports de fonds sont définies - vous l'avez noté, madame le sénateur - par le décret du 13 juillet 1979 relatif à la sécurité des transports de fonds ainsi que par la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds. Ces textes confèrent au ministre de l'intérieur la tutelle en ce qui concerne les missions de sécurité de ces entreprises.
Le décret de 1979 impose d'utiliser un véhicule blindé avec un équipage d'au moins trois hommes armés pour tous transports sur la voie publique de fonds représentant une somme égale ou supérieure à 200 000 francs. Ce décret a été modifié afin de permettre l'utilisation de nouveaux systèmes de transport de fonds, dont la finalité est de dissuader les agresseurs potentiels de s'emparer des valeurs, qui sont mises hors d'usage automatiquement lors de l'attaque.
Vous avez indiqué madame le sénateur, que cette expérience pouvait donner lieu à des jugements variés. Le Gouvernement ne manquera pas d'étudier attentivement le bilan qui peut en être tiré.
En règle générale, les personnels de convoyage de fonds sont autorisés à porter une arme dans l'exercice de leurs fonctions, sous réserve d'un agrément préfectoral - qui peut être retiré - et après une enquête de moralité.
Pour faire face aux risques encourus - vous avez eu raison de les souligner, madame le sénateur - s'agissant d'une profession qui s'exerce sur la voie publique ou au contact du public, le Gouvernement s'attache à l'amélioration du niveau de qualification de ces personnels. Cela rejoint votre objectif de les doter d'un statut.
Ainsi, le Gouvernement a été favorable à la mise en place d'accords de formation des convoyeurs de fonds par la convention collective nationale, ce qui constitue un premier élément contractuel homogène pour la profession.
En outre, le Gouvernement appelle les dirigeants des entreprises spécialisées à veiller particulièrement à l'entraînement régulier au tir des convoyeurs de fonds, puisque c'est la clé de leur sécurité dans des situations de danger. La familiarisation au maniement des armes doit être faite - c'est également un des impératifs poursuivis par le ministre de l'intérieur - par des moniteurs qualifiés.
Pour améliorer la prévention des attaques de transporteurs, il a par ailleurs été mis en place un dispositif d'enquête technique rapide qui permet d'analyser, en complément de l'enquête judiciaire, tous les facteurs de l'agression et, ainsi, de dissuader les agresseurs potentiels.
Je voudrais surtout souligner, en conclusion, que, lors du colloque de Villepinte, M. le Premier ministre a précisé qu'un projet de loi sur les activités privées de sécurité allait être élaboré. Ce projet de loi permettra de préciser, en particulier, les conditions de formation professionnelle des convoyeurs de fonds et des autres agents privés de sécurité. Son examen permettra, je n'en doute pas, un dialogue législatif fructueux. De la sorte, les parlementaires qui, comme vous, madame, s'intéressent à cette profession méritoire pourront prendre toutes les garanties pour que le statut que vous appelez de vos voeux corresponde aux nécessités et aux dangers auxquels elle doit faire face.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau. Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui est très précise et très concrète. L'annonce d'un nouveau projet de loi par le Gouvernement nous permettra effectivement d'entrer dans le détail des mesures qui doivent être prises.
Cependant, il faut prendre conscience du fait que, avec l'avènement de l'euro et la réforme de la Banque de France, nous allons assister à des fermetures d'établissements. Vous le savez, quatre-vingt-douze caisses de la Banque de France sont menacées, et les restructurations et les suppressions de personnels toucheront notamment les agents de sécurité, qui n'ont pas de statut à la Banque de France.
Parallèlement, la concentration des centres des sociétés de transport de fonds va entraîner la suppression de nombre d'entre eux, ce qui aura certaines conséquences sur lesquelles je voudrais attirer votre attention.
Outre les désordres que cela entraînera dans les nouveaux circuits, il y aura une concentration des centres, ce qui les rendra évidemment plus vulnérables. Déjà, en Ile-de-France, il n'existe plus que sept centres : Cergy, Saint-Ouen-l'Aumône - que vous connaissez bien, monsieur le ministre - Meaux, Melun, Villepinte, Trappes et, enfin, Arcueil, qui est le plus grand centre d'Europe avec soixante-dix convoyeurs.
Désordre et concentration, distribution de l'euro, tout cela allonge les circuits et est facteur d'insécurité, quoi qu'en dise le gouverneur de la Banque de France,M. Trichet.
La banalisation est un autre facteur d'insécurité, vous y avez d'ailleurs fait allusion, monsieur le ministre. Si la politique actuelle n'est pas modifiée, on pourra, ainsi, transporter jusqu'à quarante valises contenant 750 000 francs chacune, soit 28 millions de francs dans une voiture banalisée, avec un seul conducteur.
Vous avez cité les décrets de 1979, 1984 et 1991, aux termes desquels, au-delà de 200 000 francs, on doit prévoir trois hommes et un fourgon blindé. Mais je vous rappelle que, très récemment, à Drancy, un convoyeur a été tué pour 7 000 francs !
Centralisation, banalisation, désarmement et bas salaires ne constituent pas la solution, je le répète. L'établissement d'un statut est devenu urgent, mais je crois, monsieur le ministre, que vous l'avez compris : pour assurer la sécurité des convoyeurs de fonds, le Gouvernement doit prendre des initiatives.

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