Séance du 27 mai 1998







M. le président. « Art. 73. - I. - Le premier alinéa de l'article 5 de la loi n° 97-60 du 24 janvier 1997 tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance est supprimé.
« II. - Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les montants maximum et minimum de la prestation pour chaque niveau de dépendance défini par la grille nationale visée à l'alinéa précédent sont fixés, d'une part, pour les personnes hébergées en établissement, d'autre part, pour les personnes résidant à leur domicile, par le règlement départemental d'aide sociale et ne peuvent être inférieurs à des seuils définis par un barème fixé par décret. »
Sur l'article, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Peut-être aurais-je dû m'inscrire sur l'article précédent... M'exprimer maintenant me permettra d'être bref - ce n'est pas sûr - et de répondre à M. le secrétaire d'Etat, ce qui est un peu plus certain.
Je serai bref au moins sur un point. Il est deux heures du matin et nous commençons tous à être fatigués. Aborder ce sujet à cette heure aussi tardive montre bien le caractère critiquable de la méthode suivie par le Gouvernement.
La méthode est critiquable, on vient de le rappeler, à l'égard du Sénat, chambre représentant les collectivités locales et à laquelle on ne permet pas de jouer pleinement son rôle.
La méthode est également critiquable au regard des relations financières entre les collectivités locales et l'Etat.
Nous avons lu voilà quelques jours dans un journal du soir que M. le Premier ministre avait arbitré dans le débat interne au Gouvernement relatif au futur pacte financier et cet arbitrage a consisté à donner une part de la croissance éventuellement aux collectivités locales.
Nous nous apercevons qu'en même temps au moins trois mesures vont probablement « pomper » l'essentiel de ce qui pourra être accordé aux départements, ce sont ces deux articles additionnels ; ce sont également deux mesures qui sont contenues dans la loi sur les exclusions qui sera discutée par notre assemblée dans quelques jours, puisque les départements devront à la fois augmenter les crédits du fonds d'aide aux jeunes de plus de 160 millions de francs et les crédits destinés au fonds de solidarité pour le logement.
Si l'on additionne ces trois mesures, je serais curieux de savoir ce qui restera de plus pour les départements l'an prochain.
Permettez-moi d'ajouter, monsieur le secrétaire d'Etat, que la méthode suivie me semble également critiquable au regard des relations qui doivent normalement exister entre le Gouvernement et les départements dans leur ensemble.
Le domaine social comporte de nombreux sujets d'intérêt commun qui nécessitent des décisions que, bien entendu, le Gouvernement peut faire prendre par une mesure législative, il en a les moyens politiques.
Mais, pour que tout fonctionne bien, une concertation, un dialogue sont nécessaires. Il faut que, de temps en temps, la concertation débouche sur des solutions acceptées en commun.
L'Etat et les départements doivent traiter ensemble des questions aussi importantes que l'assurance maladie universelle, la réforme de la tarification ou la mise en place de la prestation spécifique dépendance. Dans ces conditions, pourquoi vouloir casser le début de dialogue fructueux qui s'instaurait entre les départements et Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité ?
Très honnêtement, le dépôt de ces deux amendements qui nous sont brutalement présentés et qui constituent à la fois un chiffon rouge et un coup de bâton, se justifie probablement par le fait que le 8 juin prochain des associations présenteront un ouvrage. Par ailleurs, certains peuvent estimer qu'il vaudrait mieux créer un cinquième risque.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Cinquante milliards de francs !
M. Michel Mercier. Probablement !
Nous pensons que le Gouvernement et les collectivités locales peuvent tenir ensemble certaines positions. En tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat, je crois que les départements y sont prêts.
Par conséquent, il ne sert à rien de donner des coups de bâton, surtout si c'est pour en arriver à un tarif minimal qui ne satisfera bien entendu personne, puisque ceux qui en bénéficieront trouveront qu'il est trop bas, tandis que ceux qui devront le payer le trouveront toujours trop élevé, parce qu'il leur sera imposé.
Il y a probablement d'autres méthodes pour arriver à de bons résultats, ne serait-ce qu'engager un dialogue.
Je voudrais en quelques mots essayer de décrire une situation qui est un peu plus complexe que celle qui a été parfois décrite. Il est extrêmement difficile aujourd'hui d'obtenir des éléments précis et exacts, et chacun avance des chiffres, sans savoir véritablement ce qu'il en est.
La situation n'est probablement pas parfaite. Je ne le dirai pas quelques mois après la création d'une nouvelle prestation difficile à mettre en place et qui demande beaucoup de moyens. Nous ne prétendons pas que rien n'est à revoir, que tout est parfait : nous sommes prêts à regarder les choses de près et à procéder à des ajustements.
Mais si la situation n'est pas parfaite, on ne peut tout reprocher aux départements. Je tiens quand même à rappeler que les caisses de retraite, que les caisses d'assurances vieillesse ont pris très vite des positions relativement restrictives s'agissant de l'aide ménagère.
Il faut également rappeler - cela a d'ailleurs fort bien été fait - que l'Etat quoi qu'on nous dise ce soir, n'a pas réalisé la réforme de la tarification. Nous savons que c'est très difficile.
On cherche à inventer un système particulièrement complexe qui ne satisfait personne. L'article 72 fixe à l'an 2000 la limite des conventions, alors qu'il faudrait probablement prévoir 2005 ou 2010, quand on regarde les projets de grille qui sont proposés et qui, bien sûr, rencontrent l'opposition de tout le monde, sauf celle des départements qui sont prêts à soutenir Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité. Il est donc dommage qu'ils soient les victimes de ces deux mesures.
Le système est extrêmement complexe alors qu'on pourrait probablement faire plus simple.
Je voudrais quand même, bien que ce ne soit pas la mode, redire ici que les départements ont fait des efforts incontestables pour mettre en oeuvre la prestation spécifique dépendance. Ils ont créé près de 550 emplois à cette fin.
Cette prestation spécifique dépendance monte en puissance. Aujourd'hui, combien de personnes bénéficient-elles de la PSD ? C'est très difficile à dire.
Les départements ont passé avec l'Etat un accord aux termes duquel le service statistique du ministère de l'emploi et de la solidarité est chargé de recueillir toutes les données. Ce n'est pas forcément de la faute des collectivités locales si ce service semble avoir des difficultés à recueillir ces données.
Néanmoins, compte tenu du fait que, sur un échantillon de trente départements, il y avait déjà 11 417 bénéficiaires de la PSD au 31 mars 1998, je vois mal comment on pourrait soutenir que, pour cent départements, il n'y a que 15 000 bénéficiaires. On est plus près de 35 000 et les choses évoluent chaque jour. On ne peut pas comparer la situation des bénéficiaires de la PSD en France avec ce qui se passe en Allemagne où la prestation existe depuis de nombreuses années ; cette comparaison ne prouve pas grand-chose.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il n'y a pas d'ACTP en Allemagne !
M. Michel Mercier. Non, mais il y a une prestation dépendance qui existe depuis longtemps alors qu'elle n'existe chez nous que depuis quelques mois.
J'ajoute que les départements se sont préoccupés d'organiser la coordination, comme la loi leur en fait obligation, et qu'à ce jour quarante-huit conventions ont été signées avec les caisses régionales d'assurance maladie et l'ensemble des caisses d'assurance vieillesse pour organiser la coordination autour des personnes âgées dépendantes.
Les équipes médico-sociales fonctionnent, vont auprès des personnes âgées, et les montants de PSD à domicile sont plus favorables que ce qu'était l'ACTP moyenne versée auparavant à domicile. Une étude qui avait été commandée par la commission des affaires sociales du Sénat à l'AUDASS - automatisation des directions départementales de l'action sanitaire et sociale - qui est un organisme indépendant, l'a montré.
Il y a bien entendu des problèmes et des critiques. Les amendements que le Gouvernement a présentés tendent à répondre à ces dernières. Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur moyen qui ait été choisi.
Le Gouvernement annonce l'établissement, pour le domicile, d'un tarif minimal. Cela paraît curieux, parce que la loi ne prévoit pas de tarif pour la prestation spécifique dépendance à domicile.
Je serais heureux, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous expliquiez quel tarif minimal le Gouvernement va pouvoir établir, puisqu'il n'y en a pas. Par définition, un plan d'aide est valorisé, et ce sont des heures de travail qui sont fournies aux personnes âgées dépendantes.
C'est vrai qu'il existe des problèmes pour la PSD à domicile et pour les associations d'aide à domicile. Mais ce sont des problèmes qui ne naissent pas de la PSD. Ce sont des problèmes que nous avons examinés lors de la discussion de l'article 1er de ce projet de loi.
Aujourd'hui, les principales difficultés des associations d'aide à domicile résultent du fait que, le salaire plancher au-delà duquel il n'y a pas de limitation des charges sociales ayant été relevé, ces associations sont un peu exsangues et cherchent des ressources. Mais ce n'est pas la prestation spécifique dépendance qui doit leur en fournir et le Gouvernement peut très facilement répondre à la demande de ces associations en rétablissant la mesure supprimée par la loi de finances de 1998.
M. le président. Je vous prie de conclure, mon cher collègue.
M. Michel Mercier. J'ai bien conscience d'abuser du temps de chacun...
M. Emmanuel Hamel. Vous en usez mais vous n'en abusez pas !
M. Michel Mercier. ... mais le sujet est important. Toutefois, je vais essayer de conclure très rapidement, monsieur le président.
S'agissant de la prestation spécifique dépendance en établissement, onze départements pratiquent un tarif en deçà de 50 francs pour les personnes âgées les plus dépendantes. Il s'agit avant tout de départements ruraux situés pour la plupart dans des zones très difficiles et comprenant une population âgée. Ils sont donc confrontés à des difficultés spécifiques. Ils sont d'ailleurs majoritairement dirigés par des élus qui n'auraient probablement pas voté la loi. Si ces départements maintiennent de tels tarifs, c'est qu'ils ont leurs raisons.
Néanmoins, je souligne que, depuis le 1er janvier dernier, douze départements ont sensiblement augmenté les tarifs de la prestation spécifique dépendance en établissement. Aujourd'hui, lorsqu'on dit à un président de conseil général qu'il devrait augmenter le tarif de cette prestation, il s'interroge sur la finalité de l'opération.
Tant que le Gouvernement, à travers la réforme de la tarification, n'aura pas précisé ce qu'il faut payer avec cette prestation, on se heurtera à ces difficultés. Nous attendons que la réforme de la tarification soit proposée aux collectivités locales. Les départements sont prêts à soutenir des propositions immédiatement. Sans cette réforme, rien ne pourra se faire pour ce qui est de la PSD en établissement.
Enfin, il ne faut pas trop tabler sur les départements, qui ne réclament rien dans ce domaine. Ils sont simplement confrontés à une situation liée à l'état financier de la nation.
Aujourd'hui, le Gouvernement a les moyens politiques de changer les choses. Si, par hasard, nous avions de l'argent cette année et que le Gouvernement veuille créer un cinquième risque couvert par l'assurance maladie, les collectivités locales ne s'en plaindraient pas. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. En écoutant mon collègue M. Mercier je me suis interrogé, en tant que président de conseil général, sur des dispositions que le Gouvernement allait prendre à l'égard de la détermination d'une prestation minimale et d'une prestation maximale.
On vient de le dire avec éloquence, les ressources des départements sont très serrées et la plupart des budgets sont dévorés par les dépenses de fonctionnement.
Or cette prestation sera sans aucun doute une dépense de fonctionnement. De ce fait, la partie réservée à l'investissement sera réduite dans des proportions inquiétantes. Or, l'investissement prépare l'avenir par la mise en place d'infrastructures qui sont des facteurs essentiels de progrès.
Certains départements seront au-dessous du seuil minimum, et ils devront faire des efforts désespérés pour atteindre celui-ci. En revanche, ceux qui seront au-dessus de ce minimum n'auront pas de raison d'y rester et ils chercheront à diminuer leurs dépenses. Il en résultera un conflit permanent, une tension permanente entre les départements, qui vont fixer leurs prestations aux alentours de ce minimum, et les associations de défense des personnes âgées, qui vont demander le maximum.
La démarche adoptée par le Gouvernement n'est pas bonne. Elle ne peut en aucun cas permettre d'établir des relations sérieuses entre les personnes concernées et les départements, qui sont soumis à des contraintes financières.
Je le répète une fois encore : la méthode est mauvaise. Si le gouvernement précédent l'avait employée, l'opposition d'hier n'aurait pas manqué de réagir comme nous réagissons aujourd'hui.
M. le président. Sur cet article, je suis saisi de trois amendements identiques.
Le premier, n° 63, est présenté par M. Lambert, au nom de la commission des finances.
Le deuxième, n° 66, est déposé par M. Jourdain, au nom de la commission des affaires sociales.
Le troisième, n° 74, est présenté par M. Michel Mercier et les membres du groupe de l'Union centriste.
Tous trois tendent à supprimer l'article 73.
La parole est à M. Lambert, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 63.
M. Alain Lambert, rapporteur. Il a été défendu par M. Mercier.
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 66.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis. Même situation, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter l'amendement n° 74.
M. Michel Mercier. Je l'ai déjà défendu.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Les trois amendements sont, me semble-t-il, à rejeter, l'article 73 ayant été justifié, dans la mesure du possible, par le Gouvernement.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 63, 66 et 74.
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Nous pourrions éventuellement inviter le Gouvernement à procéder à un reclassement des dispositions du titre IV du présent projet de loi. Quant à cet article 73, il porte sur le second grand volet de la modification de la loi relative à la mise en place de la prestation spécifique dépendance.
J'ai déjà parlé de la complexité du dispositif mis en place. La moindre de ses conséquences n'est-elle pas d'avoir fait renoncer un certain nombre de familles à l'exercice de leurs droits ? La grande complexité des démarches à accomplir et la relative lenteur des procédures d'instruction, un délai de deux mois, ...
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas vrai !
M. Guy Fischer. ... peuvent en effet conduire à de tels comportements.
Je rappelle à cet égard - mais nous devrons rouvrir ce débat - que le sentiment de déposséder ses enfants d'un bien modeste et durement acquis est un des éléments qui pèsent sur l'application de ce texte et qu'il faudrait certainement relever le seuil de la récupération sur succession à 300 000 francs.
Même si l'on peut s'interroger sur la validité des informations disponibles - nous n'entrerons cependant pas dans une querelle sur les chiffres, et j'espère que, d'ici à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous pourrons débattre sur le fond - force est de constater de très grandes disparités entre les départements. Nous estimions d'ailleurs pour notre part que ces disparités étaient inscrites dans la loi.
En raison de l'absence de conventions tripartites, un certain nombre de départements ne versent pas de prestation aux personnes hébergées en établissements d'accueil. La situation est bloquée. Cela mériterait que nous soyons mieux informés.
Pour des raisons complexes, les inégalités de traitement sont plus importantes, notamment au détriment des personnes hébergées en établissement.
Le bilan n'est donc pas satisfaisant. Il ne faut, hélas ! pas s'en étonner car cela ne fait que correspondre aux mécanismes mis en place par la loi elle-même.
Au-delà de la récupération sur succession, il faudrait revoir la grille AGGIR pour corriger une faiblesse du dispositif à l'égard des personnes âgées souffrant de problèmes psychiatriques, des malvoyants ou des aveugles. Le président du conseil général du Rhône a d'ailleurs fait des propositions dans ce sens, notamment en faveur des aveugles et des malvoyants.
Pour répondre à un véritable problème de société, on ne propose aujourd'hui que des réponses inadaptées.
Le paradoxe de la procédure, c'est d'ailleurs que, globalement, les départements ont réalisé des économies par rapport à l'ancien mécanisme, l'ACTP. Cela mériterait d'être vérifié.
Il importe d'être clair, sur ce point. Il ne faut pas faire preuve de démagogie. Il nous revient de ne pas accepter certaines augmentations si dans d'autres domaines il y a des diminutions.
Je rappelle que les membres du groupe communiste républicain et citoyen sont favorables à l'instauration d'un cinquième risque. C'est pourquoi nous ne voterons pas les amendements de suppression de l'article 73 du projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 63, 66 et 74, repoussés par le Gouvernement.

(Ces amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 73 est supprimé.

Article 74