Séance du 28 mai 1998







M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Madame le ministre, les problèmes liés aux émissions de dioxine, et donc plus largement au traitement des déchets urbains, sont devenus ces derniers mois particulièrement pressants.
M. Alain Vasselle. Surtout à Lille !
M. Pierre Mauroy. La communauté urbaine de Lille, que je préside, a été amenée, sans y être obligée, à fermer en mars dernier les trois usines d'incinération situées sur son territoire. Les conséquences de cette décision sont sévères sur le plan financier.
Que se passera-t-il dans toutes les villes où seront fermées les usines actuelles sans que les délais ou les crédits permettent d'en construire de nouvelles, c'est-à-dire avant 2002 ?
L'idéal est la politique du tri sélectif. C'est la politique du Gouvernement, c'est aussi la mienne.
M. Alain Vasselle. Ce n'est pas suffisant !
M. Pierre Mauroy. Depuis près de huit ans, la communauté urbaine de Lille a pris l'initiative et engagé la mise en oeuvre d'une politique résumée par le slogan « jeter moins, trier plus et traiter mieux ». Plus de 300 000 personnes effectuent ainsi chaque jour le tri sélectif de leurs déchets. Elles seront, je l'espère, 500 000 en 2001, mais ce ne sera pas suffisant, d'autant que cette politique apparaît encore difficile, voire impossible, dans les centres urbains.
On doit, dès aujourd'hui, s'interroger sur des mesures fortement incitatives auprès de nos concitoyens, mais également auprès des entreprises, afin de réduire les emballages industriels et commerciaux, et donc les déchets.
M. Alain Vasselle. Et l'éco-emballage ?
M. Pierre Mauroy. Nous avons besoin des médias, nous avons besoin de l'aide du Gouvernement.
Mais on doit savoir aussi que l'incinération ne peut pas être abandonnée. Se pose donc le problème de la construction d'usines d'incinération nouvelles correspondant à des normes plus contraignantes, définies par les pouvoirs publics, ou de l'amélioration des performances des installations en place.
Dans quelles conditions financières et normatives faut-il construire ces nouvelles usines ?
Dans l'immédiat, la communauté urbaine de Lille est dans l'obligation d'avoir recours à des décharges publiques. Or celles-ci sont insuffisantes dans la région Nord-Pas-de-Calais, comme dans beaucoup de région,...
M. Alain Vasselle. Dans toute la France !
M. Pierre Mauroy. ... et nos déchets seront acheminés - quel paradoxe ! - vers la région parisienne. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Jacques Hyest. Oh ! Quand même pas !
M. Pierre Mauroy. N'est-il pas imprudent, dès lors, de parler trop vite de l'abandon des décharges ?
M. Jean-Jacques Hyest. C'est vrai !
M. Pierre Mauroy. En bref, comment le Gouvernement envisage-t-il d'aider les collectivités locales pour les inciter davantage au tri sélectif, pour construire de nouvelles usines d'incinération, pour établir la carte des décharges indispensables dans une période transitoire qui sera sans doute plus longue que celle qui a été envisagée ?
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Je vous sais, madame le ministre, très sensible à ces questions, et je suis convaincu que les élus apprécieront de réfléchir, en concertation avec vous, à des réponses adaptées. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Alain Gournac. Très bonne question !
M. le président. Tout en saluant l'arrivée dans l'hémicycle de M. le Premier ministre, je donne la parole à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le sénateur, le difficile dossier dont vous venez de dresser le panorama me conduit à formuler deux remarques préalables.
En premier lieu, il existe plusieurs dizaines de dioxines, et nous connaissons bien mal l'impact sur l'environnement et sur la santé de la plupart d'entre elles. Au demeurant, une seule, la TCDD, est inscrite aujourd'hui sur la liste des substances cancérigènes. Cela ne signifie pas que l'on puisse affirmer que les autres ne le sont pas, ou qu'il n'y a pas d'autres impacts sur la santé que l'éventuelle survenue de cancers.
En second lieu, si nous disposons de normes, de valeurs de seuil et de diverses indications en ce qui concerne les concentrations à ne pas dépasser dans les aliments, et singulièrement dans les graisses, en revanche, nous sommes très démunis en ce qui concerne les normes d'émission des incinérateurs.
La norme limite à ne pas dépasser dans les aliments est évaluée à 10 picogrammes par gramme de graisse par l'OMS et à 1 picogramme par gramme de graisse par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, qui est plus exigeant et qui impose plus de précautions en la matière. L'ampleur de cette marge indique les incertitudes qui demeurent !
Nous avons souhaité prendre très au sérieux les problèmes qui ont été signalés en application du principe de précaution, mais nous sommes relativement démunis en ce qui concerne une politique volontariste qui pourrait aller jusqu'à la fermeture des incinérateurs dangereux ou, au contraire, qui consisterait à rassurer les exploitants ou les communes. En effet, une directive européenne est en préparation depuis de nombreuses années et, si les travaux ont abouti en ce qui concerne les incinérateurs de déchets industriels, avec une valeur maximale d'émission de dioxines de 0,1 nanogramme par mètre cube, il n'en est pas de même pour les incinérateurs de déchets ménagers.
C'est donc seulement sur la base du non-respect de l'arrêté de 1991 que des consignes ont pu être données aux préfets, les invitant à se rapprocher des exploitants pour leur demander la mise aux normes des installations. Cet arrêté ne concernait d'ailleurs pas du tout les dioxines, mais on a constaté que, lorsque les installations avaient été mises aux normes au regard d'autres polluants, cela se traduisait, dans l'écrasante majorité des cas, par une baisse massive des quantités de dioxines émises.
C'est donc sur une base purement volontaire - vous l'avez rappelé vous-même - que vous avez décidé de fermer les installations d'Halluin, de Wasquehal et de Sequedin, et je ne peux que vous féliciter pour cette prise en compte des craintes du public et du principe de précaution.
En ce qui concerne l'impact des dioxines sur l'environnement et la santé, nous nous sommes engagés, en concertation avec le ministère de l'agriculture et le ministère de la santé, dans un vaste programme de mesure pour pouvoir répondre à la population, qui se pose des questions.
Ainsi, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, et le réseau national de santé publique mesurent actuellement les concentrations de dioxine dans le lait maternel.
Concernant la politique des déchets, vous avez tout dit. Si le recours au « tout incinération » a été longtemps privilégié, nous souhaitons aujourd'hui retrouver un certain équilibre et revenir à une vision plus cohérente du traitement des déchets.
Réduction du volume des déchets, tri sélectif, valorisation des matières, mise en décharge contrôlée et incinération sont autant d'étapes d'une stratégie intelligente visant à ne recourir ni au « tout incinération » ni au « tout décharge ».
M. le président. Veuillez conclure, madame le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Il n'est pas question de fermer du jour au lendemain la trentaine d'installations qui ne sont pas aux normes simplement, il faut consigner, petit à petit, les sommes nécessaires aux travaux qu'il faudra effectuer. Ne sont en jeu, en l'espèce, ni des dizaines ni des centaines de millions, mais des millions de francs, à comparer avec le coût des plans globaux de traitement des ordures ménagères qui devront être mis en oeuvre avant 2002. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

COÛT DE GESTION DES DÉCHETS D'EMBALLAGE