Séance du 16 novembre 1998







M. le président. « Art. 13. - I. - L'article L. 521-1 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :
« Les allocations familiales sont dues à partir du deuxième enfant à charge. »
« II. - Les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 755-11 du code de la sécurité sociale sont supprimés.
« III. - Pour la détermination des droits, les dispositions des I et II entrent en vigueur à compter du 1er janvier 1999. »
Sur l'article, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Profondément attachés au principe d'universalité, principe originel prévalant en 1945 lors de la mise en place de la sécurité sociale, nous nous étions, l'an dernier, farouchement opposés à la mise sous condition de ressources des allocations familiales, mesure transitoire mais néanmoins très discutable.
Aujourd'hui, je note avec satisfaction que l'article 13 rétablit les allocations familiales pour toutes les familles à partir du deuxième enfant et que, corrélativement, prenant en compte une proposition largement partagée par le milieu associatif, le Gouvernement a ramené le plafond de l'avantage fiscal du quotient familial à 11 000 francs.
Contrairement à vous, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, nous estimons que la révision du quotient familial est une solution juste et équitable. Elle apporte un bémol à la situation actuelle, qui privilégie les seules familles bénéficiant de hauts revenus.
L'une des finalités de la politique familiale étant de contribuer à compenser les charges que supportent les familles pour éduquer, entretenir leurs enfants, il apparaît primordial d'adapter les droits aux évolutions de la société et de les renforcer en vue d'une efficacité optimale.
Des facteurs importants tels que, d'une part, la montée en charge du chômage, de la précarité, appauvrissant les familles, notamment les familles monoparentales ou nombreuses, et, d'autre part, la mutation, la recomposition ou l'émergence de nouvelles formes de cellules familiales doivent guider la mise en oeuvre d'une politique d'aide aux familles plus juste et plus ambitieuse.
Pour rénover la politique familiale, des mesures positives ont été annoncées le 12 juin dernier lors de la conférence de la famille. Elles sont reprises pour l'essentiel dans le rapport annexé. Ainsi, l'allocation de rentrée scolaire sera désormais versée à toutes les familles comptant un enfant. L'âge limite pour bénéficier des allocations familiales est porté à vingt ans pour les enfants inactifs ; les titulaires du RMI pourront désormais se prévaloir des majorations pour âge.
Malheureusement, faute d'engagement conséquent des employeurs pour financer la branche famille, les avancées évoquées précédemment doivent être relativisées.
En effet, ces majorations par tranche d'âge sont reportées d'un an - dix à onze ans, et quinze à seize ans. Aucune revalorisation significative des prestations familiales - 0,7 % - n'est envisagée, pas plus que le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Nous le regrettons. Ce sera l'objet des amendements que nous défendrons.
Lors des débats à l'Assemblée nationale, madame la ministre, avec Mme Gillot, vous avez beaucoup insisté sur le travail en cours au sein de la délégation interministérielle à la famille concernant l'harmonisation nécessaire des prestations et la solution à apporter aux jeunes adultes qui, bien souvent, ne perçoivent aucune aide. Il est urgent que les réflexions aboutissent ; il ne faut pas se contenter d'assister les familles les plus défavorisées, il faut mettre les partenaires responsables, notamment l'UNEDIC, devant leur responsabilité.
Enfin, autre objectif louable, le Gouvernement veut concilier harmonieusement vie familiale et vie professionnelle.
Jusqu'à présent, les mesures développées par la loi Veil de 1994, que ce soit l'allocation parentale d'éducation ou les diversifications des modes de garde - crèche ou AGED - n'ont donné que très peu satisfaction.
Pour preuve, alors que le nombre des bénéficiaires de l'APE n'a eu de cesse d'augmenter - 75 % - le taux d'activité des mères de deux enfants baisse. Outre son coût - 18 milliards de francs - les effets pervers de cette prestation sont indéniables. Elle renforce selon nous les inégalités dans la sphère du travail entre hommes et femmes ; elle favorise le retour à la division des tâches dans la sphère domestique ; elle participe à l'encouragement du temps partiel pour les femmes et, plus grave, l'APE ne favorise pas le retour à l'emploi qualifié des mères de famille.
Il conviendrait de revoir cette prestation tout en développant substantiellement les modes d'accueil et de garde pour les jeunes enfants. Les besoins sont énormes : un enfant sur deux est gardé par sa mère.
Madame la ministre, vous proposez, d'une part, de diversifier les modes de garde en généralisant les schémas locaux d'équipement et, d'autre part, d'abaisser ou de relever le financement des CAF au fonctionnement des crèches en fonction des capacités contributives des parents. Pouvez-vous nous préciser le contenu des dispositions à l'étude et nous assurer que le Gouvernement s'engage dans le sens d'un plus grand service d'accueil du jeune enfant ?
M. le président. Par amendement n° 78 rectifié, Mme Borvo, MM. Fischer, Vergès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
I. - Dans le texte présenté par l'article 13 pour l'article L. 521-1 du code de la sécurité sociale, de remplacer les mots : « deuxième enfant », par les mots : « premier enfant ».
II. - En conséquence, de compléter in fine cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« Le taux de la contribution visée à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale est relevé à due concurrence. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Pour donner toute son efficacité au principe d'universalité, mais aussi pour assurer la dignité de l'enfant, son développement harmonieux, nous proposons de verser les allocations familiales dès le premier enfant.
Il est primordial que toute femme reste libre de décider du moment de sa maternité, de son mode de vie.
Cette aide à la famille que nous appelons de nos voeux n'a pas pour objet d'inciter à la natalité ou à la normalité. Nous souhaitons seulement que le Gouvernement marque son intérêt pour l'enfant en tant que tel, qu'il reconnaisse des situations familiales en soutenant le début de la constitution de la cellule familiale.
Personne ne peut contester ici que l'arrivée de l'enfant au sein du foyer engendre des charges nouvelles, contraint les parents, la mère le plus souvent, à s'éloigner momentanément ou durablement, faute de modes de garde appropriés, de son emploi. Pour faire face à ce coût, la famille est en droit d'attendre certaines compensations. C'est d'ailleurs la raison d'être des prestations familiales.
Le coût de la mesure que je vous soumets est évalué à 14 ou 15 milliards de francs. Ce n'est rien, si j'ose dire, au regard du montant des exonérations de cotisations patronales non compensées, qui conduisent au désengagement des employeurs du financement de la politique familiale.
Pour conclure, je tiens à rappeler à la majorité sénatoriale que, en plaçant l'allocation pour jeune enfant sous condition de ressources, elle a contribué à affaiblir la politique familiale.
Il est temps que le Gouvernement envisage de revenir sur certaines mesures et aille de l'avant en attribuant notamment les allocations familiales dès le premier enfant.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Descours, rapporteur. Devant cet amendement de 14 milliards de francs et face à cette majorité sénatoriale qui, chacun le sait, n'a pas de coeur...
M. Alain Gournac. Aucun !
M. Charles Descours, rapporteur. ... quand il s'agit de la famille, je voudrais d'abord entendre l'avis du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je n'oserais pas invoquer l'article 40 à propos de cet amendement, puisque j'ai cru comprendre qu'il s'appliquait assez rarement. (Rires sur les travées du RPR.)
Je répondrai donc sur le fond, pour indiquer que autant je comprends les préoccupations soulevées par le groupe communiste républicain et citoyen, autant je ne comprenais pas, tout à l'heure, ceux qui ne voulaient pas supprimer une exonération dont les bénéficiaires sont les personnes qui disposent des revenus les plus élevés dans notre pays !
M. Charles Descours, rapporteur. Deux poids, deux mesures !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le versement des allocations familiales aux familles comptant un seul enfant entraînerait en effet une dépense d'un peu plus de 10 milliards de francs. Ces familles peuvent d'ores et déjà bénéficier d'un certain nombre de prestations : l'allocation pour jeune enfant, l'allocation de soutien familial, l'allocation de parent isolé pour les familles monoparentales ou les aides personnalisées au logement, destinées tout particulièrement aux familles modestes.
En outre, aux termes du projet de loi que nous examinons actuellement, l'allocation de rentrée scolaire sera acquise pour l'ensemble des familles comptant un enfant même si elles ne touchent pas d'autres prestations familiales ; je rappelle que cela concerne 350 000 familles.
Cela étant, je crois que nous n'avons effectivement pas fait le tour des problèmes financiers que pose l'arrivée d'un enfant pour certaines familles. D'ailleurs, c'est l'un des sujets, vous le savez, qui est à l'ordre du jour de la préparation de la conférence de la famille de l'année prochaine.
Nous aurons, bien évidemment, à faire des choix. Plusieurs sujets importants sont sur la table : les problèmes des jeunes adultes, le problème du premier enfant, le problème de la transparence et de la cohérence données à l'ensemble des aides, l'adéquation entre l'articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle et une meilleure analyse de l'ensemble des modes de garde.
Sur tous ces sujets qui ont été retenus avec l'ensemble des associations familiales et avec les organisations syndicales, nous devrons faire des choix lors de la prochaine conférence de la famille afin d'avancer encore dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale en matière de politique familiale.
Je souhaite que l'on traite ces sujets dans le cadre de cette concertation et c'est pourquoi je demande à M. Fischer de bien vouloir accepter de retirer son amendement, dès lors que j'ai entendu ses demandes.
M. le président. Monsieur Fischer, que répondez-vous à l'invite de Mme la ministre ?
M. Guy Fischer. Je ne peux pas toujours tout lui refuser ! (Rires) .
Nous avons entamé le débat sur une tonalité différente, mais elle était nécessaire et justifiée. Maintenant, je retire cet amendement, convaincu que nous ferons, lors de la conférence de la famille de l'année prochaine, un pas de plus vers la famille, qui aura sa traduction dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
M. le président. L'amendement n° 78 rectifié est retiré,
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 13.

(L'article 13 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 13