Séance du 18 novembre 1998







M. le président. « Art. 1er. - L'article 65 de la Constitution est ainsi rédigé :
« Art. 65 . - Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.
« Le Conseil supérieur de la magistrature comprend, outre le Président de la République et le ministre de la justice, cinq magistrats du siège et cinq magistrats du parquet élus, un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et dix personnalités n'appartenant ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif. Le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun deux personnalités. Le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes désignent conjointement quatre personnalités.
« La formation compétente à l'égard des magistrats du siège est composée, outre le Président de la République et le ministre de la justice, des cinq magistrats du siège et de l'un des magistrats du parquet, du conseiller d'Etat et de six des personnalités.
« La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet est composée, outre le Président de la République et le ministre de la justice, des cinq magistrats du parquet et de l'un des magistrats du siège, du conseiller d'Etat et de six des personnalités.
« La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents des cours d'appel et des présidents des tribunaux de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.
« Les magistrats du parquet sont nommés sur l'avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet.
« La formation compétente à l'égard des magistrats du siège et la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet statuent respectivement comme conseil de discipline des magistrats du siège et des magistrats du parquet. Elles sont alors présidées respectivement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près ladite Cour.
« Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République.
« Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »
Par amendement n° 2, M. Charasse propose, après le septième alinéa du texte présenté par cet article pour l'article 65 de la Constitution, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les magistrats du parquet sont poursuivis devant le conseil de discipline, à la requête du garde des sceaux ou de tout citoyen, en cas de non-respect des instructions générales de politique judiciaire et pénale adressées aux parquets par le ministre de la justice. »
La parole est à M. Charasse, qui va peut-être retirer cet amendement...
M. Michel Charasse. Non, monsieur le président, car cet amendement traite d'un problème important, mais moins vaste et beaucoup plus ciblé sur le texte dont nous discutons aujourd'hui, c'est-à-dire la situation, au regard du disciplinaire, des membres du parquet qui n'appliqueront pas les instructions générales du garde des sceaux.
Mme le ministre a abordé le sujet tout à l'heure d'une façon qui n'est pas inintéressante, mais je crois que la question mérite que l'on aille un peu plus au fond.
Mes chers collègues, le Sénat va voter, dans un moment, une exception à un principe républicain très ancien, et ce pour la première fois depuis 1789, principe selon lequel le pouvoir exécutif ne relève que du Gouvernement, lui-même émanation de la souveraineté nationale et responsable devant elle ou devant ses représentants. Or, mes chers collègues, qu'on le veuille ou non, les parquets vont exercer, demain, en toute indépendance, des attributions dans le domaine de la mise en oeuvre et de l'application de la loi qui relèvent, dans nos principes, du pouvoir exécutif, et de lui seul.
Présentant l'ensemble de la réforme de la justice, et pas seulement ce texte constitutionnel, Mme le garde des sceaux nous avait indiqué clairement - elle l'a répété plusieurs fois, y compris au cours du débat d'orientation, les collègues qui y ont participé s'en souviennent - que la contrepartie de l'indépendance qui allait être accordée aux membres du parquet, c'était la responsabilité, donc la sanction, comme pour le pouvoir exécutif. Or ce texte ne comporte rien de tel.
Certes, je me pose moi-même la question de savoir si cette disposition relève bien de la Constitution, alors que, à l'évidence, elle peut être réglée par la loi organique sur le statut des magistrats. Mais, comme nous n'avons pas vraiment de garanties pour la suite, mon amendement a pour premier objet d'entendre Mme le garde des sceaux aller un peu plus avant sur ce point particulier, bien qu'elle l'ait déjà un peu fait il y a un moment.
La question est simple : le refus d'un magistrat du parquet de respecter, au moins dans ses réquisitions écrites, les instructions générales de politique judiciaire et pénale adressées par le ministre de la justice pour l'application de la loi doit-il conduire ou non l'intéressé à répondre de son attitude devant le conseil de discipline ?
Si Mme le garde des sceaux nous répond « oui », mon amendement n'a alors plus de raison d'être, et nous n'en reparlerons qu'au moment du vote de la loi organique sur le statut des magistrats.
Sinon, monsieur le président, mes chers collègues - sauf à vouloir démanteler la République et à accepter de confier le pouvoir exécutif à des corporatismes ou aux sentiments personnels d'une catégorie de fonctionnaires - il faut que le Parlement prenne toutes les précautions nécessaires afin que soient respectés et garantis nos grands principes, à commencer par celui qui est affirmé par l'article 3 de la Constitution actuelle, selon lequel : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
« Aucune section du peuple ni aucun individu » - j'ajoute, fût-il magistrat du parquet - « ne peut s'en attribuer l'exercice. »
Mon amendement vise donc à garantir ce principe.
Il applique aussi le principe d'égalité selon lequel un fonctionnaire doit toujours respecter les instructions de son ministre, sous peine d'être déféré devant le conseil de discipline.
Mes chers collègues, dans la République, il ne peut pas y avoir deux catégories d'agents publics : ceux qui sont tenus d'obéir au pouvoir élu et ceux qui n'y seraient pas tenus. (MM. Charles Descours et Jean-Claude Carle applaudissent.)
En outre, mon amendement applique le principe d'égalité des citoyens devant la justice, qui doit être la même partout, c'est-à-dire dans tous les points du territoire de la République. C'était aussi un élément fondamental - l'unité de la République - voulu par les constituants de 1789. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Charles Pasqua. Applaudissements à droite ! (Rires.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Négatif !
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission souhaite que l'on ne confonde pas l'exposé des motifs et la méthode employée pour parvenir à l'objectif. Bien sûr, il existe des motifs généreux et louables, et leur rappel historique est toujours agréable à entendre.
Toutefois, il est vrai que nous ne pouvons pas inscrire dans la Constitution une faute disciplinaire particulière de non-respect des circulaires du garde des sceaux, de non-respect des instructions générales de politique judiciaire.
D'ailleurs, la gêne de l'auteur de l'amendement est évidente, puisqu'il a expliqué qu'il s'agissait d'un amendement de précaution et que, si on lui confirmait qu'il y aurait vraiment des poursuites disciplinaires en cas de non-respect des instructions générales, il était prêt à le retirer.
Il est vrai que, tout à l'heure, j'ai entendu Mme le garde des sceaux expliquer clairement qu'un magistrat du parquet qui violerait de manière répétée des instructions générales, ou qui manifesterait publiquement son intention de ne pas les respecter, serait tout naturellement poursuivi devant la formation disciplinaire compétente. La Constitution prévoit l'existence de cette formation disciplinaire, mais mentionner une faute disciplinaire particulière ne serait évidemment pas de bonne technique juridique.
Si donc la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, c'est non pas parce qu'elle refuse, dans ce cas-là, toute poursuite devant la formation disciplinaire, mais parce que, selon la technique juridique constitutionnelle normale, il est implicite que toute faute de nature disciplinaire viendrait naturellement devant la formation disciplinaire compétente aux termes de la réforme que vous allez adopter.
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je souhaite tout d'abord répondre à M. Dreyfus-Schmidt, qui a évoqué précédemment le cas de conduite en état alcoolique.
Sachez qu'un substitut général a été condamné pour conduite en état alcoolique en 1997. En outre, il a fait l'objet de poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux et a été sanctionné par le Conseil supérieur de la magistrature. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Voilà un exemple supplémentaire qui prouve que l'impunité des magistrats est à mettre au nombre des fausses croyances ! (Nouvelles exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
En ce qui concerne l'amendement n° 2 de M. Charasse, j'ai déjà apporté tout à l'heure des éléments de réponse.
Je voudrais redire ici que le texte sur les rapports entre la Chancellerie et le parquet apportera des précisions sur les modalités de mise en oeuvre des instructions générales : réaffirmation du pouvoir hiérarchique ; obligation faite aux procureurs généraux et aux procureurs de faire connaître aux juridictions les conditions de mise en oeuvre de la politique pénale ; obligation faite aux procureurs généraux et aux procureurs de faire rapport au garde des sceaux de la mise en oeuvre des instructions générales ; rôle accru des procureurs généraux sur le contrôle de l'action des procureurs, dans le fait de veiller à l'application de la loi, ainsi que dans leur possibilité de saisir disciplinairement et directement le Conseil supérieur de la magistrature. In fine , des poursuites disciplinaires pourraient être engagées devant un refus déterminé, constant et injustifié d'un procureur de mettre en oeuvre des instructions générales.
Par exemple, le refus de poursuivre tout acte de racisme de façon systématique et délibérée appelle, bien entendu, des poursuites disciplinaires. C'est le cas aujourd'hui, car, jusqu'à présent, l'existence d'instructions individuelles et particulières n'empêchait pas un procureur de se soustraire à ces instructions particulières. Ce n'est pas parce qu'il y avait des instructions particulières qu'on ne pouvait pas s'y soustraire. Par conséquent, la problématique relative aux instructions générales est tout à fait identique à celle qui valait pour les instructions particulières.
M. Michel Charasse. Elles seront écrites ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Bien sûr ! Ces instructions générales seront écrites, car il s'agit de circulaires. Elles seront présentées au Parlement, qui sera saisi d'un rapport annuel.
N'allez pas me faire dire que la problématique du contrôle disciplinaire de l'application des instructions générales est différente de celle qui existe, ou qui a existé avant moi, pour les instructions particulières. C'est la même. J'ai d'ailleurs rappelé tout à l'heure le dispositif existant.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Charles Pasqua. Si M. Charasse voulait retirer son amendement, on gagnerait du temps !
M. Patrice Gélard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. La préoccupation de M. Charasse est légitime. Mais, en fait, il soulève indirectement un problème plus grave que celui qu'il a évoqué et, ce faisant, il porte selon moi atteinte à l'une de nos traditions républicaines essentielles.
Nous sommes là dans le disciplinaire. Or, dans ce domaine, il est de règle, en général, que l'on soit jugé par ses pairs.
Je ne souhaiterais pas que, dans la Constitution, on mette en cause une formation disciplinaire particulière - celle des procureurs, en l'occurrence - parce que nous entrerions alors dans un engrenage dangereux, ce qui risquerait de nous obliger, un jour, à légiférer constitutionnellement sur d'autres ordres, celui des médecins, par exemple.
On ne peut pas toucher à cet équilibre, qui remonte à une vieille tradition républicaine établie depuis 1789, sans remettre en cause les fondements mêmes de la République.
M. Michel Charasse. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je voudrais évoquer deux points particuliers à la suite de la discussion qui vient d'avoir lieu.
Madame le garde des sceaux, lorsqu'il y avait instructions individuelles - il peut toujours y en avoir - sauf erreur de ma part, et je parle sous votre contrôle et sous le contrôle de ceux qui ont exercé vos fonctions, le procureur était obligé de déposer des réquisitions écrites conformes aux instructions reçues, mais il pouvait toujours s'en distinguer dans ses interventions orales. La plume est serve, mais la parole est libre.
Dans le nouveau système que vous nous proposez, normalement, si j'ai bien compris, les réquisitions du parquet devront être conformes à vos instructions générales. Si ce n'est pas le cas, pour des raisons tenant à des circonstances particulières, très bien ! mais, d'une manière générale, si par exemple le garde des sceaux envoie une instruction générale très ferme sur des problèmes de racisme, sur la manière dont on poursuit le révisionnisme ou les sectes, le procureur doit se tenir à ses instructions.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est sûr !
M. Michel Charasse. D'où ma question, madame le garde des sceaux : que se passe-t-il s'il ne le fait pas ? On ne va pas attendre que ce soit trois fois, quatre fois, cinq fois ou six fois pour dire que, finalement, il exagère ! C'est, à mon avis, le disciplinaire, comme pour n'importe quel fonctionnaire qui, s'il n'applique pas les instructions qu'il reçoit de son ministre, doit normalement se retrouver devant le conseil de discipline.
La question est claire : pour les instructions individuelles, c'était un autre régime ; pour les instructions générales, à mon avis, le procureur ou le procureur général - parce qu'on parle toujours de l'autorité hiérarchique sur le procureur de la République, mais il y aura aussi l'autorité hiérarchique du garde des sceaux sur le procureur général, ou alors je ne sais pas de qui - en tout cas, pour que les instructions du garde des sceaux soient respectées, il faut menacer de sanctions.
Quant à vous, monsieur Gélard, je m'excuse, mon cher collègue, mais vous avez sans doute fait le lien à tort avec l'amendement précédent. Je ne modifie en rien l'organisme chargé du disciplinaire : c'est la formation spéciale des magistrats du parquet, qui figure dans la révision constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature, qui statuera.
Je dis simplement que, lorsqu'on ne respecte pas les décisions du garde des sceaux, on doit aller au disciplinaire, ou risquer le disciplinaire.
Cela étant, monsieur le président, j'ai bien conscience d'encombrer le débat avec ces questions et, contrairement à la précédente qui me paraissait d'un niveau constitutionnel, comme je l'ai dit, nous n'avons aucune contrainte constitutionnelle particulière qui nous interdise de régler la question dans la loi organique sur le statut des magistrats.
Donc, madame le garde des sceaux, j'aurai le plaisir - qui ne sera pas forcément partagé - en tout cas, en ce qui me concerne, j'aurai le plaisir de dialoguer denouveau avec vous sur ce sujet au moment de l'examen du projet de loi organique, parce que j'estime que c'est un principe fondamental : ou bien, en France, c'est le Gouvernement qui gouverne ou bien ce sont les fonctionnaires. Et si l'on commence par une catégorie de fonctionnaires, fussent-ils magistrats, on ne sait pas où cela s'arrêtera, mais nous retournons alors aux sections du peuple, dont la Constitution prévoit expressément qu'elles ne peuvent pas exercer la souveraineté populaire.
M. Charles de Cuttoli. Le gouvernement des juges !
M. Michel Charasse. Cela étant dit, monsieur le président, je retire mon amendement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Hélas !

Article 2