Séance du 14 décembre 1998
M. le président.
Par amendement n° 21, M. Marini, au nom de la commission, propose d'insérer,
après l'article 11
ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après le 6° du 2 de l'article 793 du code général des impôts, sont
insérés cinq alinéas ainsi rédigés :
« 7° lors de leur première transmission à titre gratuit, les immeubles ou
fractions d'immeubles mentionnés à l'article 1 594 F
ter, à concurrence
des trois quarts de leur valeur, lorsque l'acquisition par le donateur ou le
défunt est constatée par acte authentique signé à compter du 1er janvier 1999
et qu'elle n'a pas donné lieu au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée.
« L'exonération est subordonnée à la condition que les immeubles aient été
donnés en location par le propriétaire dans les conditions prévues au cinquième
alinéa du
e du 1° du I de l'article 31, pendant une période minimale de
neuf ans.
« La location doit avoir pris effet dans les six mois de l'acquisition de
l'immeuble.
« Lorsqu'au jour de la transmission à titre gratuit, le délai de neuf ans n'a
pas expiré, le bénéfice de l'exonération est subordonné à l'engagement des
donataires, héritiers ou légataires pour eux et leurs ayants cause de maintenir
en location, dans les mêmes conditions, les biens transmis jusqu'à l'expiration
de ce délai.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application des
dispositions du présent 7°, notamment les obligations déclaratives incombant
aux redevables et pièces justificatives à fournir lors de la transmission
mentionnée au premier alinéa.
« II. - A l'article 793
ter du code général des impôts, les mots : "et
6°" sont remplacés par les mots : ", 6° et 7°".
« III. - A l'article 793
quater du code général des impôts, après les
mots : "du 6°" sont insérés les mots : "ou du 7°".
« IV. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'exonération
partielle des droits de mutation au profit des immeubles anciens conventionnés
et donnés en location sont compensées, à due concurrence, par un relèvement des
droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général. La commission des finances, vous le savez, a de la
suite dans les idées : il lui arrive de faire cheminer certaines conceptions
et, de temps en temps, elle parvient à les faire déboucher !
(Sourires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat. J'en conviens, vous avez une certaine vision des
finances publiques qui consiste à couper dans les crédits !
M. Philippe Marini,
rapporteur général. Oui, vous avez raison, nous avons une certaine vision
des finances publiques et nous défendons l'amélioration de leur solde, mais ce
n'est pas notre seul combat.
Dans le domaine que nous abordons à présent, c'est-à-dire celui des questions
immobilières et de la fiscalité immobilière, nous avons des convictions que
nous nous efforçons d'exprimer avec cette continuité que j'évoquais à
l'instant.
Le présent article additionnel a pour objet de permettre une exonération
partielle des droits de mutation à titre gratuit, à concurrence des trois
quarts de leur valeur, pour les immeubles donnés en location pendant neuf ans
dans les conditions fixées au
e du 1° du I de l'article 31 du code
général des impôts, qui sont les conditions posées à l'application de la
déduction forfaitaire majorée en faveur des logements anciens entrant dans le
nouveau dispositif de logements conventionnés.
L'exonération partielle des droits de première mutation à titre gratuit en
faveur des logements locatifs anciens affectés à la résidence principale de
ménages répondant à des conditions de ressources a été adoptée dans le cadre de
la loi de finances rectificative pour 1995, sur l'initiative de M. Alain
Lambert, alors rapporteur général.
Le Sénat a ensuite amélioré le dispositif en adoptant un article additionnel
au projet de loi de finances pour 1996, supprimant la condition de détention de
deux ans pour bénéficier de l'exonération partielle des droits de mutation à
titre gratuit.
Le présent article reprend donc la philosophie de ces deux dispositifs - c'est
pourquoi je parle de continuité et de persévérance - qui visaient à exonérer
les logements locatifs anciens des droits de première mutation à titre gratuit,
en les appliquant aux logements anciens qui devraient entrer dans le nouveau
dispositif proposé à l'article 68 du projet de loi de finances pour 1999.
Notre propos est de transposer le dispositif Lambert de 1995-1996, s'il
m'autorise à l'appeler ainsi, afin de le rendre applicable au dispositif Besson
tel que nous l'avons adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour
1999.
Cet article, qui instaure un nouvel avantage fiscal en faveur des logements
anciens donnés en location, pendant six ans, sous conditions de ressources et
de loyer, vise à créer une nouvelle génération de bailleurs.
En prévoyant une déduction forfaitaire majorée - 25 % au lieu de 14 % - il
traduit un début de rééquilibrage du régime fiscal en faveur du logement
ancien, encore trop peu incitatif, par rapport au régime fiscal en faveur du
logement neuf. Nous voulons dans ce domaine aller plus loin.
En effet, lors de la transmission d'un bien immobilier, les droits de mutation
à titre gratuit ont souvent pour effet d'obliger les héritiers ou légataires à
vendre le bien afin de payer ces droits, si bien que l'immeuble sort du parc
locatif.
Le ministre de l'économie et des finances lui-même, lors du récent congrès de
la Fédération nationale des agents immobiliers, la FNAIM, qui s'est tenu début
décembre, a souhaité ouvrir le chantier de la transmission immobilière.
L'article additionnel que nous proposons, en tendant à une exonération
partielle des droits de première transmission pour les logements anciens
nouvellement conventionnés, contribue à accélérer la mise en oeuvre de ce
chantier et à donner un signe positif aux investisseurs, afin qu'ils s'engagent
plus facilement dans la location de logements à caractère intermédiaire.
Un certain nombre de conditions seront bien évidemment posées à l'exonération
des droits de mutation à titre gratuit.
Le champ d'application couvre les logements anciens acquis à compter du 1er
janvier 1999. La notion de logement ancien s'applique à toute habitation sortie
du champ de la TVA, c'est-à-dire à tout logement construit depuis plus de cinq
ans ou déjà vendu une fois, s'il n'a pas été acheté par un marchand de
biens.
L'exonération est subordonnée à la condition que les immeubles aient été
donnés en location par le propriétaire dans les conditions prévues par le code
général des impôts, c'est-à-dire que le bailleur devra respecter les plafonds
de ressources et de loyer correspondants.
La location devra intervenir dans le délai de six mois à compter de la date
d'acquisition du bien immobilier.
L'exonération est conditionnée, en outre, à l'obligation de louer pendant neuf
ans. Cette condition est plus stricte que celle qui ouvre droit à la déduction
forfaitaire majorée sur les revenus fonciers - le délai, dans ce cas, est de
six ans - mais se justifie pleinement par le souci de favoriser la poursuite de
la location du logement.
En effet, l'engagement de louer pendant neuf ans doit être repris par les
héritiers, donataires ou légataires lorsque, au jour de la transmission à titre
gratuit, le délai de neuf ans n'a pas expiré. Cela permettra aux contribuables
de ne pas attendre le délai de neuf ans avant d'effectuer une donation.
L'exonération portera sur les trois quarts de la valeur d'acquisition du bien,
afin de ne pas prêter à contestation sur le montant de cette exonération.
Enfin, l'exonération sera plafonnée à 300 000 francs par part reçue par chacun
des donataires, héritiers ou légataires.
En cas de non-respect des conditions posées à l'exonération partielle des
droits de mutation, les sanctions de droit commun s'appliqueront.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce dispositif vient
compléter harmonieusement celui qui a été adopté lors de la première lecture du
projet de loi de finances. Il montre tout l'intérêt que notre commission des
finances continue à porter au secteur du logement ancien.
Nous sommes convaincus qu'il existe dans ce parc un gisement très significatif
pour la remise en état ou la redécouverte de tout un habitat intermédiaire
destiné aux classes moyennes. Cet habitat peut fort bien être loué dans les
conditions de loyers et de ressources définies par le dispositif Besson.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des finances vous
propose cet article additionnel.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat. La référence au dispositif mis en place sous
l'inspiration de l'actuel président de la commission des finances ne peut
qu'inspirer le respect. Toutefois, en la matière, de telles mesures ne sont
généralement pas efficaces, et ne le sont en tout cas que si elles sont bornées
dans le temps.
C'était le cas du dispositif proposé dans le projet de loi de finances
rectificatives pour 1995, puisqu'il valait pour une période limitée de seize ou
dix-sept mois. Or, avec votre amendement n° 21, vous proposez un dispositif
permanent.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a effectivement
indiqué, lors du congrès de la Fédération nationale des agents immobiliers,
qu'un allégement des droits de succession pour le secteur de l'immobilier
pouvait être mis à l'étude dans le respect de nos contraintes budgétaires.
Nous avons déjà fait des efforts importants dans le cadre du projet de loi de
finances pour 1999, que le Sénat a examiné récemment, avec le relèvement très
substantiel de l'abattement pour le conjoint survivant, qui aura pour
principale cible les biens immobiliers, et l'augmentation de la réduction sur
les droits de donation.
Evidemment, ces deux mesures n'ont pas pour effet direct de favoriser la mise
sur le marché de logements locatifs, mais, sur le plan budgétaire, nous
procédons par étape chaque année.
Bien qu'il résulte d'une inspiration intéressante - le dispositif Lambert,
comme vous l'avez qualifié - votre amendement n° 21 ne me semble pas avoir sa
place dans ce collectif budgétaire. Je persiste, en tout état de cause, à
douter de son efficacité. C'est pourquoi j'en demande le retrait, et sinon le
rejet.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances. Le rapporteur général a
excellemment présenté ce dispositif et montré à quel point il était cohérent
avec les dispositifs précédents.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il ne me paraît pas indispensable,
contrairement à ce que vous venez d'indiquer, que, pour être efficace, une
mesure de ce type soit limitée dans le temps. Je crois au contraire que les
redevables doivent connaître la loi fiscale, laquelle doit avoir une certaine
stabilité pour qu'ils aient confiance dans l'Etat.
Nous le voyons bien, mes chers collègues, les contribuables n'acceptent de
détenir certaines catégories de biens pendant un certain nombre d'années que si
l'on allège le poids des droits de succession. Je pense à deux catégories en
particulier : les bois et les forêts, ainsi que les biens ruraux donnés à bail
à long terme.
Il existe donc des dispositifs d'exonération partielle de droits de succession
parce que, sur le plan financier, les détenteurs n'ont aucun intérêt à
conserver de tels biens dans leur patrimoine, du seul point de vue financier,
bien sûr. De plus, la détention de ces biens étant également utile pour la
nation, un avantage fiscal partiel est donc alloué sur la valeur du bien lors
de sa première transmission à titre gratuit.
M. le rapporteur général nous propose de combiner le dispositif de 1995 avec
le dispositif adopté sur l'initiative de M. Besson, tel qu'il a été repris dans
le cadre du projet de loi de finances pour 1999. Vous nous aviez indiqué,
monsieur le secrétaire d'Etat, que la fixation de ces nouvelles règles
correspondait à la fois à des logements et à des catégories de population qui
méritaient toute notre attention.
Comme l'a expliqué M. le rapporteur général, nous souhaitons favoriser la
détention de ce parc locatif intermédiaire, qu'on pourrait qualifier de parc
social privé, par des propriétaires privés. Nous ne voulons tout de même pas
que l'Etat soit propriétaire de tous les logements en France ! Mais pour que
les Français conservent ces logements dans leur patrimoine et qu'ils y trouvent
un minimum d'intérêt, il est nécessaire que leur transmission ne soit pas trop
coûteuse.
Par conséquent, la proposition de M. le rapporteur général me semble frappée
au coin du bon sens : elle découle d'une appréhension lucide de la réalité
économique et financière. Je crois même, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle
aide le Gouvernement à avancer dans la direction qui a été solennellement
indiquée par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :
favoriser la transmission à titre gratuit en matière de logement.
En la circonstance, M. le rapporteur général vous aide à accomplir une
politique dont vous avez l'intention, mais pour la concrétisation de laquelle
il vous manquait peut-être un soutien
(Sourires.) Ce soutien, il vous
l'apporte.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi de finances rectificative, après l'article 11
ter.
Article 12