Séance du 9 mars 1999







M. le président. La parole est à M. Trémel, auteur de la question n° 402, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.

M. Pierre-Yvon Trémel. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la signature et la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, déjà signée par dix-huit Etats, et ratifiée par six d'entre eux.
Cette charte est l'outil indispensable à la sauvegarde et à la promotion des langues régionales en France et reste aujourd'hui le seul texte normatif assurant la survie de ces langues.
Le Premier ministre a rappelé à différentes reprises, en particulier devant le Conseil de l'Europe, que l'identité de l'Europe était fondée notamment sur son patrimoine linguistique et culturel et qu'à ce titre une attention toute particulière devait être portée aux langues et cultures régionales.
Le rapport qu'il a confié à M. Poignant a été rendu public le 1er juillet dernier. S'agissant de la charte, il y est notamment suggéré de demander une expertise juridique ayant pour objet de préciser les stipulations susceptibles d'être prises en compte au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle. Cette mission a été confiée à M. Guy Carcassonne. En effet, il y aurait, selon le Conseil d'Etat, dans son avis du 8 février 1997, non-conformité entre cette charte et notre Constitution, dans son article 2.
Or, M. Carcassonne a conclu dans son rapport que la charte n'était pas nécessairement incompatible avec l'article 2 de la Constitution.
Dès lors, je souhaite savoir, madame la ministre, au vu des rapports remis au Premier ministre, de quelle manière le Gouvernement compte faire avancer ce dossier.
Maintenant que la volonté politique semble exister au plus haut niveau de l'Etat, quand le Gouvernement compte-t-il procéder à la signature de la charte ?
Au-delà des obstacles juridiques, la France a-t-elle, oui ou non, la ferme volonté de tout mettre en oeuvre pour que la charte puisse être signée et ratifiée dans les meilleurs délais ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, dans un communiqué du 7 octobre dernier, le Premier ministre a indiqué sa détermination à faire en sorte que la charte européenne des langues régionales ou minoritaires puisse être signée et ratifiée par la France.
Ce choix revêt pour nous tous une dimension symbolique et politique forte. Il marque que le temps où l'unité nationale et la pluralité des cultures et des langues régionales paraissaient antagonistes est révolu. La démarche du Gouvernement est inspirée par le souci de montrer que les langues régionales appartiennent pleinement au patrimoine culturel de la nation et d'en mettre en valeur la richesse et la diversité.
Le Conseil d'Etat, interrogé par le précédent gouvernement, a rendu, le 24 septembre 1996, un avis faisant état de l'incomptabilité de certaines dispositions de la charte avec la Constitution. Toutefois, le Conseil d'Etat n'avait pas été sollicité pour procéder à un examen détaillé de la charte.
Comme vous l'avez vous-même indiqué, le Premier ministre a confié à M. Guy Carcassonne, professeur de droit public, une expertise juridique pour préciser les engagements de la charte susceptibles d'être souscrits au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle. En effet, pour ratifier la charte, il convient de choisir un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas sur les quatre-vingt-dix-huit que propose ce texte.
Au terme d'une analyse minutieuse, M. Guy Carcassonne conclua à la compatibilité de la charte avec la Constitution française, sous deux conditions.
La première condition porte sur le choix de ces trente-cinq mesures au minimum. Le professeur Carcassonne estime que quarante-six des dispositions de la charte sont compatibles avec la Constitution. S'agissant des articles 9 et 10 sur la justice et l'administration, pour lesquels le Conseil d'Etat avait émis de très vives réserves, un examen précis révèle que si, au lieu de considérer les articles dans leur entier, nous nous intéressons à l'examen de chacun des alinéas, comme la charte nous en laisse l'opportunité, il est possible d'en extraire plusieurs qui soient compatibles avec la Constitution.
La deuxième condition concerne la notion de « groupe pratiquant une langue régionale ou minoritaire », qui apparaît à plusieurs reprises tout au long de la charte. Pour lever tout risque d'inconstitutionnalité, il convient d'assortir la ratification d'une déclaration interprétative précisant que le terme de « groupe », chaque fois qu'il apparaît dans la charte, s'entend comme addition d'individus et non comme entité distincte de ceux qui la composent.
Dans le cadre des limites fixées par ces deux conditions que je viens d'évoquer rapidement devant vous, le Gouvernement procède actuellement à un travail interministériel avec tous les ministères concernés qui le conduira à opérer un choix définitif sur les engagements à souscrire. Ce travail est sur le point de se terminer.
J'ajoute, monsieur le sénateur, que, afin d'éclairer la décision du Gouvernement sur les langues qui seront retenues pour bénéficier des dispositions de la charte, le ministre de l'éducation nationale et moi-même avons confié au professeur Cerquiglini, directeur de l'Institut national de la langue française, la mission d'établir une liste des langues parlées sur le territoire de la République par les citoyens français. La France a une très grande richesse linguistique, et le rapport de M. Cerquiglini, fondé sur des critères strictement scientifiques, propose une très large liste, comprenant les langues de la France métropolitaine et celles de l'outre-mer.
La charte permet d'adapter les engagements souscrits à la situation particulière des différentes langues. Le travail interministériel va, là encore, permettre d'arrêter la position du Gouvernement sur ce point.
Pour ce qui me concerne, j'ai, dès mon entrée en fonctions, proposé qu'on puisse considérer les langues régionales ou minoritaires comme faisant partie du patrimoine linguistique, qui doit associer la langue française et les langues de France.
S'agissant de l'adaptation administrative, mais aussi de l'action menée par le ministère de la culture, j'ai fait, dans le cadre de l'application de la charte, un certain nombre de propositions qui permettraient de traiter les langues comme des éléments de notre patrimoine commun, au même titre que les monuments ou les archives.
Bien entendu, il convient aussi - la région dont vous venez, monsieur le sénateur, démontre que c'est possible - de soutenir la création dans les langues et les cultures régionales.
Nous sommes sur le point de terminer le travail interministériel. Il reviendra très bientôt au Premier ministre de trancher définitivement et d'annoncer la position du Gouvernement.
Monsieur le sénateur, nous sommes déterminés à mener à bien la signature de la charte européenne pour les langues régionales ou minoritaires. Le travail se poursuit, je le répète, parce que nous voulons soumettre un texte à la fois solide et fiable tant à la représentation nationale qu'à tous les mouvements et associations qui, depuis des années, attendent la signature de la charte.
M. Pierre-Yvon Trémel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Madame la ministre, je veux vous remercier des précisions et informations que vous venez de m'apporter. J'ai en effet pu constater que la volonté politique du Gouvernement et votre volonté propre étaient très grandes.
Les régions à forte identité, que les langues régionales y soient écrites ou parlées, réclament avec insistance la signature et la ratification de cette charte.
Pour ma part, je resterai très vigilant sur le travail qui est fait au sein du Gouvernement, en espérant que, très rapidement, la volonté politique se traduira en actes.

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