Séance du 9 mars 1999







M. le président. La parole est à M. Delevoye, auteur de la question n° 431, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean-Paul Delevoye. Ma question a trait au projet de canal à grand gabarit Seine-Nord.
Nous constatons aujourd'hui une dynamique de croissance du transport fluvial en France : reconquête des parts de marché - la part du transport fluvial a progressé de 10 % par rapport à 1997 - vitalité très importante des bassins à grand gabarit, diversification du fret et effort extraordinaire de modernisation de la flotte.
Dans le même temps, nous assistons au développement des échanges intracommunautaires de bassins.
Par ailleurs, le commissariat du Plan a clairement indiqué qu'à l'horizon 2015-2020 la France serait confrontée à un redoutable défi de saturation routière et vous-même, monsieur le ministre, avez déclaré lors de l'inauguration du barrage de Saint-Maurice : « Il importe que chacun prenne conscience que l'Etat a aujourd'hui pour les voies navigables une réelle ambition : faire grandir la part du fluvial dans l'ensemble des transports terrestres et, pour cela, donner des moyens plus importants et développer une politique active de soutien. »
Il nous faut vous en donner acte, monsieur le ministre, c'est sous votre autorité que, à la suite d'une déclaration solennelle, faite à Amiens, ont été entreprises toutes les études sur le tracé Seine-Nord, impliquant une réflexion sur l'élargissement à Seine-Est et mettant en perspective les trois objectifs suivants : développer la façade maritime, moderniser la flotte et soutenir les échanges intracommunautaires utilisant cette infrastructure.
Lancée en 1993, cette concertation est achevée depuis un an. Le rapport préfectoral a été rendu voilà plus d'un semestre. Le choix du faisceau de tracés devait intervenir avant la fin de l'année 1998.
Vous avez souhaité, monsieur le ministre, qu'il soit procédé à une actualisation des études économiques de la liaison Seine-Nord, en y incluant les conséquences de l'aménagement à grand gabarit de l'Oise-aval et du canal Dunkerque-Escaut. Cette actualisation devait être achevée le 18 décembre dernier ; vous l'avez confirmé à l'Assemblée nationale.
Enfin, des études techniques sont en cours de réalisation pour l'aménagement de l'Oise en aval de Compiègne.
Mais il va de soi que la décision ministérielle relative au faisceau de tracés n'est en aucun cas conditionnée par l'achèvement de ces diverses études, car le point de départ du futur canal Seine-Nord n'est absolument pas mis en cause.
Monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur le calendrier exact de votre décision et sur la réalité de votre détermination à choisir un faisceau de tracés pour le projet Seine-Nord. Nous souhaitons également connaître précisément les résultats des études économiques aujourd'hui actualisées.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le sénateur, le projet de liaison Seine-Nord s'inscrit dans la politique plurimodale équilibrée que nous mettons en oeuvre et qui s'appuie, en particulier, sur une relance du transport par voie d'eau. Telle est bien ma volonté, je vous le confirme.
D'ailleurs, les crédits affectés à la modernisation de la voie d'eau ont progressé de 30 % depuis deux ans. Je ne me suis pas contenté de faire des déclarations ; j'ai fait en sorte qu'elles soient suivies d'actes.
C'est dans l'esprit du développement du transport fluvial que, depuis le début, j'aborde le projet Seine-Nord et que je souhaite le faire progresser.
Ce projet consiste à réaliser un nouveau canal à grand gabarit sur le tronçon central entre Compiègne et le canal Dunkerque-Escaut et à améliorer les caractéristiques du canal Dunkerque-Escaut et de l'Oise-aval. Afin de préserver la logique du projet, il convient, en effet, de le prendre en compte dans sa globalité.
Selon les différents scénarios d'aménagement qui m'ont été remis, l'estimation du coût total du projet varie de 12 milliards de francs à 25 milliards de francs.
Compte tenu de l'ampleur de l'investissement, la rentabilité socio-économique du projet devait être étudiée de manière rigoureuse. Les analyses socio-économiques ont donc été complètement réactualisées, à partir d'une méthodologie adaptée au monde fluvial, en même temps qu'avait lieu la concertation sur le choix du tracé.
Je souhaite maintenant que ces acquis soient utilisés pour avoir une approche globale et intermodale de cette opération et élaborer un scénario réaliste d'aménagement.
A cette fin, j'ai confié au conseil général des Ponts et Chaussées une mission d'évaluation et de proposition qui portera principalement sur cinq points : l'expertise des études économiques confiées à Voies navigables de France ; l'analyse comparative des capacités de réponse des modes fluviaux et ferroviaires à l'évolution des trafics sur la zone concernée ; l'examen des conséquences du projet Seine-Nord sur la desserte terrestre des ports maritimes ; l'analyse des scénarios d'aménagement envisagés pour les trois tronçons ; enfin, la proposition d'un schéma global comportant des caractéristiques techniques cohérentes et un « phasage » réaliste des différentes parties.
J'attends les résultats de cette expertise, au printemps, pour préparer les décisions gouvernementales sur les futures étapes du projet, dans le cadre de l'élaboration du schéma de services de transports de marchandises et des prochains contrats de plan Etat-régions. Je suis déterminé, soyez-en sûr, monsieur le sénateur, à choisir un faisceau de tracés.
Vous êtes un gestionnaire suffisamment avisé pour admettre que l'ampleur financière de l'investissement nécessite des approches fiables et non contestables, sauf à mettre le projet en situation de fragilité, source de tous les échecs, ce que je ne veux absolument pas.
M. Jean-Paul Delevoye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le ministre, votre réponse est à la fois suffisamment claire pour contenter les uns et suffisamment floue pour mécontenter les autres.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. J'ai dit : « au printemps ».
M. Jean-Paul Delevoye. En réalité, il ne faut plus multiplier les études sur ce type d'infrastructures. J'ai écouté avec un grand intérêt vos propos. Au printemps 1999, avez-vous dit, un rapport doit vous être remis. Il est essentiel qu'au cours du premier semestre de 1999 le Gouvernement indique clairement s'il conforte la politique qui est la vôtre et qui tend à favoriser la complémentarité des transports fluviaux, ferroviaires et routiers.
Monsieur le ministre, vous savez très bien que, s'agissant des investissements, la France dépense 125 000 francs par kilomètre de voie fluviale, les Pays-Bas 380 000 francs et l'Allemagne 570 000 francs.
Vous savez très bien aussi que le développement actuel du commerce international et l'exploitation de la containérisation provoqueront la saturation du corridor nord sur le plan routier.
Nous disposons d'une formidable façade maritime et la France peut nourrir une grande ambition quant à son développement. Le canal Seine-Nord, inscrit dans les schémas européens, peut constituer un atout pour le développement de nos façades portuaires Calais-Boulogne-Dunkerque et Rouen-Le Havre, qui sollicitent aujourd'hui votre soutien, monsieur le ministre, pour le projet « Le Havre 2000 ».
A l'heure actuelle, l'association de tronçons autoroutiers et de petits tronçons de voies fluviales interdit la modernisation de la batellerie française.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez demandé des études économiques de rentabilité. Il ne faudrait pas que les paramètres choisis par la France pour le calcul de cette rentabilité prédéterminent les conclusions de ces études.
Dans les paramètres retenus par l'Allemagne pour l'analyse de la rentabilité de la voie d'eau, le facteur temps est fortement minoré par rapport à la France. Il est vrai que, si vous comparez la rapidité du transport, la route est plus performante.
Si vous minorez l'aspect temps pour valoriser l'aspect écologique - protection de l'environnement et sécurité des transports - dans un certain nombre de domaines, tels les hydrocarbures ou les ordures ménagères, le taux de rentabilité est tout à fait différent.
Enfin, en Belgique, la rentabilité à long terme est prise en compte deux fois plus qu'en France.
Cela signifie que, selon les paramètres utilisés, les temps de retour sur investissement sont fondamentalement différents. A structure équivalente, certains projets sont rentables en Belgique et ne le sont pas en France.
Monsieur le ministre, notre pays a le formidable génie de faire en sorte que nos statistiques soient préorientées en fonction des décisions que certains veulent avantager par rapport à d'autres. Je compte donc sur votre sens de l'objectivité, sur votre honnêteté intellectuelle, afin que ce grand pays élabore le formidable projet - ce sera peut-être le grand projet du XXIe siècle ! - de raccorder le bassin de l'Europe du nord à celui de l'Europe centrale, ce qui lui permettra de disposer d'un transport moderne complémentaire entre la route, l'eau et le fer.
Nous attendons avec intérêt et impatience votre décision au cours du premier semestre de 1999.

DOUBLE IMPOSITION DES PROPRIÉTAIRES BAILLEURS