Séance du 9 mars 1999







M. le président. La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 380, adressée à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
M. Franck Sérusclat. Je m'adresse au ministre délégué à la coopération et à la francophonie pour évoquer pendant quelques instants le problème particulièrement douloureux des mines antipersonnel qui frappent des victimes souvent jeunes et qui les handicapent pour la vie.
Les mines antipersonnel sont une manière particulièrement sournoise de mener une guerre ; l'assaillant ne prend pas beaucoup de risque alors qu'il crée beaucoup de douleur et de souffrance.
Aujourd'hui est une date opportune pour poser cette question puisque nous ne sommes pas loin du 1er mars, date de l'entrée en vigueur des décisions de déminage qui ont été acceptées par la France à la conférence internationale d'Ottawa.
La situation est assez paradoxale et devrait entraîner des réactions peut-être plus vives que les nôtres actuellement puisque la Chine, la Russie et les Etats-Unis ont refusé de signer la convention d'Ottawa.
Avec la Chine, nous devrions quelque peu revoir nos relations, compte tenu du mépris des droits de l'homme qu'affiche ce pays. Mais c'est une autre question...
Ma question d'aujourd'hui est plus simple, plus directe : comment la France va-t-elle organiser ce déminage civil, même si elle y participe depuis déjà quelques années ?
On compte actuellement de 70 millions à 100 millions de mines dans le monde, si tant est que l'évaluation est possible, le propre de ces mines étant de ne pas être facilement repérables, pour mieux surprendre. Leurs victimes se comptent par millions. Elles touchent, en particulier, les enfants, qui restent handicapés ou, même, perdent la vie.
Il est évident que cette initiative nécessite une politique cohérente à long terme et devant pourtant être efficace le plus rapidement possible. Il faut apporter des aides locales aux pays touchés, vérifier que les déminages sont effectifs, fiables, et apprendre à faire ces déminages à ceux qui en sont peut-être le plus directement les victimes.
Il existe aujourd'hui entre l'Allemagne, la Norvège, le Canada, d'une part, et la France, d'autre part, comme une relative différence, notamment en ce qui concerne le volume des crédits consacrés à cette action : la France paraît un peu en retard dans ce domaine. Il y a également un certain manque de cohérence entre les déminages et la façon de les engager aussi efficacement et activement que possible.
Telles sont les questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre. Je souhaite que la France, soit dans ce domaine exemplaire, contribue à éviter de faire courir des risques demain aux enfants et fasse en sorte que cette arme sournoise ne soit plus du tout utilisée, comme d'ailleurs, je l'espère, un jour toutes les armes, afin que nous puissions tous vivre en paix.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, les mines antipersonnel sont, en effet, un fléau qui continue de tuer presque toujours des victimes innocentes bien après que les autres armes se sont tues et que la guerre est terminée.
Je vous remercie d'avoir souligné l'importance et l'efficacité des opérations de déminage que la France conduit.
Vous vous êtes inquiété du manque de cohésion, mais aussi de l'insuffisance des crédits que la France consacre à ces opérations, compte tenu de ce que font d'autres pays que vous avez cités.
Je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour rappeler d'abord quelques données générales sur les crédits que nous affectons au déminage et peut-être mieux préciser notre stratégie en la matière.
Depuis 1994, 214 millions de francs ont été consacrés aux opérations de déminage et d'assistance humanitaire, soit dans le cadre de programmes bilatéraux, soit sous forme de contributions à des fonds multilatéraux des Nations unies ou de l'Union européenne, qui joue un rôle spécifique dans ce domaine.
Les principales actions bilatérales ont été effectuées au Cambodge, à hauteur de 4 millions de francs au titre de 1995 et 1996, en Angola, pour un montant de 13 millions de francs, dont 9 millions de francs au titre d'un projet FAC, au Mozambique, à hauteur de 27,5 millions de francs, dont 8,9 millions de francs au titre d'un projet FAC, en Bosnie-Herzégovine, pour 2 millions de francs via le fonds de l'ONU au titre de 1995, et au Nicaragua, pour un montant de 1 million de francs au titre de 1997.
La France contribue aussi aux actions de déminage de l'Union européenne en ce qui concerne les actions tant de la Commission de Bruxelles, pour 21,6 millions de francs, que de celles qui sont menées au titre de la PESC.
Lionel Jospin, lors de la séance de questions au Gouvernement du 3 mars dernier, répondant à une question du député Robert Gaia, a confirmé que l'effort financier nécessaire sera poursuivi par le Gouvernement dans les années à venir.
La conception défendue par la France est celle d'un déminage « de proximité », conduisant à la neutralisation de tous les engins explosifs dans les zones indispensables à la vie et au développement social et économique. Vous connaissez l'extraordinaire diversité des engins que les hommes ont malheureusement inventés.
Représentant la France à la conférence d'Ottawa le 5 décembre 1997, avant de signer la convention internationale sur l'interdiction des mines antipersonnel, j'ai eu l'occasion de rappeler les axes majeurs de la politique française dans ce domaine.
D'abord, nous entendons poursuivre l'effort financier accompli depuis 1994 et nous engager davantage dans le déminage humanitaire en développant le volet politique de l'action internationale de la France.
Nous entendons, ensuite, rechercher une meilleure efficacité et une présence plus visible sur la scène internationale. Cela implique une coordination plus étroite de nos différentes structures administratives intéressées à la lutte contre les mines antipersonnel. Cela suppose aussi que la France soit plus attentive à la définition et à l'évaluation des actions entreprises par l'Union européenne et les Nations unies.
A cet effet, MM. Hubert Védrine, Alain Richard et moi-même avons chargé l'ambassadeur M. Lecaruyer de Beauvais d'une mission de coordination des acteurs français du déminage et de représentation dans les instances internationales qui en traitent.
Nous entendons, enfin, renforcer les capacités nationales - vous avez insisté sur ce point, à juste titre - afin de mieux participer à la formation de démineurs locaux et à la mise en place d'institutions nationales de coordination du déminage ; c'est le cas du CMAC au Cambodge et de l'INAROE en Angola.
L'Ecole supérieure d'application du génie d'Angers est appelée à jouer un rôle de plus en plus important dans ce domaine. C'est probablement une des seules écoles militaires à être ouvertes aux civils : le personnel des ONG, si celles-ci le souhaitent, peuvent y recevoir la formation nécessaire.
Un appui à la recherche et développement doit aussi être engagé afin de développer les technologies adaptées à la lutte contre les mines, qu'il s'agisse de la cartographie, de la télédétection, de systèmes d'information géographique.
Nous avons fortement plaidé pour la mise en place d'une banque de données mondiale sous la responsabilité du secrétaire général des Nations unies. Nous savons très bien que, si certains plans de déminage ont été conduits selon une certaine logique et à partir de documents, d'autres, hélas ! ont été effectués dans le désordre, et, dans ce cas, la mémoire ne suffit pas pour localiser les mines.
Pour conclure, je voudrais ajouter deux éléments qui témoignent de la priorité que nous accordons à la lutte contre les mines antipersonnel. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'en entretenir hier avec Mme Jody Williams, prix Nobel de la paix pour le combat qu'elle a mené contre les mines antipersonnel, puisqu'elle était l'invitée du Gouvernement à l'occasion de la Journée internationale des femmes.
Je lui ai d'abord rappelé notre volonté de participer à la campagne de promotion de l'interdiction totale des mines antipersonnel, en organisant et en participant nous-mêmes aux manifestations qui doivent être situées dans les Etats concernés. Nous en connaissons - je pense notamment à certains pays d'Afrique lusophone - qui ont signé la convention de non-utilisation et qui ont recommencé à implanter des mines.
Je lui ai également exposé notre volonté de faire pression sur les grands Etats qui n'ont pas encore fait le choix de signer cette convention. Nous regrettons que certains, parmi les plus importants, se retranchent derrière des raisons de sécurité, qui nous paraissent un peu décalées par rapport aux possibilités dont elles disposent pour trouver des solutions alternatives.
En tout cas, la France, pour sa part, a montré l'exemple sur le plan interne par la loi du 8 juillet 1998 portant ratification de la convention d'Ottawa. La France a été un des premiers pays européens à signer cette convention qui, désormais, est entrée en vigueur - vous le rappeliez vous-même.
Un projet de décret a été élaboré qui instituera une commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel et qui sera composée en grande partie de parlementaires et de représentants d'organisations non gouvernementales. La sortie de ce décret devrait être proche, si l'on en juge par la promesse qu'a faite le Premier ministre à l'Assemblée nationale, le 3 mars dernier.
Lionel Jospin en a profité pour rappeler que la France était en avance sur le programme de destruction des stocks auquel elle s'était engagée. Normalement, à la fin de cette année, nous aurons détruit nos stocks, à l'exception de 2 500 mines qui sont conservées pour procéder à la formation de nos propres troupes ou acteurs de déminage, mais aussi et surtout pour former les démineurs dans les pays les plus directement concernés.
J'espère, monsieur le sénateur, que vous aurez trouvé dans ma réponse quelques éléments confirmant l'importance que le Gouvernement accorde à la lutte contre les mines antipersonnel.
M. Franck Sérusclat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le ministre, je ne doute ni de votre volonté ni de celle du Gouvernement d'aboutir à des solutions le plus rapidement possible.
Je me permets simplement une comparaison, sachant toutefois qu'elle n'ait pas raison, car elle touche deux plans complètement différents : le domaine extérieur de la France et le domaine intérieur.
Vous disposez d'un budget s'élevant à quelques millions de francs - environ 300 millions de francs - alors qu'il est question d'investir 6 milliards de francs dans le porte-avions Charles-de-Gaulle !
Monsieur le ministre, ne pourriez-vous demander à M. Alain Richard de transférer un peu de son budget pour déminer plutôt que d'essayer de « sortir » le porte-avions Charles-de-Gaulle , qui, quand il sera prêt, ne sera plus d'usage ?...
Actuellement, nous nous armons nul ne sait contre qui... mais en faisant toujours malheureusement le pari qu'il y aura des guerres.
Peut-être pourriez-vous obtenir de M. Alain Richard ne serait-ce qu'un demi-milliard de francs !
Je vous remercie en tout cas de votre réponse et de la façon dont vous l'avez faite, car elle était sincère, je n'en doute pas.

APPLICATION EN FRANCE
DU CODE DE LA FAMILLE ALGÉRIEN