Séance du 16 juin 1999







M. le président. Par amendement n° 146 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, avant l'article 1er bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa de l'article 50 du même code, après les mots : "les juges du tribunal", sont insérés les mots : "ayant au moins cinq années d'ancienneté".
« II. - Le même alinéa est complété par les mots : ", après avis du Conseil supérieur de la magistrature, pour une durée de cinq ans renouvelable". »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Cet amendement a pour objet de faire en sorte que les juges d'instruction soient choisis, d'une part, parmi les plus expérimentés et, d'autre part, pour une durée limitée mais renouvelable afin d'éviter qu'ils n'aient l'impression d'être détenteurs d'une charge à vie.
Il tend ainsi à répondre à une préoccupation exprimée encore récemment par un des penseurs actuels de la justice, M. Garapon.
L'instruction nécessite des magistrats chevronnés. Un juge d'instruction dispose en effet de trois pouvoirs majeurs : mise en examen, contrôle judiciaire parfois serré, mise en détention provisoire. Tous les auditeurs de justice peuvent-ils exercer ces pouvoirs à vingt-cinq ans, au hasard d'un rang de sortie où parfois le choix de la résidence l'emporte sur celui de la fonction, sans un minimum d'expérience judiciaire et humaine ?
Je cite M. Garapon : « Il ne faut pas accabler les juges. Disons que, pour l'instant, la justice marche comme un service chirurgical où les opérations à coeur ouvert sont assurées par les jeunes externes et les réanimations par les chefs de service. Il convient donc de réformer l'organisation judiciaire pour que les mises en détention relèvent de la responsabilité des magistrats les plus chevronnés, puisque mettre quelqu'un en prison est la décision la plus grave. »
Il poursuit : « Il est logique de confier aux plus aguerris les affaires les plus difficiles, de mettre au poste de juge unique de première instance ceux qui ont de la bouteille et les plus jeunes en cour d'appel collégiale. »
J'ai conscience, madame la ministre, que cet amendement, qui va un peu dans le sens de votre circulaire récente du 27 mai 1999, indiquant les orientations de la réforme du statut de la magistrature, n'a pas sa place ici et que le problème soulevé relève de la loi organique, mais il serait intéressant que vous indiquiez au Sénat si vous envisagez d'étendre votre projet de détacher pour cinq ans les chefs de cour et de juridiction à d'autres postes de magistrat, comme ceux de juge d'instruction.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission des lois a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est, quant à lui, défavorable à cet amendement.
C'est une idée évidemment séduisante que celle de confier les difficiles fonctions du juge d'instruction à des magistrats chevronnés. Mais, d'abord, comme le reconnaît lui-même M. Haenel, cette question relève de la loi organique puisqu'elle concerne le statut de la magistrature.
Ensuite, il est déjà prévu dans le projet de loi que la décision la plus difficile à prendre, qui justifie cette ancienneté réclamée pour les juges d'instruction, celle du placement en détention provisoire, sera confiée aux juges de la détention provisoire, qui seront des magistrats expérimentés, présidents ou vice-présidents de tribunal.
Quant à l'obligation de mobilité faite aux magistrats, elle est au centre de mes réflexions, notamment dans le cadre du projet de loi organique portant statut des magistrats.
Je ne pense pas que cette nécessité de mobilité puisse s'appliquer uniquement à une fonction particulière. Les travaux que je mène actuellement en tout cas vont dans le sens d'une plus grande mobilité. Je prévois effectivement un exercice limité de la durée des fonctions des chefs de juridictions, aussi bien des tribunaux que des cours d'appel.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 146 rectifié.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. A l'évidence, les dispositions contenues dans cet amendement relèvent du statut de la magistrature et donc de la loi organique. Aussi n'est-ce pas le moment d'en débattre. Pour le reste, Mme le garde des sceaux a parfaitement indiqué les raisons pour lesquelles nous n'avons pas présentement à prendre une telle décision.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. En déposant cet amendement, je souhaitais simplement obtenir des précisions de Mme le ministre. Je l'ai dit dès le départ - et M. Badinter m'en donnera acte - il s'agit d'une disposition relevant par nature de la loi organique.
Mais, vous le savez, c'est un peu le serpent de mer : on revient sans cesse sur le sujet. J'aimerais qu'une bonne fois pour toutes on dise si une telle disposition est valable ou non.
Mme le ministre a donné, dans une circulaire toute récente que j'ai déjà citée précédemment, quelques instructions pour inciter les magistrats à plus de mobilité.
En ce qui concerne notamment la fonction d'instruction, ne serait-il pas souhaitable que, régulièrement, au moins tous les cinq ans, le Conseil supérieur de la magistrature vérifie qu'un juge est encore en mesure d'exercer pleinement et valablement ses fonctions ?
Pour le moment, je retire mon amendement ; nous aurons l'occasion de revenir sur le sujet.
M. le président. L'amendement n° 146 rectifié est retiré.

Article 1er bis