Séance du 16 juin 1999







M. le président. « Art. 2. _ L'article 63-4 du même code est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "Lorsque vingt heures se sont écoulées depuis le début de la garde à vue" sont remplacés par les mots : "Dès le début de la garde à vue ainsi qu'à l'issue de la vingtième heure" ;
« 2° Dans la seconde phrase du troisième alinéa, les mots : "de la nature de l'infraction recherchée" sont remplacés par les mots : "de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête" ;
« 3° Il est inséré, après le cinquième alinéa, un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne peut également demander à s'entretenir avec un avocat à l'issue de la douzième heure de cette prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents. » ;
« 4° Au sixième alinéa, les mots : "Le délai mentionné au premier alinéa est porté à trente-six heures" sont remplacés par les mots : "L'entretien avec un avocat prévu au premier alinéa ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de trente-six heures" ;
« 5° Au dernier alinéa, les mots : "Le délai mentionné au premier alinéa est porté à soixante-douze heures" sont remplacés par les mots : "L'entretien avec un avocat prévu au premier alinéa ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de soixante-douze heures". »
Sur l'article, la parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Avec l'article 2, nous entrons au coeur de l'un des trois problèmes majeurs du projet de loi qui nous est proposé et même de la question la plus importante, puisqu'il s'agit de l'intervention de l'avocat dès les premiers moments de la garde à vue.
Je regrette beaucoup d'aller à contre-courant de mes confrères, d'abord, et des barreaux, en général, mais je me dois de dire tout à trac combien je crains les conséquences d'une telle disposition.
Nous sommes confrontés là à un antagonisme entre, d'une part, le nécessaire besoin de rassurer les populations, de préserver leur sécurité, de permettre la recherche de la vérité lorsqu'il y a des délits importants et des crimes graves et, d'autre part, la légitime préoccupation de préserver la liberté individuelle. Je crains que cette disposition ne vienne faire échec à l'efficacité de la procédure pénale.
Au demeurant, monsieur le ministre, puisque vous êtes en réalité le ministre des armées, vous savez inévitablement que cette disposition inquiète bien sûr, au-delà du ministre de l'intérieur, votre collègue M. Chevènement, l'ensemble de la police criminelle et les services régionaux de police judiciaire tout comme les brigades de recherche de la gendarmerie nationale.
L'intervention d'un avocat - et vous allez voir l'extraordinaire contradiction dans le déroulement de la procédure dont je vais vous parler - va bousculer beaucoup de règles établies et d'habitudes qui sont les nôtres depuis longtemps. Il faudra nous adapter, comme le disait notre collègue M. Patrice Gélard, à la procédure pénale anglosaxonne.
D'abord, je voudrais faire observer aux uns et aux autres que la poursuite des délits et des crimes, la garde à vue, ne concernent pas seulement les honnêtes gens que l'on met par erreur en prison, ou les maires, quand cela arrive, notamment dans l'Oise, comme le rappelait tout à l'heure notre collègue, elle concerne aussi des délinquants endurcis, même des criminels. Ceux-là sont totalement différents des autres. La noble cause de la défense des honnêtes gens ne doit pas faire oublier la défense nécessaire de la société contre les malfrats. Il faut, selon moi, que même un avocat, qui est un auxiliaire de la justice, s'en souvienne.
Au demeurant, monsieur le ministre, à quoi sert la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue ?
Il n'a pas le droit d'avoir communication des éléments de dossier que l'officier de police judiciaire ne lui remettra pas et la loi ne lui en donne pas le pouvoir. Il n'a pas le droit d'intervenir dans l'instruction de l'enquête préliminaire. Il est une sorte de médecin, sans ustensile et sans médicament, qui se borne à donner des conseils.
Quels seront les conseils de l'avocat ? Vous le savez, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne se refait pas !
Monsieur le rapporteur, je vous ai irrité ce matin en commission des lois. Mais l'avocat, surtout quand il est spécialisé en matière pénale, est quelqu'un qui défend. Or, à force de défendre, une déformation se manifeste progressivement chez celui qui est habitué à jouer ce rôle : il acquiert des réflexes de défense. Au moment le plus crucial, quand on essaie d'établir les moyens prouvant les faits litigieux qui sont dénoncés, il va communiquer toutes les astuces pour esquiver et savoir répondre. C'est un danger que je vous demande de prendre en considération.
Mme le garde de sceaux a été elle-même défiante, puisque, dans l'exposé de ses motifs, elle s'est empressée de faire des restrictions :
« Il convient toutefois, dans un souci d'efficacité de la procédure pénale - ce que je recherche - de maintenir des exceptions à cette règle pour certaines infractions telles que la délinquance ou la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et le terrorisme. »
Cela veut dire que la délinquance organisée - le proxénétisme en est un exemple type - ne bénéficiera pas de l'appui d'un avocat, alors que celui qui a liquidé sa concierge au rasoir ou trucidé une petite fille pourra, lui, en bénéficier puisqu'il ne s'agit pas forcément d'une délinquance ni d'un crime organisé. C'est là une contradiction considérable que je fais apparaître et qui m'inquiète terriblement.
Vous le savez, monsieur le ministre, comme vous tous, mes chers collègues, à force de dépouiller tous les instruments qui permettent de contenir la délinquance et le crime, on arrive, en vertu de principes nobles, ô combien ! à se démunir des défenses qui sont nécessaires contre les éléments malsains de notre société.
Je voudrais vous signaler une autre contradiction. N'y voyez pas mal, monsieur le ministre de la défense, nous vous apprécions comme tel, mais j'aurais souhaité que Mme le garde des sceaux soit là pour entendre ce que je vais dire. Ses collaborateurs, qui sont très attentifs à mon intervention, ce que je note avec beaucoup de plaisir, ne manqueront pas de lui rapporter bien évidemment mes propos.
Au moment où l'on demande à l'avocat - comme à une espèce de succédané de garant de la liberté individuelle - par sa présence, de réconforter celui que l'on va mettre en accusation, en instruction, en enquête préliminaire, puis en garde à vue, on assiste, dans les cabinets d'instruction, à une dérive considérable chez les magistrats instructeurs, qui développent un mépris considérable à l'égard des avocats. Je vais y revenir.
Auparavant, je voudrais vous dire que, si d'aventure vous arriviez à ce que votre collègue de l'intérieur, M. Chevènement, dégage les crédits nécessaires à l'amélioration des locaux de la garde à vue - notre collègue et confrère honoraire M. Dreyfus-Schmidt, tout à l'heure, a remarquablement exposé ce point afin de les rendre moins répressifs en eux-mêmes, qui ne soient pas une honte, comme nos prisons, pour un pays évolué comme le nôtre, nous aurions déjà résolu une grande partie des problèmes !
Je dirai même que l'avocat, qui ne sert à rien d'autre qu'à tenir dans ses bras la personne pour lui remonter le moral, ne serait pas obligé d'être là dès la première heure de garde à vue.
M. le président. Merci de conclure, monsieur Peyrat !
M. Jacques Peyrat. Le garde des sceaux devrait donner les instructions les plus fermes à son corps de magistrats instructeurs pour qu'ils ne se laissent pas aller à cette dérive qui conduit à ce que l'avocat - dont vous semblez avoir besoin - n'est même plus entendu dans les cabinets d'instruction : il est à peine supporté ! On en arrive - et j'en termine, monsieur le président - à des procès mal ficelés devant le tribunal correctionnel et la cour d'assises. Tous les présidents de cours d'assises regrettent toujours que l'on refasse, à l'audience, l'instruction qui a été mal faite parce que l'on ne prête pas assez de cas à l'avocat !
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. L'article 2 conserve - enfin ! - la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue.
Il s'agit d'une avancée fondamentale pour les droits de la défense et, plus généralement, pour les droits des personnes.
Nous accueillons donc très favorablement cette disposition que nous réclamions depuis de nombreuses années.
Nous n'accepterons donc pas que ce droit essentiel soit, de quelque manière que ce soit, remis en cause ou seulement restreint. Je pense en particulier aux amendements respectifs de MM. Haenel et Bonnet. Il ne faudrait pas, en effet, qu'une telle mesure soit repoussée comme elle l'a été précédemment.
En revanche, tout ce qui tendra à renforcer la présence de l'avocat lors de la garde à vue sera bienvenu.
Ainsi, nous sommes pour que l'avocat soit présent le plus tôt possible dans les commissariats, et ce quelle que soit l'infraction commise.
Je pense en effet qu'il ne faut pas considérer l'avocat, qui appartient à une profession réglementaire, comme un intrus dans les locaux du commissariat cherchant à gêner l'enquête.
Non, il est là pour conseiller la personne ainsi retenue, voire la rassurer, en tout état de cause pour lui parler et la soutenir dans ce moment difficile que constitue la garde à vue pendant laquelle on n'est plus tout à fait innocent, mais pas encore coupable.
A ce stade de la procédure, la présomption d'innocence doit être plus que jamais garantie.
Or on note dans ce projet de loi que les différents régimes de garde à vue sont maintenus : pour telle infraction, l'avocat est présent dès le début, pour d'autres, il l'est à l'issue de la trente-sixième heure, ou encore après soixante-douze heures de garde à vue.
Les gardes à vue qui durent aussi longtemps sont humainement difficiles à supporter pour tout individu et elles constituent une atteinte à la présomption d'innocence.
C'est pourquoi la présence de l'avocat est indispensable lors de telles gardes à vue, et ce dans le délai le plus bref possible.
Je profite du sujet pour redire notre opposition de principe à la garde à vue des mineurs de treize ans, prévue à l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945.
Cette mesure avait pourtant été supprimée - et nous y avions largement contribué à l'époque, lors des débats de novembre 1992 - avant d'être rétablie quelque temps plus tard.
Nous estimons qu'un enfant de treize ans n'a pas sa place dans un commissariat, où il peut être en contact avec des délinquants adultes, plus endurcis.
Une telle mesure ne peut que se révéler, en effet, lourde et grave de conséquences pour son avenir et pour la société en général.
Tout au plus doit-il être présenté à un magistrat spécialisé dans l'enfance délinquante.
Voilà, les quelques observations que je tenais à formuler à ce stade de la discussion et sur un sujet aussi grave que celui de la garde à vue.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, je n'aurais pas parlé sur l'article 2 si M. Peyrat ne l'avait fait longuement. Les compliments qu'il a bien voulu m'adresser, auxquels je suis sensible, ne m'empêchent pas de dire que j'ai été horrifié par ce que j'ai entendu.
Il a bien voulu nous prévenir qu'il était sans doute le seul avocat à avoir ce point de vue et qu'il allait par conséquent choquer les autres avocats par ses propos. J'espère bien qu'il choquera non pas seulement les avocats, mais également tous ceux pour qui la présomption d'innocence existe !
La garde à vue, j'ai eu l'occasion de le rappeler et il le sait, était - et cela était encore indiqué dans le décret de 1903 sur la gendarmerie - le temps nécessaire pour conduire celui qu'on venait d'arrêter jusqu'à un juge. En effet, le principe selon lequel celui qu'on a arrêté doit être conduit le plus rapidement possible devant un juge n'est pas si récent !
M. Jacques Peyrat. Ce n'est pas moi qui ai augmenté les délais de garde à vue, c'est vous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est sûrement pas moi, en aucun cas !
M. Jacques Peyrat. Vous, non, mais des gouvernements que vous souteniez !
M. Hubert Haenel. M. Dreyfus-Schmidt ne peut être soupçonné sur ce point.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous remercie beaucoup, monsieur Haenel !
Il y a longtemps que cela dure et je dois dire que c'est de famille.
Déjà en 1957 je me permets de vous renvoyer aux débats avait été rappelé à l'époque par de très grands avocats, dont Me Maurice Garçon, ce qu'est normalement la garde à vue et ce qu'elle aurait toujours dû rester.
M. Charles de Cuttoli. Et avant lui, maîtres Isorni.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est exact.
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est parce que, à la fin du siècle dernier, on a introduit l'avocat dans le cabinet du juge d'instruction qu'a été inventée la garde à vue telle que nous la connaissons.
Ce faisant, les délais ont été augmentés considérablement. Cela dit, c'est justement parce que l'on traitait tous les détenus pareillement et parmi eux les innocents. Vous dites qu'il ne faut pas faire seulement attention à ceux-là, et vous les livrez à la même rigueur que les autres. Or, de toutes les façons, il ne doit, pas y avoir de rigueur et l'enquête doit être menée loyalement. La présence de l'avocat sert justement à empêcher qu'il y ait un tête-à-tête, pendant des heures et des heures, entre ceux qui suspectent et celui qui est suspecté. On ne lui donne pas à manger et on espère qu'il se mettra à table ! Cela n'est pas admissible.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'est pas admissible de traiter des hommes, quels qu'ils soient, de cette manière.
Nous avons demandé tout à l'heure que le procureur au moins voie le gardé à vue toutes les vingt-quatre heures ou qu'il se rende sur place. On nous a opposé l'article 40.
M. Hubert Haenel. Cela ne s'est jamais fait dans l'histoire en procédure pénale !
M. Jacques Peyrat. C'est un désaveu à l'égard du procureur, du juge d'instruction et de la chambre d'accusation !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une raison de plus.
On nous a refusé tout à l'heure que des caméras enregistrent.
Vous souvenez-vous - c'était près de chez vous, monsieur Peyrat - de cet accusé qui s'appelait Roman et qui, il n'y a pas tellement longtemps, a été acquitté par la cour d'assises en dépit des aveux qu'il avait passés pendant la garde à vue. Vous en souvenez-vous ?
M. Jacques Peyrat. Oui, très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien, c'est précisément ce qu'il faut éviter. Et puisque le procureur ne contrôle pas et qu'il n'y a pas de caméra, il faut qu'il y ait un avocat.
Les militaires ont un ministre pour dire tout le bien qui doit être dit d'eux, les policiers ont un ministre pour dire tout le bien qu'il pense d'eux,...
M. Hubert Haenel. Heureusement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... les magistrats ont un ministre pour dire tout le bien qu'il pense d'eux, mais les avocats, qui ont prêté serment, qui sont susceptibles d'être sanctionnés dès qu'ils commettent la moindre faute, on les suspecterait ? On n'a pas le droit, et vous en particulier, de le faire !
Nous demandons précisément que l'avocat puisse être présent dès la première heure. L'entretien - d'une demi-heure : certes très limité - s'il a lieu dès le début de la garde à vue, garantit que l'intéressé a immédiatement connaissance de ses droits.
Toutefois, je souhaite, pour ma part, que l'avocat puisse être un témoin, qu'il puisse à tout moment assister à la garde à vue, et que l'entretien ait lieu à un moment choisi par l'avocat et par l'intéressé.
Vous m'avez objecté le problème posé par les cas graves, tel celui de la personne qui a tué sa concierge avec un rasoir. Le crime est alors si flagrant qu'il n'y a sans doute même pas besoin de mettre la personne concernée en garde à vue, car on peut la déférer tout de suite !
M. Jacques Peyrat. Vous plaisantez ! Ce n'est pas de votre niveau !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans les autres cas, que l'on dit graves, c'est justement cette gravité même qui justifie que les intéressés connaissent leurs droits.
Ainsi, au moment de la guerre d'Algérie, je me souviens que, alors qu'on lui reprochait la manière dont avait été traitée une personne, passez-moi l'expression, torturée, un policier a justifié son comportement en affirmant que celle-ci avait commis un crime. Il lui a été répondu que plus l'affaire est grave, plus on doit renoncer à arracher des aveux qui ne valent rien en tant qu'aveux, précisément parce qu'ils ont été arrachés.
M. Jacques Peyrat. Mon cher collègue, la guerre est un crime !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Afin qu'il n'y ait plus d'aveux arrachés et qu'il n'y ait plus que des aveux circonstanciés, afin que l'enquête soit conduite comme elle doit l'être à notre siècle, nous vous proposerons tout à l'heure, mes chers collègues, de prévoir la présence d'un avocat tout au long de la garde à vue, avec un entretien, peut-être même deux, l'un ayant lieu dès le début de la garde à vue, l'autre après la vingtième heure.
Pour les cas les plus graves et les plus complexes, et puisque tout le monde le demande, je veux bien que l'entretien avec un avocat ait lieu plus tard. Mais pas au point, tout de même, de le repousser à la trente-sixième heure ou, comme c'est le cas actuellement, à la soixante-douzième heure !
Peut-on laisser un homme, quel qu'il soit, soixante-douze heures seul, face à face avec ceux qui sont convaincus de sa culpabilité, alors qu'il est peut-être innocent ?
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Tout a été dit et superbement par notre ami Michel Dreyfus-Schmidt.
Je voudrais simplement rappeler, et ce n'est pas indifférent à ce stade de notre réflexion, que, dans le rapport au président de la République de la commission présidée par le Premier président Pierre Truche, à la page 63, après avoir longuement évoqué la nécessité d'améliorer les conditions matérielles de la garde à vue - sur ce point, nous nous sommes déjà longuement expliqués, les uns et les autres - on peut lire ceci : « La commission estime, à l'unanimité, que l'avocat doit pouvoir intervenir dès la première heure de la garde à vue. Il sera, comme actuellement, informé de la nature de l'infraction recherchée sans avoir accès à la procédure. » Il est évident que c'est là un progrès certain des libertés et des droits de la défense.
M. le président. Sur l'article 2, je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont présentés par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 190 tend à rédiger comme suit l'article 2 :
« L'article 63-4 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 63-4. - La personne qui fait l'objet d'une garde à vue peut, dès le début, demander qu'un avocat puisse y assister à tout moment.
« Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier. Ce dernier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.
« L'avocat désigné peut, en outre, communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. Il est informé par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature de l'infraction recherchée.
« A l'issue de l'entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l'avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.
« L'avocat ne peut faire état de son entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.
« Cet entretien ne peut avoir lieu :
« - qu'après la vingtième heure lorsque l'enquête a pour objet la participation à une association de malfaiteurs prévue par l'article 450-1 du code pénal, les infractions de proxénétisme ou d'extorsion de fonds aggravés prévues par les articles 225-7, 225-9, 312-2 à 312-5 et 312-7 du code pénal ou une infraction commise en bande organisée prévue par les articles 224-3, 225-8, 311-9, 312-6, 322-8 du code pénal. Le procureur de la République est, dans les meilleurs délais, informé par l'officier de police judiciaire qu'il est fait application des dispositions de l'alinéa précédent ;
« - qu'après la vingt-cinquième heure lorsque la garde à vue est soumise à des règles particulières de prolongation. »
L'amendement n° 191 vise à rédiger comme suit l'article 2 :
« L'article 63-4 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 63-4. - La personne qui fait l'objet d'une garde à vue peut, dès le début, demander qu'un avocat puisse y assister à tout moment.
« Si elle n'est pas en mesure d'en désigner un ou si l'avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu'il lui en soit commis un d'office par le bâtonnier. Ce dernier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.
« L'avocat désigné peut, en outre, communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. Il est informé par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature de l'infraction recherchée.
« A l'issue de l'entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l'avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.
« L'avocat ne peut faire état de son entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.
« Par dérogation au premier alinéa :
« - la personne gardée à vue ne peut demander à ce qu'un avocat choisi ou désigné dans les formes et conditions prévues aux 2e et 3e alinéas y assiste ;
« - l'entretien prévu et régi par les 3e, 4e et 5e alinéas ne peut avoir lieu qu'après :
« - trente-six heures lorsque l'enquête a pour objet la participation à une association de malfaiteurs prévue par l'article 450-1 du code pénal, les infractions de proxénétisme ou d'extorsion de fonds aggravés prévues par les articles 225-7, 225-9, 312-2 à 312-5 et 312-7 du code pénal ou une infraction commise en bande organisée prévue par les articles 224-3, 225-8, 311-9, 312-6, 322-8 du code pénal ;
« - la soixante-douzième heure lorsque la garde à vue est soumise à des règles particulières de prolongation. »
Par amendement n° 2, M. Bonnet, Mme Heinis et M. Plasait proposent de supprimer le deuxième alinéa (1°) de l'article 2.
Par amendement n° 265 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de remplacer le deuxième alinéa (1°) de l'article 2 par deux alinéas ainsi rédigés :
« 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Dès le début de la garde à vue ainsi qu'à l'issue de la vingtième heure, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat commis d'office par le bâtonnier. Celui-ci ne pourra être choisi par la personne ultérieurement pour assurer sa défense. »
Par amendement n° 84, M. Hyest propose :
I. - Dans le 1° de l'article 2, de supprimer les mots : « ainsi qu'à l'issue de la vingtième heure ».
II. - De rédiger comme suit le 2° de cet article :
« Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
L'avocat désigné est informé par l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l'infraction sur laquelle porte l'enquête, des raisons de l'arrestation et des accusations portées ; il lui est également indiqué si la personne est gardée à vue en application des dispositions de l'article 61, de l'article 62, ou du deuxième alinéa de l'article 63. Il peut avant l'entretien consulter les procès-verbaux déjà établis dans la procédure. Il communique avec la personne gardée à vue dans les conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien. »
III. - De rédiger comme suit le 3° de cet article :
« Le quatrième alinéa est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« Il peut également demander dans les mêmes formes qu'il soit procédé à certains actes pendant le temps de la garde à vue. Le procureur de la République en est informé sans délai. Il peut être saisi directement de cette demande. »
IV. - De rédiger comme suit le 4° de cet article :
« Le sixième alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« La personne peut également demander à s'entretenir une nouvelle fois avec un avocat à n'importe quel autre moment de la garde à vue, notamment après sa prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents. Il doit, une heure auparavant, en prévenir l'officier de police judiciaire. Si, en raison d'un transport en dehors des locaux de garde à vue, l'officier estime devoir différer cette venue, il en réfère au procureur de la République qui décide du lieu et de l'heure de l'entretien.
« L'avocat peut, par ailleurs, assister à la présentation de la personne devant le procureur de la République lorsqu'il statue sur la demande de prolongation de la garde à vue. »
V. - Après le 4° de cet article, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ... ° Le septième alinéa est ainsi rédigé :
« Le procureur de la République peut à tout moment venir contrôler les conditions de la garde à vue. »
VI. - Dans le 5° de cet article, de remplacer les mots : « soixante-douze heures » par les mots : « quarante-huit heures » ;
VII. - De compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« ... ° Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Il est fait application du sixième alinéa. »
Par amendement n° 192, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, à la fin du deuxième alinéa (1°) de l'article 2, de remplacer les mots : « vingtième heure » par les mots : « dixième et de la vingtième heures. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre les amendements n°s 190 et 191.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai déjà expliqué la philosophie de cet amendement. J'espère qu'il retiendra l'attention de la majorité du Sénat - non pas de la majorité sénatoriale, mais bien de la majorité d'entre vous, mes chers collègues - et qu'à défaut il pourra, en cas de navette, intéresser l'Assemblée nationale.
En effet, en l'état actuel du texte qui nous est proposé, un entretien avec un avocat est possible dès le début de la garde à vue. Mais il n'est pas dit ce que signifie « dès le début » et si cela dure jusqu'à la vingtième heure puisque, après la vingtième heure, il peut y avoir un deuxième entretien. Cela signifie-t-il - mais il faudrait nous l'expliquer - que l'avocat qui se présente à la dix-neuvième heure peut avoir un entretien et qu'il peut en avoir un autre après la vingtième heure ? Ou cela signifie-t-il qu'il doit se présenter pendant la première demi-heure ou la première heure ?
« Dès le début » peut vouloir dire à tout moment, et à tout moment jusqu'à la vingtième heure, puisqu'il est prévu qu'après la vingtième heure a lieu un autre entretien.
Nous avons donc pris la peine de réécrire l'article 63-4 en expliquant ce que je viens de dire, c'est-à-dire que soit admis le principe que l'avocat peut assister à tout moment à la garde à vue.
Cela ne veut pas dire, comme certains l'ont proposé, que l'avocat doit assister en permanence à la garde à vue et ne pas ressortir quelle que soit la durée de celle-ci. Cela veut dire qu'il peut venir, s'en aller à ses occupations et revenir.
Je dois dire que, fort heureusement, depuis l'application des lois de 1993, alors qu'auparavant les avocats n'allaient pas au commissariat car c'était contraire à la déontologie, les policiers ont aujourd'hui pris l'habitude de voir arriver les avocats ; leurs relations sont fort courtoises, cordiales, et les choses se passent très bien.
Il n'y a donc pas de raison que l'avocat ne revienne pas constater le déroulement normal de la garde à vue et, s'il tel n'est pas le cas, d'alerter le procureur de la République ou le bâtonnier.
Il y a donc, d'une part, la question de la présence et, d'autre part, celle de l'entretien.
Je veux bien admettre que l'entretien n'ait lieu que pendant une demi-heure, comme c'est le cas actuellement, soit dès le début, soit après la vingtième heure, soit pour ceux qui sont soupçonnés de crimes compliqués ou graves, à la vingt-cinquième heure. J'accepte de reculer ce délai pour sacrifier à l'idée défendue par beaucoup.
Ces délais restent discutables, mais je demande vivement au Sénat de retenir l'idée, maintenant qu'il sait que le procureur peut ne pas venir ou ne pas se faire présenter l'intéressé, qu'il n'y aura pas de caméra, parce qu'il l'a décidé, que l'avocat puisse être présent à tout moment, qu'il puisse y avoir un entretien d'abord, un autre ensuite, et que ces entretiens soient retardés dans les cas où, malheureusement cela demeure dans le texte, la garde à vue peut être prolongée jusqu'à six jours, ce qui me paraît tout à fait contraire, je dois le dire, aux pactes internationaux et à la Constitution, qui interdit toute autre rigueur que celle qui est nécessaire pour s'assurer de la personne.
En défendant l'amendement n° 190, j'ai également défendu l'amendement n° 191. Mais je propose dans ce dernier, à supposer que je n'aie pu convaincre le Sénat que tout le monde doit être traité de la même manière, que l'entretien ne puisse avoir lieu qu'après la trente-sixième heure dans un cas et la soixante-douzième heure dans l'autre.
M. le président. La parole est à M. Bonnet, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Christian Bonnet. Cet amendement vise à supprimer le deuxième alinéa de l'article 2.
Il ne faudrait pas que nos débats soient interprétés comme un signal de défiance à l'égard des juges d'instruction, des officiers de police judiciaire, des agents de la sécurité publique, policiers et gendarmes, déjà confrontés à une ambiance générale de tolérance. C'est ce que disait, hier, notre excellent collègue M. Fauchon, qui est un puits de culture, ce qui lui a permis de rappeler à notre excellent collègue M. Dreyfus-Schmidt que Goethe n'avait pas dit ce que lui avait cru comprendre.
Quoi qu'il en soit, après avoir voté comme nous tous - et je m'en félicite - un amendement relatif aux conditions de la garde à vue, qui sont un objet de préoccupation pour chacun d'entre vous, je me suis efforcé de démontrer hier que, non seulement la mise en pratique de cet amendement est tenue pour problématique par nombre d'avocats, que la présence de l'avocat à la première heure de la garde à vue n'est pas nécessaire sur le plan des principes - la convention européenne des droits de l'homme en son article 6 n'y fait aucune allusion, pas plus que les arrêts de la cour de Strasbourg mais surtout qu'il ne s'agit pas d'une mesure opportune au regard de la manifestation de la vérité.
Le risque inhérent à l'adoption de l'article 2 en l'état est double : il y a celui de la démotivation des enquêteurs - et ce n'est pas un fantasme -, il y a aussi celui de heurter une opinion de plus en plus inquiète devant la multiplication des actes de violence et de vandalisme.
M. Haenel a souligné ces risques, hier, dans son intervention, faisant allusion, si ma mémoire est bonne, aux juges d'instruction, aux policiers et aux gendarmes, qu'il n'oublie jamais, ce à quoi M. le ministre de la défense est certainement très sensible.
Notre excellent collègue M. Peyrat, pour sa part, a tenu des propos qui, au risque de heurter un peu notre collègue M. Dreyfus-Schmidt, me conviennent parfaitement.
M. Jacques Peyrat. Vous voyez, je ne suis pas seul de mon opinion !
M. Christian Bonnet. Mon sentiment est qu'il est dangereux, au moment même où la presse fait état d'un doublement de la violence urbaine en deux ans, d'affaiblir les défenses immunitaires de la société de quelque manière que ce soit et, peu soucieux de me situer dans le vent, indifférent à l'air du temps, je souhaite que le Sénat, sensible à la motivation que je viens d'indiquer, accepte de me suivre pour supprimer le deuxième alinéa de l'article 2.
M. le président. La parole est à M. Haenel, pour défendre l'amendement n° 265 rectifié.
M. Hubert Haenel. Comme le rappelaient un certain nombre de mes collègues, le troisième personnage apparu assez récemment dans la garde à vue, c'est l'avocat. Ce serait - c'est vrai - un combat d'arrière-garde que de remettre en cause sa présence, mais l'avocat ne peut, me semble-t-il, être le conseil de la personne mise en garde à vue.
Quelle est donc la nature de sa mission quand il intervient dans la garde à vue ?
Il n'est pas dans l'enquête ; il aura la possibilité de s'entretenir une demi-heure en tête-à-tête non pas avec son client, mais avec la « personne assistée ». Cela fait déjà deux fois une demi-heure.
On propose de le faire venir dès la première heure, sans pour autant - M. le rapporteur a tenu à le souligner - modifier la nature de la garde à vue, donc de l'enquête préliminaire. Il s'agit non pas d'un début d'instruction, mais de l'enquête préliminaire.
D'abord, qui peut dire avec certitude dès la première heure qu'une enquête qui commence ne va pas déboucher sur une affaire de terrorisme ou de trafic ? On peut arrêter quelqu'un et, au bout de quatre ou cinq heures, se rendre compte que l'affaire n'est pas simple. Or, pendant la première heure de garde à vue, un avocat peut nuire considérablement - j'ai essayé de vous le démontrer - au déroulement d'une enquête. C'est bien regrettable.
Ensuite, mes chers collègues, n'est-ce pas introduire un système de garantie à deux vitesses : l'une pour les initiés, les chevronnés, les délinquants de métier qui auront leur avocat ou un groupe d'avocats facile à alerter, à qui il suffira de sortir un carton de leur poche : « Appelez maître Untel ou maître Untel ! », et l'autre pour les petits, les modestes, les plus fragiles, ceux qui en fait auraient peut-être le plus besoin d'un avocat.
Quelles garanties du respect de la loi et des règles déontologiques ces avocats prédésignés par les délinquants offriront-ils ? Il suffit - le cas m'a été rapporté - qu'un avocat peu scrupuleux - il en existe malheureusement, convenons-en - prête son portable pendant la demi-heure, avertisse telle personne appartenant à une bande organisée qui saura ce qu'elle doit faire, pour faire disparaître les preuves de l'infraction.
Qui peut affirmer, par exemple, que les 14 000 avocats parisiens sont effectivement contrôlés par le bâtonnier ou le procureur de la République de Paris ? Osons le dire, il s'agit d'un véritable problème.
Ne vaudrait-il pas mieux, comme je le propose par voie d'amendement, que l'avocat intervenant dans la garde à vue soit l'avocat de service, l'avocat de garde, désigné selon un tour fixé par le bâtonnier, cet avocat ne pouvant en aucun cas devenir, dans le procès qui suivra, conseil de la personne qu'il a assistée.
Je pense qu'une telle mesure contribuerait à lever des doutes, à mettre fin à l'ambiguïté qui pèse sur la nature de la présence de l'avocat dans la garde à vue.
Par ailleurs, monsieur le ministre, la Chancellerie ne s'est pas dotée de moyens informatiques.
Quand je pose la question : « Combien de fois des avocats ont été sollicités, sont venus au cours de la vingt et unième heure de la garde à vue ? », personne, aujourd'hui, n'est en mesure de me répondre !
Il est tout de même regrettable que nous ne disposions pas des moyens informatiques permettant d'établir une telle statistique ! Comment admettre que chaque parquet n'ait pas la possibilité d'indiquer le nombre d'avocats qui ont été sollicités à la vingt et unième heure et la proportion de ceux qui ont répondu à cette sollicitation ?
Enfin, à mon grand regret, le contrôle des juridictions, pour vérifier a posteriori si les conditions de la garde à vue étaient réunies quand celle-ci a été décidée, est réduit à sa plus simple expression.
La Cour de cassation s'interdit quasiment d'avoir un droit de regard sur ce point, et c'est bien regrettable. S'il y a un combat à mener, c'est peut-être celui-ci.
Je voudrais en outre poser une question de droit à la Chancellerie. Si le procureur de la République peut refuser la prolongation d'une garde à vue au-delà de vingt-quatre heures, est-il aussi clair qu'il ait le pouvoir d'y mettre fin de sa propre autorité au cours des premières vingt-quatre heures ? Si l'avocat soutient auprès du procureur que la garde à vue ne se justifie pas et réussit à le convaincre, celui-ci peut-il décider qu'il y met fin ? Dans les textes, cela n'apparaît pas clairement.
Par ailleurs, l'estimation qui a été réalisée par la Chancellerie et qui chiffre à 54,5 millions de francs le coût de la présence de l'avocat au cours de la première heure me paraît en deçà de la réalité. En effet, compte tenu d'un nombre annuel de 380 000 gardes à vue, à suivre la logique de Mme le garde des sceaux, c'est-à-dire à permettre à toute personne placée en garde à vue de demander l'assistance d'un avocat sans qu'il lui en coûte rien, ce sont 152 millions de francs qui devront être consacrés à la mise en oeuvre de cette mesure dans le budget de la justice.
M. le président. La parole est à M. Hyest, pour présenter l'amendement n° 84.
M. Jean-Jacques Hyest. Lorsque nous avons débattu de la loi du 4 janvier 1993, nous avons eu à peu près la même discussion sur la présence de l'avocat au cours de la garde à vue. Certains y étaient violemment opposés, considérant que cette présence de l'avocat allait complètement détruire tout ce qui faisait la valeur de la garde à vue.
Un certain nombre d'arguments peuvent effectivement nous ébranler. Ainsi, M. Haenel explique que des avocats peuvent se montrer insuffisamment sourcilleux quant à l'application qu'ils font des règles déontologiques de leur profession. Cela étant, les avocats prêtent serment, et ce qui est vrai pour eux peut l'être aussi pour les policiers, pour les juges,...
M. Hubert Haenel. Pour tout le monde !
M. Jean-Jacques Hyest. ... pour tout le monde, en effet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Je crois, dès lors, qu'il ne faut pas pousser trop loin ce raisonnement.
Par ailleurs, on a dit qu'il y avait beaucoup de gardes à vue. C'est vrai, mais certaines durent très peu de temps parce qu'il s'agit de flagrants délits. Dès lors, les intéressés sont très vite déférés devant le procureur. En fait, la plupart du temps, pour les infractions que je qualifierai d'ordinaires, la garde à vue est de courte durée. Il conviendrait donc d'affiner les statistiques en tenant compte de la durée de la garde à vue pour avoir une vision exacte des choses.
Je me suis beaucoup interrogé, comme tout le monde, sur la première heure. Je pense que c'est une mesure de sagesse qui permet à chacun de connaître mieux ses droits. Je voulais même qu'on les lui indique par écrit, mais on m'a dit que ce n'était pas indispensable.
Quoi qu'il en soit, après, on passe à la vingtième heure ! Cela me paraît tout de même un peu curieux.
Je suis quelque peu étonné que l'on mette tant d'énergie à faire en sorte que la procédure d'instruction soit plus contradictoire, plus lisible, que les droits de chacun soient scrupuleusement respectés, toutes choses sans doute indispensables, mais qu'on ne se montre pas aussi pointilleux quand il s'agit du moment où quelqu'un se trouve pris dans la machine judiciaire, et cela, bien souvent, sans comprendre ce qui lui arrive.
Hélas ! je connais des cas dans lesquels la manière dont des gens ont été arrêtés et la manière dont leur garde à vue s'est déroulée ne sont en rien conformes aux droits de l'homme. Cela existe encore ! Je pourrais, à cet égard, citer deux ou trois exemples absolument scandaleux. Bien sûr, ce n'est pas une généralité, mais cela révèle un certain état d'esprit.
Il me semble que, d'une certaine façon, on en reste à l'idée selon laquelle, en matière judiciaire, la seule véritable preuve, c'est l'aveu. Qu'il s'agisse de la garde à vue ou de l'instruction, c'est encore cette idée qui domine. Or, tout le monde le sait, dans les affaires complexes, c'est l'accumulation des preuves, notamment grâce aux moyens actuels de la police scientifique, qui permet de confondre véritablement les coupables, et non pas cette procédure tendue vers l'obtention de l'aveu, procédure que certains ont qualifiée de moyenâgeuse et que, pour ma part, je préfère appeler une procédure barbare, car le Moyen Age, contrairement à ce que l'on croit souvent, ne connaissait pas de telles pratiques.
En ce qui me concerne, j'estime qu'il faut faire confiance aux officiers de police judiciaire, qui sont de mieux en mieux formés et qui, pour la plupart, sont strictement respectueux des droits.
J'ajoute que j'ai toujours été choqué de lire dans la presse que telle ou telle personne a été placée en garde à vue et qu'il est envisagé de la déférer au parquet. N'y a-t-il pas, là encore, le reflet d'une certaine idée de la procédure pénale ? La garde à vue n'est-elle pas, en fait, considérée comme le début de la procédure pénale ? Il y a là quelque chose qui me semble très inquiétant.
M. Hubert Haenel. Je suis d'accord avec vous !
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour présenter l'amendement n° 192.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Là encore, sans concertation, nous nous retrouvons sur le même raisonnement.
Cet amendement n° 192 est un amendement de repli par rapport à l'amendement n° 191, qui était lui-même un amendement de repli par rapport à l'amendement n° 190.
Actuellement, la présence d'un avocat est autorisée dès la vingtième heure dans les cas simples, après la trente-sixième heure dans les cas graves et à partir de la soixante-douzième heure, dans les cas considérés comme plus graves encore, ou plus complexes, en matière de drogue, par exemple.
J'indique d'ailleurs au passage que, dans les affaires de drogue, quelqu'un peut être retenu six jours, avec possibilité de voir un avocat au bout de la soixante-douzième heure, pour une simple détention. C'est ainsi ! C'est l'état actuel du droit.
Nous proposons, nous, avec l'amendement n° 190, que l'avocat puisse être présent quand il le veut, éventuellement tout au long de la garde à vue, et cela dans tous les cas. Nous prévoyons, en outre, un entretien d'une demi-heure avec l'avocat, dès le début dans les cas « habituels », après la vingtième heure dans les cas « graves » et, après la vingt-cinquième heure dans les cas plus graves encore.
Aux termes de l'amendement n° 191, contraints et forcés, nous accepterions de conserver les trente-six heures et soixante-douze heures actuelles pour les cas « graves ».
Enfin, l'amendement n° 192 vise à instituer, dans les cas « habituels », un entretien dès le début, un autre à la dixième heure et un autre à la vingtième heure.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 190, 191, 2, 265 rectifié, 84 et 192 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je souhaiterais d'abord, monsieur le président, me livrer à une explication générale sur le problème qui est ici posé et qui a, bien entendu, longuement occupé la commission.
Nous étions en face de voix très éminentes, qui exprimaient des opinions extrêmement diverses.
Le problème de l'intervention de l'avocat lors de la garde à vue peut être envisagé sous deux angles : celui de l'heure et celui du contenu.
S'agissant de l'heure, ce peut être à tout moment, au début, après dix heures, après vingt heures, après soixante-douze heures. La palette est vaste !
En ce qui concerne le contenu, la question est plus complexe.
Lorsque la loi de 1897 est entrée en vigueur - M. Dreyfus-Schmidt y a fait allusion - l'avocat a été autorisé à être présent à l'instruction. C'est d'ailleurs ce précédent qui a fait naître le concept de garde à vue sous sa forme moderne, celle que nous connaissons à l'heure actuelle. En effet, autrefois la garde à vue ne figurait pas en tant que telle dans les codes. C'était uniquement la possibilité donnée au gendarme de commencer à interroger l'intéressé avant de le remettre à un juge, celui-ci faisant fonction de juge de la liberté. A l'époque, quand on était entre les mains du juge, c'était un soulagement par rapport à ce qui pouvait arriver avant !
M. Pierre Fauchon. Cela reste vrai ! (Sourires.)
M. Charles Jolibois, rapporteur. La question - et elle est très importante - est de savoir si la garde à vue, du point de vue du contenu, doit se transformer en une sorte de « préinstruction », dans laquelle l'avocat interviendra, y jouant le même rôle que dans le cabinet du juge d'instruction, et ce à tout moment, avec une connaissance du dossier. C'est cela qui est effectivement totalement nouveau.
La commission des lois a très bien compris qu'elle était en présence d'une sorte de curseur naviguant entre deux idées : d'un côté, c'est l' habeas corpus c'est-à-dire l'idée selon laquelle un homme qui est arrêté a au moins le droit d'avoir un contact avec son avocat ; de l'autre côté, c'est l'idée selon laquelle la société doit, avant tout, en tant que telle, être protégée, et cette « défense immunitaire » veut que cet homme porteur de robe ne vienne pas au début de la garde à vue. Les tenants de cette idée expliquent qu'il y a 14 000 avocats, et que, parmi ceux-ci, il s'en trouve nécessairement certains qui...
On en arrive à un amendement assez extraordinaire, aux termes duquel l'avocat serait non plus choisi mais commis d'office ! Là, le curseur est vraiment poussé à une extrémité puisque le serment de l'avocat ne compte plus, pas plus que la déontologie de l'avocat ou la conception de l'avocat comme auxiliaire de justice.
Mais, en poussant le curseur à l'autre extrémité, on en arrive aussi à un dispositif qui revient à démolir tout notre système.
La commission des lois, confrontée à cette situation, a pris une position modérée, moyennne, reconnaissant le caractère raisonnable de la solution retenue par l'Assemblée nationale : présence de l'avocat dès le début, après vingt heures, puis après trente-six heures, ce dispositif étant assorti d'exceptions relatives aux crimes graves.
La position de la commission des lois consiste à ne pas toucher au contenu de la mission de l'avocat, et j'attire votre attention sur le danger qu'il y aurait à le faire. Au début d'une garde à vue, il y a des bribes d'indices. Si l'on dit qu'on peut les connaître et en parler, bien sûr, cela change tout ! Aller dans ce sens, ce serait complètement dénaturer la notion de garde à vue et d'enquête préliminaire !
Mais il n'y a pas que cela ! Il faut se souvenir de tous ceux qui disent - et je les comprends - que, certes, l'avocat va venir, mais il n'a pas connaissance du dossier. Cette mesure a une espèce de contenu humanitaire.
Même si, ici, des avocats ont dit que l'on devait refuser ce contenu humanitaire, afin de conserver ce que l'on a appelé la « défense immunitaire de la société », pour ma part, je ne peux pas considérer que le contenu humanitaire n'est pas d'une très grande importance. (M. Haenel fait un signe d'approbation.) Lorsque l'homme qui est arrêté arrive dans un commissariat de police, son premier geste est de demander la présence d'un avocat.
Un problème existe, je le sais : seules 60 % des demandes peuvent être satisfaites.
M. Hubert Haenel. Et voilà !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Mais cela ne m'empêchera pas de vous dire que le système doit être amélioré.
M. Hubert Haenel. Il faut un avocat de permanence !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Un souci de déontologie doit conduire les avocats à se souvenir de l'immense confiance que leur accorde ainsi la société.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Il faut rappeler avec constance que l'avocat assure, certes, la défense de quelqu'un, mais qu'il est aussi un auxiliaire de la justice.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Bravo !
M. Pierre Fauchon. C'est beau à entendre !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je vous demande donc, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, de maintenir le texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale à cet égard.
J'ai eu l'occasion à cette même place, voilà cinq ou six ans, alors que je remplaçais un collègue pour la présentation d'un rapport, de défendre le fait que l'avocat ne devait pas être présent au début de la garde à vue. C'est vous dire que je comprends tout à fait qu'un amendement soit déposé aujourd'hui sur ce sujet.
Toutefois, j'ai été très impressionné par les auditions auxquelles j'ai procédé de personnes issues de milieux proches de la police : nous devons reconnaître, nous ont-ils dit - avocats, magistrats, policiers - que le fait de faire venir l'avocat à la vingtième heure de la garde à vue a changé le climat de la garde à vue.
M. Maurice Ulrich. C'est vrai !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Le fait de prévoir la venue de l'avocat à la vingtième heure permet souvent de libérer un prévenu à la seizième heure, afin d'éviter cette venue de l'avocat.
La position de la commission est modérée et sage. J'espère que le Sénat la suivra. (M. Badinter applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 190, 191, 2, 265 rectifié, 84 et 192 ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. En raison du règlement et des us et coutumes du Sénat, ces amendements font l'objet d'une discussion commune, mais, en réalité, ils sont de nature différente. Je me prononcerai donc de façon dissociée sur chacun d'entre eux.
L'amendement n° 2 présenté par M. Bonnet rejoint l'intervention liminaire de M. Peyrat et remet en cause le principe de l'article 2.
Nous sommes là dans la prolongation de la discussion générale, puisque cet article est évidement l'un des points forts du projet de loi. Il répond à un engagement politique que le Gouvernement assume et qui a été approuvé par la majorité de l'Assemblée nationale, même si, en l'occurrence, il y a des jonctions entre des familles d'esprit diverses.
Les arguments qui ont été rappelés tout à l'heure par M. Badinter quant aux motivations de fond de cette nouvelle règle s'imposent ; en tout cas, le Gouvernement les retient entièrement.
S'il est exact que la Convention européenne des droits de l'homme ne prescrit pas expressément cette intervention de l'avocat, il faut constater qu'elle existe chez la quasi-totalité de nos partenaires européens, sans que l'on puisse affirmer que cela ait gravement invalidé l'efficacité de leur lutte contre le crime et la délinquance.
Plusieurs témoignages, en dernier lieu celui de M. le rapporteur, soulignent qu'un équilibre s'établit et que les méthodes de garde à vue et de recherche des moyens d'établir la vérité évoluent avec ces règles de protection, mais n'affaiblissent pas la capacité de la société à maintenir la sécurité.
Ensuite, les amendements en cascade de M. Dreyfus-Schmidt renvoient à une question dont M. le rapporteur a fait une très bonne synthèse. En réalité, on est là en train de changer de système : la garde à vue devient ainsi une préinstruction et elle se trouve judiciarisée.
L'avocat n'est plus simplement un soutien et un dispensateur de conseils en début de garde à vue et lors d'autres phases de celles-ci ; il devient un conseil en procédure judiciaire, alors que ses interlocuteurs ne sont pas des juges.
Je tiens à souligner que les principes dont traite ce projet de loi ne sont pas seulement la production d'une formation politique qui aurait décidé de définir in abstracto un programme de législature ; c'est le produit de tout un travail de réflexions, d'ailleurs contradictoire, mené par l'ensemble des partenaires de la communauté judiciaire. Il nous semble, dans la synthèse réalisée, que la spécificité de la garde à vue, à savoir son caractère non judiciaire, doit être maintenue. La procédure accusatoire qui est pratiquée dans d'autres pays présente des avantages et des inconvénients, mais nous sommes très nombreux, en France, me semble-t-il, à vouloir conserver l'originalité de notre système procédural.
De même, s'agissant des amendements n°s 190 et 191 présentés par M. Dreyfus-Schmidt, la question d'un abrègement des délais prévus pour l'entretien avec l'avocat dans les affaires de terrorisme, de trafic de stupéfiants et de criminalité organisée évoque, de façon tout à fait marquante, le problème de la défense de la société.
Nous savons bien que l'avocat est une abstraction. Mais, dans les affaires de terrorisme, de trafic de stupéfiants et de criminalité organisée, la substance même de l'infraction qui fait l'objet de l'enquête fait présumer que l'on a, en face des enquêteurs, un réseau et que, dans ce réseau, peuvent figurer des avocats. Telle est la raison d'une telle distinction.
M. Hubert Haenel. Oui, c'est la raison !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et la présomption d'innocence !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Cette différenciation des règles de procédure existe depuis toujours, et dans beaucoup d'autres pays aussi attachés que le nôtre aux libertés individuelles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les policiers, il n'y en a pas ? Et les magistrats ? C'est incroyable !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Essayons de garder notre sérénité dans ce débat, monsieur Dreyfus-Schmidt !
Dans ces affaires qui, par leur nature, font présumer, je le répète, l'existence d'un réseau, les modalités de déroulement de l'enquête doivent être différentes. Le Gouvernement ne peut donc pas vous suivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Combien d'avocats ont été condamnés depuis trente ans pour de tels faits ?
M. Jacques Peyrat. Laissez parler votre ministre !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Par conséquent, le Gouvernement est défavorable aux amendements n°s 190 et 191.
L'amendement n° 84 de M. Hyest suscite les mêmes objections. Il donne à l'avocat, pendant le déroulement de la procédure, une mission différente de celle qui est aujourd'hui la sienne dans le projet de loi, et il fait glisser notre système vers une procédure accusatoire. La thèse se défend - elle a sa cohérence - mais elle ne correspond ni à la volonté du Gouvernement ni à l'opinion majoritaire de notre communauté judiciaire.
Le Gouvernement ne souhaite donc pas que, sur la base d'un simple amendement, nous changions la logique du système.
S'agissant de l'amendement n° 265 rectifié, tout en reconnaissant la validité de certains des arguments pratiques avancés par M. Haenel, le Gouvernement ne croit pas que, dans le contexte français, la dissociation de la situation de l'avocat lors de la garde à vue par rapport à ce qui se passe ensuite pendant la procédure judiciaire doive aller jusqu'à un refus du choix de l'avocat pour la personne gardée à vue. Cela heurterait des traditions, qui sont en même temps des garanties pour les libertés publiques en France, fondamentales pour les barreaux.
Il convient donc de bien préciser que, à tout moment, le procureur de la République peut mettre fin à la garde à vue. Cela fait partie de nos règles.
Je ne crois pas que la disposition proposée représenterait une garantie fondamentale supplémentaire pour le cas où une personne ne trouverait pas instantanément d'avocat. En effet, même si elle ne trouve pas d'avocat pour la première heure de garde à vue, l'avocat qui se présentera au bout de six, huit ou dix heures pourra, naturellement, procéder à la visite.
La garantie fondamentale qu'est le droit à un entretien avec un avocat est donc maintenue, même si aucun avocat n'est immédiatement disponible.
Un tel dispositif représenterait une suspicion à l'égard de la profession des avocats et une mise en cause de leur déontologie. Le Gouvernement n'est donc pas favorable non plus à cet amendement n° 265 rectifié.
Par ailleurs, il est également défavorable à l'amendement n° 192.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 190.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, si vous me le permettez, j'interviendrai sur l'ensemble des amendements en discussion commune, afin de ne pas avoir à reprendre la parole.
Un grand nombre des membres de notre groupe se ralliera à la proposition de la commission des lois, que nous avons d'ailleurs votée. Il est vrai que nous assistons à un changement : l'avocat sera désormais présent dès la première heure de la garde à vue et non plus à la vingtième heure. Mais le système actuel est maintenu. Nous n'adoptons pas le système contradictoire à l'anglo-saxonne, dans lequel M. Dreyfus-Schmidt voudrait nous pousser.
Comme cela a été indiqué tout à l'heure s'agissant d'un amendement de M. Bonnet, nous ne pouvons pas nous engager dans une direction qui modifierait complètement notre système de l'instruction. Par conséquent, l'avocat présent dès la première heure de la garde à vue, pourra remonter le moral ou donner des conseils...
M. Christian Bonnet. Quels conseils ?
M. Patrice Gélard. Attention, là encore, il ne faut pas suspecter une profession dès le départ ! Il importe de se mettre non pas à la place du délinquant professionnel, pour lequel nous avons pris des précautions, puisque nous avons renvoyé la présence de l'avocat à la trente-sixième ou à la soixante-douzième heure, mais à la place de celui qui se trouve pour la première fois dans un commissariat. Nous devons en tenir compte : il est « paumé » si vous me permettez d'employer cette expression. Il peut également s'agir d'un maire ou d'un fonctionnaire mis en examen et qui ont besoin de ce soutien moral de l'avocat dès la première heure.
C'est la raison pour laquelle les propositions de la commission des lois exposées par notre excellent rapporteur nous paraissent sages et mesurées.
Par ailleurs, j'ai été sensible aux arguments de notre collègue Hubert Haenel, mais je ne peux pas m'y rallier.
Tout d'abord, son amendement est contraire à la Constitution en ce qui concerne le libre choix de l'avocat par la victime.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Hubert Haenel. Mais non !
M. Patrice Gélard. Mais si ! A partir du moment où l'avocat ne pourra pas être choisi par la personne qui est placée en garde à vue, nous portons atteinte au libre choix, par ladite personne, de son avocat !
Peut-être le texte n'est-il pas suffisamment précis. Sans doute aurait-il fallu indiquer -mais cela ne relève-t-il pas de règles déontologiques ? - que l'avocat qui viendra voir celui qui est mis en garde à vue ne devra pas prêter son téléphone portable, ne devra pas noter des numéros de téléphone de personnes à contacter, etc.
M. Jacques Peyrat. Non, non !
M. Patrice Gélard. Des problèmes déontologiques se posent mais, à l'évidence, il ne nous appartient pas de les résoudre ici.
Pour connaître la situation de mon tribunal, où les avocats ont magnifiquement organisé le système de la présence de l'avocat auprès de la personne placée en garde à vue dès la vingtième heure, je peux vous indiquer que cela fonctionne parfaitement.
L'avocat va voir la personne qui est gardée à vue, lui donne quelques conseils. Aucune dérive ne se produit, car aucun conseil de nature criminelle n'est donné.
La formule dans laquelle nous nous engageons est la bonne. Je souhaite, comme je l'ai dit précédemment, que nous procédions à un bilan de cette opération d'ici à deux ans pour voir comment les choses auront évolué, notamment en ce qui concerne la clarification des affaires pénales. Il faut dresser un bilan en la matière et voir comment le système fonctionne, mais il ne faut pas aller au-delà des propositions de la commission des lois. Restons-en, s'agissant de l'article 2, au texte adopté par l'Assemblée nationale et par la commission des lois.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Nous sommes passés insensiblement, grâce à l'intervention de notre collègue M. Gélard, d'une discussion portant sur l'amendement n° 190 à l'ensemble des amendements relatifs à la garde à vue. Je n'étais pas intervenu parce que M. Dreyfus-Schmidt s'était admirablement expliqué. En revanche, je souhaitais intervenir contre les amendements n°s 2 et...
M. le président. Nous y viendrons tout à l'heure, monsieur Badinter. Certes, M. Gélard a précisé qu'il expliquait son vote sur l'ensemble des amendements portant sur l'article 2, mais pour le moment, nous en sommes à l'amendement n° 190.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si l'on estime qu'il y a parmi les avocats des membres de réseaux, il faut leur interdire d'exercer.
M. Pierre Fauchon. Il ne suffit pas de leur interdire d'exercer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut les condamner lourdement et les empêcher de voir leur client à tout moment, y compris lorsqu'il est en prison, parce que, au bout des soixante-douze heures, l'intéressé, même innocent, sera placé en prison. Et s'il est coupable, son avocat, avec lequel il aura le droit dès ce moment de correspondre, pourra lui prêter son téléphone portable ou lui donner un couteau. Je vous demande, à vous, monsieur le ministre, et à certains de nos collègues, si, depuis trente ans, vous connaissez un avocat qui ait été condamné en France pour avoir fait partie d'un réseau de terrorisme ou de trafic de drogue. (M. Pierre Fauchon s'exclame.) Laissez-moi poursuivre !
J'ai dit, comme M. Gélard, que l'on n'a pas le droit de faire le procès d'une profession, de personnes qui sont des auxiliaires de justice, qui ont parfaitement conscience de leurs responsabilités et qui sont dignes de la confiance que nous souhaitons leur voir accordée.
M. Michel Charasse. C'est la déclaration de Mme Joly !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Michel Charasse. Alors, il faut la condamner !
M. Louis de Broissia. Intéressant débat !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Encore faudrait-il que Mme le garde des sceaux saisisse le Conseil supérieur de la magistrature, ou que vous adoptiez tout à l'heure notre amendement tendant à ce que n'importe quel citoyen puisse saisir ledit conseil.
En attendant, nous vous demandons de prévoir qu'un avocat puisse assister à la garde à vue, parce qu'il est, comme l'a très bien dit et écrit M. Hyest, un témoin garant de son déroulement correct, et de manière à améliorer encore, comme l'a indiqué M. le rapporteur, les relations entre magistrats, policiers et avocats. Par ailleurs, nous souhaitons un entretien et un seul, d'une demi-heure, à tout moment si nous avons affaire à un délinquant ordinaire, ou retardé à l'heure de votre choix dans les cas graves, puisque telle est votre philosophie, qui n'est pas la mienne.
Voilà pourquoi je vous demande d'adopter cet amendement n° 190.
M. Pierre Fauchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon Je voudrais brièvement expliquer pourquoi, moi qui connais la profession d'avocat, je ne souscris pas aux propos de notre collègue M. Dreyfus-Schmidt.
L'ensemble des avocats respectent bien sûr la déontologie de leur profession, mais n'ayons pas une vue théorique et idyllique de la réalité. La profession d'avocat, comme toute profession ou corporation, comporte nécessairement des exceptions. Les avocats ne sont pas de purs esprits. (Sourires.)
Par ailleurs, ces exceptions, ce ne sont pas forcément des complices au sens littéral du terme ni des individus qui font partie des réseaux de délinquance. Mais ils peuvent, par sympathie, être entraînés...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les policiers ?
M. Pierre Fauchon. ... à faire des choses qu'ils n'ont pas le droit de faire.
Permettez-moi de rappeler un souvenir personnel se rattachant à l'époque de l'OAS. J'avais un client qui était recherché par la police. Il m'a téléphoné un jour alors qu'il se trouvait quelque part dans Paris pour me demander de venir le voir à tel endroit. Je lui ai répondu : « Je ne peux pas venir vous voir à cet endroit-là. »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'aviez pas le droit de le faire !
M. Pierre Fauchon. Effectivement !
J'ai ajouté : « Venez à mon cabinet. Je ne suis pas à votre disposition. » Il m'a dit qu'il allait réfléchir et je n'en ai plus jamais entendu parler. Il a trouvé quelqu'un qui est venu le voir à cet endroit, et qui était évidemment un autre avocat, et j'ai perdu un client, qui était d'ailleurs un très bon client. (Sourires.)
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. En l'occurrence, je souhaiterais tout de même que l'on fasse preuve d'un peu de réalisme. Aujourd'hui, on peut, et c'est heureux, se poser des questions sur l'impartialité, la légitimité et la responsabilité des policiers, des gendarmes et des magistrats. Pourquoi ne pourrions-nous pas nous demander si les règles de déontologie sont toujours respectées par certains avocats ?
M. Jacques Peyrat. Absolument !
M. Hubert Haenel. Je ne comprends pas pourquoi la profession d'avocat serait en quelque sorte sanctuarisée, alors que tous ceux qui participent aujourd'hui aux diverses procédures ont droit de dire : Etes-vous légitime et, si oui, à quel titre ? Etes-vous impartial ? Respectez-vous les règles de déontologie ? Etes-vous responsable ?
Aujourd'hui, dans notre société, chacun doit vérifier sa légitimité, rappeler ses règles de déontologie et vérifier qu'elles sont respectées : donc, il est responsable. Les avocats le sont, au même titre que les magistrats, les policiers ou les gendarmes. Un point c'est tout !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors, enlevez les policiers de la garde à vue !
M. Jacques Peyrat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Je souhaite vous répondre, monsieur Dreyfus-Schmidt. C'est bien de défendre les avocats. Je partage bien sûr ce sentiment. Est-il besoin de le dire ? Mais je vous ai entendu à plusieurs reprises flétrir les policiers. Je vous le dis très clairement devant la Haute Assemblée : cette façon de tenir en suspicion les policiers ou les gendarmes, c'est une honte ! Si le corps de police se démobilise à la suite d'assertions comme les vôtres, ce ne sera pas surprenant ! Vous défendez les avocats, c'est votre droit. Eh bien, moi, avocat, je défends et la police et la gendarmerie nationale ! (Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 190, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 191.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais dire que je n'ai absolument pas, à aucun moment, mis en cause les policiers.
M. Jacques Peyrat. Si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous mettez en cause des avocats et vous voulez donc, parce qu'il y a des avocats qui pourraient être mis en cause, leur interdire d'assister à la garde à vue,...
M. Jacques Peyrat. Mais non !
M. Hubert Haenel. Absolument pas ! Personne n'a dit cela !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... tout au long de cette dernière, à quelque moment que ce soit, et même pour certains interdire qu'il puisse y avoir un entretien.
M. Jacques Peyrat. Pour certains, l'avocat intervient à la vingtième heure, de jour comme de nuit. Cela m'arrive, et même pour pas un rond !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai le droit de dire qu'on pourrait aussi soupçonner certains policiers de faire partie d'un réseau.
M. Jacques Peyrat. Soupçonnez qui vous voulez !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'agissant de ce plaidoyer pour les policiers auquel vous vous livrez, permettez-moi de vous dire que je retrouve là très exactement les propos que vous teniez quand vous apparteniez au Front national !
M. Jacques Peyrat. Je sais bien que votre rancune vient de là, mais elle m'est indifférente, totalement indifférente !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous montrez là votre vraie nature !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 191, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. S'agissant de la présence de l'avocat lors de la première heure de la garde à vue, quasiment tout a été dit.
Je rappellerai simplement que dans tous les arguments qui ont été invoqués contre cette présence, ceux qui connaissent l'histoire de notre justice retrouveront les arguments qui avaient été avancés en 1897 pour interdire la présence de l'avocat chez le juge d'instruction.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est évident !
M. Robert Badinter. M. le rapporteur l'a rappelé tout à l'heure, mais nous le savons tous. Le discours était rigoureusement identique : il y aurait des avocats félons ; il y aurait des avocats qui trahiraient le secret professionnel ; il y aurait des avocats indicateurs ; il y aurait... Bref, la panoplie était complète. Qui songerait, ne serait-ce qu'un instant, à revenir sur la loi de 1897 ? Il en est de même en ce qui concerne la présence de l'avocat lors de la garde à vue. Les arguments que certains ont invoqués tout à l'heure avaient déjà été avancés en 1993. Je n'étais pas là, mais je les lisais du haut du Palais-Royal, dans le silence du Conseil. Je me disais que, décidément, rien ne changeait en ce qui concerne la panoplie de l'argumentaire de ceux qui s'opposent à la présence de l'avocat.
Vous vouliez un bilan, nous l'avons ! Je trouve sage, en effet, de s'interroger toujours sur l'effectivité d'une mesure nouvelle. Tout à l'heure, notre collègue M. Jolibois l'a rappelé, en disant qu'il avait entendu les représentants des magistrats, des policiers et des avocats. Il a rappelé, en particulier, que les représentants des policiers ont déclaré que l'atmosphère s'en était trouvée singulièrement améliorée.
On reprend maintenant l'argument à propos de la présence de l'avocat au début de la garde à vue. Or, ce sera la même chose. Il vient là pour une demi-heure et - cela a été fort bien rappelé - au moment où l'angoisse, l'inquiétude, le trouble, disons-le, est à son maximum.
Cette mission de défense revêt plus un caractère de défense humanitaire que de défense professionnelle. En effet, dans un laps de temps aussi bref, je ne crois pas que l'on puisse faire quoi que ce soit d'utile, sauf à rappeler à celui qui est là qu'il existe des droits de la défense, de lui en livrer le contenu et de lui donner ainsi le sentiment qu'il n'entre pas dans cette très longue période que nombre d'entre vous ont certainement eu l'occasion de connaître à travers le récit de ceux qui l'ont vécue.
Alors, je dis : il faut le faire. Selon moi, cela n'appelle même pas une discussion. Certes, et je le dis clairement, il y aura des défaillances parmi les avocats, comme dans tous les corps, même, paraît-il, chez les cardinaux ; mais à cet égard je n'ai pas d'information précise car cela relève du Vatican où le secret est toujours bien gardé. (M. Charasse s'exclame.)
Je dis simplement que, à cet égard, il existe des possibilités de poursuites pénales - certaines ont été exercées ; j'ai des souvenirs précis sur ce point - et des possibilités de sanctions disciplinaires, qui devront être exercées et qui le seront, je le pense, fermement. Ce sera pour les avocats, je tiens à le dire, une charge beaucoup plus qu'un avantage.
M. Jacques Peyrat. Oh ! la la !
M. Robert Badinter. Cela pèsera sur la profession, notamment sur les avocats les plus jeunes car ce sont certainement eux - je devance là ce que je dirai tout à l'heure à propos de votre amendement, monsieur Haenel - qui, en définitive, assumeront la plus lourde part de cette nouvelle mission, qui revêtira pour eux un caractère parfois de dure obligation. Ils le feront avec des rémunérations - je me garderai d'insister sur ce point - qui ne compenseront en rien le temps qu'ils y auront consacré.
C'est vraiment pour la profession d'avocat un devoir qu'elle assume, car - vous avez très bien fait de le rappeler - les avocats sont des auxiliaires de justice, et la justice s'en trouvera, j'en suis convaincu, plus sereine, moins discutée et plus humaine.
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Je voudrais dire à notre éminent collègue M. Badinter que ce qui a changé depuis un siècle, c'est la société, avec la montée des violences que nous constatons aujourd'hui.
La plupart des pays voisins du nôtre ont admis la garde à vue, a dit M. le ministre. Je précise à son intention que, ni en Belgique, ni en Suisse, ni en Allemagne, la présence d'un avocat lors de la garde à vue n'est considérée comme nécessaire.
En Grande-Bretagne, pays pragmatique s'il en est, la police peut interdire la présence d'un avocat pendant les trente-six premières heures s'il existe un risque que le défenseur entre en contact avec des complices ou avec des témoins.
Quant à l'Italie, l'article 350 du code de procédure pénale autorise les policiers, sur les lieux d'une infraction, ou dans l'instant des faits, à obtenir, hors la présence de l'avocat, des renseignements utiles pour la poursuite immédiate de l'affaire. On le comprend fort bien, car, comme je le disais hier, les avocats sont souvent à des lieues et des lieues du local de la garde à vue. Or, il existe des investigations, des constatations et des examens de caractère technique, tels des prélèvements de poudre sur une personne, qui doivent bien souvent être faits sur le champ. Par conséquent, comment se résoudra concrètement le conflit de priorité entre la nécessité de procéder à certaines vérifications sur le champ et la possibilité de s'entretenir, sur le champ, avec un avocat ?
C'est la raison pour laquelle je persiste dans la défense de mon amendement, dût-il heurter certaines consciences, ce que je comprends au demeurant fort bien.
Je voudrais seulement dire que nous risquons de démotiver - je ne le dirai jamais trop - les agents de sécurité que sont les policiers et les gendarmes. Nous risquons aussi - ne nous y trompons pas - d'accentuer le divorce entre l'opinion et les politiques.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et en Chine ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre au voix l'amendement n° 265 rectifié.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je voudrais tout d'abord que Michel Dreyfus-Schmidt veuille bien reconnaître que, contrairement à ce qu'il a insinué tout à l'heure, ...
M. Jacques Peyrat. Il insinue beaucoup de choses !
M. Hubert Haenel. ... je ne suis pas opposé à la présence de l'avocat lors de la garde à vue, je l'ai d'ailleurs prouvé à l'instant par mon vote.
Quant à mon collègue le professeur Patrice Gélard, il a avancé que mon amendement serait anticonstitutionnel ; mais c'est loin d'être prouvé ! En effet, la nature exacte de la présence de l'avocat dans la garde à vue n'est pas encore bien claire : ce n'est pas tout à fait un avocat tout en l'étant. J'ai d'ailleurs posé une question écrite à Mme la garde des sceaux, et je suis certain que sa réponse sera particulièrement intéressante.
Nous souhaitons tous que le droit qui vient d'être créé soit non pas virtuel mais réel.
Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à ma question : êtes-vous prêt à mettre en place des moyens informatiques pour suivre l'évolution d'une telle réforme ? Dans une question écrite posée le 1er octobre 1998, j'interrogeais Mme la garde des sceaux sur le nombre de personnes ayant demandé l'intervention du médecin ou de l'avocat à la vingt et unième heure. Il m'a été répondu le 4 février 1999 qu'il était impossible de m'apporter les renseignements souhaités.
Il est quand même tout à fait regrettable que l'on ne sache pas exactement comment ce droit, que nous estimons tous particulièrement important, est concrètement mis en oeuvre.
Tout à l'heure, M. le rapporteur nous a dit que, en gros, 40 % des personnes en garde à vue bénéficiaient de la présence d'un avocat. C'est une estimation, mais il serait intéressant de savoir pourquoi, dans tel tribunal, 20 % des personnes en garde à vue bénéficient de la présence d'un avocat, tandis que ce pourcentage atteint 40 % dans tel autre tribunal et 60 % dans tel autre encore.
L'amendement n° 265 rectifié vise simplement à permettre à tout le monde de jouir d'un droit réel et effectif, et donc de disposer d'un avocat de garde. Tout le monde pourra bénéficier des services de cet avocat ; ce dernier sera disponible, et il suffira de l'appeler pour qu'il rejoigne les locaux de garde à vue.
Tel est le sens, ni plus ni moins, de mon amendement : il s'agit simplement que le droit important qui vient d'être créé, loin de rester virtuel, devienne réel. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous m'indiquiez si vous envisagez de vous doter de moyens permettant de suivre l'application de la réforme de la vingt et unième heure et celle de la première heure, afin que l'on sache, ne serait-ce que sur le plan budgétaire, combien cela coûtera au budget de l'Etat.
M. Pierre Fauchon. Article 40 de la Constitution !
M. Hubert Haenel. Non !
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ce sont quand même les fonds de l'assistance judiciaire ! M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Si je souhaitais la discussion amendement par amendement, c'est précisément parce que je ne confondais pas l'amendement n° 2 et l'amendement n° 265 rectifié. Il est parfaitement évident, à la simple lecture, que M. Haenel n'est pas opposé à la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue.
Sans me prononcer, pour des raisons évidentes, sur la question de l'inconstitutionnalité - ce sera au Conseil constitutionnel de l'apprécier - je ferai d'abord simplement remarquer que le libre choix par une personne de son avocat me paraît de nature constitutionnelle.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Robert Badinter. Mais je laisse cela de côté ! M. Haenel, dans le souci que vous avez de l'égalité des justiciables, vous allez jusqu'à proposer une disposition qui, j'en suis convaincu, dépasse vos intentions. Vivez un instant la situation du côté de l'avocat !
Voici un jeune avocat - ce seront en effet, je le répète, les jeunes avocats qui assumeront la plus lourde part de ce qui constitue, pour nous, une avancée et, pour eux, une obligation - voici donc un jeune avocat qui est présent. La personne placée en garde à vue ne connaît pas d'avocat ; et elle trouve sympathique et compétent l'avocat qui a été commis d'office par le bâtonnier. Au nom de quoi interdirait-on à ce jeune avocat de devenir, pour le reste de la procédure, l'avocat de celui qui le choisirait alors librement ? (Marques d'approbation sur les travées du groupe RPR.)
M. Hubert Haenel. Je sais bien !
M. Robert Badinter. C'est une exclusion qui ne se conçoit pas.
Monsieur Haenel, ne prenez pas mes propos en mauvaise part, car vous savez la considération que j'ai pour vous. Mais faites attention ! Il n'y a que dans les régimes totalitaires - pardonnez-moi de le dire - qu'il existe des avocats obligatoirement commis et que l'on ne doit jamais désigner.
Le libre choix par tout un chacun de son avocat demeure, pour tous les citoyens de toutes les démocraties, un droit fondamental. Je sais qu'il n'entrait pas dans votre intention de toucher à ce droit, mais je crains, hélas ! que vous ne l'écorniez légèrement. Pour cette raison, je voterai contre l'amendement n° 265 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Hubert Haenel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je suis prêt à retirer l'amendement n° 265 rectifié, et je vais expliquer pourquoi.
J'ai souhaité que ce problème soit posé pour qu'on y réponde. Je n'ai toujours pas de réponse s'agissant des statistiques...
M. Alain Richard, ministre de la défense. Cela viendra ! M. Hubert Haenel. Cela viendra peut-être ! Je voudrais que l'on y réponde parce que ce sont des questions que les gens se posent.
Reconnaissez que ce que l'on appelle communément « les amendements d'appel » permettent de temps en temps de clarifier certaines positions ambiguës adoptées lors de débats et, ce faisant, d'obtenir une réponse.
Par conséquent, si M. le ministre me dit que nous aurons les moyens statistiques pour suivre l'évolution de ce texte, je retirerai bien volontiers mon amendement ; mais, au moins, des questions auront été posées et des réponses auront été apportées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et si M. le ministre ne vous répond pas, vous ne le retirez pas ?
M. le président. Répondre à une question est la moindre des choses !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le représentant du Gouvernement essaie de ne pas compromettre le retrait d'un amendement par un parlementaire, d'autant que, vu du côté de la présidence de séance avec laquelle il lui arrive de sympathiser, cela pourrait se révéler un marché de dupes !
Votre question est tout à fait légitime, monsieur Haenel, et je voudrais surtout qu'il n'y ait pas de malentendu.
Si Mme Guigou vous a répondu comme elle l'a fait, voilà quelques semaines, c'est parce que votre question portait sur un dénombrement exhaustif : sur une période donnée, dans toute la France, combien de fois la visite de l'avocat avait-elle eu lieu lors d'un renouvellement de garde à vue ?
Il n'existe pas de support permettant de faire ce décompte aujourd'hui. Et je crois qu'il serait disproportionné de le créer alors qu'une partie importante des procédures dont on parle sont aujourd'hui tenues manuellement et ne sont absolument pas informatisées.
En revanche, il est tout à fait possible d'opérer une évaluation par sondage, par estimation de la fréquence, en prenant un échantillon de plusieurs juridictions et de plusieurs services enquêteurs,...
M. Hubert Haenel. Il faudra le faire !
M. Alain Richard, ministre de la défense. ... de manière à donner au Parlement une appréciation réaliste de la fréquence de recours à ces dispositions et du temps de réponse des différents barreaux. Le ministère de la justice pourra donc vous fournir ces indications, monsieur Haenel.
M. le président. Monsieur Haenel, l'amendement n° 265 rectifié est-il maintenu ?
M. Hubert Haenel. Je le retire.
M. le président. L'amendement n° 265 rectifié est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 84.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, je me réjouis que le Sénat ait accepté la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue.
On a parfois l'impression que, pour certains, la mission de la police judiciaire est uniquement d'entendre les gens pendant la garde à vue, point à la ligne ! Mais, aujourd'hui, ce n'est pas du tout cela ! Dans les affaires de terrorisme comme dans les affaires de trafic de drogue, de longues enquêtes sont menées : ainsi, s'agissant du terrorisme en Corse, de longues enquêtes - peut être un peu trop longues, parfois - ont été conduites ; puis, on a attendu de réunir tous les éléments pour confondre les coupables. A ce moment-là, bien entendu, les dispositions concernant la garde à vue s'appliquent.
Il ne faut tout de même pas avoir des notions simplificatrices de ce qu'est la garde à vue. Aujourd'hui, dans les affaires compliquées, telles les affaires de grand banditisme, par exemple - vous le savez bien, monsieur le ministre - une section de recherche ou une brigade de recherche va quelquefois engager des recherches pendant plusieurs mois !
Par ailleurs, je suis toujours étonné par les propos tenus sur l'augmentation de la violence. Mais pensez à ce qui se passait au xixe siècle, avec les anarchistes, qui posaient des bombes partout, avec les « chauffeurs » du Nord ! A l'examen de l'histoire judiciaire en matière de grande criminalité, le nombre de meurtres n'a pas augmenté.
Certes, la petite délinquance, qui gêne nos concitoyens quotidiennement, a progressé. Mais, franchement, cela pose non pas le problème de la garde à vue, mais celui de l'efficacité de la justice : une réponse judiciaire doit être apportée, avec une condamnation rapide, mais pas forcément forte. Les reproches de nos concitoyens portent sur la petite délinquance, et nous ne devons pas tout mélanger !
Je pensais que l'on pouvait aller plus loin. Nous sommes déjà passés de la vingtième heure, en 1993 - la catastrophe alors prédite par certains ne s'est pas produite, bien au contraire - à la première heure. Pour aujourd'hui, ce n'est déjà pas mal. Je suis sûr qu'on y reviendra et que l'avocat pourra sans doute trouver encore mieux sa place dans le système de garde à vue.
Pour l'instant, ce pas est déjà important, et c'est pourquoi je retire l'amendement n° 84, qui avait d'ailleurs la même inspiration que les amendements de M. Dreyfus-Schmidt. Mais, de toute façon, je n'obtiendrai pas plus satisfaction que lui !
M. le président. L'amendement n° 84 est retiré.
L'amendendement n° 192 est-il maintenu, monsieur Dreyfus-Schmidt ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non, monsieur le président, il est retiré.
M. le président. L'amendement n° 192 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 2