Séance du 16 juin 1999
M. le président.
« Art. 3
bis. _ Dans le premier alinéa de l'article 80-1 du même code,
après le mot : "indices" est inséré le mot : "précis". »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 85, M. Hyest propose de rédiger comme suit cet article :
« L'article 80-1 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 80-1. - Le juge d'instruction a le pouvoir de mettre en examen
toute personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves et
concordants laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou complice,
aux faits dont il est saisi.
« Toute mise en examen doit faire l'objet d'une ordonnance notifiée à
l'intéressé et son conseil s'il en a désigné un. Cette ordonnance mentionne
expressément chacun des faits reprochés, leur qualification juridique ainsi que
les indices retenus. Elle est portée à la connaissance du mis en examen avant
son interrogatoire de première comparution prévu par l'article 116.
« La notification peut être effectuée par lettre recommandée. Elle peut encore
être effectuée par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire agissant
sur les instructions du juge d'instruction : elle est alors constatée par
procès-verbal.
« Dans ces deux cas, les droits reconnus aux personnes mises en examen ne leur
bénéficient qu'à compter de leur première comparution. L'ordonnance ainsi
notifiée doit préciser que la personne mise en examen a le droit d'être
assistée d'un avocat de son choix et que le nom de l'avocat choisi ou commis
d'office doit être communiqué au greffe du juge d'instruction. Dans tous les
cas, l'ordonnance indique au mis en examen qu'il peut en relever appel selon
les modalités de l'article 186. »
Par amendement n° 198, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger comme suit
l'article 3
bis :
« L'article 80-1 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 80-1. - Le juge d'instruction a le pouvoir de mettre en examen
toute personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves et
concordants laissant présumer qu'elle a participé, comme auteur ou complice,
aux faits dont il est saisi.
« Toute mise en examen doit faire l'objet d'une ordonnance notifiée à
l'intéressé et son conseil s'il en a désigné un. Cette ordonnance mentionne
expressément chacun des faits reprochés, leur qualification juridique ainsi que
le détail des indices retenus. Elle est portée à la connaissance du mis en
examen avant son interrogatoire de première comparution prévu par l'article
116.
« La notification peut être effectuée par lettre recommandée. Elle peut encore
être effectuée par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire agissant
sur les instructions du juge d'instruction : elle est alors constatée par
procès-verbal. Dans ces deux cas, les droits reconnus aux personnes mises en
examen ne leur bénéficient qu'à compter de leur première comparution.
L'ordonnance ainsi notifiée doit préciser que la personne mise en examen a le
droit d'être assistée d'un avocat de son choix et que le nom de l'avocat choisi
ou la demande de désignation d'un avocat commis d'office doit être communiqué
au greffe du juge d'instruction.
« Dans tous les cas, l'ordonnance indique au mis en examen qu'il peut en
relever appel selon les modalités de l'article 186. »
Par amendement n° 151 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent :
A. - Avant le premier alinéa de l'article 3
bis d'insérer un paragraphe
ainsi rédigé :
« I. - Dans le premier alinéa de l'article 80-1 du même code, après les mots :
"mettre en examen" sont insérés les mots : "par ordonnance motivée susceptible
d'appel". »
B. - En conséquence, de rédiger comme suit le début de cet article :
« II. - Dans le même alinéa, après le mot... » Les deux amendements suivants
sont identiques.
L'amendement n° 9 est présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des
lois.
L'amendement n° 164 est déposé par MM. Bret, Duffour et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent, à la fin de l'article 3
bis, à remplacer les mots :
« est inséré le mot : "précis" », par les mots : « sont insérés les mots
"graves et concordants" ..»
Par ailleurs, l'amendement n° 9 est affecté d'un sous-amendement n° 266,
présenté par le Gouvernement et visant, dans le dernier alinéa du texte proposé
par l'amendement n° 9, à remplacer le mot : « et » par le mot : « ou ».
La parole est à M. Hyest, pour présenter l'amendement n° 85.
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous abordons le thème de la mise en examen. Bien entendu, on a modifié la
terminologie, puisque l'on parlait auparavant d'inculpation ; mais on n'a pas
vraiment changé les choses, puisqu'un mis en examen est pratiquement un
coupable. Pour beaucoup, c'est comme cela, surtout quand la personne est mise
en détention provisoire, comme nous le verrons tout à l'heure.
C'était dans le projet de loi, mais la commission des lois, à juste titre, a
affirmé et étendu le dispositif du témoin assisté qui devrait éviter un certain
nombre de mises en examen. Néanmoins, alors que, madame le garde des sceaux,
dans votre texte vous souhaitez que le pouvoir de placer une personne en
détention soit retiré au juge d'instruction, en revanche, la mise en examen
resterait, elle, de la compétence de ce juge, restant la décision non motivée
d'un homme seul...
M. Hubert Haenel.
Ou d'une femme !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Je parle de l'humanité, mon cher collègue.
M. Hubert Haenel.
Il faudrait parler de l'Homme avec une majuscule !
M. Jean-Jacques Hyest.
Tout à fait !
M. Hubert Haenel.
Nous sommes donc d'accord !
(Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Au passage, il est dommage que nous ne disposions pas en français d'un terme
générique, comme d'autres langues, ce qui nous éviterait ce genre de
contorsion.
On a même vu à l'Assemblée nationale une « rapporteure », ce qui est tout à
fait curieux.
Mais, pour en revenir au texte, il me semble que la mise en examen devrait
faire l'objet d'une ordonnance motivée. D'ailleurs, la commission des lois
prévoit qu'il doit y avoir des « indices graves et concordants ». Comment
voulez-vous que l'on justifie l'existence de ces indices « graves et
concordants » s'il n'y a pas de motivation ? Cela me paraît contradictoire.
Nous avons d'ailleurs déjà eu ce débat à plusieurs reprises, mais le moment est
venu, je pense, de prévoir la motivation de la mise en examen.
Je sais que l'on va m'objecter des tas de raisons, notamment que cela va à
l'encontre des intérêts de la personne mise en examen. Je ne le crois pas car,
s'il y a motivation, il y a appel, ce qui permet, comme nous l'avons réclamé, à
la chambre d'accusation de jouer un rôle véritable.
Ce sont les motifs pour lesquels j'ai proposé cet amendement, qui vise à
réécrire l'article 80-1 du code de procédure pénale.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 198.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mon amendement n° 198 ressemble comme un frère à l'amendement n° 85 déposé par
M. Hyest. Nous avons été convaincus, l'un et l'autre j'en suis sûr, par -
pourquoi ne pas le dire ? - des juges d'instruction eux-mêmes, défenseurs et
gardiens des libertés publiques, qui sont bien connus de chacun d'entre nous et
dont l'un a été entendu par la commission et dont Mme la garde des sceaux
connaît les suggestions, nombreuses et importantes : plusieurs ont été retenues
dans ce projet de loi.
M. Hubert Haenel.
Un homme et une femme !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La parité !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Ils sont deux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est ce que l'on dit : un homme et une femme. Cela fait deux.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, ne vous laissez pas distraire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne crois pas me laisser distraire ; je sais ce que je suis en train de dire
!
M. le président.
Personne ne le conteste, mais poursuivez.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mon amendement présente un avantage autre que celui qui est exposé dans
l'objet de l'amendement n° 85 de M. Hyest, bien que ce ne soit pas du tout
l'avis, je dois le dire, de mon collègue et ami Robert Badinter, qui estime,
lui, que l'affaire est jugée s'il y a une motivation de la mise en examen,
appel et que l'ordonnance est confirmée. Je pense au contraire que
l'instruction peut faire évoluer les choses et, lorsque l'affaire viendra
devant le tribunal, il n'y aura pas de préjugement. On a déjà vu des relaxes
même après confirmation par la chambre d'accusation.
Le projet de loi fait, à juste titre, une très grande différence entre la
procédure du témoin assisté, qui est ouverte à tout le monde, à ceux contre
lesquels il n'existe que des indices, et la mise en examen, qui nécessite des
indices graves et concordants.
Par conséquent, en demandant au juge de motiver son ordonnance qu'il sait
susceptible d'appel, ce dernier aura peut-être une tendance plus grande à ne
pas mettre en examen et à faire bénéficier l'intéressé de la procédure du
témoin assisté.
Tel est le raisonnement qui m'a amené à déposer le même amendement que mon
collègue M. Hyest. Si j'ai convaincu le Sénat de son bien-fondé, il nous suivra
; dans le cas contraire, il ne nous suivra pas, mais la question méritait en
tout cas d'être évoquée.
M. le président.
la parole est à M. Haenel, pour défendre l'amendement n° 151 rectifié.
M. Hubert Haenel.
Cet amendement n° 151 rectifié est dans le même esprit que ceux de M. Hyest et
Dreyfus-Schmidt : la décision de mise en examen est une décision grave. Ne
parlons pas de limitation, de réglementation de la publicité ! De plus, il
s'agit d'un pouvoir discrétionnaire, car le juge d'instruction qui prend une
telle décision n'a pas à se justifier, ni à la motiver. Elle n'offre donc
aucune garantie.
Je crois que nous avons des sources assez voisines. Selon certains juges
d'instruction, il est même parfois arrivé que des mises en examen aient été
notifiées par une simple lettre recommandée avec accusé de réception et
immédiatement publiée d'une façon ou d'une autre. Ce n'est pas tolérable.
Pour les décisions graves, il faut que nous organisions un temps d'arrêt :
c'est le délibéré. Or on ne peut délibérer tout seul, ce n'est pas vrai, quand
on rédige, quand on prend la peine de se justifier par écrit, la méthode est
tout à fait différente de celle qui consiste à mettre en examen par lettre
recommandée avec accusé de réception.
La décision de mise en examen est, avec la mise en détention, la décision la
plus grave que peut prendre un juge dans le cadre de son instruction. Nous
devons donc trouver un moyen.
La proposition de la commission des lois constitue déjà un progrès énorme. En
effet, on avertit l'intéressé qu'il va être mis en examen et qu'il a la
possibilité, dans un délai de huit jours je crois, d'être entendu, de demander
un débat contradictoire. Avec MM. Hyest et Dreyfus-Schmidt, nous pensons que
nous pouvons aller plus loin. Lors de sa réponse à l'issue de la discussion
générale, Mme la garde des sceaux a estimé que cette disposition figeait
quelque peu la situation. C'est vrai ! S'il y a une mise en examen, s'il y a eu
appel, si la chambre d'accusation entérine la procédure, la personne est mise
encore un peu plus au pilori !
Dans les décisions importantes en matière de justice, il faut le temps de la
réflexion. La proposition de la commission des lois constitue déjà un progrès
énorme. Nous pensons en tout cas qu'il faut trouver un moyen de marquer un
temps d'arrêt.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 9.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission demande que l'amendement n° 10, non seulement
fasse l'objet de la discussion commune, car il porte sur le même thème, mais
soit examiné en priorité.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Favorable.
M. le président.
La priorité est ordonnée.
J'appelle donc en discussion commune, et en priorité l'amendement n° 10,
présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des lois, et tendant à
insérer, après l'article 3
bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après la première phrase du troisième alinéa de l'article 80-1 du code de
procédure pénale, sont insérées trois phrases ainsi rédigées :
« Dans ce cas, le juge doit au préalable informer la personne, par lettre
recommandée avec demande d'avis de réception, de son intention de la mettre en
examen. Dans les trois jours suivant la réception, la personne peut demander à
être entendue en présence de son avocat. Le juge est tenu de faire droit à
cette demande. A défaut d'une telle demande ou si la personne ne répond pas à
la convocation, le juge peut procéder à la mise en examen par l'envoi d'une
lettre recommandée. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La commission a non seulement admis, mais renforcé le
système.
La mise en examen est une décision grave et nous sommes conscients des
véritables troubles qu'elle peut causer. Certaines personnes ne sont d'ailleurs
lavées de cette procédure qu'à la fin de l'instruction.
Nous avons donc tenté, par différentes méthodes, de retirer à cet acte son
caractère, hélas ! parfois routinier et banal pour le juge d'instruction, mais
non pour celui qui en est victime !
C'est ainsi que plusieurs membres de la commission des lois nous ont fermement
demandé qu'avant toute mise en examen puisse s'instaurer un véritable dialogue
entre le juge d'instruction, la personne qui va peut-être être mise en examen
et son avocat.
Nous souhaitons de plus qu'il soit précisé qu'il s'agit d'indices « graves et
concordants ».
Ainsi l'amendement n° 10 précise-t-il que, « dans ce cas, le juge doit au
préalable informer la personne, par lettre recommandée avec demande d'avis de
réception, de son intention de la mettre en examen. Dans les trois jours
suivant la réception, la personne peut demander à être entendue en présence de
son avocat. Le juge est tenu de faire droit à cette demande. A défaut d'une
telle demande ou si la personne ne répond pas à la convocation, le juge peut
procéder à la mise en examen par l'envoi d'une lettre recommandée. » Voilà la
procédure que nous avons imaginée et que nous vous demandons d'adopter.
Le second point important dans cette discussion porte sur la question de
savoir s'il faut ou non que la décision soit susceptible d'appel et motivée.
Une autre des méthodes que nous avons imaginées pour diminuer le nombre des
personnes mises en examen consiste à exiger qu'il y ait, à l'encontre de ces
personnes, des indices graves et concordants. On vient nous dire, dans une
sorte de logique qui rendrait l'appel obligatoire, qu'à partir du moment où il
faut des indices graves et concordants il est absolument nécessaire de faire
une ordonnance motivée et un appel.
Nous répondons au contraire que l'indication d'indices graves et concordants
est un signe fort pour le juge d'instruction. L'acte n'est plus banal. Après
une discussion, la commission s'est ralliée à l'idée selon laquelle il y avait
deux inconvénients à la possibilité de faire appel de la mise en examen.
Le premier inconvénient, qui nous paraît lourd de conséquences, c'est que cet
acte ne doit en aucun cas devenir un préjugement. Vous n'éviterez pas que des
personnes, suivant le conseil donné par un avocat à son client, qui serait dans
certains cas mauvais conseil, ne fassent appel devant la chambre d'accusation.
Par conséquent, vous aurez une décision - je ne dis pas que ce sera dans chaque
cas, mais il est vrai que la personne peut aussi être exonérée et faire l'objet
d'une décision contraire - qui va transformer le débat d'instruction, qui est
uniquement un débat informatif, en une sorte de prédébat judiciaire assez
complet sur l'affaire. Vous allez alourdir l'instruction, qui va, de ce fait,
perdre sa nature, et vous allez augmenter la durée de l'instruction, ce que
nous ne voulons pas.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je ne suis pas d'accord !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Le système que nous vous proposons est, selon nous, plus
équilibré...
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce n'est pas un argument !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. ... et il permettra plus facilement d'atteindre les objectifs
que nous visons, à savoir la diminution du nombre de mises en examen et la «
débanalisation » de la mise en examen, qui est effectivement devenue une
pratique courante.
Cette argumentation vaut pour l'amendement n° 9.
Je précise enfin que l'amendement n° 10 est incompatible avec les amendements
n° 85 de M. Hyest et n° 151 rectifié de M. Haenel. Il faut opter pour un
système ou pour l'autre.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je l'avais bien compris. C'est d'ailleurs pourquoi la priorité a été demandée
! C'est normal.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre le sous-amendement n°
266.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Si vous le permettez, monsieur le président, je ferai
valoir mes observations sur l'ensemble de cette problématique avant de
présenter le sous-amendement n° 266.
Nous sommes tous bien d'accord pour considérer que cette question de la mise
en examen, qui est effectivement très importante en ce sens qu'il faut éviter
l'opprobre qui s'y attache, doit être examinée dans sa globalité.
Comment y parvenir ? C'est toute la question.
L'amendement n° 10 de la commission des lois vise justement à ne pas banaliser
cet acte grave en améliorant la procédure de mise en examen par simple lettre
recommandée qui, vous l'avez justement souligné, suscite des réserves.
Je m'interroge toutefois sur la solution retenue par la commission des lois.
Il faut en effet observer que cet amendement concerne certains types
d'affaires, au fond peu nombreuses, et une certaine catégorie de personnes, en
particulier celles qui sont poursuivies pour des infractions économiques et
financières. Ce n'est pas une personne arrêtée pour cambriolage ou violence qui
se voit mise en examen par lettre recommandée. Sont donc écartés d'emblée toute
une série de cas.
Par ailleurs, le mécanisme proposé par la commission des lois, qui prévoit
l'envoi successif de deux lettres recommandées - une première lettre
d'intention et une deuxième lettre -, me paraît compliqué. L'idée d'alerte est
sans doute séduisante, mais je crois que le système, du moins tel qu'il est
proposé, risque de se révéler par trop complexe, et je souhaiterais que cette
question puisse être approfondie au cours de la navette. Quoi qu'il en soit, je
m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 10.
Je suis défavorable aux amendements n°s 85, 198, 151 rectifié, qui tendent en
fait tous trois à ce que la mise en examen fasse l'objet d'une ordonnance
motivée susceptible d'appel.
Je partage certes le souci de la commission des lois et des auteurs de ces
amendements de faire en sorte que la mise en examen ne signifie pas une
désignation à l'opprobre public. Cependant, je pense qu'une telle ordonnance
motivée susceptible d'appel s'apparenterait à un préjugement, qui aurait
évidemment encore plus de poids si cette ordonnance était confirmée par la
chambre d'accusation.
D'ailleurs, je souligne que, hormis les deux juges d'instruction et une
association d'avocats, tous ceux que j'ai consultés - car, vous l'imaginez
bien, je ne me suis pas lancée dans un projet de loi de ce genre sans avoir
procédé à des consultations approfondies - ....
MM. Jacques Larché,
président de la commission des lois,
et Charles Jolibois,
rapporteur. Nous non plus !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. ... sont absolument contre la motivation et l'appel de
la mise en examen pour exactement les mêmes raisons que celles que je viens
d'indiquer.
En revanche, je ne suis nullement opposée à une limitation des conditions de
fond permettant à un juge d'instruction de mettre une personne en examen, comme
le prévoient les amendements n°s 9 et 164.
Toutefois, et j'en viens à mon sous-amendement, vous retenez l'exigence
d'indices graves et concordants pour la mise en examen. Vous vous fondez ainsi
sur la rédaction de l'article 105 du code de la procédure pénale, mais je dois
faire remarquer que, dans cet article, les indices graves et concordants
constituent actuellement le seuil à partir duquel un juge d'instruction est
obligé de mettre quelqu'un en examen. Il n'est donc pas logique que ce seuil
devienne également celui à partir duquel le juge a la faculté de mettre
quelqu'un en examen.
A confondre ainsi l'obligation et la possibilité, on risquerait en fait
d'entraver l'action de la justice dans certaines procédures, empêchant la mise
en examen et, par voie de conséquence, le placement sous contrôle judiciaire,
ou même sous détention provisoire, de personnes contre lesquelles existent
pourtant de forts indices de culpabilité, au prétexte que ces indices ne
seraient pas à la fois graves et concordants.
Je prendrai l'exemple d'une personne soupçonnée de crimes graves - terrorisme
ou viol - qui reconnaîtrait partiellement les faits reprochés, mais qui
mentirait sur certains points, en contradiction avec les constatations des
enquêteurs : cette personne, si l'on retenait votre formulation, ne pourrait
pas être mise en examen. Or je ne pense pas que ce soit là le souhait du
Sénat.
C'est pourquoi je crois qu'il convient de distinguer le seuil minimal
permettant la mise en examen, bien entendu si le juge l'estime utile, qui sera
constitué par des indices graves ou concordants - le « ou » fait toute la
différence - du seuil maximal rendant la mise en examen obligatoire, qui sera
constitué par la présence d'indices graves et concordants.
C'est pourquoi j'ai déposé un sous-amendement à l'amendement n° 9 de la
commission, lequel, ainsi sous-amendé, recevrait mon approbation.
L'amendement n° 164 du groupe communiste républicain et citoyen est évidemment
satisfait par celui de la commission.
En conclusion, je le répète, je crois qu'il convient de distinguer un seuil
plancher d'indices graves « ou » concordants, donnant au juge la possibilité de
mettre en examen, d'un seuil plafond d'indices graves « et » concordants, lui
faisant obligation de mettre en examen.
M. le président.
La parole est à M. Bret, pour défendre l'amendement n° 164.
M. Robert Bret.
Pour ma part, ayant entendu les explications de Mme la ministre, je suis prêt
à accepter la substitution du « ou » au « et ».
Nous avons pensé que les mots « graves et concordants » étaient préférables au
mot « précis » en ce qu'ils permettent de se référer à des éléments plus
solides pour placer une personne en garde à vue, et le changement de
conjonction de coordination, outre qu'il me paraît judicieux pour les raisons
qu'a exposées Mme la ministre, n'affecte pas fondamentalement l'objet de notre
amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 266 ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Nous accédons à un degré extraordinaire de subtilité lorsque,
s'agissant d'une question aussi grave qu'une mise en examen, nous discutons sur
les mots « et » et « ou ».
Sur le fond, la commission souhaite, d'une manière générale, réduire le nombre
de mises en examen et, pour cela, les rendre beaucoup plus difficiles.
Bien entendu, le fait de préciser que le juge doit s'appuyer non plus sur de
simples indices mais sur des indices « graves et concordants » - l'adjonction
du mot « précis », décidée par l'Assemblée nationale, ne nous paraît pas
suffisante - va dans ce sens.
En revanche, si l'on se contente d'indices « graves ou suffisants », on
s'éloigne de notre objectif.
Votre argumentation, madame le garde des sceaux, ne m'a pas convaincu parce
que le juge, s'il ne trouve des indices à la fois graves et concordants, devra
renoncer à la mise en examen.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Et s'il veut mettre en examen, que fait-il ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Mais c'est parce que le juge trouve les indices qu'il met en
examen. Il n'a pas à le vouloir.
Nous devons nous mettre dans la situation d'un juge qui, maintenant, va
instruire à charge et à décharge.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah bon ? Il ne le faisait pas avant ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. S'il instruit à décharge, il faudra qu'il ait beaucoup
d'indices graves et concordants pour décider la mise en examen.
Bien sûr, à la fin, il y a le couperet de l'article 105.
Mais notre système prend toute sa force avec le témoin assisté, qui offre
toute une série de possibilités.
M. Hubert Haenel.
Voilà !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Le juge a à sa disposition toute une palette de possibilités
qui lui permet de mener son instruction sans encourir le risque du couperet de
l'article 105.
Il ne faut pas perdre de vue la cohérence du système que nous avons mis au
point, même si elle n'apparaît pas immédiatement en considérant nos amendements
un par un.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je ne peux pas laisser entendre que ma proposition
ressortit à des artifices de vocabulaire.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je tiens à mettre les choses au point : ou bien on dit
clairement, comme M. Balladur l'a fait à l'Assemblée nationale, que l'on veut
supprimer la mise en examen...
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Nous ne l'avons pas proposé !
M. Hubert Haenel.
Nous ne l'avons même pas pensé !
(Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. J'en prends acte. Je ne répéterai donc pas ici ce que
j'ai dit à M. Balladur.
Si vous estimez que le juge a la possibilité d'apprécier l'opportunité de la
mise en examen et qu'on ne peut pas lui faire courir le risque de voir la Cour
de cassation prononcer la nullité de sa décision parce qu'il a mis en examen
trop tôt ou trop tard, alors, il convient de ne pas l'enserrer dans un cumul
d'indices graves et concordants qui le contraindrait à une sorte de « tout ou
rien ».
Par conséquent, autant je suis d'accord pour réduire dans toute la mesure du
possible le recours à la mise en examen - et je le démontrerai lorsque nous en
viendrons au témoin assisté - car il faut des indices sérieux pour ouvrir la
possibilité de la mise en examen et laisser toute sa place à la procédure du
témoin assisté, autant je ne peux donner mon accord à une formulation qui
mettrait un juge d'instruction disposant d'indices pourtant suffisamment
sérieux dans l'impossibilité de mettre quelqu'un en examen.
Je le répète, la question que vous soulevez ne se pose en pratique que pour un
certain nombre de justiciables. En tout cas, ce que je vous propose ne vise pas
simplement une question de conjonction de coordination ; c'est toute la
différence entre un plafond et un plancher qui est en cause.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, pourriez-vous préciser l'avis de la commission sur
l'amendement n° 151 rectifié ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Je croyais avoir implicitement formulé cet avis tout à
l'heure, mais je n'ai sans doute pas été suffisamment clair et je vous prie de
m'en excuser, monsieur le président.
La commission n'est pas favorable à l'amendement n° 151 rectifié dans la
mesure où ses auteurs demandent une ordonnance motivée susceptible d'appel, ce
qui nous ramène à l'incompatibilité de ce système avec celui que nous proposons
au Sénat.
Mais, je voudrais aussi répondre à Mme le garde des sceaux, auprès de qui
j'invoque la présomption d'innocence à propos du « et » et du « ou » !
(Sourires.)
Je suis trop averti de ces problèmes pour ignorer combien un « et » ou un « ou
» peuvent avoir d'importance dans un débat juridique. On plaide parfois pendant
des heures sur une conjonction de coordination ! Par conséquent, je ne ferai
jamais grief à quelqu'un de vouloir introduire une subtilité. Il reste que,
dans le système que nous avons construit, nous laissons au juge d'instruction
une palette de possibilités et qu'une utilisation plus large de la notion de
témoin assisté lui permet d'éviter le couperet de l'article 105 devant la Cour
de cassation.
M. le président.
Je vais mettre aux voix en priorité l'amendement n° 10.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
A mon avis, les arguments énoncés tant par M. le rapporteur que par Mme le
garde des sceaux démontrent qu'il vaudrait mieux motiver.
Pour l'instant, dès lors qu'existent des indices graves et concordants on n'a
pas le droit d'entendre l'intéressé comme témoin : on doit le mettre en
examen.
Mais, s'il n'y a pas de motivation, on peut se battre sur des mots, cela ne
changera strictement rien en ce qui concerne la mise en examen.
Vous avez étendu les possibilités de témoin assisté. Selon moi, c'est un
progrès sensible, qui devrait éviter des mises en examen. Ce sera confirmé,
a-t-on dit. Bien sûr, car, la plupart du temps, ceux qui sont mis en examen
sont coupables et finissent par être jugés et condamnés. Mais ce qui est
scandaleux, c'est lorsque des personnes qui ne sont pas coupables ont été mises
en examen pendant plusieurs mois, voire plus.
Cela va allonger l'instruction, avez-vous dit. Or vous savez très bien que la
longueur du délai de l'instruction ne tient pas à une motivation, mais au fait
que l'on mette au frais quelqu'un pendant trois ou quatre mois sans aucun acte
d'instruction. Là est le vrai scandale ! Toutes les raisons sont bonnes.
Je suis d'accord avec votre amendement, monsieur le rapporteur. Cependant,
comme vous êtes assez habile s'agissant de la procédure, si je le vote, mon
amendemeent tombera. Cela me chagrine beaucoup car je tenais à ce que l'on vote
sur la motivation. C'est pourquoi, en cet instant, je voterai contre votre
amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je dois à la vérité de dire que je continue à m'interroger. C'est vrai que
s'il n'y a pas d'appel possible, après tout, que les indices soient de simples
indices, des indices graves et concordants, ou des indices graves ou
concordants ne change pas grand-chose, car un bon moment va s'écouler avant que
l'on ait tiré des conséquences de ce qu'il en est en réalité.
Les explications de Mme le garde des sceaux m'ont interpellé. Si les indices
sont graves, c'est en effet une raison suffisante pour mettre en examen. En
revanche, si les indices ne sont que concordants, la question se pose.
Je m'interroge donc, je délibère, comme disait notre collègue M. Haenel, car
on peut en effet délibérer avec soi-même...
En tout état de cause, celui qui ferait appel parce qu'il estimerait les
indices insuffisants le ferait à ses risques et périls...
Madame le garde des sceaux, s'agissant d'un texte comme celui-ci, vous avez eu
la sagesse de ne pas procéder comme l'avait fait M. Peyrefitte en 1980, qui, je
le rappelle à la majorité du Sénat, avait recouru à la procédure d'urgence. En
effet, vous n'avez pas déclaré l'urgence sur le présent projet de loi, qui fera
donc, fort heureusement, l'objet d'une navette. Elle permettra, si l'amendement
de notre collègue Jean-Jacques Hyest, par exemple, est adopté, de réfléchir à
ce problème, qui est délicat, comme M. le rapporteur l'a souligné à juste
titre.
En l'état actuel et à titre personnel, je voterai l'amendement de M. Hyest,
constatant que, séparément et individuellement, nos collègues Hubert Haenel,
Jean-Jacques Hyest et moi-même avions été
a priori convaincus du
bien-fondé de cette thèse. Peut-être avons-nous tort ? Mais, je le répète,
l'adoption de cet amendement permettra à chacun, y compris à l'Assemblée
nationale, d'y réfléchir encore.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Dans ce débat, nous sommes tous
animés du même souci : nous tenons à ce que la mise en examen n'intervienne que
dans un nombre de cas infiniment plus restreint qu'aujourd'hui.
Pour parvenir à ce résultat, il existe effectivement deux moyens. Le premier,
qui se trouve en quelque sorte en amont de la mise en examen, consiste à
améliorer considérablement - et nous tentons de le faire - la procédure du
témoin assisté. Plus les témoins assistés seront nombreux, plus cette procédure
fonctionnera, moins la mise en examen paraîtra nécessaire.
Reste le moment où la mise en examen peut s'imposer. Je m'élève un peu contre
la remarque de Mme le garde des sceaux. En effet, nous n'avons voulu en aucune
manière viser une catégorie de délits particuliers. Nous entendons élaborer des
procédures qui valent pour l'ensemble des délits, quels qu'ils soient.
On aurait très bien pu songer à supprimer la mise en examen - personnellement,
j'en ai eu la tentation, et ce n'est pas parce qu'il m'arrive de m'entretenir
avec M. Edouard Balladur d'un certain nombre de problèmes - et aboutir à un
système totalement différent.
En l'état actuel, nous essayons d'améliorer au mieux le système. Deux voies
s'offrent à nous et sont défendues par des esprits brillants et divers,...
M. Hubert Haenel.
Respectables !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. ... j'en vois au moins trois, mais
il en est beaucoup d'autres. Ils souhaitent la motivation et l'appel.
Est-ce véritablement une façon de restreindre la mise en examen ? Ne s'agit-il
pas, au contraire, d'une tentation donnée au juge, qui pourra se dire : « Après
tout, je motive ma décision, je suis donc sûr de moi et je mets en examen » ?
Cela est possible. Il faut donc se méfier.
Bien sûr, il y aura l'appel. On peut en effet avoir une querelle
intellectuelle - nous l'avons eue, et nous l'avons - sur la signification de
l'appel.
Deux interprétations s'offrent à nous.
L'appel est dangereux, parce qu'il risque de confirmer ce que l'on voudrait
voir supprimé. On doit reconnaître que, sur le plan intellectuel, c'est la
nature même de l'appel.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Celui qui a été condamné à trois ans
de prison en première instance peut faire appel et voir sa peine portée à cinq
ans.
M. Hubert Haenel.
Cela arrive, mais ce n'est pas fréquent !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est rare en effet !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Cela peut arriver !
Nous avons pu hésiter entre les solutions extrêmes, qui n'ont pas été
débattues en commission des lois car nous avions une approche très raisonnable
du problème.
Mais il y a le système présenté par M. le rapporteur, et je retourne en
quelque sorte l'argument de la navette. Retenons la proposition de M. le
rapporteur et nous verrons au cours de la navette.
(M. Jean-Jacques Hyest
s'exclame.) Tout est dans tout et réciproquement.
Il faut tout de même réfléchir à la portée de la motivation. Méfions-nous.
Qu'est-ce qu'une motivation entre les mains d'un juge d'instruction ou d'un
juge ? Va-t-elle se résumer à quelques mentions assorties d'un petit carré dans
lequel on mettra une croix, ce qui permettra de préciser, par exemple, que les
indices sont graves, qu'ils sont concordants, etc.
M. Pierre Fauchon.
A des phrases toutes faites !
M. Jean-Jacques Hyest.
Il faudra que les juges d'instruction fassent un peu plus !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. On les connaît ! Ils sont bien
capables de ne pas faire davantage !
M. Michel Charasse.
Ils sont capables de tout !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Qu'est-ce qu'une motivation ? Nous
avons des intentions. On voudrait que le juge d'instruction tartine en quelque
sorte une belle motivation.
A leur sortie de l'Ecole nationale de la magistrature, si tant est qu'on
continue à les nommer dans de telles conditions, peut-être quelques-uns d'entre
eux feront-ils preuve du zèle nécessaire pour aboutir à ce résultat ? Mais
songez aux juges d'instruction - nous connaissons leur situation - qui sont
surchargés de dossiers, disposent de peu de temps, ne possèdent pas de
greffier, ont d'autres tâches en cours et veulent partir en vacances. Les
motivations qu'ils avanceront représenteront-elles une garantie suffisante ? Je
n'en suis pas sûr.
Mais je vous propose une approche un peu inversée, avec le même souci et le
même résultat, à savoir se rallier à la position de la commission, qui n'est
pas une condamnation intellectuelle, morale ou juridique d'un autre système.
Nous savons que l'Assemblée nationale n'aura vraisemblablement pas la
tentation, dans un premier mouvement, de se rallier à la thèse du Sénat, tout
simplement parce qu'elle émanera de notre assemblée.
Par ailleurs, nous avons entendu plusieurs juges d'instruction. Mais je n'ai
pas le souvenir que nous ayons alors évoqué cette question de la motivation.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Pas dans le détail !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Nous pourrons les entendre de
nouveau pour évoquer ce point.
Vous le constatez, ma position n'est pas marquée d'un enthousiasme absolu.
Elle témoigne d'un enthousiasme raisonné, d'une approche progressive du
système. Tâchons de nous en tenir à la notion d'indices graves et concordants,
et ainsi nous pourrons voir comment les choses pourront évoluer par la suite.
Qu'il soit bien entendu que, dans notre esprit, cela n'implique en aucune
manière - je le dis parce que c'est une partie de mes thèses personnelles - une
condamnation du système de la motivation et de l'appel. Il faut y voir une
incitation à une réflexion supplémentaire. Non que je doute un seul instant que
les partisans de cette thèse n'y aient pas longuement réfléchi. Mais j'appelle
à une réflexion supplémentaire sur un système qu'il faut mettre au point avec
un maximum de prudence et de précautions.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Tout à l'heure, lors de la présentation de mon amendement, j'ai insisté pour
que la mise en examen se fasse par voie d'ordonnance. Cela suppose que cette
ordonnance soit motivée et susceptible d'appel.
J'ai entendu les arguments de M. le président de la commission des lois, de M.
le rapporteur et de Mme le garde des sceaux. Finalement, je me rallie à votre
point de vue.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Lequel ?
M. Hubert Haenel.
Le vôtre et celui de M. le président de la commission des lois. Je me rallie,
disais-je, à votre point de vue, mais à la seule condition que votre amendement
soit adopté. Il faut au moins un dispositif qui corresponde à ce que vous
souhaitez.
En revanche, en ce qui concerne le « et » ou le « ou », franchement je
préfère, et de beaucoup, le « et ». Ce sont les magistrats de la chambre
criminelle de la Cour de cassation qui décideront en dernier ressort. Il est
donc préférable d'être un peu au-dessus qu'en dessous. En effet, en prévoyant
que les indices sont graves ou concordant, on risque d'édulcorer l'intention du
législateur telle que nous voulons la formuler.
Tout à l'heure, a été évoquée la longueur des délais d'instruction. On n'a pas
assez insisté, au cours de ce débat, sur le rôle du président de la chambre
d'accusation qui doit être très exigeant sur les notices. La loi comporte déjà
des possibilités permettant au président de la chambre d'accusation et au
procureur général de regarder un peu ce qui se passe dans les cabinets des
juges d'instruction et d'inciter à la célérité. Penchons-nous un peu sur cette
question-là à l'occasion du débat qui va durer au moins jusqu'à demain, tard
dans la nuit.
Monsieur le président, je retire mon amendement, et nous ne revenons donc plus
là-dessus. En revanche, je souhaite vivement que l'amendement de la commission
soit adopté.
M. le président.
L'amendement n° 151 rectifié est retiré.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Personnellement, j'ai été sensible au propos tenu tout à l'heure par Mme le
garde des sceaux. Mais nous sommes dans une situation nouvelle, comme je l'ai
déjà dit plusieurs fois au cours de l'après-midi, c'est-à-dire que nous
essayons d'améliorer le sort des personnes mises en examen, mais, en même
temps, nous ne changeons pas le système préexistant.
Un sénateur du RPR.
Eh oui !
M. Patrice Gélard.
En réalité, nous ne faisons qu'une demi-réforme, et non pas une véritable
réforme. Cette demi-réforme est très gênante, car nous ne voulons pas basculer
dans un système qui se rapprocherait du système anglo-saxon, comme le
proposent, par certains côtés, les amendements de M. Dreyfus-Schmidt,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais non !
M. Patrice Gélard.
Mais si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et, en même temps, nous ne voulons pas perdre tout lien avec l'ancien
système.
C'est la raison pour laquelle la démarche de la commission des lois et de M.
le rapporteur me paraît sage. En d'autres termes, nous essayons d'éviter le
maximum d'écueils et de faire en sorte que les droits à la défense soient au
mieux assurés.
Cela dit, l'argument de Mme le garde des sceaux n'est pas à négliger, et
peut-être nos textes sont-ils insuffisants. Mais la navette offrira l'occasion
de les améliorer.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Patrice Gélard.
C'est la raison pour laquelle je me rallie totalement, en ce qui me concerne,
aux amendements de la commission des lois déposés par M. Jolibois.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
J'ai beaucoup insisté pour que soit introduit dans le dispositif le système
que Mme le garde des sceaux appelait un « système d'alerte », c'est-à-dire
l'audition.
Il me paraît extrêmement important qu'une personne ne soit pas informée de sa
mise en examen par une simple lettre recommandée : en effet, elle ne l'apprend
alors pas toujours par la lettre recommandée, mais...
M. Jean-Jacques Hyest.
Par la presse !
M. Pierre Fauchon.
... par la presse, avant même d'avoir reçu la lettre recommandée. Pour peu
qu'elle soit en vacances, elle apprend par le journal qu'elle a été mise en
examen, et elle trouve la lettre en rentrant chez elle !
M. Michel Charasse.
Parfois, avant même que la lettre recommandée ne soit envoyée !
M. Pierre Fauchon.
Il faut aussi éviter qu'un juge d'instruction ne puisse mettre une personne en
examen sans même l'avoir vue. Il est important de voir la personne, de savoir
comment elle se présente. Cela compte, et peut-être même beaucoup plus qu'on ne
l'imagine. Il ne faut pas désespérer du fait qu'un juge d'instruction substitue
à une démarche en quelque sorte mécanique, qui est quelquefois simplement le
fait du greffier, une démarche raisonnée, avec la prise de conscience qu'il a
en face de lui un être humain pour qui sa décision comptera. Je me réjouis donc
de constater que cette alerte donne lieu à un accord général.
En ce qui concerne la question de la motivation et de l'appel, je vais dans le
sens du président de la commission des lois et du rapporteur, mais en étant
beaucoup plus convaincu qu'eux. Pourquoi ? Nous souffrons de l'espèce de charge
qui accompagne la notion de mise en examen. Elle est excessive et elle doit
rester excessive. Ce n'est pas parce que nous dégageons en amont, avec le
développement du témoin assisté, que la mise en examen doit être acceptée comme
une sorte de préjugement. Il faut rester à la notion de mise en examen, qui est
plus un acte de gestion administrative, qui ouvre les possibilités d'un système
de défense, etc., qu'un acte juridictionnel. Il faut faire très attention à
cela.
Je prendrai un exemple concret. Nous avons connu un gouvernement qui
considérait qu'un ministre mis en examen devait automatiquement
démissionner.
M. Michel Teston.
Quelle erreur !
M. Pierre Fauchon.
C'était d'une grande délicatesse, et je n'ai pas de reproche à faire à cet
égard ; mais je crois effectivement que c'était une erreur.
(Ah ! sur les
travées du RPR et sur les travées socialistes. - M. Patrice Gélard
applaudit.)
Mais nous avons connu le cas d'autres personnalités pour qui la mise en examen
était un acte administratif et ne signifiait rien ! Je souhaite que ce soit
plutôt cette seconde jurisprudence qui se développe et que l'on ne revienne pas
là-dessus. En effet, c'est très grave de dire qu'une personne, sous prétexte
qu'elle est mise en examen, doit cesser ses activités.
Je crois au contraire qu'il faut laisser à la mise en examen son caractère
banal. Elle présente une hypothèse administrative. Si elle doit être motivée et
si, en plus, elle doit pouvoir faire l'objet d'un appel, alors non seulement il
y a tous les inconvénients dont vous avez parlé, mais vous transformez
inévitablement ce qui n'est qu'une hypothèse en une présomption,...
M. Patrice Gélard.
Exacement !
M. Pierre Fauchon.
... et vous remplacez la présomption d'innocence, dont nous nous soucions
actuellement, par une présomption de culpabilité consacrée par l'existence des
motifs et reconsacrée par la possibilité d'un appel.
Comme je tiens à ce que la personne mise en examen reste pleinement
bénéficiaire de la présomption d'innocence, je suis partisan d'en rester à la
solution qui nous est proposée et, par voie de conséquence, la question du « et
» et du « ou » à l'égard de laquelle je partage tout à fait les distinctions de
Mme le garde des sceaux, n'a pas un grand intérêt...
M. Jean-Jacques Hyest.
Il n'y a pas à motiver !
M. Pierre Fauchon.
... puisqu'il n'y a pas à motiver. De toute façon, il faut bien laisser une
marge d'appréciation au juge d'instruction et ne pas non plus multiplier les
actes de défiance - vous l'avez dit, monsieur le président de la commission - à
l'égard des juges d'instruction.
M. Patrice Gélard.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 3
bis, et les amendements n°s 85 et 198 n'ont
plus d'objet.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 266.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je continue à réfléchir !
Tout le monde est bien d'accord pour estimer que, lorsque les indices sont
précis et concordants, le juge doit procéder à la mise en examen.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il ne peut pas entendre comme témoin, mais il est obligé de mettre en examen
!
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il ne peut pas entendre comme témoin, c'est exactement ce que j'ai dit.
En revanche, on préfère qu'il entende comme témoin assisté dans le plus grand
nombre possible de cas, mais alors, il ne peut pas décider la mise en détention
provisoire.
Mme le garde des sceaux nous propose de lui donner la possibilité de le faire
lorsqu'il existe des indices qui sont soit graves, soit concordants. Mais on
risque alors de vider de sa substance la procédure du témoin assisté.
Je me demande donc si la solution ne serait pas d'appliquer le dispositif
prévu par l'amendement n° 10 dans le seul cas où il existerait des présomptions
graves ou concordantes, c'est-à-dire que la mise en examen serait obligatoire
lorsque les indices seraient graves « et » concordants, mais qu'elle serait
possible lorsque les indices seraient graves « ou » concordants. C'est
d'ailleurs ce que nous propose le Gouvernement, n'est-ce pas, madame le garde
des sceaux ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il est absolument indispensable que trois cas soient distingués, à moins de
vider l'une des formules par rapport à l'autre. Si les indices sont en effet
sérieux, on ne peut pas empêcher le juge de mettre la personne en examen, voire
en détention provisoire dès lors que les conditions en sont remplies, comme
nous le verrons tout à l'heure : au regard de la possibilité et de la
nécessité. Je me rallierai donc à la position proposée par Mme la ministre.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
J'ai dit tout à l'heure que l'intervention de Mme le garde des sceaux m'avait
interpellé ; mais celle de M. Fauchon m'a convaincu !
(Sourires.)
A partir du moment où il n'y a plus besoin de motiver, que ce soit grave ou
concordant, ce sera, en réalité, au juge d'instruction d'apprécier.
M. Hubert Haenel.
Cela ne change rien !
M. Patrice Gélard.
Nous n'avons pas besoin de mettre « et » ou « ou », cela n'a plus
d'importance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Si, pour les nullités de la procédure !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'interviens de
nouveau, contrairement à mon habitude, pour vous montrer à quel point cette
conjonction de coordination « ou » à la place de « et » est importante.
Je vous donnerai un seul exemple à cet égard. Vous avez créé, voilà un an, un
fichier des empreintes génétiques pour faciliter la recherche des délinquants
sexuels. Supposez que, dans une affaire de viol, les traces trouvées sur la
victime correspondent à une empreinte figurant dans le fichier. C'est
absolument le seul indice dont dispose le juge. C'est donc un indice grave,
plus que grave même puisqu'il constitue quasiment la preuve parfaite.
Pourtant, la personne dont l'ADN correspond à celui du violeur ne pourra pas
être mise en examen, mise en détention sous peine, en effet, de nullité.
Je vous demande d'y réfléchir : des indices graves d'accord ; des indices
concordants, cela peut être le cas dans d'autres domaines. Mais retenez l'un ou
l'autre ; c'est déjà infiniment plus restrictif que les conditions actuellement
prévues dans le code de procédure pénale.
M. Jean-Jacques Hyest.
Complètement !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 266, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 9, accepté par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 164 n'a plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article n° 3
bis, modifié.
(L'article 3 bis
est adopté.)
Articles additionnels après l'article 3 bis
(suite)