Séance du 17 juin 1999
M. le président.
Par amendement n° 122, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 10
bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le 3° de l'article 144 du code de procédure pénale, les mots : "un
trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public" sont remplacés par les
mots : "un trouble grave pour la sécurité publique dans un lieu public ou non,
susceptible d'entraîner des dommages pour l'intégrité des personnes et des
biens". »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je ne suis pas un très fin juriste ni un pénaliste, contrairement à nombre de
mes collègues qui sont présents ce soir ou qui ont animé nos débats depuis deux
jours.
M. Hubert Haenel.
Vous pourriez être avocat !
(Sourires.)
M. Michel Charasse.
Cependant, en ce qui concerne la détention préventive, ou provisoire, comme on
voudra, il est une disposition à laquelle je ne comprends rien et qui figure à
l'article 144, à savoir l'ordre public. Je ne sais pas ce que cela veut
dire.
M. Hubert Haenel.
Il y a des thèses !
M. Michel Charasse.
On peut faire dire tout et n'importe quoi à la notion d'ordre public, tant et
si bien que c'est souvent la seule véritable motivation d'un placement en
détention. En effet, quand on ne trouve pas autre chose, on invoque l'ordre
public.
Puisque notre souci est de renforcer la protection de la présomption
d'innocence et d'éviter les détentions provisoires abusives, je propose au
Sénat, par cet amendement n° 122, de remplacer l'expression actuelle de «
trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public » par les mots : « un
trouble grave pour la sécurité publique dans un lieu public ou non, susceptible
d'entraîner des dommages pour l'intégrité des personnes et des biens. »
Aujourd'hui, la notion d'ordre public, c'est clairement le trouble sur la voie
publique. Voyez, par exemple, les motivations du juge pour incarcérer l'ancien
préfet de Corse : s'il y avait trouble à l'ordre public le jour où il a été
incarcéré, il y a belle lurette que ce trouble a disparu.
Ainsi les choses seraient plus claires. S'il y a des risques pour les biens et
les personnes, parce qu'il peut y avoir agitation sur la voie publique ou dans
un lieu public, par exemple une émeute, on peut alors considérer qu'il y a
effectivement un trouble pouvant justifier une mise en détention provisoire.
Dans les autres cas, il n'en ira pas ainsi.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. La notion d'ordre public ne vous paraît pas très claire,
monsieur Charasse, mais il y est souvent fait référence en droit.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas pour ça que c'est mieux ! Les moulins à prières répètent toujours
la même chose !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Certes, mais nous procédons en nous référant à des
appellations connues.
M. Michel Charasse.
Ou morales !
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Par ailleurs - et ce point est peut-être plus important - je
me demande si la notion de sécurité publique à laquelle vous faites allusion
n'est pas plus étendue que celle d'ordre public. Exiger un trouble à l'ordre
public me paraît plus précis. Un trouble à la sécurité publique peut être
constaté à un endroit sans que l'ordre public en général en soit affecté. C'est
une possibilité.
La commission estime donc préférable de maintenir la notion d'ordre public.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 122.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, je ne comprends pas pourquoi l'amendement n° 216 de mon
collègue Michel Dreyfus-Schmidt, qui est relatif à la même disposition, n'est
pas appelé maintenant en discussion. En effet, je serais à la limite prêt à
retirer mon amendement au profit du sien.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Effectivement, j'ai déposé un amendement n° 216, à l'article 15.
M. Michel Charasse.
Dans un débat qui a pour objet de limiter la détention provisoire ou
préventive, disposition qui porte atteinte au principe fondamental de la
liberté, qui est la règle absolue, permettre au juge de mettre en détention
préventive un citoyen pour des motifs vaseux qui sont soumis à une appréciation
générale pouvant varier d'un individu à l'autre n'est pas le meilleur moyen de
préserver la liberté individuelle.
Je veux bien admettre que ma formulation ne soit pas bonne. Peut-être celle de
l'amendement n° 216 sera-t-elle plus convaincante puisque mon collègue Michel
Dreyfus-Schmidt propose de supprimer purement et simplement cette notion, ce
qui, à mon avis, est une bonne chose.
Je retire donc l'amendement n° 122 au profit de l'amendement n° 216.
M. le président.
L'amendement n° 122 est retiré.
Nous examinerons l'amendement n° 216 en son temps, monsieur Charasse.
Par amendement n° 156 rectifié, M. Haenel et les membres du groupe du
Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 10
bis, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Au début de l'article 145 du code de procédure pénale, est ajouté un
alinéa ainsi rédigé :
« En toute matière, le juge de la liberté individuelle qui envisage de placer
en détention provisoire une personne mise en examen s'enquiert auprès de la
maison d'arrêt de la distribution intérieure. Si celle-ci ne permet de pourvoir
au principe de l'article 716 du même code, ce magistrat ne pourra prescrire le
placement de la personne en détention provisoire ».
« II. - Les dispositions du I entreront en vigueur un an après la publication
de la présente loi. »
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Cet amendement vise à donner au juge un temps de réflexion supplémentaire.
Toutes les modifications apportées par la commission des lois tendent à
accorder aux magistrats des temps d'arrêt pour faire le point, réfléchir et
examiner les conséquences de la disposition qu'ils vont prendre.
L'une des conséquences du placement en détention provisoire tient aux
conditions de vie dans les maisons d'arrêt.
Tout à l'heure, notre collègue et ami M. Caldaguès a rappelé le nombre élevé
de suicides au cours de la détention provisoire. Ces suicides sont dus en
partie aux conditions de détention inhumaines, totalement dégradantes.
Par conséquent, cet amendement vise à obliger le juge de la liberté
individuelle, comme c'est le cas pour le juge des enfants qui place un mineur
en détention, à vérifier, avant le placement en détention provisoire, si, à la
prison de la Santé, par exemple, la même cellule n'est pas partagée pas trois
ou quatre personnes placées en détention provisoire. En effet, actuellement, le
mandat de dépôt est donné à l'escorte qui, arrivée à la prison, le remet au
directeur de l'établissement pénitentiaire. Mais plus personne ne se soucie de
ce qui se passe une fois que la personne placée en détention provisoire a
franchi les portes de la prison !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Sauf l'avocat !
M. Hubert Haenel.
Sauf l'avocat, mais il ne vient pas tout de suite ! J'ajoute - peut-être
pourrez-vous nous répondre, madame la garde des sceaux, si vous avez les
éléments statistiques - que deux dispositions du code de procédure pénale
enjoignent le procureur de la République et le président de la chambre
d'accusation de visiter trimestriellement les établissements pénitentiaires.
Certains m'ont dit qu'ils n'étaient pas en mesure de le faire, faute de moyens
et de temps. Par conséquent, les contrôles qui sont prétendument exercés sur
les établissements pénitentiaires ne sont pas nécessairement aussi effectifs
que la loi veut bien le dire.
Je mesure la difficulté à mettre en oeuvre la disposition contenue dans mon
amendement n° 156 rectifié.
Toutefois, elle vise à faire prendre conscience de ce qui se passe quand un
mandat de dépôt a été délivré.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. A l'issue d'un débat sur ce problème, hier, la commission a
décidé de proposer que le Gouvernement disposerait d'un délai de cinq ans pour
parvenir à l'emprisonnement individuel des prévenus. C'est un délai qui peut
paraître long - les délais de trois ans et quatre ans ont également été évoqués
- mais qui est en tout cas très raisonnable.
Par conséquent, par cohérence avec ce qu'elle a décidé hier, la commission ne
considère pas souhaitable d'empêcher toute mise en détention provisoire lorsque
l'emprisonnement individuel ne peut pas être assuré, et elle émet donc un avis
défavorable sur l'amendement n° 156 rectifié, dont nous espérons qu'il n'aura
plus d'objet dans cinq ans.
M. le président.
Monsieur Haenel, l'amendement n° 156 rectifié est-il maintenu ?
M. Hubert Haenel.
Je retire cet amendement. Je l'ai déposé pour qu'une prise de conscience ait
lieu et qu'un message soit délivré ici.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Le message est délivré puisqu'il figure au
Journal
officiel.
M. Hubert Haenel.
Vous le prenez donc en considération, monsieur le rapporteur ?
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Comme tout ce que vous dites, monsieur Haenel.
M. le président.
L'amendement n° 156 rectifié est retiré.
Article 11