Séance du 4 novembre 1999







M. le président. « Art. 2 bis . _ La première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 212-7 du code du travail est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« La durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures. Un décret pris après conclusion d'une convention ou d'un accord collectif de branche peut prévoir que cette durée hebdomadaire calculée sur une période de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-six heures. »
Je suis saisi de trois amendement qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 11 est présenté par M. Souvet, au nom de la commission.
L'amendement n° 75 est déposé par M. Joly.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 107, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, à la fin de la première phrase du second alinéa de l'article 2 bis, de remplacer les mots : « quarante-quatre » par les mots : « quarante-deux ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 11.
M. Louis Souvet, rapporteur. L'amendement n° 11 vise à supprimer l'article 2 bis , qui prévoit d'abaisser la durée maximale du travail hebdomadaire de 46 heures à 44 heures. Cette disposition fait partie d'une série de mesures adoptées par l'Assemblée nationale afin de « durcir » la rédaction initiale du projet de loi.
La commission observe que 21 % des accords signés dans l'optique de l'application de la loi du 13 juin 1998 prévoient une durée maximale du travail supérieure à 44 heures. L'adoption de l'article 2 bis pourrait ainsi aboutir à la remise en cause de la mise en oeuvre de certains de ces accords.
C'est pourquoi la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter cet amendement de suppression.
M. le président. L'amendement n° 75 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 107.
M. Guy Fischer. La commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale avait adopté un amendement tendant à ramener la durée maximale hebdomadaire du travail de 46 heures à 42 heures en moyenne sur douze semaines consécutives, ce qui permettait ainsi de prendre pleinement en compte la réduction de la durée légale du travail.
A la demande du Gouvernement, cette durée moyenne maximale du travail a été relevée à 44 heures sur douze semaines consécutives, afin de ne pas aller à l'encontre des accords signés, trente-deux accords de branche prévoyant une durée supérieure à 42 heures.
J'ai bien entendu, madame la ministre, les arguments qui ont été développés. Il s'agit tout d'abord de respecter autant que possible la teneur des accords de branche et les négociations. Nous sommes tous très attachés à ce point, à condition, bien sûr, que ces accords soient signés par des partenaires représentatifs et qu'ils reflètent les aspirations des salariés.
Il s'agit ensuite, nous a-t-on dit, de s'assurer que les clauses d'ordre public social qui constituent des protections pour les salariés ne souffrent pas de trop nombreuses dérogations.
Certes, je suis conscient que le caractère saisonnier de certaines activités peut conduire à dépasser ces maxima. Pour autant, la solution qui est proposée n'est pas vraiment satisfaisante. Vous limitez le nombre des dérogations à ce maximum en faisant intervenir le pouvoir réglementaire, soit, mais vous alignez la loi sur le plancher prévu par les accords de branche.
C'est pourquoi nous entendons, par cet amendement, revenir à la solution qui avait été initialement retenue.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 107 ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 11 et 107 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Ces deux amendements sont contradictoires puisque l'un vise à revenir à une durée maximale de 46 heures sur douze semaines, l'autre d'une durée minimale de 42 heures sur douze semaines.
Je rappelle quelle est la position du Gouvernement, telle que je l'ai exprimée à l'Assemblée nationale, où un amendement de la commission, identique à l'amendement n° 107, défendu par M. Fischer, au nom de son groupe, visait à fixer la durée maximale du travail à 42 heures sur douze semaines.
Bien évidemment, la durée maximale du travail est un élément majeur puisqu'elle permet de réduire les fortes durées de travail.
Cette clause d'ordre public social est fondamentale, car elle vise à protéger la vie, la santé et la sécurité même du salarié. En conséquence, les dérogations à cette clause doivent être très rares et liées non pas à des décisions économiques mais à la nature de l'activité qui impose un dépassement de la durée maximale du temps de travail.
A ce jour, vingt-neuf accords de branche ont prévu des durées du travail supérieures à 42 heures - non pas évidemment tout au long de l'année mais dans les périodes de saisonnalité, dont quelques-uns seulement avec des plafonds supérieurs à 44 heures.
Aussi, dans un souci de faire en sorte que la durée maximale reste une clause d'ordre public social à laquelle il n'est possible de déroger que dans des conditions exceptionnelles, je préfère que nous nous en tenions à un plafond de 44 heures sur douze semaines, sachant que les rares cas de dérogation sont liés à la saisonnalité, en fait au climat, c'est-à-dire essentiellement à la nature. C'est le cas, par exemple, des secteurs du sucre et de la conserverie.
Nous avons d'ailleurs complété le texte de l'article 2 bis par un double verrou, en précisant que les dérogations ne peuvent être accordées qu'après la conclusion d'une convention ou d'un accord collectif de branche, sanctionnée par un décret.
Ainsi, nous respectons la clause d'ordre public social qu'est la durée maximale du travail, à laquelle il ne peut être dérogé que de manière exceptionnelle. Réduire cette durée de deux heures par semaine sur douze semaines, alors même que nous savons qu'un certain nombre d'activités, dépendantes de la nature, nécessitent de nombreuses heures de travail pendant des périodes de l'année souvent extrêmement courtes ne me paraît pas se justifier. Le plafond de 44 heures est important mais suffisant si nous souhaitons effectivement le voir réellement appliqué.
En conséquence, je suis défavorable aussi bien à l'amendement n° 107 qu'à l'amendement n° 11 pour des raisons évidemment tout à fait opposées.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11.
M. Alain Gournac. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Madame le ministre, s'il n'y avait qu'un seul exemple à citer du grand écart permanent que vous êtes obligée de réaliser pour vous assurer les faveurs de vos partenaires de la majorité plurielle, c'est bien celui de cet article 2 bis relatif à la durée maximale du travail hebdomadaire.
La moyenne maximale des heures travaillées sur douze semaines est de 46 heures.
Vos partenaires verts, épris de cette logique réductrice, considèrent, ainsi que nous l'avons déjà évoqué, que la réduction de la durée légale de quatre heures est censée s'accompagner également d'une réduction équivalente de quatre heures de tous les seuils.
L'amendement n° 1007, adopté par l'Assemblée nationale, a donc retenu un plafond de 42 heures pour la durée maximale du travail sur douze semaines.
Vous savez, madame le ministre, à quel point cette disposition serait néfaste pour nos entreprises.
Vous ne souhaitiez pas toucher à ce seuil et, pourtant, vous avez été obligée d'accepter un compromis en coupant la poire en deux : 46 heures pour toute personne de bon sens, 42 heures pour vos camarades verts. La réponse à ce conflit est simple vous proposez 44 heures !
L'économie française est un sujet trop sensible pour être pris en otage par des querelles d'une majorité qui ne fait pas preuve de beaucoup de responsabilité.
D'ailleurs, par un sous-amendement, vous avez aussitôt limité ce compromis en permettant aux entreprises d'obtenir des dérogations par décret. Oh ! là ! là !
Si donc vous prévoyez cette porte de sortie, c'est que vous savez à quel point cet article est inique et dangereux pour nos entreprises.
Il est absolument indispensable de supprimer cet article, qui n'est qu'une façade puisqu'il sera nécessaire d'établir de multiples dérogations par décret.
Notre droit du travail ne doit pas être pris en otage par ces palabres.
M. Jean-Luc Mélenchon. « Palabres » ?
M. Alain Gournac. Nous voterons tous unanimement l'amendement de suppression de l'article 2 bis.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je n'ai pas répondu tout à l'heure aux propos de M. Nogrix sur les apprentis sorciers, mais je tiens à dire à M. Gournac que nous ne faisons pas de grands écarts permanents !
M. Alain Gournac. Ecoutez...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Permettez que je vous réponde, monsieur le sénateur. Je vous ai écouté et, pourtant, ce n'était pas toujours agréable !
M. Alain Gournac. Il faut accepter la contestation !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. La contestation, d'accord, mais sans user de termes insultants !
M. Alain Gournac. La contestation, c'est la démocratie !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. La démocratie, c'est la contestation fondée sur des arguments, ce ne sont pas des insultes, monsieur le sénateur.
M. Alain Gournac. Je ne vous ai jamais insultée ! Citez-moi des exemples !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous les citerai ; je peux les retrouver et en dresser une liste assez longue.
M. Alain Gournac. Il y a un compte rendu des débats !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous répondrai donc très calmement, monsieur Gournac.
M. Alain Gournac. Vous n'acceptez pas que l'on ne soit pas d'accord avec vous !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'accepte totalement que vous ne soyez pas d'accord avec moi...
M. Alain Gournac. Mais non !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... mais je préfère simplement qu'au lieu de parler de « grand écart » avec mes partenaires vous vous intéressiez au fond du débat.
Il se trouve que l'ensemble des partenaires de la gauche plurielle veulent effectivement réussir ensemble les 35 heures, et les Français, d'ailleurs, leur donnent raison, comme le montrent les sondages, et surtout les résultats.
M. Alain Gournac. Toujours les sondages !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous sommes peut-être des apprentis sorciers. Nous ne sommes pas de grands modernistes comme vous - je ne sais d'ailleurs pas ce que cela veut dire ! - mais nous faisons reculer le chômage. C'est pour cela que nous sommes ici, et nous le faisons ensemble. (M. Alain Gournac proteste.)
Pourquoi débattons-nous ? Parce que cela me paraît essentiel, dans une majorité, au sein même d'ailleurs du parti politique auquel j'appartiens. Personne n'a la science infuse, et je serais étonnée que des sénateurs contestent le fait que le Gouvernement discute avec les sénateurs ou les députés pour enrichir un texte. Personnellement, quand je me rends devant l'Assemblée nationale, après avoir rencontré l'ensemble des groupes de la majorité et ceux de l'opposition, quand ils m'y invitent - c'est d'ailleurs ce que j'ai fait en ce qui concerne le projet de loi de financement de la sécurité sociale - priviligie le débat au fond pour améliorer le texte. Nous avons toujours procédé ainsi, et je me réjouis effectivement que, sur un grand nombre de points, l'Assemblée nationale nous ait permis, à l'occasion d'amendements socialistes, verts, communistes ou radicaux, d'améliorer ce texte.
J'avais toujours dit qu'il fallait réduire les durées maximales du travail. Nous réfléchissions à une durée comprise entre 42 et 44 heures. Nous avons eu ce débat. Le groupe communiste a souhaité que nous ayons également un débat au Parlement sur les conséquences de ce texte en matière d'emplois. Le débat nous a permis de compléter ce texte pour que les contreparties en emplois des baisses de charges soient clairement identifiées, et pour que nous soyons ainsi assurés - aucun sénateur ne pourra nous en faire le reproche - que les fonds publics sont bien utilisés. Dorénavant, un rapport transparent sera remis au Parlement, après débat contradictoire avec les organisations patronales et syndicales, pour vérifier que la baisse des charges sociales crée bien des emplois.
La démocratie, c'est discuter avec les députés, comme aujourd'hui avec les sénateurs - nous l'avons fait hier sur l'habillage - pour essayer d'améliorer le texte.
Je n'ai pas l'impression, quand je modifie mon texte, que je recule ou que j'avance. C'est tout simplement le résultat du débat démocratique. Que penseriez-vous d'un gouvernement qui se présenterait avec un texte devant l'Assemblée nationale en recourant à la procédure du vote bloqué ? Vous, vous l'avez fait très souvent contre vos propres amis parce que vous n'étiez pas capables de vous mettre d'accord entre vous. (Applaudissements sur les travées socialistes.) Nous, nous préférons la discussion qui enrichit le texte. C'est cela aussi, la démocratie !
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Nous avons également déposé un amendement sur l'article 2 bis , mais les choses doivent être bien claires : nous sommes opposés à la suppression de cet article, même si ce dernier ne nous satisfait qu'en partie.
Toutefois, j'ai bien écouté Mme la ministre ; nous avons aussi pris en compte l'avancée qui a été réalisée à l'Assemblée nationale. Nous ne sommes pas jusqu'au-boutistes et je dois dire que les arguments qui ont été développés par M. Gournac nous confortent dans notre idée.
En conséquence, nous retirons notre amendement n° 107, et bien entendu, nous voterons contre celui de la commission.
M. le président. L'amendement n° 107 est retiré.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Les amendements n°s 11 et 75 traduisent nettement la volonté de la droite de freiner par tous les moyens la diminution du temps de travail et de développer au maximum la flexibilité. Mais nous sommes bien au-delà du chiffre mythique des 35 heures.
Le problème est pourtant bien ici d'ordre public, et le temps de travail, lorsqu'il atteint des sommets tels que 44, 46 ou 48 heures hebdomadaires, cesse d'être une donnée seulement économique ou sociale pour devenir un élément de santé publique.
On pourrait s'étonner d'entendre des parlementaires, représentants de la collectivité nationale, n'avoir pas un seul mot pour cette donnée fondamentale et se limiter à des considérations économiques. Mais il est inutile de rappeler ici une nouvelle fois que c'est une vieille tradition sur les bancs de la droite, depuis qu'il a été question de limiter le temps de travail des enfants à moins de douze heures par jour, de prédire pour demain la ruine des entreprises ! (Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Vasselle. Ce n'est pas sérieux !
Mme Nicole Borvo. C'est exact !
Un sénateur de l'Union centriste. C'est du Zola !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Peut-être, mais c'est la réalité !
Constatant que, depuis plus d'un siècle, les entreprises ont survécu et que l'économie a globalement prospéré, le Gouvernement et la majorité se risquent de nouveau à proposer une diminution, qui reste d'ailleurs fort modeste, des durées maximales hebdomadaires de travail.
Le groupe socialiste soutient évidemment cette disposition, qui s'inscrit, en ce qui concerne les forces de progrès, dans une tradition totalement opposée à celle de la droite.
Je voudrais, au passage, ajouter que l'efficacité économique est directement liée à la durée du temps de travail et à la protection des salariés. Il est tout à fait clair, selon les études dont on dispose, que la motivation et la qualité du travail fourni ont un lien direct avec les conditions de travail, au premier rang desquelles figure la durée de celui-ci.
Il va de soi également, si l'on veut bien toutefois considérer que les salariés peuvent encore bénéficier des prestations de l'assurance maladie, par exemple, que la préoccupation de santé publique qui est la nôtre rejoint le nécessaire équilibre des comptes sociaux. Comment négliger le fait que l'apparition des maladies dues au stress et à la fatigue, que la survenue des accidents professionnels sont liées à la fois au degré de précarité des salariés et aux horaires qui leur sont imposés ?
M. Jean Arthuis. Le chômage donne du stress aussi !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je voudrais faire remarquer, à mon tour, qu'il s'agit d'une durée « moyenne » - j'y insiste - de 44 heures sur douze semaines ! Une moyenne de 44 heures sur douze semaines, cela vous laisse tout de même de belles occasions d'être très occupé à certains moments au cours desdites douze semaines ! Il ne s'agit donc pas d'une réduction brutale, instantanée, du temps de travail qui désorganiserait la production. Je suis, dès lors, assez surpris de votre acharnement contre cette disposition.
Depuis le début de notre discussion, vous avancez toujours le même argument : « il faut que ça se discute ». Il a déjà été dit à plusieurs reprises qu'il y avait des dispositions qui ne se discutaient pas. M. Nogrix a semblé me montrer du doigt comme un parangon de rigidité. J'assume mon intention politique. C'est Jean Jaurès qui disait que la République ne s'arrêtait pas à la porte de l'entreprise. C'est ma tradition philosophique et politique.
La tendance dominante de notre époque - elle passera, vous verrez ! - qui veut que l'économique n'ait rien à voir avec la politique et que la politique n'ait pas à mettre les pieds dans l'économique pour y créer de la règle est une absurdité de civilisation. (M. Philippe Nogrix proteste.) Moi, je l'assume : je suis pour que la politique crée de la règle, notamment en matière d'ordre public social.
Là, il s'agit de l'évaluation de l'usure du point de vue de la santé, de la fatigue des personnes au travail. Et personne, à plus forte raison vous, mon cher collègue, un membre de l'Union centriste, ne peut avoir oublié son humanisme « principiel » à cette occasion-là !
Le développement de la société, des capacités de production, de la technologie ne doit-il à aucun moment revenir en bénéfice sur la personne humaine ? C'est ce que nous essayons de faire. Nous estimons que le moment est venu.
M. Bernard Murat. Ça, c'est du gaullisme !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je suis stupéfait de votre rigidité sur ce sujet. Je trouve que vous êtes excessivement dur et sans doute très involontairement cruel. (M. Nogrix proteste.) C'est bien ce que vous êtes !
Après quoi, vous pourrez me caractériser comme vous le voulez ! (M. Nogrix proteste de nouveau.)
Monsieur Nogrix, permettez-moi de m'adresser à vous. Je le fais pour la qualité du dialogue que nous avons noué et en directe proportion de l'estime que je porte à la cohérence de vos arguments.
Permettez-moi de vous dire que c'est vous qui nagez dans un angélisme, tout à fait respectable, mais naïf.
Vous nous avez fait une description de la communauté d'entreprise qui se rejoint sur un objectif de projet. Sans doute tout cela est-il vrai. Mais la réalité, ce n'est pas tout à fait ce que vous décrivez.
Vous n'avez pas besoin d'aller bien loin. Maintenant le chantier d'Eole et de Météor est terminé, mais il vous suffisait d'aller faire un petit tour dans Paris et de vous faire expliquer quelle communauté de projets il y avait dans ces souterrains-là, où l'on comptait le temps de travail à partir du moment où l'on était arrivé sur le front de taille, où l'on avait descendu l'échelle de fer et parcouru les 350 mètres... (Exclamations sur les travées du RPR.)
C'est peut-être du Zola, mais ce n'est pas moi qui fais du Zola ! Zola, c'est une réalité !
La loi, naturellement, n'a pas à être suspicieuse, elle n'a pas à montrer du doigt. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) En revanche, elle doit établir des garde-fous, des normes afin de faire revenir sur la collectivité de ceux qui produisent les avantages du progrès. Ce n'est pas plus que cela !
Je ne résiste pas au plaisir de relever quelques bonnes références, surtout quand je m'adresse à un membre de l'Union centriste.
Vous êtes attaché au vocabulaire et vous dites que M. Mélenchon exprime le point de vue traditionnel du socialisme. Figurez-vous que je ne trouve pas du tout cela insultant. J'en suis même plutôt fier, et je l'assume.
Mais mon vocabulaire, s'emploie aussi dans d'autres langues. Certains, comme Leonardo Boff ou Dom Helder Camara, parlent de « l'option préférentielle pour les pauvres ». Je ne dis pas cela de la même manière, mais je dis la même chose !
Cela se parle aussi dans la langue de John Rawls et cela s'appelle « le principe du voile d'ignorance », qui consiste à se situer toujours du point de vue de celui qui a le plus de risques à assumer, comme si on ne savait pas quelle est sa propre position.
M'adressant toujours à un membre du groupe de l'Union centriste, je vais me référer à Dom Helder Camara. Ce n'est pas dans mes habitudes, c'est seulement pour lui faire plaisir et pour le conduire à méditer sur les implications humaines de ses propositions. Voici donc ce que disait Dom Helder Camara : « Quand je donne à manger aux pauvres, on me loue comme un saint, quand je dénonce la pauvreté, on me condamne comme un communiste. » Voilà !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très belle phrase !
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je n'avais pas l'intention d'expliquer mon vote sur cet article, mais je le fais parce que l'intervention de Mme Dieulangard - plus, d'ailleurs, que celle de Mme le ministre - m'y incite.
En effet, on ne peut pas continuer à laisser faire des procès d'intention à la majorité sénatoriale, en faisant notamment référence au fait qu'il fut une époque - quand même très lointaine - où la droite - et Mme Dieulangard semble penser que la droite est toujours dans le même état d'esprit aujourd'hui -, alors que les enfants travaillaient douze heures par jour, dénonçait le fait que l'on puisse diminuer leur temps de travail au motif que l'entreprise devrait, de ce fait, renoncer à faire du profit.
Madame, je vous en prie, ne lancez pas, à la veille d'un nouveau millénaire, des affirmations de cette nature et ne laissez pas croire à l'opinion publique que la majorité sénatoriale d'aujourd'hui est exactement dans le même état d'esprit !
Ainsi, si nous combattons le texte sur les 35 heures, ce serait précisément pour faire souffrir les salariés au travail, pour leur en demander plus - bref ne pas être humain - et pour les exploiter au maximum afin de permettre à l'entreprise de réaliser les plus grands profits.
Non, vraiment, on a l'impression de vivre une autre époque, une époque moyenâgeuse !
M. Jean Chérioux. Cette époque est révolue, en France du moins !
M. Alain Vasselle. Madame Dieulangard, je vous en prie ! Que la majorité et le groupe que vous représentez ne tiennent plus de tels propos, qui m'apparaissent complètement déplacés ! (M. Chérioux applaudit.)
Monsieur Mélenchon, à côté de Mme Dieulangard, vous êtes beaucoup plus mesuré. C'est d'ailleurs un paradoxe ! (Sourires.) Force est de le constater.
Vous défendez votre philosophie. Soit ! Nous ne vous le reprochons pas. Mais acceptez que nous ayons la nôtre.
Je note par ailleurs que, si Mme Aubry accepte de nouer le dialogue - quoi de plus naturel d'ailleurs ? - avec la majorité qui soutient le Gouvernement, convenez qu'elle est plutôt sourde aux propos et aux propositions de la majorité sénatoriale !
J'ai d'ailleurs souvent eu l'occasion de constater, lors de la discussion d'autres textes de loi, que, même lorsque le Sénat défend des propositions techniques et dépourvues d'arrière-pensée politicienne ou politique, le Gouvernement n'accepte pas de nous entendre ; il fait la sourde oreille.
A cet égard, la discussion de l'article 2 ter sera instructive. La commission des affaires sociales y fait une proposition. Ce sera l'heure de vérité qui permettra de voir si le Gouvernement est effectivement prêt à adopter une position constructive à l'égard des propositions du Sénat plutôt que de se retrancher sur une vérité qu'il considère être le seul à détenir.
Permettez-moi de le relever, car une telle attitude à l'égard de la Haute Assemblée n'est pas plus digne de vous, madame le ministre, que de vous, madame Dieulangard. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Philippe Nogrix. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Nous sommes en train d'oublier un mot qui, lors d'une certaine campagne électorale, avait pourtant pris tout son sens : subsidiarité.
Je trouve un peu décevant que vous méprisiez tant la capacité des ouvriers et des syndicats à négocier. N'est-ce pas à eux de se défendre ? N'en ont-ils pas les capacités réglementaires de par les instances qui existent dans les entreprises, et par les argumentaires qu'ils tirent de leur connaissance des lois sociales ?
Madame la ministre, avant de vous approprier les emplois qui sont aujourd'hui créés, vous devriez attendre un peu, car je crois, moi, que les emplois créés le sont par le marché, par les entreprises. Même si ce sont là deux mots que vous voulez rayer de votre vocabulaire, ils existent encore !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce que vous dites là est excessif !
M. Philippe Nogrix. Quant à vous, monsieur Mélenchon, je vous remercie d'avoir reconnu que l'Union centriste avait des gens de qualité et défendait des valeurs qui étaient de bonnes valeurs.
Je note cependant que, si vous n'employez pas d'injures, vous nous injuriez tout de même, car faire accroire à la France que la droite n'a pas évolué depuis la discussion sur le travail des enfants, de votre part et de celle de Mme Dieulangard, c'est aller un peu loin.
Une telle attitude, madame Dieulangard, n'est pas dans vos habitudes et vous m'avez fait mal ! (Sourires sur les travées socialistes.)
L'évolution politique correspond à l'évolution de la société et l'on ne peut pas continuer à remonter ainsi dans le temps et à accrocher des étiquettes à tous les hommes et à toutes les femmes de la majorité sénatoriale.
Mme Danièle Pourtaud. Dans cinquante ans, on dira encore la même chose !
M. Philippe Nogrix. Par ailleurs, monsieur Mélenchon, je veux vous dire que l'organisation de la société, ce n'est pas simplement de la méditation. Il faut avoir un peu les pieds sur terre et se rendre compte que l'artisan, avec ses six ou sept ouvriers, à qui vous allez imposer de plus en plus de rigidité, n'aura plus l'esprit disponible pour gérer son entreprise.
Soyons suffisamment intelligents pour faire confiance aux gens, pour penser que les chefs d'entreprise, avec leur équipe, sont capables de s'organiser, qu'il est inutile d'en rajouter encore, d'en rajouter toujours, car trop c'est trop.
Imaginez ce que représente l'adaptation continuelle d'une petite entreprise à la vie moderne. Il y a eu l'euro, il y aura le bogue de l'an 2000, et on en ajouterait encore !
Il faut laisser aux gens le temps. C'est ce que nous demandons. Faisons évoluer la société, mais respectons un certain rythme, car les ruptures n'assurent pas la pérennité de ce que l'on voudrait voir instituer.
Par ailleurs, madame la ministre, si nous avons vraiment des marges de manoeuvre, nous pourrions peut-être penser à nos partenaires, à ceux qui frappent à la porte de l'Europe, à ceux qui voudraient bien nous rejoindre, à ceux qui voudraient participer à notre communauté de projet.
Oui, monsieur Mélenchon, nous avons une communauté d'objectifs ! Pour qu'ils entrent dans cette communauté, peut-être faut-il les aider avant de se donner encore des avantages supplémentaires.
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, je soutiendrai, bien sûr, l'amendement de la commission, mais je voudrais, à ce stade de la discussion, dire à M. Mélenchon que ce qui est excessif est insignifiant et que l'évocation nostalgique de l'industrie à la Zola n'est pas appropriée.
M. Jean-Luc Mélenchon. De quel droit me parlez-vous sur ce ton ?
M. Jean Arthuis. Parce que vous nous avez suspecté de je ne sais quelle cruauté, tout à l'heure, quand vous avez évoqué le travail des enfants, la sécurité et la santé des travailleurs. De grâce !
M. Jean-Luc Mélenchon. Moi, je n'ai pas parlé du travail des enfants !
Laissez de côté vos grands airs que rien ne justifie !
Vous n'êtes pas la chaisière et l'on n'est pas au bal des petits lits blancs !
M. Jean Arthuis. Vos propos sont parfaitement blessants. Permettez que je vous réponde, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne me parlez pas sur ce ton hautain. Moi, je ne vous parle pas de cette manière.
M. le président. Monsieur Arthuis, veuillez poursuivre votre intervention au titre des explications de vote.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'ai pas de leçon à recevoir de M. Arthuis, ce réactionnaire des bocages !
M. le président. Je vous en prie, monsieur Mélenchon, M. Arthuis, et lui seul, a la parole.
M. Jean Arthuis. Pour ma part, je n'ai pas interrompu M. Mélenchon.
Ce projet de loi a été conçu pour réduire le chômage et créer de l'emploi, et nous avons eu l'occasion, dans la discussion générale, de dire notre opinion et de faire part des réflexions que nous inspire cette contribution législative.
Mais, en fait, si aujourd'hui on crée de l'emploi, ce dont chacun se réjouit, c'est d'abord parce qu'il y a de la croissance. Evitons d'enfermer les entreprises dans des corsets réglementaires. Il me semble que la voie d'avenir, c'est la reconnaissance de l'entreprise comme un lieu de partenariat et non pas comme un lieu d'affrontement. Organisons la transparence et faisons vivre une authentique participation à l'intérieur de chaque entreprise !
Mes chers collègues, vous avez eu l'occasion de voir, lorsque nous pratiquions l'économie administrée, lorsque l'Etat était l'actionnaire totalitaire ou majoritaire d'entreprises publiques, que, bien souvent, les entreprises publiques prenaient les PME comme des variables d'ajustement.
Tel constructeur automobile, telle grande entreprise de la chimie ou de quelque autre domaine majeur s'ajustait sur les petites et moyennes entreprises. Autrement dit, ceux qui étaient à l'intérieur de la structure parapublique bénéficiaient d'un statut privilégié et, dans le même temps, on écrasait les petites et moyennes entreprises.
De grâce, ayons suffisamment d'humilité pour reconnaître ces mécanismes de la vie économique ! Cela ne signifie pas que le politique n'ait pas son rôle à jouer. Au contraire ! Son rôle n'a peut-être jamais été aussi important.
A nous de définir des règles claires et simples que l'on puisse faire respecter. A nous de mettre en place des autorités de régulation, de leur donner les moyens d'accomplir leurs diligences et d'exercer leur autorité.
Faisons confiance aux partenaires sociaux. Que chaque entreprise soit un lieu de dialogue, un lieu de partenariat et d'authentique participation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Bernard Murat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur Mélenchon, j'espère que je vais mettre suffisamment de forme dans mon propos ! Je ne voudrais surtout pas égratigner votre susceptibilité. Je vais donc m'efforcer de m'exprimer simplement, comme on le fait dans le Sud-Ouest.
Le débat est intéressant, parce que nous avons - vous avez raison de le dire - deux visions différentes de la société.
M. Jean Chérioux. C'est notre droit !
M. Bernard Murat. La vôtre s'apparente à un néo-marxisme. La nôtre est libérale, libérale mais gaulliste.
J'étais d'ailleurs tout à fait d'accord avec vous, monsieur Mélenchon, quand vous disiez que la politique et l'homme réalisent une sorte de synthèse avec l'entreprise. C'est cela le gaullisme !
C'est tout simplement ce que le général de Gaulle nous a appris et que nous essayons, dans nos rangs et dans notre vie au quotidien, de mettre en application. Et c'est pour cela que, parfois, nos amendements ne sont pas tout à fait en accord avec les vôtres. Les plus grands adversaires du gaullisme, c'étaient d'ailleurs vous, les socialistes.
De ce point de vue, il y a un véritable débat. Vous vous êtes rapprochés, c'est vrai, mais il reste tout de même encore beaucoup de chemin à faire ensemble.
S'agissant du travail des enfants de douze ans - mes petits-enfants, vos petits-enfants, madame ! - comment pouvez-vous faire un tel procès à notre génération, alors que nous sommes en train d'assumer les turpitudes de vos générations, sans bénéfice d'inventaire, à tous les niveaux ? Dieu sait si c'est dur à vivre aujourd'hui sur le terrain !
En revanche, chaque fois que vous accentuez la pression fiscale sur les entreprises, celles-ci sont obligées de délocaliser leurs productions dans des pays du tiers monde pour rester compétitives dans les grandes surfaces françaises, et ce sont ces pays du tiers monde, que vous connaissez aussi bien que moi, qui utilisent, c'est vrai, des enfants de douze ans et de moins de douze ans !
Parmi tous mes collègues au sein de cet hémicycle, je suis l'un des rares à avoir commencé à travailler dès l'âge de dix-huit ans. J'étais apprenti dans une tannerie. Je sais donc ce que c'est que le travail dans une entreprise, monsieur Mélenchon !
Mme Danièle Pourtaud. Nous aussi !
M. Bernard Murat. Je ne pense pas que vous ayez eu beaucoup de feuilles de paie d'entreprise !
M. Jean-Luc Mélenchon. Si !
M. Bernard Murat. Je dis « d'entreprise » !
Alors vous pouvez comprendre ce que je suis en train de vous dire.
Le débat que nous avons aujourd'hui est, je crois, complètement idéologique ; il ne reflète absolument pas la réalité sur le terrain.
M. Alain Gournac. Malheureusement !
M. Bernard Murat. Moi, j'ai été apprenti, j'ai été patron et, ensuite, j'ai été employé. Je tiens à le dire, les relations au sein des entreprises, surtout les petites entreprises, entre les salariés, les cadres et les patrons, c'est-à-dire ceux qui détiennent le capital - j'entends le petit capital, qui n'a rien à voir, bien sûr, avec celui des grands groupes - traduisent une véritable fraternité de projet, et les employés sont fiers quand leurs enfants peuvent travailler aussi dans la même entreprise.
Mme Nicole Borvo. C'est un vrai conte de Noël !
Mme Danièle Pourtaud. On va vous en faire visiter quelques-unes !
M. Bernard Murat. Cela, c'est du concret et non de l'idéologie, et je peux vous citer de nombreux exemples, madame ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Danièle Pourtaud. On va vous emmener dans certaines entreprises !
M. Bernard Murat. Mais, madame, nous ne serons jamais d'accord, car vous êtes marxiste et, moi, je ne le suis pas. Je suis gaulliste !
C'est votre droit et je le respecte, madame ! Mais on sait parfaitement ce qui a été fait au nom du marxisme !
M. Jean Chérioux. Je n'en serais pas fier !
M. Bernard Murat. Nous avons deux positions différentes.
Pour conclure - je vais vous titiller un peu, monsieur Mélenchon - je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut que le politique soit à l'intérieur de l'entreprise et que notre rôle de politique est précisément d'être une alternative à un capitalisme sauvage. Mais celui qui a théorisé sur ce point il y a peu et qui a dit qu'il fallait baisser les bras devant la position de Michelin, c'est M. Jospin ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 bis est supprimé.

Article additionnel après l'article 2 bis