Séance du 16 décembre 1999






ACTIONNARIAT SALARIÉ

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 118, 1999-2000) de M. Jean Chérioux, fait au nom de la commission des affaires sociales sur :
- la proposition de loi (n° 52, 1999-2000) de MM. Jean Chérioux, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Louis Boyer, Jean Delaneau, Christian Demuynck, Charles Descours, Jacques Dominati, Michel Esneu, Francis Giraud, Alain Gournac, André Jourdain, Dominique Leclerc, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. André Pourny, Henri de Raincourt, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle et Guy Vissac tendant à favoriser le développement de l'actionnariat salarié ;
- la proposition de loi (n° 87, 1999-2000) de M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste, relative au développement du partenariat social. [Avis (n° 129, 1999-2000).]
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Chérioux, rapporteur de la commission des affaires sociales. « Assez de ce système absurde où, pour un salaire calculé au minimum, on fournit un effort minimum, ce qui produit collectivement le résultat minimum. Assez de cette opposition entre les divers groupes de producteurs qui empoisonne et paralyse l'activité française. En vérité, la rénovation économique de la France et, en même temps, la promotion ouvrière, c'est dans l'association que nous devons les trouver. »
Ces mots, vous l'avez deviné, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sont du général de Gaulle. Il les a prononcés le 4 janvier 1948, aux heures les plus sombres de la reconstruction de notre pays, devant les mineurs de Saint-Etienne.
Je n'irai pas jusqu'à dire, au risque d'être un peu provocateur, qu'ils auraient aussi pu être ceux de Karl Marx.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Je sais qu'au fond vous êtes de mon avis, monsieur Fischer !
Ces deux analyses convergeaient très largement pour ce qui est du diagnostic. Il y avait un affrontement entre le capital et le travail, mais un affrontement stérile qui ne mène à rien, et qui ne résout rien.
Une analyse similaire n'implique pourtant pas des conclusions communes cela va sans dire. Or, l'histoire a prouvé que l'application de la théorie marxiste n'apportait pas la bonne solution. Le capitalisme d'Etat, voire l'autogestion, n'ont pas permis d'assurer le développement économique ni même d'améliorer la condition des travailleurs. Je ne serai pas féroce au point de donner des exemples, mais ils sont nombreux. Je dirais même qu'ils sont légion.
On ne peut toutefois accepter un capitalisme sauvage, dont on aperçoit aujourd'hui les méfaits sur le plan humain. Or, il se profile à l'horizon.
M. Lucien Neuwirth. C'est la réalité.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Dans ce contexte, la vieille idée, chère au général de Gaulle, de l'association retrouve, une fois encore, une actualité renouvelée.
Dans ses Mémoires d'espoir , il écrit : « Cependant, depuis longtemps, je suis convaincu qu'il manque à la société mécanique moderne un ressort humain qui assure son équilibre. Le système social qui relègue le travailleur au rang d'instrument et d'engrenage est, suivant moi, en contradiction avec la nature de notre espèce. »
C'est pour sortir de cette contradiction que le général de Gaulle a mis en place, à partir de 1959, le cadre d'une politique de participation. Celle-ci s'est développée en trois étapes.
L'ordonnance du 7 janvier 1959 a institué l'intéressement.
Les ordonnances du 17 août 1967 ont fondé la participation financière.
Mais il importait aussi de favoriser l'actionnariat salarié. Et c'est ce qu'ont permis les ordonnances de 1986 par l'effet conjugué des privatisations et de la relance des plans d'épargne d'entreprise. Ces deux formules restent d'ailleurs aujourd'hui encore le principal vecteur de l'actionnariat salarié.
Dans le cas des privatisations, la loi offre des conditions préférentielles aux salariés pour les inciter à devenir actionnaires : 10 % des actions mises sur le marché leur sont réservées, ils bénéficient en outre d'une décote sur le prix des actions, de délais de paiement et même de la possibilité d'obtenir des actions gratuites.
Les plans d'épargne d'entreprise permettent, eux, d'affecter l'épargne salariale à l'acquisition de titres de l'entreprise. Dans le cadre du plan, le salarié bénéficie aussi de conditions attractives : l'employeur peut participer au financement, la décote peut atteindre 20 %, le régime fiscal et social favorable de l'épargne salariale s'applique à l'actionnariat avec notamment une exonération d'impôt sur les plus-values. En contrepartie, les fonds recueillis sur le plan sont bloqués pendant au moins cinq ans, ce qui permet d'assurer la stabilité de l'actionnariat.
Aujourd'hui, les plans d'épargne sont devenus des vrais plans d'actionnariat. De très nombreuses entreprises proposent à leurs salariés d'investir leur épargne salariale, placée dans les plans d'épargne, dans des fonds communs de placement d'entreprise composés principalement d'actions de la société.
La loi du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation a, à son tour, renforcé ces dispositifs en permettant notamment de mieux associer les salariés actionnaires à la vie de leur entreprise. Ainsi, cette loi a prévu que, lorsque les salariés détiennent plus de 5 % du capital de l'entreprise, une assemblée générale extraordinaire est convoquée pour se prononcer sur une modification des statuts permettant aux représentants des salariés actionnaires de siéger au conseil d'administration de l'entreprise. C'est ce que j'ai appelé le « rendez-vous obligatoire ».
On voit là tout le chemin parcouru depuis 1959. De pari improbable, l'association, forme ultime de la participation, est devenue une réalité vivante. Preuve en est donnée par le dynamisme actuel de l'actionnariat salarié. Je pense que vous ne me démentirez pas sur ce point, madame la secrétaire d'Etat.
Je donnerai quelques exemples chiffrés pour illustrer mon propos.
Ainsi, 3 % des ménages, soit environ 700 000 familles, possédaient en 1997 des actions de leur entreprise.
A la fin de l'année 1998, la part du capital des entreprises cotées au fameux CAC 40 détenue par leurs salariés s'élevait à environ 2,6 %.
Les émissions de titres réservés aux salariés sont passées de 3,9 milliards de francs à 7 milliards de francs entre 1996 et 1998.
L'épargne salariale tend de plus en plus à être investie en actions de l'entreprise. Ainsi, en 1998, 88 milliards de francs sur les 232 milliards d'encours des fonds communs de placement d'entreprises étaient placés dans des actions de l'entreprise.
Madame la secrétaire d'Etat, cela doit vous faire rêver, vous qui appartenez à un gouvernement qui cherche quelques malheureux milliards de francs pour constituer son fonds de réserve pour les retraites !
M. François Autain. Il les a !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela représente 38 % de l'encours de ces fonds salariaux contre seulement 15 % en 1988.
Mais, au-delà de ces indicateurs statistiques qui auraient d'ailleurs besoin d'être améliorés - et là, je m'adresse au Gouvernement - on assiste aujourd'hui à de nouvelles pratiques des entreprises. Ainsi, pour s'en tenir à ces tout derniers jours, un grand groupe du bâtiment et des travaux publics a lancé une augmentation de capital réservée à ses salariés et correspondant à 3 % de son capital. Un autre groupe, cette fois-ci du secteur des services collectifs, vient d'annoncer un plan exceptionnel d'attribution d'options sur actions à l'ensemble de ses 250 000 salariés, à hauteur de 0,4 % de son capital.
Ces exemples témoignent du dynamisme actuel de l'actionnariat salarié. Il est vrai que celui-ci tend progressivement à devenir un thème fédérateur, dans un contexte apparemment de plus en plus consensuel. J'ose croire que le débat de ce soir ne le démentira pas.
Son développement apparaît en effet souhaitable.
Pour l'entreprise, il est d'abord un facteur de cohésion sociale. Il doit renforcer le dialogue social et permettre l'essor des démarches contractuelles. Il associe le salarié à la vie et à l'avenir de l'entreprise.
Il est également un moyen de redistribution de la richesse créée. Dans un contexte financier qui accorde une place centrale à l'actionnaire, l'actionnariat salarié permet de repositionner la politique participative en faisant participer le salarié au mouvement de « création de valeur ».
Il est, enfin, un moyen efficace de contribuer à la stabilité du capital des entreprises. Au moment où l'arrivée massive d'investisseurs étrangers rend le capital des entreprises françaises plus volatil, l'actionnariat salarié garantit un pôle de stabilité dans son capital.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur. On ne peut alors à la fois regretter la fragilité du capital de nos entreprises, critiquer l'emprise croissante des fonds de pensions étrangers et ne pas favoriser le développement de l'actionnariat salarié.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur. L'actionnariat permet également au salarié d'être mieux associé à la marche de l'entreprise. En devenant actionnaire, le salarié est désormais en mesure de peser sur les décisions les plus importantes qui engagent le destin de son entreprise. Encore faut-il - c'est très important, c'est même fondamental - que l'actionnariat salarié soit à la fois stable et organisé.
C'est pour ces raisons qu'il importe aujourd'hui de franchir une étape supplémentaire dans la voie du renforcement du partenariat social par un nouveau développement de l'actionnariat salarié.
Votre commission des affaires sociales a engagé, depuis le mois de mars dernier, un important travail sur ce thème de l'actionnariat salarié. A l'issue d'un très large programme d'auditions, environ une cinquantaine, elle a publié un rapport d'information, dont j'étais le rapporteur, dressant un bilan aussi objectif et exhaustif que possible de la situation actuelle de l'actionnariat salarié, de ses perspectives, de ses implications. C'est au regard de ce bilan qu'elle a élaboré une série de vingt-huit propositions dont l'ambition est d'accompagner la progression de l'actionnariat salarié, dans les meilleures conditions, dans le respect du dialogue social et dans le souci de coller au plus près de la réalité des entreprises et des attentes des salariés.
Ce travail a notamment permis de mettre en évidence la nécessité d'accompagner le mouvement actuel.
Le développement récent de l'actionnariat salarié ne doit pas en effet cacher la persistance de quelques faiblesses, ni l'existence de certains obstacles.
Certes, l'actionnariat salarié est plus développé en France que dans les autres pays de l'Europe continentale. Il n'en reste pas moins en retard par rapport à la Grande-Bretagne ou surtout aux Etats-Unis. Ainsi, on estime que 18 % des salariés représente là-bas 750 milliards de dollars, soit 9 % de la capitalisation boursière.
De même, le développement de l'actionnarait salarié reste inégal en France. Il concerne surtout les grandes entreprises et les PME dites « de croissance », celles qui sont positionnées sur des secteurs très pointus, souvent de haute technologie. Les PME plus « classiques » restent pour beaucoup à l'écart de ce mouvement.
Mais le développement de l'actionnariat salarié se heurte aussi à certains obstacles qui pourraient ralentir sa progression.
Tout d'abord, les privatisations, qui ont tant contribué à l'essor de l'actionnariat salarié, auront nécessairement un terme lorsque toutes les entreprises du secteur public que le Gouvernement voudra privatiser l'auront été.
Il existe ensuite un risque de dilution de l'actionnariat salarié. Face aux évolutions très rapides qui transforment la structure du capital des entreprises françaises, qu'il s'agisse de fusions, d'acquisitions, d'OPA, d'OPE, l'entreprise doit mener une politique dynamique et régulière d'actionnariat salarié afin que la part du capital social détenue par les salariés ne diminue pas progressivement.
En outre, la législation actuelle a vieilli sur certains points. Il convient donc de l'adapter aux évolutions actuelles du monde du travail pour accompagner efficacement l'essor de l'actionnariat salarié.
L'entreprise aussi a évolué. Son succès repose désormais sur l'adhésion de tous à un projet commun. La simple logique hiérarchique et verticale a vécu. C'est est également fini du modèle français de capitalisme d'Etat, né des nationalisations. C'en est fini aussi des montages subtils créés par les entreprises pour assurer leur autocontrôle.
C'est donc pour résoudre ces difficultés qu'ont été déposées les deux propositions de loi que votre commission des affaires sociales a été appelée à examiner.
Comme je l'avais annoncé, la première de ces propositions, déposée le 4 novembre dernier et présentée par votre rapporteur, prolonge le travail effectué par la commission depuis plus de huit mois. Je tiens ici à remercier tous les commissaires qui ont bien voulu la cosigner. Cette proposition qui tend à favoriser le développement de l'actionnariat salarié vise à transcrire dans la loi les vingt et une des vingt-huit propositions qui sont présentées dans mon rapport d'information et qui appellent des modifications d'ordre législatif.
Je tiens également à remercier M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste qui ont souhaité, à leur tour, déposer une proposition de loi sur ce sujet le 24 novembre dernier. Cette proposition de loi est relative au « développement du partenariat social ». Comme le précise excellemment son exposé des motifs, « l'organisation de l'entreprise doit reposer à la fois sur le principe de la négociation et sur un véritable partenariat social. Cette indispensable évolution des rapports sociaux nécessite de nouvelles avancées en matière d'actionnariat salarié. Ainsi faut-il que l'accès au capital social soit ouvert à tous les salariés, cela dans un cadre contractuel » - j'insiste sur ces derniers termes - « et des conditions préférentielles ».
Ces deux propositions de loi relèvent, on le voit, d'une logique en très grande partie identique. Elles visent, toutes les deux, à favoriser l'actionnariat salarié, à corriger certaines lacunes de la législation de manière non seulement à permettre son développement, mais aussi à mettre en place un véritable partenariat social dans l'entreprise associant concrètement les salariés aux décisions les plus importantes, celles qui engagent l'avenir de l'entreprise.
Dans ces conditions, il n'est donc guère étonnant qu'environ les deux tiers des dispositions de ces deux propositions de loi soient identiques ou presque. Et ce sont ces dispositions qui constituent la ligne directrice des conclusions que votre commission des affaires sociales vous présente aujourd'hui.
Toutefois, dans le souci de proposer des conclusions homogènes et de respecter les compétences des autres commissions permanentes, votre commission des affaires sociales a choisi de disjoindre de ses conclusions six des dix-sept articles de la proposition de loi qui ne relèvent pas directement de l'actionnariat salarié généralisé dans le cadre du partenariat social. Il s'agit principalement des dispositions concernant le régime des plans d'options sur actions. Il nous a semblé en effet préférable que la commission des finances se saisisse pour avis de cette question. Son regard d'expert sur ce sujet me paraît d'autant plus indispensable qu'elle a été, ces derniers mois, à l'origine de plusieurs propositions en ce domaine. Nous nous sommes simplement contentés, à la commission des affaires sociales, d'aborder l'actionnariat salarié issu des options sur actions.
S'agissant de nos conclusions, je souhaite vous rappeler les principes qui ont guidé la démarche de votre commission. Ils sont au nombre de trois.
D'abord, nous n'avons pas souhaité construire ici une nouvelle « cathédrale législative ». Il existe déjà un cadre législatif qui a fait la preuve de son efficacité - je pense notamment au plan d'épargne d'entreprise - et qu'il importe donc de ne pas fragiliser en inventant des dispositifs de rechange, lesquels pourraient, à terme, apparaître comme autant d'« usines à gaz ». Notre démarche est plus pragmatique : nous avons simplement voulu renforcer l'existant en levant certains obstacles et en ouvrant de nouvelles possibilités de développement pour l'actionnariat salarié.
Ensuite, le développement de l'actionnariat salarié doit être favorisé dans un cadre avant tout incitatif et contractuel. L'actionnariat, qui est par nature un investissement risqué, doit rester prioritairement une démarche volontaire des entreprises et des salariés, non seulement une démarche souple adaptée aux spécificités de chaque entreprise, mais aussi une démarche contractuelle permettant de mettre un terme à l'affrontement stérile entre le capital et le travail, conformément à l'esprit qui préside à la mise en oeuvre de la participation. Il importe alors de réserver une large place à la négociation dans l'entreprise et au dialogue social.
Enfin, l'actionnariat salarié ne sera efficace que s'il est à la fois stable et organisé. Un réel actionnariat doit en effet se traduire par un véritable partenariat dans l'entreprise associant concrètement les salariés aux décisions les plus importantes qui engagent le destin de l'entreprise.
C'est autour de ces trois principes que s'articulent les conclusions de la commission des affaires sociales, lesquelles concrétisent le travail mené depuis maintenant près d'un an.
Permettez-moi, au moment de conclure, mes chers collègues, de faire une seconde fois référence à Karl Marx.
M. Guy Fischer. Vraiment, aujourd'hui, on aura tout entendu !
M. Philippe François. Il n'a jamais été communiste !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Eh oui, monsieur Fischer ! Vous savez très bien que c'est pour vous faire plaisir !
M. François Autain. Quelle insistance !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela fait tellement plaisir à M. Fischer que je cite Karl Marx !
A l'époque où je faisais mes études, nous étions plongés dans ses oeuvres pour développer notre connaissance du marxisme ! Il en reste quelque chose, et je tiens à vous en faire profiter !
Ce prophète du socialisme s'est certes trompé dans ses prévisions, mais il avait bien vu que le capitalisme était condamné à une concentration sans fin des entreprises. Aujourd'hui, nous assistons en effet à un véritable déferlement de projets de fusions et d'OPA dont l'objectif est de faire face aux contraintes de la mondialisation de l'économie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'était bien un visionnaire !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Pour pallier les effets que ce phénomène risque de faire subir à nos entreprises, l'épargne salariale, et plus particulièrement l'actionnariat salarié, peut offrir un instrument efficace. C'est pourquoi il convient de l'encourager et de la développer. C'est l'objet du texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
N'oublions jamais que c'est l'économie qui doit être au service de l'homme, et non l'homme au service de l'économie !
M. Guy Fischer. Dites-le au MEDEF !
M. Jean Chérioux, rapporteur. C'est pourquoi nous devons tout mettre en oeuvre pour protéger nos entreprises face aux exigences d'une communauté financière internationale uniquement préoccupée de rentabilité strictement boursière et dont la bible n'est qu'une succession d'analyses, de statistiques, de projections et de graphiques,...
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je pourrais vous applaudir !
M. Jean Chérioux, rapporteur. ... et les prophètes, des robots informatiques et des ordinateurs trop souvent branchés sur les mêmes programmes !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Oui, l'entreprise est une aventure humaine. Elle doit le demeurer ! (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer. Bravo, camarade ! (Rires.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. René Trégouët, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour rendre hommage à l'excellent travail accompli par MM. Arthuis et Chérioux, par les cosignataires de leurs propositions de loi ainsi que par la commission des affaires sociales pour ses conclusions sur ces deux textes.
Dans la nouvelle économie, les ressources humaines et la création de valeur par l'entreprise sont primordiales. Les salariés, individuellement et collectivement, ont tous vocation à devenir actionnaires de sociétés, à commencer par leur propre entreprise.
L'opposition du capital et du travail se trouve ainsi totalement dépassée. Avec le retour de la croissance et l'appréciation des valeurs mobilières qui l'accompagne, le développement du partenariat social et de l'actionnariat salarié devient non plus seulement nécessaire, mais aussi de plus en plus opportun et motivant pour les intéressés.
La commission des finances a demandé à être saisie pour avis de l'excellente proposition de loi de M. Arthuis sur le développement du partenariat social, afin d'examiner son titre III, relatif à la régulation et au développement des plans d'options sur actions - plus couramment appelés « stock options » -, disjoint des conclusions de la commission des affaires sociales.
Mais elle ne pouvait pas pour autant se désintéresser de l'article 5 du texte de la commission saisie au fond, et cela pour trois raisons.
Cet article réalise une sorte d'hybridation, au meilleur sens du terme, en prenant ce qu'il y a de mieux dans chaque système entre les plans d'options sur actions, d'une part, et les mécanismes d'actionnariat salarié généralisé, d'autre part.
Cet article prévoit d'exonérer la décote spéciale qu'il instaure de prélèvements fiscaux et sociaux dont notre commission demande par ailleurs la suppression. Une harmonisation doit donc être effectuée.
Notre commission des finances reste-t-elle fidèle à elle-même en acceptant la création de cette décote alors que nous sommes hostiles aux rabais sur les prix d'attribution d'options d'achat ou de souscriptions d'actions ?
Oui, car il ne s'agit pas, à proprement parler, de stock-options et parce que, s'agissant d'avantages généralisés à tous les salariés, cela ne soulève pas de problème de transparence.
Concernant les plans d'options sur actions classiques, nous sommes d'accord avec M. Arthuis sur les objectifs essentiels, à savoir l'allégement et la transparence du système et sa simplification, dans toute la mesure du possible. Par ailleurs, nos propositions sont exactement les mêmes sur la prévention des délits d'initiés.
Il existe cependant des divergences, de nature technique, entre le titre III de sa proposition de loi, dont nous reprenons l'intitulé, et les dispositions dont nous demandons l'insertion, sous forme d'article additionnels, dans le texte des conclusions de la commission des affaires sociales.
Ces divergences tiennent au fait que nous sommes attachés à la légitimation, d'un point de vue fiscal, de l'application aux gains résultant des options sur actions du régime d'imposition le plus favorable qui est celui des plus-values sur valeurs mobilières.
Pour justifier, d'un point de vue fiscal, cet avantage, il faut, en effet, selon nous, que le titulaire d'options, en tant qu'actionnaire, prenne un engagement vis-à-vis de son entreprise et lui manifeste une certaine fidélité en achetant ses titres et en les conservant un minimum de temps.
C'est la raison pour laquelle, tout en raccourcissant à trois ans, au lieu de cinq, le délai total d'indisponibilité fiscale entre l'attribution et la cession des actions, nous subordonnons l'octroi fiscal le plus avantageux au respect d'un délai de portage d'un an, inclus les trois années d'indisponibilité, entre la levée de l'option et la vente du titre.
Cette exigence nous empêche d'aller aussi loin que M. Arthuis dans la simplification du régime actuel qui, telle qu'il la propose, est - je dois le reconnaître - extrêmement séduisante.
Mais - qu'il nous pardonne ! - la commission des finances avait, préalablement, très longuement réfléchi à ces questions et avait arrêté, à leur sujet, des conclusions votées par le Sénat à l'occasion de la discussion du projet de loi sur l'innovation et la recherche. Tous les travaux réalisés par M. Arthuis, alors qu'il était membre de la commission des finances, nous ont été fort utiles au moment de parvenir à nos propres conclusions.
Il ne nous a pas semblé possible, à la commission des finances, de changer de position, surtout en de si brefs délais. J'ai donc reçu mission de proposer au Sénat de rétablir le dispositif déjà voté par lui dans les circonstances que je viens de rappeler.
Mes chers collègues, si nous sommes ainsi obligés, en quelque sorte, de vous resservir le même plat, c'est tout simplement parce que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale ne l'ont pas encore goûté !
La commission des finances vous propose donc de voter le texte de la commission des affaires sociales, modifié par ses amendements figurant, pour l'essentiel, dans un titre additionnel sur la régulation et le développement des plans d'options sur actions, issu de l'excellente proposition de loi de M. Arthuis, mais reprenant aussi les résultats de nos conclusions précédentes sur cette question. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais d'abord rendre hommage à la persévérance et à l'esprit de suite de nos collègues Jean Chérioux et Jean Arthuis, qui nous présentent aujourd'hui leurs propositions de loi relatives à l'actionnariat salarié et au partenariat social.
Nous connaissons tous les convictions fortes de notre collègues Jean Chérioux sur la participation, et aussi l'origine de ses convictions, puisées dans la veine sociale du gaullisme, comme il vient de le rappeler avec éloquence à l'instant.
J'ai été quelque peu surpris par la référence insistante à Karl Marx...
M. Emmanuel Hamel. Vous n'êtes pas le seul !
M. Philippe François. Absolument !
M. François Autain. ... à côté de la référence à l'héritage gaullien. Il s'agit d'une simple remarque que je souhaitais faire au passage...
Nous connaissons également l'opinion de notre collègue Jean Arthuis quant à la nécessité de développer l'actionnariat salarié afin de permettre aux entreprises de renforcer leurs fonds propres et de stabiliser leur capitalisation boursière.
De la rencontre de ces convictions qui n'ont pas à l'origine le même fondement, naît aujourd'hui le texte qui nous est soumis, mi-social, mi-économique.
Je ne surprendrai pas le Sénat en disant d'emblée que les convictions ainsi exprimées ne vont pas dans le même sens que celles du groupe socialiste.
En effet, lorsqu'il est question, comme il est dit dans l'exposé des motifs de l'un de ces deux textes, de « partager les fruits de la croissance », nous en convenons sans difficulté ; mais l'intéressement, la participation et l'épargne salarial ne sont, pour nous, que des aspects secondaires de ce partage.
La première façon de partager les fruits de la croissance passe, selon nous, d'abord par l'emploi et par le salaire, qui constitue l'essentiel de la rémunération des salariés et non une simple variable d'ajustement. Pour affermir la croissance, nous mettons davantage d'espoir dans la réduction du temps de travail, dans la création d'emplois stables et dans des niveaux de salaires décents.
L'actionnariat salarié est, néanmoins, une réalité, il faut le reconnaître. Vous le savez, ce n'est pas sur ce principe, auquel nous souscrivons, que s'opposent la droite et la gauche, c'est sur ses modalités de mise en oeuvre.
Il n'est pas injuste, par exemple, que les salariés puissent profiter, comme le recommandent d'ailleurs les deux textes, d'achats d'actions de leur entreprise à prix réduit, avec abondement de l'employeur.
Il serait même intéressant d'envisager le développement de l'épargne salariale en direction des petites et moyennes entreprises grâce à un système inter-entreprises ou de branche.
De même, nous ne pouvons qu'aprouver tout ce qui va dans le sens d'une meilleure information des salariés des entreprises concernées, d'une meilleure représentation des salariés actionnaires dans les instances de direction de l'entreprise.
Il est en effet primordial que le développement hypothétique de l'actionnariat salarié, ou de l'épargne salariale, ce qui n'est pas tout à fait la même chose vous le reconnaîtrez, se réalise dans la plus grande transparence. Il est de la responsabilité des partenaires sociaux de s'emparer de ce sujet relativement nouveau pour en faire un élément de dialogue et d'avancée sociale. Il serait regrettable que les syndicats de salariés ne se saisissent pas de ce levier pour intervenir sur les grandes orientations de l'entreprise et battre en brèche la dictature de l'actionnariat extérieur.
M. Jean Chérioux. C'est ce que j'ai proposé !
M. François Autain. Il existe bien aujourd'hui une dictature de l'actionnariat extérieur, et je suis sûr que vous pensez comme moi aux fonds de pension américains.
Le développement de l'actionnariat salarié et de l'épargne salariale n'est donc pas séparable d'une augmentation des droits des salariés et doit être géré paritairement.
En effet, les salariés doivent être parfaitement à même d'exercer leur contrôle sur les fonds qu'ils auront placés. Il convient de prévoir les moyens et les instances pour ce faire. C'est une condition nécessaire, même si elle n'est pas suffisante, à l'heure où le patronat remet en cause, pour ne pas dire plus, le paritarisme. Voilà pourtant un nouveau champ d'action qui revient de droit à ce paritarisme et qui devrait être soumis à la réflexion à laquelle le patronat semble actuellement se livrer.
S'il ne s'agissait que de cela, le débat pourrait être ouvert, avec des perspectives très fructueuses, puisqu'il viendrait compléter et prolonger celui qui est en cours chez les experts, les partenaires sociaux, dans les partis politiques.
Comme vous le savez tous, le Premier ministre a confié à MM. Balligand et de Foucault un rapport sur l'épargne salariale, rapport qui doit lui être remis dans les prochaines semaines.
Il y a manifestement nécessité - nous en convenons tous - de réformer les textes sur le sujet. La législation date et n'est plus adaptée aux évolutions qui ont eu lieu depuis sa mise en oeuvre ; chacun en est d'accord. Il y a une occasion de renouvellement à saisir.
Malheureusement, dans les deux textes confondus qui nous sont présentés ce soir, il ne s'agit pas que de cela. Au demeurant, je crains que le mot « confusion » ne soit que trop approprié, tant les sujets abordés par ces deux propositions de loi sont variés. Chacun de ces deux textes mériterait à lui seul un long développement.
Je n'en veux pour preuve que l'allégement de la fiscalité des stocks options , abordé au détour d'un article du texte de Jean Arthuis, ou l'épargne-retraite, qui surgit à la fin de la proposition de notre collègue M. Chérioux.
En réalité, derrière ces deux propositions apparemment à caractère social - le mot est d'ailleurs souvent présent dans le texte - reviennent les préoccupations traditionnelles de la droite et du patronat, que l'on pourrait résumer ainsi : flexibiliser une partie des rémunérations en fonction des résultats de l'entreprise ; favoriser l'épargne des salariés déjà les mieux rémunérés ; défiscaliser ces sommes ; enfin, orienter l'épargne longue vers les fonds de retraite assuranciels.
Je ne reprendrai pas le débat très riche et intéressant que nous avons eu, ici même, le 14 octobre dernier sur l'épargne-retraite. Mais je regrette de devoir souligner que, pour la droite sénatoriale, quel que soit le nom qu'on leur donne, les fonds de pension sont manifestement le but final, l'objectif principal de toute réflexion relative à l'épargne ou à l'actionnariat.
C'est un véritable amalgame, qui permet ainsi de mélanger le besoin indiscutable de l'économie en épargne longue, le besoin pour les entreprises d'un actionnariat stable et de fonds propres suffisants, et la nécessité pour notre pays de modifier la structure de détention du capital des entreprises françaises.
Toutes ces conditions peuvent mener au développement de l'actionnariat salarié, mais c'est aller, me semble-t-il, un peu vite en besogne que de décider, sans consultation des salariés, que les sommes épargnées par eux seront utilisées pour alimenter des fonds de retraite privés. Il est primordial que les salariés ou leurs représentants décident du devenir de ces sommes.
Pour notre part, nous estimons que les divers sujets abordés aujourd'hui ne peuvent être ainsi amalgamés pour prendre des décisions hâtives. Le Parlement a pour tâche de légiférer dans l'intérêt général, et l'on voit bien que cette précipitation favoriserait, dois-je le dire, l'intérêt de quelques-uns, actionnaires et gestionnaires de fonds d'épargne-retraite privés, cadres dirigeants, mais certainement pas celui du plus grand nombre.
Nous refusons par conséquent l'établissement d'un lien organique entre l'actionnariat salarié et l'épargne salariée, d'une part, et tout ce qui a trait à la retraite par capitalisation, d'autre part, et ce quel que soit le nom que l'on donne à ses instruments : épargne salariale, fonds de pension ou fonds de retraite. Il s'agit non pas, vous l'aurez compris, de condamner l'actionnariat salarié, mais de ne pas en faire un instrument de siphonnage des régimes de retraite par répartition en lui octroyant un statut privilégié et en orientant systématiquement les sommes vers des fonds privés.
L'enjeu est - vous vous en doutez - considérable, et il est tentant pour certains, par des opérations de communication au demeurant remarquablement menées - il faut bien le reconnaître -, d'amener l'opinion à se rallier à de trompeuses évidences.
S'il y a un problème démographique au début du prochain siècle, rien n'indique que les efforts actuels n'en atténueront pas largement l'effet par une croissance durable, une amélioration importante de l'emploi et les rentrées de cotisations correspondantes.
En toute hypothèse, la retraite doit rester l'affaire des partenaires sociaux, même si le Gouvernement a déjà commencé à agir par la constitution du fonds de réserve, largement abondé cette année. Il n'est pas inutile de le rappeler dans cette enceinte tant les chiffres ont tendance à être oubliés ou minimisés.
C'est là travailler avec méthode, sans mélanger les questions mais en s'efforçant de traiter les problèmes dans l'ordre, en s'entourant d'avis éclairés et en s'assurant - sans jeu de mots - qu'aucun des partenaires concernés n'est favorisé au détriment des autres et que nul n'est laissé au bord de la route.
Qu'il s'agisse d'actionnariat salarié ou de retraite, l'enjeu, pour l'ensemble des Français, est tel que des décisions devront être prises, certes rapidement, mais dans des conditions de démocratie et de transparence conformes à la hauteur des enjeux.
Nous ne trouvons pas aujourd'hui ces conditions réunies. C'est pourquoi le groupe socialiste votera contre le texte qui nous est proposé.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce n'est pas la première fois, nous le savons tous ici, que notre collègue Jean Chérioux dépose une proposition de loi favorisant la participation et l'actionnariat des salariés dans l'entreprise.
Cette grande idée du général de Gaulle qui substitue au rapport antagoniste du capital et du travail une association dans l'intérêt aussi bien des salariés que des entreprises a longtemps été freinée par idéologie.
L'effondrement dans les faits des théories marxistes permet aujourd'hui d'aborder avec sérénité le partenariat voulu par le général de Gaulle et de faire, enfin, du salarié un associé.
A cet égard, je pense qu'il n'est pas inutile d'évoquer ce que furent Marx et Engels, qui ont généré le communisme et le national-socialisme,...
M. Guy Fischer. Quel amalgame !
M. Philippe François. ... quand on se rappelle que Staline et Hitler ont été les deux plus grands criminels de l'Histoire.
M. Guy Fischer. Ah non ! Pas ça !
M. Philippe François. Depuis 1980, notre rapporteur, dont je voudrais souligner le remarquable travail, oeuvre en faveur de la participation. Il a d'ailleurs été, cette année-là, rapporteur d'un projet de loi relatif à l'intéressement des travailleurs aux fruits de l'expansion et à la gestion des entreprises.
En 1986, sous le gouvernement de Jacques Chirac, est inscrite en première lecture au Sénat une proposition de loi tendant à créer une faculté nouvelle de participation des salariés au conseil d'administration ou au conseil de surveillance d'une société anonyme, alors que l'ordonnance du 21 octobre 1986, relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat salarié, a profondément rénové le cadre législatif de la participation.
A partir de cette date d'ailleurs, les privatisations et la relance des plans d'épargne d'entreprise ont contribué à l'essor de la participation.
De même, la loi du 25 juillet 1994 relative à l'amélioration de la participation des salariés dans l'entreprise, reprenant une proposition de loi adoptée en mai 1993, poursuit le mouvement amorcé.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, mes chers collègues, vient compléter une oeuvre législative déjà importante. Elle vise, en effet, à associer les travailleurs et les apporteurs de capitaux qui se répartissent paritairement les bénéfices sous forme d'actions nouvelles après versement d'un dividende aux actionnaires.
La démarche du Sénat diverge d'ailleurs en ce sens des propositions du Gouvernement. Alors que celui-ci veut partager, par des mesures législatives, les profits au sein des entreprises et s'attaquer aux « abus des stock options », les propositions de la commission des affaires sociales se veulent contractuelles et incitatives.
Avant de réformer, il est nécessaire d'améliorer l'information, actuellement mal coordonnée, entre le ministère de l'emploi, la Commission des opérations de bourse et l'INSEE.
C'est ainsi l'association idéale du capital et du travail. Elle organise une forme de répartition du profit qui consacre les droits des salariés sans léser les apporteurs de capitaux.
On assiste aujourd'hui à une nouvelle accélération de la participation, mot sacré du général de Gaulle.
Le nombre des salariés actionnaires de leur entreprise peut être chiffré à 700 000.
Si les fonds communs de placement d'entreprise constituent la forme principale de gestion des sommes placées sur des plans épargne entreprise, si le développement actuel de l'actionnariat salarié est porteur de perspectives prometteuses, il n'en demeure pas moins que ce mouvement encore fragile mérite d'être consolidé, et c'est tout l'objet de cette proposition de loi.
Certes, la société d'actionnariat salarié ne peut s'appliquer à tous les types d'entreprise mais, comme l'a souligné notre rapporteur, ce modèle est particulièrement intéressant dans les sociétés financières d'innovation telles qu'elles sont définies par la loi du 11 juillet 1972.
Je n'entrerai pas dans le détail des articles du texte que nous examinons, excellemment commenté par notre rapporteur, sinon pour approuver la réservation aux salariés de 5 % des actions émises à l'occasion de toute augmentation du capital, pour approuver aussi l'amélioration de la représentation des salariés actionnaires et surtout pour me réjouir de la mise en place - à l'article 27 - de nouvelles formes d'actionnariat salarié adaptées aux spécificités des entreprises.
D'une manière générale, je veux souligner la grande sagesse de ce texte, qui ne se limite pas à des dispositions d'ordre financier.
Ainsi, cette proposition de loi, au-delà de l'encouragement de l'actionnariat salarié, s'attaque également à la question plus vaste de la participation des salariées actionnaires à la vie des entreprises.
Les articles 11 à 16 permettent d'améliorer leur représentation dans les conseils d'administration - c'est une première - et dans les conseils de surveillance des entreprises ainsi que les modalités de leur consultation.
Notre collègue Alain Gournac a d'ailleurs déposé, au nom de notre groupe, un amendement ayant pour objet de faciliter la participation des salariés aux assemblées générales d'actionnaires, ce qui me semble très important sur le plan psychologique et même sur le plan politique.
Ce texte tend donc à constituer un véritable pôle des responsabilités dans l'entreprise. Il donne sa pleine mesure à l'idée que nous nous faisons de la participation.
Pour conclure, je voudrais souligner qu'au moment où les Français s'inquiètent des conséquences de la mondialisation, où certains craignent le règne absolu d'un libéralisme débridé - que d'autres appellent au contraire de leurs voeux - la participation se fixe la juste ambition de rendre l'entreprise à sa vocation, sa vocation fondamentale, historique : être une communauté d'hommes solidaires.
C'est la raison pour laquelle le groupe du RPR votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je regrette que notre collègue Philippe François ait quitté l'hémicycle, car je tiens à condamner formellement l'amalgame qu'il a cru bon de faire entre le communisme et le national-socialisme !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Moi aussi !
M. Guy Fischer. Il y a tout de même eu Stalingrad !
Au demeurant, dans notre pays, certains n'ont pas hésité, naguère, à s'allier à des élus dont l'idéologie s'inspire de l'idéologie nazie.
Cela étant dit, j'en viens à la discussion qui nous réunit cet après-midi et qui constitue, non pas une première, mais une nouvelle étape d'un débat qui est loin d'être clos.
A l'origine de cette discussion, se trouvent deux propositions de loi, tendant à favoriser l'une le développement de l'actionnariat salarié, l'autre le développement du partenariat social.
Par la grâce de l'échange de vues entre les signataires de la proposition de la commission des affaires sociales et nos collègues de l'Union centriste, nous sommes aujourd'hui invités à débattre d'un seul et même texte, tendant à favoriser le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié, expression qui illustre la qualité de la synthèse opérée !
De prime abord, on pourrait considérer le texte issu de la réflexion commune des membres de la majorité sénatoriale comme la contribution au débat qui traverse aujourd'hui le pays sur la question de la propriété des entreprises. Ne nous a-t-on pas, en effet, annoncé un projet de loi sur le même sujet ? Il est évident que les propositions contenues dans le rapport de MM. Balligand et de Foucauld seront au coeur de la réflexion que nous mènerons en 2000.
Vous me permettrez cependant de m'interroger sur la place réelle de ce débat dans les préoccupations des salariés, de l'ensemble de nos compatriotes, au moment où l'actualité est plutôt à l'action citoyenne contre la libéralisation des échanges internationaux ou contre l'exclusion sociale en France.
Nous aurions cependant mauvaise grâce à ne pas affronter l'ensemble des questions qui nous sont soumises dans le cadre de cette discussion, et nous nous attacherons donc à replacer ce débat, guidé surtout par l'opportunisme politique, dans sa perspective et dans ses implications.
Pour en rester à l'actualité, soulignons d'abord que la question des rapports entre salariés et actionnariat a pris, ces derniers mois, un tour nouveau.
Le débat relatif à la « moralisation » des plans d'option d'achat d'actions est en fait la conséquence directe de certaines révélations dont la presse s'est largement fait l'écho.
Ainsi, l'affaire Elf-Jaffré illustre spectaculairement la logique de ces propositions. Au moment même où se négociait l'opération de fusion entre Total-Fina et Elf Aquitaine, cette compagnie programmait la liquidation de son centre de recherche de Pau.
L'échec de Philippe Jaffré, puis sa démission ont permis de révéler au grand jour qu'il détenait un volume pour le moins important de stock options, qu'il a évidemment mis sur le marché, monnayant de plus son départ contre une indemnité tout à fait substantielles. N'est-il pas scandaleux de donner une telle prime aux perdants ?
Cette situation particulière a permis de stigmatiser un certain nombre des dérives qui ont marqué, ces dernières années, les régimes de rémunération des cadres dirigeants de grandes entreprises.
A ce propos, vous me permettrez de trouver quelque peu surprenant qu'une personne qui a été au centre d'une de ces affaires ait été l'un des premiers signataires de propositions de loi proches de celles dont nous débattons aujourd'hui.
Le problème, c'est que le cas de Philippe Jaffré a contribué à raviver la méfiance naturelle que le monde du travail nourrit vis-à-vis du monde de la finance. L'affaire Jaffré a choqué et elle a éloigné nombre de salariés des préoccupations qui animent nos collègues de la majorité sénatoriale, ramenant le débat social sur un terrain plus directement perceptible : celui de l'opposition entre salariés et dirigeants d'entreprise.
Le contexte socio-économique actuel contribue d'ailleurs à aiguiser ces affrontements, et un rappel s'impose à ce sujet.
Le mouvement social connaît depuis quelque temps un développement sensible. Il n'est en effet quasiment pas de secteur où ne se développent des luttes et des actions rassembleuses.
C'est vrai pour les pompiers professionnels du service public territorial, qui viennent d'obtenir, sous certaines conditions, la possibilité de partir à la retraite à cinquante ans.
C'est vrai pour les agents et cadres hospitaliers, qui se mobilisent de manière chaque jour plus spectaculaire contre une restructuration sans moyens, dont les premières victimes sont les personnels et les malades.
C'est vrai pour les agents des impôts, les salariés de La Poste et de France Télécom - lesquels sont pourtant devenus actionnaires de leur entreprise en 1996 - qui multiplient les actions, formulent des revendications et avancent des propositions.
C'est vrai aussi dans de nombreuses entreprises privées dont il serait fastidieux de dresser ici la liste, tant elle s'allonge tous les jours.
Ainsi, les salariés de l'ensemble du groupe Vivendi se sont mis en grève ces dernières semaines à propos de l'application de la réduction du temps de travail dans leurs entreprises respectives, et cela alors même qu'on leur propose de nouvelles actions.
Que dire encore du divorce, qui semble consommé, entre les cadres et les directions d'entreprise sur la question du forfait de jours de travail découlant de l'application de la seconde loi relative à la réduction du temps de travail ?
Quoi que l'on puisse dire de cette loi, les patients efforts d'intégration que le patronat avait accomplis pendant plusieurs décennies pour s'attirer les bonnes grâces du personnel d'encadrement se sont trouvés d'un seul coup réduits à néant. Telle est bien la réalité ! L'encadrement s'est découvert, sinon une « conscience de classe », selon une terminologie quelque peu dissonante ici - mais c'est M. François lui-même qui a évoqué Marx ! -...
M. Emmanuel Hamel. Marx est mort !
M. Guy Fischer. ... en tous cas une convergence d'intérêts avec les autres salariés qui ne s'était pas manifestée depuis longtemps.
Tous ces mouvements recueillent aujourd'hui une large sympathie dans l'opinion, ce qui tranche avec des attitudes passées et caractérise un appui populaire dont les limites sont encore loin d'être atteintes.
Je ne peux évidemment manquer d'évoquer aussi le mouvement qui anime aujourd'hui tous ceux qui luttent contre l'exclusion sociale et le chômage.
Il y eut, dans la foulée de la manifestation du 16 octobre dernier, encore beaucoup de chômeurs, de femmes, de jeunes, de salariés, de militants syndicaux, associatifs, politiques dans les rues de nos grandes villes en ce samedi 11 décembre pour exiger le respect des droits et de la dignité de tous ceux qui ne peuvent aujourd'hui tirer parti de la richesse de notre pays et sont privés des droits les plus fondamentaux, dont le droit au travail.
Pourquoi de tels mouvements, alors que nous devrions discuter, dans le cadre de notre assemblée, des conditions de l'association des salariés à la gestion de leur entreprise ? Tout simplement parce qu'il y a la croissance et que les inégalités, la pauvreté et l'exclusion sont encore plus insupportables quand notre économie s'enrichit, que la production industrielle se développe et que le volume de biens et de services disponibles sur le marché croît tous les jours.
Se pose donc directement la question de la répartition des fruits de cette croissance.
Pour le moment, force est de constater que le potentiel de croissance de notre économie ne semble pas devoir être épuisé, pour peu que l'on analyse l'évolution des principaux indices boursiers comme un paramètre d'évaluation de la situation économique générale.
Je ne sais plus qui disait que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille »...
M. Jean Chérioux, rapporteur. C'est le général de Gaulle !
M. Guy Fischer. Je le savais, bien sûr !
M. Jean Chérioux, rapporteur. Vous êtes un provocateur !
M. Guy Fischer. ... mais force est de constater qu'il y a au moins une trace tangible de la croissance et que cette trace c'est la hausse de la capitalisation boursière. Lorsque cette capitalisation exige un taux élevé de rémunération, commencent alors à se créer les premiers problèmes.
La question est d'importance : oui ou non la croissance va-t-elle trouver sa traduction dans l'explosion du CAC 40 et de la valeur des entreprises, ou bien va-t-elle porter création d'emplois et revalorisation des salaires ? Cette question est au coeur du débat qui nous anime aujourd'hui.
Derrière la discussion que nous allons avoir sur les modalités de cette proposition de loi n° 118 se profile, en effet, la question de l'utilisation de l'argent, notamment de l'affectation de la valeur ajoutée créée par le travail.
Cette question doit être interprétée dans une mise en perspective que la partie liminaire de mon intervention a commencé d'esquisser en partant de données assez générales inscrites en arrière-plan du débat.
La lecture de la présente proposition de loi pose des questions de natures si diverses que je suis un peu en peine d'en concevoir toutes les interactions, mais je vais m'efforcer de le faire.
Premier élément de la situation : la participation des salariés au capital de leur entreprise ou encore l'épargne salariale, indépendamment de son intégration dans le capital même de l'entreprise, est loin d'être une nouveauté.
Les premières lois sur le sujet, vous l'avez rappelé, monsieur Chérioux, datent, en effet, de plusieurs décennies. Elles ont notamment inspiré une bonne partie de ce que l'on a pu appeler le « gaullisme social », dont certains des membres de cette assemblée - vous-même, monsieur Neuwirth - sont aujourd'hui à la fois les héritiers et les témoins, à commencer par le premier signataire de cette proposition de loi.
On notera, par ailleurs, que ce contexte législatif a été maintes fois modifié depuis 1959, où il fut ébauché pour la première fois, et qu'il se situe en parallèle avec la modernisation du droit des sociétés qui résulte de la loi du 24 juillet 1966 modifiée. Le débat qui nous occupe aujourd'hui est donc dans cette filiation, mais il s'inscrit dans un climat économique et politique renouvelé.
Je ne reviendrai pas inutilement sur cet aspect de la question. Permettez-moi simplement de préciser que les premières formules de participation se sont développées dans un contexte de forte croissance économique, de forte inflation et d'indexation des salaires sur le mouvement des prix.
Aujourd'hui, nous sommes dans un cadre totalement différent : il y a de la croissance, une tendance lourde à la réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée, et une pratique assez largement répandue de la modération salariale.
Pour préciser encore le contexte, on soulignera que le montant des sommes aujourd'hui collectées dans le cadre des réserves spéciales de participation est significatif. Il atteint, en effet, 360 milliards de francs,...
M. Jean Chérioux, rapporteur. Eh oui !
M. Guy Fischer. ... dont les deux tiers sont d'ailleurs mobilisés au sein de plans d'épargne d'entreprise.
M. Lucien Neuwirth. C'est vrai !
M. Guy Fischer. La somme est cependant relativement faible au regard de la capitalisation globale des entreprises françaises, ce qui limite, en termes de droit des sociétés, la portée de la diffusion du capital des entreprises au sein du personnel.
Nous soulignerons ici que les sommes concernées offrent aux salariés l'opportunité de disposer parfois de certains compléments de rémunération qu'un appareillage fiscal et social particulièrement incitatif a d'ailleurs tendance, dans les faits, à majorer.
Pour s'en tenir, par exemple, au simple domaine de la fiscalité, on relèvera que les dispositions des articles 163 AA et 163 bis B du code général des impôts génèrent une dépense fiscale de 1,1 milliard de francs au titre de l'exonération des revenus tirés de l'épargne salariale, que l'exonération des revenus de PEA coûte 2,5 milliards de francs au budget de l'Etat, que les exonérations de gains de cession sur ces plans coûtent 5 milliards de francs, tandis que les sommes versées par les entreprises au sein des plans d'épargne d'entreprise, les PEE, sont assimilées à des charges déductibles de l'impôt sur les sociétés.
Dans le domaine social, on soulignera que les produits de la participation et de l'intéressement sont placés sous le régime des capitaux mobiliers et ne sont donc soumis qu'à la contribution sociale généralisée au taux de 10 %, ce qui, vous en conviendrez, n'a pas grand-chose à voir avec les taux de prélèvements qui concernent les salaires.
On ne peut également manquer d'oublier le régime particulier d'imposition des plus-values de cession d'actifs qui prend, chacun le sait ici, tout son relief et tout son intérêt dès que le taux de prélèvement sur les revenus salariaux excède 16 %. En s'en tenant à la lettre du barème de l'impôt progressif, cela concerne des revenus dont le montant annuel est légèrement supérieur à 110 000 francs nets annuels, soit moins de 13 000 francs par mois.
Le régime d'imposition séparé des plus-values de cession d'actifs a évidemment une tendance naturelle à être plus rentable dès lors que les revenus s'élèvent. Le bonus fiscal est ainsi d'un peu plus de 7 100 francs pour un revenu salarial soumis à l'impôt sur le revenu au sommet de la tranche taxée à 33 %, mais il s'approche de 128 000 francs pour un revenu qui serait de 500 000 francs nets annuels.
Le maintien de ce mode de traitement des revenus tirés de la participation et de l'intéressement est donc, fondamentalement, un puissant levier d'inégalité devant l'impôt entre les salariés aux revenus les plus modestes et les autres. Il témoigne, en particulier, du peu de succès de la logique même de la participation auprès des salariés sous-rémunérés et tend à souligner encore plus le succès - le scandale ! - que peut constituer un dispositif comme celui des stock options .
Peu de succès, mais, en fait, une sorte de succès obligé, puisque 5 millions de salariés sont aujourd'hui actionnaires, en vertu des dispositions législatives en vigueur, et que 3 millions - ce ne sont pas tout à fait les mêmes - sont concernés par des dispositifs d'intéressement. Ces chiffres sont évidemment à rapprocher de ceux que nous connaissons en matière de détention d'actions ou de parts sociales au sein de la population de notre pays.
Le mouvement de privatisation d'une part importante du secteur public industriel, commercial, bancaire ou assurantiel aurait pu conduire à une augmentation sensible du nombre de nos compatriotes détenteurs de tels titres. Sur la durée, il n'en a pas vraiment été ainsi puisque le nombre de Français actionnaires n'a pas crû dans des proportions significatives.
Dans les faits, après un tel mouvement et près de quarante années d'expérimentation, la participation et l'intéressement n'ont pas fait la démonstration de leur parfaite pertinence. D'autant que la part du capital qui est détenue est souvent infime et le poids des actions marginal dès lors que l'on se retrouve en situation de décider en assemblée générale d'actionnaires.
Pour nombre de salariés, la participation n'est qu'une modeste contribution à l'amélioration de leur rémunération, ne résolvant la principale contradiction que bien imparfaitement.
Une entreprise comme Peugeot peut fort bien distribuer quelques actions à ses salariés dans le cadre de ses obligations légales. Il n'en demeure pas moins que le principal problème des salariés de cette entreprise est plutôt fondé sur la non-reconnaissance de leur qualification ou de leur ancienneté, comme l'a montré la récente affaire d'indemnisation des délégués syndicaux, dont les promotions étaient bloquées depuis plus de vingt ans.
La participation est donc bien souvent vécue - permettez-moi d'employer un terme qui n'est nullement méprisant à votre égard, monsieur Chérioux, mais qui me semble parfaitement adapté - comme un gadget.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Un gadget de 300 milliards de francs, ce n'est pas mal !
M. Guy Fischer. Dans le vécu quotidien, c'est parfois difficile !
Je comprends, dès lors, que la proposition de loi qui nous est présentée vise à redonner un peu de muscle à un système pour le moins limité dans sa pertinence et son application.
Nous avons indiqué une partie des éléments du contexte dans lequel le débat se situe. Permettez-moi d'en souligner d'autres.
Dans la proposition de loi, on nous invite à concevoir un nouveau partenariat social. Ce concept mérite examen. Il est avancé au moment où la politique contractuelle comme d'ailleurs le schéma de la négociation collective sont remis en question par l'attitude du MEDEF, qui souhaite en particulier mettre un terme au paritarisme de gestion et dénonce assez régulièrement les conventions collectives régissant les relations sociales dans les branches.
Ce nouveau partenariat social serait-il, dès lors, une sorte de produit de substitution à un dialogue social institutionnel tel que nous le connaissons aujourd'hui et qui se déclinerait entreprise par entreprise, à géométrie variable en quelque sorte ? Si tel était le cas, vous comprendriez que nous ne vous suivrions pas tout à fait.
Les relations sociales doivent être régulées par le droit du travail et non par le droit des sociétés.
Si le seul point d'accord existant entre salariés et employeurs réside dans les modalités d'utilisation de la réserve spéciale de participation, il nous sera difficile de vous suivre.
Pourtant, n'est ce pas la BNP qui propose aujourd'hui à ses salariés une forme d'affectation en épargne longue de la réserve spéciale et qui, dans le même temps, se situe au premier rang dans la dénonciation de la convention collective des banques ou dans la mise en avant de la tarification des services bancaires ?
Se pose ensuite la question de l'abondement de la réserve spéciale de participation, dont nous avons souligné qu'il bénéficiait d'un important accompagnement fiscal et social, et qui figure dans le texte de la proposition de loi au premier rang des préoccupations de ses auteurs.
Cet abondement est un prélèvement sur la richesse créée par le travail, donc sur la valeur ajoutée. Echappant assez largement aux prélèvements sociaux et fiscaux, il est, par voie de conséquence, un facteur de stagnation, sinon de régression, des ressources de la protection sociale. Il peut, si l'on suit la logique des auteurs de la proposition de loi, s'assimiler bientôt à ce que nous avons rejeté en 1997 et lors du débat de 1998 relatif aux fonds de pension de la loi Thomas.
Il deviendrait une sorte de bombe à retardement pour l'équilibre des comptes sociaux qui seraient ainsi « siphonnée », et singulièrement de ceux de l'assurance vieillesse, générant une nouvelle inégalité entre ceux qui auraient souscrit un PEE fructueux et ceux qui n'en auraient pas souscrit ou qui auraient subi quelques moins-values. Conditionner sa retraite aux aléas de la situation générale des marchés financiers est pour le moins risqué.
On ne peut évidemment manquer de souligner que l'incitation au développement de l'actionnariat salarié, que l'on nous invite à favoriser ici, est également placée dans un mouvement profond de renouvellement des cadres dirigeants des entreprises de notre pays. Le départ en retraite de nombre de dirigeants, la question de la maîtrise du capital de certaines entreprises constituées sous la forme de groupe familiaux impliqueraient de favoriser des formules de diffusion de ce capital au sein des salariés. La proposition de loi s'en fait l'écho, même si nous pouvons souligner que l'on peut aussi faire le choix du statut coopératif pour poursuivre une activité.
On peut encore souligner qu'il ne suffit pas nécessairement de maîtriser le capital d'une entreprise pour s'en asurer le contrôle ou pour permettre sa viabilité.
La question cruciale de l'accès au crédit est en effet directement posée, puisque certains établissements bancaires ont ainsi largement investi dans les entreprises de notre pays en conditionnant leur appui financier à un droit d'entrée, même partiel, dans le capital de l'entreprise et ils ont fini par y « mener la danse », en général au détriment de l'investissement direct et de l'emploi.
Permettez-moi d'ailleurs, mes chers collègues, de souligner que je trouve étonnant que vous nous proposiez de réduire la part de la réserve spéciale consacrée à l'abondement des comptes courants bloqués qui pourraient, judicieusement utilisés, constituer une forme d'autofinancement adaptée aux besoins des entreprises.
Cela m'amène à poser la question de l'allocation des ressources de la réserve spéciale de participation.
La différence existant entre les deux propositions de loi initialement déposées réside en particulier dans le fait que la proposition de loi « Chérioux » est centrée sur l'entreprise et la diffusion du capital de l'entreprise, tandis que la proposition de loi « Arthuis » est plus directement intégrée dans une logique de financiarisation de l'économie.
Il est vrai que la situation des entreprises de notre pays est fort diverse. Certaines sont fortement capitalistiques et faiblement productrices de valeur ajoutée, d'autres faiblement capitalistiques et fortement productrices de valeur ajoutée, d'autres encore fortement capitalistiques et productrices de valeur ajoutée, par exemple dans le secteur des biens d'équipement.
Il pourrait donc y avoir, dans la logique de nos collègues de l'Union centriste, quelque intérêt à distraire les sommes de la réserve spéciale de participation, la RSP, du strict cadre de l'entreprise pour les aventurer à l'extérieur ; c'est ce que l'on appelle la volatilité.
Ce ne serait alors, ni plus ni moins, qu'une forme d'instrumentalisation de la participation des salariés au profit d'une logique de diversification stratégique de l'entreprise.
Pour autant, les problèmes du devenir des activités orginelles de l'entreprise, du maintien et du développement de l'emploi, de la validation des qualifications et des potentiels humains et créatifs des salariés seraient-ils mieux pris en compte ? Pour nous, ce serait risquer la collecte de la réserve spéciale de participation au jeu des moins-values financières, et donc remettre en cause, sur le long terme, les atouts dont elle dispose aujourd'hui, surtout si son utilisation tend à se matérialiser dans des plans d'épargne longue.
J'observerai qu'une part des propositions de la commission des finances vise à faciliter ce « nomadisme capitalistique » et donc à dénaturer quelque peu le sens initial de la participation. J'oserai dire que la proposition de loi de M. Arthuis pervertit en quelque sorte celle de M. Chérioux. (M. le rapporteur s'étonne.)
J'en prendrai pour exemple l'amendement relatif aux délais de portage des actions souscrites dans le cadre des plans d'options d'achat d'actions.
Comment peut-on prétendre valoriser la participation en favorisant la volatilité du capital ? Je n'ai pas la réponse. Pour notre part, monsieur Chérioux, nous ne sommes pas totalement fermés à l'existence de dispositifs de participation. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. François Autain. C'est Marx qui rejoint de Gaulle ! (Sourires.)
M. Jean Chérioux, rapporteur. Cela fait vingt-cinq ans qu'on l'attendait !
M. Guy Fischer. Cette intervention est un peu conçue comme un état des lieux de la situation.
S'agissant des perspectives offertes par le débat, vous nous permettrez de nous interroger sur les véritables finalités de la proposition de loi qui nous est soumise.
Ne serait-elle pas pour les salariés - ne le prenez pas en mal - comme la fine couche de sucre dont on entourerait la pilule amère de la négation des qualifications et des compétences, de la stagnation des rémunérations directes ?
Pour autant, on pourrait concevoir autrement la question de la participation salariale.
Nous pensons, sans que cela soit encore aujourd'hui une proposition totalement bouclée et strictement définie - nous poursuivons d'ailleurs notre réflexion - que l'alimentation des comptes courants bloqués pourrait constituer un outil adapté de financement de l'investissement des entreprises, dès lors qu'interviendrait une bonification des taux de rémunération de ces comptes par le biais de l'Etat.
Cette bonification, en réduisant le taux d'intérêt réel payé par l'entreprise, se doublerait d'une évaluation de la portée des investissements en termes d'emploi et de développement de nouvelles productions. Echapperait dès lors quelque peu à la seule logique du crédit une partie du financement de l'expansion de l'entreprise.
On pourrait également fixer des règles de distribution du portefeuille des fonds communs de placement d'entreprise en vue d'éviter la volatilité dont j'ai déjà parlé. Pour autant, notre position dans le débat de ce jour est une étape de la réflexion, et nous serons sans doute amenés à en reparler de manière plus approfondie encore lors de la discussion du projet de loi.
A cette occasion, nous aurons sans doute pu nous inspirer des enjeux des débats antérieurs - ceux des années soixante et soixante-dix sur la participation ou ceux qui ont entouré la loi de 1966 sur les sociétés commerciales - et revenir encore sur la pratique.
Quant à la présente proposition de loi, pur produit d'un opportunisme politique...
M. Jean Arthuis. Ah !
M. Guy Fischer. ... destiné à marquer sa place dans le débat, sa nature nous conduit à son rejet pur et simple.
M. le président. La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en préambule, je dirai ma satisfaction et formulerai un souhait.
La satisfaction, c'est que le Sénat, en cette fin d'année 1999, aborde de façon approfondie un des sujets qui domineront l'actualité économique et sociale des prochaines années : l'affirmation en France d'un nouveau type de capitalisme, que j'appellerai le « capitalisme participatif », avec des salariés directement liés à la vie et aux résultats de l'entreprise.
Mon souhait est évidemment que le Gouvernement mette à profit ce débat pour enrichir la réflexion en cours dans le cadre de la mission confiée à MM. de Foucauld et Balligand.
De son côté, le Sénat n'est pas resté inactif ces dernières années : je pense évidemment à l'excellent rapport sur l'actionnariat salarié de notre collègue Jean Chérioux au nom de la commission des affaires sociales, travail le plus récent qui fera date sur ce sujet, et n'aurais garde d'oublier un autre rapport, de 1994, de nos collègues Jean Arthuis, Philippe Marini et Paul Loridant sur la clarification indispensable des stock-options, ainsi que la proposition de loi créant des fonds d'épargne retraite qui a été adoptée par le Sénat, le 14 octobre dernier, sur l'initiative, notamment, de mon groupe parlementaire, l'Union centriste.
La réconciliation entre l'homme et l'entreprise, son épanouissement pour et dans l'entreprise, tel était le thème central de l'ouvrage que je publiais en 1998, Richesse de l'homme, richesse de l'entreprise. Cette réconciliation passe en particulier par le développement de l'actionnariat salarié. L'évolution des rapports sociaux en France n'a jamais été aussi nécessaire : ce sera le premier point de mon propos. Il faut, par ailleurs, définir quelques priorités. C'est l'objectif de la proposition de loi déposée par mon groupe en faveur du développement du partenariat social.
Le projet d'association entre le capital et le travail, repris par le général de Gaulle à partir de 1958, est, malgré tout, une idée ancienne. Elle remonte au début de la révolution industrielle, dans les années 1840, lorsque naissent le capitalisme français et la classe ouvrière dans notre pays.
Je pense en particulier aux promoteurs du catholicisme social, pour lesquels le refus du capitalisme sauvage et la revendication de droits sociaux se doublent d'une ambition : dépasser la lutte des classes et initier une forme de partage du pouvoir économique entre, d'une part, les salariés qui apportent leur force de travail et leur qualification et, d'autre part, les détenteurs du capital, catégories toutes deux indispensables à la création de richesse et donc au progrès technologique et économique de la nation.
Mais, avec la IIIe République, la consolidation du régime démocratique et la conquête de nouvelles libertés politiques et de droits sociaux prendront le pas sur cet idéal, notamment avec la reconnaissance des syndicats et du droit d'association. Il faudra attendre la fin des années cinquante pour que soit institué un système facultatif d'intéressement des salariés, alors que la France commence à recevoir les dividendes des efforts de reconstruction et de lutte contre l'inflation entrepris par les gouvernements de l'après-guerre. Il fallait le rappeler !
Après quarante ans d'application des systèmes de participation et d'intéressement, le bilan est intéressant, mais il prouve que beaucoup reste à faire. Il est vrai que 5 millions de salariés bénéficient des fruits de la participation et 3 millions de l'intéressement. Ces dispositifs constituent avant tout un moyen de compléter des salaires qui augmentent très faiblement depuis 1990. L'actionnariat des salariés dans leur propre entreprise reste relativement marginal. Ainsi, 700 000 salariés sont actionnaires de leur entreprise, soit seulement 5 % environ de la population active dans le secteur privé. De plus, comme le note très justement dans son rapport d'information M. Jean Chérioux, l'actionnariat salarié ne représente que 2 % de la capitalisation boursière en France.
C'est peu par rapport à un pays comme les Etats-Unis, où la participation financière des salariés constitue d'ailleurs plus un dispositif d'épargne en vue de la retraite qu'un mécanisme de rémunération complémentaire. En Europe, la Belgique, entre autres, a fait un effort particulièrement remarquable pour développer la participation financière des salariés depuis le début des années quatre-vingt, notamment avec une loi de 1983, dite « loi Monory bis », qui cherche à inciter les salariés à acheter des parts sociales de leur entreprise grâce à des déductions fiscales significatives. Mais le problème central du système d'actionnariat à la française n'est pas réellement la portée limitée des incitations ou avantages financiers proposés aux salariés et aux entreprises. Sa grande faiblesse réside sans doute, cela n'étonnera personne, dans sa grande complexité, sa lourdeur, et, bien sûr, la multiplicité des dispositifs : Qui trop embrasse, mal étreint ! A l'instar d'une grande partie de notre législation, ce système d'actionnariat salarié ressemble, en quelque sorte, à un mille-feuille constitué de dispositions souvent contradictoires et économiquement contre-productives.
Or, plus que jamais, l'émergence d'un « capitalisme participatif » est nécessaire dans notre pays pour accompagner de manière positive l'évolution actuelle de l'économie de marché, dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrues. Face à l'influence grandissante des investisseurs institutionnels étrangers, qui contrôlent plus de 40 % du capital des sociétés françaises cotées, la création de fonds d'épargne-retraite mais aussi un développement de l'épargne salariale peuvent constituer des moyens efficaces pour renforcer les fonds propres des entreprises et pour stabiliser leur capital dans la durée.
Dans cette perspective, nous devons réformer en profondeur l'ensemble de la législation définissant les modes de participation financière des salariés et définir des priorités : ce sera le second axe de mon propos.
L'amélioration des dispositifs existants, la clarification fiscale et la simplification de l'ensemble sont les objectifs majeurs de la proposition de loi qu'a déposée le groupe de l'Union centriste en faveur du partenariat social.
La volonté de clarification inspire notre idée de créer des plans d'épargne salariale qui, à côté de PEE destinés surtout à gérer des titres extérieurs à l'entreprise, constitueraient un produit exclusivement composé d'actions de l'entreprise du salarié et donc un outil privilégié de la participation du personnel au capital et à la vie d'une société.
Nous souhaitons également améliorer certains des dispositifs existants, et nous rejoignons là notre rapporteur. Nos deux propositions concordent en particulier sur la nécessité de réserver aux salariés une partie des actions émises en cas d'augmentation du capital. La plupart des partenaires sociaux sont, eux aussi, d'accord sur le principe d'une telle mesure. Reste à trouver un accord, notamment avec les syndicats de salariés, sur les modalités : faut-il prévoir un rabais dégressif en fonction de la rémunération ? C'est la question que nous nous sommes posée au sein de mon groupe. Mais des entreprises utilisent déjà ce type de système. Ne serait-il pas plus équitable de raisonner en termes de revenu fiscal par ménage ? Mais cela ne va pas sans poser des problèmes pratiques pour ce qui est de l'application. Le délai d'acquisition des actions est un autre problème. A cet égard, les syndicats souhaitent un délai suffisamment long.
J'en viens maintenant à ce qui constitue l'un des points forts de notre proposition de loi : la simplification et l'allégement de la taxation des stock options d'une part, la régulation par la transparence de ce qui constitue une forme d'épargne de plus en plus répandue, d'autre part. Cessons tous d'aborder ce sujet avec des préjugés d'un autre âge : les stock options, qui se sont considérablement développés en France ces dernières années, sont désormais indispensables, notamment dans les secteurs en fort développement - les start up - ou en contact direct avec la concurrence internationale. Il s'agit de motiver et de fidéliser certains salariés, mais aussi de les récompenser de la confiance qu'ils ont placée dans l'entreprise à son démarrage en y investissant certaines sommes. C'est la reconnaissance du risque. Dans les faits, un tel système est actuellement réservé à des cadres supérieurs et dirigeants. Toutefois, rien dans la loi n'interdit à l'entreprise de distribuer des stock options...
M. Emmanuel Hamel Parlez français !
M. Francis Grignon. ... à l'ensemble des salariés ou à certains non-cadres, d'autant plus qu'un récent sondage d'un hebdomadaire économique montre que 78 % des dirigeants des PME sont aujourd'hui favorables à ce système de stock options pour tous.
M. Emmanuel Hamel. C'est de la provocation !
M. Francis Grignon. C'est déjà le cas dans des PME du secteur de l'informatique et des nouvelles technologies. Comment amplifier ce phénomène ? Il convient surtout de simplifier le mode de taxation : notre système est particulièrement compliqué, avec une double taxation au moment de la levée de l'option et à l'occasion de la cession des titres.
La proposition de M. Jean Arthuis a le grand mérite de la simplicité et de l'efficacité : les stock options ne seraient taxées que lors de leur cession, la plus-value étant calculée par rapport au prix de souscription. La taxation se ferait au taux de droit commun de 16 % en cas de respect d'un délai de portage de cinq années. Dans le cas contraire, la plus-value serait taxée comme un salaire. La commission des finances a porté un intérêt tout particulier à ce dispositif qui, je crois, devra servir de référence à une prochaine et utile réforme.
Mes chers collègues, nous devons absolument innover en ce domaine si nous voulons éviter, par exemple, qu'un certain nombre de nos ingénieurs ou chercheurs ne soient finalement attirés par des incitations financières plus attractives dans d'autres pays européens ou, ce qui est plus grave, outre-Atlantique. Je ne reviendrai pas sur le second volet de nos propositions relatives à la prévention d'éventuels délits d'initiés ou à une meilleure information sur les bénéficiaires de stock options, elles correspondent globalement aux souhaits qui ont déjà été exprimés par la commission des finances et son rapporteur M. René Trégouët, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'innovation et à la recherche. J'insiste néanmoins sur le fait que l'information et la transparence sont les meilleurs outils de la régulation ; la législation-sanction ne peut aboutir au même résultat.
En conclusion, et au risque d'être un peu trivial, mais je crois que vous me le pardonnerez car nous sommes tous quelque part d'origine paysanne, je dirai qu'il en va de l'argent et du capital un peu comme du fumier. En tas et inutilisé, il sent mauvais, alors que si on l'épand et si on le mélange bien à la terre, il fertilise et fait pousser et croître à souhait.
Il est nécessaire, maintenant, d'imaginer de nouvelles relations entre l'homme, l'argent, l'entreprise et le travail.
Pour cela, il faut abandonner notre culture de conflit pour favoriser une nouvelle expression collective des salariés par l'accès au capital. Si nous voulons garder la compétitivité nécessaire pour rester dans le peloton de tête d'un monde où le pouvoir économique est synonyme d'indépendance, de choix et de liberté, il nous faut réconcilier un maximum d'hommes avec l'entreprise.
Je remercie les deux commissions du Sénat de l'ensemble de leur travail. Je suis persuadé que ces propositions vont contribuer à mieux faire comprendre à nos concitoyens que notre avenir passe d'abord par l'entreprise. Bien évidemment, notre groupe votera sans réserve ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M. Francis Grignon vient de dire l'essentiel s'agissant de la position de notre groupe.
Je voudrais, à mon tour, me réjouir de la discussion des propositions de loi relatives au partenariat social déposées, d'une part, par M. Chérioux et plusieurs collègues et, d'autre part, par moi-même et les membres du groupe de l'Union centriste.
Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, les relations sociales se régulaient largement par l'inflation des salaires. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, nous constatons une stabilité relative des salaires et l'inflation des actifs. Aussi, il nous paraît essentiel d'associer les salariés à la captation de ces plus-values, de cette inflation des actifs. Nous devons par tous les moyens possibles, imaginer l'actionnariat salarié. Tel est l'objet de la proposition de loi de M. Chérioux et de la nôtre.
Pour ce qui nous concerne, nous avons voulu instaurer un lien étroit avec l'actionnariat salarié proprement dit, qui tend à revisiter la loi de 1973, laquelle n'a pas eu un succès considérable. Il convient d'actualiser les niveaux d'abondement consentis par la société et le montant des actions auquel le salarié peut souscrire à titre privilégié. Cela nous paraît important.
Nous allons dans le même sens. Aussi, nous voterons sans hésitation les propositions de la commission des affaires sociales. M. Chérioux était certainement fondé à déposer ce texte. La référence gaulliste est évidente.
Pour sa part, la démocratie chrétienne a également de solides références s'agissant de la participation et de la mobilisation des hommes au sein de l'entreprise. Nous ne pouvons que nous réjouir que l'entreprise ne soit plus aujourd'hui un lieu d'affrontements, mais qu'elle soit devenue un lieu de partenariat, qu'il nous appartient de consolider.
Les options de souscription d'actions constituent également un très bon levier de mobilisation. Dans notre esprit, il ne s'agit pas d'un actionnariat sélectif, réservé à quelques collaborateurs que l'employeur voudrait gratifier. Les options de souscription d'actions doivent être offertes à l'ensemble des salariés.
La transparence en la matière nous paraît également fondamentale. Nous ne nous estimons pas fondés à déterminer le montant à partir duquel tel régime ne serait plus applicable. La transparence doit être la règle. C'est pourquoi nous avons fixé les principes qui tendent à modifier les dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, qui a été visée par la commission des finances mais qui aurait pu l'être tout autant par la commission des lois. Nous voulons que les sociétés publient le nom des principaux bénéficiaires lorsqu'ils sont administrateurs ou quant ils exercent des fonctions de mandataire social ou de dirigeant, et ce à l'échelon du groupe consolidé. L'ensemble des filiales doivent faire apparaître les options de souscription d'actions éventuellement offertes. C'est une image globale qui doit être mise à la disposition des partenaires de l'entreprise, les salariés, bien sûr, mais aussi les actionnaires. Cela nous paraît fondamental.
Je voudrais rappeler à notre ami M. Fischer que, dès 1994, M. Marini, M. Loridant et moi-même avions ouvert une réflexion sur la pratique des options d'achat et de souscription d'actions. Aujourd'hui, nous tirons les conséquences des principes que nous avions alors énoncés.
Je voudrais souligner à quel point ce que nous avions dit à cette époque, au nom du Sénat, est toujours d'actualité. Nous l'avions fait, mon cher collègue Fischer, au-delà de toute considération partisane. Nous voulons faire vivre un authentique partenariat.
J'ai remercié M. Chérioux.
Je remercie également M. Trégouët et la commission des finances. Elle a su préserver au moins une chose de notre proposition de loi : l'intitulé.
M. René Trégouët, rapporteur pour avis. Beaucoup d'autre chose aussi !
M. Jean Arthuis. Cette attitude élégante nous va droit au coeur, cher rapporteur.
Sans doute, en cette fin d'année, l'emploi du temps a-t-il été particulièrement chargé, ce qui n'a pas facilité le dialogue.
C'est vrai que nous devrons nous prononcer sur les propositions de la commission des finances ; je n'aurai pas la possibilité de présenter des amendements pour tenter de rétablir certaines des dispositions de notre texte.
La présente discussion aura au moins l'avantage de mettre en évidence les marges de progression dont nous disposons pour améliorer le débat interne dans notre institution.
Mais, puisque nous convergeons sur l'essentiel, nous voterons ces dispositions.
Cependant, j'exprime le souhait, cher René Trégouët, que, la prochaine fois, nous puissons prendre le temps d'un échange constructif, car, sur certains points, je ne suis pas sûr que vos propositions aillent dans le sens d'une simplification et de la clarification, et qu'il n'y ait pas à redire sur le raccourcissement à trois ans ou sur la suppression de la décote, autant de sujets qui justifieraient un débat qui ne sera pas possible aujourd'hui, sauf à repousser en bloc les propositions de la commission des finances.
Le groupe de l'Union centriste reconnaît dans ces propositions l'essentiel de sa contribution, mais il ne la reconnaît que partiellement. Puisque les députés auront l'occasion d'examiner ce texte, madame la secrétaire d'Etat, peut-être pourrons-nous, en deuxième lecture, encore améliorer la rédaction !
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat. Monsieur Arthuis, vous avez quasiment dit que la position que j'allais prendre aujourd'hui réglera ce qui, à mes yeux, est presque un léger conflit interne.
C'est avec beaucoup de brio que tous les orateurs ont su aborder ce vaste problème de société dans un climat d'intelligence, même si semble-t-il, la compréhension réciproque n'a pas toujours régné au sein de la majorité sénatoriale, et avec fougue, notamment de la part de M. Chérioux, et ce sur un fond d'explication historique fine.
Je me félicite du large accord qui est intervenu dans cette enceinte, à l'occasion de ce débat, entre les héritiers spirituels du général de Gaulle et ceux de Maurice Thorez. D'ailleurs, cela ne me surpend pas puisque Maurice Thorez a été ministre de la production dans le gouvernement du général de Gaulle.
Pour clore ce bon moment qu'a constitué le rappel historique que vous avez fait, je reprendrai simplement à mon compte ce que disait Maurice Thorez : « Retroussons nos manches. »
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Monsieur Arthuis, il est vrai que vos collègues parlementaires auront fort à faire, comme le Gouvernement.
Comme tous les orateurs, j'aborderai ce thème dans un état d'esprit constructif, même si je ne tire pas les mêmes conclusions que MM. Chérioux et Arthuis du bilan de la situation actuelle.
J'ai cru comprendre, voilà un instant, que la cohérence de ce texte n'était pas parfaite... Mais c'est l'affaire du Sénat.
Le Gouvernement - peut-être est-ce surprenant pour certains d'entre vous, mais cela ne l'est pas pour vous, monsieur Chérioux - est favorable à l'actionnariat des salariés, comme vous, monsieur le sénateur. En même temps, le Gouvernement - et cela ne vous surprendra pas non plus, monsieur le sénateur - est défavorable aux propositions de loi qui ont été fusionnées dans le texte que vous examinez aujourd'hui.
M. Jean Chérioux, rapporteur. En effet, cela ne nous surprend pas non plus !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Pourquoi avons-nous pris ces deux positions ?
Oui, nous sommes favorables à l'actionnariat des salariés. C'est notre conviction. Pour reprendre la formulation qu'utilisait M. Dominique Strauss-Kahn, nous préférons « le risque à la rente ». Pour reprendre la formulation du Premier ministre, « nous voulons construire la société du plein emploi ».
Nous considérons que la croissance que nous avons suscitée doit d'abord se traduire en emplois pour le plus grand nombre de nos concitoyens. Nous considérons aussi que l'actionnariat des salariés peut permettre un meilleur partage de la croissance. Il y a effectivement un moyen pour les salariés d'acquérir une partie de la valeur qu'ils créent et d'être associés à la croissance de leur entreprise.
Nous pensons aussi qu'il y a une possibilité d'ancrer en France les entreprises françaises. En favorisant l'actionnariat salarié, les dirigeants des entreprises peuvent aussi chercher à constituer un pôle d'actionnaires stables pour se préserver d'actions boursières hostiles vous l'avez presque tous rappelé.
Nous pensons enfin qu'il s'agit là d'un moyen d'associer plus étroitement les salariés aux stratégies de leurs entreprises, voire de leur permettre de peser sur celles-ci en faisant valoir leurs intérêts spécifiques d'actionnaires salariés, même si - et j'y reviendrai ultérieurement, en essayant néanmoins de ne pas trop allonger le débat - nous avons encore un énorme travail d'explication à accomplir, puisque la moitié des actifs percevant moins de 9 000 francs par mois ne considèrent pas cette question comme prioritaire.
Cependant, au-delà des convictions, nous souhaiterions aussi vous faire partager notre souci du concret.
Tout d'abord, mieux associer les salariés au partage de la valeur qu'ils créent dans les entreprises est une pratique constante de ce gouvernement, qui, pour la première fois, a enrayé le mouvement d'alourdissement des conditions d'association des salariés à la croissance de leur entreprise.
Par la loi de finances de 1998, nous avions ainsi mis en place les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, les BSPCE, afin de permettre aux jeunes entreprises innovantes d'associer à leurs chances de succès leurs salariés, qui partagent les risques d'échec. Ce dispositif, réservé à l'origine aux entreprises de moins de sept ans, a été étendu par la loi de finances de 1999 aux entreprises de moins de quinze ans.
Par ailleurs, à chaque fois que le Gouvernement a ouvert le capital des entreprises publiques, il a tenu à associer très largement les salariés à ces opérations. Laissez-moi vous en donner deux illustrations : ce fut le cas pour l'ouverture du capital de France Télécom, qui a permis à 75 % des salariés de devenir actionnaires de leur entreprise et de détenir 3, 5 % de son capital ; ce fut le cas également à Air France, où plus de 72 % des salariés sont devenus actionnaires, faisant de cette compagnie l'entreprise française cotée dont l'actionnariat salarié, qui représentera à terme plus de 10 % du capital, sera le plus important.
C'est enfin ce gouvernement qui a étendu, lors des ouvertures de capital, la participation des salariés aux opérations de gré à gré. Il en fut ainsi pour le Crédit industriel et commercial, le CIC, et pour le Groupe des assurances nationales, le GAN. Certains affirment d'ailleurs que l'échec de la procédure de 1996 et la mobilisation sociale apparue à cette occasion étaient notamment dus à l'absence de participation des salariés.
Pour répondre en quelques mots à l'intervention de M. Arthuis, je voudrais rappeler ce que nous avons fait pour renforcer le capital des entreprises françaises. Comme nous estimons qu'il convient de favoriser la détention du capital des entreprises françaises par nos concitoyens, nous avons en effet beaucoup agi.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que ceux-ci ont placé plus de 3 500 milliards de francs en contrats d'assurance-vie, ce qui représente la plus grande partie de leur épargne. Par conséquent, dès novembre 1997, nous avons créé des contrats d'assurance-vie investis principalement en actions, notamment en capital-risque. Ces contrats, que l'on nomme désormais « contrats DSK », bénéficient d'un traitement fiscal très favorable et ont permis de lever plus de 70 milliards de francs, dont la moitié ont été investis en actions françaises. Le bilan de cette première mesure est donc intéressant.
L'intérêt de la commission des finances du Sénat, que relevait tout à l'heure M. Arthuis, pour une réforme de ce que l'on appelle couramment les stock options mérite d'être souligné. Là encore, je me permettrai de rappeler quelques faits.
A l'époque de l'installation du gouvernement de M. Lionel Jospin, le régime juridique, social et fiscal des stock options était assez paradoxal. Il avait été durci en décembre 1996, sur votre propre initiative, monsieur Arthuis.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Dans le même temps, des abus subsistaient, et rien n'avait été fait pour moraliser cet instrument et le rendre plus transparent.
Qu'avons-nous fait face à cette situation ? Nous avons agi. Dès novembre 1997, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, nous avons créé, au profit des jeunes entreprises innovantes, les bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, qui sont de véritables plans d'option pour une fiscalité favorable, car ces entrepreneurs qui prennent des risques devaient pouvoir associer à leurs chances de succès leurs collaborateurs qui acceptent de les accompagner dans une entreprise dont l'avenir n'est pas assuré à 100 %. Ce dispositif a été élargi, dans l'optique notamment de la loi sur l'innovation et la recherche de M. Claude Allègre, dont les principales dispositions ont été rappelées tout à l'heure.
En outre, par le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier adopté en 1998, nous avons remis en cause la rétroactivité aberrante du durcissement social et fiscal décidé en décembre 1996. Cette mesure visait les entreprises de moins de quinze ans et, malgré le recours formé par de nombreux membres de cette assemblée devant le Conseil constitutionnel, ce dernier avait reconnu la spécificité des entreprises innovantes de croissance.
Aux assises de l'innovation, en mai 1998, nous avons lancé d'immenses chantiers pour que la science et la technologie amènent de la croissance et des créations d'emplois et pour faire émerger de nouveaux entrepreneurs, de nouveaux capitaux, de nouvelles technologies. Dans cette optique, nous avons entamé une réflexion sur tous les mécanismes d'association des salariés à la croissance.
Voilà encore des orientations et un bilan !
Certes, le texte aujourd'hui soumis au Sénat répond en partie aux critiques qui avaient été formulées par le Gouvernement sur la proposition de loi de M. Balladur, discutée en mai dernier à l'Assemblée nationale. En témoignent, par exemple, l'alignement sur la durée de droit commun pour la participation ou les plans d'épargne entreprise, les PEE, ou l'alignement de la décote sur les 20 % prévus pour les augmentations de capital réservées dans le cadre du PEE.
Il n'en reste pas moins que les inconvénients principaux de ce texte demeurent, et c'est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.
Ainsi, l'obligation pour les entreprises de prévoir, lors de toute augmentation de capital, une tranche réservée aux salariés serait à la fois lourde et coûteuse, sans permettre d'atteindre à l'objectif visé.
Le caractère automatique et obligatoire de cette disposition est en contradiction avec l'objectif affiché de la proposition de loi de développer « l'esprit de la participation », et c'est peut-être la fusion des deux propositions de loi initiales qui nous entraîne dans cette contradiction. Le mécanisme actuel de l'offre réservée aux salariés est, en revanche, tout à la fois plus souple et plus efficace, car il permet aux entreprises de décider du moment et des caractéristiques du lancement d'une offre spécifique aux salariés, et donc d'insérer au mieux l'actionnariat des salariés dans la politique sociale de l'entreprise. Rien ne les empêche, d'ailleurs, d'organiser simultanément une augmentation de capital de droit commun et une augmentation de capital réservée aux salariés.
J'ajoute sur ce point qu'une augmentation de capital peut répondre à des objectifs très différents : une augmentation de capital croisée entre deux sociétés qui fusionnent ou prennent des participations l'une dans l'autre doit-elle, par exemple, être soumise au même régime qu'une augmentation de capital « classique », laquelle semble être visée par la proposition de loi ?
Les principes qui guident l'action du Gouvernement dans ce domaine sont bien connus et inspirent, par exemple, la réflexion sur les fonds partenariaux, menée au sein de la commission des finances de l'Assemblée nationale par Jérôme Cahuzac. Nous souhaitons que ces fonds soient tout à la fois plus collectifs, plus solidaires et plus centrés sur la protection des adhérents.
Je note par ailleurs qu'il est envisagé que les sociétés non cotées puissent aussi appliquer une décote de 20 %. Or cela n'est pas souhaitable, dans la mesure où les conditions de valorisation des sociétés non cotées peuvent de facto inclure une décote importante.
Contrairement à ce que prévoyait la proposition de loi initiale de M. Jean Arthuis, M. Chérioux préconise un relèvement du rabais de 20 % à 50 % pour les actions incessibles pendant un délai de cinq à dix ans à compter de la souscription. Je m'interroge sur l'intérêt, pour les actionnaires, d'accepter un rabais aussi important et sur celui, pour les salariés dont l'épargne serait bloquée pendant une période longue sans diversification de leur placement, en particulier pour ceux des entreprises non cotées, de prendre un risque non négligeable.
La proposition de loi comporte également des dispositions relatives au plan d'épargne interentreprises.
Il est vrai que cet outil permettrait de développer l'épargne salariale au sein des PME. Mais, là encore, il est nécessaire d'adopter une démarche cohérente, afin d'identifier les vecteurs permettant le développement de l'épargne salariale au sein des PME. A cet égard, il convient d'analyser plus avant les raisons pour lesquelles assez peu de salariés des PME bénéficient à l'heure actuelle de ces dispositifs : comme l'a souligné lui-même M. Chérioux, le droit actuel est complexe et parfois même totalement inadapté.
Le développement de l'épargne salariale doit donc reposer sur une analyse approfondie de la situation actuelle, en vue d'offrir aux PME un « véhicule » qui leur soit adapté et, plus généralement, de moduler la mise en oeuvre de ces mécanismes en fonction de l'évolution du monde de l'entreprise.
S'agissant maintenant des dispositions de la proposition de loi concernant les droits de vote des fonds communs de placement d'entreprise, l'approche qui a été retenue par MM. Arthuis et Chérioux doit être examinée en concertation avec les partenaires sociaux et s'inscrire dans une reflexion plus large sur la désignation et les pouvoirs des conseils de surveillance des FCPE.
J'observe enfin que les deux propositions de loi n'adoptaient pas la même optique en matière de gouvernement d'entreprise, s'agissant, plus particulièrement, de la désignation d'administrateurs ou de membres du conseil de surveillance représentant les salariés actionnaires.
M. Arthuis, dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, distinguait la participation à la gestion et la participation financière, soulignant que les entreprises françaises étaient dotées de « moyens institutionnels permettant d'alimenter le dialogue social ».
M. Jean Arthuis. C'est exact !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Pour sa part, M. Chérioux pense qu'« il est indispensable de donner au personnel la possibilité de peser sur le destin de son entreprise ».
Cette différence d'analyse se retrouve dans l'insertion dans la proposition de loi de dispositions visant à faciliter la présence des représentants des salariés actionnaires au sein des organes de gestion de l'entreprise, dispositif qui n'était pas prévu dans la proposition de loi n° 87 de M. Arthuis.
Ces imperfections s'expliquent par le fait que le dépôt de la proposition de loi est sans doute prématuré.
J'ai entendu tout à l'heure parler de calendrier. Or le chantier en question est très vaste : la participation aux augmentations de capital n'est qu'une facette de l'actionnariat salarié, lequel n'est lui-même qu'un volet de l'association des salariés à la croissance de leur entreprise.
C'est donc bien une réflexion globale que le Gouvernement entend mener sur l'ensemble des mécanismes de participation et d'association des salariés au partage de la valeur qu'ils créent dans leur entreprise, ainsi que sur leur articulation.
L'épargne salariale apparaît en effet aujourd'hui comme une juxtaposition de mécanismes, sans cohérence ni logique d'ensemble. Elle prend la forme d'un mille-feuille qui regroupe la participation, l'intéressement, le plan d'épargne entreprise, l'actionnariat salarié, les stock options, etc. Le résultat de cet empilement est que l'épargne salariale est aujourd'hui complexe, insuffisante et inégalitaire.
Un débat qui porterait sur tel ou tel mécanisme pris isolément n'aurait pas de sens : c'est à une remise à plat de l'ensemble de ces mécanismes, sans interdit ni exclusive, qu'il faut s'attacher. Cette remise à plat est l'objet de la mission que le Premier ministre a confiée à MM. Balligand et de Foucauld sur l'épargne salariale, dont la mise en cohérence doit répondre au double objectif d'association des salariés aux décisions et à la croissance de leur entreprise et de maintien des centres de décision en France.
C'est donc une réflexion transversale qui doit être menée, portant non pas sur tel ou tel produit, mais sur les principes communs qui conduisent à définir un cadre renouvelé et cohérent, juste socialement et efficace économiquement, au travers de l'affirmation de son caractère social et solidaire - diffusion auprès de tous les salariés, abondement équitable de l'entreprise, plus grande transparence - des modalités d'association des partenaires sociaux à la gestion des fonds dans l'entreprise et de représentation des salariés - on a bien senti que ce débat n'était pas tranché - d'un horizon de placement suffisamment large, du court au long terme, pour répondre aux besoins et aux demandes des salariés, qui peuvent être divers, et enfin de règles d'investissement sûres et répondant à l'objectif de renforcement des fonds propres des entreprises françaises.
La mission menée par MM. Balligand et de Foucauld achèvera ses travaux d'ici à janvier 2000 et formulera des propositions qui pourront alors trouver une traduction législative dans la loi sur les nouvelles régulations économiques.
Dans l'attente de la remise de ses conclusions, le Gouvernement ne peut qu'être défavorable à la proposition de loi examinée aujourd'hui, dont la discussion, que j'ai suivie avec la plus grande attention, a mis en évidence quelques divergences de fond, de forme ou d'appréciation.
Cela étant, je vous remercie chaleureusement, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la qualité des débats et pour l'apport important qui a aujourd'hui été le vôtre sur un sujet qui, effectivement, n'intéresse peut-être pas encore assez les salariés de ce pays, lesquels connaissent peut-être moins bien les avantages de l'actionnariat salarié que les apparentes incohérences dont il a souffert jusqu'ici.
Nous avons à conduire non seulement une réflexion de fond sur l'actionnariat, donc sur le capital, mais aussi une réflexion socio-économique pour comprendre pourquoi, aujourd'hui, trop peu nombreux sont les salariés à répondre à des possibilités qui pourtant, dans un certain nombre de cas, pourraient leur être bénéfiques.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Chérioux, rapporteur. Je voudrais, au terme de cette discussion générale qui a été fort intéressant et extrêmement nourri, dire que, quelles que soient les positions qui ont été prises, je suis très réconforté. En effet, depuis vingt-cinq ans que je mène le combat pour la participation, c'est la première fois que je constate sur toutes les travées de cette assemblée non pas un accord, mais, en tout cas, une absence d'opposition systématique quant à l'idée de participation. Je n'ai même observé, chez nos collègues de l'opposition sénatoriale, qu'il s'agisse de M. Autain ou de M. Fischer, aucune opposition fondamentale sur les propositions de la commission des affaires sociales concernant l'actionnariat. En effet, ils ont tous deux parlé de tout, sauf de l'actionnariat salarié !
Notre ami M. Autain a dit que nous faisions un amalgame. Je constate que, si quelqu'un fait un amalgame, c'est lui et pas nous ! En effet, parlant des conclusions de la commission des affaires sociales, il est parti dans des digressions sur les plans d'épargne retraite, et j'ai cru me retrouver dans le débat du 14 octobre dernier, alors que le Sénat était amené à voter un texte sur ce point. C'était hors sujet, et le discours de M. Autain ne comportait, en définitive, aucun argument contre l'actionnariat salarié.
Quant à M. Fischer, j'ai été heureux de l'entendre dire qu'il envisageait d'être constructif sur ce point, même si cela ne se traduira pas aujourd'hui dans les faits. C'est un progrès considérable par rapport à ce que je connais depuis vingt-cinq ans, et cela m'a profondément réconforté.
Dans son propos, M. Fischer a parlé un peu de tout : des 35 heures, des difficultés des chômeurs et de l'histoire de la participation, qu'il a présentée un peu à sa façon. D'ailleurs, presque tous les arguments qu'il a invoqués à l'appui de sa position négative visaient essentiellement la participation, mais pas du tout l'actionnariat tel que proposé aujourd'hui.
Quant à Mme la secrétaire d'Etat, elle a émis, au fond, des observations fort bienveillantes quant à notre proposition de loi. Certes, le Gouvernement n'accepte pas de cautionner ce texte, et je n'en suis pas trop étonné dans la mesure où il ne vient pas de lui. Le contraire eût été surprenant ! L'argument invoqué est qu'une étude, qui débouchera sur des mesures de portée beaucoup plus vaste, est en cours.
Néanmoins, cette attitude m'étonne quand même quelque peu dans la mesure où il est possible de procéder par étapes et que, par ailleurs, une telle attitude est en contradiction avec les positions fondamentales qui étaient celles du Premier ministre. Je me souviens en effet avoir entendu ce dernier dire ceci, à l'Assemblée nationale, le 19 juin 1997 : « Incarnation de la souveraineté nationale, le Parlement doit pleinement exercer son rôle éminent au sein de nos institutions. » Or, s'il est un domaine dans lequel le Parlement a une responsabilité majeure, c'est bien celui du pouvoir législatif. Et alors qu'une chambre du Parlement veut exercer ce dernier - d'ailleurs, des fenêtres parlementaires ont été créées à cette fin - le Gouvernement s'insurge : c'est lui qui veut être l'élément moteur et initiateur dans ce domaine législatif. J'avoue que, d'un point de vue général, je suis un peu choqué.
Sur le plan particulier, je suis encore beaucoup plus étonné ! Vous avez bien voulu reconnaître, madame la secrétaire d'Etat, qu'un pas était fait par rapport au débat à l'Assemblée nationale dans la mesure où cette proposition de loi reprenait des arguments qui y avaient été invoqués par le Gouvernement.
Ce n'est d'ailleurs pas du tout cette raison qui m'a amené à inscrire cette disposition dans le texte. Ayant assisté aux travaux du conseil supérieur de la participation, j'ai noté que c'était l'une des préoccupations des syndicats. Estimant que l'actionnariat ne peut progresser que grâce à une démarche contractuelle, j'ai introduit cette mesure.
Madame la secrétaire d'Etat, vous m'avez donné acte de cette avancée, à laquelle vous vous êtes ensuite opposée. J'avoue avoir été étonné de votre hostilité à la réservation obligatoire d'une part de l'augmentation du capital au personnel, prévue dans le texte.
Les bras m'en tombent ! Que la droite de cette assemblée soit opposée à cette disposition qui ne fera guère plaisir au MEDEF, on pourrait le comprendre ! Mais si l'on veut éviter une dilution du capital et développer l'actionnariat, il faut prévoir une telle obligation pour que, à chaque augmentation de capital, les salariés aient la faculté d'y souscrire. Je sais bien que les entreprises peuvent toujours procéder à des augmentations de capital réservées, mais l'un n'empêche pas l'autre. J'ai donc été étonné par cet argument, madame la secrétaire d'Etat, de même que par votre propos sur les PME.
Comme vous l'avez reconnu vous-même, il ne se passe pas grand-chose dans les PME. Certaines grandes PME, notamment dans le domaine de la distribution, pratiquent tout de même la participation. La valeur des actions est alors calculée chaque année avec toutes les garanties possibles et imaginables.
Dans la mesure où l'on veut susciter des acquisitions supplémentaires par les salariés, il n'est à mon avis pas mauvais de prévoir une décote. En tout cas, cela va dans le sens de ce que peuvent souhaiter les salariés. Ce système étant avantageux pour ces derniers, je m'étonne donc que vous vous y opposiez.
Il semble que vous n'ayez pas très bien compris un autre point, madame la secrétaire d'Etat. Vous avez évoqué la décote éventuelle de 50 %, sous condition d'une conservation des titres pendant dix ans, prévue par le texte.
Cette notion de décote est souvent mal comprise. Il ne s'agit pas de verser un complément de rémunération par ce biais. On ne peut d'ailleurs pas considérer qu'il s'agit d'un complément de rémunération dans la mesure où le poids n'est pas supporté par l'entreprise : c'est un sacrifice réalisé par les actionnaires et non par l'entreprise ; ce sont les actionnaires qui acceptent une diminution de leurs avoirs à l'occasion d'une augmentation de capital ! Prévoir une décote supplémentaire aboutit à augmenter la part que vont détenir les salariés avec le montant d'argent qu'ils ont versé par rapport à ce qu'ils auraient été amenés à verser s'ils avaient souscrit dans les mêmes conditions que les autres actionnaires. Cela se fait au détriment des actionnaires et non des sociétés, et ce n'est donc pas un complément de rémunération.
Surtout, cette décote se justifie par le fait que, dans le mécanisme du plan d'épargne d'entreprise, on a toujours considéré qu'il n'était peut-être pas souhaitable, comme le soutenait la CGT, de mettre tous les oeufs dans le même panier et d'inciter systématiquement tous les salariés à détenir des actions de leur société. Il existe en effet un risque accru par rapport à une gestion diversifiée, et c'est pourquoi, en vue d'y faire face et de constituer en quelque sorte une provision, est prévue une décote, qui doit être d'autant plus forte que la détention des titres est plus longue.
L'idée est donc de faciliter l'investissement de l'épargne salariale dans les actions par le biais de cette décote et de préserver, dans une certaine mesure, les salariés des risques qu'ils prennent en souscrivant des actions. Cela va, par conséquent, tout à fait dans le sens de ce que peuvent souhaiter les salariés, c'est-à-dire prendre le minimum de risques.
D'autres arguments ont été invoqués, que nous retrouverons sans doute à l'occasion de la discussion des articles. Mais, au bout du compte, je n'ai pas été convaincu.
En réalité, madame la secrétaire d'Etat, vous voulez avoir votre réforme de l'actionnariat salarié ; c'est votre droit. Mais le Sénat a aussi le droit d'avoir sa propre conception de la réforme, d'autant qu'il a pour lui l'antériorité dans la mesure où il a engagé cette opération au mois de mars dernier, alors qu'il n'était question ni dans la presse ni même dans les déclarations gouvernementales d'une réforme de l'actionnariat salarié.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

ACTIONNARIAT SALARIÉ

Article 1er