Séance du 15 mars 2000







M. le président. « Art. 1er. - L'article L. 284 du code électoral est ainsi modifié :
« 1° Les six premiers alinéas sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les conseils municipaux désignent un nombre de délégués déterminé en fonction de la population des communes, à raison d'un délégué pour 300 habitants ou une fraction de ce nombre.
« Lorsque le nombre de délégués est inférieur ou égal à l'effectif du conseil municipal, les délégués sont élus au sein de ce conseil. Dans le cas contraire, les membres du conseil municipal sont délégués de droit, les autres délégués étant élus dans les conditions fixées à l'article L. 289. » ;
« 2° Dans le dernier alinéa, les mots : "des alinéas 2 à 6 de l'article 10 du code de l'administration communale" sont remplacés par les mots : "des articles L. 2113-6 et L. 2113-7 du code général des collectivités territoriales". »
Par amendement n° 2, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« Dans le dernier alinéa de l'article L. 284 du code électoral, les mots : "des alinéas 2 à 6 de l'article 10 du code de l'administration communale" sont remplacés par les mots : "des articles L. 2113-6 et L. 2113-7 du code général des collectivités territoriales". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Nous sommes au coeur de la question qui a alimenté la discussion générale : il s'agit de déterminer le nombre des délégués.
L'Assemblée nationale a prévu un délégué pour 300 habitants ou fraction de ce nombre, soit plus que le dispositif initial proposé par le Gouvernement, qui prévoyait un délégué pour 500 habitants. Ce texte méconnaît le point de vue du Sénat, selon lequel il faut tenir compte de l'effectif des conseils municipaux.
Sans insister davantage en l'instant sur les arguments de la commission - nous y reviendrons s'il y a lieu -, nous proposons de revenir au dispositif équilibré adopté par le Sénat en première lecture, avec une représentation tenant compte de l'effectif des conseils municipaux jusqu'à la moitié de la population et des abondements pour la seconde moitié de la population.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. A l'Assemblée nationale, j'avais émis un avis réservé quant à l'introduction d'une tranche de 300 habitants au lieu de 500 habitants pour la désignation d'un délégué, ce qui entraînerait un fort accroissement du nombre des délégués et poserait des problèmes matériels considérables.
Toutefois, je considère que l'amendement n° 2 présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission des lois, en maintenant le mode actuel de désignation des délégués municipaux en dessous de 9 000 habitants, remet en cause l'ensemble du projet gouvernemental. C'est la raison pour laquelle je lui donne un avis défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Pour gagner du temps, je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit dans la discussion générale, me contentant d'insister à nouveau sur un point.
Nous sommes tous d'accord pour que les grandes agglomérations soient mieux représentées dans le collège électoral. Ce que prévoit le projet gouvernemental, et surtout la disposition introduite par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, conforte les petites communes.
Je ne prendrai qu'un seul exemple.
Une commune de mille habitants a actuellement deux délégués...
M. Charles Descours. En effet ! Avec la disposition proposée par M. le rapporteur, elle en aura quatre.
M. Guy Allouche. Oui, avec la nouvelle disposition, elle en aura quatre.
Compte tenu du nombre important de communes qui franchiront la barre de 300 habitants et qui compteront non pas un mais deux délégués, les petites communes seront donc encore mieux représentées.
Par conséquent, nous n'avons pas à avoir d'inquiétude démesurée quant à la sous-représentation des petites communes. Au contraire, cette disposition leur est favorable.
Comme l'a dit M. le ministre à l'instant, non seulement M. le rapporteur ne suit pas le Gouvernement, mais il propose une autre disposition.
En conséquence, nous ne pouvons que voter contre cet amendement.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Chacun a ses notions mathématiques !
Pour ma part, je constate que le dispositif adopté par l'Assemblée nationale transforme les très grandes villes en rouleau compresseur ! Or, on veut nous faire croire que le grain de sable que serait une petite commune se transformerait devant le rouleau compresseur en tout petit caillou. Moi, je veux bien ! Mais l'important ce n'est pas le chiffre, c'est la représentation dans le pourcentage total...
M. Dominique Braye. Effectivement !
M. Paul Girod, rapporteur. ... et là, je crains que ce raisonnement ne soit un peu court.
Dans l'amendement de la commission, mon cher collègue, il y a un autre aspect que vous négligez allègrement - je suis obligé de vous le dire, à vous aussi, monsieur le ministre - c'est celui des communes moyennes.
Si vous analysez tous les tableaux que j'ai joints à mon rapport écrit, vous constatez que les véritables victimes de toute cette opération sont moins les petites communes que les communes moyennes.
Je rappelle ce que j'ai été amené à dire tant dans mon rapport écrit que dans mon rapport oral : ce qui est important dans la représentation des collectivités territoriales - j'insiste sur ce dernier adjectif, comme je l'ai fait tout à l'heure pendant l'intervention de notre collègue M. Allouche avec son autorisation, ce dont je le remercie encore - c'est le rôle d'organisation démographique, spatiale, économique et sociale des communes moyennes, sur lesquelles repose tout l'équilibre de notre nation.
Or c'est justement cette catégorie-là qui, par le système que nous avons défendue et que nous défendons à nouveau aujourd'hui, se trouve relativement protégée, alors qu'elle est paradoxalement laminée entre le grain de sable devenu petit caillou et le rouleau compresseur que constituent les grandes communes.
C'est tout le problème, et c'est un vrai problème ! On ne l'évacue pas par un slogan fondé sur la représentation démographique, dont tous les représentants des parlements du monde qui sont bicaméraux ont dit hier, dans le cadre du Forum des Sénats du monde, qu'il fallait en tempérer l'exagération, surtout quand la chambre basse est élue au scrutin majoritaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, chacun ses notions mathématiques ! Je corrige cependant ce que j'ai dit tout à l'heure au sujet des communes de 1 000 habitants.
J'ajoute, monsieur le rapporteur, que vous auriez peut-être rencontré une oreille attentive si vous aviez suivi le projet initial. Mais vous vous y refusez.
Vous savez que je n'étais pas tout à fait d'accord avec une partie de ce qu'avance le Gouvernement. Je vous l'ai dit en première lecture et je l'ai répété tout à l'heure.
Mais M. le ministre a employé l'adjectif « équilibré ». Or ce que vous proposez ne tend pas à un équilibre. Dès lors que vous ne voulez pas faire un pas vers ce que tendait à proposer le projet initial, je crains que l'Assemblée nationale ne confirme - je pense qu'elle le fera - ce qu'elle a adopté en première lecture.
Si vous aviez accepté de faire un pas dans cette direction, vous auriez peut-être rencontré une, voire deux oreilles attentives !
M. Jean-Pierre Schosteck. Compatissantes plutôt, parce qu'elles sont toujours attentives !
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. La proposition qui nous est faite par le rapporteur est une bonne proposition. L'objectif est manifestement de faire en sorte qu'à terme la moitié des sénateurs soit élue au scrutin majoritaire et l'autre au scrutin proportionnel.
Personne n'a été dupe lorsque notre collègue M. Allouche s'est posé en grand défenseur des petites communes. Il a fait preuve de duplicité. Tout le monde a bien compris que, si l'on augmente le nombre des représentants des petites communes, leur poids relatif diminue, et leur influence également. Il faut le dire !
M. Hilaire Flandre. Tout à fait !
M. Dominique Braye. Il y a là, manifestement, duplicité de la part de l'orateur précédent, qui veut nous faire croire que l'on augmente le poids des petites communes alors qu'en réalité on ne fait que le diminuer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Philippe Richert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Nous sommes là au coeur du dispositif.
Force est de reconnaître que, avec un grand électeur pour 300 habitants, on aboutit à une augmentation sensible du poids relatif des grandes agglomérations. Il suffit de faire des simulations département par département pour s'en rendre compte.
On s'appuie sur un principe démocratique pour appliquer ce dispositif en appelant à l'égalité du vote de chaque citoyen. Mais quand on regarde comment cela se passe dans les communes de plus de 3 500 habitants, je le répète, monsieur Allouche, on constate que la prime est donnée à la liste qui arrive en tête. Ainsi, une liste qui recueillera 51 % des voix aura 75 % des sièges et la liste qui aura 49 % des voix se verra attribuer 25 % des sièges.
Dans la désignation des grands électeurs, l'équité dont vous vous prévalez n'est donc pas du tout respectée ! Au contraire : les voix des uns auront presque deux fois plus de poids que les voix des autres.
C'est la raison pour laquelle je trouve totalement inique que l'on mette en avant une volonté d'équilibre. Si cette volonté était réelle, il faudrait appliquer la répartition des sièges des grands électeurs en fonction des voix obtenues à l'élection et non pas en fonction du nombre d'élus puisque la bonification accordée à la liste ayant obtenu les meilleurs résultats avait tout simplement pour objet de permettre la gestion de nos communes en dégageant des majorités.
L'Assemblée nationale reviendra de toute façon sur ces dispositions, et j'attends d'elle qu'elle introduise cette mesure afin d'assurer de façon concrète l'égalité au lieu d'en parler dans l'abstrait.
Je relève enfin qu'une commune de 300 000 habitants aura mille grands électeurs pour environ soixante élus, c'est-à-dire que 940 grands électeurs seront désignés sur les listes « fournies » par les partis politiques à l'échelon de leurs militants et de leurs adhérents.
En fait, on retire aux élus leur influence au profit des partis, au profit des militants. Je crois que ce n'est pas conforme à la tradition de la Ve République et c'est la raison pour laquelle la sagesse veut que nous soutenions les propositions de M. le rapporteur. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je ne vais pas reprendre ce qu'ont dit les orateurs qui m'ont précédé, je suis tout à fait d'accord avec eux. J'ajoute simplement - et c'est la raison pour laquelle je pense que la proposition de notre rapporteur est la seule juste - que le sénateur risque de devenir progressivement non pas l'élu des élus, mais l'élu des élus des élus, ce qui me paraît, à terme, tout à fait dangereux.
Qu'est-ce que ces élus des élus ? Ce sont des clones des élus ! Dans la pratique, on va choisir les époux, les enfants, les cousins, les beaux-frères, les belles-soeurs... Une fois que l'on a épuisé les militants, il n'y a plus personne et on prend alors les membres de la famille. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Cela me paraît très dangereux, et j'aurais préféré que l'on portât atteinte - pour faire plaisir à M. Allouche - à l'égalité du droit de suffrage, en disant que des élus auront un vote plural.
M. Guy Allouche. C'est le vote à points !
M. Patrice Gélard. Cela aurait été préférable à la multiplication du nombre des grands électeurs, dont, il faut bien le dire, plus de la moitié n'auront, en réalité, aucune légitimité en dehors de celle que les élus voudront bien leur donner pour vingt-quatre heures. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Je viens d'entendre des orateurs évoquer le fait que nous pourrions avoir des élus, des élus, des élus. Pour ma part, ce que je constate, c'est qu'avec le système proposé nous allons avoir une assise plus importante pour l'élection des sénateurs.
M. Hilaire Flandre. En apparence seulement !
M. Michel Duffour. Certains d'entre vous se plaignent que des militants politiques - trop politiques - participent au scrutin pour l'élection des sénateurs. Pour ma part, je m'en félicite.
M. Hilaire Flandre. Le contraire m'eût étonné !
M. Michel Duffour. Que des centaines de milliers de femmes et d'hommes s'intéressent aux élections sénatoriales...
M. Charles Descours. Des centaines de milliers ?...
M. Michel Duffour. ... et, à partir de là, établissent un lien avec cette assemblée - nous tenterons en effet d'entretenir des liens étroits avec ceux qui nous auront élus - et nos travaux s'en trouveront valorisés. Ce sera un pas en avant vers plus de démocratie.
Je ne suivrai donc pas l'avis de notre rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck. Faites une deuxième Assemblée nationale, ce sera plus clair !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je ferai trois réflexions : deux sur le fond et une humoristique, si vous le permettez !
Sur le fond, notre collègue a mis le doigt sur la contradiction... (Tout à fait ! sur les travées du RPR.)
Soit l'on veut que le Sénat soit représentatif de la population en partant de l'idée de l'égalité de suffrage des citoyens et en négligeant l'aspect représentation des collectivités territoriales, et à ce moment-là la prime majoritaire des conseils municipaux ne peut plus jouer,...
M. Jean-Pierre Schosteck. Exactement !
M. Paul Girod, rapporteur. ... soit l'on parle de la représentativité des collectivités territoriales à partir de leur expérience de gestion, et, à ce moment-là, c'est la priorité des conseils municipaux par rapport à la représentation égalitaire et linéaire qui s'impose, comme j'ai eu l'occasion de le dire pendant la discussion générale.
Sur l'élargissement du corps électoral sénatorial, j'ai déjà entendu des arguments contraires venant de vos amis, monsieur Duffour. Quand on parlait du référendum, il y a déjà longtemps, on élargissait le corps électoral à l'ensemble du peuple !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'était autrefois !
M. Paul Girod, rapporteur. Sur un plan plus humoristique, monsieur Allouche, le Sénat sait ce qu'il en coûte d'appuyer les projets du Gouvernement ! Ce n'est pas si vieux : c'était à propos de la parité ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.

Article 1er bis A