Séance du 28 mars 2000







M. le président. La parole est à M. Bizet, auteur de la question n° 742, adressée à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Jean Bizet. Madame le ministre, je me permets d'attirer votre attention sur les conséquences de l'application de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, aux produits phytosanitaires à partir du 1er janvier 2000.
D'une part, la taxation porte sur les substances actives classées selon des critères toxicologiques et écotoxicologiques, mais le produit formulé contenant la substance active peut avoir un classement différent de ladite substance.
D'autre part, la liste communautaire de matières actives fait actuellement l'objet d'un réexamen depuis le 11 décembre 1992. Ces procédures étant particulièrement longues, il s'avère qu'une molécule ancienne non encore révisée pourra être exemptée de classement écotoxicologique, tandis qu'une nouvelle substance, alors même qu'elle répond aux exigences actuelles, pourra être fortement taxée.
Enfin, cette taxation, appliquée à certaines productions spécialisées comme les cultures légumières, est particulièrement pénalisante pour les agriculteurs. L'exemple de la production de carottes dans le département de la Manche est significatif ; cette production ne dégage plus de revenus pour les producteurs depuis le 1er janvier du fait de l'intégration de cette nouvelle taxe.
Pour toutes ces raisons, je souhaiterais savoir si vous envisagez une modification de la TGAP sur les produits phytosanitaires ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu appeler mon attention sur les conséquences de l'application de la taxe générale sur les activités polluantes aux produits antiparasitaires, notamment sur son incidence économique pour la production de carottes dans la Manche.
En ce qui concerne le mode de taxation, il a été choisi de calculer le montant de la taxe à partir des caractéristiques toxicologiques et écotoxicologiques des substances actives contenues dans les produits, car, une fois que ceux-ci ont été épandus dans le milieu, ce sont essentiellement les effets des substances qu'ils renferment que l'on constate, notamment en termes de détérioration de la qualité des eaux, d'impact éventuel sur les organismes aquatiques et de menaces sur la potabilité des eaux. Il serait en outre impossible de construire une taxe sur le fondement de classements environnementaux des produits eux-mêmes, parce qu'aucune classification de ces derniers n'est à l'heure actuelle disponible. La directive européenne 99/45/CE fixe les règles de classement environnemental des produits et sera applicable au plus tard en 2004.
S'agissant du classement des substances actives, il est vrai qu'un certain nombre de celles-ci ne sont pas encore classées par la directive européenne parmi les substances dangereuses, du fait de la lourdeur des procédures. Les travaux de classification sont en cours, et les substances anciennes seront soumises à la TGAP au fur et à mesure de leur classement, ce qui mettra un terme aux distorsions que vous déplorez.
Par ailleurs, je rappelle que, même si les substances ne sont pas classées explicitement dans l'optique d'une directive européenne, les producteurs de molécules sont tenus de les classer eux-mêmes en utilisant les mêmes critères, afin notamment d'informer les personnes amenées à les manipuler des dangers auxquels elles peuvent être exposées. Ces dispositions sont reprises en France dans le code du travail.
Quant au problème d'égalité de traitement que vous avez évoqué, monsieur le sénateur, mes services sont intervenus auprès du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie pour que les classements soient également utilisés pour le calcul de la TGAP.
Enfin, pour ce qui concerne la culture de la carotte dans la Manche, il convient de signaler que les pratiques agricoles actuelles engendrent une utilisation de nématicides en fortes quantités. En effet, la monoculture entraîne une pression parasitaire qui provoque à son tour l'emploi de pesticides à très fortes doses, ce qui risque, à terme, d'amener la destruction de la flore et de la faune, d'autant que les sols des terrains concernés sont particulièrement fragiles. La TGAP a donc pour objet d'inciter les agriculteurs à recourir à des pratiques plus respectueuses de l'environnement. Je souhaite qu'elle contribue à les orienter vers des systèmes d'exploitation laissant plus de place à la rotation des cultures et au travail du sol, procédés utiles pour diminuer la pression parasitaire. Ces changements de systèmes peuvent parfaitement, à mon avis, être intégrés dans des contrats territoriaux d'exploitation permettant aux agriculteurs concernés d'être aidés dans cette démarche.
En outre, comme M. le Premier ministre l'avait annoncé lors de la table ronde agricole d'octobre dernier, le Gouvernement va préparer un programme de prévention des pollutions dues aux produits phytosanitaires, dont les modalités sont actuellement en cours de discussion avec les organisations agricoles. Il reste prévu que mon ministère apporte un financement de soixante-dix millions de francs, en sus des crédits qui pourront être obtenus auprès du ministère de l'agriculture et de la pêche et des collectivités concernées.
Comme vous l'aurez compris, monsieur le sénateur, les préoccupations de la ministre de l'environnement, s'agissant de la TGAP, ne sont pas celles du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie : mon objectif est de modifier les comportements et de réduire l'utilisation des produits polluants, afin que le produit de la TGAP lié aux produits phytosanitaires soit le plus proche possible de zéro. Cela montrerait que les utilisateurs ont petit à petit réorienté leurs choix vers les produits les moins taxés parce que les moins polluants. Cela concerne, je vous le rappelle, deux produits sur trois pour la classe de pesticides en question.
M. Jean Bizet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Madame le ministre, j'ai pris bonne note des précisions que vous venez d'apporter à propos des lenteurs et des lourdeurs administratives, qui entraînent effectivement quelques distorsions de concurrence s'agissant de l'application de la TGAP.
Cela étant, en ce qui concerne la rotation des cultures, sachez que, dans mon département, nous avons engagé cette démarche voilà bien longtemps au travers de la mise en place de mesures dites « agro-environnementales » permettant de limiter les intrants. Cela nous a permis, par la même occasion, de passer des contrats avec la grande distribution et d'engendrer ainsi de la valeur ajoutée.
Nous avions donc, avant l'heure, mis en place ce que vous appelez « l'agriculture raisonnée », ou « l'agriculture durable ». Pourtant, malgré la rotation des cultures, il est obligatoire d'utiliser certains nématocides, et la TGAP représentera à ce titre un surcoût de l'ordre de 4 000 à 5 000 francs à l'hectare, soit douze centimes supplémentaires par kilo de carottes, pour un prix plancher de cinquante centimes à l'heure actuelle.
Par conséquent, si le concept du « double dividende » est certes séduisant sur le plan intellectuel, je crains que les 1 420 producteurs de légumes du département de la Manche ne puissent pas en tirer les bénéfices et ne voient leur trésorerie particulièrement fragilisée par cette taxation supplémentaire.
Madame le ministre, je vous demande donc d'examiner cette question avec beaucoup d'attention, car si notre objectif est le même, à savoir protéger l'environnement, il existe un monde entre la perception des problèmes par votre ministère et les réalités du terrain. J'avoue ne toujours pas comprendre l'intérêt de la TGAP en matière de protection de l'environnement. Mais peut-être ne s'agit-il simplement que de financer la réduction du temps de travail, via le budget de la sécurité sociale !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le sénateur, soyons clairs ! Si la TGAP handicape la trésorerie des producteurs de carottes de la Manche, ceux-ci se doivent de répercuter cette augmentation des coûts sur les consommateurs. Il convient en effet de rétablir une vérité des coûts et des prix, afin que les consommateurs puissent choisir des aliments produits de façon responsable, par le biais notamment de l'agriculture raisonnée, ou de l'agriculture biologique. Nous ne devons pas continuer à accompagner une pression à la baisse sur les prix agricoles, qui ne permet pas aux producteurs de vivre décemment de leur travail.
La solution consiste donc à mon avis non pas à répercuter sur l'ensemble des consommateurs et des usagers le coût de l'épuration d'une eau polluée par des pesticides épandus en grande quantité, mais à se rapprocher de la vérité des coûts et des prix.
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

CONSÉQUENCES DE LA SHARKA
SUR L'AVENIR DU SECTEUR FRUITIER FRANÇAIS