Séance du 30 mars 2000







M. le président. « Art. 3 bis. - L'article 80-1 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 80-1 . - A peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices précis, graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi.
« Il ne peut procéder à cette mise en examen qu'après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l'avoir mise en mesure de les faire, en étant assistée par son avocat, soit dans les conditions prévues par l'article 116 relatif à l'interrogatoire de première comparution, soit en tant que témoin assisté conformément aux dispositions des articles 113-1 à 113-8.
« Le juge d'instruction ne peut procéder à la mise en examen de la personne que s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par M. Jolibois, au nom de la commission.
L'amendement n° 110 rectifié est déposé par MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent, dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 80-1 du code de procédure pénale, après les mots : « il existe des indices », de supprimer le mot : « précis, ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer le mot « précis, » que l'Assemblée nationale a ajouté avant les mots « graves ou concordants » que le Sénat avait introduits lors de la première lecture pour qualifier les indices permettant la mise en examen par le juge d'instruction.
Ce n'est pas seulement un pur problème de sémantique : outre la discussion que l'on peut avoir sur la position de la virgule, il nous est apparu que l'adjectif « précis » ne pouvait que compliquer la situation. En effet, si vous prévoyez des indices graves,...
M. Michel Charasse. Ils ne peuvent pas être vagues !
M. Charles Jolibois, rapporteur. ... il ne peut s'agir, en effet, d'indices vagues. Et, s'ils sont concordants, cela peut suppléer, parfois, à l'absence de gravité.
M. le président. La parole est à M. Badinter, pour défendre l'amendement n° 110 rectifié.
M. Robert Badinter. Je reprendrai très exactement l'argumentation de M. le rapporteur.
En règle générale, la langue juridique ne gagne rien à recourir à des adjectifs. On sait qu'un grand écrivain du xviiie siècle disait qu'ils étaient « l'acné du style français » !
Dans le cas présent, en conservant le terme « précis », on fait simplement naître l'imprécision dans l'appréciation des situations, ce qui n'est pas l'objectif recherché.
Que serait un indice imprécis ? Ce ne serait plus un indice ! En revanche, on voit bien ce qu'est un indice grave, on voit bien ce que sont des indices concordants.
Je crois qu'à cet égard mieux vaut s'épargner des gloses inutiles dans l'avenir et épargner à ce texte une source possible d'équivoque.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 10 et 110 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je me prononcerai à la fois sur les amendements n°s 10 et 11.
Il s'agit d'une question qui peut paraître subtile, voire un peu absconse, mais qui est tout de même importante : doit-on faire référence, pour qualifier les indices fixant les seuils inférieurs et supérieurs de la mise en examen, non seulement aux adjectifs « graves » et « concordants », mais également à l'adjectif « précis » ?
D'un point de vue juridique, si l'on retient le texte de l'Assemblée nationale, qui utilise le terme « précis » suivi d'une virgule, il est vrai - je le dis pour que cela figure dans les débats préparatoires - que le seuil à partir duquel une mise en examen pourra intervenir sera plus bas que si cet adjectif n'est pas retenu. En d'autres termes, si vous conservez l'adjectif « précis » suivi d'une virgule, comme l'a souhaité l'Assemblée nationale, il sera plus facile de mettre une personne en examen, car les critères des indices précis, graves « ou » concordants sont alternatifs.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Il y a la virgule !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Par ailleurs, s'agissant du seuil supérieur, dont traite le fameux article 105 du code de procédure pénale et à partir duquel la mise en examen est obligatoire, ce seuil sera plus élevé, et le juge d'instruction aura donc le droit de retarder plus longtemps la mise en examen. En effet, dans cette hypothèse, les critères des indices précis, graves « et » concordants sont cumulatifs.
Le texte de l'Assemblée nationale donne donc une plus grande marge de manoeuvre, une plus grande latitude, au juge d'instruction. Le texte de la commission du Sénat limite cette latitude et donc protège plus avant tant la présomption d'innocence que les droits de la défense. Il enserre, en revanche, le juge dans un cadre plus étroit.
Chaque solution a évidemment ses avantages et ses inconvénients. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat, mais j'espère que mes propos pourront éclairer le choix qui sera fait par la commission mixte paritaire.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Ça promet !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 10 et 110 rectifié, pour lesquels le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3 bis, ainsi modifié.

(L'article 3 bis est adopté.)

Article 3 ter A