Séance du 4 mai 2000







M. le président. Par amendement n° 919, M. Hérisson propose d'insérer après l'article 20 ter , un article additionnel ainsi rédigé :
« Les architectes des Bâtiments de France ne peuvent exercer de mission de conception ou de maîtrise d'oeuvre pour le compte de collectivités publiques autres que celles qui les emploient ou au profit de personnes privées dans l'aire géographique de leur compétence administrative. »
Cet amendement est-il soutenu ?...
De nombreux sénateurs socialistes. Reprenez-le, monsieur le rapporteur !
M. Louis Althapé, rapporteur. Je vous remercie de votre solidarité !
Je reprends cet amendement, monsieur le président.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 919 rectifié.
Vous avez la parole pour le présenter, monsieur le rapporteur.
M. Louis Althapé, rapporteur. Rien ne justifie que les architectes des Bâtiments de France exercent à la fois la fonction régalienne de délivrer des visas sur des demandes d'autorisation d'occupation du sol et jouissent de la faculté de réaliser des travaux à titre privé dans les communes du ressort où ils exercent leurs activités publiques. Il y a là un risque de confusion des rôles.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement. (Protestations sur les travées socialistes.) Les architectes des Bâtiments de France relèvent de l'autorité du ministre de la culture, qui poursuit un dialogue avec cette profession. Il n'est pas opportun d'interrompre prématurément ce dialogue.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 919 rectifié.
M. Patrick Lassourd. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd. Je voterai cet amendement parce que je pense qu'il va dans le sens de la moralité. Nous connaissons tous la « dictature » - même assorti de guillemets, j'emploie le mot - exercée par les architectes des Bâtiments de France dans nos départements. Si, parfois, j'apprécie qu'ils soient présents et nous évitent ainsi de faire des erreurs, je considère qu'ils vont souvent beaucoup trop loin.
Nous savons bien que, sous-jacente aux instructions des permis de construire, une certaine pression est exercée par les intéressés, qui ont la capacité de faire de la maîtrise d'oeuvre privée. L'instruction des permis est alors retardée.
Cet amendement vient bien à propos pour régulariser la situation et y mettre un peu de moralité : un architecte des Bâtiments de France ne devrait pas pouvoir faire de la maîtrise d'oeuvre dans les territoires sur lesquels il est compétent. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, du RDSE et sur certaines travées socialistes.)
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous évoquons là un sujet important, auquel les élus sont d'autant plus sensibles qu'ils viennent de légiférer récemment sur les incompatibilités.
Nous reconnaissons tous l'utilité des architectes des Bâtiments de France ; il n'empêche qu'il appartient au législateur de définir avec suffisamment de clarté et de transparence leurs responsabilités et leurs fonctions afin d'éviter des difficultés comme celles que nous pouvons rencontrer en province.
L'amendement n° 919 rectifié est explicite à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'espère vous avoir convaincu de l'intérêt qu'il présente. J'incite donc le Sénat à l'adopter.
M. Jean-Pierre Plancade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Le groupe socialiste votera avec beaucoup de conviction cet amendement (Très bien ! sur les travées du RPR), au nom du principe fort simple de la séparation des pouvoirs. Il n'est pas possible d'être à la fois juge et partie ! Or c'est ce qui se passe dans certaines communes, comme l'ont souligné différents intervenants.
Voilà pourquoi nous avons volé au secours de M. Hérisson pour soutenir son amendement.
M. Patrick Lassourd. Bon réflexe !
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Le groupe des Républicains et Indépendants est favorable à l'adoption de cet amendement.
Je suis tenté de dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que c'est vous qui nous avez donné le meilleur argument pour le voter : vous avez fait allusion à la discussion qui s'est engagée entre le ministre de tutelle et les architectes. Il serait très utile que les architectes des Bâtiments de France connaissent exactement le sentiment des élus sur une situation qui est parfaitement anormale et que nous avons tous pu constater sur le terrain !
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je crois que tout a été dit. Il existe des incompatibilités pour de nombreuses professions, mais pas pour celle-là, qui a été oubliée. Je me rallie donc à l'amendement de M. Hérisson, et je souhaite que M. le secrétaire d'Etat nous précise pour quelles raisons il est hostile à cet amendement. Je n'ai en effet pas bien compris les arguments qu'il a invoqués.
Face à ceux qui estiment qu'il doit y avoir une séparation des pouvoirs, comme l'a souligné M. Plancade, afin que nul ne puisse être à la fois juge et partie et tirer des avantages personnels d'une fonction exercée pour le compte de l'Etat, j'ai été surpris que l'on puisse avancer des arguments aussi peu solides. J'ai donc du mal à les comprendre. Si vous pouviez les précisez, monsieur le secrétaire d'Etat, peut-être pourriez-vous convaincre l'ensemble de l'hémicycle de se rallier à votre position !
M. Pierre Jarlier, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jarlier, rapporteur pour avis.
M. Pierre Jarlier, rapporteur pour avis. Je ne veux pas allonger le débat, mais je rappelle que la situation actuelle des architectes des Bâtiments de France n'est pas satisfaisante. En effet, les architectes libéraux doivent aller trouver leurs collègues des Bâtiments de France pour obtenir un avis sur des projets sur lesquels ces derniers travaillent aussi à titre libéral. Il existe là une confusion qu'il faut, à mon avis, essayer de supprimer le plus rapidement possible.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je formulerai deux remarques pour apporter un éclairage supplémentaire à ce débat.
Tout d'abord, j'ai vécu indirectement une telle situation, et mon collègue M. Souplet, sénateur de l'Oise, pourrait également en faire état : une quinzaine de maires de ce département ont fait l'objet d'une procédure de mise en examen dans le cadre de la restauration d'édifices cultuels. La justice n'a pas encore déterminé le rôle effectif qu'aurait pu jouer, qu'aurait dû jouer, ou qu'a joué l'architecte des Bâtiments de France dans ces opérations.
Ce qui a été, semble-t-il, à l'origine de cette difficulté - je parle au conditionnel et je prends des précautions, car il appartiendra à la justice d'éclairer le dossier - pourrait être lié au fait que l'architecte des Bâtiments de France aurait voulu jouer un rôle lors d'opérations réalisées sur des édifices cultuels non classés. L'amendement n° 919 rectifié sera de nature à permettre de délimiter le rôle de chacun dans cette action !
Ensuite - c'est ma seconde remarque - nous serions bien inspirés de veiller à ce qu'une véritable concurrence existe au sein des entreprises agréées par les monuments historiques...
M. Louis Althapé, rapporteur. Très juste !
M. Alain Vasselle. ... car nous constatons que, dans certains départements, les entreprises sont limitées en nombre et que la concurrence ne joue pas à plein. Certaines se trouvent même en situation de quasi-monopole, ce qui est de nature à mettre en sérieuse difficulté financière les communes lorsqu'elles ont à restaurer des édifices cultuels classés.
Il serait donc bon de poursuivre la réflexion sur ce sujet.
MM. Henri de Raincourt et Jean Delaneau. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 919 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 59:

Nombre de votants 309
Nombre de suffrages exprimés 292
Majorité absolue des suffrages 147
Pour l'adoption 292

Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 20 ter.
Par amendement n° 920, M. Hérisson propose d'insérer, après l'article 20 ter, un article additionnel ainsi rédigé :
« Avant le dernier alinéa de l'article L. 313-2 du code de l'urbanisme, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent alinéa sont applicables lorsque l'architecte des Bâtiments de France a opposé plus de deux refus à une demande présentée par un pétitionnaire. »
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Actuellement, les décisions des architectes des Bâtiments de France ne sont susceptibles d'aucun recours.
Les pétitionnaires présentent souvent des demandes de permis de construire sur laquelle l'architecte des Bâtiments de France émet un avis défavorable sans motivations précises et, surtout, sans indiquer les modifications qui, si elles étaient apportées à la demande, pourraient justifier un avis positif.
Nos concitoyens n'ont d'autre solution que de recommencer la procédure, sans aucune certitude sur sa bonne fin.
Il est donc proposé par cet amendement d'étendre la compétence de la procédure prévue par le 4e alinéa de l'article L. 313-2 du code de l'urbanisme aux décisions des architectes des Bâtiments de France, dès lors que ceux-ci ont opposé au moins deux refus à un projet. Le préfet serait amené à émettre, après consultation de la commission régionale du patrimoine et des sites, un avis qui se substituerait à celui de l'architecte des Bâtiments de France, comme il le fait d'ores et déjà en cas de désaccord entre l'architecte des Bâtiments de France et le maire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Althapé, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement souhaite appeler l'attention de l'auteur de l'amendement sur le fait qu'aujourd'hui la possibilité de recours est ouverte aux maires et qu'il propose, de fait, de transférer cette compétence du maire au préfet, alors même qu'il n'est pas prévu que le maire ait à donner son avis.
Le Gouvernement préférerait en rester à la possibilité de recours du maire, et c'est pourquoi il souhaiterait que l'auteur de l'amendement veuille bien le retirer, d'autant que son amendement précédent a fait l'objet d'un plébiscite qui n'a pu que le combler. (Sourires.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 920.
M. Bernard Piras. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras. Je voterai contre l'amendement pour une raison de forme, même si le problème de fond n'est pas non plus réglé.
Monsieur le secrétaire d'Etat, au sujet de l'amendement précédent, vous avez indiqué que c'était non pas votre ministère mais celui de la culture qui était concerné. C'est un problème de compétence qu'il faudra régler une bonne fois pour toutes, afin que nous y voyions clair.
Quand on met côte à côte les architectes des Bâtiments de France et les fonctionnaires des DDE, c'est la bagarre ! J'aimerais que des instructions précises soient données non pas pour orienter les décisions des architectes des Bâtiments de France - ils ont le droit de concevoir et d'exercer leur métier comme ils l'entendent - mais pour qu'on ne puisse plus « balader » les maires, les architectes et les maîtres d'ouvrage qui viennent les solliciter et qui, faute d'instructions précises, ne peuvent évidemment en tenir compte.
Il en résulte de très nombreux problèmes. Dans le département de la Drôme, sur 200 à 300 projets concernant 373 communes, 180 à 190 donnent lieu à contentieux avec l'architecte des Bâtiments de France. Ce n'est pas tenable, il faut y mettre bon ordre.
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Compte tenu des arguments qu'a avancés M. le secrétaire d'Etat et après réflexion, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 920 est retiré.

Articles additionnels après l'article 20 ter
ou après l'article 25