SEANCE DU 30 NOVEMBRE 2000
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° II-9, MM. Grignon, Hoeffel,Lorrain, Richert, Eckenspieller,
Haenel et Hethener proposent d'insérer, après l'article 53
quater,
un
article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'Etat s'engage à indemniser les Alsaciens-Mosellans incorporés de
force dans les organisations paramilitaires du régime nazi.
« II. - Les pertes de recettes résultant du I ci-dessus sont compensées à due
concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux
articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° II-10, Mme Printz et M. Hesling proposent d'insérer, après
l'article 53
quater,
un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les personnes incorporées de force dans les organisations
paramilitaires allemandes font l'objet d'une indemnisation de la part de l'Etat
en complément de celle versée par la fondation de l'Entente
franco-allemande.
« II. - Un arrêté fixera le montant de cette indemnisation complémentaire.
« III. - La tranche supérieure de l'impôt de solidarité sur la fortune sera
majorée à due concurrence. »
La parole est à M. Grignon, pour présenter l'amendement n° II-9.
M. Francis Grignon.
A partir de 1942, les responsables nazis ont incorporé de force dans des
organisations para-militaires des jeunes hommes et des jeunes femmes d'Alsace
et de Moselle. Je n'entrerai pas dans les détails, notre collègue Mme Printz a
longuement traité le sujet tout à l'heure. Il s'agit de ce qu'on appelle chez
nous le RAD et le KHD, c'est-à-dire le
Reichsarbeitsdienst
et le
Kriegshilfsdienst.
Leurs contraintes passées justifient aujourd'hui la réparation des préjudices
moraux et matériels.
Le présent amendement vise, en conséquence, à la mise en place, de façon
effective, de l'indemnisation de ces jeunes d'Alsace et de Moselle.
Je rappelle d'abord que c'est un droit pour ces incorporés de force et que la
loi française est très précise à cet égard.
La loi du 31 décembre 1953, devenue l'article L. 239-2 du code des pensions
militaires d'invalidité et des victimes de guerre, qui dipose que « les
Alsaciens et Lorrains incorporés de force par voie d'appel dans le service
allemand du travail et leurs ayants cause sont assimilés aux incorporés de
force dans l'armée allemande et bénéficient des dispositions du livre Ier du
code et seront assimilés aux bénéficiaires des articles L. 231 et L. 232 en cas
d'infirmité ou de décès imputable au service accompli dans le service allemand
du travail ».
Je rappelle aussi que, le 25 juin 1998, la fondation Entente franco-allemande
a adopté, dans une décision déterminante, « le principe d'une contribution à
l'indemnisation des RAD. Le niveau de cette contribution sera fixé en fonction
du nombre des bénéficiaires éventuels et de l'engagement gouvernemental à
compléter cette contribution ».
On peut donc considérer que l'oubli est réparé. Quel que soit le montant
retenu de l'indemnisation pour les RAD et les KHD, qui pourrait être étalée sur
deux ou trois ans, il n'est pas de nature à remettre en cause les grands
équilibres économiques. Cette indemnisation aurait plutôt une portée symbolique
et morale. Il ne faudrait pas en effet que des Français âgés maintenant nous
quittent en ayant le sentiment d'avoir été des Français de seconde zone.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande par conséquent de bien vouloir
entendre, par la voix d'un sénateur qui a eu la chance de naître après la
guerre, l'appel de ceux qui ont subi, en Alsace-Moselle, la contrainte et le
joug de l'occupant.
Comme je ne doute pas que vous allez invoquer l'article 40 de la Constitution
- vous l'avez indiqué dans votre propos luminaire -, permettez-moi de vous
donner, afin que nous sachions bien de quoi nous parlons, quelques chiffres à
titre indicatif.
Ce sont 9 000 dossiers qui seraient concernés. Pour l'indemnisation des
incorporés de force dans l'armée, il a été attribué 9 100 francs par incorporé.
Je vise, moi, les incorporés de force dans le travail. Il est bien clair que ce
n'est pas à moi de fixer le montant de l'indemnisation mais, si elle
représentait la moitié de celle des incorporés de force dans l'armée - encore
une fois, ce n'est qu'une hypothèse -, le coût total serait de 40 millions à 50
millions de francs - vous voyez qu'elle ne se chiffre pas en milliards pour le
Gouvernement ! -, dont la moitié pourrait être prise en compte par l'Entente
franco-allemande.
Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'Etat, êtes-vous toujours décidé
à invoquer l'article 40 de la Constitution alors que vous auriez le pouvoir,
dans le cadre des négociations avec le gouvernement allemand, de revenir sur
cet oubli en demandant des financements complémentaires pour une indemnisation
qui n'a pas été accordée en son temps ? J'ajoute que c'est la dernière qui
pourra être demandée. Elle est spécifique et justifiée par tous les textes.
M. le président.
La parole est à Mme Printz, pour présenter l'amendement n° II-10.
Mme Gisèle Printz.
Cet amendement a pour objet de réparer une injustice concernant les incorporés
de force dans des organisations paramilitaires allemandes. Cela concerne de 8
000 à 9 000 personnes, comme l'a très bien dit mon collègue M. Grignon
Si les incorporés de force dans la Wehrmacht ont été indemnisés, il n'en pas
été de même pour les jeunes hommes et femmes d'Alsace-Moselle, région annexée
de fait par le Reich, qui ont été incorporés de force dans des organisations
paramilitaires nazies. Ils n'ont reçu aucune indemnisation après l'accord du 31
mars 1981 entre le gouvernement français et celui de la République fédérale
d'Allemagne.
Je ne m'étendrai pas davantage, m'étant déjà expliquée sur ce sujet. C'est
dans un esprit de justice et d'équité que cet amendement a été déposé.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Avis favorable sur les deux amendements.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais encore
abuser un peu de votre patience sur ce sujet que nous connaissons bien, nous,
les Alsaciens-Mosellans, et qui est difficile.
Il est vrai, monsieur Grignon, qu'une telle indemnisation ne représenterait
pas une somme importante, mais des sommes peu importantes additionnées font, au
total, une somme qui, elle, est très importante ! C'est un peu le principe des
petits ruisseaux qui font les grandes rivières. A chaque fois que l'on me
présente une revendication, on me précise toujours que la mesure ne coûtera pas
grand-chose. Mais, mises bout à bout, les revendications représentent des
sommes non négligeables pour le budget ! Voilà pour ce qui est de l'approche
budgétaire.
Pour le reste, il est vrai que le plus simple serait, encore aujourd'hui, de
modifier le règlement intérieur de la fondation Entente franco-allemande, parce
que c'est à partir d'un article de ce règlement que les hommes et les femmes
incorporés dans le RAD ou le KHD ont été exclus de l'indemnisation.
Lorsque je les ai interrogées, les autorités allemandes m'ont bien indiqué
qu'elles n'avaient donné aucune orientation particulière. Elles ont versé le
montant de l'indemnité sans faire de distinction entre les incorporés de force
dans l'armée - la Wehrmacht - et les incorporés de force dans les organisations
paramilitaires. C'est le conseil d'administration de la fondation elle-même qui
a décrété qu'on excluait les uns et qu'on retenait les autres.
Depuis, vous le savez comme moi, il existe un contentieux terrible et une
opposition fantastique entre les uns et les autres, au point que la décision du
28 juin 1998 a été prise par six voix pour et six voix contre. C'est donc la
voix du président qui a été prépondérante. Ceux qui ont voté pour sont les
représentants de l'administration - direction interdépartementale des anciens
combattants, direction de l'Office national des anciens combattants - et cela à
ma demande.
Très honnêtement, j'espérais que la question serait réglée par la fondation
Entente franco-allemande, qui disposait des resources suffisantes pour
indemniser les 8 000 ou 9 000 ayants droit à hauteur de 4 000 francs.
J'ajoute que, lorsque le problème a été posé en 1998, on m'avait affirmé que
le nombre de parties prenantes ne dépasserait pas 1 500. Mais dès qu'on a parlé
d'indemnisation, le nombre de demandes a augmenté très rapidement. En effet,
tant qu'il n'y a pas d'intérêts financiers en jeu, on ne se découvre pas. Mais
dès lors qu'existe la possibilité de recevoir une indemnisation, on se fait
connaître. C'est humain ; nous ferions la même chose !
Aujourd'hui, je ne baisse pas les bras mais, à l'occasion des arbitrages
budgétaires, je n'ai toujours pas trouvé les quarante ou cinquante millions de
francs nécessaires pour régler correctement le sort des personnes relevant du
RAD et du KHD. Or, tant que je ne disposerai pas d'une telle somme, je ne
pourrai pas répondre positivement à cette demande.
J'espère que la fondation Entente franco-allemande pourra mettre en oeuvre sa
propre décision. Le conseil d'administration pourrait faire un geste, sous
forme d'un versement d'indemnités sur la base des décisions prises le 28 juin.
De mon côté, je continue à chercher une réponse de l'Etat.
Monsieur le président, j'en suis le premier désolé, d'autant que je connais
particulièrement bien l'un des trois départements concernés, la Moselle... mais
je suis contraint d'invoquer l'article 40... même si la proposition de Mme
Printz consiste notamment à financer une telle indemnisation par un relèvement
de la tranche supérieure de l'impôt sur la fortune !
M. le président.
Monsieur le rapporteur spécial, l'article 40 de la Constitution est-il
applicable ?
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
L'article 40 étant applicable, les amendements n°s II-9 et II-10 ne sont pas
recevables.
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jacques Baudot,
rapporteur spécial.
Monsieur le président, le Sénat n'avait nullement
l'intention de rejeter l'article 52, qui majore le taux des pensions des très
grands invalides. Je pense que tout le monde l'avait bien compris.
En conséquence, la commission des finances demandera une deuxième délibération
à l'issue de l'examen des articles de la deuxième partie, et je suis sûr que
cet article 52 sera alors adopté.
M. le président.
La présidence en a été la première étonnée.
Nous avons terminé l'examen des dispositions du projet de loi de finances
concernant les anciens combattants.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues je vous remercie de la
discipline dont vous avez fait preuve en matière de temps de parole et qui nous
a permis, malgré les péripéties de la journée du 30 novembre, de terminer nos
travaux à une heure raisonnable.
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