SEANCE DU 1ER DECEMBRE 2000


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant l'équipement, les transports et le logement : IV. - Mer.
La parole est à M. Lise, rapporteur spécial.
M. Claude Lise, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour la marine marchande. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits inscrits au budget de la marine marchande pour 2001 s'élèvent à 6 041 millions de francs, en augmentation de près de 7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2000. Cette augmentation fait suite à une légère diminution - de 0,41 % - du budget de la marine marchande l'année passée.
Il s'agit donc d'une progression très supérieure à celle du budget de l'Etat et même à celle du budget de l'équipement, des transports et du logement.
Cette croissance est certainement la conséquence d'une meilleure prise de conscience des enjeux liés à la sécurité maritime depuis le naufrage de l' Erika.
La marée noire provoquée par ce naufrage et les rapports parlementaires qui l'ont suivi, en particulier celui du Sénat intitulé : Erika : indemniser et prévenir ont montré avec force qu'il fallait renforcer les contrôles des navires qui viennent dans nos ports, l'action de prévention assurée par les unités littorales des affaires maritimes, ainsi que la signalisation maritime.
Cette triple nécessité s'est trouvée malheureusement confirmée par le naufrage du navire chimiquier italien Ievoli Sun, moins d'un an après celui de l' Erika.
Le montant des crédits affectés à la sécurité dans le projet de loi de finances pour 2001 traduit le caractère prioritaire de cet aspect.
Ainsi, la dotation consacrée à la signalisation maritime progresse significativement.
Le comité interministériel de la mer du 28 février 2000 a, en effet, pris la décision d'accélérer le programme de remise en état des phares et balises et de modernisation de la flotte de balisage, pour une réalisation sur trois ans au lieu des cinq prévus initialement.
Il a décidé de lui consacrer 300 millions et de débloquer, immédiatement, 17,6 millions de francs pour réparer les matériels de balisage endommagés par la tempête.
Après les crédits obtenus en collectif budgétaire, les crédits d'investissement augmentent de 40 % en autorisations de programme, même s'il faut signaler une diminution des crédits de paiement.
Les centres de sécurité des navires - CSN - chargés de contrôler les navires français de commerce, de pêche et de plaisance, ainsi que les navires étrangers en escale dans les ports ont fait l'objet d'une attention particulière.
Leurs moyens humains sont manifestement insuffisants : les inspecteurs et contrôleurs des CSN sont actuellement au nombre de 54, alors que chez nos voisins anglais ou espagnols, ils sont plus de 200 à effectuer les mêmes missions.
Cette situation de sous-effectif, on s'en est aperçu, a des conséquences directes sur le contrôle des navires étrangers.
Les Etats parties au Mémorandum de Paris s'engagent, en effet, à effectuer un nombre total d'inspections par an correspondant à 25 % du « nombre estimé de navires de commerce entrés dans leurs ports ». Or, depuis 1997, ce taux s'est effondré, atteignant à peine 14 % aujourd'hui.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement a établi pour objectif le doublement des effectifs d'inspecteurs affectés aux missions de sécurité d'ici à 2003. Le projet de loi de finances pour 2001 prévoit donc la création de 16 emplois d'inspecteur de la sécurité des navires.
Les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage en mer, les CROSS, au nombre de cinq en métropole, voient également leurs moyens augmenter.
Ils sont aujourd'hui confrontés à deux contraintes : la réforme du service national, l'extension de leurs missions, en métropole et outre-mer.
Ils doivent faire face également au caractère obsolète de leus moyens techniques, surtout en ce qui concerne les radars et les moyens de communication.
Lors du dernier comité interministériel de la mer, le 27 juin 2000, il a donc été décidé de renouveler l'ensemble des radars de la Manche et de moderniser les équipements des CROSS.
Le projet de loi de finances pour 2001 traduit ces priorités en augmentant sensiblement les autorisations de programme dévolues aux CROSS.
Rappelons que les cinq CROSS métropolitains sont complétés par deux centres opérationnels de sauvetage outre-mer, dont votre rapporteur tient à souligner la rapide expansion, en particulier en ce qui concerne le COSMA, le centre opérationnel de sauvetage maritime aux Antilles, créé en 1992, aujourd'hui amené à couvrir une zone de 3 millions de kilomètres carrés autour des Antilles et de la Guyane.
Par ailleurs, les moyens nautiques d'assistance et de surveillance dévolus aux unités littorales des affaires maritimes, actuellement au nombre de quinze, sont revus à la hausse.
Les moyens hauturiers comprennent sept vedettes et un patrouilleur.
En 2001, il sera passé commande d'un deuxième patrouilleur de haute mer destiné à la surveillance des pêches. Cette mesure répond à un besoin réel, né de l'accroissement important de la demande de contrôle et de surveillance maritime en haute mer.
La volonté politique de renforcer la sécurité maritime est donc au rendez-vous - je crois qu'il est possible de l'affirmer - et sa traduction en objectifs pluriannuels doit être considéré comme la marque d'une approche réaliste, même si elle peut sembler timide au regard de l'ampleur des dégâts causés par la catastrophe de l' Erika.
Cependant, les questions de réglementation sont traditionnellement régies par des conventions internationales.
C'est pourquoi la France doit aussi agir aux niveaux européen et international pour améliorer la sécurité maritime.
Je souhaiterais d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous nous éclairiez sur les délais de mise en oeuvre des mesures qu'à votées hier le Parlement européen et qui visent à la réforme de trois directives concernant respectivement : le contrôle par l'Etat du port, les sociétés de classification, l'élimination progressive des bateaux à simple coque.
J'en viens à l'important problème du soutien à la flotte de commerce française.
Celle-ci n'a cessé de décliner depuis le début des années soixante-dix. Au 1er janvier 2000, on ne comptait plus que 209 navires de commerce français. La nécessité de maintenir un régime de soutien important s'impose donc.
En 1997, les nouvelles orientations définies par la Commission européenne en matière d'aides d'Etat ont induit de profonds changements dans le système de soutien mis en place depuis 1990.
Il a pris, à partir de 1999, exclusivement la forme de réductions ou d'annulations de charges fiscales et sociales applicables aux marins des compagnies maritimes. Le projet de loi de finances pour 2001 reconduit ce dispositif.
En outre, le soutien de l'Etat aux investissements navals fait l'objet, depuis le second semestre de 1998, d'une mesure d'allégement fiscal pour les groupements d'intérêt économique qui acquièrent un navire.
Au 1er septembre 2000, dix-neuf dossiers ont été acceptés, représentant vingt-cinq navires pour un montant total d'investissements de 6 797 millions de francs.
Je formulerai ici deux remarques.
Tout d'abord, je tiens à saluer la décision prise par le comité interministériel de la mer du 27 juin dernier d'intensifier le soutien à la flotte de commerce française.
Il a en effet prévu, sous réserve de l'accord de la Commission européenne, d'étendre aux allocations familiales et aux cotisations ASSEDIC le remboursement des charges sociales pour les entreprises dont les navires sont confrontés à la concurrence internationale. Cette décision n'aura cependant de répercussions que dans la prochaine loi de finances.
En revanche, je regrette, comme je l'avais fait l'année dernière, qu'en matière d'allégements des charges soit maintenu un système de remboursement qui ne manque pas de pénaliser la trésorerie de nombreuses entreprises. N'est-il pas possible, monsieur le ministre, d'envisager de le remplacer pas un système d'exonération, plus simple, plus lisible et, j'en suis convaincu, plus efficace ?
En conclusion, je dirai que, à titre personnel, je suis favorable aux orientations que traduit le projet de budget de la marine marchande pour 2001 ; mon vote vous est donc acquis. Cependant, je dois vous confirmer que la commission des finances a décidé de proposer au Sénat le rejet de l'ensemble du budget du ministère de l'équipement, des transports et du logement pour 2001.
M. le président. La parole est à M. Massion, rapporteur spécial.
M. Marc Massion, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les ports maritimes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'activité des ports maritimes a connu un léger ralentissement en 1999, principalement dû à la baisse, à partir de la fin de 1998, du trafic de produits pétroliers. La diminution a été de 1,1 % par rapport à 1998 ; le trafic des ports autonomes a diminué de 2,4 %, celui des ports d'intérêt national augmentant toutefois de 3,5 %.
La concurrence est, évidemment, venue des autres ports européens, et c'est sur la façade nord que les ports français se sont mieux comportés que leurs concurrents européens, à l'inverse des autres façades, où l'évolution des ports européens a été plus favorable.
Cependant, toutes marchandises confondues, les tonnages cumulés des grands ports européens, ports français inclus, sont restés stables en 1999. Dans l'ensemble, la progression des ports européens a donc été faible ou négative. Les ports de Marseille et du Havre ont ainsi affiché des baisses de trafic du même ordre de grandeur que les ports de Rotterdam ou d'Anvers.
En revanche, ces évolutions devraient s'inverser en l'an 2000, la tendance étant à une hausse du trafic à la fin du premier semestre 2000 pour les ports français, avec une augmentation de 4,3 %. Cela est dû en grande partie à la progression soutenue du trafic des produits pétroliers au cours du premier semestre.
Au total, l'activité des ports français connaît donc à court terme des évolutions heurtées, largement commandées par les fluctuations des échanges mondiaux de produits pondéreux.
Pour porter une appréciation sur le budget qui nous est proposé, il convient donc de le replacer dans un contexte plus large.
Au cours de ces vingt dernières années, l'économie portuaire française s'est trouvée confrontée à un marché international de plus en plus concurrentiel, largement conditionné par des centres de décision mondialisés.
Or la filière portuaire n'est elle-même qu'un élément d'une chaîne logistique de plus en plus complexe. Elle doit y trouver sa place et se mettre en position de s'adapter aux évolutions de la chaîne elle-même.
Aujourd'hui, les facteurs décisifs d'attraction du trafic sont, outre la nécessaire qualité des infrastructures, la compétitivité des services offerts, leur fiabilité et la qualité des dessertes terrestres.
C'est dire si le défi à relever pour les ports français est encore de taille, et cela même si certains d'entre eux affichent des perspectives de croissance prometteuses sur certains trafics, comme c'est le cas du trafic de conteneurs au port du Havre, qui s'est accru de plus de 7 % au cours des premiers mois de l'année 2000 par rapport à la même période en 1999. Mais l'écart par rapport à nos concurrents européens demeure important.
Or il est nécessaire que les ports français puissent durablement développer leur activité en captant de nouvelles parts de marché et en saisissant les opportunités offertes par les perspectives européennes de croissance de certains trafics, tel celui des conteneurs, dont la croissance annuelle, à l'échelon européen, devrait se poursuivre à un rythme de 8 à 10 %.
Le fort développement des zones logistiques portuaires dans nos ports maritimes, notamment avec l'opération Port 2000 au Havre, doit donc être encouragé. Le comité interministériel de la mer du 27 juin dernier a d'ailleurs confirmé le rôle des ports dans les choix stratégiques prévus par les schémas de service collectif de transport de marchandises et de voyageurs.
Enfin, la croissance du trafic maritime doit intégrer de manière croissante l'enjeu que constitue la sécurité maritime.
Ces grandes orientations - amélioration de la sécurité maritime, développement des zones logistiques, renforcement des dessertes terrestres - se retrouvent largement dans le projet de budget des ports maritimes pour 2001.
Comme le budget de la marine marchande, celui des ports maritimes affiche une priorité forte en faveur de la sécurité maritime, laquelle consiste, en matière portuaire, à assurer le bon accès des navires. Il s'agit là, à l'évidence, d'une condition préalable au développement des activités portuaires.
A cet égard, je tiens à souligner l'effort significatif réalisé en direction de l'entretien de infrastructures portuaires et, tout particulièrement, des moyens consacrés aux dragages d'entretien des accès maritimes. En effet, alors que la loi de finances initiale pour 2000 consacrait 437 millions de francs à ces dépenses, le projet de loi de finances pour 2001 prévoit d'y affecter 466 millions de francs, soit une augmentation de 6,5 %.
Précisons que ces crédits d'entretien et d'exploitation permettent d'assurer, d'une part, dans les ports d'intérêt national, les dépenses - hors personnel - relatives aux opérations de maintien des profondeurs et d'entretien des ouvrages d'infrastructure et, d'autre part, dans les ports autonomes, les dépenses d'entretien des chenaux d'accès et avant-ports, des ouvrages de défense contre la mer, ainsi que les dépenses de fonctionnement des écluses d'accès. Ces dépenses comprennent pour plus de 60 % les charges de personnel nécessaires à la réalisation des travaux correspondants.
Le projet de budget pour les ports maritimes prévoit en outre le renforcement des effectifs des officiers de port et officiers de port adjoints, chargés de la police et de la sécurité au sein du port, puisqu'il crée seize postes supplémentaires. Afin de se conformer complètement aux décisions du comité interministériel de la mer de février, le Gouvernement a d'ailleurs annoncé la création de quatorze postes supplémentaires dans la loi de finances pour 2002. On aura alors atteint une augmentation des effectifs de 10 % pour l'ensemble des ports.
La sécurité maritime constitue donc bien la première priorité de ce budget.
Le développement des zones logistiques est la seconde priorité.
A ce titre, comme l'année dernière, qui fut celle de son lancement, l'opération Port 2000 au Havre constitue l'opération majeure du budget des ports maritimes ainsi que la plus importante des extensions portuaires programmées dans le cadre de la politique portuaire.
En effet, réalisant près d'un cinquième du trafic total des ports métropolitains français, le port du Havre n'est plus à même, dans sa configuration actuelle, de répondre à la croissance du trafic, en particulier celle du trafic de conteneurs, passé de 6 millions de tonnes en 1992 à 12 millions de tonnes en 1999.
C'est la décision ministérielle du 5 décembre 1998 qui a autorisé la mise au point d'un important programme d'extension du port, le projet Port 2000. Il s'agit d'étendre le port, en prévoyant de nouveaux quais dédiés au trafic de conteneurs, de grands linéaires et d'importantes surfaces de terre-pleins pour le stockage. Cela devrait permettre les économies d'échelle nécessaires pour accroître la compétitivité du port du Havre face à ses concurrents nord-européens et améliorer la productivité des terminaux ainsi que, globalement, la qualité de service.
Pour la première phase, le projet a été évalué à 2 585 millions de francs, dont 300 millions de francs destinés à des mesures de protection de l'environnement. La loi de finances pour 2000 avait mis en place une autorisation de programme de 220 millions de francs. Le projet de loi de finances pour 2001 prévoit, quant à lui, une nouvelle autorisation de programme d'un montant de 200 millions de francs et des crédits de paiement pour un total de 80 millions de francs. La réalisation du projet a, comme prévu, démarré il y a peu.
Pour ma part, je me réjouis de voir s'engager cet investissement ambitieux, qui confortera les atouts de la place portuaire havraise que sont notamment sa position géographique et sa proximité avec les grandes lignes maritimes océaniques, qui permettra la création de 3 500 emplois directs et indirects et qui induira des aménagements de la desserte du port du Havre.
La desserte ferroviaire, vous le savez, monsieur le ministre, ne sera satisfaisante que lorsque aura été réalisé le contournement de la région parisienne vers l'est. Mais j'ai cru comprendre que vous exploriez des pistes à ce sujet.
Par ailleurs, l'article 48 du projet de loi de finances pour 2001 prévoit de permettre aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale d'exonérer temporairement, à compter de 2001 et jusqu'en 2006, les équipements et outillages spécifiques des entreprises de manutention portuaire.
C'est le comité interministériel de la mer du 1er avril 1998 qui avait proposé cette mesure. Cette proposition a fait l'objet d'une notification auprès de la Commission européenne le 20 mai 1998, et celle-ci a rendu sa décision le 22 décembre 1999. Elle autorise la France à mettre en place un régime d'aide en faveur du secteur portuaire français, en la forme d'une exonération de taxe professionnelle des équipements de manutention portuaire détenus par les entreprises de manutention portuaire.
Cette proposition va dans le même sens que la suppression de la taxe perçue sur les passagers : il s'agit de développer la compétitivité des ports maritimes dans un contexte de concurrence européenne et internationale accrue qui impose la réduction des coûts de passage portuaire. La décision des collectivités locales devant intervenir avant le 31 janvier prochain, cette mesure pourra être mise en oeuvre dès 2001.
Enfin, l'amélioration des dessertes terrestres constitue le troisième volet de la politique de soutien de nos ports.
En effet, la qualité des dessertes terrestres des ports maritimes représente une condition sine qua non de leur développement et de leur compétitivité.
Par ailleurs, les contrats Etat-région prévoient des améliorations de la desserte de nos ports : l'aménagement de la RN 154 permet au port de Rouen, premier exportateur français de céréales, d'être relié correctement aux plaines céréalières du centre ; l'aménagement des deux points noirs ferroviaires que sont la traversée de Hazebrouck et le tronçon entre Douai et Ostricourt permettra d'atténuer la saturation de l'artère Dunkerque-Bétune-Lens-Ostricourt.
Le Sénat se prononce par un seul vote sur le budget de l'équipement, des transports et du logement, et la commission des finances en propose le rejet. Cependant, à titre personnel, je souscris aux orientations que traduit ce budget des ports maritimes pour 2001.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Anne Heinis, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la mer pour 2001 m'amène, une fois encore, à faire le constat préoccupant de l'incapacité des pouvoirs publics à comprendre que notre pays dispose dans le domaine maritime d'atouts majeurs dans le contexte actuel de mondialisation et de développement continu des échanges et que, parallèlement, il est de la responsabilité de l'Etat de mettre en oeuvre une politique de la mer cohérente et dynamique. Hélas ! cette volonté politique n'existe pas.
Sont concernés aussi bien le développement de notre marine marchande que l'aménagement et la sauvegarde du littoral ou la prévention des risques et la sécurité maritime, sans oublier nos ports et leur desserte routière et ferroviaire. En effet, sans hinterland, il n'y a pas de fret ; et c'est un vrai problème d'aménagement du territoire, mais dont on ne s'occupe guère.
Pour résumer, le budget global de la mer pour 2001 s'élève, en chiffres arrondis, à 6,59 milliards de francs, soit une augmentation de 0,45 % seulement par rapport à l'année dernière.
Si l'on soustrait les crédits de l'Etablissement national des invalides de la marine, l'ENIM, c'est-à-dire la sécurité sociale des marins - soit 4,8 milliards de francs -, il reste environ 1,8 milliard de francs, dont à peine 1,25 milliard de francs pour les services actifs, répartis comme suit : pour les ports maritimes, 666 millions de francs ; pour le soutien à la flotte de commerce, 410 millions de francs ; pour le littoral, 24 millions de francs ; pour la sécurité maritime, 132 millions de francs. Autant dire une goutte d'eau dans la mer ! Ou le prix de vingt-cinq kilomètres d'autoroutes... Tel est le budget « actif » de la France pour la mer !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. On est parti de très loin !
Mme Anne Heinis, rapporteur pour avis. Je ne citerai pas d'autres chiffres, monsieur le ministre, mes collègues de la commission des finances l'ayant fait en détail.
Cependant, j'ai plaisir à rendre hommage - je pense que cela vous fera plaisir, ainsi qu'à ceux auxquels je m'adresse - à l'ingéniosité dont font preuve certains des services du ministère pour utiliser les moyens extrêmement modestes dont ils disposent.
Faute de temps, je n'évoquerai que le problème de la prévention et de la sécurité maritime, qui préoccupe particulièrement nos concitoyens, les autres points étant développés dans mon rapport.
Pour s'en tenir, donc, à la sécurité maritime, les avancées se font malheureusement au rythme des catastrophes. Mais à en juger au projet de budget pour 2001, les deux dernières n'ont pratiquement pas eu d'impact.
Ainsi, pour mémoire, la mise en service de nos trois remorqueurs de veille, d'intervention et de sauvetage date du naufrage de l' Amoco Cadiz , il y a plus de vingt ans, de même que la mise en place du rail d'Ouessant.
Depuis, les risques majeurs se sont considérablement accrus et diversifiés, notamment dans leurs effets sur les populations et sur l'environnement terrestre et maritime.
Les navires marchands sont de plus en plus nombreux, puissants et rapides, sans compter les « navires-poubelles ». On voit également se multiplier les ferries, navires à passagers chargés parfois de plus de 2 000 personnes coupant à grande vitesse, dans la Manche, le flux est-ouest de navires atteints de gigantisme et transportant souvent des matières dangereuses.
Que se passerait-il en cas de collision grave, de nuit, par très mauvais temps, dans la Manche ? C'est la grande crainte de ceux qui sont chargés de porter secours. Mais on ne les écoute pas.
Nous savons bien que le risque zéro n'existe pas, mais il nous appartient de tout mettre en oeuvre pour prévenir les accidents possibles et de réfléchir sur l'évaluation des risques, avec les gens de mer. Or l'évaluation des risques est totalement occultée : on pare au plus pressé !
Une véritable prévention s'appuie sur un contrôle efficace des navires et du trafic.
Cela suppose du matériel et des moyens techniques - c'est une question de financement - et des moyens humains, ce qui est le point le plus difficile. La situation est alarmante, essentiellement pour deux raisons : le manque de vivier et la faiblesse de notre flotte qui, au vingt-huitième rang mondial, ne représente que 1 % du total. Or il n'y a pas de sécurité maritime sans un pavillon fort, qui nous donne, d'une part, l'indispensable vivier d'hommes compétents et expérimentés dont nous avons besoin et, d'autre part, le poids nécessaire auprès des instances internationales, notamment l'OMI, l'Organisation maritime internationale.
Vous avez décidé, à juste titre, monsieur le ministre, de doubler le nombre des inspecteurs des affaires maritimes. Mais, au dernier concours, pour huit postes ouverts il y a eu trois candidats et un seul admis.
En conséquence, vous allez ouvrir des postes, mais il va falloir assurer une formation. Or l'enseignement maritime lui-même « patine » par manque de postes. J'en ai eu l'exemple concret toute l'année passée à Cherbourg.
Au total, il nous manque cent postes d'enseignant ; nous en avons obtenu quatre ; M. Jack Lang, cinq mille. Quel mépris pour l'enseignement maritime, même s'il faut garder les proportions à l'esprit !
Par ailleurs, on me dit que, pour à peine 1 milliard de francs de plus en 2001, nous aurions pu achever les programmes en cours sur les phares et balises, la construction et la rénovation des vedettes, l'équipement des CROSS -, les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, et des radars, avec les deux cents emplois globalement nécessaires pour l'ensemble des services.
Monsieur le ministre, quel aveuglement de la part du Gouvernement, qui veut développer la sécurité maritime et ne trouve même pas le milliard de francs nécessaire pour faire les réparations, les rénovations et les constructions d'urgence !
Il s'agit non pas de dépenser plus, mais de dépenser « plus dynamique et plus productif ». La mer, chez nos voisins, est source de richesses et d'emplois, pas chez nous. Ils ont une politique maritime souvent audacieuse et des investissements parfois considérables dans leurs provisions. En dépit de nos 5 500 kilomètres de côtes, la mer est inexistante dans la réflexion politique. Pourquoi ?
Un progrès pourrait déjà être fait en donnant au comité interministériel à la mer le rôle de proposition et de coordination qu'il n'a pas à l'heure actuelle.
Reste le volet européen, incontestablement accéléré par les deux derniers naufrages, volet qui est indispensable pour l'efficacité et la coordination des dispositifs. Les gens de mer, d'instinct, y sont acquis et ils coopèrent déjà.
Mais ils doivent pouvoir s'appuyer sur une politique et une réglementation européennes, ce qui suppose la définition d'objectifs communs, en particulier pour la responsabilisation des différents acteurs de la filière, armateurs, affréteurs et chargeurs, notamment. Je vous invite à consulter, sur ce sujet, le rapport du Sénat sur l' Erika.
Cela suppose aussi des échanges de personnels et d'expériences, une meilleure coordination des surveillances avec transparence des résultats sous peine d'évasion de trafic.
A ce titre, il est indispensable d'instituer une agence européenne de sécurité maritime que mes collègues de la Manche et moi-même demandons pour Cherbourg, monsieur le ministre, de donner un réel contenu à la banque de données EQUASIS, et de ne pas oublier le poids de l'Organisation maritime internationale.
Au vu de l'ensemble de ces considérations, la commission des affaires économiques a jugé que le projet de budget de la mer ne répondait pas aux besoins et l'a rejeté.
J'ajoute, à titre personnel, qu'à mes yeux ce projet de budget représente « encore une occasion manquée entre la France et la mer ». (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, à la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-cinq, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)