SEANCE DU 14 DECEMBRE 2000


DROITS D'ACCÈS
AUX MANIFESTATIONS CULTURELLES
ORGANISÉES SUR LA VOIE PUBLIQUE

Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 124, 2000-2001) de M. Philippe Nachbar, fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard instituant un droit d'accès aux communes où sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique (n° 478, 1999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Nachbar, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain Gérard subordonne au paiement d'un droit l'accès à certaines manifestations culturelles organisées sur la voie publique. Elle vise donc à insérer un article nouveau dans le code général des collectivités territoriales.
La situation qui prévaut actuellement rend nécessaire l'intervention du législateur. Par ailleurs, le texte qui nous est soumis prévoit des modalités qui me paraissent conformes aux principes généraux du droit et strictement encadrées.
L'intervention du législateur est aujourd'hui nécessaire, disais-je.
Les fêtes locales, qui sont un moment fort de la vie de nos villes et de nos villages, prennent une importance sans cesse accrue. Cela traduit à la fois la vitalité des traditions régionales et la place privilégiée que les collectivités locales attachent à la diffusion de la culture.
Ces fêtes répondent à une très forte demande du public et elles jouent un rôle essentiel dans la promotion touristique de nombre de nos régions. Mais - c'est le revers de la médaille - elles occasionnent une lourde charge pour les communes en raison tant de la demande de qualité d'un public de plus en plus exigeant que des contraintes en matière de sécurité des manifestations.
En raison de leur conception même, ces festivals, ces manifestations se déroulent sur la voie publique, dans un cadre monumental qui fait toute leur originalité. Faute de moyens, certaines communes ont été contraintes de renoncer à des manifestations traditionnelles pourtant anciennes. D'autres se sont risquées à instituer un droit d'accès, ce qui, dans l'immense majorité des cas, a été bien accepté par le public et toléré par les services chargés d'exercer le contrôle de légalité.
La charge est ainsi répartie harmonieusement entre le contribuable, à travers la subvention communale, et l'usager, au travers du droit d'entrée. Cependant, comme, dans l'état actuel de la législation, ce droit d'accès ne dispose pas d'une base légale solidement établie, la menace d'éventuels contentieux pèse sur les élus et les organisateurs. Ce n'est pas une hypothèse d'école, elle a été vérifiée tant à Lorient qu'à Chinon.
Dans ces conditions, il nous a paru nécessaire de délibérer pour autoriser les communes à prélever un droit d'accès, étant entendu que le recours à ce droit d'accès devra respecter l'équilibre entre la valorisation du patrimoine culturel, la répartition équitable des charges et les principes régissant l'utilisation du domaine public.
Tel est l'objet de la proposition de loi dont je vais maintenant examiner le dispositif.
Ce dispositif me paraît, tout d'abord, strictement conforme aux principes généraux du droit.
L'institution d'un droit d'accès aux manisfestations se déroulant sur la voie publique pourrait, de prime abord, apparaître comme contraire à la fois au principe constitutionnel instituant la liberté d'aller et venir et au principe législatif prévoyant la gratuité d'utilisation du domaine public. En réalité, ces deux principes ne sont pas absolus, et le Conseil constitutionnel, dans une décision du 12 juillet 1979, a admis que des dérogations pouvaient leur être apportés sous la forme « d'une redevance temporaire pour l'utilisation de certains ouvrages ». Par ailleurs - le simple bon sens réjoint en l'occurrence le raisonnement juridique - la voie publique sert souvent de cadre à des manifestations ou à des compétitions sportives.
C'est d'autant plus vrai que, lorsque la voie publique est utilisée temporairement pour une manifestation culturelle, le droit d'accès ne saurait s'analyser, sur le plan juridique, comme un péage permettant simplement de circuler ou de stationner. Il doit être compris comme une contrepartie du droit d'assister à un spectacle dans les mêmes conditions financières que s'il se déroulait dans un lieu clos : théâtre, cinéma ou centre culturel.
Le droit d'accès revêt dès lors la nature juridique d'une redevance domaniale donnant accès à un service public culturel ayant pour cadre la voie publique, et ce à titre exceptionnel et pour une durée limitée, contrairement au péage permanent.
Le dispositif proposé est conforme aux principes généraux du droit. Il doit par ailleurs être soigneusement encadré et la commission des affaires culturelles a apporté quelques précisions allant dans le sens souhaité par ses auteurs.
Le dispositif est soigneusement encadré, d'abord, parce qu'il ne concerne que les manifestations de caractère culturel, donc d'intérêt général et de nature non commerciale. Par conséquent, nous ne sortons pas du strict domaine du service public culturel.
Le dispositif est également encadré parce que seul le maire sera habilité à fixer le montant du droit d'accès et à en organiser la perception. Dans le même ordre d'idée, le maire seul prend déjà, au titre de son pouvoir de police, les mesures restreignant la liberté de circulation à l'occasion des manifestations organisées dans sa commune.
Par ailleurs, le texte prévoit expressément la desserte des immeubles riverains, qui restera - cela va sans dire, mais cela ira encore mieux en le disant ! - totalement libre.
Enfin, la faculté offerte aux maires d'instituer un droit d'accès sera limitée à deux fois par an.
Il s'agit tout à la fois de satisfaire au mieux le besoin culturel que nous voyons s'accroître jour après jour - le rapporteur pour avis du budget de la culture que je suis ne peut que s'en féliciter - de concilier ce besoin avec le nécessaire équilibre des finances communales, tout en levant l'épée de Damoclès qui est actuellement suspendue au-dessus de la tête des élus qui organisent des manifestations payantes sur la voie publique dans leur commune.
Ce sont d'ailleurs les raisons pour lesquelles des textes similaires ont été déposés à l'Assemblée nationale par des parlementaires tant de l'opposition - M. Jacob, député de Seine-et-Marne - que de la majorité - M. Le Bris, député du Finistère.
Compte tenu de la nécessité de légiférer dans ce sens tout en respectant rigoureusement les principes, auxquels nous sommes tous attachés, régissant notre droit public, la commission des affaires culturelles a donc approuvé la proposition de loi qui nous est soumise et elle vous invite, mes chers collègues, à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vient d'être rapportée par M. Nachbar fait écho, me semble-t-il, à des préoccupations réelles de la part de certains élus.
Elle appelle cependant de la part du Gouvernement des réserves sérieuses : d'abord au regard du droit, mais aussi au regard des ambitions de la politique culturelle que nous menons.
Les manifestations culturelles visées par cette proposition de loi ont pour caractéristique de se dérouler sur certaines voies ou portions de voies publiques.
Or, comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, la liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle, maintes fois rappelé dans des circonstances diverses par les plus hautes juridictions nationales. Si des exceptions à ce principe peuvent être admises pour des motifs d'intérêt général, le principe de gratuité de l'accès à la voie publique qui en découle ne souffre d'exception que dans deux cas.
Le premier, c'est celui de l'accès à des ouvrages d'art, tels que les ponts ou les autoroutes, qui peuvent être soumis à péage si, et seulement si, selon les termes du Conseil constitutionnel, « l'utilité, les dimensions et le coût de ces ouvrages ainsi que le service rendu aux usagers » le justifient. Ce contexte n'a, bien sûr, rien de commun avec la question qui nous occupe aujourd'hui.
Le second cas, c'est celui du stationnement payant, qui ne peut être instauré par la commune dans le seul but de lui procurer des recettes supplémentaires, mais bien pour limiter la durée d'occupation d'un emplacement de stationnement. La contrepartie financière ne fait cependant pas obstacle à l'accès de tous à la voie publique. Elle garantit même l'effectivité de ce libre accès.
Telle qu'elle est formulée, cette proposition de loi risquerait donc de porter une atteinte nouvelle au principe de gratuité de la voie publique. Une telle décision ne saurait être prise sans qu'ait été pesée son adéquation aux objectifs réellement poursuivis.
La commission des affaires culturelles du Sénat a prévu une dérogation à l'accès payant pour la desserte des immeubles riverains. J'ai cependant des doutes quant à la possibilité de mettre en oeuvre cette dérogation. Il faudrait en effet vérifier la réalité des motifs invoqués par les riverains, leurs visiteurs ou les clients des commerces riverains qui souhaiteraient accéder gratuitement à la voirie soumise à un accès payant.
Il conviendrait, en outre, de veiller à ce que l'application du dispositif ne donne pas lieu à une délégation des pouvoirs de police du maire.
En effet de nombreuses communes seraient dans l'impossibilité de mettre en place un système de billetterie et de contrôle, et la tendance serait forte de confier cette mission à des opérateurs privés.
Il conviendrait également de veiller à ce que l'instauration d'un droit d'accès ne crée pas un préjudice excessif aux commerces inclus dans le périmètre concerné et qu'il y ait ainsi atteinte à la liberté du commerce, garantie par la Constitution.
Il ne faudrait pas, non plus, que cette disposition soit source de difficultés entre les autorités communales et départementales. Puisque les voies appartiennent, selon les cas, à la commune, au département ou à l'Etat, il y aurait là un risque de confusion, voire de conflit.
Ma seconde réserve tient à des raisons de fond.
Le problème que vous soulevez, au-delà du cas particulier du festival interceltique de Lorient, tient à l'essor formidable des manifestations culturelles sur l'ensemble du territoire.
Cet essor résulte du goût de nos concitoyens pour le rassemblement lors de manifestations culturelles, la gratuité étant une composante importante de leur caractère convivial et de l'attrait qu'elles exercent sur l'ensemble de la population.
Nos politiques publiques en la matière sont fondées sur l'ambition républicaine de permettre à un plus grand nombre d'accéder à « l'héritage de la noblesse du monde » tel que le définissait André Malraux, ainsi qu'à nos traditions, comme vous l'évoquiez, monsieur le rapporteur.
Le ministère de la culture, mais aussi les collectivités territoriales, ont pris en ce sens un nombre d'initiatives importantes tendant toutes à rendre gratuits un certain nombre d'espaces et de manifestations qui sont devenus emblématiques - je pense aux Journées du patrimoine, à la Fête de la musique et à tant d'autres fêtes traditionnelles -, voire de musées, avec le succès que l'on sait.
Le développement de certaines manifestations mais aussi de certaines pratiques artistiques, en particulier les arts de la rue, se fonde sur cet autre rapport au public, qui utilise précisément l'espace public parce qu'il est gratuit et qu'il induit un autre mode de relation que celui qui se crée dans une salle de spectacle.
Vous connaissez l'engouement des Français pour ce type de manifestations, et je ne suis pas aussi sûre que vous, monsieur le rapporteur, que nos concitoyens puissent considérer favorablement une proposition qui conduirait peu à peu à les soumettre à l'acquittement d'un droit d'entrée.
Vous évoquez aussi le poids économique de ces manifestations pour les collectivités qui les organisent. Je souligne que ces manisfestations ont des retombées économiques souvent importantes pour les collectivités concernées. Toutes les études qui ont été menées prouvent que la culture est aussi un élément de développement économique local qui se doit d'être pris en compte dans votre réflexion.
Enfin, il apparaît que nombre de ces manifestations reposent sur les pratiques amateurs et sur le bénévolat, deux démarches auxquelles je tiens à affirmer mon attachement et qui, dans un monde que l'on sait soumis aux pressions permanentes de la commercialisation, ont besoin d'être confortées.
La participation à titre gratuit d'une population nombreuse et motivée va dans le sens de la démocratisation culturelle que nous appelons tous de nos voeux. Prenons garde de ne pas mettre en place des mécanismes qui conduiraient inéluctablement à la mercantilisation de nos arts et de nos traditions populaires.
Les débats de votre assemblée montrent qu'il existe bien un problème, mais il s'agit d'un phénomène dont on a du mal à mesurer l'ampleur réelle, alors que les difficultés juridiques qui sont soulevées apparaissent sérieuses.
Dans une telle matière, je crains que la solution proposée ne crée plus de difficultés qu'elle ne permet d'en résoudre.
C'est pourquoi, toutes ces interrogations s'ajoutant, le Gouvernement n'est pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi. Pour autant, je ne suis pas hostile à ce que la réflexion sur ce sujet se poursuive entre mon ministère et celui de l'intérieur, avec lequel j'ai d'ores et déjà étudié cette proposition de loi, et en liaison avec les associations d'élus.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier très chaleureusement M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires culturelles d'avoir soutenu cette proposition de loi qui tient à coeur à un certain nombre d'administrateurs locaux dont je fais partie.
Je remercie M. Nachbar pour la clarté de son rapport et les précisions qu'il a apportées. Il a défendu avec beaucoup de talent et d'ardeur la cause qui est la nôtre. Je le félicite, en outre, pour la perfection de son style, car, une fois n'est pas coutume, nous avons des documents qui sont parfaitement intelligibles et qui exposent fort bien le problème auquel nous sommes confrontés.
Cette proposition de loi résulte purement et simplement de l'expérience - il ne s'agit donc pas des grands principes évoqués par Mme la ministre ! - d'administrateurs de communes le plus souvent petites par leur superficie. C'est le cas de Chinon, dont le maire a organisé un festival médiéval attirant énormément de monde, et de la commune que j'ai eu l'honneur d'administrer pendant trente-cinq ans et jusqu'à une époque extrêmement récente, et sur le territoire de laquelle une fête était organisée.
Les communes concernées ont aussi pour caractéristiques de posséder un patrimoine, un bâti qui se prêtent particulièrement au style des manifestations que nous avons mises sur pied. Mais il est tout à fait clair aussi que, tant à Chinon, en Indre-et-Loire, qu'à Josselin, dans le Morbihan, ou encore à Moncontour, dans les Côtes-d'Armor, ou même à Concarneau, dans le Finistère, l'espace extrêmement restreint ne permet pas d'organiser de tels spectacles ailleurs que sur la voie publique.
Mme la ministre a opposé à cette proposition de loi beaucoup de grands principes.
Le premier est la liberté d'aller et de venir. Il est vrai qu'il s'agit là d'une liberté constitutionnelle importante, mais il n'a jamais été dans notre esprit d'y faire obstacle ! A certaines périodes de l'année et pour certaines manifestations, on admet d'ailleurs une réglementation du droit d'aller et de venir, ne serait-ce que pour des manifestations organisées dans la rue. Cela constitue une certaine entrave au droit d'aller et de venir, il faut bien en convenir, mais je ne sache pas qu'on ait pris des dispositions pour empêcher totalement ces manifestations interdisant quelquefois aux habitants d'une ville d'accéder à leur domicile !
Je comprends tout à fait qu'il faille donc garantir le droit d'aller et venir, et cette proposition de loi, comme les modifications apportées par M. le rapporteur, y contribue, totalement, de notre point de vue.
Madame la ministre, vous nous avez également parlé des billetteries. Mais le système de billetterie que nous avons mis en place pendant dix années pour notre festival médiéval ne nous a jamais posé le moindre problème !
J'imagine d'ailleurs qu'il en est de même pour le maire de Chinon.
En vérité, le problème auquel nous nous heurtons est un problème non pas de billetterie, mais de contestataires !
Vous avez aussi insisté sur le fait que ces manifestations culturelles devaient être gratuites. Mais vous savez fort bien qu'elles ne le sont pas ! Elles sont financées soit par un droit d'entrée, celui que tout spectateur acquitte pour assister à un concert ou à une pièce de théâtre, soit par l'impôt.
Mais comment une commune de 2 400 habitants pourrait-elle durablement recourir systématiquement à l'impôt pour financer le déficit lié à l'organisation d'un festival médiéval ? Il est clair que les contribuables se révolteraient, d'autant plus qu'à Chinon, comme dans ma commune, la plupart des spectateurs qui assistent au spectacle sont des touristes venant soit de l'Hexagone, soit de pays étrangers !
Par conséquent, financer par l'impôt un tel déficit revient à financer les loisirs de personnes extérieures à la commune ! Ce n'est absolument pas supportable par un budget communal qui n'excède pas 10 millions ou 20 millions de francs.
Certes, dans les rues d'Avignon, le spectacle est gratuit, mais nous ne disposons pas, dans nos petites communes, de ressources équivalentes à celles de cette ville, qui perçoit, si je ne me trompe, des subventions extrêmement élevées émanant de divers intervenants et rendant possible la gratuité. Mais personne ne viendra investir chez nous ! Il est donc tout à fait normal, de mon point de vue, que soit demandé à l'usager l'acquittement d'un droit en contrepartie d'un service, comme l'a très bien dit M. le rapporteur. D'ailleurs, madame la ministre, je peux vous dire qu'en dix années nous n'avons jamais enregistré aucune réclamation. Il en est de même à Lorient.
Il est vrai, toutefois, qu'il existe des contestataires professionnels, des grincheux. Il y a même des spécialistes de la chicane ! Ils ont commencé à s'attaquer au festival de Chinon, et ils ont continué avec le festival interceltique de Lorient. Un certain nombre de collectivités, comme celle que j'administrais, ne voulant pas prendre de risques, ont supprimé ce droit d'entrée. Il en est résulté des déficits abyssaux qui, naturellement, ne nous permettent pas de continuer.
Par conséquent, il faut savoir si l'on veut vraiment, comme vous le dites, démocratiser la culture et la répandre, sans instaurer un système à deux vitesses, avec, d'un côté, les habitants des villes, qui auraient droit à la culture grâce aux subventions dont ils bénéficient ou au produit de la taxe professionnelle qu'ils perçoivent sur leur territoire, et, de l'autre, les collectivités locales de moindre importance, qui, en réalité, n'auraient plus accès à la culture, précisément au nom des sacro-saints principes que vous avez énoncés tout à l'heure et que vous avez utilisés d'une manière qui me paraît pour le moins contestable.
En la matière, il faut faire preuve de bon sens. Tel est d'ailleurs ce qui a motivé le dépôt de notre proposition de loi. Il faut aussi, naturellement, concilier ce texte avec la liberté pour les riverains d'aller et venir.
Madame la ministre, vous nous avez dépeint un tableau quelque peu caricatural en nous disant que nous risquions aussi, en limitant le droit d'accès aux communes, de pénaliser le commerce ! Quand nous organisons un festival dans une commune, croyez-vous vraiment que ce soit pour interdire aux commerçants d'en profiter ?
Je prendrai l'exemple de ma commune. Grâce au festival médiéval qui a eu lieu au mois de juillet dernier, les commerçants ont fait, en une journée, un chiffre d'affaires équivalent à celui du mois de juillet entier des années précédentes. Ils sont donc loin d'être des victimes !
Vous nous avez dit aussi qu'il ne serait pas possible de contrôler les entrées ni les dérogations pour la desserte des immeubles riverains, un nombre considérable de personnes voulant, comme par hasard, ce jour-là, pour rendre visite à leur vieille grand-mère ou à leur tante, accéder à leur maison de famille. Madame le ministre, nous acceptons d'autant plus facilement le risque que nous avons pu mesurer qu'il n'était pas très grand !
Par conséquent, je vous demande de faire preuve de bon sens et de ne pas attendre le résultat d'une concertation interministérielle dont on sait très bien qu'en 2030 elle ne sera toujours pas achevée, car je doute fort que l'on fasse preuve de diligence pour la mener !
Il faut trouver un moyen terme entre le respect du principe de libre circulation et le droit de financer des spectacles en contrepartie du service rendu. Cette proposition de loi répondant à cet objectif, y compris telle qu'amendée par la commission, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Mes chers collègues, je vais reprendre, au nom de mon groupe, une grande partie des arguments de Mme la ministre, mais je crois indispensable de les exposer et, ce faisant, d'expliquer à nouveau les raisons pour lesquelles nous sommes défavorables à cette proposition de loi.
M. Josselin de Rohan. Vous le direz à M. Le Drian, à Lorient, et à M. Dauge, à Chinon !
M. Serge Lagauche. Il peut y avoir des avis différents, mais une majorité se dégage au sein de notre groupe pour dire que nous ne sommes pas d'accord avec votre proposition de loi !
Le texte que nous examinons cet après-midi répond à la demande de quelques élus de certains départements bien déterminés, d'ailleurs je le reconnais volontiers, tous courants politiques confondus. Il tend à instaurer le paiement d'un droit d'accès sur certaines voies ou dans certains secteurs d'une commune à l'occasion de manifestations culturelles ou de fêtes revêtant un caractère traditionnel.
L'examen de ce texte nous montre clairement les limites du principe de liberté d'aller et venir face à la nécessité qu'ont les communes d'organiser certaines fêtes ou manifestations culturelles dans des conditions économiquement satisfaisantes.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur ce principe de liberté d'aller et venir, affirmant qu'il ne saurait être érigé au rang de principe constitutionnel et qu'il pouvait être nuancé en cas de besoin pour le versement d'une redevance en contrepartie de certaines utilisations de la voie publique. Il s'agissait, en l'occurrence, de ponts à péage, dont la nécessité et la permanence ne sauraient s'apparenter au cas qui nous retient ce soir, à savoir les manifestations culturelles.
Le caractère éphémère de telles manifestations nous autorise-t-il à nous prévaloir de la jurisprudence applicable aux ponts à péage et à légiférer ainsi de façon durable dans le même sens ?
Nous sommes très attachés à la promotion et au développement des différentes pratiques culturelles. A ce titre, nous souhaitons que les communes qui désirent organiser des manifestations tendant à promouvoir ce type de pratiques puissent le faire dans les meilleures conditions.
Nous nous interrogeons néanmoins sur l'effet à double tranchant que constituera la possibilité, pour les communes, de percevoir un droit d'accès de la part des personnes souhaitant assister à ces manifestations de rue.
Il est certes regrettable que des communes, faute de financement suffisant, aient dû renoncer à certaines de leurs manifestations culturelles. Mais fixer un droit d'accès payant, même très encadré et restreint - limitation à deux manifestations par an et, selon le voeu de notre rapporteur, garanties pour les riverains - pour permettre un meilleur financement de ces manifestations me semble peu approprié au nom du droit d'accès du plus grand nombre de citoyens aux pratiques culturelles.
De surcroît, nous avons pris bonne note des explications du rapporteur, qui a précisé que l'accès payant aux parties concernées d'une commune pourrait durer plusieurs jours si la manifestation se déroulait elle-même sur plusieurs jours. Cette disposition nous semble très lourde de conséquences pour la vie quotidienne des habitants de la commune, et plus particulièrement pour la circulation et le commerce.
En appliquant à la lettre la proposition de loi, on peut donc très bien imaginer un accès payant à l'ensemble de la ville d'Avignon, même si la manifestation qui s'y déroule est fortement subventionnée.
Vous le savez bien, même si toutes les manifestations culturelles sont subventionnées, on demande toujours un peu plus aux collectivités locales pour faire encore mieux et pour avoir davantage de moyens. Un tel accès payant à l'ensemble de la ville d'Avignon aurait lieu durant plusieurs semaines, pendant toute la durée du festival. Outre la situation ubuesque qui découlerait d'une telle décision - on imagine les files d'attente et les embouteillages pour accéder au centre d'Avignon ! - une telle pratique serait totalement contraire à l'esprit même de ce festival, au cours duquel se sont toujours mêlés harmonieusement grands professionnels et amateurs, ce mélange étant particulièrement important pour ces derniers.
De façon générale, il nous semble que ce n'est pas en faisant payer l'entrée de ces manifestations que l'on incitera les gens à y assister. Aussi, même si je comprends le souci des élus signataires de cette proposition de loi, nous ne pouvons cautionner un texte qui aura inévitablement pour effet de restreindre l'accès de nos concitoyens aux pratiques culturelles.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Après l'article L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2213-6-1 ainsi rédigé :