SEANCE DU 30 JANVIER 2002


DROITS DES MALADES

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 4, 2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé. (Rapport n° 174 [2001-2002] et avis n° 175 [2001-2002]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, en tout premier lieu, de rendre hommage à la mémoire de Dinah Derycke, sénatrice socialiste du Nord, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui nous a quittés brutalement.
C'est avec une grande tristesse que j'ai appris sa disparition. Elle laisse l'image d'une femme de combat et de conviction, saluée par tous pour son travail, sa sympathie et son attachement aux valeurs humanistes, comme l'a prouvé son combat pour les femmes afghanes.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé. J'en viens au projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui et qui correspond à l'ambition d'adapter notre système de santé aux évolutions de notre société : vous m'accorderez que c'est, à l'heure présente, une impérieuse nécessité.
Ce texte tend à apporter une réponse claire aux besoins des personnes malades et des usagers du système de santé mais aussi aux professionnels de santé en privilégiant les relations contractuelles, en rétablissant la confiance ébranlée, en bannissant le doute, en proposant un élan nouveau.
Il s'agit d'une loi globale, dont l'objet est de reconnaître les droits fondamentaux de la personne malade, de garantir la qualité du système de santé et de construire les bases d'une démocratie sanitaire en recherchant le meilleur équilibre possible entre les malades et les professionnels de santé dans un monde en plein bouleversement.
Notre système de santé est traversé à la fois par de profondes évolutions, qui transforment les pratiques comme jamais - d'importants progrès thérapeutiques ont été réalisés ces dernières années, des espoirs formidables sont nés pour le traitement du cancer ou des maladies de la vieillesse -, par une très grande anxiété des professionnels de santé, qu'ils soient libéraux ou hospitaliers, et par une aspiration sans précédent des usagers à une nouvelle relation avec les professionnels en charge de leur santé.
Les crises qui secouent notre système de santé sont nombreuses. Notre monde médical est en difficulté. Comment ne pas évoquer la lassitude ou la révolte qu'expriment les professionnels de santé, en particulier les généralistes ?
Il nous faut prendre la mesure de cette angoisse, du sens profond des manifestations qui assiègent quotidiennement le ministère de la santé, avenue de Ségur, alors que le reste du monde voit dans notre système de santé le meilleur de la planète, à tel point que l'Angleterre, devant l'ampleur des réformes à accomplir, nous envoie désormais - et nous enverra de plus en plus - ses patients. Et d'autres pays suivront - je pense à l'Italie, notamment - avec lesquels nous essaierons de passer des accords.
D'autres crises majeures avaient atteint notre dispositif de soins.
Le drame du sang contaminé, plus que toute autre crise sanitaire, nous a rappelé que la médecine peut, dans certains cas, engendrer des dommages considérables. Nous savons désormais que la même faute, la même ignorance, le même acharnement dans l'erreur peuvent provoquer des catastrophes en chaîne et affecter des dizaines de milliers de personnes à la fois.
Personne ne contestera que le sida a fait naître une nouvelle forme de militantisme sanitaire dont nous avons beaucoup à apprendre et qu'il a déjà profondément transformé notre culture médicale, modifié nos pratiques et ébranlé nos certitudes.
Je parle du sida, mais je pourrais aussi parler de la prise en charge par les associations des maladies cancéreuses, du diabète ou des maladies cardio-vasculaires : il en est ainsi de chaque plan de santé publique proposé à notre pays.
Les crises alimentaires, ensuite - vaches folles et autres poulets à la dioxine - nous ont rappelé que la santé publique ne peut impunément se réduire au système de soins ; que toute erreur sur une chaîne de production peut avoir des impacts sanitaires à des milliers de kilomètres de là.
Ce sont les fondements mêmes de notre organisation qui ont été remis en cause par ces évolutions. Les conclusions en étant tirées, il convient désormais de redéfinir nos priorités, afin de mettre la personne malade au coeur de nos préoccupations.
Notre première ambition, mesdames, messieurs les sénateurs, est d'inscrire les droits des malades dans notre législation. Jusqu'à présent, ces droits, quand ils existaient, relevaient d'une obligation déontologique des médecins qui, très souvent, se montraient à la fois respectueux et inventifs. Ils dérivaient des règles de l'exercice médical : la loi s'adressait d'abord au personnel soignant et, seulement par rebond, au patient.
Nous devons passer à un système plus orienté vers l'individu, améliorer nos résultats, donc mieux former nos personnels médicaux, les rasséréner autant que faire se peut, les rendre plus disponibles, plus performants.
Voilà pourquoi le texte dont vous allez débattre aujourd'hui traite aussi bien de l'amélioration de la relation individuelle entre le malade et son médecin dans la dimension du « colloque singulier » que de celle de l'usager avec le système de santé publique dans le cadre d'une démocratie sanitaire à bâtir.
Ce texte est, dans sa partie consacrée aux droits des malades, la suite concrète des états généraux de la santé. Ces derniers, annoncés par le Premier ministre dès sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, se sont déroulés de l'automne 1998 à la fin du mois de juin 1999.
J'en rappelle le formidable succès : plus de 1 000 réunions dans plus de 180 villes différentes ; plus de 200 000 participants, jeunes, vieux, actifs, inactifs, femmes, hommes, qui ont tous exprimé la même attente. Tous veulent une médecine plus humaine et une politique de santé plus globale, plus visible.
Il nous faut nous parler, disaient-ils, nous écouter, nous informer ; nous souhaitons participer, ou du moins comprendre les choix médicaux qui nous concernent ; pour nous, la santé va bien au-delà de la médecine : c'est un mode de vie, une solidarité, une conception même de la société ; notre relation avec la médecine doit changer, nous voulons être considérés comme des personnes, pas seulement comme des maladies.
Prendre en considération ce message, que nous nous devions d'entendre, c'était trouver le moyen de traduire en termes législatifs la nécessaire amélioration de la relation avec le médecin, la médecine et le système de santé.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui tend à consolider ou à rétablir la confiance entre les uns et les autres, et d'abord entre les médecins et les personnes malades.
L'un des moyens pour y parvenir est de rééquilibrer la relation médecin-malade pour qu'elle fonctionne aussi bien dans un sens que dans l'autre : devoirs et droits - oui, pas seulement des droits, mais des devoirs aussi - de part et d'autre.
Il s'agit, certes, de répondre aux attentes légitimes des malades et de la population, mais aussi des professionnels.
J'insiste particulièrement sur un point trop souvent négligé dans les commentaires : l'insécurité des médecins ne protège jamais les malades, c'est parce que l'on donne davantage de droits aux malades que l'on protège mieux les médecins, notamment en définissant les conditions d'un équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions sanitaires et l'Etat. Vous le savez, un malade informé, un malade qui participe à son traitement hâte sa guérison et dément parfois les pronostics les plus pessimistes.
En matière de droits des malades, la disposition emblématique du présent projet de loi est l'accès direct au dossier médical.
Cette avancée, dont je suis fier, a fait l'objet de débats contradictoires et passionnés, à la hauteur des enjeux qu'engendre la nécessaire modernisation de la relation entre le malade et son médecin.
Notre formulation respecte, je le crois profondément, un équilibre qui tient compte des positions de chacun. En effet, permettez-moi d'insister sur ce point, il n'a jamais été question de légiférer au profit des uns ou aux dépens des autres. Ce n'est pas parce que l'on consacre les droits des patients que l'on prend parti contre les soignants, bien au contraire !
La mise en place d'un système de prise en charge de toutes les victimes des accidents médicaux - y compris des accidents sans faute, c'est-à-dire de l'aléa thérapeutique ou médical - constitue la deuxième grande avancée du projet de loi.
Cette innovation est essentielle pour les deux parties : non seulement pour les victimes d'un accident médical grave, même sans faute, qui seront aidées dignement, mais aussi pour les médecins, car nous avons pris la mesure de leurs inquiétudes face à cette dérive que constitue la judiciarisation excessive de la médecine. Nous devons absolument y mettre un terme si nous voulons ne pas voir la médecine se replier sur une pratique défensive, appauvrie de toute initiative.
Quel médecin continuera de prendre des risques pour un patient si la menace d'un procès pèse trop lourdement sur lui ou si les primes d'assurance deviennent exorbitantes, comme l'arrêt Perruche l'a parfaitement illustré ? Nous souhaitons ici, avec vous, venir à bout de ce mauvais débat.
Permettez-moi de revenir quelques instants sur les conséquences de cette jurisprudence de la Cour de cassation, ainsi que sur le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui et qui a pour objet d'y mettre un terme.
Ce texte n'a pas pour objet de donner une réponse particulière à un cas particulier de responsabilité médicale, il s'inscrit résolument dans le cadre de la responsabilité médicale fondée sur la faute. Il s'agit, dans un premier temps, de mettre fin à l'émotion soulevée par la jurisprudence de la Cour de cassation chez les professionnels de la santé, mais aussi chez les personnes handicapées et leurs familles, dans la société tout entière.
Notre haute juridiction a voulu améliorer la situation matérielle des personnes nées handicapées dont le cas lui était soumis. Je tiens à lui rendre hommage pour avoir ainsi rappelé notre devoir de solidarité envers les plus vulnérables d'entre nous.
Mettre un terme à la jurisprudence Perruche peut sembler paradoxal dans un texte relatif aux droits des malades, puisque la personne handicapée n'aurait plus d'action en réparation contre l'auteur de la faute médicale commise durant la grossesse de sa mère si cette faute n'a pas provoqué directement le handicap.
Une telle interprétation résulterait d'une lecture erronée et, pour tout dire, peu admissible de ce texte.
Nous devons, au contraire, affirmer clairement que la prise en charge du handicap et l'accompagnement des familles relèvent de la solidarité nationale. Nous pensons tous, je crois, que ce que nous faisons en la matière est encore largement insuffisant. Il faudra faire plus, il faudra faire mieux. Le Gouvernement y travaille.
M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Le Sénat aussi !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Le travail sera long, et c'est en tout cas pour le Gouvernement un chantier urgent et prioritaire en termes de prise en charge ; mais admettre que l'effort de la collectivité est insuffisant n'autorise pas à faire supporter aux professionnels de santé, au travers d'une indemnisation assurantielle, la prise en charge d'un handicap qui préexistait potentiellement à leur faute éventuelle : cela me paraîtrait profondément injuste !
J'ai entendu parler à plusieurs reprises du corporatisme des médecins dans cette affaire. Je me suis déjà exprimé en réaction à cette affirmation, qui me semblait insultante et particulièrement inexacte, lors de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, mais je souhaite le faire à nouveau devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : les professionnels de santé ne demandent pas à être exonérés de leurs fautes et, d'ailleurs, ils ne contestent pas les actions en responsabilité engagées par les parents d'un enfant né avec un handicap non diagnostiqué durant la grossesse de la mère en raison d'une faute. Bien au contraire, ces professionnels, ou tout au moins certains de leurs représentants - gynécologues-obstétriciens, radiologues, échographistes, sages-femmes - ont accepté de travailler sous la présidence du professeur Claude Surreau au sein du comité technique de l'échographie, que j'ai installé, à l'élaboration d'un référentiel de bonnes pratiques. Celui-ci permettra de mieux faire connaître cette activité, ses progrès, ses limites aussi.
Ce référentiel constituera un instrument de sécurité juridique et permettra de mieux caractériser l'existence d'un comportement fautif.
Les professionnels que j'ai rencontrés s'interrogent surtout sur le sens de leur travail, sur celui de la médecine anténatale et de toute la médecine prédictive. Je partage pleinement leurs préoccupations sur les risques d'un principe de précaution appliqué à l'extrême qui conduirait à étendre les propositions d'interruption de grossesse dès lors que surviendrait un doute de malformation. Je partage aussi pleinement leurs préoccupations sur les risques non négligeables d'interruption spontanée de grossesse que ferait courir la multiplication des actes diagnostics à laquelle pourrait conduire une application exagérée du principe de précaution. Je partage, enfin, leurs préoccupations sur le leurre et le danger pour notre société que constitue le mythe de l'enfant parfait, qui conduit à l'intolérance et à l'exclusion.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean Chérioux. Et qui conduit à l'eugénisme !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. La discussion à l'Assemblée nationale a été l'occasion de compléter et d'améliorer le projet du Gouvernement. Ce projet reste perfectible, j'en suis convaincu, et je suis certain que les débats que nous allons avoir permettront de continuer ce travail afin d'aboutir à un texte qui est très attendu par les malades, mais aussi - nous l'avons vu encore hier et aujourd'hui - par les professionnels de la santé.
Je vous ai cité les deux exemples les plus marquants des avancées contenues dans ce texte. Mais il y en a beaucoup d'autres ! Elles ont toutes ceci en commun qu'elles visent à renforcer la confiance des uns et des autres dans le système en reconnaissant leur place aux malades tout en rassurant les médecins. Et je ne place pas ces termes dans un ordre préférentiel : nous pouvons rassurer les médecins avant !
Le texte qui vous est soumis comprend trois titres inséparables. Le premier est relatif aux droits et responsabilités des malades et des professionnels de santé, le deuxième vise à l'amélioration de la qualité du système de soins, le troisième met en place un dispositif unique au monde de réparation des risques sanitaires.
Le titre Ier consacre non seulement les droits individuels du malade, mais aussi les droits collectifs des usagers et de leurs associations, ainsi que des droits plus collectifs encore, si je puis dire, qui concernent l'élaboration de la politique de santé au niveau régional puis au niveau national. Nous proposons ainsi les conditions de la véritable démocratie sanitaire que j'appelle de mes voeux.
Pourquoi des droits des malades, alors que nous avons déjà les droits de l'homme ? Je répondrai simplement par un exemple concret, car il n'est rien de tel pour éclairer les esprits : avez-vous déjà été hospitalisé ? Je l'ai été, comme nombre d'entre vous, que je connais. Passer de l'autre côté du lit, ne plus être le sorcier en blouse blanche mais le malade anxieux, cela change profondément votre vision du monde ! Même si cela ne correspond pas à la réalité, on a alors le sentiment d'être diminué, humilié, parce que malade, alité, douloureux, dénudé, et on en souffre.
C'est pourquoi nous réaffirmons, dès l'article 1er de ce projet de loi, le droit de toute personne malade à la dignité, à la protection contre les discriminations - y compris en raison des caractéristiques génétiques -, au respect de la vie privée, à la prévention et à la qualité des soins.
Ce projet établit de manière claire le droit de chacun à partager les grandes décisions qui touchent sa propre santé - ce qui implique, notamment, le droit réaffirmé à un consentement libre et éclairé - puis le droit de chacun d'accéder, s'il le souhaite, aux informations médicales qui le concernent, c'est-à-dire le droit d'accès direct au dossier médical.
Ces deux dispositions sont essentielles. Elles permettent et elles préservent l'expression autonome du malade.
Le droit au consentement doit devenir l'expression d'une participation active du malade aux décisions qui le concernent, l'expression d'une responsabilité sur sa propre santé. « Droits et devoirs », disiez-vous, voilà qui vous démontre que nous sommes d'accord.
Donner droit à l'accès direct au dossier médical, c'est faire le pari de la confiance, vouloir rééquilibrer la relation médecin-malade, la rendre adulte. C'est aussi aider le malade, s'il le souhaite, à garder la maîtrise de son histoire, de sa vie au moment où ses repères vacillent, et l'aider sur le chemin de la guérison.
Mais, afin de limiter les risques de traumatisme ou d'éviter toute interprétation erronée d'informations souvent techniques, le médecin pourra recommander au malade de se faire accompagner par une tierce personne. Si le malade le souhaite, le médecin de famille ou un membre de l'équipe médicale de l'établissement pourra désormais lire et commenter le dossier avec lui. Ce sera sans doute souhaitable dans la plupart des cas. Je souhaite qu'il en soit ainsi.
Le projet de loi institue un défenseur des droits des malades qui aura pour mission, au côté du ministre chargé de la santé, de promouvoir les droits des malades en s'appuyant sur les commissions régionales de conciliation. Ce que je vous propose, ce n'est pas une structure lourde, de la bureaucratie en plus, c'est un recours moral, la possibilité de s'adresser à une personne au ministère de la santé, l'accès à une personnalité de confiance.
Par ailleurs, ce texte prévoit un statut nouveau pour les associations représentant les malades et les usagers qui remplissent certaines conditions d'activité et de représentativité.
Une autre disposition importante du projet de loi concerne l'encadrement, désormais plus strict, des modalités selon lesquelles sont prononcées les hospitalisations sans consentement pour troubles mentaux.
A cet égard, la liste des critères permettant aux préfets de prononcer des hospitalisations d'office est modifiée. Désormais, le critère de la nécessité des soins sera indispensable et prioritaire pour prononcer une hospitalisation d'office et les critères ressortant de la sécurité publique, s'ils ne sont pas écartés, sont restreints aux atteintes à l'ordre public présentant un caractère de gravité.
Le présent texte prévoit également les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut mettre en demeure les professionnels et les institutions sanitaires de procéder à l'information des personnes concernées en cas d'anomalies survenues lors d'un traitement ou d'une investigation médicale.
Par ailleurs, au cours du débat à l'Assemblée nationale, il a été décidé de créer un pôle santé-justice, comme il existe des pôles financiers, afin de permettre au juge de traiter au mieux des dossiers souvent très complexes.
C'est une disposition importante. Ces pôles permettront en effet aux juges de bénéficier de la compétence d'assistants techniques, de médecins, de vétérinaires, de dentistes ou de pharmaciens.
Enfin, ce projet de loi tente de répondre à une question largement évoquée au Parlement lors des débats sur les lois de financement de la sécurité sociale, celle de la participation de tous à l'élaboration de la politique de santé et à son financement.
Comment évaluer les besoins au plus près du terrain ? Comment développer une concertation active et constructive entre professionnels et usagers, établissements, organismes d'assurance maladie et pouvoirs publics, afin de définir et de mener les programmes de santé ? Comment fonder et faire vivre une démocratie sanitaire, complément de la démocratie sociale, enrichissement de la démocratie politique ?
Ce projet de loi situe l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de la santé à l'échelon régional. Pour cela, il institue un conseil régional de la santé qui se substituera aux instances consultatives actuelles, notamment la conférence régionale de santé et les comités régionaux d'organisation sanitaire et sociale, les CROSS. Cela permettra au monde de la santé - professionnels, usagers, organismes d'assurance maladie - de se prononcer collectivement et systématiquement sur la situation sanitaire régionale et les politiques régionales de santé.
Enfin, ce texte prévoit, en amont de la loi de financement de la sécurité sociale et à partir de l'analyse des besoins des régions, l'élaboration, par le Gouvernement, un projet relatif à la politique de santé, d'un projet transmis au Parlement et soumis à débat public. Ce débat éclairera ! - enfin et telle est sa finalité - les choix du projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors que l'on ne discutait jamais de son annexe, fatigués que nous étions par la longueur des débats qui précédaient. Les politiques de santé publique n'étaient donc, en fait, jamais examinées dans nos débats et jamais financées en toute connaissance de cause puisque, en réalité, ni les uns ni les autres nous ne savions de quoi nous parlions ! (Sourires.)
Je dis cela pour vous faire rire, mais ce n'est pas très bien !
M. Bernard Murat. C'est un aveu ! C'est grave !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Dans ce titre Ier, vous l'avez compris, l'ensemble de notre système de santé est réformé, en considérant le point de vue du malade, en prenant en compte sa souffrance, voire son abandon.
Je comprends que certains puissent craindre que l'affirmation de ces droits ne favorise une multiplication des procès. Mais je crois qu'ils ont tort. Ce sera le contraire. Bien des problèmes et des procès naissent d'abord d'un déficit en termes d'information et de transparence, en fait d'un manque de dialogue. Un cas récent, dans le Sud, vient encore de le prouver.
Ainsi, l'accès direct aux dossiers supprimera, je l'espère, bon nombre des plaintes et des contentieux à l'encontre des médecins. Davantage d'information, cela veut dire davantage d'apaisement.
Chaque terme du texte qui vous est soumis a été pesé, discuté et affiné. La concertation a été longue et intense. Je voudrais remercier de nouveau tous nos interlocuteurs d'avoir oeuvré à une formulation qui tienne autant compte des positions des uns que de celles des autres.
Notre relecture, centrée sur le malade, ses demandes et ses besoins, conduit à une nouvelle organisation du système, en tout cas à une réforme de son organisation. Ainsi se complètent et s'articulent logiquement le titre Ier dont j'ai déjà parlé et le titre II du projet de loi que j'aborde maintenant.
Le titre II comporte de nombreuses mesures qui visent à améliorer la qualité du système de santé : le droit à la protection de la santé passe par la compétence des professionnels et donc par leur formation, ainsi que par un travail en réseau et le développement de la prévention.
Le texte vise, par exemple, à permettre aux préfets de suspendre un praticien dangereux ou d'encadrer celles des activités de chirurgie esthétique qui se déroulent hors de tout contrôle sanitaire. Il crée, à cet effet, un système d'autorisation pour les structures de chirurgie esthétique.
Dans le même esprit, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, se voit confier explicitement, en plus de sa mission d'évaluation des stratégies et des actes de prévention et de soins, une mission nouvelle d'évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire, notamment d'évaluation des pratiques professionnelles en médecine de ville.
Le texte affirme, par ailleurs, l'obligation de formation médicale continue. Il réforme le dispositif actuel, qui était inapplicable, et étend ses dispositions à l'ensemble des médecins, qu'ils soient libéraux, hospitaliers ou salariés d'autres organismes que l'hôpital. J'espère beaucoup que, cette fois, nous réussirons. En tout cas, la réaction des professionnels de la formation nous est tout à fait favorable.
Les ordres des professions médicales sont modernisés grâce à la création de chambres disciplinaires indépendantes des structures administratives et présidées par un magistrat. Ce dernier permet ainsi au patient d'être partie prenante dans les procédures disciplinaires. Il garantit les droits des plaignants en assurant un fonctionnement transparent des juridictions disciplinaires.
L'Assemblée nationale a souhaité que cette réforme profonde de l'ordre des médecins, élaborée en pleine collaboration avec le Conseil national de l'ordre des médecins, s'accompagne d'un changement de nom de cette institution afin de signifier la transformation importante ainsi opérée, la plus importante depuis la création de l'ordre.
Un office, devenu conseil après la première lecture à l'Assemblée nationale, est créé.
C'est une structure interprofessionnelle pour les cinq professions essentielles que sont les infirmiers, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les orthoptistes et les pédicures-podologues. Le conseil remplit des fonctions disciplinaires, administratives et professionnelles ainsi qu'un rôle d'évaluation des pratiques professionnelles. Il est destiné aux seuls professionnels qui exercent dans un cadre libéral, les salariés étant par ailleurs soumis à des procédures propres à leur secteur d'activité, en tout cas pour l'instant.
Le projet de loi pose également, et pour la première fois, les bases d'une politique de prévention globale et cohérente.
Ces dispositions essentielles sont attendues depuis des dizaines d'années, depuis la création d'une assurance maladie organisée autour des soins.
Le projet de loi prévoit ainsi l'organisation et le financement de la prévention. Tous les actes qui y concourent - de l'éducation pour la santé aux différents types de dépistage - seront désormais développés d'une façon coordonnée. Un comité technique national de la prévention réunira tous les acteurs nationaux de la prévention, de l'assurance maladie à la direction générale de la santé, de la médecine du travail à la médecine scolaire, de la protection maternelle et infantile aux grandes associations.
Enfin et surtout, les programmes prioritaires de prévention seront financés sur le « risque maladie », comme les soins.
Je considère en effet que la prévention est partie intégrante de la santé et qu'à ce titre l'assurance maladie doit la financer.
Combien de fois avons-nous dit ici, au Sénat, combien de fois avez-vous dit : « 13 000 francs pour les soins, 20 francs pour la prévention ! » ? Cela doit changer.
Nous souhaitons transformer le comité français d'éducation pour la santé en un institut national de prévention et de promotion de la santé.
Cet institut sera un lieu d'expertise en matière de prévention. Il sera aussi opérateur des programmes prioritaires de prévention définis par le ministère de la santé, comme des autres programmes de santé publique.
Enfin, le temps n'est plus à l'exercice solitaire de la médecine : le texte donne une base légale pour les réseaux de santé et favorise leur développement, car il nous faut absolument renforcer leur rôle dans le système. Tous les médecins, surtout les généralistes, qui se plaignent d'un isolement croissant, le réclament.
La prise en charge doit être plus continue et mieux coordonnée entre la ville et l'hôpital, le système de soins et le système médico-social.
Ces dispositions permettent aussi de rémunérer par forfait des activités non prises en compte aujourd'hui comme l'éducation thérapeutique ou la prise en charge psychologique des mineurs en danger de suicide, par exemple.
Un amendement parlementaire permet, par ailleurs, la constitution de coopératives hospitalières de santé, de structures juridiques pouvant servir de base aux réseaux.
Le titre III du projet de loi inclut deux dispositions capitales pour le rétablissement de la confiance que j'appelle de mes voeux : l'une vise à consolider le dispositif conventionnel que nous venons de mettre en place pour faciliter l'accès à l'assurance de toute personne présentant un risque de santé aggravé ; l'autre met en place un système, unique au monde, - je le répète - d'assistance aux victimes d'accident médical.
Les personnes frappées par la maladie, même durement, ne doivent plus être, comme aujourd'hui, privées d'assurance pour les emprunts indispensables à l'acquisition des biens nécessaires à la vie de tous les jours : appartement, voiture, ordinateur...
Nous savons que, pour se soigner ou pour continuer à combattre la maladie, il est indispensable de continuer à mener une existence aussi normale que possible.
Ainsi, après plus de deux ans de discussions, les associations de malades et de consommateurs, les banques, les assureurs et l'Etat ont signé une convention dans ce sens. Notre projet de loi encadre ce dispositif conventionnel et lui assure sa pérennité.
Nous proposons ensuite un système d'assistance aux victimes d'accident médical qui ne comporte aucun équivalent dans les législations comparables des pays modernes.
Les dispositifs suédois et danois, qui sont sans doute à ce jour les plus complets et les plus proches, ne couvrent pas complètement l'aléa thérapeutique ni, dans la plupart des cas, les accidents dus à des produits de santé.
Vous allez débattre mesdames, messieurs les sénateurs, de la première loi au monde qui s'appliquera quel que soit le risque, qu'il soit dû à un produit de santé, à un médicament, à un acte chirurgical ou à un acte d'investigation ou de prévention.
Ce sera la même procédure que l'incident ou l'accident se produise dans un hôpital, une clinique ou un cabinet libéral. Telle que nous l'avons conçue, la loi permet l'indemnisation de tous les accidents graves, avec ou sans faute, évitables ou inévitables, sur la base de la solidarité quand la responsabilité n'est pas en cause.
L'indemnisation du drame médical, que celui-ci relève ou non d'une faute, devient une attente essentielle de la population, relayée par l'évolution récente mais spectaculaire de la jurisprudence, qu'elle soit de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire.
Sans retracer ici l'évolution intégrale de la jurisprudence, laissez-moi évoquer devant vous un arrêt fondamental, historique, du Conseil d'Etat : il s'agit, bien entendu, de l'arrêt Bianchi.
Pour la première fois, on décide d'indemniser l'accident sans faute. M. Bianchi, qui était entré à l'hôpital pour une artériographie - diagnostic de routine, en quelque sorte - en ressortit tétraplégique. L'accident était gravissime : M. Bianchi restera invalide à vie. Pourtant, il n'y eut aucune faute médicale.
Mais le juge décida que l'extrême gravité du préjudice subi était indubitablement liée à l'acte médical. Il estima que l'établissement devait, au titre de l'égalité devant les charges publiques - c'est-à-dire, en fait, au titre de la nécessaire solidarité devant les dommages non fautifs résultant du fonctionnement du service public -, indemniser les conséquences catastrophiques de cet accident pour la victime.
Le risque de survenue du drame était minime. Il représentait la contrepartie des bienfaits de la technique pour la très grande majorité des patients, et donc pour la société en général.
La tendance de la jurisprudence de la Cour de cassation a été la même.
Le 29 juin 1999, la Cour conclut à une obligation de sécurité en matière d'infection nosocomiale. Elle fonde sa décision, contrairement au Conseil, non pas sur la présomption d'imputabilité, mais sur l'obligation de sécurité. Peu importe, le résultat est le même pour la victime. On peut désormais être indemnisé en cas d'infection nosocomiale, même si le médecin, l'hôpital ou la clinique n'ont pas commis de faute, c'est-à-dire si l'infection était, hélas ! d'une certaine manière inévitable.
Quelques mois plus tard, le 9 novembre 1999, la Cour de cassation reconnaît pour la première fois une obligation de sécurité en ce qui concerne le matériel utilisé pour l'exécution d'un acte médical. On peut désormais indemniser sur ces bases la victime d'un accident iatrogène.
Parallèlement, la Cour de cassation, par son arrêt du 7 octobre 1998, puis le Conseil d'Etat, le 5 janvier 2000, jugent que tout défaut d'information à l'égard du patient, même en ce qui concerne des risques exceptionnels, est indemnisable dès lors qu'il y a préjudice. En outre, la Cour comme le Conseil décident d'inverser la charge de la preuve : c'est désormais au médecin de prouver qu'il a informé le patient, et non au patient de prouver qu'il n'a pas été informé. On comprend donc que les médecins soient quelque peu perturbés !
Mais, face à l'aléa, la Cour de cassation rappelle, le 8 novembre 2000, qu'en l'absence de base législative on ne peut indemniser une victime d'aléa thérapeutique s'il n'y a ni manquement ni faute.
On le voit, la jurisprudence permet de garantir de plus en plus l'indemnisation des victimes, mais, en même temps, elle devient tellement protectrice, tellement évolutive, tellement mouvante qu'elle finit par déstabiliser le système de santé tout entier.
Les médecins s'inquiètent : les usagers s'interrogent sur leurs droits devant le tourbillon des jurisprudences. Au total, la crainte d'une dérive « à l'américaine », - c'est-à-dire que tout se termine par un procès, s'installe - bien que nous en soyons fort loin, comme je l'ai déjà dit. C'est pourquoi il est devenu nécessaire aujourd'hui que le législateur intervienne pour clarifier les responsabilités. Tel est le sens de ce projet de loi : définir une règle générale, marquer les principes fondamentaux.
Je voudrais également insister sur le fait que ce dispositif est protecteur aussi pour les médecins. D'éminents juristes nous ont même écrit pour nous indiquer que notre projet de loi était plus protecteur que la jurisprudence. Cela ne me déplaît pas !
La procédure mise en place est une procédure amiable de règlement des litiges en cas d'accident. Toute personne s'estimant victime d'un accident médical pourra y accéder, via une commission régionale, quelle que soit l'origine du dommage - acte médical ou produit de santé - et quel que soit le lieu où il s'est produit - hôpital, clinique, cabinet libéral.
Dans cette procédure, le rôle de la commission régionale est central. Son avis permettra à la victime, comme aux professionnels de santé, de connaître les causes de l'accident et l'importance du dommage. Pour cela, le projet de loi réaffirme les principes de la responsabilité médicale, notamment l'obligation de moyens, de bonnes pratiques, et rénove l'expertise médicale.
La commission aura donc un rôle pédagogique d'explication du risque et de ses conséquences, de garant de la transparence de fonctionnement du système. Il est important que la décision d'indemnisation se fasse dans la clarté et que chacun puisse la comprendre.
Dès lors que le préjudice présente une certaine gravité, la procédure conduira à une offre d'indemnisation. Si la victime l'accepte, elle mettra fin au litige en moins d'un an dans la plupart des cas. Il s'agit de mieux indemniser en ayant moins recours au juge et dans un délai raccourci.
Le texte ouvre un droit général à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique, à la seule condition que le préjudice présente un caractère de gravité suffisant. Bien sûr, les victimes pourront invoquer directement ce droit devant les juridictions.
La loi crée un Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Il versera les indemnités en cas d'aléa thérapeutique, qu'elles résultent d'une transaction consécutive à un avis de la commission régionale ou d'une décision d'une juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire.
L'assurance maladie financera le dispositif. Le coût global peut en être évalué - et, je le pense, maximisé et non minimisé - de 1 à 1,5 milliard de francs en régime de croisière, y compris les frais d'expertise et de fonctionnement.
J'ai donc le grand honneur de vous proposer une loi de confiance, de responsabilité et de transparence.
« Croyons-nous que l'on puisse briser la longue chaîne des souffrances humaines ? » demandait, avant sa mort tragique, Jonathan Mann, professeur à Harvard, artisan de la lutte contre le sida, partout et surtout chez les plus pauvres. Il poursuivait : « Pionniers de la santé publique à la lisière de l'histoire humaine, nous affirmons que le passé ne détermine pas inexorablement l'avenir » - il parlait des plus pauvres. C'est pourquoi la protection et la promotion des droits de la personne ne sont pas dissociables de la protection et de la promotion de la santé publique.
Nous ne progresserons en ce sens que grâce à un engagement de tous, soignants, patients et usagers, dans le traitement des maladies qui les concernent, comme dans l'effort de prévention auquel nous nous sommes attachés depuis plusieurs années.
Voilà pourquoi le texte que je vous présente aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, peut se résumer en trois grands principes solidaires.
Le premier est la clarté dans le fonctionnement même du système de santé. L'efficacité de notre médecine doit nous inciter à en affronter les limites. Les choix de la politique de santé doivent être plus largement explicités, débattus, assumés. Le personnel de santé, de son côté, verra clairement les règles nouvelles et anciennes qui encadrent et soutiennent son action.
Le deuxième principe est la responsabilité. A travers les révolutions que connaissent la science comme notre système de santé, il ne saurait y avoir de médecine responsable qui ne s'interroge régulièrement sur ses pratiques, sur le sens, la pertinence, l'humanité des prises en charge et, parfois douloureusement, de leur poursuite.
Le troisième principe est la confiance. Comment ne pas voir que cette confiance a été bien malmenée au cours de ces dernières années et singulièrement ces jours-ici ? Nous avons pour tâche urgente de la rétablir.
La confiance du personnel médical est indispensable : nous ne la trouverons, là aussi, qu'à travers l'information la plus large, la netteté des règles établies, le dialogue tant avec les patients qu'avec les pouvoirs publics, à travers des efforts financiers de la collectivité nationale, qui, je le sais, devront être des efforts plus importants ; il n'y a pas de miracle !
C'est dans cet état d'esprit que je vous propose d'engager ce débat, attendu par nos concitoyens.
Voilà un siècle, en 1902, malgré le vote de la première grande loi sanitaire dans notre pays, et malgré un fort courant hygiéniste, la politique de santé se heurta à l'indifférence des élus et de l'opinion. Je sais qu'il n'en sera pas de même aujourd'hui.
Je me souviens, avec émotion, de mon maître Paul Milliez, qui me disait : « Rien de plus puissant que le progrès thérapeutique, rien de plus engagé que cette neutralité médicale. Au fond, rien de plus politique que la médecine. » (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyens, du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Giraud, rapporteur.
M. Francis Giraud, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour parlementaire peut réserver bien des surprises. Il est pour le moins insolite, en effet, que le Gouvernement présente à notre assemblée, en urgence, un projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé, cela quelques jours après une grève massivement suivie par les professionnels et qui, fait sans précédent dans notre pays, a paralysé l'ensemble de notre système de soins !
Celui-ci a beau être présenté régulièrement comme le meilleur du monde, il traverse - chacun peut le constater - une crise grave, et le conflit n'est toujours pas résolu.
Le monde de la santé est aujourd'hui dans un profond désarroi. Au-delà de revendications financières légitimes, il faut discerner la lassitude d'une profession qui a pour origine une considération amoindrie, une agressivité croissante de la part des patients, une propension à être traitée comme prestataire de services et, surtout, l'impossibilité de remplir sa mission d'écoute, de conseil et de prévention.
Une majorité de médecins considèrent que le contrat social implicite qui gouvernait la relation avec leurs patients est amoindri. Il apparaît, dès lors, essentiel de repenser le lien médecin-patient.
Le système de soins est également menacé par la persistance de lourds déficits de l'assurance maladie. Voilà quelques semaines, à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notre commission a vivement condamné les prélèvements que le Gouvernement a opérés sur les recettes de cette branche pour financer la coûteuse mise en oeuvre des 35 heures.
M. Claude Estier. Il y a longtemps qu'on n'avait pas entendu parler des 35 heures !
M. Francis Giraud, rapporteur. Cette politique, qui creuse les déficits de la branche et en alourdit l'endettement, demeure incompréhensible.
M. Guy Fischer. Le ton est donné !
M. Francis Giraud, rapporteur. Elle rend illusoire toute exhortation à une meilleure maîtrise des dépenses, adressée aux différents acteurs, gestionnaires des caisses, établissements et professionnels de santé, ou assurés sociaux.
Il n'est guère étonnant, dans ce contexte, que les relations des pouvoirs publics avec les professionnels de santé se soient si rapidement et si gravement détériorées.
M. Claude Estier. Et Juppé ?
M. Bernard Murat. Et Ralite ?
M. Francis Giraud, rapporteur. Votre texte, monsieur le ministre, contribuera-t-il à apaiser les esprits ? J'en doute !
En revanche, je note avec une grande satisfaction l'évolution de vos propos non pas sur la défense des malades, mais sur la protection des médecins.
En réalité, c'est d'un « projet de loi relatif aux fondements et à l'organisation du système de santé » que le Parlement aurait dû, en priorité, débattre, tant il est vrai que le premier droit du malade est de pouvoir accéder, en toute confiance, à un système de santé efficace.
Le présent projet de loi est censé répondre « aux attentes légitimes des malades et de la population, notamment en définissant les conditions d'un équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions sanitaires et l'Etat ».
Les intentions du Gouvernement sont à l'évidence louables.
M. Claude Estier. Ah, quand même !
M. Francis Giraud, rapporteur. Toutefois, les chapitres Ier à IV du titre Ier comportent peu de dispositions véritablement nouvelles en droit positif : certaines sont reprises des codes de déontologie, d'autres sont issues de la jurisprudence.
S'il n'était sans doute pas inutile de réaffirmer les obligations du médecin, l'on doit rappeler que le code de déontologie les avait déjà parfaitement et clairement définies. On peut naturellement comprendre le souhait du Gouvernement de les rassembler dans un texte unique et de les énoncer du point de vue du malade, en mettant l'accent sur les droits de ce dernier.
Le titre Ier du projet de loi a pour objet affirmé de rétablir l'équilibre dans le rapport patient-médecin. Or, aux yeux de la commission des affaires sociales, c'est moins l'équilibre qui compte en la matière que la confiance mutuelle sur laquelle repose cette relation si particulière.
Ce qui caractérise l'activité médicale, c'est l'engagement au service des autres, la passion de les soigner et de les guérir souvent, le souci de les protéger et de les soulager toujours.
Dans la relation privilégiée qui s'établit entre un malade et un soignant a lieu la rencontre d'une confiance et d'une conscience. Aussi, à l'inverse de l'objectif recherché, multiplier les obligations des professionnels risque de déséquilibrer le système et de le dénaturer.
Il est significatif que, dans ce projet de loi, l'affirmation d'un droit des malades ne s'accompagne pas, en miroir, de l'énoncé des « obligations », ou du moins des responsabilités des patients et usagers, afin d'accéder, comme cela est annoncé dans l'exposé des motifs, à « un équilibre harmonieux ».
On notera que les termes « usager du système de santé » remplacent les mots « patient » ou « malade ». Cette dérive sémantique tend à accréditer l'idée que le système de santé ne serait, au fond, qu'un service comme les autres, comparable, par exemple, à celui des transports.
Je partage l'analyse fort pertinente exprimée par l'Académie de médecine dans son avis sur ce texte, adopté à l'unanimité le 9 octobre dernier : « De grands mots, tels que "démocratie sanitaire", "droits fondamentaux de la personne", "responsabilité des usagers du système de santé" ne sauraient suffire à dissimuler l'inspiration de ce texte qui se veut le reflet de l'incontestable évolution qui marque en notre société la relation médecin-malade. Notre tradition humaniste est profondément ébranlée par l'évolution scientifique et technique de la médecine, qui conduit à des attitudes consuméristes vis-à-vis du médecin qui tend à devenir prestataire de services, mais aussi par les récentes et nouvelles peurs qui conduisent à des revendications sécuritaires et indemnitaires. »
Je me refuse à assimiler l'acte médical à une simple prestation de services. Un tel concept me semble profondément inadapté. Il y a dans l'acte médical, dans la relation soignant-malade, une spécificité irréductible que le projet de loi contribue à minimiser.
S'il faut naturellement respecter les droits du malade, il convient parallèlement de souligner la particularité de la médecine, qui est un art et non une science. Dans cet exercice, sans des qualités humaines développées d'écoute et d'observation chez les praticiens, les acquis de la technique demeureraient bien souvent inopérants.
Compte tenu de la complexité de l'acte médical, l'absence de risque n'existe pas. Le médecin est confronté, en conscience, à des choix commandés par des examens et des symptômes pas toujours convergents. Il n'a qu'une obligation de moyens, et non pas une obligation de résultat.
Ce rappel s'impose d'autant plus que l'examen de ce texte survient dans un climat détérioré par des mises en cause répétées de la responsabilité médicale, à juste titre inquiétantes pour les professionnels de santé.
Nul ne conteste la nécessité de rendre les praticiens responsables de leurs actes. Mais l'on doit réaliser que l'irruption un peu brutale d'une culture anglo-saxonne procédurière risque d'engendrer des attitudes défensives nuisibles à l'intérêt même des patients.
Enfin, il me semble juste d'évoquer les conditions de travail des personnels de santé : des services hospitaliers publics et privés surchargés ; des horaires exagérément lourds ; un nombre de postes insuffisant ; sans oublier les contraintes administratives de plus en plus exigeantes qui s'y ajoutent. Une telle situation ne permet plus un exercice serein de la médecine.
La recherche de l'équilibre requiert de donner des moyens à ceux dont on exige toujours plus et dont nos concitoyens attendent encore mieux.
Pour ces raisons, sans bouleverser l'économie de ce texte, la commission des affaires sociales vous proposera un certain nombre d'amendements de principe, qui témoignent de nos préoccupations.
Les chapitres V et VI constituent le second volet de ce titre Ier. La « démocratie sanitaire » est, là, entendue dans ses dimensions nationale et régionale.
Le chapitre V a pour objet, si l'on en croit l'exposé des motifs, d'aménager « la procédure d'élaboration de la politique de santé de manière à mieux y associer la représentation nationale ». Il redéfinit les missions et les attributions du Haut Comité de la santé publique, ou HCSP, qui est devenu le Haut Conseil de la santé, de la Conférence nationale de santé, ou CNS, du Gouvernement et du Parlement. Il entend répondre à l'ensemble des critiques portées sur l'absence de lien entre orientations de santé publique et assurance maladie, ainsi que sur le caractère quelque peu opaque de la définition de la politique de santé.
La « chaîne vertueuse » souhaité par les ordonnances de 1996 était la suivante : travaux d'expertise du Haut Comité de la santé publique conduits très en amont ; professionnels réunis au sein de la Conférence nationale de santé s'appropriant le travail des experts ; rapport au mois de mai de la CNS préfigurant le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale, déposé début octobre par le Gouvernement devant le Parlement.
Ce rapport annexé, introduit par la loi organique du 22 juillet 1996, a pour objet de présenter « les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ».
Dans les faits, la « chaîne vertueuse » imaginée n'a pas bien fonctionné.
Le HCSP et la CNS ont travaillé chacun de leur côté, se répartissant de manière pragmatique les sujets à traiter. Le calendrier n'a jamais véritablement permis que des orientations dégagées par la Conférence nationale de santé de l'année précédente soient reprises dans le corps normatif de la loi de l'année en cours.
Le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale est devenu un panégyrique de la politique gouvernementale et s'est trouvé dépourvu de normativité. Sa discussion a été reléguée à l'issue de l'examen des articles, alors que son contenu était censé éclairer les choix du dispositif législatif.
L'article 24 du projet de loi entend répondre aux critiques formulées. Les solutions qu'il apporte apparaissent néanmoins décevantes. Il prévoit, en remplacement de l'actuel rapport « au » Gouvernement de la Conférence nationale de santé, un rapport « du » Gouvernement sur la politique de santé de l'année suivante. Ce rapport est préparé chaque année sur la base de priorités pluriannuelles, avec le concours du Haut Conseil de la santé, au vu des bilans de la politique de santé dans les régions, établis avant le 1er mars par les conseils régionaux de la santé, et des propositions qu'ils formulent. Le rapport est ensuite transmis, après avis de la Conférence nationale de santé, à l'Assemblée nationale et au Sénat, au plus tard le 15 mai suivant, en vue d'un débat. La rédaction est bien complexe !
Je vous proposerai plusieurs amendements.
Il s'agit, premièrement, d'affirmer l'horizon pluriannuel des priorités de santé publique. La commission des affaires sociales a pris position depuis 1999 en faveur des lois pluriannuelles de santé.
Il s'agit, deuxièmement, de mieux distinguer entre l'expertise technique, qui est du ressort du Haut Conseil de la santé, et la prise de décisions politiques en vue de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Il s'agit, troisièmement, de donner au Parlement toute sa place dans le nouveau dispositif. Son rôle ne peut se réduire à celui d'acteur passif intervenant seulement en aval. La possibilité doit lui être donnée, par exemple, de saisir la Conférence nationale de santé et le Haut Conseil de la santé.
Il s'agit, quatrièmement de prévoir un rôle majeur pour le Haut Conseil de la santé. Je vous proposerai d'élargir ses missions et d'en faire un outil d'expertise placé auprès des pouvoirs publics, chargé de l'évaluation annuelle de la politique de santé en s'appuyant notamment sur les travaux des conseils régionaux.
Le chapitre VI, relatif à l'organisation régionale de la santé, regroupe en fait des dispositions hétéroclites.
Si la création des conseils régionaux de santé, prévue à l'article 25, répond à l'ambition de l'intitulé du chapitre, l'article 30, relatif à l'organisation régionale des ordres médicaux, concerne purement et simplement la réforme projetée de ces ordres et non une quelconque régionalisation.
Je me contenterai de formuler quelques observations sur l'article 25. Cet article procède à une réforme pragmatique de la politique régionale de santé. Regrouper au sein d'une même instance des compétences jusqu'alors remplies par des organismes disparates mérite tout particulièrement d'être salué.
Toutefois, cet article, qui entérine et améliore une déconcentration plus qu'il n'organise celle-ci, est muet sur la question fondamentale de la compétence de la collectivité régionale. Le président du conseil régional risque d'être le président du conseil régional de santé. A la tête d'une forme de parlement régional de santé, il sera l'interlocuteur légitime de l'exécutif régional, constitué notamment par l'Agence régionale de l'hospitalisation. Une telle mission aura nécessairement des conséquences sur l'évolution des collectivités territoriales.
A l'évidence, la problématique qui sous-tend le dispositif présenté dépasse de loin la compétence de notre commission.
Par voie d'amendements, je vous proposerai essentiellement de clarifier et de préciser le texte, afin, notamment, d'organiser les missions des conseils régionaux de santé au regard des orientations de la politique de santé prévues par l'article 24 du projet de loi et de hisser la politique de prévention au rang de la politique de soins.
Démocratie sanitaire, droits des malades, orientations de la politique de santé, régionalisation, tous ces progrès risquent de rester vains si la volonté politique fait défaut. Or, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, cette volonté politique impose la création d'un véritable ministère de la santé, autonome par rapport au ministère de l'emploi.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Nous voulons non pas un ministère lourd et technocratique, mais un ministère coordonnateur et animateur, un ministère qui donne aux professionnels de santé le sentiment qu'ils sont pleinement écoutés ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Enfin, prenant acte de la volonté du Gouvernement de poursuivre, dans le présent projet de loi, le débat sur l'arrêt Perruche, la commission propose d'introduire, avant le titre Ier, un titre additionnel consacré à « la solidarité envers les personnes handicapées » et comportant un article unique.
Pour nous, le titre est essentiel. Il affirme, en effet, notre volonté de voir la solidarité nationale s'exercer pleinement envers les personnes handicapées.
L'article unique qu'il comporte s'articule autour de quatre principes : le droit à la solidarité nationale pour toute personne handicapée, quelle que soit la cause de sa déficience ; l'absence de préjudice du seul fait de la naissance ; le droit à réparation - évident, mais qu'il convient de rappeler - en cas de faute médicale ayant provoqué directement un handicap ; enfin, le droit à indemnisation du préjudice moral des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée.
C'est sur ce dernier point que le texte que la commission vous propose diffère essentiellement de celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative à la solidarité nationale et à l'indemnisation des handicaps congénitaux. Les députés ont, en effet, prévu la possibilité d'une indemnisation des titulaires de l'autorité parentale destinée à la personne handicapée, indemnisation qui correspondrait aux charges particulières découlant, tout au long de sa vie, de son handicap.
La commission des affaires sociales du Sénat a, pour sa part, estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne répondait en rien au problème soulevé par l'arrêt Perruche : il ne fait que transférer de l'enfant aux parents l'indemnisation du handicap, dans le droit-fil de la jurisprudence du Conseil d'Etat issue de l'arrêt Quarez de 1997.
Elle a considéré que, lorsque la responsabilité d'un médecin est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap, non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute, rien ne justifiait de faire porter sur le médecin fautif l'indemnisation, tout au long de la vie, des charges résultant de ce handicap.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Francis Giraud, rapporteur. Mes chers collègues, le médecin n'est pas à l'origine de ce handicap. Il n'a pas commis de faute vis-à-vis de l'enfant. Sa responsabilité à l'égard des parents ne peut être engagée qu'à hauteur du préjudice moral que la mère a subi en ne pouvant pas exercer sa liberté de recourir à une interruption médicale de grossesse ou de se préparer à l'accueil d'un enfant handicapé.
La commission des affaires sociales a, par ailleurs, jugé que l'indemnisation du handicap aboutirait, en l'occurrence, à créer une inégalité choquante entre deux catégories de handicapés : ceux dont le handicap serait pris en charge par la seule solidarité nationale - ceux qui sont nés de mères ayant refusé l'interruption médicale de grossesse, ou, bien plus souvent, ceux dont le handicap était indécelable au diagnostic prénatal - et ceux dont le handicap serait, de surcroît, indemnisé.
Sur des questions aussi difficiles et douloureuses, il est normal et même souhaitable que des avis divergents s'expriment. Le législateur, lui, a le devoir de répondre de façon équilibrée aux interrogations et aux craintes de la société.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout en tenant compte du droit de la responsabilité, la commission des affaires sociales a été guidée, dans sa réflexion, par trois exigences fondamentales : le respect dû à toute vie humaine, le refus de toute discrimination, l'exercice plein et entier de la solidarité nationale à l'égard des plus faibles. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dériot, rapporteur.
M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre II de ce projet de loi est sans doute moins médiatique que les titres Ier et III, mais il n'en est pas moins important, puisqu'il concerne la qualité du système de santé.
En ce sens, il apparaît largement indissociable des deux autres volets de ce texte.
En effet, le premier droit du malade n'est-il pas, en définitive, celui de se faire soigner dans un système de santé de qualité ? Le meilleur moyen de faire face aux risques sanitaires ne réside-t-il pas, finalement, dans leur prévention par l'amélioration de la qualité du système de santé ?
La commission des affaires sociales se félicite donc que le Parlement soit enfin appelé à débattre des questions de santé, tout particulièrement sous l'angle de la qualité.
Pour autant, sous cet objectif ambitieux, les dispositions de ce titre II ne constituent pas, loin s'en faut, un programme cohérent d'amélioration de la qualité de notre système de santé. Elles constituent bien plus un catalogue de mesures disparates, parfois utiles et nécessaires, parfois moins, souvent attendues, quelquefois redoutées.
Il serait donc vain de rechercher une logique d'ensemble à ces dispositions. Il serait tout aussi vain de chercher des réponses à la question - plus large et sûrement plus délicate - de la nécessaire modernisation de notre système de santé, dont on sait qu'il est aujourd'hui, en dépit de performances reconnues par tous, au bord de l'asphyxie.
J'observe ainsi que ce titre, qui concerne pourtant au premier chef tous les professionnels de santé, ne comporte aucune disposition susceptible d'apaiser le malaise, voire la crise grave dont témoignent avec force les mouvements sociaux actuels.
Aussi, ce n'est sans doute pas un hasard si l'intitulé initialement envisagé pour ce texte - à l'origine, « modernisation du système de santé » - a été finalement modifié. Ce glissement sémantique témoigne, selon moi, d'une révision à la baisse des objectifs initiaux. On peut le regretter.
Il n'en reste pas moins qu'au-delà de sa diversité et malgré les limites que je viens de souligner, ce titre comporte un certain nombre de dispositions intéressantes qui méritent d'être étudiées avec soin.
J'observe, d'ailleurs, que l'Assemblée nationale n'a modifié qu'à la marge ce volet, se contentant d'adopter quelques amendements de précision et d'introduire quelques articles additionnels.
Les trois premiers chapitres de ce titre II concernent les professions de santé. Parmi ces dispositions, le seul chapitre véritablement cohérent est celui qui traite de la formation médicale continue. Comme vous le savez, le dispositif de formation médicale continue obligatoire, issu de l'ordonnance du 24 avril 1996, n'a jamais véritablement été appliqué.
Lors de l'examen du projet de loi de modernisation sociale, nous avions souhaité introduire, sur l'initiative de notre ancien collègue Claude Huriet, un nouveau dispositif de formation médicale continue. Il nous avait alors été rétorqué qu'il était trop tôt pour légiférer. Or, aujourd'hui, le dispositif ici proposé est très proche de celui qui avait été adopté par le Sénat, à l'époque. Nous ne pourrons donc qu'être très favorables à son économie générale.
Ce dispositif, élaboré après une large concertation avec les différentes parties prenantes, reste fidèle, dans ses grandes lignes, à l'architecture générale du système de formation continue prévu par l'ordonnance du 24 avril 1996.
Il y apporte toutefois, dans un évident souci de pragmatisme, trois améliorations de nature à assurer sa mise en oeuvre dans les meilleures conditions.
La première amélioration réside dans une plus grande souplesse de fonctionnement, même si l'on peut regretter l'éparpillement du système entre quatre conseils nationaux distincts.
La deuxième amélioration tient au champ d'application plus large, puisqu'il dépasse les seuls médecins pour concerner également les autres praticiens hospitaliers ainsi que les pharmaciens.
La troisième et dernière amélioration concerne la création d'un fonds national de la formation, qui constitue une condition sine qua non de la mise en oeuvre du dispositif, en garantissant son fonctionnement, qu'il s'agisse du financement des différents conseils ou des actions de formation.
Il nous semble toutefois possible d'améliorer encore le dispositif. A cet égard, il me paraît fondamental d'en garantir la transparence, afin de pouvoir suivre dans les meilleures conditions sa mise en place et son fonctionnement.
Il me semble aussi souhaitable d'en préciser les modalités de financement, le texte qui nous est soumis étant loin d'être clair sur ce point.
Je crois enfin nécessaire d'adapter l'obligation de formation continue des pharmaciens, disposition introduite de manière un peu précipitée par l'Assemblée nationale, afin de mieux prendre en compte les spécificités de cette profession et les propositions déjà émises par les partenaires sociaux.
Les autres dispositions de ces trois premiers chapitres sont bien plus disparates.
Il est, en effet, souvent bien difficile de distinguer ce qui relève de la « compétence professionnelle », objet du chapitre Ier, de ce qui concerne la « déontologie et l'information », objet du chapitre III.
Toujours est-il que ces dispositions tendent, pour l'essentiel, à mieux encadrer les conditions d'exercice des professions de santé dans un souci de sécurité des patients.
Ainsi, l'article 32 institue une nouvelle procédure de suspension temporaire du droit d'exercer pour les professions de santé, sur l'initiative du préfet, en cas d'urgence et de danger grave pour les patients.
De même, l'article 33 confie aux ordres la mission de garantir les compétences des professionnels.
L'article 36 institue, pour sa part, une nouvelle procédure d'autorisation préalable des installations de chirurgie esthétique.
Dans la même logique, l'article 52 bis vise à encadrer l'exercice de l'ostéopathie.
La commission des affaires sociales du Sénat partage, bien entendu, ce souci de mieux garantir la sécurité des patients et de renforcer la compétence des professionnels. Elle s'attachera donc principalement, dans ce cadre, à approfondir ou à rééquilibrer les dispositions proposées pour chercher à concilier de la manière la plus efficace ces deux exigences que sont la séucrité des patients et les garanties accordées aux professionnels pour exercer leur métier dans les meilleures conditions.
De manière plus discrète, ces deux chapitres poursuivent la réforme des structures ordinales que vient d'évoquer notre collègue Francis Giraud. On peut d'ailleurs regretter que cette réforme soit éclatée dans deux titres différents, ce qui n'améliorera sûrement pas la lisibilité de l'ensemble.
Cette réforme vise, bien sûr, en priorité l'ordre des médecins, en prévoyant notamment, de séparer les instances administratives des instances disciplinaires. Elle concerne aussi l'ordre des pharmaciens avec la création d'une nouvelle section H pour les pharmaciens hospitaliers, que l'Assemblée nationale a d'ailleurs repoussée.
Enfin, cette réforme se traduit par la création d'un office, qui n'est d'ailleurs en réalité qu'un ordre, sans en avoir le nom, pour certaines professions paramédicales.
Sur tous ces sujets, la commission des affaires sociales a cherché, là encore, à rétablir un peu de cohérence dans un paysage qui apparaît souvent bien tourmenté et que le texte qui vous est soumis ne fait parfois que compliquer plus encore. Dès lors, notre ligne directrice consistera principalement à améliorer l'organisation de ces professions dans le souci de mieux prendre en compte leur spécificité et d'assurer un fonctionnement plus harmonieux de l'ensemble du système.
Le chapitre IV vise à accorder une place plus importante à la prévention, qui est trop souvent le « parent pauvre » des politiques de santé publique. Pourtant, il est symptomatique que ces dispositions n'aient pas été rattachées, dans l'architecture du texte, au chapitre V du titre Ier, relatif aux orientations de la politique de santé : la politique de prévention resterait-elle reléguée au second plan ?
Il n'en demeure pas moins que, pour la première fois, l'on tente de définir la prévention. En effet, le droit positif est aujourd'hui muet sur ce point.
Ayant déserté la politique de prévention, la France semble avoir également perdu la bataille du vocabulaire. Permettez-moi de vous rappeler, mes chers collègues, que l'expression de « prévention et promotion de la santé » peut susciter une légitime inquiétude. Certes, elle s'explique sans doute par l'évolution de la définition de la santé proposée par l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS. Pour autant, je considère que la « promotion de la santé », que l'on pourrait traduire également, pour une meilleure compréhension, par « éducation pour la santé », fait partie intégrante de la « prévention » : elle n'a pas à être distinguée en tant que telle, ces deux notions étant véritablement liées.
D'une manière générale, dans le cadre des auditions organisées le 9 janvier par la commission des affaires sociales, plusieurs interlocuteurs ont insisté sur le caractère inachevé, tant sur la forme que sur le fond, de ce volet « prévention ».
S'agissant de la forme, les responsabilités des différents organismes ainsi que les concepts utilisés sont parfois marqués par une grande confusion, que je tenterai de dissiper en vous proposant un grand nombre d'amendements à l'article 54.
Sur le fond, il m'apparaît essentiel d'articuler les outils nécessaires à la politique de prévention, que sont les objectifs et les programmes prioritaires nationaux, avec les orientations de la politique de santé adoptées dans le cadre pluriannuel évoqué à l'article 24 par notre collègue M. Francis Giraud. Ces programmes prioritaires nationaux pourraient d'ailleurs être adoptés dans le cadre de lois pluriannuelles de santé publique.
Le chapitre V est relatif aux réseaux de santé et constitue un effort tardif, mais louable, du Gouvernement pour simplifier le droit existant, inadapté à la pratique.
Pour compléter votre information, il est à noter, mes chers collègues, que ce chapitre V a été complété par l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'une série d'articles « divers », parmi lesquels nous retrouvons des problématiques chères aux gynécologues médicaux et aux techniciens de laboratoires hospitaliers.
Vous le voyez, mes chers collègues, toutes ces dispositions sont bien disparates et risquent de donner à notre débat un aspect quelque peu décousu.
La commission a toutefois cherché à aborder ce texte, comme à son habitude, dans un esprit constructif, même si elle regrette qu'il ne soit finalement pas toujours à la hauteur des attentes qu'il a pu faire naître.
Vous ne serez donc pas étonnés qu'elle vous propose un nombre important d'amendements sur ce volet : plus de cent ! Ils visent essentiellement à renforcer la portée de ces dispositions ou à en préciser les procédures applicables, mais bon nombre d'entre eux sont des amendements de précision, de coordination ou de cohérence, nécessaires à l'intelligibilité du texte et à son application dans de bonnes conditions.
Ainsi bonifié, ce texte pourra alors peut-être contribuer utilement à l'amélioration de la qualité de notre système de santé. C'est en tout cas ce que nous souhaitons.
Monsieur le ministre, il n'en demeure pas moins que l'impact de ce texte, même amélioré, sera sans doute marginal. Or notre système de santé a aujourd'hui incontestablement besoin d'une réforme plus profonde, qui ne se limite pas à régler quelques problèmes administratifs. Il est clair, en effet, que l'amélioration de la qualité passe d'abord par une réflexion de fond sur l'organisation de l'ensemble du système et surtout sur son financement. C'est de ce point que nous aurions souhaité débattre. C'est dans ce sens qu'il importe désormais de travailler. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lorrain, rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre III du projet de loi que nous examinons, consacré à la réparation des conséquences des risques sanitaires, est sans doute le plus attendu - dans tous les sens du terme - de ce texte.
Il apporte en effet - enfin ! serait-on tenté de dire - une réponse législative à la délicate question de l'aléa médical et de sa réparation.
L'acte médical, qu'il soit à finalité diagnostique ou thérapeutique, n'échappe pas à l'imprévisible, à l'aléa : même parfaitement réalisé, il peut échouer, blesser, voire entraîner la mort.
L'aléa médical peut être défini comme un événement dommageable au patient sans qu'une maladresse ou une faute quelconque puisse être imputée au praticien, et sans que ce dommage ait un lien avec l'état initial du patient ou son évolution prévisible.
Cette définition implique que l'accident était imprévisible au moment de l'acte, ou qu'il était prévisible mais d'une occurrence tout à fait exceptionnelle, de sorte que le risque était justifié au regard du bénéfice attendu de la thérapie.
Un cas typique est celui du patient qui subit des examens médicaux justifiés par son état, réalisés conformément aux données acquises de la science et après que son consentement éclairé a été recueilli. Or cet examen entraîne chez ce patient un dommage majeur, telle une paralysie.
La question de l'aléa médical et de sa réparation revêt aujourd'hui une particulière acuité.
En effet, les victimes des accidents médicaux sont confrontées à une fatalité doublée d'une incohérence, puisque, frappées dans leur chair, les victimes - ou leurs ayants droit - se voient parfois opposer un refus d'indemnisation du fait de l'actuelle inadaptation du droit positif français. Ainsi, selon que l'aléa se sera produit dans le cadre du service public hospitalier ou dans un établissement privé, il sera indemnisé dans des conditions très différentes.
Cette hétérogénéité du droit positif, source d'une inégalité difficilement supportable pour les victimes, est inadmissible.
La question de l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, très largement débattue, a fait l'objet de nombreux projets et propositions de loi dont aucun n'a abouti, faute d'accord sur une solution satisfaisante pour l'ensemble des partenaires concernés et compte tenu, depuis l'apparition des contaminations par le virus de l'hépatite C, de l'importance des masses financières en jeu.
Les rapports, projets et propositions de loi sur la responsabilité médicale et l'indemnisation de l'aléa thérapeutique n'ont pas manqué depuis trente ans. Tous convergent sur une même conclusion : l'intervention du législateur est devenue indispensable.
Au cours des dix dernières années, les colloques se sont multipliés, plusieurs rapports ont été rédigés sur le sujet, une vingtaine de propositions de loi ont été déposées sans être discutées par le Parlement et plusieurs projets de loi ont été mis en chantier par les différents gouvernements sans voir le jour.
Maintes fois promise, la réponse législative à l'insatisfaction des usagers, qui s'estiment mal indemnisés lorsque survient un accident médical, comme à celle des professionnels de santé, qui craignent une dérive « à l'américaine », était cependant toujours différée.
Du fait de l'absence d'initiative des pouvoirs publics, le juge, disposé à améliorer de manière significative le sort de la victime, se voyait dès lors conduit à adopter des constructions jurisprudentielles qui bousculent les règles traditionnelles de la responsabilité civile.
Seule une modification de la loi était en réalité à même d'offrir enfin, aux uns et aux autres, cette réponse dans de brefs délais.
Cette analyse avait conduit notre ancien collègue Claude Huriet à déposer et à faire adopter, le 26 avril 2001, par notre assemblée, une proposition de loi relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale, qui constituait une première avancée significative.
Il est heureux qu'après de longs atermoiements le Gouvernement se soit enfin décidé à présenter au Parlement, dans le titre III du présent projet de loi, des dispositions consacrées à la réparation des conséquences des risques sanitaires.
Ce titre a pour objectif, dans son article 58, d'unifier et de stabiliser les règles en matière de responsabilité en cas d'accident médical, d'une part, et de définir un nouveau droit à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique, d'autre part.
Il est ainsi rappelé que la responsabilité des professionnels ou des établissements doit essentiellement reposer sur la notion classique de faute, dès lors que le projet de loi permet aux victimes d'accidents graves non fautifs d'être indemnisées.
Parallèlement, est instituée une obligation d'assurance responsabilité civile qui s'impose à tous les professionnels de santé exerçant à titre libéral, à tous les établissements exerçant des activités de soins ainsi qu'aux producteurs et fournisseurs de produits de santé.
De manière plus originale, le projet de loi vise à créer un dispositif de règlement amiable et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes et d'infections nosocomiales, selon une procédure non contentieuse et non obligatoire, reposant sur des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation.
Dans leurs avis, qu'elles doivent rendre dans un délai de six mois, les commissions se prononcent sur l'étendue des dommages subis par la victime et sur la responsabilité éventuelle d'un professionnel ou d'un établissement de santé.
En cas de faute, il revient à l'assureur du professionnel ou de l'établissement de santé d'indemniser la victime.
Dans le cas d'un aléa médical, la victime est indemnisée par un office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes, établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre de la santé et dont le financement est assuré pour l'essentiel par l'assurance-maladie.
Ce dispositif s'accompagne, en outre, d'une réforme de l'expertise médicale avec la création d'une liste nationale d'experts constituée par une commission nationale. L'accès à l'expertise sera gratuit dans le cadre de la procédure devant les commissions régionales.
Le mécanisme proposé par le Gouvernement apparaît donc indéniablement complexe. Les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation joueront un rôle central. C'est de leur efficacité et de la qualité des décisions qu'elles prendront que dépendra finalement le succès ou l'échec de cette réforme.
Le dispositif prévu par le Gouvernement présente, en outre, certaines faiblesses que la commission des affaires sociales vous proposera, mes chers collègues, de corriger par voie d'amendements.
Ainsi, nous jugeons nécessaire d'inscrire dans la loi une définition des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Il convient également de réaffirmer avec force que, sauf pour les infections nosocomiales, les professionnels et les établissements de santé ne sont responsables qu'en cas de faute. En revanche, les établissements restent tenus par une obligation de sécurité de résultat et sont donc responsables des dommages résultant des infections nosocomiales, à moins qu'ils n'apportent la preuve d'une cause étrangère.
De même, la commission des affaires sociales proposera de fixer dans la loi un plafond pour le taux d'incapacité permanente, qui sert de seuil d'entrée dans le mécanisme de règlement amiable, afin d'éviter qu'un taux trop élevé ne soit finalement retenu par le biais du décret, ce qui exclurait de nombreuses victimes du bénéfice de l'indemnisation.
Ainsi, le taux d'incapacité permanente ouvrant droit à la réparation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices subis par le patient ne pourrait être supérieur à 25 %, taux qui correspond, à titre d'exemple, à la perte d'un oeil.
La commission des affaires sociales proposera également au Sénat de limiter, dans les contrats d'assurance en responsabilité civile professionnelle des établissements et des professionnels de santé, les montants et la durée de la garantie.
Une telle disposition est de nature à apaiser les inquiétudes légitimes des assureurs médicaux, qui font valoir, à juste titre, les risques financiers qu'entraînerait pour eux l'obligation d'assurance. Il serait en effet inutile de prévoir une obligation d'assurance pour les professionnels et les établissements de santé si aucun assureur n'était plus disposé à couvrir un tel risque.
Parallèlement, il semble nécessaire de limiter le montant de l'amende civile susceptible d'être infligée en cas d'offre insuffisante de l'assureur à ce qui est strictement prévu par la loi dite « Badinter » du 5 juillet 1985, dont s'inspire directement le dispositif présenté par le Gouvernement, soit 15 % de l'indemnité allouée par le juge.
Il convient par ailleurs de prévoir que l'expertise médicale sera systématique et contradictoire et d'encadrer plus strictement les dispositions transitoires concernant les experts médicaux, afin d'éviter que la réforme de l'expertise prévue par le projet de loi ne soit vidée de toute portée.
Enfin, le mécanisme présenté par le Gouvernement comporte une grave lacune à laquelle la commission des affaires sociales ne peut pas remédier : il n'apporte pas de véritable réponse s'agissant des personnes contaminées par le virus de l'hépatite C.
Certes, le projet de loi vise à faciliter l'indemnisation par les juridictions des victimes d'hépatites C dues à des transfusions anciennes, qui rencontrent souvent des difficultés à apporter la preuve de l'imputabilité de leur contamination à une transfusion. Il crée à cette fin un régime de preuve spécifique : c'est le juge qui formera sa propre conviction au vu des éléments apportés par chaque partie et des résultats des mesures d'expertise dont il prendra l'initiative ; en cas de doute, celui-ci profitera à la victime.
Il n'y a cependant là rien de véritablement nouveau : le projet de loi ne fait qu'inscrire dans la loi la jurisprudence désormais établie de la Cour de cassation.
Cet aspect est incontestablement le plus décevant du titre III de ce projet de loi. J'estime pour ma part qu'une prise en charge par la solidarité nationale de l'indemnisation des personnes contaminées par ce virus aurait été nettement préférable. Toutefois, nous savons quelles seraient les conséquences d'une telle décision.
J'ajoute, pour être complet, que le titre IV rassemble des dispositions relatives à l'outre-mer.
La commission des affaires sociales proposera au Sénat d'adopter, s'agissant de ce titre, plusieurs amendements prévoyant des changements rédactionnels et des coordinations avec le reste des modifications apportées au projet de loi. Par ailleurs, plusieurs amendements ont été déposés par nos collègues représentant les départements et les territoires d'outre-mer. Ils visent, pour l'essentiel, à étendre, sous réserve de quelques adaptations, des dispositions qui sont déjà en vigueur en métropole.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur les titres III et IV de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a examiné pour avis le projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Cet examen est évidemment justifié par le fait que ce texte comporte une redéfinition fondamentale du droit de la responsabilité en matière de risques sanitaires. Il l'est aussi, plus généralement, par le fait que si les membres de notre commission sont sans doute peu qualifiés pour apprécier concrètement la situation des médecins et des établissements de santé,...
MM. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Francis Giraud, rapporteur. Mais si ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. ... puisque, me semble-t-il, aucun d'entre eux n'est médecin,...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez renvoyé tous les médecins à la commission des affaires sociales ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. ... ils sont, comme tout un chacun, bien placés pour apprécier les problèmes des malades. En effet, selon la leçon impérissable du docteur Knock, nous sommes tous des malades potentiels ! (M. de Raincourt rit.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. « Tout homme bien portant est un malade qui s'ignore ! »
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Pour autant, nous n'avons pas cru devoir nous livrer à un examen détaillé des titres Ier et II du texte, intitulés respectivement « Démocratie sanitaire » et « Qualité du système de santé ».
La commission des lois a cependant jugé très positive, monsieur le ministre, l'orientation de cette partie du projet de loi, qui tend, d'une manière générale, à améliorer la situation des malades par rapport au système de santé et à faire que, par une série de mesures qui vont d'une meilleure information et du respect de la dignité du malade à l'organisation et à la déontologie des professionnels de la santé, la relation entre le malade et le système sanitaire dépasse le caractère purement technique de l'acte médical stricto sensu et prenne mieux en compte la personne tout entière du malade, dans un monde où les progrès mêmes des thérapeutiques ont tendance à effacer la personnalité du patient derrière le cas particulier qu'il représente.
Il y a là une préoccupation humaniste dont nous vous félicitons, monsieur le ministre, qui inspire l'ensemble du texte et mérite d'être saluée, sans méconnaître le surcroît de servitudes que cette prise en compte peut imposer aux professionnels de la santé.
Au-delà de cet hommage rendu à l'ensemble de la démarche, venons-en à la contribution spécifique de la commission des lois, contribution qui porte tout d'abord sur le problème très particulier de certains détenus atteints de graves maladies, ensuite sur la réparation des conséquences des risques sanitaires, et, enfin, sur l'aspect très spécifique de ces risques qui a trait aux erreurs possibles de diagnostic prénatal et à la question posée par un récent arrêté de la Cour de cassation, que je préfère ne pas citer.
S'agissant de la situation de certains détenus, nous proposons au Sénat d'introduire un article additionnel permettant la suspension de la détention des personnes atteintes « soit d'une maladie mettant en jeu le pronostic vital, soit d'une maladie qui est durablement incompatible avec le maintien en détention », comme par exemple la maladie d'Alzheimer. Il s'agit là d'une mesure présentée dans le rapport de la commission d'enquête présidée par notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest et dont nul ne conteste qu'elle soit à la fois très justifiée et très urgente, étant entendu que les modalités prévues excluent, je crois pouvoir le dire, toute possibilité d'abus ou de fraude. Il serait souhaitable de ne pas attendre, pour l'adopter, le grand texte relatif au système pénitentiaire qui viendra un jour en discussion devant le Parlement, au-delà des ides de mars ou de juin (Sourires) , à une date que personne ne peut prévoir.
Plus complexes sont les dispositions du titre III tendant, pour l'essentiel, en premier lieu à définir les risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé, en deuxième lieu à créer une procédure de règlement amiable en vue de l'indemnisation des victimes, en troisième lieu à améliorer les expertises et, enfin, en quatrième lieu, à instaurer une obligation d'assurance de responsabilité civile médicale.
Sur le premier point, le projet de loi, en distinguant clairement les hypothèses de responsabilité pour faute identifiée, auxquelles s'ajoutent la plupart des affections nosocomiales n'ayant pas de cause étrangère, des autres hypothèses relevant de ce qu'il est convenu d'appeler l'aléa thérapeutique, s'inscrit très opportunément dans la voie ouverte par notre assemblée, sur l'initiative, en particulier, de notre ancien collègue Claude Huriet, et qui a donné lieu au vote d'un texte. Il est d'ailleurs permis de regretter, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne se soit pas cru obligé de donner une suite immédiate à celui-ci.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Nous y sommes !
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Nous y sommes, c'est vrai ! A tout péché miséricorde, surtout aux petits péchés ! (Rires.)
Ce texte aura le grand mérite de permettre la couverture de l'aléa thérapeutique au titre de la solidarité nationale. Les membres de la commission des lois sont bien sûr préoccupés par les problèmes de responsabilité, et ce point représente, comme cela a été dit, une avancée considérable.
En conséquence, les victimes de tels aléas, qui étaient jusqu'à présent privées de recours compte tenu de l'absence de responsables identifiés comme fautifs, pourront dorénavant bénéficier d'une indemnisation.
Cette disposition présente en outre le grand intérêt, notamment d'un point de vue juridique, de mettre fin à une certaine dérive jurisprudentielle tendant à multiplier les fautes présumées, dans le souci de permettre l'indemnisation des victimes. On voyait ainsi se restreindre la définition même de la responsabilité médicale telle qu'on l'entendait d'une manière classique.
Le curseur se trouvera désormais fixé entre la responsabilité pour faute et une responsabilité sans faute, ce qui devrait être de nature à rassurer les professionnels de santé et leurs assureurs. La commission des lois approuve ce dispositif. Elle se bornera à vous proposer, mes chers collègues, d'y apporter quelques améliorations rédactionnelles. Elle admet, en particulier, du moins dans un premier temps, car nous espérons que les choses évolueront, que l'indemnisation de l'aléa médical ne soit couverte qu'à partir d'un certain degré de gravité. Certes, on ne peut pas tout régler d'un seul coup, mais il lui paraît que la détermination de ce degré de gravité ne saurait être laissée à la discrétion du pouvoir réglementaire, étant donné que cela constitue tout de même l'un des éléments essentiels du dispositif. Elle ne croit pas disposer de la compétence nécessaire pour apprécier avec précision ce taux, mais elle souhaite expressément qu'il soit arrêté par notre assemblée, sur proposition de la commission des affaires sociales, évidemment plus compétente... sur ce point ! (Rires.)
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Il importe cependant que ce seuil d'indemnisation ne trouve d'application que dans le domaine de l'aléa thérapeutique, et non quand il s'agit d'une faute identifiée, au regard de laquelle le droit à réparation ne peut relever que du droit commun. Un amendement tendant à traduire cette distinction dans le projet de loi sera présenté.
En ce qui concerne la procédure de règlement amiable, je ne saurais dissimuler la perplexité, pour ne pas employer un terme plus désagréable, de la commission des lois à l'égard d'un dispositif entièrement nouveau, qui vise manifestement à se substituer à la procédure judiciaire de droit commun et dont la motivation, a priori sympathique, ne saurait faire oublier tout ce que sa mise en oeuvre comporte de singulier et d'aléatoire.
Relevons immédiatement qu'il serait illusoire de créditer ce dispositif d'un avantage quelconque du point de vue de la rapidité de la procédure. (M. le ministre lève les bras au ciel.)
Mais si, monsieur le ministre ! Vous ne fréquentez pas les salles d'audience, et je vous en félicite. C'est préférable ! (Rires.)
Avec le système des référés simples pour organiser l'expertise et des référés-provisions, lesquels ont acquis une grande autorité, les procédures judiciaires, aussi bien que les procédures administratives, permettent aux victimes d'obtenir des indemnisations rapidement, sous la seule réserve des délais d'expertise ou de contre-expertise, qui devront être supportés dans toutes les procédures imaginables : on est toujours confronté au problème de la durée de l'expertise.
Il reste, cependant, que le dispositif présenté, en permettant d'obliger l'Office national d'indemnisation à se substituer, pour l'indemnisation, aux responsables d'une faute identifiée qui refuseraient de s'exécuter, garantit dans ce cas une indemnisation à la victime, qui n'aura pas à supporter la charge de la poursuite du recours, cet office se trouvant substitué dans ses droits pour récupérer l'indemnisation avancée par lui. Compte tenu de cet avantage incontestable et, surtout, de la crainte qui est la sienne que son scepticisme à l'égard du dispositif proposé ne soit mal compris, ce qui est fréquent en ce bas monde, et interprété par certains esprits comme un signe de mauvaise volonté, la commission des lois se bornera à soutenir quelques amendements rédactionnels tendant à améliorer le texte.
Les dispositions qui visent à améliorer l'expertise, comme celles qui régissent l'assurance obligatoire des médecins, sont les bienvenues et présentent une grande importance. La commission des lois s'en tiendra à proposer de prévoir la possibilité d'introduire des limitations dans les contrats d'assurance, dans le souci de préserver le « caractère assurable du risque ». Il faut admettre, à mon sens, un plafonnement et, probablement, des délais de recours.
Par ailleurs, elle vous proposera de codifier une disposition toute nouvelle tendant à unifier la prescription des recours en responsabilité qui sont actuellement de quatre ans devant la juridiction administrative et de trente ans devant les juridictions judiciaires. Il s'agit là d'une très opportune initiative de l'Assemblée nationale.
A cette occasion, il convient d'évoquer une nouvelle fois ce que peut avoir de choquant pour l'esprit et de préjudiciable pour toutes les personnes concernées cette dualité de juridictions qui veut que des affaires parfaitement identiques dans la réalité des faits - ce sont quelquefois les mêmes praticiens qui opèrent, le matin, à l'hôpital et, l'après-midi, dans une clinique - soient traitées selon des procédures et des règles de droit profondément différentes en fonction de la juridiction compétente.
Je ne puis que reprendre ici le souhait exprimé par M. Mattéi devant l'Assemblée nationale de voir le Gouvernement - la question étant assez complexe, elle ne peut être résolue par une proposition de loi - nous proposer un texte qui unifierait ces contentieux, comme on l'a déjà fait dans le passé pour les accidents de la circulation. Il est profondément choquant de voir se perpétuer un système qui a sans doute le mérite de diversifier et d'enrichir à l'infini la jurisprudence et la réflexion juridique mais qui ne le fait qu'aux dépens du justiciable.
Nous en arrivons à la question humainement si émouvante et juridiquement si délicate posée par la récente jurisprudence de la Cour de cassation - qu'il est convenu d'appeler la jurisprudence Perruche - concernant les erreurs commises à l'occasion d'un diagnostic prénatal.
Il convient tout d'abord d'opérer une distinction fondamentale entre les deux principales questions qui se posent actuellement.
La première question, qui était à l'origine la seule, en particulier dans la démarche de notre collègue M. Mattéi, était de savoir si un enfant atteint d'un handicap congénital disposait, à titre personnel, d'un recours à l'encontre du praticien dont l'erreur n'aurait pas mis sa mère en mesure de procéder à l'interruption de sa grossesse en toute connaissance de cause. La Cour de cassation l'admet tandis que le Conseil d'Etat le refuse et avec lui l'ensemble de l'opinion, je crois qu'on peut le dire, spécialement celle des milieux concernés pour autant, du moins, que l'on puisse en juger.
La seconde question se situe dans le cadre de la relation contractuelle - on ne le dira jamais assez - établie entre la mère, éventuellement la mère et le père, et le praticien. Elle est de savoir si, dans une telle hypothèse, qui suppose une faute du praticien, la mère peut exercer à son encontre un recours, en invoquant le préjudice qui résulte pour elle d'avoir mis au monde un enfant handicapé, ce qu'elle aurait pu préférer éviter, exerçant ici un droit que notre législation lui reconnaît.
Sur la première question, il y a apparemment unanimité pour ne pas reconnaître à l'enfant né handicapé une action en réparation du seul fait de ce handicap, et ce non seulement dans l'hypothèse de l'erreur de diagnostic prénatal, mais aussi dans toute autre hypothèse, pour des raisons qui tiennent à la fois à des considérations morales et à des considérations juridiques, ces dernières touchant en particulier à l'insuffisance du lien de causalité. Je n'ai donc pas à m'étendre sur ce point.
La seconde question, fondamentalement distincte de la première, n'était d'ailleurs pas visée dans la proposition de loi de notre collègue M. Mattéi. Elle est apparue au cours du débat et sur l'initiative des praticiens du diagnostic prénatal qui ont fait valoir le caractère particulièrement délicat et aléatoire de leurs investigations au regard d'une responsabilité pouvant être considérable et donc difficilement assurable. On y a déjà fait allusion à juste titre.
Rappelons que les données essentielles de la question sont malheureusement masquées par la rédaction du texte de l'Assemblée nationale qui peut donner à penser que l'action de l'enfant, apparemment écartée par le premier alinéa de son texte, se trouve réintroduite dans le troisième alinéa puisque celui-ci énonce que « les titulaires de l'autorité parentale », qui ne sont pas ceux qui ont consulté le médecin, qui ne sont donc pas parties au contrat, « peuvent demander une indemnité destinée à la personne handicapée ». (Sourires.) Cette rédaction peut être améliorée. D'ailleurs, nos excellents collègues de l'Assemblée nationale qui ont travaillé sur ce sujet dans la hâte ont dit qu'ils faisaient ce qu'ils pouvaient mais que la rédaction pourrait être améliorée au cours de la navette. En réalité, la situation est toute différente, étant entendu qu'il s'agit de la relation contractuelle établie entre le praticien et la mère, ou la mère et le père, en fonction du contrat. Dans un tel cadre, le recours appartient à la mère, éventuellement aux parents, et l'appréciation de l'indemnité correspond à celle du préjudice subi par eux.
L'application du droit commun de la responsabilité contractuelle voudrait que, dans un tel cas, la responsabilité du praticien soit engagée sur le seul constat d'une faute professionnelle et que le préjudice réside dans la charge morale et économique créée pour les parents par la venue au monde d'un enfant handicapé, le lien de causalité résidant dans le fait que, si les parents avaient été correctement informés, ils auraient pu, en interrompant la grossesse, éviter ce préjudice. On a donc bien la faute, le préjudice sous ses différents aspects et le lien de causalité. En effet, ils disent que s'ils avaient su, ils auraient pris telle ou telle mesure et cet événement coûteux ne serait pas intervenu. L'articulation est parfaitement correcte au point de vue juridique.
Disons, pour simplifier, qu'il s'agit de la jurisprudence commune sur ce point à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, celui-ci l'ayant exprimée d'une manière particulièrement claire dans l'arrêt Quarez qui fixe le préjudice économique à une rente mensuelle de 5 000 francs pendant toute la durée de la vie de l'enfant. A cette occasion, rappelons que les parents ont l'obligation de subvenir aux besoins de leurs enfants, non seulement jusqu'à la majorité de ceux-ci, mais au-delà, selon la situation respective des parents et des enfants.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela arrange l'Etat !
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. C'est donc une obligation juridique, qui se trouve aggravée en fonction des circonstances.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Cela arrange bien la solidarité nationale !
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Je suppose, monsieur le président About, que vous ne voulez pas que je réplique, sinon, tout à l'heure, je pourrais à mon tour vous interrompre. (Sourires.) Ne nous y amusons pas trop !
Compte tenu cependant des aspects particuliers du diagnostic anténatal que je viens de rappeler et pour tenir compte des légitimes inquiétudes des médecins concernés, l'Assemblée nationale a conçu pour ce cas une définition particulière du système de responsabilité comportant l'exigence d'une faute lourde.
Je dis à tous ceux qui en doutent que la distinction entre la faute simple et la faute lourde est, bien sûr, considérable. Rappelez-vous que nous avons voté, dans un tout autre domaine, un texte qui a établi une distinction entre la faute simple et la seule faute caractérisée et que ce texte, à lui seul, a fait disparaître la moitié du contentieux dans le domaine de responsabilité auquel je fais allusion. Donc, en l'occurrence, on fait disparaître pratiquement la moitié des recours. A l'exigence d'une faute lourde, l'Assemblée nationale a ajouté l'exigence d'un handicap d'une particulière gravité et elle a prévu - et ce point est aussi important que les deux autres - que l'indemnité du préjudice économique serait calculée « déduction faite du montant des allocations et prestations, de quelque nature qu'elles soient ». Il s'agit donc du préjudice complémentaire, au-delà des prestations non récupérables de la sécurité sociale et de la solidarité.
Fallait-il aller si loin ? Certains membres du groupe communiste de l'Assemblée nationale ont dit que l'on ne pouvait pas aller aussi loin. Pour sa part, la commission des lois a considéré qu'un tel dispositif allait aussi loin que possible dans la voie d'une adaptation du droit commun de la responsabilité au cas particulier du diagnostic prénatal. Elle a approuvé ce dispositif en proposant simplement quelques modifications rédactionnelles.
La commission des affaires sociales, dans sa non moins grande sagesse - a priori nous sommes tous sages (Sourires) - considère, de son côté, qu'il convient en outre de réduire l'indemnisation des parents à leur seul préjudice moral, procédant ainsi à une distinction qui porte au principe général de l'égalité des citoyens devant la loi une atteinte que la commission des lois ne croit ni possible ni justifiée.
Elle ne la croit pas possible parce qu'il est de règle - et cette règle a, je me permet de le rappeler, valeur constitutionnelle - que, dans l'hypothèse où une responsabilité est reconnue, - quelle que soit sa valeur - elle permet à la victime d'obtenir réparation de l'ensemble de son préjudice dans lequel on ne saurait établir de distinctions arbitraires. Il existe sur ce point des décisions du Conseil constitutionnel qui sont d'une parfaite clarté.
Elle ne croit pas non plus cette atteinte justifiée, je tiens à le dire, car l'argument d'équité qui semble avoir guidé nos collègues de la commission des affaires sociales n'est pas fondé. Il consiste à demander que soit observée une égalité de traitement entre tous les handicapés, oubliant cependant que, dans la réalité, leurs situations sont nécessairement différentes, à commencer en fonction de leurs conditions familiales d'existence.
Mais, surtout, et en toute hypothèse, la différence de situation résultant des mécanismes de la responsabilité se retrouve dans tous les domaines de la vie, spécialement en matière d'accidents de la circulation - c'est quotidien, hélas ! - où les situations sont toutes différentes selon qu'il y a ou non un tiers responsable.
Monsieur le président, je dois conclure.
M. le président. Je vous y invite, même si vos propos sont très intéressants.
M. Pierre Fauchon, rapporteur pour avis. Vos invitations sont des ordres, monsieur le président, et je conclus,... plus précisément, je vais conclure. (Sourires.)
Au total, le dispositif proposé par la commission des affaires sociales établirait - il faut y réfléchir, mes chers collègues - une quasi-irresponsabilité dans un secteur professionnel déterminé, ce qui nous paraît inacceptable et même dangereux.
Mon dernier mot sera pour dire qu'il n'y a pas dans cette circonstance une opposition quelconque entre ceux qui seraient mus par la compassion et ceux qui seraient en quelque sorte esclaves du droit. Nous sommes tous animés d'un profond sentiment de compassion et de respect face aux situations qui font l'objet de notre débat et que, à un titre ou à un autre, aucun de nous ne peut ignorer. Simplement, nous avons été de ceux qui croient que la compassion n'est pas une conseillère suffisante dès lors qu'il s'agit de légiférer et qu'il lui faut emprunter sagement les voies du droit si l'on veut atteindre à l'efficacité sans laquelle la compassion se bornerait à des proclamations dont une assemblée responsable ne doit pas se satisfaire. Il s'agit non pas d'une opposition, mais d'une différence dans l'appréciation des voies et moyens, rien de moins, rien de plus.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois vous demande, mes chers collègues, de la suivre dans ses propositions, ayant la conviction profonde que le respect des principes essentiels du droit reste la voie la plus autorisée et la plus sûre pour servir les préoccupations humanistes et humanitaires qui nous sont communes. (MM. Moinard, Picheral et Badinter applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre notre débat car M. François Logerot doit déposer le rapport annuel de la Cour des comptes.

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