SEANCE DU 31 JANVIER 2002


M. le président. L'amendement n° 53, présenté par M. Giraud, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le texte proposé par le I de l'article 24 pour l'article L. 1411-1 du code de la santé publique :
« Art. L. 1411-1 . - La nation définit sa politique de santé selon des priorités pluriannuelles.
« L'application de la politique de santé est évaluée annuellement par les conseils régionaux de santé et par le Haut Conseil de la santé.
« Au vu de ces travaux, le Gouvernement remet un rapport au Parlement, avant le 15 juin sur les orientations de la politique de santé qu'il retient en vue de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année suivante. Est joint à ce rapport un avis de la Conférence nationale de santé. »
La parole est à M. Giraud, rapporteur.
M. Francis Giraud, rapporteur. Cet amendement vise à rédiger le I de l'article 24 en mettant l'accent sur la nécessité pour la nation de définir sa politique de santé en fonction de priorités pluriannuelles.
L'article 24, relatif aux orientations de la politique de santé me paraît tout à fait fondamental. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que je consacre quelque temps à défendre l'amendement que la commission des affaires sociales y a déposé.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale vise à remplacer le rapport qui est actuellement remis par la Conférence nationale de santé au Gouvernement par un rapport qu'il devra rédiger sur la politique de santé pour l'année suivante. Ce rapport devra être préparé chaque année, compte tenu des priorités pluriannuelles et élaboré avec le concours du Haut Comité de la santé publique, au vu des bilans de l'application de la politique de santé dans les régions établie, avant le 1er mars, par les conseils régionaux de la santé et au vu des propositions qu'ils formulent.
Il est ensuite transmis, après avis de la Conférence nationale de santé, à l'Assemblée nationale et au Sénat, au plus tard le 15 mai suivant. Il fait alors l'objet d'un débat.
Cet article ne répond en rien aux critiques relatives à l'absence de liens entre la politique de santé et la politique d'assurance maladie, c'est-à-dire l'absence de « contenu en santé publique » qui caractérise aujourd'hui l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM.
Il est vrai qu'une véritable réforme nécessiterait une modification de la loi organique du 22 juillet 1996, et donc l'adoption d'une loi organique correctrice. C'est dans cet esprit que la majorité de la commission des affaires sociales a déposé, en avril dernier, une proposition de loi prévoyant la suppression du rapport annexé et son remplacement par un rapport du Gouvernement, non amendable par les parlementaires, spécifiquement consacré à l'évolution de l'ONDAM. Un tel rapport justifierait l'évolution proposée pour l'ONDAM, notamment au regard de l'évolution spontanée des dépenses, rappellerait l'impact des dispositions figurant dans le projet de loi et chiffrerait le financement des priorités de santé publique mises en oeuvre.
En revanche, le texte proposé pour l'article L. 1411-1 du code de la santé publique passe l'essentiel quasiment sous silence : des priorités de santé publique ne peuvent être déterminées que selon un horizon pluriannuel. Le Parlement semble totalement exclu de la définition de ces priorités puisqu'il ne débattrait que d'un rapport annuel sur la politique de santé, tandis que le Gouvernement déterminerait, de son seul chef, des priorités pluriannuelles. Or ce sont ces priorités pluriannuelles qui constituent le véritable objet de débat.
Notre commission estime que le Gouvernement devrait avoir pour tâche de préparer des « lois pluriannuelles de santé publique », solennellement adoptées par le Parlement. A priori, une telle loi ne peut être qu'une loi organique. Cependant, il suffirait que le Gouvernement ait la volonté politique de présenter régulièrement, de sa propre initiative, des « lois pluriannuelles de santé publique », de la même manière que se sont succédé, dans le domaine agricole, des lois d'orientation sans fondement constitutionnel ou organique. L'exemple des lois de programmation militaire montre également toute l'inventivité de la pratique de la Ve République.
Nous proposons donc de rédiger l'article L. 1411-1 en mettant en avant la nécessité de définir la politique de santé selon des priorités pluriannuelles.
Les conseils régionaux de santé et le Haut Conseil de santé seraient chargés d'évaluer annuellement l'application de cette politique de santé, la mission d'expertise revenant au Haut Conseil de santé à travers un rapport annuel, qui serait un rapport « objectif ».
Le Gouvernement, au vu de ces travaux, remettrait au Parlement un rapport précisant les orientations de la politique de santé qu'il retient en vue de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année suivante. Ce rapport aurait ainsi un contenu concret, permettant d'éclairer les débats sur le projet de financement de la sécurité sociale.
La Conférence nationale de la santé, instance des professionnels, se prononcerait par la voie d'un avis sur le rapport du Gouvernement. Celui-ci aurait alors toute latitude d'organiser un débat annuel au Parlement. Ce dernier, au demeurant, peut lui-même en prendre l'initiative par l'intermédiaire de l'organisation d'une série de questions orales avec débat.
En revanche, prévoir ce débat dans la loi, comme semble l'avoir indiqué le Conseil d'Etat, et comme l'a rappelé M. Claude Evin à l'Assemblée nationale, paraît inconstitutionnel.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Claude Evin a-t-il vraiment dit cela ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est dans le Journal officiel !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Si c'est dans le Journal officiel, c'est que c'est vrai ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je vais m'efforcer de vous démontrer, monsieur le rapporteur, que notre système est moins compliqué que celui que vous proposez.
En réalité, nous recherchons exactement la même chose.
J'essaie de résumer ce que j'ai tenté d'illustrer pendant les dix ans, ou presque, de mon séjour au ministère de la santé.
Bien sûr, la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale est un progrès par rapport à la situation antérieure, puisqu'il n'y avait pas de débat. Mais ce débat donne l'impression que le Gouvernement ne parle que de sous. Et cela a d'ailleurs un résultat tout à fait surprenant : personne ne sait qu'il s'agit non pas de l'argent du Gouvernement mais de celui de la CNAM, c'est-à-dire des cotisants.
Certes, il existe une annexe au PLFSS, mais on n'en parle jamais : on est déjà bien fatigué d'avoir débattu si longtemps de questions d'argent ! Il est vrai qu'il n'y a pas d'autre ministère qui débatte aussi longtemps - et avec autant de plaisir ! - que le ministère de la santé.
Bref, on ne parle jamais des projets de santé publique, j'en suis entièrement d'accord.
Le malentendu porte sur la notion de pluriannualité. Le rythme que je vous propose pour présenter au Parlement des projets et en débattre avec lui est, certes, un rythme annuel, mais ces projets peuvent tout à fait et doivent même être pluriannuels : qu'il s'agisse des soins palliatifs et de la douleur, du plan de la prévention des maladies cardiovasculaires, de l'insuffisance rénale chronique terminale, ces projets de santé publique sont pluriannuels.
Moi, ce que je suggère, c'est que, en juin, on fasse le recueil des réflexions, des observations et des propositions régionales. Mais il faut tout de même laisser une place à un certain nombre de décisions régaliennes : la politique de santé publique en fait partie.
Pour que l'on comprenne que la discussion du PLFSS n'est pas seulement une occasion de « râler » - parce qu'on considère toujours que ce qui est prévu est insuffisant ! - et qu'il y a derrière une politique de santé publique, il faut vraiment que, en commission mixte paritaire, ce point devienne parfaitement clair.
M. Francis Giraud, rapporteur. Sûrement !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Ce qui est absolument nécessaire, c'est une discussion en amont du financement, et cela signifie, sur certains thèmes de santé publique, au moins dix ans.
Par exemple, j'espère lancer un plan de prévention et de dépistage du cancer de la prostate. Il va bien falloir en chiffrer le coût. Si je décris le plan en juin, le Parlement - en même temps que le public - saura en septembre à quoi sert l'argent sur lequel on va lui demander de voter. Si nous n'arrivons pas à cela, nous ne ferons aucun progrès et il ne servira à rien d'avoir des recueils régionaux.
Or on sait très bien que les grands problèmes de santé publique ne se posent pas dans les mêmes termes dans le nord et dans le sud, par exemple en matière de mortalité. Demain, je dois rendre public un document du Haut comité de santé publique sur le sujet, qui montre que les inégalités régionales demeurent impressionnantes dans notre pays.
M. Francis Giraud, rapporteur. Tout à fait !
Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Giraud, rapporteur.
M. Francis Giraud, rapporteur. Monsieur le ministre, vous avez raison de souligner que notre solution n'est pas très éloignée de ce que vous proposez. Puis-je cependant me permettre de vous recommander de relire attentivement le texte de notre amendement ? Nous avons la faiblesse de penser que ces dix lignes sont un peu plus claires que le texte actuel.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 53.
M. Dominique Leclerc. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Chaque année, notamment au moment de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est de bon ton de dire que la France n'a pas de politique de santé. Or, pour les usagers ou les patients, bref, pour les Français, il n'est pas nécessairement facile de cerner exactement ce que sont les cinq priorités fixées par la Conférence nationale de santé, même si ces priorités sont au demeurant tellement évidentes qu'elles ne peuvent que recueillir l'adhésion.
Il est donc temps que nous puissions dégager, à travers une grande loi - conçue sur le modèle de nos lois d'orientation agricole ou de programmation militaire, comme le suggérait le rapporteur - un axe fort en matière de santé, qui serait bien perçu par l'ensemble des Français. Car il n'y a pas que les parlementaires et les professionnels de santé ! Ce sont tous nos compatriotes qui sont concernés par les problèmes d'environnement ou de vieillissement, par exemple.
Je me félicite que les propos tenus par le ministre et par le rapporteur aillent dans ce sens, au-delà des désaccords sémantiques.
Je crois que plus le signal sera clair, mieux nous aurons travaillé ce soir.
C'est pourquoi je soutiens l'amendement de la commission. En tout cas, on ne pourra plus dire que nous n'avons qu'une approche strictement financière.
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer. M. Guy Fischer. Nous déplorons tous - certains, peut-être, depuis plus longtemps que d'autres - que la définition de la politique de santé ne soit pas assez claire, notamment du fait de l'intervention de différentes instances, mais surtout que les priorités retenues ne soient pas élaborées plus démocratiquement et qu'elles soient complètement déconnectées du projet de loi de financement de la sécurité sociale et des besoins des Français.
Les mécanismes issus des ordonnances Juppé ont fait la preuve de leur inadaptation. Le présent article procède donc à certains changements, mais on ne peut pour autant conclure avec certitude que, à l'échelon national, il en résultera plus de lisibilité et plus de démocratie.
Je ne demande qu'à être convaincu mais, pour l'heure, je m'abstiendrai.
Le grief majeur que nous formulons à l'égard de cet article, c'est qu'il n'aboutit pas à une véritable discussion et à ce vote sur la politique de santé avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
A travers sa panoplie d'amendements, la commission des affaires sociales propose de réécrire totalement cet article, en se fondant sur le caractère pluriannuel des priorités de santé - l'intention est louable -, en poussant à fond la régionalisation, en donnant un rôle majeur aux conseils généraux de santé et au Haut Conseil de la santé.
Nous ne sommes pas complètement convaincus. Nous aurions, en effet, souhaité qu'on n'enlève pas à la Conférence nationale de santé sa mission qui est de proposer des priorités de santé.
Le professeur Sambuc, vice-président du Haut Comité de la santé publique, que nous avons reçu, craint lui aussi qu'il soit néfaste de remettre en cause cette mission qui consiste à faire remonter tous les éléments qui concernent la mise en place du droit des malades dans les structures hospitalières.
Le débat que nous aurons annuellement se fera sur la base d'un rapport élaboré par le Gouvernement, avec l'aide du Haut Conseil de la santé. Si son président n'est plus désigné par le Premier ministre, dans quelle mesure pourra-t-il effectivement contribuer à ce travail ? N'allons-nous pas devoir examiner des priorités décidées par le Gouvernement en concertation avec le Haut Conseil, mais sans que ces priorités n'aient fait l'objet de propositions préalables ? Est-ce ainsi que l'on « collera » au plus près des besoins des Français ? Nous ne demandons qu'à être convaincus. C'est le sens de notre abstention.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Je dois dire que je m'abstiendrai aussi.
Je suis certes très sensible à l'effort de méthodologie de la commission des affaires sociales. Mais les exemples des lois de programmation qui nous ont été donnés par notre brillant rapporteur ne témoignent pas d'une réussite extraordinaire. Qu'elles portent sur la culture ou sur la défense, ces lois, nous le savons tous, ont été assez décevantes.
Je souhaite avoir tort, mais je crains qu'il n'en aille de même du mécanisme quelque peu lourd qui nous est proposé.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je suis très heureux de ce débat et des éclaircissements donnés par les uns et les autres. Il existe en effet une véritable convergence entre les propos de MM. Giraud, Fischer, Leclerc, Gaillard et les miens.
Qu'il s'agisse ou non d'une loi de programmation - et je partage le sentiment de M. Gaillard -, je comprends très bien la nécessité de donner de l'importance à ces grandes directions en matière de santé publique.
Il existe un malentendu entre M. le rapporteur et moi-même au sujet du débat au Parlement. Je suis d'accord avec sa proposition, qui est sans doute mieux rédigée que la nôtre, mais elle ne fait pas mention du débat au Parlement. Ce projet de loi a certes été soumis au Conseil d'Etat, mais je propose de sous-amender l'amendement n° 53 afin de compléter le troisième alinéa du texte proposé par cet amendement pour l'article L. 1411-1 du code de la santé publique par les mots : « Ce rapport fait l'objet d'un débat au Parlement. »
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. D'accord.
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Nous sommes ainsi certains que le débat aura lieu au mois de juin, et je réponds ainsi à M. Fischer.
Je suis bien d'accord sur l'importance des lois de programmation en matière de santé publique au regard des exigences des Français et je vous transmettrai mardi le rapport du Haut Comité de la santé publique.
Le financement est certes assuré par le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais le débat sur la santé est plus important encore que le débat financier. Je propose donc également, toujours dans la première phase du troisième alinéa de l'amendement n° 53, d'insérer, après les mots « qu'il retient en vue », le mot « notamment ».
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 428, présenté par le Gouvernement, et ainsi libellé :
« I. - Compléter le troisième alinéa du texte proposé par l'amendement n° 53 pour l'article L. 1411-1 du code de la santé publique par une phrase ainsi rédigée : "Ce rapport fait l'objet d'un débat au Parlement"
« II. - Dans la première phrase du même alinéa, après les mots : "qu'il retient en vu", insérer le mot : "notamment". » Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Giraud, rapporteur. Avis très favorable.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 428, accepté par la commission.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 53, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article L. 1411-1 du code de la santé publique.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE L. 1411-1-1 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE