SEANCE DU 20 FEVRIER 2002


M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je serai très bref, car il est tard.
Le groupe socialiste votera contre ce texte pour une raison très évidente. En effet, adopter de très nombreux amendements pour remplacer les mots « nom patronymique » par les mots « nom de famille » et finir par dire que, s'il y a désaccord, c'est le nom du père qui s'impose, cela nous paraît totalement contradictoire et vider l'ensemble de la réforme de son esprit.
Le Gouvernement avait fait un effort. Tout le monde était d'accord pour considérer que l'ordre alphabétique n'était pas, à terme en tout cas, acceptable. On pouvait penser à tirer au sort ; on pouvait songer à prendre le premier nom de l'un des parents et le deuxième nom de l'autre. Le Gouvernement avait fait un effort en acceptant que ce soit le premier de l'un et le premier de l'autre, ce qui risque de favoriser, en tout cas pendant un certain temps, les noms paternels. La commission a donc partiellement satisfaction, mais ce n'était pas le choix, et ce n'était pas évident puisque les époux ont parfaitement le droit d'inscrire le nom de la femme en premier et le nom du mari en second.
Cela étant dit, compte tenu de cet entêtement à ne pas comprendre qu'il doit y avoir égalité entre les hommes et les femmes, le groupe socialiste votera contre la proposition de loi ainsi modifiée.
M. le président. La parole est à M. Masson.
M. Jean-Louis Masson. Pour ma part, je ne voterai pas contre ce texte, car il constitue une petite avancée.
Cela étant dit, je considère, à titre personnel que la position qui a été prise est très ringarde. En effet, d'une manière détournée, on essaie de maintenir la prédominance du nom du père. Le dispositif a été suffisamment compliqué pour que, finalement, si le texte est définitivement adopté, la loi soit peu appliquée. Ensuite, il sera tiré argument du fait qu'elle est peu appliquée pour dire que l'on avait raison. Ainsi, la bouche sera bouclée.
Je considère que le texte n'est pas bon, qu'il n'est absolument pas satisfaisant. Cependant, je souhaite qu'il soit adopté car dans quelques heures le Parlement interrompra ses travaux. Le dispositif proposé est moins mauvais que celui qui est en vigueur.
A titre personnel, parce que je suis très légaliste, je considère que ce texte n'est pas conforme aux obligations internationales de la France, et donc qu'il n'est pas constitutionnel. Aussi, je souhaite que, lorsqu'il aura été voté, il se trouve soixante députés pour présenter un recours devant le Conseil constitutionnel afin que soit supprimé l'alinéa en cause - car, en fait, c'est l'alinéa dont tout dépend - qui donne la priorité au nom du père.
C'est pourquoi je m'abstiendrai.
M. le président. La parole est à M. Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne me suis pas exprimé pendant la discussion au motif que le problème était grave et qu'il était abordé par un grand nombre de spécialistes. Mais au moment du vote final, je tiens à exprimer l'avis d'un non-juriste, d'un citoyen ordinaire qui constate que, une fois de plus, le Gouvernement veut nous imposer « à la sauvette » (M. Bret sourit) une proposition de loi modifiant profondément, comme l'ont souligné les différents orateurs à la tribune, une tradition ancestrale. L'exposé des motifs de ce texte peut prêter à sourire puisqu'il précise qu'il s'agit simplement de respecter l'égalité des sexes, c'est-à-dire les droits de l'homme et de la femme, comme s'il s'agissait, dans le nom de famille, de respecter ceux-ci. La question est beaucoup plus grave. En fait, il s'agit d'une « amusette » supplémentaire.
La discussion montre d'ailleurs bien la complexité introduite par cette proposition de loi. Nous voyons bien que nous aboutissons à des situations kafkaïennes, voire ubuesques. Cette loi sera naturellement utilisée par une petite minorité d'intellectuels initiés, voire fortunés puisqu'ils pourront, s'ils disposent de moyens suffisants, aller en justice. Mais le peuple ne pourra pas de fait utiliser cette loi. Par conséquent, elle ne constitue pas, selon moi, une avancée sociale. Elle est mauvaise car elle introduit finalement la pagaille et ne constitue pas une avancée réelle. Je serais tenté de suivre - et, sur ce point, vous ne contesterez pas mes propos, madame la ministre - l'avis de François Mitterrand, selon lequel lorsqu'une loi est mauvaise on ne l'amende pas, on la rejette.
Pour autant, la commission a bien travaillé. Son excellent rapporteur a apporté de profondes modifications à ce texte. Celui-ci n'a pas été vidé de son sens mais, au moins, les effets les plus négatifs ont été balayés d'un revers de main, et je suis très satisfait. C'est pourquoi je voterai cette proposition de loi. Je ne suivrai donc pas, une fois de plus, l'avis de François Mitterrand.
Cela étant dit, faire travailler le Parlement dans la précipitation et dans ces conditions sur des motifs aussi futiles et à une heure aussi tardive, ce n'est pas très sérieux !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme de ce débat. La date que nous avons choisie pour l'examen de ce texte n'était peut-être pas la meilleure mais trois arguments en faveur de l'adoption de ce texte nous ont été opposés.
Premier argument : la situation actuelle de notre droit porterait atteinte à l'égalité des sexes. Cela reste à démontrer. Je ne suis pas convaincu que porter le nom du père constitue véritablement une atteinte à l'égalité des sexes.
Deuxième argument : nous serions en contradiction avec les normes internationales. Or aucune norme internationale n'exige ce que l'on veut nous imposer et la fameuse jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne s'applique pas à une situation comme celle que nous avons examinée aujourd'hui. Elle concerne une toute autre situation et dans un tout autre contexte. En réalité, la proposition présentée par M. le rapporteur est parfaitement conforme à ce que la Cour européenne des droits de l'homme pourrait attendre de la France.
Troisième argument : s'opposer à la réforme du nom patronymique serait ringard et on brimerait ainsi les générations futures. Je me demande dans quelle mesure, depuis sept siècles qu'existe notre système de dévolution du nom, nous nous sentions brimés par le fait de porter nos noms.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous, pas !
M. Patrice Gélard. Personne ! On nous demande brutalement de changer de système et de lui substituer un dispositif bâtard. On n'a pas voulu choisir le système espagnol, que je ne touve pas si mal, qui est défendable, ou encore les systèmes allemand ou britannique. L'Assemblée nationale a fait un mélange de l'ensemble de ces systèmes, dont l'application soulèvera des difficultés considérables.
Cela étant dit, nous ne sommes bien sûr pas opposés - nous l'avons démontré plusieurs fois - à l'élévation des droits des femmes dans notre société afin que la parité, dont on chante tant les louanges, soit réalisée, y compris dans le domaine du nom. Mais il convient aussi de tenir compte du poids de la tradition, de nos coutumes, de nos usages et, surtout, de la volonté de nos concitoyens. Or, en fin de compte, c'est une loi que l'on veut imposer à nos concitoyens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Toutes les lois le sont !
M. Patrice Gélard. Ce n'est pas une loi voulue par nos concitoyens. On veut faire le futur, sans leur demander leur avis. Laissons les choses évoluer progressivement. Ne faisons pas, dans ce domaine, des révolutions qui n'ont pas de raison d'être. Laissons les choses se dérouler normalement. Il y a, dans ce texte, des possibilités très nettes d'évolution, du moins dans la rédaction proposée par notre excellent rapporteur.
Il ne faut pas aller plus loin. Si on va plus loin, on va dans le mur. Je suis convaincu que la bonne volonté qu'ont manifestée certains de nos collègues, notamment des membres de notre groupe, pour faire avancer les choses ne serait pas comprise par la plupart de nos concitoyens.
C'est la raison pour laquelle le dispositif qui nous a été proposé est, en réalité, une solution de sagesse. A ce stade, il faut s'en tenir là. Si nous allons plus loin, nous aurons une loi qui, soit ne sera pas applicable, soit ne sera pas appliquée, soit devra être remise sur le métier en raison des difficultés considérables qu'elle soulèvera.
J'en termine. En réalité, ce qui apparaît derrière cette loi, c'est la volonté de nous doter tous d'un double nom. Pour ma part, je ne suis pas convaincu que le double nom soit l'idéal.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Moi non plus !
M. Patrice Gélard. Je ne suis pas convaincu que le double nom soit la formule d'avenir. Je ne suis pas convaincu, pour avoir comparé avec les pays voisins, que, hormis les pays de tradition hispanique, beaucoup de pays aient adopté le double nom.
Alors, évoluons avec sagesse, suivons la commission et son rapporteur. Et, par pitié, n'allons pas plus loin, car, à ce moment-là, je ne sais ce qu'il adviendrait !
M. le président. La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat. Je ne peux que réitérer les inquiétudes que j'ai exprimées tout à l'heure, car elles sont profondes : je suis en effet très inquiet de ce qui va se passer sur le plan pratique, administratif ainsi que sur le plan des personnes et de l'histoire des familles.
Cela étant, la commission a cherché la sagesse, et M. le rapporteur a su trouver, je crois, l'équilibre entre une évolution souhaitée par certains et les craintes exprimées par d'autres.
Il ne s'agit nullement d'un entêtement contre l'égalité entre les hommes et les femmes, comme l'a prétendu M. Dreyfus-Schmidt ; il s'agit au contraire de rechercher un équilibre entre l'homme et la femme sans mettre en péril la famille, qui est extrêmement importante.
Je souhaite que l'on fasse attention, que l'on ne se laisse pas emporter par un effet de mode. Aujourd'hui, nous avons célébré le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo : « les modes sont souvent plus dévastatrices que les révolutions », disait-il. Alors, soyons prudents.
Je voterai cette proposition de loi telle qu'elle résulte de nos travaux, car c'est le texte de la raison, de l'équilibre, de l'ouverture, et donc de l'avenir
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

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